6. 7. SYNTHÈSE DE LA PREMIÈRE PARTIE

A la fin des années 90, le marché du travail du Royaume-Uni se distingue nettement de ceux des pays d'Europe continentale, dans toutes ses dimensions. Tout d'abord, l'organisation des relations professionnelles est caractérisée par une faible centralisation des négociations (qui se déroulent exclusivement au niveau des entreprises), une faible coopération entre les partenaires sociaux et un rôle peu important des conventions collectives. Même si les entreprises britanniques ont autant de difficulté à licencier que la moyenne des entreprises européennes, la législation de l'emploi y apparaît parmi les plus souples d'Europe si l'on prend en compte à la fois les contraintes sur les périodes d'essai, les licenciements, les CDD et les heures de travail. Les entreprises disposent d'une grande flexibilité en termes d'ajustement du volume l'emploi (en heures et en personnes). Cette grande souplesse n'a pas pour contrepartie une grande générosité de l'indemnisation du chômage, même si la perte de revenu en cas de chômage est atténuée par un système d'aides au logement et de crédit d'impôts. Ces deux aspects (faible protection et faible indemnisation du chômage) jouent dans un sens défavorable au pouvoir de négociation des salariés. Les politiques actives du marché du travail occupent en outre une place moins importante que dans les pays d'Europe continentale, tant en sommes engagées (moins de ½ point de PIB) qu'en pourcentage des dépenses de l'emploi.

Si le Royaume-Uni apparaît bien comme un cas particulier en Europe, les pays d'Europe continentale ne forment pas un groupe parfaitement homogène. Certes, ils sont globalement semblables en ce qui concerne l'importance du rôle des partenaires sociaux, les fortes contraintes légales en général, et la générosité de revenus de remplacement. Mais chaque pays se distingue souvent très nettement par quelques traits saillants, de sorte qu'il est difficile de dégager un modèle commun du marché du travail.

La France se singularise par rapport aux autres pays d'Europe continentale par la fragmentation des relations du travail. Une grande décentralisation des négociations et une faible coopération des partenaires sociaux ainsi qu'un faible taux de syndicalisation tendraient à rapprocher son marché du travail de celui du Royaume-Uni. Cependant, l'extension des conventions collectives témoigne du rôle que joue le gouvernement pour inciter malgré tout les partenaires sociaux à dialoguer. L'emploi apparaît relativement protégé par les procédures préalables aux licenciements et plus encore par la réglementation des licenciements collectifs. Surtout, les entreprises ne peuvent pas facilement recourir aux CDD et les heures supplémentaires sont moins facilement utilisables que dans la moyenne européenne. En revanche, la France se situe dans la moyenne européenne en termes de générosité de l'indemnisation du chômage39 ( * ) ; c'est toutefois l'un des seuls pays à avoir mis en place un système d'indemnisation dégressif. C'est aussi l'un des pays où les politiques actives ont connu la plus importante montée en puissance depuis dix ans, essentiellement sous forme de créations directe d'emplois (TUC, CES, emploi jeunes).

Au total, les particularités françaises devraient conduire à une plus grande flexibilité des salaires et à une plus forte rigidité de l'emploi que dans les autres pays d'Europe continentale. S'y ajoute le fait que la réglementation de l'emploi et le taux de remplacement donnent potentiellement un certain pouvoir de négociation des salariés en place, susceptible de renforcer le dualisme du marché du travail.

L' Allemagne , l' Italie (depuis les réformes du début de la décennie) et les Pays-Bas sont relativement proches en termes de relations professionnelles. Les négociations salariales y sont en pratique assez centralisées, le taux de syndicalisation et le taux de couverture des conventions collectives sont élevés, les partenaires sociaux sont plutôt coopératifs. Ces pays s'éloignent toutefois sur d'autres critères. En termes de réglementation de l'emploi, ces trois pays sont dans une position intermédiaire entre le Royaume-Uni et la France. On peut toutefois opposer d'un coté l'Italie, où les salariés bénéficient d'une forte protection contre les licenciements individuels, et de l'autre, les Pays-Bas où les licenciements collectifs sont très contraints. Les CDD sont très réglementés en Italie et en Allemagne, mais en contrepartie les entreprises bénéficient d'une plus grande latitude sur les périodes d'essai ; c'est le contraire aux Pays-Bas. Dans ces trois pays, les entreprises disposent en outre d'une plus grande flexibilité horaire via le recours à des heures supplémentaires moins onéreuses que la moyenne européenne. On observe par ailleurs une divergence assez importante en matière d'indemnisation du chômage. Les Pays-Bas sont le deuxième pays européen pour la générosité des prestations (même si c'est aussi, des cinq étudiés, celui où la recherche effective d'emploi est la plus surveillée).

Enfin, les dépenses actives atteignent aux Pays-Bas et en Allemagne un niveau en point de PIB comparable à celui de la France, mais occupent une part un peu moins importante dans les dépenses totales.

Le cas italien est à considérer avec une extrême prudence de ce point de vue, en raison du rôle joué par la CIG (casa integrazione guadani)40 ( * ), qui biaise non seulement les taux de remplacements mais aussi la part des dépenses actives dans les dépenses de l'emploi (puisque ces dernières sont sous-estimées). L'Italie se distingue également par une forte dualité du marché du travail entre le Nord et le Sud de la péninsule. Enfin, il faut souligner l'ampleur des réformes du marché du travail entreprises dans ce pays depuis le début de la décennie, et ce dans tous les domaines. C'est sur la base ces réformes que s'appuie le regroupement de l'Italie avec l'Allemagne et les Pays-Bas.

Au total, on peut s'attendre à ce que, dans ces trois pays, les salaires soient moins flexibles qu'en France, mais que l'ajustement du volume d'emploi y soit un peu plus aisé, en raison d'une plus grande flexibilité des heures de travail.

Les autres pays européens, généralement de plus petite taille et plus ouverts, présentent de fortes singularités par rapport aux quatre pays d'Europe continentale déjà mentionnés. L'opposition entre les pays nordiques et le reste de l'Europe du Sud n'est pertinente qu'en ce qui concerne les relations professionnelles et l'importance des politiques actives (dans l'absolu et par rapport aux politiques passives). Par exemple, les pays de l'UE Sud sont rejoints par la Suède sur le poids des contraintes réglementaires (licenciements, CDD et heures de travail), et par le Danemark sur la « générosité » des indemnités chômage.

* (20) 39 Un peu au-dessus si on tient compte des aides au logement.

* (21) 40 L'essentiel des allocations versées par cette caisse ne sont pas prises en compte dans les mesures de l'indemnisation du chômage. Il est vrai que les 250 000 personnes indemnisées ainsi ne sont pas comptabilisée comme chômeurs. La générosité de ce système est toutefois la contrepartie d'un régime ordinaire d'allocation chômage très peu généreux (taux de versement de 10% pendant trois mois, au début des années 90). Parallèlement au durcissement des pensions d'invalidité, accordées jusqu'au début des années 90 avec une certaine largesse, le taux de versement du régime général d'indemnisation du chômage doit être porté progressivement à 40%.

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