C. LA RECOMPOSITION DU MARCHÉ POSTAL : UN MOUVEMENT ACCÉLÉRÉ

La recomposition du marché du courrier et de la messagerie n'est pas limitée aux frontières européennes. Les grands intégrateurs mondiaux participent également au tourbillon des regroupements. A la fin de l'an dernier Fedex s'est rapproché de Nippon Express, leader du secteur au Japon. Peu de temps auparavant, UPS s'est allié au japonais Yamato Transport.

Cependant, le phénomène est particulièrement prononcé sur le Vieux Continent. Il concerne des entreprises privées 34 ( * ) mais est particulièrement flagrant pour les postes historiques 35 ( * ) .

De ce point de vue, la percée de la poste allemande au cours des vingt derniers mois est un événement majeur.

1. Vers la construction d'un empire postal allemand ?

La réforme de la poste allemande (Deutsche Post AG, en abrégé DPAG) a été entreprise de façon progressive, à compter de 1994, par les pouvoirs publics. Cette réforme a reposé sur trois axes : la transformation de DPAG en société anonyme, une évolution du statut de ses personnels et une réorganisation de son réseau. Ces politiques ont été décrites de manière détaillée en annexe au rapport « Sauver La Poste : devoir politique, impératif économique » 36 ( * ) .

Elles ont été poursuivies depuis 1997. Elles aboutissent aujourd'hui à la constitution d'un géant postal européen, dont le secret repose sur une « hybridation » des forces du monopole et de l'économie de marché .

a) Le secret d'une force de frappe considérable : monopole, productivité et privatisation

Ainsi que cela a été vu 37 ( * ) , la DPAG dispose jusqu'en 2003 d'un monopole très large dans le domaine du courrier. Comme le timbre allemand demeure le plus cher d'Europe (environ 3 F 60 ou 0,56 euro 38 ( * ) ; 3 F ou 0,46 euro pour le timbre français), la Deutschepost bénéficie d'une solide assise financière : les revenus qu'elle tire de son monopole sont évalués à environ 15,5 milliards de marks par an 39 ( * ) .

Sa position est d'autant plus forte qu'elle s'est appuyée sur cette situation privilégiée pour assainir son organisation et ses comptes.

L'amélioration de la productivité résulte pour l'essentiel d'une rationalisation du réseau à laquelle le rachat de la Postbank AG a contribué.

La transformation de son réseau vise, à la fois, à offrir un meilleur service, notamment en terme d'horaires d'ouverture, et à réduire les coûts. C'est ainsi, que le nombre global de guichets diminue et que les formules d'antennes commerciales mêlant services postaux et financiers avec des ventes de produits autres sont privilégiées. Les bureaux de poste, quant à eux, sont incités à diversifier leur offres traditionnelles en y adjoignant d'autres articles.

Rappelons que plusieurs formules coexistent :

- Deutsche Post Service und Vertriebsgesellschaft (dit DPSV Post Plus) : bureaux de postes qui vendent d'autres produits (journaux, tabac, papeterie) ;

- S hop in shop : bureaux de poste installés dans des magasins partenaires, mais tenus par des employés de la poste et non par le personnel de la structure d'accueil. Les premières expériences avaient été menées avec Mac Paper, chaîne de 550 magasins de papeterie de détail, qui a depuis été rachetée par DPAG ;

- Agences postales : guichets ouverts dans des magasins, principalement d'alimentation, des bureaux de tabac et des stations-service, ou dans des offices de tourisme. Ils sont tenus par le personnel de la structure d'accueil dont la rémunération comprend une partie fixe et une partie proportionnelle à l'activité.

La mise en oeuvre de cette stratégie a entraîné au cours des quatre dernières années une diminution relativement modérée du nombre total de points de contact postaux (- 16,4 %) mais une décroissance très marquée des bureaux de poste (- 44,3 %), ainsi que permet d'en juger le tableau ci-dessous :

Evolution du réseau de la DPAG
(1995-1998)

1995

1996

1997

1998

Bureaux de poste

13.983

11.981

10.000

7.788

DPSV Post Plus

-

-

80

188

Mac Paper

-

-

14

40

Shop in Shop

-

-

1

53

Agences

2.988

4.604

5.236

6.483

TOTAL

16.971

16.604

15.331

14.482

De plus, dans les zones où la demande ne permet pas un minimum de 5 heures 30 de travail par semaine, les services postaux et financiers sont assurés par un guichet mobile. Cette activité emploie 17.000 personnes.

Le rachat des parts de la Postbank AG détenues par l'Etat s'inscrit dans la même logique de rationalisation et de modernisation du réseau.

En effet, comme votre rapporteur avait pu le constater lors de la mission qu'il avait effectuée à Bonn en 1997, la séparation des activités financières et postales entre deux sociétés (Postbank AG, Deutsche Post AG) -réalisée par la réforme législative intervenue en 1994- était considérée comme néfaste par l'état major de la DPAG.

Les deux entreprises avaient éprouvé de grandes difficultés à trouver un accord pour l'utilisation du réseau de guichets aussi bien en termes de gestion du réseau que de partage des frais. Il avait fallu l'intervention du ministre pour trouver un compromis, insatisfaisant pour les deux parties. La Postbank AG avait d'ailleurs commencé à développer un réseau indépendant fort de près de 5.000 points de vente.

Refusée par le Gouvernement Kohl, la « réunification postale » a été acceptée par la coalition dirigée par Gerhart Schröder. Elle permettra, selon le président de la poste allemande, des synergies pouvant permettre des économies évaluées à 1 milliard de marks par an.

Parallèlement à cette rationalisation des réseaux, on observe également dans les deux entreprises un resserrement des effectifs que résume le tableau suivant :

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS EN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN*

1995

1996

1997

1998

DPAG

268.512

250.131

233.350

223.863

Postbank

16.224

14.778

13.427

15.542

TOTAL

284.736

264.909

246.797

236.405

* hors acquisition d'entreprises

Ainsi, au total, depuis 1990, ce serait quelque 100.000 emplois -liés notamment à l'importance des effectifs administratifs dans les Lander de l'Est- qui auraient été supprimés.

Une privatisation programmée

Arrêtée par la loi postale du 1 er janvier 1995, l'entrée en bourse de la Deutsche Post est prévue en octobre ou novembre 2000. Cependant, elle stimule depuis plusieurs années le zèle réformiste de l'opérateur.

La quotité mise sur le marché n'est pas encore connue mais devrait être supérieure à 25 %.

La privatisation de la Postbank AG est prévue en 2001 par introduction en bourse de 30 % du capital. Au-delà, DPAG conserverait la majorité, mais une plus large ouverture reste envisageable.

Dans la perspective de la privatisation, la Deutsche Post AG a commencé dès l'exercice 1997 à faire des provisions pour couvrir ses charges futures de retraites.

En 1998, ont été ainsi provisionnés 1,5 milliard de marks. Cette provision s'ajoute au paiement de 4 milliards de marks versés au titre de pensions dues. Ce montant fixé par la loi de 1994 pour les années 1995 à 1999 sera ramené à 33 % des salaires nets des fonctionnaires en activité dans l'entreprise, à compter de 2000. Il devrait donc diminuer en raison de la réduction du nombre des personnels. On estime à plus de 2 milliards de marks par an l'économie qui sera ainsi réalisée par rapport aux charges actuelles.

b) Des ambitions dévoilées fin 1997

La stratégie de la poste allemande a été arrêtée fin 1997 40 ( * ) . Considérant la globalisation de l'économie et la tendance des clients à rechercher des offres de services complets, elle se décline selon trois axes principaux :

- constitution d'un réseau international de transport de colis, principalement en Europe, par des acquisitions ciblées, des prises de participation et des accords de coopération ;

- élargissement de la gamme de produits et services pour présenter une offre globale dans la logistique et l'express ;

- accélération du développement des services à haute valeur ajoutée dans le cadre de l'externalisation croissante des activités logistiques des clients.

L'objectif fixé est d'atteindre 50 milliards de marks de chiffre d'affaires total en l'an 2000 (il était de 19 milliards de marks en 1990, 29 en 1998) en restructurant fortement ses différentes composantes.

En 1990, ce chiffre d'affaires se décomposait en 14 milliards de marks pour le courrier (74 %), 3 milliards de marks pour les colis et services rapides (13 %) et 2 milliards de marks d'activités diverses (10 %). L'objectif est de passer en 2000 à 20 milliards de marks pour le courrier (40 %), 13 pour le colis et services rapides (26 %), 11 pour la logistique (22 %) et 6 pour les services financiers.

D'ores et déjà, le chiffre d'affaires réalisé à l'étranger est passé de 5 % en 1990 à 8 % en 1998. Il devrait atteindre 33 % en 2000.

c) Une offensive spectaculaire

Beaucoup d'opérations

En application de son ambitieuse stratégie de développement international, la poste allemande a réalisé de nombreux achats de sociétés ou des prises de participation en Europe et aux Etats-Unis.

En Allemagne, outre le rachat de la Postbank, elle a procédé à l'acquisition de deux entreprises. L'une, Trans-o-flex, intervient dans son secteur d'activité, l'autre est une chaîne de magasins de détail de papeterie, Mac Paper.

Au total, les « emplettes » réalisées par la Deutsche Post en deux ans composent un « tableau de chasse » impressionnant dont les pièces majeures sont récapitulées dans le tableau ci-après.

ACHATS DE LA DPAG

(AVRIL 1997 - MAI 1999)

Date

Société

Pays

Part achetée

Avril 1997

Servisco

Pologne

60 %

Juillet 1997

Trans-o-Flex

Allemagne

24,8%

Décembre 1997

Quickstep parcel service

Suisse

100 %

Mars 1998

Mac paper
chaîne de papeterie

Allemagne

100 %

Mars 1998

DHL Inter.

USA

22,5 %

Septembre 1998

DHL Inter.

USA

2,5001 % 41 ( * )

Septembre 1998

Global Mail

USA

100 %

Décembre 1998

Ducros services rapides

France

68,3 %

Décembre 1998

Postbank A.G.

Allemagne

82,5 %

Janvier 1999

MIT

Italie

90 %

Mars 1999

Securicor Distribution

Royaume-Uni

50 %

Mars 1999

Danzas

Suisse

98,1 %

Mai 1999

Yellow Stone

USA

100 %

Nedloyd

Pays-Bas

100 %

ASG

Suède

52,4 %

Qualipac

Suisse

100 %

Chacune de ces opérations confirme les trois lignes directrices de l'offensive engagée : le colis, l'express et la logistique.

Ainsi, les prises de participation dans Securicor (Royaume-Uni), dans Ducros (France), dans Servisco (Pologne) et MIT (Italie) et la constitution de la filiale Quickstep en république tchèque relèvent de la création du réseau de transport de colis en Europe. Les Etats-Unis -où Global Mail, entreprise de transport et de distribution de courrier, a été acquise- se trouvent également englobés dans cette stratégie.

Le rachat de 25 % du capital de DHL s'inscrit dans la logique du développement de services rapides. Cet accord permet à Deutsche Post, via DHL, d'être présente dans 227 pays. L'acquisition de Trans-o-flex, plus modeste, relève du même axe de développement.

Enfin, l'acquisition de Danzas permet à Deutsche Post de devenir le numéro un européen de la logistique avec un chiffre d'affaires total dans cette activité de plus de 10 milliards de marks (près de 35 milliards de francs).

Au total, c'est plus de 50 milliards de francs de chiffre d'affaires supplémentaires que s'offre la poste allemande avec ses achats, Danzas, Nedlyod et ASG réalisant, à eux seuls, 48 milliards.

Cependant, ces opérations au bilan déjà conséquent ne semblent pas achevées. Des négociations sont en cours pour des rachats d'entreprises en Espagne et en Grèce, voire dans l'ouest de la France, ce qui renforcerait encore la présence de la poste allemande dans l'Europe des Quinze.

D'après des informations dignes de foi, M Zumwinckel, président du directoire de DPAG, tendrait même à accélérer le rythme des acquisitions car il considère que « plus on se rapprochera de l'entrée en bourse, plus il sera difficile de faire de nouvelles acquisitions ».

Peu de transparence

Les prix d'achat des sociétés « happées » ne sont pas publiés par la Deutsche Post. Si on sait que la Postbank a coûté 15 milliards de francs, Danzas 6,3 milliards, Securicor 2,3 milliards et ASG 2,5 milliards, c'est soit par recoupements, soit par des publications ou des déclarations des entreprises achetées. Quand ces dernières se taisent, les observateurs en sont réduits à des évaluations hypothétiques. Tel est le cas pour DHL International où il existe une volonté claire et affichée de ne pas rendre public le montant de la transaction.

Nonobstant ces précautions, la plupart des observateurs estiment à quelque 30 milliards de francs le total des acquisitions allemandes sur 1998 et 1999, dont 15 milliards pour le rachat de la Postbank et 15 milliards pour les opérations de croissance externe.

Le président du directoire de la Deutsche Post, M. Zumwinckel, a indiqué avoir financé ces acquisitions par le cash flow de l'entreprise et par la vente de participations dans des entreprises de gestion immobilière.

De fait, l'estimation des possessions immobilières de la DPAG étant habituellement de 15-20 milliards de marks, la fermeture en cinq ans de près de 10.000 des 17.000 bureaux de poste et la vente de ces bureaux, ainsi que des maisons et appartements de fonction y étant liés, a sans doute permis de constituer un « trésor de guerre » assez substantiel.

A l'appui de cette explication, l'examen des bilans fait apparaître entre fin 1995 et fin 1998 une baisse de 1,1 milliards de marks des participations dans des sociétés immobilières (elles sont passées de 1,4 milliard à 300 millions de marks). Le président de la DPAG évalue, lui, à 2 milliards de marks les recettes procurées par les ventes de ces participations, la différence s'expliquant par une valorisation des titres inscrits au bilan à leur valeur historique.

Il faut souligner que les dépenses les plus élevées n'interviendront que dans le courant de 1999. Ainsi, le rachat des parts de l'Etat dans la Postbank A.G. (4,3 milliards de marks) n'a fait l'objet d'un versement qu'au début 1999. Securitor et Danzas (2,4 milliards de marks au total) ne seront payées qu'au cours de l'année 1999. Le financement de ces acquisitions pour un total d'environ 22,5 milliards de francs n'affecte pas directement les comptes 1998. Il n'en demeure pas moins que les comptes publiés par DPAG pour cet exercice ne peuvent être qualifiés de limpides puisque le résultat affiché de 5 milliards de francs est un résultat brut qui ne fait pas apparaître le montant des provisions nécessaires pour faire face à ces charges exceptionnelles.

Les acquisitions réalisées et payées en 1998 concernent des entreprises plus petites dont le chiffre d'affaires n'excède pas 300 millions de marks.

Sur le chemin parfois difficile des réformes, la poste allemande a aujourd'hui l'équivalent d'un quinquennat d'avance sur notre opérateur national. Elle n'a plus besoin de lui pour devenir un acteur global postal mondial. En revanche, le marché intérieur français, le deuxième d'Europe, peut lui inspirer bien des convoitises. Dans la perspective d'une future vague de réduction des monopoles, elle dispose désormais des moyens d'être un adversaire redoutable.

2. La consolidation des positions de TNT Post Group

a) Un changement drastique mais consensuel conduit en quinze ans

La lucidité prospective et la réussite économique des réformes préparées dès 1983 et engagées à compter de 1988 par la poste hollandaise -KPN jusqu'en 1998- ont été exposées, avec précision, dans le rapport de 1997 42 ( * ) . Cette présentation ne sera donc pas renouvelée dans le cadre du présent développement.

La stratégie néerlandaise a d'ailleurs été résumée d'une manière lapidaire par M. Ad Scheepbouwer, président de l'opérateur, lors de son audition par votre groupe d'études et votre commission le 2 avril 1999. Pour lui, elle se réduit au respect de trois principes simples qu'il est intéressant de méditer : l'amélioration de la rentabilité , l'accroissement de la responsabilisation des salariés , le positionnement sur des marchés en croissance .

Votre rapporteur serait tenté d'ajouter à ce « triptyque gagnant » : le soutien des personnels aux projets conquérants de l'entreprise . C'est en effet sur la base d'un accord, signé en 1988, avec leurs syndicats que le changement de statut des postiers hollandais a été mis en oeuvre. De fonctionnaires, ils sont devenus en 1989 salariés de droit privé dans le cadre d'une période de transition de huit ans, leur garantissant notamment une indexation de leur salaire sur les évolutions des traitements versés par l'Etat. Aujourd'hui, l'entreprise étant devenue rentable, les salaires distribués sont supérieurs à ceux des agents publics.

b) La poursuite d'une marche victorieuse

Transformée en société anonyme en 1989, privatisée en 1994, la poste royale néerlandaise a racheté en 1997 l'intégrateur australien TNT, l'un des quatre majors mondiaux du secteur.

En 1998, détenue à 44 % par l'Etat, elle s'est séparée de l'opérateur de télécommunications auquel elle était liée au sein d'un holding, prenant à cette occasion le nom de TNT Post Group (TPG). En juin de la même année, elle est devenue la première société postale au monde introduite en Bourse .

A peine six mois plus tard, écornant le « pré carré » de notre poste, elle déboursait pas moins de deux milliards de francs pour acheter Jet Services , le premier opérateur privé français dans le domaine de l'express 43 ( * ) .

En mars 1999, TPG mettait dans son escarcelle, pour un peu moins de 500 millions de francs, la totalité du capital de Nuova Tecna, la maison mère de l'entreprise italienne de stockage, de transport et d'expédition, Technologistica .

Fondée en 1992, cette entreprise opère à partir d'une centaine de dépôts répartis pour la plupart en Italie mais aussi en France, en Allemagne, au Bénélux. Elle emploie 1.800 salariés pour un chiffre d'affaires de 2,2 milliards de francs. Elle compte plus de 200 clients dans des secteurs très divers : automobile, pneumatiques, électronique, textile, édition...

Technologistica n'est toutefois, jusqu'à maintenant, que la dernière d'une longue liste sur laquelle, outre TNT, figure aussi aux quatre coins de l'Europe : GMA, Rinaldi Group, Tesselaar Marketing Services, Mail 2000, Tranjato...Au total, en deux ans, la poste hollandaise aurait acheté quelque 24 entreprises 44 ( * ) de messagerie pour 15 milliards de francs 45 ( * ) .

TPG est quasiment certain de figurer demain dans le peloton de tête des opérateurs postaux de taille mondiale.

Présent dans plus de 200 pays avec plus de 100.000 salariés, le groupe a publié pour 1998 un bénéfice net de 2,46 milliards de francs , en hausse de 18,2 % par rapport à 1997, pour un chiffre d'affaires de 49 milliards de francs (en progression de 7 %). Plus de sept fois le bénéfice de notre poste pour un chiffre d'affaires inférieur de moitié : une rentabilité presque 14 fois supérieure !

Relevons au passage -ce qui tend à conforter les prédictions d'évolution du marché postal faites en 1997- que le résultat de la branche logistique de TPG, qui ne représente encore qu'environ 10 % du chiffre d'affaires total, a connu la plus forte croissance : +18,3 %.

Si la poste allemande a un quinquennat d'avance sur notre poste, dans la marche vers l'adaptation aux réalités d'une économie mondialisée, les Néerlandais en ont deux.

3. L'émergence de la poste britannique

Le rapport de 1997 n'avait pas traité de manière détaillée de la poste britannique. Son évolution apparaissait alors incertaine tant le débat sur sa privatisation occultait la vision que l'on pouvait avoir de son avenir.

Ce projet de privatisation avait été présenté en 1992 par le Gouvernement de Mme Thatcher et figurait au programme électoral de M. Tony Blair. Il a été officiellement abandonné à la mi-1997.

Depuis, le Post Office semble avoir, lui aussi, élaboré une stratégie résolue de développement international qui ne saurait être négligée, même si l'ensemble de la presse d'outre-Manche souligne le retard pris sur ses concurrents néerlandais et allemand.

C'est pourquoi il est utile dans le cadre du présent rapport de rappeler brièvement l'organisation du British Post Office avant d'exposer les réformes dont il devrait faire l'objet et les objectifs qu'il a annoncés.

a) Une structuration autour de quatre pôles

Le Post Office Group est organisé autour de quatre branches de compétence et de statut différents :

- Royal Mail (lettres)

- Parcelforce (colis)

- Post Office Counters (réseau)

- Subscription Services Ltd (redevance TV et banques de données informatiques de télémarketing).

Le Post Office n'est plus un ministère depuis 1969. C'est un établissement de droit public placé sous la tutelle du ministère du commerce et de l'Industrie et dont les attributions ont été fixées par le « British Telecommunications Act » de 1981.

Le personnel du Post Office -193.000 personnes- n'est plus fonctionnaire depuis 1969, mais dispose du statut « d'employé d'entreprise publique » sous contrat de droit privé.

La poste britannique ne dispose plus de services financiers. Ceux-ci, filialisés sous le nom de Eurobank en 1986, ont été privatisés et vendus en 1990.

Les statuts des différentes entités qui constituent le groupe sont quelque peu différents : Royal Mail et Parcelforce sont des divisions opérationnelles du Post Office, alors que Post Office Counters et Subscription Services Ltd en sont des filiales à 100 %.

Chacune de ces composantes produit ses propres comptes, mais il existe entre elles des liens contractuels : Royal Mail et Parcelforce vendent des timbres ainsi que d'autres produits ou services par l'intermédiaire des guichets de Post Office Counters, et Parcelforce utilise Royal Mail pour la collecte et la distribution des paquets. Le personnel utilisé par SSL est fourni par le Post Office.

Le Post Office est très rentable . Sur l'exercice 1998/1999, 22 e année consécutive de résultat positif , il a réalisé un bénéfice avant impôts de 651 millions de livres pour un chiffre d'affaires de 6,75 milliards de livres.

Différentes obligations contraignantes empêchent cependant le Post Office d'investir comme il le souhaiterait. Actuellement, le Gouvernement définit souverainement l'excédent qui doit être dégagé, détermine un objectif de rentabilité et un objectif de réduction des coûts. Le Post Office n'a pas la liberté d'emprunter sur les marchés financiers et est traité de la même façon que les autres entreprises publiques pour avoir accès aux dotations publiques. La ponction opérée par le Trésor est indépendante des bénéfices et excède largement le montant de l'impôt sur les sociétés car elle intègre aussi l'équivalent d'un très lourd dividende. De 1998 à 2000, sur trois ans, ces versements à l'Etat ont été fixés à 925 millions de livres (9 milliards de francs environ).

Royal Mail , qui a le monopole de l'acheminement du courrier dont le coût du port ne dépasse pas une livre, emploie 165.000 des 193.000 salariés du groupe. Pour l'exercice 1997/1998, son chiffre d'affaires s'est élevé à 5,4 milliards de livres (bénéfice avant impôt : 547 millions de livres, 96,5 % des excédents du groupe). Royal Mais est une entreprise très performante . Ses services sont, de plus, d'une qualité reconnue : le cabinet Price Waterhouse estime que Royal Mail assure l'un des meilleurs services postaux au monde en ce qui concerne le respect des délais fixés.

Royal Mail a, par ailleurs, su profiter de l'expansion du trafic généré par le marketing direct (envois en nombre pré-triés) et développe cette activité à l'étranger, où elle a pour partenaires plusieurs sociétés américaines. Royal Mail s'intéresse au marché américain du courrier destiné au Royaume-Uni et au courrier à y reposter à destination de pays tiers, à l'instar de ce qu'a fait la poste hollandaise. L'entreprise attend beaucoup de la libéralisation des services postaux en Europe et s'y prépare activement. Plusieurs de ses cadres supérieurs travaillent en France pour y suivre les évolutions et préparer la pénétration de notre marché postal.

Parcelforce n'a pas, comme Royal Mail, le privilège d'opérer dans un environnement protégé par un monopole. Son chiffre d'affaires, 465 millions de livres pour l'exercice 1997/1998, représente 8,6 % de celui de Royal Mail. Son déficit chronique a cependant diminué, passant de 21 à 14 millions de livres entre 1997 et 1998.

Parcelforce emploie environ 12.000 personnes. 30 % de son trafic sont réalisés par Royal Mail. Sur le marché britannique, la part de Parcelforce serait de l'ordre de 17 %, avec un trafic annuel portant sur 135 millions de paquets. Sa part de marché est plus importante pour les colis ordinaires, les moins rentables. Pour les colis express, catégorie qui connaît la plus forte croissance, il ne détient que 7 % du marché national. Parcelforce continue à déployer des efforts pour reconquérir les parts de marché perdues auprès du secteur de la VPC depuis la série de grèves qui a affecté la poste britannique en 1996.

L'international ne représente que 2 % du trafic de Parcelforce mais 25 % de son chiffre d'affaires.

Avec environ 19.200 bureaux, Post Office Counters (POC) est la principale organisation de vente au détail du Royaume-Uni. La structure des POC est cependant tout à fait particulière dans la mesure où 96 % des bureaux sont franchisés : seuls 650 bureaux sont gérés directement par POC, ce sont le plus souvent les grands bureaux de poste des villes importantes.

Il existe différents types d'agences franchisées : certaines, dans les zones rurales éloignées, où la rentabilité n'est pas possible, sont ouvertes quelques heures par jour et sont subventionnées. De nombreuses autres sont intégrées à de petits commerces : les services postaux peuvent ainsi cohabiter avec la vente de journaux ou de T-shirts !

Le franchisage , qui consiste en fait à créer un partenariat entre le secteur public et le secteur privé, a commencé en 1989 . Ce transfert de gestion a permis d'éviter la fermeture pure et simple de nombreux bureaux de poste et de maintenir la présence de la poste et son rôle social dans les zones rurales.

Le chiffre d'affaires de POC s'est élevé à 1,13 milliard de livres durant l'exercice 1997/1998 (-2,7 % par rapport à l'exercice précédent) et a réalisé un bénéfice de 33 millions de livres. Les sommes transitant par les bureaux se montent, quant à elles, à 125 milliards de livres par an.

Les services proposés par les POC se sont considérablement diversifiés au cours des dernières années et devraient continuer, l'ambition de la poste étant même de devenir un supermarché des services financiers. Le réseau mise sur le fait que son image de marque attire, surtout dans les zones rurales, toute une catégorie de clients modestes qui ne contacterait pas les organismes financiers traditionnels. POC offre bien sûr les produits et services purement postaux de Royal Mail et de Parcelforce mais aussi, sans les conseils financiers, ceux de l'ancienne banque postale, la Girobank, et des caisses d'épargne. POC effectue le paiement des prestations sociales et des retraites, vend des billets de loterie, des assurances-voyage, des cartes postales, des vignettes automobiles, des coupons cadeaux pour les grands magasins, des taille-crayons, des permis de pêche, des passeports, etc... POC est également devenu le principal réseau de bureaux de change du pays. Il commence à commercialiser des téléphones mobiles et des billets d'avion. On prévoit qu'avant la fin du siècle, POC vendra des tickets de théâtre, des abonnements de parking, des plans de retraite, des contrats d'assurance...

Subscription Services Ltd (SSL)

Subscription Services Ltd a été créé en 1989, principalement pour administrer les quelque 21 millions de redevances TV pour le compte de la BBC. SSL emploie environ 1.500 personnes et près de 90 % de son chiffre d'affaires, qui s'est élevé à 70 millions de livres pour l'exercice 1997/1998 (bénéfice avant impôt : 8 millions de livres), est généré par son contrat avec la BBC.

Disposant des bases de données de la poste (25 millions d'adresses), SSL gère l'une des plus grandes bases de données d'Europe. SSL diversifie ses activités et est déjà devenu l'un des leaders du télémarketing au Royaume-Uni avec 200.000 appels téléphoniques par semaine.

b) Une réforme clairement orientée : liberté commerciale avec maintien dans le secteur public

M. Peter Mandelson, ministre du commerce et de l'industrie, a annoncé, le 7 décembre 1998, devant la Chambre des Communes, un train de réformes à mettre en oeuvre dans les services postaux britanniques. Ces réformes devraient conduire à modifier la structure juridique du Post Office qui passerait du statut d'établissement public à celui d'IPOC 46 ( * ) , entièrement détenu par l'Etat, et qui se verrait accorder une plus large liberté commerciale tout en demeurant dans le secteur public.

Les détails concernant ces réformes devraient être précisés dans un livre blanc à paraître sur l'avenir du Post Office.

D'ores et déjà, les points clefs en ont été énoncés. Ils peuvent être résumés de la façon suivante :

L'intervention gouvernementale dans l'orientation du Post Office se limitera au niveau stratégique tant pour les questions relatives à la direction commerciale que pour la définition des objectifs sociaux. Le conseil d'administration de la Poste (Post Office Board) deviendra clairement responsable de la réussite ou de l'échec en matière de gestion de l'entreprise.

Le Post Office perdra progressivement son monopole sur les lettres de moins d'une livre, la libéralisation totale n'étant toutefois envisagée qu'après 2003.

Un régulateur indépendant sera institué pour protéger les intérêts des consommateurs, fixer les normes de services, réguler les prix 47 ( * ) , assurer une concurrence équitable, veiller à ce que l'opérateur public soit en mesure de remplir ses obligations de service universel. Le régulateur aura le devoir de promouvoir la concurrence par la libéralisation progressive du domaine postal sous monopole, tout en maintenant l'obligation de service universel.

Un tarif public uniforme sera maintenu pour les activités relevant de l'obligation de service universel imposée au Post Office. Ce dernier sera toutefois libre de fixer les prix de façon souple pour les gros utilisateurs et, dans le domaine sous monopole, le régulateur limitera les prix pour s'assurer que le Post Office ne réalise par des bénéfices excessifs en raison du monopole dont il jouit 48 ( * ) .

Une fois que des dispositions réglementaires adéquates seront en place pour superviser l'exercice d'une concurrence équitable, le Post Office pourra former des co-entreprises, établir des partenariats et réaliser des acquisitions au Royaume-Uni.

Le Post Office se verra imposer l'obligation de présenter chaque année un plan stratégique glissant de cinq ans pour approbation par le Gouvernement. Sur la base de ce plan, et en contrepartie de l'abandon du monopole, un objectif de profit pour le Post Office et l'équivalent d'un dividende pour l'Etat seront établis, conformément aux pratiques fiscales et commerciales normales 48 ( * ) . Il en résultera un accroissement des bénéfices conservés qui permettra à la poste anglaise de financer un niveau accru d'investissement.

En outre, il est reconnu que les investissements les plus importants, tels ceux nécessités par des acquisitions ou la constitution de co-entreprises, pourraient être financés par un recours à l'emprunt, dès lors qu'ils seraient justifiés par des opérations « commercialement solides ». Cependant, son autonomie commerciale ne permettra pas au Post Office d'emprunter librement sur les marchés financiers. Sur ce point, il restera soumis à autorisation gouvernementale préalable.

Beaucoup d'observateurs britanniques ont vu dans cette limitation un frein aux projets de l'opérateur qui visent à contrecarrer les projets d'expansion internationale d'autres postes européennes.

Il convient toutefois de remarquer qu'elle ne semble concerner que les opérations de croissance externe financées par l'emprunt. Or, les réserves financières de l'opérateur public sont parfois estimées jusqu'à 10 milliards de francs et, sur la base de ses derniers résultats, la réforme programmée devrait -à périmètre constant de monopole- lui permettre de dégager de l'ordre de 4 milliards de francs de bénéfices nets chaque année.

Par ailleurs, le Gouvernement a déclaré s'engager à envisager d'autres changements, tels que la vente d'une participation minoritaire ou l'échange d'actions avec d'autres entreprises, s'ils s'avéraient nécessaires pour assurer la réussite du Post Office. De même, il a évoqué la perspective de sa transformation, à terme, en société anonyme, si cela se révélait plus adaptée à l'évolution de ses activités.

c) Des objectifs annoncés : de gros appétits

Le caractère dynamique des réformes programmées ne saurait faire de doute.

Un peu plus d'un mois après les déclarations de son ministre de tutelle, la poste britannique achetait pour 300 millions de livres (environ 3 milliards de francs) German Parcel, le quatrième réseau allemand de distribution de colis. A cette occasion, son président déclarait « c'est un premier pas sur le marché international de la distribution postale et nous n'allons certainement pas nous arrêter là. Nous avons huit cibles actives sur notre écran radar ».

Quelques mois plus tard, l'opérateur britannique renforçait sa présence sur le marché allemand, en se servant de sa nouvelle filiale germanique pour prendre le contrôle de la société de messagerie Der Kurier, basée à Hamburg, qui réalise 120 millions de deutsche marks de chiffre d'affaires.

La pénétration britannique du marché postal allemand n'en est sans doute pas finie pour autant, German Parcel détenant 23 % de General Parcel, un opérateur international traitant depuis l'Allemagne avec trente pays européens, le Post Office a déjà fait savoir qu'il était désireux d'accroître sa participation dans General Parcel.

Même en cas d'aboutissement, les appétits internationaux de l'opérateur d'outre-Manche n'en seront sans doute pas apaisés. Il a, en effet, annoncé, en avril 1999, son intention « d'investir 1,5 milliard de livres (soit environ 15 milliards de francs) , dans des acquisitions à l'étranger au cours des prochaines années, de manière à faire face à une concurrence croissante sur son marché intérieur 49 ( * ) ».

Par ailleurs, il faut relever que sur la période 1998-2003 , en cinq ans, c'est plus de 27 milliards de francs que cette poste tricentenaire a, au total, programmé de consacrer à ses investissements (contre 17 milliards pour les cinq années antérieures).

Comme l'annonçait le porte-parole de ce nouvel « ogre postal » : « pour nous, le marché international sera à terme dominé par cinq ou six grands opérateurs postaux ; le Post office est déterminé à être l'un d'entre eux ».

A n'en pas douter, il va falloir apprendre en Europe à compter avec les postiers anglais.

*

* *

Face aux trois grands européens qui ont déjà consacré ou prévoient de consacrer quelque 15 milliards de francs à la construction de solides positions sur les marchés postaux de demain, notre poste apparaît un peu fluette avec son milliard et demi d'investissement.

Ralentie par des débats trop idéologiques alors que les autres guident leurs actions en fonction des faits, elle semble déjà ne plus faire partie de la même « cour ». Quand les uns semblent prendre un camion pour faire leurs emplettes, elle donne l'impression de sortir un cabas ! Alors que ses concurrents avancent au pas de course, elle paraît continuer à marcher au pas, martial mais lent, de la Légion.

Le décalage des rythmes de progression entre les principaux opérateurs du Vieux Continent sont aujourd'hui flagrants . Sans réaction rapide de notre poste, ce décalage peut la condamner à n'être qu'un sous-traitant régional du marché postal mondial de demain.

* 34 Ainsi le britannique Hays a acquis deux PME françaises en deux mois entre la fin 1998 et le début 1999 (Colirail et France Partner).

* 35 Doit ainsi être noté, l'engagement résolu de la poste italienne , longtemps l'une des moins efficaces d'Europe occidentale, dans la voie des réformes. Transformée en société anonyme, dotée d'un nouvel état major et ayant bénéficié d'une importante aide financière de l'Etat, elle semble promise à devenir une entreprise de premier plan à l'horizon de cinq à six ans .

* 36 Rapport Sénat n° 42 (1997-1998), Annexe 4, pages 414 à 427.

* 37 Supra : ce chapitre, A.1.

* 38 Il a été augmenté en 1997 .

* 39 Soit davantage que ce que lui rapporte ses activités sur les marchés concurrentiels (de l'ordre de 14 milliards de marks).

* 40 Voir interview de M. Klaus Zummwinkel, Président de DPAG, dans Die Welt du 16 mars 1999.

* 41 Luftansa détenant 25 % du capital de DHL, les intérêts allemands représentent 50,0001 % de ce capital -puisque DAPG en a acquis 22,5 % en mars et 2,5001 en septembre 1998- et y sont donc majoritaires.

* 42 Rapport précité. Voir notamment pages 443 à 450 : « Les succès de KPN : regards sur la poste du XXIème siècle ».

* 43 Qui emploie 4.000 salariés et réalise un chiffre d'affaires équivalent au prix de son acquisition

* 44 En comptant les principales filiales des sociétés mères avalées.

* 45 Dont TNT.

* 46 Independant Public Owned Corporation.

* 47 Cela devrait constituer une véritable incitation à l'efficacité et assurer que le public ne paie pas plus que nécessaire pour le service postal.

* 48 Cela signifiera, en pratique, une diminution de plus de moitié du taux auquel les bénéfices de l'entreprise étaient jusqu'alors ponctionnés. Ce taux devrait passer d'une moyenne de l'ordre de 80 % à environ 40 %.

* 49 The Times - 5 avril 1999 - « Post Office poised for £ 1,5 bn spree », by Carl Mortished.

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