II. - LA LOI ET LES PRINCIPES : DE QUELQUES DIFFICULTÉS DE MISE EN oeUVRE

Si la méthode globale adoptée par le législateur en 1994 n'a pas conduit à instaurer une hiérarchie entre les lois n° 653 et 654, puisqu'un certain nombre de règles fondamentales se trouvent énoncées dans l'une et l'autre, la seconde n'en a pas moins eu pour fonction essentielle de traduire " techniquement " dans le Code de la santé publique les principes que la première avait inscrits dans le Code civil. La pratique a révélé un certain nombre de décalages résultant du contenu même de la loi ou de ses modalités d'application.

1. Le consentement préalable

- Tout en consacrant ce principe fondamental, la loi n° 654 y a apporté, pour des raisons pratiques, une atténuation en soumettant à la règle du consentement présumé la plupart des prélèvements d'organes sur personnes décédées. Cette présomption n'a véritablement de sens que si le public en est correctement informé. Or, les actions en ce domaine restent encore trop limitées.

- Le champ d'application de ce consentement présumé n'a pas été clairement précisé par la loi, dont les difficultés d'interprétation ont compliqué l'élaboration des textes d'application. Il sera sans doute nécessaire de distinguer plus nettement le régime des autopsies, celui des prélèvements à visée thérapeutique et celui des prélèvements à visée scientifique.

- Le principe du consentement n'a pas été formellement appliqué aux résidus opératoires ni, fait plus préoccupant encore, aux prélèvements sur embryons et foetus morts qui se trouvent ainsi placés à cet égard dans une sorte de " no man's land juridique ".

- Dans certains cas, le décret a dû pallier les omissions de la loi pour organiser une information complète du patient, préalable indispensable à un consentement éclairé : tel a été le cas pour la pratique du diagnostic prénatal.

- Comme le relève le rapport du Conseil d'Etat pour 1998, la jurisprudence a seule traité, de façon parfois discutable, certaines situations ignorées par le législateur : expérimentations sur un patient décédé, identification génétique post mortem.

2. L'intégrité de la personne

- Le point problématique d'application de ce principe concerne, évidemment, le sort réservé à l'embryon in vitro. Tout en entourant celui-ci d'un certain nombre de protections, la loi n'a pas été jusqu'à lui conférer un véritable statut et il existe aujourd'hui une tension non résolue entre le respect dû à ce " projet de personne " (selon la formule du professeur Axel KAHN) et les attentes de la recherche, elles-mêmes avivées par les nouvelles perspectives thérapeutiques que laisse entrevoir l'utilisation des cellules embryonnaires. C'est l'une des questions essentielles que devra aborder le législateur à l'occasion de la révision des dispositions concernant l'assistance médicale à la procréation, question d'autant plus difficile que pèsera sur le débat l'existence d'un nombre élevé d'embryons congelés et privés aujourd'hui de tout projet parental.

- L'attention portée à l'embryon in vitro a laissé, d'autre part, en arrière-plan le problème non moins préoccupant de la situation juridique du foetus, ignoré par la loi de 1994. Le Comité consultatif national d'éthique (avis du 25 juin 1998) souhaite que soient examinées les conséquences de cette lacune législative tant en matière d'autopsie et de recherche qu'au regard de la situation sociale, médicale et économique de la mère. On ajoutera qu'en l'état actuel du droit, la réanimation natale constitue pour le médecin une obligation stricte qui ne peut être levée en cas de risque de malformation grave ou de nécessité thérapeutique, contrairement aux dispositions applicables à l'interruption médicale de grossesse.

- Prohibant l'eugénisme positif qui vise à sélectionner des êtres conformes à des normes, la loi autorise l'eugénisme négatif destiné à éviter " les manifestations indésirables du vivant " . Le recours au diagnostic préimplantatoire entre bien dans cette préoccupation. Une contradiction est cependant créée par la loi elle-même entre les cas où il peut être pratiqué (risque de maladie génétique reconnue comme incurable au moment du diagnostic) et l'objectif thérapeutique qui lui est fixé (prévenir et traiter). La prévention ne conduit-elle pas nécessairement à l'élimination des embryons jugés " anormaux " ?

3. La sécurité sanitaire

- Dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation, de nombreux praticiens soulignent l'insuffisance des mesures appliquées et la nécessité d'une réglementation plus stricte concernant notamment les substances et préparations utilisées. On pourrait souhaiter, selon le professeur JOUANNET, une meilleure insertion de l'AMP dans l'organisation générale des soins utilisant des cellules d'origine humaine, qu'elles soient données ou non, et de la sécurité sanitaire .

- En matière de greffes, la pénurie actuelle de greffons conduit à des prélèvements d'organes ne présentant pas toutes les garanties sur le plan fonctionnel et sanitaire. Le décret du 9 octobre 1997 pris pour l'application de l'article L 665-15 du Code de la santé publique a d'ailleurs permis au médecin utilisateur de déroger à l'interdiction de la greffe en cas d'urgence vitale pour le malade. Les règles habituelles de sécurité sanitaire peuvent alors être mises en échec dans le cadre d'une sorte de bilan coûts-avantages de la transplantation particulièrement délicat à effectuer.

Cette notion de " bénéfice-risque " ne mériterait-elle pas d'être inscrite clairement dans la loi ? En tout état de cause, l'information du receveur sur les risques devrait être renforcée et les responsabilités des choix médicaux clairement définies.

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