3. La stabilité juridique incertaine

Assurer la sécurité des transactions commerciales est la condition d'un bon fonctionnement du marché de l'art. Le système français repose sur un ensemble de garanties législatives et jurisprudentielles, qui sont dans les pays anglo-saxons de nature contractuelle.

Mais, à force de vouloir garantir la sécurité des uns, on risque de déstabiliser le marché des oeuvres de niveau international pour lesquelles acheteurs et vendeurs savent s'entourer des conseils nécessaires et sont conscients de ce que l'authenticité est souvent, pour les oeuvres anciennes, moins une question matérielle qu'une affaire d'intime conviction des spécialistes du moment.

a) Un régime juridique en principe plus protecteur

Cette sécurité résulte de la combinaison des règles issues du code civil dans l'interprétation extensive que leur donne la jurisprudence, et d'une réglementation protectrice édictant une sorte de doctrine d'emploi des termes utilisés pour la description des oeuvres

(1) Les garanties juridiques

Pour conclure une réponse écrite adressée au rapporteur au sujet des problèmes posés par les garanties dont bénéficient acheteurs et vendeurs en ventes publiques, la chancellerie affirme que " le système français n'apparaît défavorable ni à l'acheteur ni à l'acquéreur. Il repose sur une relation équilibrée entre les différents acteurs Commissaires-priseurs, acquéreur et acheteur ".

(a) les actions en annulation de la vente

Les actions tendant à l'annulation d'une vente reposent fondamentalement sur le théorie des contrats. Le requérant cherche à fonder son recours sur l'une des causes de validité des contrats, telles que les définit l'article 1134 du code civil.

En pratique, il sera fait état d'un vice du consentement - erreur sur la substance, dol ou violence - ou d'un vice caché, les actions présentées sur ce dernier fondement étant plus difficile à mettre en oeuvre.

L'action mettant en jeu la garantie pour vices cachés qui résulte des dispositions de l'article 1631 du code civil, présente un certain nombre de limites, à commencer par la difficulté de preuve du caractère caché du vice. L'inconvénient majeur est que l'action en garantie - ouverte uniquement à l'acheteur - doit être exercée dans un " bref délai " à compter de la vente, ce qui est souvent trop bref pour que l'acheteur prenne conscience du défaut d'authenticité.

Le dol est une cause de nullité difficile à démontrer, dans la mesure où la jurisprudence se montre exigeante en matière de preuve.

D'où le rôle privilégié de l'erreur dans les actions en nullité, erreur qui, aux termes de l'article 1110 du code civil, doit porter sur " la substance même de la chose ". L'extension de la notion d'erreur sur la substance à celle d'erreur sur les qualités substantielles en a fait le moyen par excellence des actions tendant à annuler des contrats portant sur des oeuvres d'art.

L'action, qui peut émaner de l'acheteur comme du vendeur, doit tendre à prouver que l'authenticité était une qualité substantielle et que cette authenticité n'était pas établie.

L'acquéreur doit établir que l'authenticité était pour lui une certitude, sans qu'il ait pu connaître et donc accepter un aléa sur l'authenticité ; de même, le vendeur qui accepte que sa propriété soit présentée comme " attribuée à ", fait entrer l'aléa dans son champ contractuel et ne peut donc exciper de son erreur, lorsqu'ultérieurement, l'oeuvre se révèle un original. Il est tenu compte dans certains cas de la qualité du requérant, qui, lorsqu'il est professionnel, est mieux placé pour apprécier certaines indications.

En outre, même établie, l'erreur doit avoir été un élément déterminant dans la décision de contracter.

Le vendeur, qui fonde son recours sur l'erreur, doit être en mesure de prouver qu'il a vendu une oeuvre dont il était sûr qu'elle n'était pas authentique et que cette certitude était erronée.

L'action en nullité doit aux termes de l'article 1304 du code civil être engagée dans un délai de 5 suivant la découverte de l'erreur. Bien que la question n'ait apparemment pas fait l'objet de décisions judiciaires, l'opinion générale de la doctrine est qu'elle doit être engagée dans les limites de la prescription trentenaire.

Dans le cas particulier des ventes publiques, il faut distinguer le cas de l'acheteur, vis-à-vis duquel la responsabilité du commissaire-priseur est délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du code civil et se prescrit par dix à compter de la manifestation du dommage en application de l'article 2270-1 du même code, du cas du vendeur, vis-à-vis duquel la responsabilité du commissaire-priseur est contractuelle dans la mesure où ce dernier agit en tant que mandataire du vendeur. L'action du vendeur est soumise à la prescription trentenaire de droit commun.

Le projet de loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques tend à réduire cette responsabilité à dix ans à compter du fait générateur du dommage.

Certains contestent le caractère effectif de la garantie. Ainsi, comme a pu le déclarer, devant la commission composée par MM. Cailleteau, Favart et Renard, un des plus importants commissaires-priseurs de la place de Paris : " la garantie trentenaire est une hypocrisie. Elle est censée protéger l'acheteur, mais elle repose sur le vendeur à qui on ne le dit pas, car c'en serait fini de vouloir vendre en France " ...

Effectivement, le vendeur de bonne foi peut se voir retourner son objet - désormais invendable - et obligé de rétrocéder les fonds perçus  et doit donc pouvoir se retourner contre le commissaire-priseur; c'est la raison pour laquelle l'initiative de la commission des lois du Sénat tendant à aligner les délais de prescription de l'action fondée sur l'erreur sur les actions en responsabilité qui doit être réduite à dix ans.

Il n'en reste pas moins que, même réduite à dix ans, la garantie d'authenticité repose sur les épaules du vendeur particulier, ce qui fait contraste avec le régime appliqué par les maisons de vente anglo-saxonnes, dont on peut montrer qu'elles ne garantissent - et encore dans un bref délai de cinq ans et uniquement pour l'acquéreur direct excluant même ses héritiers - que l'authenticité des oeuvres postérieures à 1870, se contentant pour les oeuvres antérieures de couvrir le cas de contrefaçon faite pour tromper intentionnellement.

La garantie de Sotheby's New-York est tout à fait explicite à cet égard : " Sotheby's warrants the Authorship (as defined above) of a lot for a period of five years from the date of sale of such lot and only to the original purchaser of record at the auction . If it is determined to Sotheby's satisfaction that the BOLD TYPE HEADING is incorrect, the sale will be rescinded as set forth in 3 and 4 below, provided the lot is returned to Sotheby's at the original selling location in the same condition in which it was at the time of sale. It is Sotheby's general policy, and Sotheby's shall have the right to have the purchaser obtain, at the purchaser's expense, the opinion of two recognized experts in the field, mutually acceptable to Sotheby's and the purchaser, before Sotheby's determines whether to rescind a sale under the above warranty. If the purchaser requests, Sotheby's will provide the purchaser with the names of experts acceptable to it.

Non-Assignability. The benefits of this warranty are not assignable and shall be applicable only to the original purchaser of record and not to any subsequent owners (including, without limitation, heirs, successors, beneficiaries or assigns) who have, or may acquire, an interest in any purchased property

Sole Remedy. It is specifically understood and agreed that the rescission of a sale and the refund of the original purchase price paid (the successful bid price, plus the buyer's premium) is exclusive and in lieu of any other remedy which might otherwise be available as a matter of law, or in equity. Sotheby's and the Consignor shall not be liable for any incidental or consequential damages incurred or claimed.

Exclusions. This warranty does not apply to: (i) Authorship of any paintings, drawings or sculpture created prior to 187o , unless the lot is determined to be a counterfeit (a modem forgery intended to deceive) which has a value at the date of the claim for rescission which is materially less thaii the purchase price paid for the lot; or (ii) any catalogue description where it was specifically mentioned that there is a conflict of specialist opinion on the Authorship of a lot; or (iii) Authorship which on the date of sale was in accordance with the then generally accepted opinion of scholars and specialists; or (iv) the identification of periods or dates of execution which may be proven inaccurate by means of scientific processes not generally accepted for use until after publication
of the catalogue, or which were unreasonably expensive or impractical to use. "

Ces pratiques, qui peuvent paraître minimales et qui seraient considérées comme non conformes à notre droit, correspondent pourtant à une situation qui ne semble pas poser de problèmes outre-Atlantique où l'on est plus conscient et où on tire les conséquences du risque inhérent à l'achat d'oeuvres d'art.

Maintenant, une jurisprudence récente montre que les maisons de vente anglaises ne peuvent, sous prétexte de vente sans garantie ou en l'état, se dispenser d'examiner l'oeuvre 68( * ) .

(b) La mise en jeu de la responsabilité de l'expert et du commissaire-priseur

Pour obtenir la condamnation du commissaire-priseur et de l'expert, l'acheteur doit démontrer que ceux-ci ont commis une faute et que, du fait de cette faute, lui-même a subi un dommage.

Le décret du 21 novembre 1956, qui précisait, d'une part, que les indications portées au catalogue engageaient la responsabilité solidaire du commissaire-priseur et de l'expert et, d'autre part, que le premier était responsable des fautes commises par le second, a été abrogé en mars 1985.

Le projet de loi soumis au Parlement revient sur cette suppression, qui avait pour conséquence qu'on ne disposait plus alors que de l'article 1382 du code civil en vertu duquel quiconque, par sa faute a commis un dommage à autrui est tenu de le réparer.

Le commissaire-priseur est responsable de ses fautes et non de celles des autres... Or, lorsqu'on confie à un commissaire-priseur un objet, il assure généralement du concours d'un expert spécialisé. C'est ce dernier qui est responsable de la description du catalogue. S'il commet une faute, c'est lui qui devra en supporter les conséquences, sauf à démontrer que le commissaire-priseur a choisi l'expert avec une légèreté fautive .

On note qu'une des forces du système ancien était le régime de solidarité des commissaires-priseurs, qui devait garantir que les clients pourraient obtenir le paiement de leurs créances. Il va être remplacé par un système d'assurance, qui dans la logique du nouveau système ne devrait pas être forcément mutuel, et donc pourrait se révéler onéreux pour les nouvelles sociétés de vente.

En application des articles 8-11 de l'ordonnance n°45-2593 du 2 novembre 1945 et de l'alinéa 2 de l'article 18 du décret n° 45-120 du 19 décembre 1945, " la bourse commune de la compagnie garantit la responsabilité professionnelle de tous les membres de la compagnie, sans pouvoir opposer aux créanciers le bénéfice de la discussion et sur la seule justification de l'exigibilité de la créance et de la défaillance du commissaire-priseur. "

La bourse commune est financée par les cotisations de tous les commissaires-priseurs de la compagnie fixée en assemblée générale. En pratique, la compagnie contracte une assurance responsabilité civile avec les cotisations prélevées pour la bourse commune. Lorsque le montant du sinistre est supérieur au plafond garanti par l'assurance, ou lorsque les faits reprochés aux commissaires-priseurs ne rentrent pas dans le champ d'application de la police, une cotisation complémentaire est prélevée sur chaque professionnel, quitte à ce que la compagnie se retourne contre le débiteur défaillant.

C'est ainsi que la bourse commune de la compagnie de Paris devrait être amenée à garantir le passif de la société Loudmer et la dette de l'étude Briest résultant de sa condamnation à payer une indemnité à l'Union de Banques à Paris.

(2) Le décret du 3 mars 1981

Le décret du 3 mars 1981 n'est, en ce qui concerne la terminologie en usage, pas très éloigné de ce qui se trouve dans les conditions de vente figurant dans les catalogues des deux grandes maisons de vente. C'est d'ailleurs par préférence à ces pratiques en usage en Angleterre qu'ont été établies les conventions de langage que le décret édicte.

On peut résumer les dispositions du décret du 3 mars 1981 comme suit :

oeuvre par .... oeuvre de .. : il est garanti que l'auteur mentionné est effectivement l'auteur de l'oeuvre;

signé .... estampillé : même sens que les expressions précédentes, sauf réserves expresses;

• attribué à ... : il existe seulement des présomptions sérieuses que l'oeuvre est de l'auteur mentionné;

atelier de ... : oeuvre exécutée dans l'atelier du maître cité ou sous sa direction; école de... : l'auteur est un élève du maître cité, et l'oeuvre a été réalisée du vivant de l'artiste ou moins de cinquante ans après sa mort;

époque..., siècle ... : ces conditions garantissent que l'oeuvre a été produite au cours de la période citée, exemple " bronze renaissance "

• dans le goût de, style.... manière de. ... genre de.... d'après.... façon de. .. : aucune garantie particulière exemple " style Empire ",

Par ailleurs, les indications figurant sur le certificat de vente remis à l'acheteur, seront capitales, notamment, lorsqu'il ne s'agit pas d'une vente publiques. C'est la raison pour laquelle le décret du 3 mars 1981 a rendu le certificat de vente obligatoire.

Aux termes de l'article ler du décret du 3 mars 1981, les vendeurs habituels ou occasionnels d'oeuvres d'art ou d'objets de collection ou leurs mandataires, ainsi que les officiers publics ou ministériels procédant à une vente publique aux enchères doivent, si l'acquéreur le demande, lui délivrer une facture, quittance, bordereau de vente ou extrait du procès-verbal de la vente publique. contenant les spécifications qu'ils auront avancées quant à la nature, la composition, l'origine et l'ancienneté de la chose vendue.

Ce texte offre l'avantage d'étendre à toutes les transactions portant sur des objets d'art, qu'elles soient entre particuliers dans une foire ou dans une brocante, la pratique du certificat de vente qui, jusque-là, était loin d'être générale.

b) De quelques effets de la jurisprudence sur l'erreur

Si respectueux qu'il soit des décisions de justice, le rapporteur ne peut pas ne pas faire remarquer les conséquences de certaines décisions pour le marché de l'art, les musées et l'Etat. La chronique judiciaire ne manque pas d'affaires ayant trait aux oeuvres d'art, mais il en est une tout à fait emblématique, par sa chronologie - c'était la première d'une longue série - et sa portée pour ne pas être relatée de façon détaillée.

(1) Les affaires Poussin

Un peu d'histoire : les époux Saint-Arroman ont fait vendre aux enchères publiques un tableau attribué par tradition familiale à Nicolas Poussin mais inscrit, après avis d'un expert missionné par le commissaire-priseur, au catalogue de la vente comme attribué à l'École des Carrache avec leur assentiment.

Adjugée pour 2200 F, en février 1968, cette oeuvre qui représentait Apollon et Marsyas, avait été adjugée à un marchand - le même qui fut au centre de l'affaire du Verrou - mais a été préemptée par l'État, pour le musée du Louvre. Celui-ci l'a exposée ensuite comme une oeuvre de Poussin.

Par jugement du 13 décembre 1972, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé la nullité de la vente pour vice de consentement des vendeurs en raison de l'erreur sur la substance.

Ce jugement a été infirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 février 1976, puis cassé par arrêt du 22 février 1978 par la cour de cassation, au motif que la cour d'appel n'avait pas recherché si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs avait été vicié par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une oeuvre de Poussin.

La cour d'appel d'Amiens, devant laquelle les parties avaient été renvoyées, a débouté les époux Saint-Arroman de leur demande en annulation de la vente par son arrêt du ler février 1982, lui-même cassé par la cour de cassation (arrêt du 13 décembre 1983) : en déniant aux époux Saint-Arroman le droit de se servir d'éléments d'appréciation postérieurs à la vente pour prouver l'existence d'une erreur de leur part au moment de la vente la cour d'appel avait violé l'article 1110 du code civil.

Enfin, la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 7 janvier 1987, a confirmé le jugement de première instance en ordonnant la restitution du tableau et du prix de vente reçu : elle a considéré que les époux Saint-Arroman avaient fait une erreur portant sur la qualité substantielle et déterminante de leur consentement.

Le tableau a été restitué aux époux Saint-Arroman qui ont remboursé la somme de 2200 F réglée au moment de la vente 69( * ) .Le tableau a été remis en vente et adjugé en décembre 1998 pour 7 400 000 francs.

Cette affaire a eu en effet de nombreuses répercussions dans la mesure où elle a ouvert la voie à plusieurs autres contentieux de ce type en matière d'acquisitions. Or si les achats d'oeuvres et objets d'art ou de collection par les musées sont précédés de procédures internes qui les mettent en principe à l'abri de décisions hâtives ou mal fondées, ils sont conclus dans les mêmes conditions que les achats pratiqués par des collectionneurs privés. Et le contentieux le plus caractéristique du marché de l'art porte sur les contestations relatives à l'authenticité des pièces, qui constitue une qualité substantielle dont la contestation peut amener à l'annulation de la vente pour " erreur sur la substance " (article 1110 du code civil). Sur le plan juridique, l'affaire a apporté des éléments importants à la théorie générale des contrats et à l'interprétation de l'erreur sur les qualités substantielles pouvant entraîner la nullité de la vente dans le cadre de l'application de l'article 1110 du code civil.

D'une part elle consacre définitivement la possibilité, jusque-là contestée ou du moins admise avec réticences, donnée au vendeur aussi bien qu'à l'acheteur, d'invoquer l'erreur sur la substance dont il aurait été victime ; d'autre part, elle admet que la preuve de l'erreur peut résulter de l'analyse des consentements échangés (et non seulement des qualités objectives de l'objet concerné), ce qui conduit donc à accepter une théorie subjective de l'erreur sur la substance.

Par ailleurs, elle a confirmé une position constante de la jurisprudence en matière de ventes aux enchères publiques, selon laquelle les contestations en matière d'erreur sur la substance doivent être considérées comme nées directement entre le vendeur et l'acheteur.

En effet, si le décret du 21 novembre 1956 avait paru susceptible d'accentuer la responsabilité du commissaire-priseur et de l'expert en disposant que les indications portées au catalogue, engageaient leur responsabilité solidaire et que le commissaire-priseur était tenu responsable des fautes commises par les experts qui l'assistent. (articles 23 et 29), cette possibilité n'a pas été retenue.

Depuis cette affaire, un décret du 29 mars 1985 a, comme on l'a vu, abrogé et modifié certaines dispositions du décret de 1956, pour retenir la seule responsabilité de l'expert sur ses erreurs d'appréciation comme le commissaire-priseur est responsable des fautes qu'il peut commettre lui-même dans l'organisation de la vente.

En outre, le décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d'oeuvres d'art et d'objets de collection - cité en annexe, a fixé les obligations pesant sur le vendeur habituel ou occasionnel d'oeuvres d'art et d'objets de collection, ce texte a apporté, notamment, des définitions précises à un vocabulaire régulièrement utilisé par les professionnels, et permis ainsi une meilleure sécurité des transactions en la matière.

En ce qui concerne les contentieux ouverts après cette affaire, on peut noter que les tribunaux ont montré une certaine sévérité à l'égard des musées, en partant de cette présomption que ces derniers disposent de tels moyens d'étude et d'analyse qu'il leur est possible d'acheter à coup sûr.

A titre d'exemple, on peut rappeler l'annulation d'une promesse de vente au musée de Strasbourg d'un tableau que le propriétaire croyait simplement attribué à Simon Vouet au motif que le musée acquéreur aurait eu la certitude, en raison d'informations données par le laboratoire des musées de France que le tableau était de Simon Vouet lui-même (TGI février 1988).

(2) Une jurisprudence paralysante pour les musées et le marché fondée sur une conception erronée de l'authenticité

La jurisprudence Saint-Arroman repose fondamentalement sur un malentendu sur la notion d'authenticité.

Avec son esprit rationnel, sa confiance dans les vertus de la science, le Français a du mal à admettre que l'histoire de l'art ne soit pas une science exacte, permettant de distinguer le vrai du faux, de tracer une ligne de démarcation claire et, surtout, stable entre la vérité et l'erreur.

(a) Les musées sont-ils suspects de délit d'initié ?

Or, si les techniques de plus en plus affinées peuvent permettre dans certains cas d'assurer que telle oeuvre ne peut être attribuée à tel artiste, il est par contre beaucoup moins évident d'attribuer l'oeuvre à un artiste sans restriction : le fait qu'une oeuvre ait toutes les caractéristiques techniques de celles réalisées par un artiste peut résulter également du fait qu'il s'agit du travail d'un élève qui l'entourait et utilisait les mêmes techniques et moyens.

De plus, dans toutes les affaires mettant en cause les musées, on a en filigrane l'idée que les musées sont en position de force et qu'il abusent de leur position dominante, qu'ils ont accès à des moyens d'investigation techniques hors de la portée du Français moyen

En fait, avant la vente, les musées sont dans la même situation que tous les autres amateurs, en n'ayant que leurs yeux et leur mémoire pour tout instrument d'analyse.

Le rapport entre vendeur et musée n'est pas aussi déséquilibré qu'on peut le penser. Le musée, s'il est notoirement plus savant, reste susceptible d'erreur, comme le prouvent les changements d'attributions d'oeuvres même importantes ; le particulier vendeur peut s'entourer de conseils et d'expertises éclairés.

Jacques Thuillier, professeur au Collège de France, expose un point de vue tout à fait opposé en se demandant si les musées ne sont pas victimes, au contraire, d'une espèce de préjugé défavorable, qui les oblige désormais à s'interdire de profiter de la compétence de ses conservateurs.

" Que s'est-il passé ? écrit-il Est-ce par ce que l'art est un domaine particulièrement médiatique ? Désormais les affaires vont s'y multipliant. Commencé vers 1970 et prolongé durant quelque douze années, le fameux procès en restitution de l'Olvmpos et Marsvas de Poussin. acquis par le Louvre aux enchères publiques, avait montré la faiblesse insigne des institutions prises entre une législation floue et l'ignorance du public. Le plaisir d'avoir fait plier un grand musée, l'arrêt final. contraire à la fois à la coutume et à la vérité, entrouvraient la porte à des procédures neuves. On n'y prit pas assez garde. Depuis, les " affaires " sont devenues si fréquentes qu'on ne saurait rappeler même les plus importantes........

(b) Les paradoxes d'une nouvelle affaire Poussin

Le professeur au collège de France tire alors les leçons d'une seconde affaire Poussin.

" Une autre " affaire " concerne Poussin, et depuis plusieurs années ne semble faire aucun pas. Nous venons d'évoquer son Olympos et Marsyas : presqu'insoluble. Ou le tribunal français admet que les deux frères ont raison, que leur toile est l'original de Poussin. et en vertu de la jurisprudence établie par l'Olympos et Marsyas, il les oblige à restituer le tableau ou verser 40 millions ; ce qui, du même coup, les frustre de leur intuition géniale, du fruit de leurs recherches et des intérêts de la somme immobilisée, au profit d'une personne qui n'avait jamais prêté la moindre attention à l'oeuvre. Mais ce faisant, les juges ne peuvent faire abstraction des hauts cris poussés par l'érudit anglais. Le possesseur américain est fort riche, bien muni d'avocats, et de caractère peu porté aux accommodements. Il risque de se retourner vers le tribunal, de le sommer de justifier son choix et d'exiger lui aussi une indemnité considérable... Ou au contraire les juges estiment plus simple de se mettre sous la haute protection du verdict de Mahon. En ce cas, le tableau de Versailles vaut bien moins qu'il n'a été payé aux enchères, et la plainte tombe. Mais s'il apparaît un beau jour que le tableau français est sûrement l'original ? N'y aura-t-il pas recours pour erreur judiciaire, et demande de dédommagement pour les intérêts de la somme perdue du fait du tribunal (des pourparlers de vente étaient en cours), selon la jurisprudence établie par l'affaire Walter" ?

Or ce tribunal n'a aucun moyen de trancher. Les études historiques et les examens de laboratoire, qui exigent toujours une interprétation complexe, ont été exploités aussi bien en faveur de l'exemplaire américain que de l'exemplaire français. Le jugement esthétique est fait d'une conviction fondée sur l'expérience, et non sur des preuves positives et définitives. Il peut toujours être renversé par un ensemble de découvertes. Pourquoi diable la justice va-t-elle s'engluer dans ces problèmes d'attribution, dont certains ne sont toujours pas tranchés... depuis le règne de Louis XIV ? Qui ne voit ici que le principe de l'" erreur sur la marchandise,, au nom duquel les avocats ont fini par faire rendre l'01ympos et Marsyas, vaut peut-être pour les produits commerciaux, mais ne peut s'appliquer en pareil cas ? Si le tribunal recevait la plainte -et fallait-il vraiment l'accepter ? -, il convenait de mettre entre parenthèse la question d'authenticité, et se contenter d'examiner les droits respectifs, légaux et moraux, de la plaignante, que personne n'a forcée à mettre en vente son tableau...

Un fil tirant l'autre, et le fameux verdict concernant l'Olympos et Marsyas faisant jurisprudence, M. Walter. après avoir vu les tribunaux reconnaître officiellement à son tableau une valeur de 400 millions, puis de 200 millions, se retrouvera-t-il enjoint de restituer ces 200 millions contre un tableau de toute façon " brûlé " et, pratiquement sans valeur marchande ? De pareilles contradictions sont-elles propres à entretenir le prestige des tribunaux ? Nous avons dit qu'il leur est dangereux de vouloir trancher de l'authenticité d'une oeuvre. N'est-ce pas une erreur pire, que d'y vouloir ajouter une estimation financière ? Valeur esthétique et valeur financière sont des terrains mouvants, où les vétérans peuvent se risquer - à leurs propres dépens - mais où le néophyte est sûr de perdre la face. Au niveau de 145 millions, l'erreur est tout de même difficilement acceptable
.

Encore une fois, il conviendrait que l'on se tourne avec un peu plus d'humilité devant les faits pour voir ce qui se fait à l'étranger.

Dans les pays anglo-saxons - et les conditions de vente jointes en annexe à titre de matière à réflexion critique en témoignent - on a compris qu'acheter une peinture ancienne c'était, bien souvent, faire un pari.

L'acheteur prend un risque - et pour beaucoup, cela fait partie du jeu - sur le fondement, non d'analyses de laboratoire - qui, de toute façon, ne donnent que des certitudes négatives - mais d'un oeil ou d'une intuition.

Il ne faudrait pas que par une sorte de conception absolue de l'authenticité, considérée comme à la fois objective et immuable, alors qu'elle est une affaire d'opinion - de celles des autorités du moment -, on en vienne à frustrer les musées des fruits de leur compétence.

Ne désespérerons pas les chercheurs d'or en leur faisant rendre leurs pépites, tout en leur laissant les cailloux qui les avaient fait rêver...

En vente publique, dès lors que l'objet est catalogué - et même, d'ailleurs, lorsqu'il ne l'est pas..- il est rare qu'un chef d'oeuvre - grand ou petit - ne soit pas démasqué; et lorsque cela arrive, c'est qu'il a fallu beaucoup d'intuition et d'audace à celui qui l'a reconnu.

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