5- M. AXEL KAHN, GÉNÉTICIEN, DIRECTEUR DE L'UNITÉ DE RECHERCHE EN PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉTIQUES ET MOLÉCULAIRES À L'INSTITUT COCHIN DE GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE, MEMBRE DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE

A bien des égards, la loi votée en 1994 constitue un excellent compromis mais elle ne peut rester en l'état pour ce qui concerne la situation de l'embryon.

Le législateur a voulu rendre la recherche possible sans en banaliser l'objet. Ce compromis est générateur de redoutables incertitudes. La pire des situations, pour un biologiste, est que naisse de son action un enfant handicapé. Or la loi actuelle, en interdisant toute recherche sur l'embryon qui nuirait à son développement, conduit précisément à cette situation puisque la seule façon de respecter cette obligation est de laisser le développement se poursuivre quelles que soient les anomalies dont ce projet d'être humain est porteur.

L'embryon est humain mais ce n'est pas une personne et son devenir est grevé d'une grande incertitude. C'est un espoir, un projet de personne. Pour cette raison, et quelles que soient les techniques employées, elles ne doivent viser qu'à la création d'un être humain inscrit dans un projet parental. Cependant, si élevé que soit le niveau de dignité où on le place, il n'y a aucune raison de soustraire totalement l'embryon à la recherche, dès lors que le projet parental est abandonné, que les géniteurs ont donné leur accord et que l'alternative se réduit, soit à la destruction pure et simple de l'embryon, soit à une expérimentation préalable à cette destruction.

Les Britanniques ont " botté en touche " en autorisant l'expérimentation pendant les quatorze premiers jours du développement de l'embryon mais il s'agit là, pour le biologiste, d'une séparation artificielle et M. KAHN préfère qu'on ne recoure pas à cette solution de facilité tout en admettant qu'il y a, au fil de la multiplication cellulaire, une dignité croissante de l'embryon. Il serait néanmoins paradoxal que la période prénatale soit la seule où la recherche serait quasiment impossible.

Les perspectives ouvertes par cette recherche concernent, outre les techniques d'assistance médicale à la procréation proprement dites, l'expérimentation de nouveaux milieux de développement. Par ailleurs, la culture de cellules souches embryonnaires, qui n'a été réalisée jusqu'ici que sur des souris, ouvrirait de larges possibilités thérapeutiques compte tenu du caractère totipotent de ces cellules. M. KAHN est réservé sur la création de ces cellules par clonage mais souligne qu'en tout état de cause, il n'est possible à l'heure actuelle d'en obtenir que dans les pays où la recherche est plus libéralement autorisée.

Selon l'exégèse dominante, l'interdiction du clonage reproductif résulterait de l'article 16-4 du Code civil dans la rédaction que lui a donné la loi n° 94-653. Ce texte ne vise que les pratiques eugénistes mais la notion même de procréation n'est nulle part définie. Il conviendrait donc, pour plus de sécurité, de compléter en ce sens le Code de la santé publique.

En ce qui concerne le développement de la médecine prédictive sur la base des tests génétiques, la loi actuelle ne garantit pas une assurance tous-risques contre d'éventuelles dérives. Il sera de plus en plus facile, pour chaque individu, de connaître sa destinée biologique, sa prédisposition à certaines maladies, ses capacités intellectuelles ou physiques et d'en tirer parti pour assurer sa position sociale, comme l'illustre l'exemple récent des découvertes touchant les performances sportives. " L'idéal sportif est l'idéal du triomphe de l'inégalité biologique. "

Les " kits " individuels, déjà disponibles sur le marché américain, risquent de se répandre en Europe et il sera difficile d'édifier des barrières (Agence nationale ou européenne du médicament) pour limiter leur utilisation inconsidérée. Cependant, il serait intéressant d'analyser les législations des divers états américains qui ont, dans cette matière, un objectif éducatif.

En ce qui concerne l'ICSI dont l'innocuité semble se confirmer, il est frappant de constater qu'elle a été développée, en dépit de ses risques théoriques, sans expérimentation préalable contrairement aux règles fixées dans le code de Nuremberg et la déclaration d'Helsinki.

Auditions du 18 juin 1998

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page