III. LA CRÉATION DE 900 EMPLOIS : UNE SOLUTION DE FACILITÉ ?

Afin de remédier aux difficultés persistantes que rencontraient certaines caisses, la CNAF a demandé au Gouvernement, en décembre dernier, la création de 1.100 emplois supplémentaires. Cette demande doit être analysée dans un contexte de forte croissance de la productivité de la branche famille.

A. LES EFFORTS IMPORTANTS ACCOMPLIS PAR LA BRANCHE FAMILLE

1. Un coût de gestion en diminution

La branche famille a réalisé depuis 1970 de très importants gains de productivité. Un liquidateur gérait en moyenne 593 allocataires en 1970. Il en gère 992 en 1997.

La branche famille a pris à sa charge la gestion du RMI et de la plupart des minima sociaux sans que lui soient parallèlement accordés des moyens supplémentaires. Les moyens humains dont elle disposait ont même diminué de 1 % depuis 1990. Parallèlement, le nombre des bénéficiaires du RMI passait de 300.000 personnes à plus d'un million.

Quelques indicateurs témoignent des efforts remarquables accomplis par la branche ; ainsi, sur la période 1988-1998 :

- le coût de gestion par allocataire, en francs constants 1996, est passé de 838 francs à 693 francs soit une diminution de 17 % ;

- le prélèvement global de gestion, c'est-à-dire la part du Fonds national de gestion administrative par rapport aux prestations, est passé de 3,82 % à 3,03 % ;

- les écarts de coût entre les caisses ont été sensiblement réduits : 1 à 2,07 en 1988 ; 1 à 1,53 en 1998.

Ces efforts ont été en outre accomplis dans un contexte de forte progression de la demande sociale.

2. Une forte progression de la demande sociale

En raison de la diversité et complexité des prestations gérées par les CAF et de la prise en charge par la branche famille d'interventions de plus en plus nombreuses dans le domaine de la précarité, les CAF sont de plus en plus sollicitées par leurs usagers et ont à gérer de multiples demandes d'information et d'explication.

Si le nombre total des allocataires a augmenté de 2 millions entre 1991 et 1998, la demande adressée aux caisses a parallèlement explosé :

- le nombre de courriers reçus par les CAF est passé de 44 à 60 millions, soit une progression de 36 % ;

- le nombre d'appels téléphoniques traités a été multiplié par deux sur la période, progressant de 23 millions en 1991 à 47 millions en 1998.

- les visites au guichet ont augmenté de 68 % passant de 11 millions à 18,4 millions.

A ces éléments quantitatifs vient naturellement s'ajouter un facteur plus qualitatif, évoqué plus haut, lié à la profonde transformation de la demande adressée aux caisses par les allocataires.

B. DES MOYENS SUPPLÉMENTAIRES ?

1. La demande par la CNAF de 1.100 emplois supplémentaires

Arguant des difficultés que rencontraient les CAF, la CNAF a demandé au Gouvernement, en décembre dernier, 1.100 postes supplémentaires. Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a alors diligenté une mission de l'IGAS chargée d'évaluer le bien-fondé de cette demande.

La demande de la CNAF a été justifiée par une note en date du 13 décembre 1999 rédigée par Mme Annick Morel, directrice de la CNAF, à l'attention de la ministre.

Dans cette note, la CNAF rappelle tout d'abord que la convention d'objectifs et de gestion a prévu à la fois un effort particulier sur la qualité du service rendu à l'allocataire et une stabilisation des moyens.

La CNAF considère que cette approche n'était crédible qu'associée au développement du système d'information, à un effort significatif sur la simplification et la lisibilité de la réglementation et à une relative stabilité de ses charges.

Elle estime que les flux de contacts ont évolué plus fortement que prévu et que la branche famille ne dispose plus, dans nombre de caisses, des ressources humaines nécessaires pour apporter une réponse adaptée à la demande sociale qui lui est adressée.

La CNAF juge que cette situation de déséquilibre -dans un contexte rendu plus difficile encore par l'absence de perspectives claires sur le dossier des 35 heures- porte un risque fort de dégradation durable de la qualité et de tension sociale.

En complément des plans d'action mis en place dans les organismes les plus en difficulté et des mesures conjoncturelles qu'elle a pu décider, la CNAF juge donc de sa responsabilité de prendre les initiatives nécessaires à la mise en oeuvre des dispositions prévues par l'article 37.1 de la COG qui prévoit que " dans la situation où l'équilibre objectifs/moyens est modifié de façon importante, l'une ou l'autre des parties peut demander la révision des clauses nécessaires aux fins d'établir un nouvel équilibre ".

Il apparaît en fait que la CNAF a longtemps espéré qu'une solution au dossier de la réduction du temps de travail permettrait de résoudre pour l'essentiel les difficultés rencontrées. Ainsi, selon la CNAF, une augmentation des effectifs de 6 % aurait permis de rajeunir la pyramide des âges, de centrer les moyens complémentaires sur la ligne du public et la production, en redonnant les souplesses nécessaires, et de corriger, par une meilleure prise en compte du contexte, les mécanismes de répartition budgétaire entre caisses.

Pour justifier le chiffre des 1.100 emplois demandés, le CNAF se livre à l'estimation suivante. Elle constate avoir enregistré 8,9 millions de contacts supplémentaires (courrier reçu, personnes reçues, appel téléphonique ayant abouti) entre 1996 et 1998. En retenant l'hypothèse qu'un technicien prend en compte dans une journée de travail une quarantaine en moyenne de contacts (communication avec l'usager, plus suite à donner), le nombre de jours-technicien supplémentaire nécessaires pour écouler le surcroît de travail est de 222.500 jours. Sur la base d'une activité moyenne annuelle de 220 jours, cela correspond à 1.000 emplois de techniciens et 100 emplois d'accompagnement (encadrement, logistique) soit un crédit de personnel au Fonds national de gestion administrative (FNGA) de la branche de 210 millions de francs.

La CNAF précise en outre la façon dont elle répartirait, en trois parts, les moyens supplémentaires qui lui seraient accordés :

- une part des moyens irait à l'ensemble du réseau ;

- une part serait affectée aux caisses qui connaissent des difficultés particulières ;

- une part serait affectée à la mise en place ou au renforcement de moyens mutualisés (audit, organisation, techniciens...) utilisés en cas de nécessité. Ces moyens permettraient, selon la CNAF, de mettre en place des actions de solidarité dès l'apparition d'une difficulté durable, afin d'éviter l'effet " boule de neige " sur la charge de travail d'un stock de dossiers en retard trop important.

Une nouvelle note de la directrice de la CNAF, en date du 15 février 2000, adressée à la ministre, est venue apporter des éléments complémentaires et réévalue le nombre d'emplois nécessaires pour remplir les trois principaux engagements de service prévus par la convention d'objectifs et de gestion : 437 agents pour atteindre les 90 % de courriers traités en moins de 3 semaines, 245 agents pour faire en sorte que 90 % des visites soient traitées en moins de 30 minutes et 800 agents pour que 70 % des communications abouties sont traitées, soit un besoin total de 1.482 agents.

Cette note comporte un net infléchissement de la position de la CNAF sur la question de l'utilisation des moyens supplémentaires si ceux-ci venaient à être accordés. La CNAF prévoit en effet de " constituer deux enveloppes à part égale : l'une attribuée sur une base paramétrée à l'ensemble des organismes, à savoir 550 emplois, afin de permettre de mieux préparer les 35 heures en terme de recrutement, de formation et d'organisation. Lorsque nous disposerons de tous les éléments pour apprécier le besoin de compensation suite aux 35 heures, il est bien évident que la souplesse déjà apportée à toutes les CAF sera prise en compte. L'autre dotation destinée à compenser les besoins des caisses en situation fragile est attribuée sous forme de dotation résorbable. Il va de soi que cette avance doit être accordée sur une durée suffisamment longue pour être significative au plan de gestion de l'organisme. D'ici là, le rendez-vous de la prochaine COG devra permettre d'approfondir le rapport charges-moyens de l'institution. "

2. 900 postes accordés dont une partie au titre de la réduction du temps de travail

Analysant la demande de la CNAF, l'IGAS a considéré pour sa part 29( * ) que le mode de calcul des 1.100 emplois demandés était " sujet à caution : entre autres observations, si le souci d'une mesure fine de l'alourdissement des tâches des CAF est tout à fait recevable, il en résulte ici une addition de flux par trop hétérogènes (pièces, allocataires reçus et appels téléphoniques), de surcroît rapportée à une évaluation assez fragile de la productivité moyenne d'un technicien conseil.

" Au plan des principes, le recours à l'article 37.1 de la COG est discutable : la dégradation du rapport charges/moyens est due à des causes internes et largement prévisibles en 1997 (Cristal) ; quant à l'alourdissement du service aux allocataires, il résulte a priori d'un engagement contractuel.

" A l'inverse, la mission conclut qu'il serait irréaliste de repousser totalement cette demande. En effet, tous les organismes ont pâti des effets de Cristal, lesquels ont neutralisé, voire dépassé les gains de productivité de la branche sur la période, de sorte que celle-ci peine à atteindre les objectifs volontaristes de la COG.

" Dans ce contexte, il n'y a pas à attendre à très court terme (d'ici 2001) des gains de productivité significatifs de Cristal de nature à rétablir les capacités entamées de certaines CAF. Quant à la sensibilité du contexte, elle est réelle : un climat social fortement marqué par la ligne de fuite des 35 heures ; un engagement vigoureux de la CNAF, surtout depuis l'été 1999, qui a créé des attentes assez générales ".


Le rapport de l'IGAS préconise par conséquent " une approche alternative de remise à niveau ciblée, afin de permettre à la branche le saut qualitatif nécessaire pour retrouver un chemin de progrès mis à mal par le contexte informatique ".

Après de savants calculs et une répartition caisse par caisse, le rapport propose d'accorder une dotation de 451 postes à temps plein pour les CAF de province et de 116 postes pour les CAF de région parisienne, soit un total de 567 postes.

Sans attendre les résultats de la mission confiée à l'IGAS, le Gouvernement a donné son accord, dès le 22 février 2000, à la création de 900 emplois à durée indéterminée.


Dans un courrier en date du 25 février, adressé à Mme Annick Morel, directrice de la CNAF, le directeur de cabinet de la ministre de l'emploi et de la solidarité indiquait en effet : " la Branche famille a souhaité que ses moyens soient renforcés. J'ai le plaisir de vous faire connaître que l'Etat est disposé à répondre favorablement à cette demande ".

Le courrier précisait : " l'Etat a décidé d'accompagner les efforts de la branche et de consolider ces premiers acquis en autorisant l'attribution de moyens supplémentaires aux caisses, à hauteur de 900 emplois pérennes. Ces emplois répondent à un double objectif : redresser l'équilibre charges/moyens des caisses, notamment pour les plus fragiles d'entre elles, et anticiper dans de bonnes conditions la mise en place de la réduction du temps de travail.

" Mais ces emplois, pour une grande part d'entre eux, seront pris en compte dans les évolutions d'effectifs qui résulteront de la réduction du temps de travail. Les créations nettes ne pourront être déterminées de manière définitive que lorsque nous disposerons d'une analyse précise des besoins, notamment à partir des conclusions de la mission de l'inspection générale des affaires sociales.

" Le financement de ces emplois sera assuré sur l'exercice 2000 par une augmentation de la dotation budgétaire de la branche famille et par une affectation des excédents de gestion de la branche. La négociation du budget de gestion administrative 2001 tiendra compte des évolutions d'effectifs intervenues en 2000. "


Par lettre en date du 4 avril 2000, adressée à Mme Nicole Prud'homme, le directeur de cabinet de la ministre de l'emploi et de la solidarité confirmait la décision du Gouvernement et invitait la CNAF à donner aux CAF les instructions de " procéder aux recrutements sans tarder ". Il ajoutait : " il me semble souhaitable de se fixer un rendez-vous au moment de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail pour fixer avec précision les nouvelles embauches qui seront nécessaires compte tenu de celles qui auront eu lieu début 2000. Ce rendez-vous prendra en compte les conclusions définitives du rapport de l'IGAS. "

Le Conseil d'administration de la CNAF a décidé le 4 avril 2000 que ces 900 postes seraient affectés de la façon suivante :

- 600 postes seront répartis entre l'ensemble des caisses selon les critères d'attribution habituels ;

- 100 postes seront affectés à des moyens mutualisés d'expertise et de solidarité régionale ;

- 200 postes seront attribués aux caisses les plus fragiles pour lesquelles le financement paramétré se révélera insuffisant. Parmi ces 200 postes, 120 seront consacrés à 6 caisses d'Ile-de-France.

Le coût sur l'année 2000 de ces créations d'emplois est évalué à 135 millions de francs.

Pour vos rapporteurs, la décision du Gouvernement d'autoriser la création de 900 postes dans les CAF apparaît comme un choix éminemment politique qui résulte plus d'un souci d'apaisement que d'une réelle volonté de renforcer les moyens dont dispose la branche : une part -non définie- de ces emplois constitue en effet un acompte sur les créations d'emplois nécessaires pour compenser la réduction du temps de travail.

En demandant la création de 1.100 emplois, la branche famille avait, à l'évidence, choisi une solution de facilité qui lui permettait de faire l'économie d'une réflexion sur ses modes de fonctionnement et de rassembler ses personnels autour d'une idée simple et toujours porteuse : nous ne sommes pas assez nombreux pour faire face à l'accroissement de nos missions !

La réduction du temps de travail avait, il est vrai, généré une forte attente auprès des personnels et des dirigeants de la branche famille. Tous y voyaient la solution miracle à leurs difficultés. Dans ce contexte, la négociation difficile sur les modalités de cette réforme, qui est applicable au personnel des caisses depuis le 1 er février, avait contribué à accroître fortement les tensions sociales.

La création de ces nouveaux emplois constitue également une solution de facilité pour le Gouvernement qui peut ainsi donner satisfaction à la branche tout en refusant de se prononcer sur le bien-fondé de cette demande et en conservant en réalité toute latitude sur les créations nettes d'emplois.

En outre, le Gouvernement pouvait difficilement refuser tout effort en faveur de la branche famille puisqu'il avait déjà accordé 1.500 postes supplémentaires à plein temps à la branche maladie au titre de la nouvelle mission que constitue la gestion de la CMU.

Pour vos rapporteurs, la création de ces nouveaux emplois peut certes apporter une bouffée d'oxygène bienvenue aux caisses en difficultés. Il n'était en outre pas anormal d'anticiper sur le passage aux 35 heures, qui, à l'évidence, ne peut se faire à moyens constants. Or, il faut du temps pour former un technicien -un an environ- pour adapter l'organisation, pour négocier, au plan local, un nouveau cadre de fonctionnement.

Il est douteux toutefois que cette solution de facilité permette de faire l'économie d'une véritable simplification du droit et de réels efforts de réorganisation interne.

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