Art. 3
Dossier législatif : projet de loi portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation
Après l'art. 4 (début)

Article 4

M. le président. « Art. 4. - Les articles 2 et 3 de la présente loi sont applicables à Mayotte. » - (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 4

Art. 4
Dossier législatif : projet de loi portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation
Après l'art. 4 (fin)

M. le président. Les amendements n°s 6, 7 rectifié, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 sont présentés par MM. Flosse et Leclerc.

L'amendement n° 6 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article 9 de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est complété in fine par les mots : "et de l'article 4 en ce qui concerne la Polynésie française". »

L'amendement n° 7 rectifié est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« I. - L'article L. 163-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est ainsi rédigé :

« Art. L. 163-1. _ Sont applicables en Polynésie française les premier, deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 111-1 ; les articles L. 111-5, L. 121-4, L. 122-5 ; L. 123-2 à L. 123-7 ; L. 123-9 ; L. 141-2 ; L. 141-4 à L. 141-6 ; L. 151-1 ; L. 151-3 et L. 151-6.

« Sont applicables en Polynésie française, sous réserve des compétences de la Polynésie française pour les formations supérieures qu'elle organise, les articles L. 123-1 et L. 123-8. »

« II. _ L'article L. 163-3 du même code est abrogé. »

L'amendement n° 8 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article L. 373-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est ainsi modifié :

« a) Les références : "L. 312-15, L. 313-1 à L. 313-3," sont supprimées.

« b) Il est complété in fine par les mots : "sans préjudice de la possibilité pour le territoire de créer des diplômes territoriaux." »

L'amendement n° 9 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article L. 493-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est ainsi modifié :

« _ Après la référence : "L. 442-12", sont insérées les références : ", L. 442-13, L. 442-14,".

« _ La référence : "et L. 442-20" est supprimée.

« _ Il est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« L'article L. 442-20 est rendu applicable à la Polynésie française dans la rédaction suivante :

« Art. L. 442-20. _ Les articles L. 111-1, L. 121-3, L. 122-1, L. 331-1, L. 331-4, L. 334-1, L. 511-3 et L. 551-1 sont applicables aux établissements d'enseignement privés sous contrat dans le respect des dispositions du présent chapitre.

« Sont également applicables aux établissements privés sous contrat les articles L. 331-2, L. 331-3, L. 335-5, L. 335-6, L. 335-9, L. 336-1 et L. 336-2. »

L'amendement n° 10 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article L. 563-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est abrogé. »

L'amendement n° 11 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Dans l'article L. 683-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000, après la référence : "L. 611-2", sont insérées les références : "L. 611-3, L. 611-4,". »

L'amendement n° 12 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« L'article L. 773-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 est ainsi modifié :

« Après la référence : "L. 711-2,", est insérée la référence : "L. 711-3,".

« Il est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le troisième alinéa de l'article L. 721-1 est applicable à la Polynésie française dans la rédaction suivante :

« Dans le cadre des orientations définies par l'Etat, ces instituts universitaires de formation des maîtres conduisent des actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants sans préjudice de celles conduites par le territoire. Ces actions de formation professionnelle initiale comprennent des parties communes à l'ensemble des corps et des parties spécifiques en fonction des disciplines et des niveaux d'enseignement. »

L'amendement n° 13 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Dans l'article L. 853-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 :

« Après la référence : "L. 821-1,", sont insérées les références : ", L. 821-2 à L. 821-5, et L. 822-1, L. 822-2, L. 822-3,".

« Après la référence : ", L. 822-4,", est insérée la référence : , ", L. 822-5,".

« La référence : "l'article L. 841-1" est remplacée par les références : "les articles L. 841-1 et L. 841-2". »

L'amendement n° 14 est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Dans l'article L. 973-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 :

« Après la référence : ", L. 912-2,", est insérée la référence : ", L. 912-4,".

« Après la référence : ", L. 914-2,", sont insérées les références : ", L. 921-1 à L. 921-4,".

« Après la référence : ", L. 932-6,", est insérée la référence : ", L. 935-1,". »

Notre collègue M. Leclerc a d'ores et déjà indiqué que les amendements n°s 6, 7 rectifié, 8, 9, 10, 12, 13 et 14 étaient retirés.

Je lui donne donc la parole pour présenter l'amendement n° 11.

M. Dominique Leclerc. L'enseignement supérieur est une compétence de l'Etat. Cependant, aux termes de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996, le territoire de Polynésie française peut organiser ses propres filières de formation supérieure, comme c'est le cas, notamment, pour l'Ecole normale mixte de Polynésie française et l'école d'infirmières.

L'article L. 611-3, relatif au projet d'orientation universitaire et professionnelle des étudiants, et l'article L. 611-4, relatif au sport de haut niveau, doivent donc être étendus à la Polynésie française.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Richert, rapporteur. Cet amendement a pour objet d'insérer dans l'article L. 683-1 du code de l'éducation, qui énumère les dispostions du livre VI applicables à la Polynésie française, les articles L. 611-3, relatif au projet d'orientation universitaire et professionnelle des étudiants, et L. 611-4, relatif aux aménagements d'études pour sportifs de haut niveau.

Cet amendement ne suscite aucune réserve particulière.

En effet, l'article 1er, alinéa 9, de la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 codifié à l'article L. 611-3 du code de l'éducation était, à l'origine, applicable en Polynésie française. Insérer l'article L. 611-3 dans l'article L. 683-1 permet donc de rendre au texte codifié sa portée initiale.

L'extension de l'article L. 611-4, sans empiéter sur les compétences ni de l'Etat ni du territoire, permet, elle, de rendre obligatoire, dans les établissements d'enseignement supérieur de Polynésie française, la mise en place d'aménagements d'études pour les sportifs de haut niveau.

Pour ces motifs, la commission est heureuse de pouvoir émettre un avis favorable sur l'amendement n° 11.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Xavier Darcos, ministre délégué. Par cet amendement, MM. Flosse et Leclerc proposent d'insérer dans l'article L. 683-1 du code de l'éducation deux articles concernant respectivement le projet d'orientation universitaire et professionnelle des étudiants et les aménagements d'études pour les sportifs de haut niveau.

Il est vrai qu'il y a là une lacune qui mérite d'être corrigée. Rien ne justifie, en effet, que les étudiants de l'université de Polynésie française ne bénéficient pas de ces dispositions comme tous les étudiants des autres universités. Cependant, dans la même logique, nous ne devons pas omettre de traiter de la même manière les étudiants de Nouvelle-Calédonie et ceux de Wallis-et-Futuna.

C'est pourquoi je propose aux auteurs de l'amendement de le rectifier de manière que la référence aux articles L. 611-3 et L. 611-4 soit également insérée aux articles L. 681-1 et L. 684-1. Ainsi, les étudiants de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna seront eux aussi concernés.

Sous réserve de cette rectification, le Gouvernement émettra un avis favorable.

M. le président. Monsieur Leclerc, acceptez-vous la rectification suggérée par M. le ministre délégué ?

M. Dominique Leclerc. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Flosse et Leclerc, et ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« Dans les articles L. 681-1, L. 683-1 et L. 684-1 du code de l'éducation annexé à l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000, après la référence : "L. 611-2", sont insérées les références : "L. 611-3, L. 611-4,". »

Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Richert, rapporteur. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4.

L'amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« Après l'article 4, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

« La règle fixée à l'article 20 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ne s'applique pas aux jurys qui ont été en partie constitués avant l'entrée en vigueur du décret mentionné au second alinéa dudit article. »

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Xavier Darcos, ministre délégué. Sur un sujet si ingrat, je sais gré à M. Renar d'avoir introduit tout à l'heure un peu de poésie en nous proposant une perspective cavalière sur l'histoire de notre éducation ! (Sourires.)

Mais j'en viens à l'amendement.

L'article 20 bis ajouté à la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 par la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la proportion minimale de chaque sexe au sein des jurys de concours.

Le décret n° 2002-766 du 3 mai 2002 a fixé cette proportion à un tiers. Ce décret, publié au Journal officiel de la République française daté du 5 mai 2002, ne comporte aucune disposition précisant les conditions dans lesquelles il s'applique aux concours dont les opérations ont été engagées avant son entrée en vigueur.

Or les jurys de plusieurs concours d'agrégation de l'enseignement supérieur ont été composés, conformément aux textes qui les régissent, en deux temps, le président ayant été nommé avant l'entrée en vigueur du décret du 3 mai 2002 et les autres membres l'ayant été après, sur proposition du président.

Afin de garantir la sécurité juridique de ces concours, et pour éviter les divergences d'interprétation sur les conditions d'application du décret du 3 mai 2002 aux opérations en cours, l'amendement tend à préciser que la règle posée par le décret pris pour l'application de la loi du 9 mai 2001 ne s'applique pas aux jurys qui ont été en partie constitués avant l'entrée en vigueur du décret.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Richert, rapporteur. Monsieur le président, bien que la commission n'ait pas été saisie de l'amendement et qu'il lui soit donc difficile de se prononcer sur le fond, elle comprend la démarche prudente du Gouvernement, qui souhaite prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter qu'un grand nombre de candidats admis n'aient à redouter la mise en cause de la validité de leur concours dans l'éventualité où des recours seraient formés par quelques condisciples moins heureux.

La commission ne formule aucune objection sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 16.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 4.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

Je vous rappelle qu'à dix-neuf heures trente M. le Premier président de la Cour des comptes déposera sur le bureau du Sénat le rapport annuel de la Cour.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)

Après l'art. 4 (début)
Dossier législatif : projet de loi portant ratification de l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation
 

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

3

BIOÉTHIQUE

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 189, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique. [Rapport n° 128 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis d'être ici afin de poursuivre avec vous une oeuvre qui fait honneur au législateur français.

Vous en connaissez comme moi les grandes étapes, du rapport du Conseil d'Etat en 1988 intitulé Sciences de la vie : de l'éthique du droit au vote des trois lois dites de bioéthiques auxquelles s'ajoute la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales, portée par le Sénat avec MM. Claude Huriet et Franck Sérusclat.

On voit bien que nous disposons d'un ensemble législatif très complet, qui a fourni un cadre au développement médical et a affirmé des règles de protection de la personne humaine.

Nous devons tous nous féliciter d'avoir aujourd'hui l'occasion de parachever cette législation en renforçant son assise et en lui donnant une stabilité plus grande.

Les concours de circonstances sont étonnants : aujourd'hui, comme en 1994, il appartient à une majorité de conduire, en matière de bioéthique, l'oeuvre législative, entreprise par un gouvernement du bord opposé ; et, après que j'ai été le rapporteur des lois de 1994, il me revient, au nom du Gouvernement, de mener aujourd'hui avec vous leur révision !

Mais, au-delà, c'est le rôle déterminant de la Haute Assemblée que je veux saluer.

Par deux fois, c'est le Sénat qui a repris la réflexion après le changement de majorité. Par deux fois, il a fait preuve de sagesse et apporté une contribution de grande qualité. Je veux en particulier rappeler le travail de M. Jean Chérioux en 1994. Nous avions su cheminer ensemble et surmonter quelques divergences pour aboutir enfin.

M. Jean Chérioux. C'est vrai !

M. Jean-François Mattei, ministre. Cette fois, sous la houlette du président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, la réflexion sénatoriale a été conduite par Francis Giraud, dont on connaît le bon sens et l'expérience concrète de ces sujets.

La communauté de vue et la similitude des approches ont conduit le Gouvernement à s'abstenir de déposer certains amendements pour mieux soutenir ceux des sénateurs. Parfois, sur des dispositions identiques, il retirera ses amendements, après un échange utile. C'est dire que je salue la qualité de la réflexion dont chacun peut juger à la lecture du rapport de Francis Giraud.

Je voudrais vous livrer, pour commencer, trois séries de réflexions préliminaires ; j'en viendrai ensuite aux grandes questions de fond que pose la refonte du cadre juridique en matière de sciences du vivant.

Tout d'abord, je crois qu'il est important de garder à l'esprit le contexte dans lequel les lois de 1994 ont été votées.

Grandes étaient alors les interrogations sur la légitimité qu'avait le législateur à intervenir dans des domaines aussi sensibles que la médecine de la reproduction, la génétique ou le don d'organes. L'Etat n'allait-il pas s'immiscer, ce faisant, dans l'intimité des couples et des citoyens ? Ne définissait-il pas un carcan dans lequel la liberté du chercheur serait étroitement contrainte ? En bref, la méfiance prévalait : celle des professionnels intéressés, médecins et scientifiques, les premiers craignant un encombrement de leur activité par une judiciarisation envahissante, les seconds une délimitation trop restrictive du champ de leurs recherches ; la méfiance, aussi, de tous ceux qui redoutaient que la morale commune ne se trouvât figée dans un sens trop lâche ou, au contraire, trop contraignant.

Que dire aujourd'hui, à cet égard, sinon que les doutes se sont taris ? L'on ne se demande plus vraiment si le droit est l'aboutissement obligé de la réflexion bioéthique, car les lois de 1994 ont fait la preuve de leur nécessité. Elles ont permis, de l'avis général, une pacification du débat.

Dans le même temps, il est apparu à tous les esprits que les lois de bioéthique avaient conduit à une moralisation des pratiques. Les acteurs du monde biomédical, et c'est assez remarquable, ont bien admis l'immixtion du législateur.

En effet, notre édifice normatif a donné l'onction du droit à leurs pratiques et en a aussi favorisé l'acceptabilité sociale.

Ainsi, le diagnostic préimplantatoire a pu se développer en France dans un cadre très strictement défini.

D'où cet acquis majeur : la régulation des sciences du vivant s'impose, et elle revient bien au législateur, non aux seuls professionnels. Sont en cause, en effet, des pratiques qui mettent en jeu les représentations mêmes de la société et qui dépassent largement l'exercice de la médecine. Qu'est-ce que la personne humaine ? Jusqu'où le respect lui est-il dû ? De quoi peut-il être fait commerce ? Quelles sont les implications de la médecine prédictive ou de la possibilité de concevoir un enfant avec un tiers donneur ?

La bioéthique, on le voit, éprouve notre édifice juridique dans ce qu'il a de plus central, à savoir le statut des personnes, le droit de la filiation et de la famille ou encore le droit des contrats. Les questions qu'elle soulève relèvent a priori du politique, puisque c'est moins la recherche en tant que telle qui est visée que ses applications et ses conséquences sur l'individu et le groupe.

Pacification du débat, moralisation des pratiques donc. Mais je voudrais mentionner aussi ce que je considère comme une des réussites de l'oeuvre législative : la loi a eu une fonction éducative. Le fait d'avoir formalisé les problèmes dans le langage rationnel du droit a contribué, je crois, à l'élévation du niveau du débat public. Aujourd'hui, les citoyens sont mieux informés et sont même devenus particulièrement friands de tous les sujets bioéthiques, les médias ne s'y sont pas trompés. Non que la loi ait alimenté le sensationnalisme, mais elle a permis que les interrogations se portent plus en amont, vers le coeur du problème : l'embryon humain, la place et la mission du chercheur, le clonage ou encore la frontière entre les fondements biologiques et les fondements sociaux du comportement humain.

Le succès de l'arsenal législatif particulièrement complet dont la France s'est dotée en 1994 tient selon moi à deux facteurs.

Le premier est lié à une conscience aiguë de la nécessité de poser des limites au développement des sciences biomédicales, faute de quoi il n'est pas en accord avec la dignité de l'être humain et ne constitue qu'un progrès apparent. Cette émergence de la conscience éthique dans notre société est nécessaire afin de distinguer le possible de l'interdit.

Or, ce développement scientifique s'est poursuivi, ces dernières années, à un rythme extraordinaire : clonage de mammifères, perspectives nouvelles de la thérapie cellulaire, achèvement du décryptage du génome humain, parmi d'autres avancées.

Plus que jamais, la tâche aujourd'hui consiste à distinguer ce qui personnalise l'homme de ce qui le dépersonnalise, ce qui le rend plus libre de ce qui le rend plus esclave. Plus que jamais, ces choix impliquent les générations futures. Nous sommes comptables de l'avenir.

Mais les applications cliniques, c'est naturel, ne progressent pas au même rythme que les connaissances. D'où l'existence d'un décalage, qu'il faut quelquefois expliquer à nos concitoyens, entre la connaissance et le traitement, afin de ne pas alimenter de faux espoirs, mais également pour faire comprendre qu'un espoir thérapeutique ténu et lointain ne justifie pas nécessairement que nous nous affranchissions des principes qui fondent notre ordre juridique en matière de bioéthique.

Le second facteur de succès tient à la façon dont le législateur à conçu son rôle en matière de sciences du vivant.

La tâche n'était pas évidente : sur des sujets revendiqués depuis longtemps par les philosophes et par les théologiens, qui demandaient une bonne compréhension des enjeux scientifiques, quelle était la place du droit ? Je crois qu'elle a été définie avec intelligence et efficacité.

Sans fuir devant la difficulté de la tâche, le législateur a assumé ses responsabilités, traçant, avec raison et intelligence, les limites de son intervention : ni philosophie ni science, mais le droit. Cette juste conception de sa fonction est particulièrement manifeste dans la manière dont le législateur parle de l'embryon humain.

Il a instauré un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon, solennellement inscrit à l'article 16 du code civil, et sur la définition des atteintes qui peuvent lui être portées, mais il n'a pas voulu définir cet embryon. Ce faisant, il s'est fort justement tenu à l'écart des querelles biologiques et philosophiques.

Sur le plan biologique, le législateur français a estimé, après plusieurs scientifiques, qu'il était artificiel de définir l'embryon par opposition au zygote, ou pré-embryon, concepts utilisés au Royaume-Uni mais qui sont perçus, comme simplement utilitaristes.

Je crois que nous avons bien fait de nous interdire d'enfermer l'embryon dans des définitions biologiques et dans des limites chronologiques précises. La science peut bien avoir ses mots pour désigner les différentes étapes du développement d'un être humain sans qu'il en résulte nécessairement une représentation différente de la vie de celui-ci et du respect qu'elle impose en fonction de l'étape de son développement à laquelle on se place.

Sur le plan philosophique, la question ontologique du début de la personne fait l'objet de controverses et il paraît impossible de résoudre la question de savoir si l'embryon est une personne. On pourrait naturellement disserter longuement sur ce point, mais cela nous entraînerait fort tard !

Les données biologiques nous montrent en effet que l'embryon est humain dès le début. Cependant, elles ne peuvent pas nous dire s'il est une personne : c'est une question philosophique à laquelle auteurs et courants répondent par des thèses divergentes.

Certains considèrent que la personne est coextensive à l'organisme qui l'incarne et dure tant que vit cet organisme. Au fur et à mesure que l'embryon se développe, il devient progressivement une personne.

D'autres ne voient une personne que lorsque sont réalisées certaines fonctions : l'activité cérébrale, l'autoconscience ; ils réduisent le respect de la personne à celui de son autonomie morale. Nombreux sont ceux qui pensent ainsi, tel le célèbre bioéthicien américain Engelhardt, qui écrit : « Les foetus, les nourrissons, ceux qui sont gravement handicapés au point de vue mental et ceux qui sont dans un coma irréversible sont des exemples d'êtres humains qui ne sont pas des personnes. »

D'autres, enfin, défendent une ontologie dite relationnelle et n'attribuent le statut de personne qu'au seul vivant inscrit dans un tissu relationnel. La personne humaine n'est telle qu'en tant qu'elle est aimée par un autre, qu'un autre désire l'accueillir. Cette thèse a notamment été défendue par René Frydman : ce qui fait l'enfant, c'est le désir d'enfant ; ce qui fait la personne, c'est la relation qu'on établit avec cette personne.

Eh bien, le législateur a renvoyé dos à dos ces différents courants de pensée, en écartant la question de la nature de l'embryon. Car si nous ne pouvons trancher la question de la nature de l'embryon, en revanche, sur le plan pratique, nous pouvons et même nous devons définir quelle doit être notre conduite à son égard ; et c'est bien la fonction du législateur que de dire ce droit-là. Le législateur s'est donc situé sur le plan du devoir-être à l'égard de l'embryon, et non de son être. Ce choix, critiqué par certains au motif que c'est le statut qui permet d'imposer les limites et non le contraire, est pourtant, de mon point de vue, à la fois juste et efficace.

Ce choix est juste, parce que la loi n'a pas à qualifier les êtres humains ; elle doit seulement constater leur existence et les protéger. A défaut, la qualité d'être humain, comme celle de personne, serait non pas un droit mais une concession.

Ce choix est efficace, parce qu'en ne déterminant pas ce qu'est l'embryon, mais en disant comment on doit le traiter, l'éthique et le droit ont trouvé leur espace propre.

Je souhaite donc vivement que le législateur reste sur cette ligne, qu'il ne pose pas la question du statut de l'embryon et évite ainsi de s'engager dans des débats aporétiques. Qu'il se préoccupe d'assurer la dignité des êtres humains : là est sa tâche majeure. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

C'est à partir de ces acquis de fond et de forme - nécessité de tracer des limites et de donner des repères, d'une part, place du droit par rapport à la morale et à la biologie, d'autre part - que le travail entrepris doit être continué.

C'était ma première série de réflexions.

Ma deuxième série de réflexions est inspirée par le retard pris par le gouvernement précédent, retard qui a rendu irréalisable l'objectif, fixé en 1994, d'une révision des lois dans un délai de cinq ans après leur vote.

On peut trouver à ce retard bien des excuses pertinentes et légitimes : adoption tardive des décrets d'application, évolution rapide des enjeux scientifiques... Mais, plus fondamentalement, il me semble avoir résulté de la difficulté éprouvée par le gouvernement précédent à assumer certains de ses choix. Je songe, notamment, à l'autorisation du clonage à visée thérapeutique, d'abord envisagée et annoncée, puis abandonnée. Cet embarras l'a conduit à ne pas toujours afficher ses partis pris et à avancer à pas feutrés, pour consacrer des changements parfois considérables, conduisant, sans que cela soit dit, à bouleverser profondément l'équilibre que le législateur avait voulu instaurer entre le respect dû à l'embryon humain et la confiance dans la liberté du chercheur.

J'en tire deux sentiments.

D'une part, afin que le choix éthique qui sera fait, en matière de recherche sur l'embryon notamment, reflète au mieux les convictions morales de chaque citoyen, il faut poser le débat aussi purement que possible et ne pas s'abriter derrière des barrières langagières érigées pour les besoins de la recherche. Il y a toujours un mobile inavoué derrière les tours de passe-passe terminologiques : le désir d'évincer un problème au lieu d'assumer la responsabilité de se confronter à lui.

D'autre part, je crois que l'on est aujourd'hui à un tournant fondamental pour ce qui est de la conception même de ce que l'on appelle la bioéthique : il faut, aujourd'hui ou jamais, clarifier ce que l'on met derrière ce mot.

Ce mot s'est imposé grâce à sa force expressive remarquable, mais il est ambigu, car il laisse croire que c'est la biomédecine qui façonne sa propre éthique, alors que l'éthique est au-dessus des savoirs particuliers.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Jean-François Mattei, ministre. Puisque l'on inscrit dans la loi, pour la première fois, le mot « bioéthique », je voudrais qu'on ne puisse pas lui attacher une signification trouble. Afin de le laver de tout soupçon, il est indispensable que la présente révision montre que l'éthique biomédicale n'est pas obligée d'adapter inévitablement ses principes à toute pratique nouvelle afin de la justifier a posteriori. On n'attend pas du législateur en bioéthique qu'il concilie tous les contraires mais qu'il dise les limites, c'est-à-dire qu'il donne, avec humanité, un cadre permettant à la créativité et à la liberté de chacun de s'exprimer, dans le respect de l'intérêt collectif.

Il me semble que le gouvernement précédent, qui souhaitait valider tout à la fois une ouverture de la recherche sur l'embryon et le clonage thérapeutique, quand celui-ci n'en est qu'à ses prémices, contribuait, sans doute malgré lui, au discrédit de la bioéthique.

Je souhaite au contraire que la bioéthique soit consolidée. C'est pourquoi l'inscription dans la loi du principe de sa révision, signe de modestie de la part du législateur qui, en 1994, s'attelait à une tâche largement inédite, m'apparaît comme un procédé désormais ambigu et néfaste.

Ambigu, car, dépourvu de toute valeur normative, il ne contraint en rien le législateur et ne modifie pas sa faculté de remettre en chantier la loi chaque fois qu'il l'estime nécessaire.

Dans certains domaines, la clause de révision a pu constituer un frein à la prise de décision sur des questions appelant des prises de position rapides. En sens inverse, cette idée de la révision à cinq ans risque de nous pousser à aborder trop tôt des questions dont les enjeux scientifiques et les implications éthiques ne sont pas suffisamment clairs.

Néfaste, car le législateur n'a pas, en particulier lorsqu'il édicte des principes, vocation à faire une oeuvre dont la date de péremption est par avance annoncée. Comment ne pas voir que la solennité et la légitimité de la loi se trouvent malmenées ? Il est essentiel que la norme bioéthique ne soit pas conçue d'emblée comme caduque. On ne réinvente pas l'éthique à chaque nouvelle découverte scientifique !

M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. Pour en finir avec ces considérations générales, je tiens à souligner que les interrogations liées aux sciences du vivant et aux questions éthiques qu'elles font naître prennent sur la scène internationale une importance croissante ; elles sont en effet de celles qui appellent, sinon une régulation commune encore utopique, du moins une concertation aussi riche que possible sur le plan mondial.

Depuis 1994, l'actualité internationale a été nourrie.

La convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 mars 1997, constitue une avancée remarquable : pour la première fois, un texte contraignant en matière de bioéthique a été adopté. La France l'a signée et je souhaite qu'enfin nous puissions procéder à sa ratification concomitamment à l'adoption de nos lois de bioéthique révisées. Nous aurons mis six ans pour ratifier ce texte !

Plusieurs instruments internationaux sont venus peu après donner une forme normative et solennelle à l'interdiction du clonage reproductif : déclaration universelle sur le génome et les droits de l'homme de l'UNESCO, protocole additionnel à la convention d'Oviedo portant interdiction du clonage d'êtres humains, charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Ce mouvement récent est remarquable. Malheureusement, vous le savez, sur les sujets les plus graves, notamment sur le clonage reproductif, aucun de ces textes ne répond à la nécessité d'une interdiction de portée universelle, alors même que les annonces de mouvements sectaires ou de professionnels peu scrupuleux l'exigent.

C'est pourquoi une initiative commune a été prise à l'automne 2001 par la France et l'Allemagne afin que soit mise en chantier dans le cadre de l'ONU une convention interdisant le clonage à des fins de reproduction humaine.

Je souhaite que nous fassions tout pour aboutir dans ce cadre afin que les faits ne prennent pas trop de vitesse le droit. Je souhaite aussi profiter du prochain G8 pour progresser vers la définition de positions communes en matière de biomédecine.

Notre pays aura d'autant plus de poids dans ces discussions qu'il pourra s'appuyer sur un arsenal législatif interne amélioré et actualisé. Ainsi, en interdisant aujourd'hui nettement le clonage à but reproductif et en le pénalisant sévèrement, la France enverrait à ses partenaires un signal fort.

C'étaient là mes trois réflexions de fond : premièrement, le climat a changé et, si l'on en fait l'analyse, on voit bien les contours de ce vers quoi il faut avancer ; deuxièmement, il faut clarifier les choses et ne pas s'abriter derrière des faux-semblants ; troisièmement, il y a des enjeux internationaux majeurs.

J'en viens maintenant au contenu du nouveau texte. Je commencerai par les sujets qui soulèvent le moins de difficultés, et d'abord par celui des greffes d'organes.

Voilà longtemps que nous nous préoccupons de ce sujet et que, pour permettre le développement des greffes, nous avons fait un choix : celui du consentement présumé.

En 1994, une impulsion nouvelle à la greffe d'organe a été donnée grâce à l'Etablissement français des greffes, et je veux souligner les efforts entrepris ces dernières années, notamment dans le cadre du plan 15-20, à l'instigation de Didier Houssin.

Malgré ces efforts, nous ne sommes toutefois pas parvenus à régler, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le problème de la pénurie d'organes à greffer. Pour le résoudre, le projet de loi avait choisi de répondre en élargissant, sans précaution, le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur.

Une telle orientation fait naître en moi les plus grandes craintes. Comment s'assurer que le donneur ne fait pas l'objet de pressions morales plus ou moins subtiles ? Comment vérifier que le principe de non-commercialité du corps n'est en aucune manière bafoué ? Quelle définition donner de ce « lien étroit et stable » ?

Au regard des centaines de malades qui décèdent chaque année en France à cause du déficit de greffons, je crois qu'un effort s'impose, en effet, pour élargir le cercle des donneurs vivants potentiels, notamment aux personnes en mesure d'apporter la preuve de deux ans de vie commune avec le receveur, mais il faut le faire en délimitant clairement les liens de parenté et les conditions de consentement.

Je m'interroge aussi sur la question de savoir s'il ne faut pas, dans certaines circonstances, protéger les gens contre leur propre générosité.

Permettez-moi d'évoquer le cas, concret et connu, d'un jeune homme de trente ans, sollicité pour donner la moitié de son foie à son cousin germain en insuffisance hépatique gravissime ; ce jeune homme s'avère être le seul donneur vivant potentiel, mais il a la charge de deux enfants. S'il mourait, ce qui n'est pas exclu dans ce genre d'intervention, ou s'il était définitivement amoindri, qui assumerait la responsabilité de l'éducation des deux enfants ? Manière de dire que, si l'on ne peut qu'être touché par un don qui procède d'un élan de générosité spontanée, il faut aussi savoir se rendre attentif aux risques encourus par les individus quand leur geste altruiste engage d'autres personnes.

Dans un tel cas de figure, il faut donc, à mon sens, demander que la décision du donneur soit assortie du consentement de la personne avec laquelle il partage l'autorité parentale.

Cet exemple nous montre aussi, et c'est le deuxième point de mon propos, que le prélèvement sur les vivants pose toujours de graves difficultés et que le don entre vifs doit absolument avoir un caractère subsidiaire par rapport au don cadavérique.

Certains pays, comme l'Espagne, arrivent à couvrir les besoins de la transplantation avec leurs seuls prélèvements cadavériques. Pour progresser dans cette voie, il nous faut rendre pleinement effectif le régime actuel du consentement présumé des personnes décédées, notamment grâce à une politique d'information plus active.

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. On sait bien que la loi ne requiert qu'un témoignage et non, à proprement parler, l'autorisation des familles. Toutefois - et cela, comme Francis Giraud, je l'ai vécu -, lorsque le médecin demande à la famille si le défunt était ou non opposé au prélèvement, celle-ci ne connaît le plus souvent pas la réponse et elle demande que rien ne soit fait. Même s'il en a le droit, le médecin, dans ces conditions, ne prélève pas, ce qui signifie que le principe du consentement présumé n'est pas appliqué.

Il faut impérativement trouver le moyen de rassurer les familles en deuil sur la connaissance qu'avait la personne disparue du régime du prélèvement d'organes. C'est pourquoi je souhaite que la loi prévoie qu'entre ses seize ans et ses vingt-cinq ans toute personne est obligatoirement informée du but du don d'organes après le décès et du régime du consentement.

Deuxième sujet : l'assistance médicale à la procréation.

C'est à partir d'un bilan que je crois satisfaisant, tant du point de vue du débat public que de la progression des naissances par fécondation in vitro, qu'a été engagée la révision des dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation. Le réalisme sans intransigeance dont fait preuve le texte de 1994 a en effet conféré une portée durable aux arbitrages auxquels il a procédé. Le législateur a permis le développement des techniques d'assistance médicale à la procréation, mais il l'a fait dans le respect de l'intérêt primordial de l'enfant, c'est-à-dire de son environnement affectif.

Il ne s'agit donc pas aujourd'hui de bouleverser les choix de 1994, choix proposés au terme de nombreuses concertations, notamment avec les associations familiales, toujours impliquées au premier chef.

A cet égard, le Gouvernement souhaite revenir sur l'autorisation du transfert d'embryon post mortem en cas de décès de l'homme, autorisation introduite par amendement parlementaire.

Mme Danièle Pourtaud. C'est choquant !

M. Jean-François Mattei, ministre. Les interrogations éthiques et psychologiques que peut susciter la mise au monde consciente d'un orphelin ne sont pas mineures.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est de la folie !

M. Jean-François Mattei, ministre. En 1994, le législateur, soucieux avant tout de donner à l'enfant à naître un cadre familial traditionnel, a voulu empêcher de telles situations.

Si, à n'en pas douter, la souffrance crée des droits, la nature et la portée de ceux-ci restent incertains. A accorder du poids à cet argument, on risque d'ouvrir la porte au « droit à l'enfant ». Or un tel droit me paraît contraire à la valeur même de l'enfant.

C'est une question sur laquelle nous reviendrons plus longuement dans la discussion des articles, mais, à tous égards, il paraît plus raisonnable de ne pas autoriser le transfert post mortem et d'informer le couple que, s'il venait à être dissocié par les aléas de la vie, les embryons ne seraient pas conservés. Cette clause serait intégrée et assumée au seuil de la démarche, elle ferait partie des éléments du consentement du couple qui demande une assistance médicale à la procréation, une AMP.

D'une façon générale, et c'est un fil directeur très fort, tout doit être fait afin que la démarche destinée à pallier la stérilité d'un couple soit gouvernée par le souci de voir accueilli dans les meilleures conditions possibles.

MM. Jean-Claude Gaudin et Jean-Pierre Fourcade. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. La surenchère dans l'artifice doit nous faire craindre de perdre le sens de l'enfant, de le transformer en objet de commande et de consommation.

J'en viens au sujet le plus difficile de ce texte, sujet qui nourrira vraisemblablement en chacun de nous une délicate délibération intérieure, à savoir la recherche sur l'embryon humain.

Je vous ai déjà dit, pour une large part, notre position sur le sujet : le Gouvernement entend prendre pour fondement essentiel l'article 16 du code civil, qui prévoit que la loi « garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Ainsi, des atteintes ne peuvent être portées à ce principe qu'à la condition qu'elles soient nécessaires à la sauvegarde de principes jugés également essentiels.

Les techniques utilisant des cellules souches ont le potentiel de transformer des branches entières de la médecine, mais il faut raison garder, non par goût pour le scepticisme, mais parce qu'un certain nombre de faux espoirs peuvent avoir été donnés à nos concitoyens. On a eu tendance, sur ce sujet, à accélérer la vitesse possible du progrès.

M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Voilà !

M. Jean-François Mattei, ministre. Les perspectives thérapeutiques liées à l'utilisation des cellules souches embryonnaires ne sont encore qu'un pari qui n'a pas commencé d'être validé, et l'expérimentation animale est, dans ce domaine, encore notoirement insuffisante.

M. Alain Vasselle. Oui !

M. Jean-François Mattei, ministre. Il faudra des années, au mieux, pour que des applications cliniques puissent être envisagées. Que l'on songe au génie génétique, qui est apparu au début des années soixante-dix et qui n'en est qu'à ses balbutiements thérapeutiques !

C'est bien cette ligne qui a inspiré le législateur jusqu'à aujourd'hui. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Seules des exceptions précises et strictement encadrées permettent de porter atteinte à l'embryon : il en va ainsi de l'interruption volontaire de grossesse et, plus récemment, du diagnostic pré-implantatoire.

Le Gouvernement entend aujourd'hui vous proposer de rester dans cette logique d'exception par rapport à cet interdit fondateur qui nous enjoint le respect de l'embryon, pour moi intangible, et qui est la clef de voûte de notre édifice législatif en matière de bioéthique.

Le Gouvernement souhaite donc, non pas légaliser la recherche sur l'embryon, mais permettre que certaines recherches soient menées sur certains embryons.

Il me faut d'ailleurs rappeler d'emblée que des cellules souches existent aussi dans les organismes adultes ; des travaux récents ont mis en évidence le fort potentiel régénératif de ces cellules et leur grande plasticité. La France doit se distinguer par un engagement massif dans la recherche sur les cellules souches adultes.

Après avoir longtemps espéré que cette voie à privilégier pourrait permettre l'économie de la recherche sur les cellules issues d'embryons, je suis maintenant convaincu que la réalité des exigences de la recherche impose qu'on autorise celle-ci.

Afin de donner toutes ses chances à la recherche et de permettre que se développe la médecine dite « régénératrice », propre à aider ceux qui souffrent de maladies largement incurables, il est indispensable - c'est ma conviction de scientifique et de médecin - de mener de front, pendant quelques années au moins, des recherches sur les cellules embryonnaires et sur des cellules souches adultes, afin de comparer leur efficacité, mais aussi de vérifier leur innocuité pour l'homme.

Je ne dissimule pas que cette solution représente un bouleversement ontologique. L'impératif kantien, fondement de la morale laïque, interdit de traiter l'être humain seulement comme un moyen et non toujours aussi comme une fin.

Il peut certes arriver que l'être humain soit utilisé comme un moyen ; on peut songer aux personnes sur lesquelles ont été pratiquées les premières anesthésies ou aux malades qui acceptent d'expérimenter un nouveau traitement contre le cancer. Mais ces personnes conservent la capacité de consentir, même si celle-ci peut être affaiblie ou influencée, et la possibilité qu'elles bénéficient directement des expérimentations auxquelles elles se prêtent existe toujours. Dans de tels cas, l'être humain est donc toujours fin en soi en même temps que moyen.

Il n'en va pas de même pour l'embryon : les lignées de cellules souches qui en seront tirées aboutiront à sa destruction.

Aussi la levée de l'interdiction posée récemment par le législateur ne va-t-elle pas de soi et doit, si elle est confirmée, être assortie de conditions beaucoup plus précises que celles qui l'enserrent actuellement.

Dans cette logique, j'entends que la possibilité qui serait ouverte de mener des recherches sur l'embryon ait un caractère dérogatoire et transitoire et que ses conditions de mise en oeuvre soient très précisément circonscrites.

Mme la ministre déléguée à la recherche s'exprimera plus en détail sur ces sujets spécifiques. Je veux lui dire que j'ai été heureux d'aborder avec elle, qui est le porte-parole de la communauté scientifique, ces difficiles questions. Nous avons, là encore, progressivement cheminé dans une direction commune.

Si ces recherches s'imposent, leur but doit être précisément défini ; dans mon esprit, il est double.

La recherche sur l'embryon est avant tout une recherche « pour » l'embryon. L'embryon doit entrer dans le champ de la médecine. Paradoxalement, la médecine a progressé en remontant le fil de la vie : après s'être intéressée à l'enfant, elle s'est penchée sur le nourrisson ; s'orientant ensuite du côté du nouveau-né, elle en est venue à traiter du prématuré ; nous l'avons vue alors s'investir dans la prise en charge du grand prématuré. Aujourd'hui, nous assistons aux balbutiements de la médecine foetale ; probablement en viendrons-nous demain à la médecine embryonnaire.

Or cette « progressive régression » de la médecine vers les tout premiers stades de la vie ne peut, à l'évidence, se réaliser sans l'aide de la recherche. Peut-on s'enfermer, vis-à-vis de l'embryon, dans le paradoxe consistant à dire qu'on le respecte tellement qu'on ne veut pas lui venir en aide, le cas échéant, par le biais de la médecine ?

Nous sommes, à cet égard, dans une situation d'urgence. On ne peut, en effet, qu'être préoccupé par le fort décalage existant entre les progrès réalisés pour diagnostiquer les problèmes du foetus ainsi que, plus récemment, de l'embryon, et les moyens misérables dont nous disposons pour les traiter.

Le biais qui en résulte en faveur de l'élimination plutôt que du traitement alimente un discours récurrent, mais aussi peut-être de moins en moins irréaliste, sur le tri eugénique des êtres humains et sur la décence ou l'acceptabilité plus grandes de pratiques devenues plus « indolores ». Je vous renvoie simplement, sur ce point, au débat que nous avons eu à propos de l'affaire Perruche.

Il ne s'agit pas seulement d'espérer pouvoir établir des diagnostics à l'avenir ; il faut aussi prendre en charge. Or jamais la médecine n'a su le faire sans progresser à tâtons au moyen de la recherche. La difficulté est donc de faire entrer l'embryon dans le champ de la recherche, dans la mesure où l'espoir réside pour une part dans la médecine embryonnaire, une médecine qui en viendrait à considérer l'embryon comme un patient. Oui, il est temps de faire accéder le foetus et l'embryon au statut de patient ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Un seul autre but doit être assigné à la recherche sur l'embryon : celui d'évaluer les perspectives thérapeutiques apparemment très prometteuses liées à l'utilisation de cellules souches embryonnaires. Comme je l'ai dit, la route sera certainement fort longue jusqu'à la validation thérapeutique, mais il faut se mettre en ordre de marche.

En somme, je souhaite amender le projet de loi afin que les recherches sur l'embryon puissent être conduites dans des conditions strictement encadrées. En particulier, les embryons qui pourront être affectés à la recherche doivent répondre à des critères précisément définis : il ne pourra s'agir que d'embryons conçus in vitro dans le cadre de l'AMP, dont les parents ne veulent pas demander le transfert et qui n'auront pas été donnés à un autre couple.

En outre, toute recherche sur l'embryon humain doit faire l'objet d'un protocole qui, après une évaluation scientifique et éthique, sera ou non autorisé.

Enfin, l'ouverture de la recherche sur l'embryon aura un caractère transitoire, afin que son bien-fondé soit réexaminé au bout de cinq ans, notamment parce qu'il n'est pas exclu que les progrès de la science conduisent à vider le débat de son contenu, ou du moins à en atténuer la vivacité.

En bref, je souhaite ouvrir une fenêtre d'action, strictement délimitée, en respectant les principes et le souci d'équilibre qui inspirent la législation actuelle. C'est dans cette optique qu'il faut inscrire la possibilité d'autoriser à titre exceptionnel la recherche sur l'embryon humain.

Cependant, j'exclus d'aller au-delà de l'autorisation de recherches à partir d'embryons orphelins. La création d'embryons humains à des fins de recherche doit demeurer fermement exclue et sévèrement sanctionnée. Elle serait d'ailleurs contraire à l'article 18 de la convention d'Oviedo, que nous entendons ratifier.

Aussi le clonage dit « thérapeutique » n'est-il pas acceptable, non plus que la possibilité, introduite par amendement, que des embryons soient créés pour les besoins de recherches sur les techniques d'AMP. La consécration subreptice de cette possibilité dans le précédent texte, pudiquement dissimulée sous l'« évaluation des techniques d'AMP », porte triplement atteinte à la dignité de l'être humain : elle repose sur la conception d'embryons à des fins de recherche - nous la refusons -, elle passe par la destruction programmée de ces embryons - nous ne la souhaitons pas - et, enfin, cette démarche, qui commencerait in vitro, serait bien, à un moment donné, réalisée in vivo. En effet, quand la phase in vitro aura abouti, on voudra naturellement procéder à un essai d'implantation, puis à un essai de développement, finalement à un essai de naissance ! Ce serait bel et bien le début des « essais d'hommes », et cela, nous n'en voulons pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Quant au clonage dit « thérapeutique », je me bornerai à rappeler qu'il nous expose à deux autres dangers majeurs : premièrement, le risque de contournement de l'interdiction de faire naître un enfant cloné, à partir du moment où la première étape technique serait autorisée ; deuxièmement, la nécessité d'obtenir en grand nombre des ovocytes prélevés chez les femmes après un traitement fort lourd par des inducteurs de l'ovulation aux effets secondaires mal connus. Pour citer Hamlet, il vaut parfois mieux « supporter les maux qui nous accablent que voler vers d'autres que nous ignorons ». (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

L'interdiction du clonage humain à des fins de reproduction constitue le quatrième thème et, vraisemblablement, la disposition la plus consensuelle du projet de loi.

Il n'en reste pas moins que des enjeux importants tiennent à la rédaction précise de cette interdiction ainsi qu'à l'incrimination qui est attachée. De ce point de vue, le texte actuel paraît beaucoup trop faible.

Il faut, tout d'abord, améliorer la formulation de l'interdiction du clonage à visée reproductive.

Il faut ensuite que la sanction de la violation de cette interdiction soit à la hauteur de l'enjeu ; il faut qu'elle fasse référence à ce qu'il s'agit de garantir, à savoir la dignité de l'homme et la survie de l'espèce.

Avec le clonage, il s'agit de programmer un humain comme un objet fabriqué en fonction d'une commande ; il s'agit de le transformer en un objet calculable, manipulable, prédéterminé. La loi doit s'opposer fermement à cet arbitrage despotique, en rappelant que le propre de toute personne est d'être indéterminable.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. D'ailleurs, c'est bien du hasard dont nous sommes issus que nous tirons notre liberté ! La loi doit proclamer le droit de toute personne à ne pas être tributaire, au regard de ses caractéristiques morphologiques, du désir narcissique ou pathologique de celui ou de celle qui l'a conçue.

M. Francis Giraud. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Elle doit réprimer fermement toute tentative qui porterait atteinte à notre perception de la personne.

C'est pourquoi je proposerai au Sénat, en accord avec le garde des sceaux, M. Dominique Perben, que je remercie de son concours convaincu, la création d'une nouvelle incrimination, dénommée « crime contre l'espèce humaine ».

Les notions que consacre aujourd'hui le code pénal, celles de crimes contre l'humanité et de crimes contre la personne, ne conviennent pas réellement pour viser une pratique telle que le clonage.

Ce « crime contre l'espèce humaine » trouverait sa place au début du livre II du code pénal, consacré aux crimes et délits contre les personnes, entre le titre Ier : « Des crimes contre l'humanité » et le titre II : « Des atteintes à la personne humaine ». Il viserait tant le clonage à but reproductif que les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Le cinquième thème concerne le cadre institutionnel en matière de santé publique.

Le gouvernement précédent était parti de l'idée qu'il était pertinent de créer une nouvelle agence dans le domaine de la santé publique, compétente en matière de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Je dois dire que j'ai étudié avec intérêt cette proposition, voilà un an, mais, tout bien réfléchi, la prolifération des agences finit par nuire à la visibilité de notre politique de santé. Il en existe déjà huit, dont les compétences respectives s'enchevêtrent ; on ne peut donc continuer d'en créer une nouvelle dès que l'on met en évidence un nouveau problème.

Par conséquent, je souhaite vous proposer, mesdames, messieurs les sénateurs, d'aller aussi rapidement que possible, mais si nécessaire en deux étapes, vers l'institution d'une seule et grande agence de la biomédecine et des produits de santé regroupant cinq départements dédiés respectivement aux médicaments, aux dispositifs médicaux, au sang, aux organes et aux tissus, à l'assistance médicale à la procréation, à la médecine embryonnaire et foetale et à la génétique humaine.

Le département « AMP et médecine embryonnaire et foetale » assumerait les missions dévolues, en l'état actuel du projet, à l'APEGH, l'agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaine, mais redéfinies et précisées. En effet, cette agence ne peut être une simple instance de veille et de conseil. Afin qu'elle rende des avis aussi équilibrés que possible, il me semble essentiel qu'elle soit chargée aussi - Mme Haigneré et moi-même sommes tombés d'accord sur ce point - d'évaluer les protocoles de recherche d'un point de vue scientifique et éthique et qu'il lui appartienne de prendre une décision en se fondant sur les avis d'un conseil d'orientation médical et scientifique. Le ministre chargé de la santé et, dans les domaines qui lui sont propres, le ministre chargé de la recherche auraient un droit de veto sur les décisions de l'agence et pourraient, en outre, la saisir pour avis.

Une étape intermédiaire dans la constitution d'une grande agence pourrait consister à regrouper les activités prévues par le projet initial d'APEGH et celles de l'Etablissement français des greffes. La proximité des questions scientifiques et la parenté des questions éthiques traitées par l'une et l'autre me paraissent légitimer cette démarche.

Je conclurai mon intervention en abordant un sujet difficile.

Alors même que des dizaines de milliers de brevets relatifs à des séquences de gènes étaient déposés, la France a affirmé sur la scène internationale qu'une telle appropriation, contraire aux principes de son code civil, était éthiquement inacceptable et pouvait avoir un effet négatif sur l'efficacité tant de la recherche fondamentale que de l'innovation pharmaceutique. Nous avions retenu ce principe dès 1994. Souvenez-vous : breveter une séquence totale ou partielle d'un gène avait alors été interdit.

L'esprit et la lettre de la loi française et ceux de la directive européenne 98-44/CE sont incompatibles sur ce point. Combien je regrette - je le dis sans aucun esprit polémique - que, en 1998, le gouvernement d'alors ait validé et soutenu cette directive ! Si tel n'avait pas été le cas, la France aurait pu faire entendre une autre voix, ou du moins remédier à l'ambiguïté de la rédaction de l'article V, dont les deux premiers alinéas énoncent des principes exactement opposés.

La loi française tend à exclure la connaissance des gènes de la brevetabilité, au contraire de la directive, qui assimile le gène à une molécule chimique inventée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'organisme de chacun d'entre nous comporte un gène codant la fabrication de l'insuline. Or je ne crois pas que celui qui découvrira la structure de ce gène aura inventé quelque chose ; il aura simplement fait une découverte. Il n'y a donc pas lieu de breveter ledit gène ! Si, à titre personnel, je me suis opposé, comme nombre d'entre vous, à cette dérive, c'est que l'on voyait poindre des dangers.

Ainsi, nous avons mis en place, à compter du 1er janvier 2003, le dépistage systématique intrafamilial des cancers du sein d'origine génétique, mais la société Myriad Genetics, de Salt Lake City, a breveté la méthode de dépistage. Nous nous trouvons donc potentiellement en contravention ! Cependant nous ne voulons pas céder !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-François Mattei, ministre. Nous avons mis au point, à Villejuif, à l'Institut Curie et ailleurs, des méthodes plus rapides, plus efficaces et deux fois moins coûteuses. Pourquoi devrions-nous plier alors que nous sommes partis de séquences génétiques qui font partie du patrimoine commun de l'humanité ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

D'ailleurs, un récent rapport de l'INSERM fait apparaître - car tout progresse, tout évolue ! - que de nombreux analystes s'interrogent sur les conséquences de la multiplication des brevets relatifs aux gènes, y compris pour les biotechnologies. L'information génétique pourrait être sous-utilisée en raison de l'attitude exclusive des détenteurs de brevets sur les séquences. C'est inacceptable !

Toutefois, comme vous le savez, le droit européen étant ce qu'il est, notre droit ne s'applique que par subsidiarité.

M. Alain Vasselle. Hélas !

M. Louis Souvet. Cent fois hélas !

M. Jean-François Mattei, ministre. Si nous n'arrivons pas à nous faire entendre à Bruxelles, nous devrons subir la loi internationale. Il nous faut sortir de cette impasse et trouver une formule qui préserve nos principes tout en constituant une interprétation de la directive, interprétation que nous pourrions ensuite défendre auprès de la Commission européenne.

Le but est le suivant : un gène pourra être breveté s'il fait partie d'une technique, et dans le seul cadre de celle-ci, mais n'importe qui pourra se référer à ce gène pour breveter une autre technique. Autrement dit, le brevet inclura un gène en tant que partie d'une technique, mais tout le monde pourra utiliser ce gène au titre d'une autre technique.

Le texte que je vous présente tend donc à revenir sur la définition que l'Assemblée nationale avait adoptée à l'unanimité en janvier dernier sur la proposition de M. Roger Meï, définition qui est trop abrupte et nous interdit de négocier avec Bruxelles. Il est possible de défendre exactement le même principe en expliquant à la Commission ce que nous souhaitons et par quelle voie Bruxelles pourrait nous suivre.

En outre, deux amendements auront pour objet de créer, d'une part, les licences obligatoires, d'autre part, les licences d'office, de façon que nos impératifs de santé publique soient respectés et que nous ne soyons pas à la remorque de tel ou tel laboratoire qui exigerait une rémunération déraisonnable quand il s'agit de prendre des malades en charge. Voilà ce que nous voulons absolument obtenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, si l'on me demandait de retenir un seul mot pour résumer la disposition d'esprit fondamentale qui, selon moi, doit présider à l'élaboration des nouvelles lois de bioéthique, mon choix se porterait sur celui de « prudence ». Cependant, entendons-nous bien ! La prudence n'est pas la négation de l'audace et de la prise de risques : on peut prendre des risques au nom de la prudence. C'est ce que fait, par exemple, l'automobiliste qui franchit la ligne blanche en plein virage pour éviter de percuter un cycliste. La prudence ne s'oppose pas à la prise de risques, elle s'oppose à la démesure.

Etre prudent, c'est résister à la tentation de la démesure ; nous pouvons y parvenir si, comme nous y invitait Aristote en son temps, nous cherchons ensemble un point d'équilibre entre deux manières de s'égarer, l'une par excès, l'autre par défaut. Etre prudent consiste à viser un juste milieu entre deux extrêmes opposés ou, pour reprendre une métaphore utilisée par ce philosophe, « une ligne de crête entre deux abîmes ».

Parce que nous vivons une époque où se profile le spectre de la manipulation de l'homme par sa marchandisation, sa sélection prénatale et même sa fabrication programmée, la prudence s'impose comme le repère le plus assuré de l'éthique et du droit. Les avancées spectaculaires de notre science, ébranlée par la double menace du dévoiement et du fourvoiement, ont fait naître autant d'angoisses que de fantasmes dans la conscience de nos contemporains. Sachons y répondre de façon rationnelle et raisonnable en restant animés par le souci, lorsque nous sommes en situation d'incertitude, d'explorer tous les possibles, d'anticiper tous les scénarios imaginables.

J'ajouterai pour finir que la prudence ne va pas sans une certaine inquiétude délibérément entretenue pour fortifier notre vigilance. Les lois que nous allons promouvoir comporteront, en filigrane, une certaine idée de l'homme, une certaine vision de sa condition, de sa destinée. Or, à mon sens, la représentation la plus haute de l'homme que nous pouvons nous faire, c'est celle d'un être toujours inquiet de savoir ce que deviendront ses descendants. C'est pourquoi je souhaite que la législation sur laquelle nous allons travailler soit élaborée dans le souci de garantir aux générations futures les conditions d'un développement psychique et d'une vie authentiquement humaine. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier Jean-François Mattei de son intervention, vive mais aussi tellement réfléchie et raisonnable.

M. Charles Revet. C'est vrai !

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Je crois que nous nous rejoignons sur les valeurs essentielles.

Commençant mon intervention, qui visera essentiellement à expliciter l'importance qu'il y a à revenir aujourd'hui sur l'interdit législatif posé en 1994 s'agissant de la recherche sur l'embryon, je tiens à m'associer à Jean-François Mattei pour rendre hommage au travail remarquable et difficile accompli par la commission des affaires sociales sur ce projet de loi.

Le rapport de M. Francis Giraud, rapport dont j'ai pu explorer toute la richesse ces derniers jours, pose avec netteté les questions auxquelles l'Etat doit répondre en matière de bioéthique et comment il peut le faire au nom d'un certain nombre de valeurs. De plus, sur les questions les plus sensibles, comme la recherche sur l'embryon ou le clonage thérapeutique, ce rapport amorce une discussion ouverte et sans polémique, même s'il revient à la commission de proposer un arbitrage à votre assemblée.

La qualité de cette réflexion, que j'ai pu apprécier aussi en dialoguant directement avec certains d'entre vous, me paraît devoir être saluée, car elle reflète à la fois la profondeur et la maturation de la réflexion éthique du législateur et la possibilité de faire évoluer le cadre législatif au plus près du dialogue, parfois difficile, pour de multiples raisons, entre la science et la société.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires, il me paraît utile de revenir rapidement sur quelques éléments qui me semblent décisifs pour votre réflexion sur la levée, dans un cadre dérogatoire, de l'interdit de cette recherche.

Tout d'abord, l'avancée des connaissances et des techniques permet des interventions diagnostiques ou thérapeutiques de plus en plus précoces au cours de la vie.

Ainsi, la médecine de l'embryon est inéluctablement appelée à se développer et, pour cela, il doit être envisagé de conduire des recherches sur l'embryon qui bénéficieront un jour à d'autres embryons. La destruction inévitable de l'embryon sur lequel seront conduites ces recherches me semble donc éthiquement acceptable à deux conditions : d'une part, dans la mesure où la notion de bénéfice indirect est invoquée à bon escient, comme c'est le cas dans le cadre des recherches biomédicales qui peuvent être conduites sur des patients ; d'autre part, dans la mesure où, à l'heure actuelle, un grand nombre d'embryons surnuméraires, qui sont issus de l'assistance médicale à la procréation et ne font plus l'objet d'un projet parental, sont disponibles et, quoi qu'il advienne, destinés à être détruits, dans des conditions qui restent à définir.

A côté de la possibilité de conduire des recherches à proprement parler sur l'embryon, l'enjeu des recherches conduites sur des lignées cellulaires issues d'embryon me paraît capital. Ces lignées sont constituées in vitro à partir du prélèvement de quelques cellules à un stade très précoce, seulement quelques jours, du développement embryonnaire. J'insiste ici sur le fait que ces lignées de cellules souches, qui se reproduisent indéfiniment à l'identique, ou bien, suivant les conditions de culture, se différencient vers tel ou tel type de tissu, ont perdu la possibilité de constituer un embryon complet, qui devrait être placé in utero pour se développer. Ces lignées cellulaires n'ont donc plus rien à voir avec une « personne humaine potentielle », selon la formule que le Comité consultatif national d'éthique a utilisée pour désigner l'embryon humain.

La forte attente de la communauté scientifique à l'égard des lignées de cellules souches embryonnaires, illustrée par les demandes d'importation déjà déposées dans notre pays et par la position récemment réaffirmée de l'Académie des sciences, ne doit cependant pas nous faire oublier que la création de ces lignées passe actuellement par la destruction d'un ou plusieurs embryons humains, deux en moyenne selon les quelques laboratoires étrangers qui ont déjà conduit de tels travaux.

La transgression du principe de protection de la vie humaine dès son commencement, qui intervient inévitablement dans ces recherches, est donc limitée à l'étape de constitution d'une nouvelle lignée. Il m'apparaît important que le législateur puisse accepter aujourd'hui cette transgression dans des recherches dont la finalité thérapeutique, même lointaine, est clairement argumentée. le recours aux cellules embryonnaires d'origine humaine est en effet incontournable si nous souhaitons que les recherches sur les cellules souches progressent rapidement.

Bien sûr, la démonstration de l'existence de cellules souches dans certains tissus chez l'adulte nous permet d'espérer voir se développer, à long terme, des traitements de régénération tissulaire qui ne se heurteraient pas aux limitations éthiques que je viens d'évoquer. Les recherches sur les cellules souches adultes doivent donc être une priorité pour l'avenir, et le ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies souhaite soutenir activement cette voie par des actions incitatives financées sur le Fonds national de la science dès 2003, et en active collaboration avec les organismes de recherche travaillant dans le domaine de la recherche biomédicale.

Ces recherches sur les cellules souches adultes rencontrent cependant des difficultés de deux ordres.

Premièrement, les cellules souches adultes sont généralement extrêment rares - typiquement, de l'ordre d'une cellule pour 1 million à 10 millions - et il est donc difficile de travailler sur une population suffisante pour être à l'abri de nombreux artéfacts expérimentaux.

Deuxièmement, il a été constaté que ces cellules souches adultes ont un comportement très différent des cellules embryonnaires : en particulier, leur capacité de multiplication et de différenciation semble plus limitée ou, en tous cas, plus difficile à maîtriser in vitro que celle des cellules embryonnaires.

La compréhension du contrôle de la multiplication et de la spécialisation des cellules souches sera, de manière hautement probable, beaucoup plus rapide à obtenir sur les cellules embryonnaires que sur les cellules souches adultes. En particulier, de très nombreux gènes, dont l'existence a été révélée par le séquençage exhaustif du génome humain, mais dont la fonction n'est pas encore élucidée, interviennent à coup sûr dans le contrôle du développement embryonnaire. La compréhension du rôle de ces gènes est essentielle pour maîtriser, dans des conditions de culture, la multiplication et la différenciation des cellules souches, afin d'obtenir des quantités et des types tissulaires adaptés aux objectifs thérapeutiques qui en sont la finalité. Cette compréhension de la fonction des gènes sera bien plus rapide en étudiant des cellules embryonnaires qu'en se limitant aux cellules souches adultes. Pour cela, nos chercheurs doivent pouvoir travailler à partir des lignées cellulaires existantes, mais doivent aussi pouvoir créer de nouvelles lignées. Je crois que cette compréhension mutuelle de nos préoccupations éthiques partagées et de la sensibilité de la communauté scientifique nous permet d'avancer en toute harmonie.

Je tiens à signaler que, à côté de l'enjeu de la régénération tissulaire, les recherches sur les cellules souches embryonnaires permettront sans doute de mieux comprendre le fonctionnement des gènes impliqués dans le développement des cancers, et vous savez à quel point l'avancée de cette recherche au service du patient est pour nous une priorité.

Les nouvelles connaissances qui pourront être obtenues en permettant aux chercheurs français, dans des conditions strictement encadrées, de travailler sur l'embryon et les cellules embryonnaires me paraissent donc, par les perspectives thérapeutiques offertes à long terme, justifier que le cadre législatif soit assoupli, à titre dérogatoire et peut-être seulement pour une durée limitée. D'une part, l'existence d'embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, et donc voués à la destruction d'autre part, les perspectives d'une recherche encore très en amont, mais dont les retombées à long terme pourraient être extrêmement bénéfiques pour de nombreux patients, nous invitent, selon moi, à une transgression, que nous devons aujourd'hui assumer avec courage, dans le respect d'une exigence éthique élevée.

Après avoir abordé le sujet très sensible des recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, je tiens à évoquer brièvement un point que mon collègue Jean-François Mattei n'a pas traité et qui nous tient à coeur pour faciliter certaines activités de recherche ; je veux parler de la nécessité de faire évoluer le cadre législatif concernant la constitution et l'utilisation à des fins de recherche de collections d'échantillons biologiques humains.

Comme vous le savez, ces collections ou banques de tissus sont devenues aujourd'hui une ressource essentielle dans la recherche sur les maladies humaines, notamment lorsque l'on souhaite avoir recours aux outils moléculaires les plus modernes, issus de la génomique. Très récemment, dans le cadre du rapport remis par la commission de réflexion sur le cancer, le développement à grande échelle des banques de tumeurs, dans une perspective de recherche thérapeutique, a été fortement recommandé.

La constitution de ces collections d'échantillons biologiques humains a été encouragée depuis plusieurs années dans notre pays par l'action des ministères chargés de la recherche et de la santé. Nous disposons aujourd'hui de plusieurs dizaines de banques répondant à des critères de qualité et de sécurité très rigoureusement définis et mis en place.

Cet avantage, que nous devons encore renforcer, doit pouvoir être exploité par nos chercheurs dans des conditions juridiques claires, répondant à des principes éthiques qui prennent en compte à la fois la protection des personnes et le bénéfice individuel et collectif qui peut être attendu des travaux qui seront conduits sur ces prélèvements. Il paraît ainsi capital de lever certaines incertitudes ou d'examiner la possibilité de certains aménagements, concernant le statut des recherches conduites sur ces collections d'échantillons par rapport à l'actuelle loi Huriet-Sérusclat.

Un point particulièrement critique pour l'avancée rapide des recherches est la possibilité de faire évaluer - dans des conditions bien définies, qui devraient être validées au cas par cas par les comités consultatifs pour la protection des personnes - la finalité des recherches conduites sur une collection d'échantillons, sans avoir l'obligation, parfois infranchissable, d'obtenir de nouveau le consentement de toutes les personnes sur lesquelles ces échantillons ont été prélevés. Cet aménagement pourrait, par exemple, s'appliquer aux différents marqueurs plasmatiques d'une maladie donnée, tel le cancer du sein. Les avancées de la recherche nous conduiront à évoquer différents types de marqueurs dans une même finalité.

Nous souhaitons donc pouvoir donner plus de flexibilité à ce type de recherche dans le cadre d'une éthique qui reste très exigeante. Il s'agit de ne ralentir en aucune façon la recherche quand le législateur peut facilement donner de la flexibilité au texte, dans l'intérêt de la santé et pour la protection des personnes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n'en dirai pas davantage en cet instant. De nombreux autres sujets concernent bien sûr la recherche. Je serai présente lors de la discussion des articles, avec le regard d'un membre du Gouvernement et l'écoute de la communauté scientifique, dont nombre des interrogations et suggestions ont été relayées dans cette enceinte. Nous progresserons ensemble, en prenant en compte les enjeux de la recherche, sous toutes ses facettes, les enjeux de la médecine et les enjeux de la bioéthique.

M. Jean-François Mattei a dit qu'il convenait de progresser avec prudence. J'ajouterai : avec raison et responsabilité, mais aussi avec un peu d'audace.

(Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, la position de rapporteur d'un projet de loi relatif à la bioéthique est, en 2003, sûrement aussi inconfortable, mais aussi exaltante qu'en 1994.

A cette époque, le député Jean-François Mattei occupait cette fonction pour l'Assemblée nationale, et notre collègue M. Jean Chérioux pour la Haute Assemblée. Ils sont tous les deux présents dans cet hémicycle. Je sollicite leur indulgence !

Nul autre que l'un des rapporteurs des lois de bio-éthique adoptées en 1994 ne pouvait mieux retracer l'origine du projet de loi qui est aujourd'hui soumis à notre examen. M. le ministre de la santé s'est livré à cet exercice avec le talent que je lui ai toujours connu.

Aussi, je ne reviendrai ni sur la démarche de nos prédécesseurs, ni sur l'immense apport que fut, pour nos concitoyens, le corpus juridique adopté en 1994.

Je saluerai néanmoins d'un mot les travaux effectués dans l'intervalle, un peu long, qui a précédé la présente révision. Par leur nombre et leur qualité, ces travaux ont permis que le présent projet de loi bénéficie d'un environnement d'une grande richesse, auquel, en tant que rapporteur, je me suis assidûment référé.

Ces travaux - ceux du Conseil d'Etat et ceux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mais également les rapports des nombreux groupes de travail français et européens - ne s'accordent pas sur tous les sujets, mais ils ont permis, chacun à sa place, que le projet de loi présenté au Parlement soit le résultat d'un équilibre savamment pesé.

En matière de bioéthique, peut-être plus qu'ailleurs, des principes contradictoires mais d'égale importance s'entrechoquent : la protection de la vie, le respect des convictions de chacun, les intérêts de la science, les innovations thérapeutiques ainsi que les principes de précaution et de sécurité éthiques et sanitaires.

Si je tiens cette notion d'équilibre pour essentielle, c'est parce que chacun des thèmes abordés par le projet de loi illustre, par lui-même, le caractère ambivalent de la recherche scientifique et incite, simultanément, à l'optimisme et à la prudence, en même temps qu'à ce « culte de l'esprit critique » qui était cher à Pasteur.

La thérapie cellulaire et ses applications à l'homme ont ouvert de grandes perspectives. Elles sont aussi porteuses d'incertitudes.

Si l'assistance médicale à la procréation est mieux maîtrisée et mieux encadrée, elle s'accompagne toujours de souffrances et d'échecs. Si Dolly a bouleversé les concepts de la reproduction, les failles de son développement furent rapidement mises au jour. Si les progrès en matière de greffe permettent chaque jour de sauver de nouvelles vies, certains de nos concitoyens décèdent après un don généreux.

Dans le présent projet de loi, un équilibre a été cherché entre ces principes contradictoires. Au regard des suffrages exprimés par l'Assemblée nationale, qui a adopté ce texte par 325 voix pour et seulement 21 voix contre, cet objectif a été atteint pour partie.

En effet, ce projet de loi contient des avancées, que je ne rappellerai pas de manière exhaustive. Je pense notamment au régime juridique du don de moelle osseuse ou du prélèvement des différents tissus et cellules du corps humain.

Des assouplissements utiles ont en outre été prévus, tels l'élargissement de l'indication d'assistance médicale à la procréation aux couples risquant de se transmettre une maladie grave, ou le recueil et la conservation de gamètes pour des personnes bénéficiant d'un traitement médical potentiellement attentatoire à leur fertilité.

Les grandes règles régissant le don d'organe n'ont pas été modifiées - et je m'en réjouis -, même si, fort du constat aujourd'hui partagé d'une pénurie de greffons, le projet de loi fait la part belle au don entre vifs.

En commission, certains de nos collègues se sont émus du nombre d'amendements, jugé élevé, que je leur ai proposés. J'ai alors tenu à les rassurer, et je le fais de nouveau maintenant.

Sur la soixantaine d'amendements proposés par la commission des affaires sociales, très peu modifient véritablement le fond du projet de loi qui nous est transmis.

La plupart sont des amendements de précision, de clarification et de lisibilité juridique. Toutefois, s'ils n'affectent pas le contenu du dispositif proposé, ils n'en sont pas moins essentiels, en diminuant les incertitudes, les imprécisions et impropriétés de la rédaction législative qui trahissent in fine l'esprit de nos délibérations.

Sur quelques points, en revanche, il était nécessaire de revenir sur les positions qu'avait adoptées l'Assemblée nationale.

En effet, le projet de loi initial n'avait pas retenu deux pratiques sur lesquelles s'était pourtant interrogé le Conseil d'Etat : le transfert post mortem d'embryon et l'évaluation des techniques d'assistance médicale à la procréation lorsque celles-ci supposent la création d'embryon à cette fin.

L'Assemblée nationale a choisi d'introduire ces deux principes, à tort selon la commission.

L'évaluation préalable de toute nouvelle technique d'AMP avant sa mise en oeuvre part, bien évidemment, d'un bon principe : éviter que ne se reproduise ce qui s'est passé dans le cas de l'ICSI - intra cytoplasmic sperm injection - c'est-à-dire la fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde. Elle aboutit néanmoins à l'autorisation de concevoir des embryons pour cette évaluation. Cela constitue une exception forte au principe selon lequel la conception in vitro d'embryons humains à des fins de recherche est interdite, principe que nous entendons confirmer.

L'Assemblée nationale a, en outre, introduit, contre l'avis du précédent gouvernement, la possibilité d'un transfert post mortem d'embryon.

Certes, chacun imagine la douleur d'une veuve qui demande à récupérer ce qui est, après tout, une part d'elle-même pour accomplir le projet parental dans lequel elle s'était lancée avec son mari ou son compagnon à présent décédé. On ne compte guère plus d'un cas ou deux par an, et ils ne devraient sans doute pas relever de la loi. Toutefois, les interrogations éthiques et psychologiques que peut susciter la mise au monde consciente d'un orphelin ne sont pas mineures, comme M. le ministre vient de le rappeler.

En 1994, le législateur, soucieux de donner à l'enfant à naître un cadre familial traditionnel, a voulu l'interdire ; c'est pourquoi, aujourd'hui, la loi précise que les deux membres du couple qui engagent une AMP doivent être vivants, ce qui prohibe aussi bien le transfert d'embryon que l'insémination post mortem.

La légalisation du transfert d'embryon post mortem, introduite par l'Assemblée nationale, ne laisserait vraisemblablement pas intacte la conception commune du couple ou du projet parental, ni le rapport entre la volonté des géniteurs et l'intérêt de l'enfant.

La souffrance de la mère justifie-t-elle que l'on donne naissance à un enfant orphelin ? Où est l'intérêt de l'enfant dans cette affaire ? Quel regard la société portera-t-elle sur un enfant né deux ans après la mort de son père ? Comment cet enfant construira-t-il son identité ?

La solution retenue pour répondre à cette question, qui méritait d'être posée, ne saurait nous satisfaire tant pour ces raisons que pour celles qui ont été rappelées, tout à l'heure, par M. le ministre.

Le déficit en greffons que connaît notre pays supposait nécessairement que des mesures soient prises. Nous l'avons vu : le projet de loi tend à pallier cette carence par l'extension du don entre vifs. Cette réponse n'est-elle pas le reflet d'une certaine résignation ?

En effet, le prélèvement post mortem fonctionne moins bien en France que dans d'autres pays qui appliquent les mêmes règles de consentement. M. le ministre a mentionné, à juste titre, l'Espagne. Il y en a d'autres. Parce que le prélèvement sur les personnes décédées intervient nécessairement dans des conditions difficiles et douloureuses pour l'entourage, le recours à la générosité des vivants est sollicité.

Il reste que les conséquences du don entre vifs peuvent être gravissimes pour le donneur. C'est donc avec la plus grande prudence qu'il convient d'y recourir.

Enfin, le don entre vifs induit le risque que le consentement ne soit pas réellement libre et éclairé, qu'il soit vicié par un chantage psychologique ou par une négociation mercantile.

Pour ces raisons et eu égard aux risques potentiels qu'elle engendre, l'extension du cercle des donneurs vivants à toute personne ayant des liens étroits et stables avec le receveur n'est pas souhaitable. Il convient donc de limiter le cercle des donneurs potentiels au cercle familial élargi, lequel doit être précisé.

Je reviendrai brièvement sur les propositions formulées par le Gouvernement. Je serai, là encore, tenté de rassurer nos collègues : je ne crois pas que l'équilibre du texte soit fondamentalement modifié. En fait, ainsi que l'on s'y attendait, le Gouvernement apporte des innovations et des précisions qui améliorent la rédaction initiale.

La création d'une agence de biomédecine est une proposition fort intéressante. M. le ministre a développé les tenants et les aboutissants du regroupement de l'APEGH, de l'Etablissement français des greffes et, à terme, de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS. La logique de ce rapprochement est évidente.

En proposant d'amender substantiellement l'article relatif à l'APEGH, la commission avait souhaité recentrer le haut conseil en le rendant plus opérationnel. J'ai bien noté que l'Agence de biomédecine comportera un conseil d'orientation médical et scientifique qui ressemble comme un frère, tant dans ses attributions que dans sa composition, à celui que la commission avait préconisé pour l'APEGH.

J'en viens aux trois sujets fondamentaux qui sont au coeur du projet de loi : le clonage, la recherche sur l'embryon et la brevetabilité du vivant.

Il s'agit, en premier lieu, du clonage reproductif, dont l'actualité récente a démontré qu'il était à lui seul l'illustration la plus significative des dérives que peuvent engendrer les sciences du vivant.

L'indignation quasi générale soulevée par les allégations de certains qui auraient procédé à la création par clonage d'un être humain est un encouragement puissant à l'interdiction et à la condamnation de cette pratique.

Ainsi que vous l'aviez fait lors de votre audition par notre commission, monsieur le ministre, vous avez réitéré votre volonté de voir adopté, à l'échelon mondial, un corpus juridique contraignant. Les mesures fortes que vous proposez d'insérer dans notre droit civil et notre droit pénal reçoivent évidemment tout notre soutien.

Dans son avant-projet de loi, le précédent gouvernement aurait envisagé d'autoriser la pratique du clonage à des fins thérapeutiques, arguant des perspectives médicales que celui-ci pourrait ouvrir.

De nombreux avis négatifs l'auraient incité à y renoncer. L'actualité montre la sagesse de ce retrait. Pour autant, le texte d'aujourd'hui, s'il n'autorise pas le clonage thérapeutique, ne le proscrit pas non plus. On pourrait même conclure qu'en interdisant formellement le clonage reproductif, le clonage thérapeutique se trouve a contrario légitimé.

Fondé sur une technique identique à celle du clonage reproductif, qu'il banaliserait, le clonage thérapeutique susciterait tôt ou tard chez quelques scientifiques la tentation de se transformer en « apprentis sorciers ».

M. le ministre a rappelé cette première opposition de principe qu'appelle le clonage thérapeutique, ainsi qu'une seconde qui tient à la difficulté d'assurer un approvisionnement suffisant en ovocytes qui soit préservé de toute dérive mercantile.

J'ajouterai pour ma part les risques médicaux potentiels liés à cette technique, risques évoqués par certains de nos spécialistes les plus éminents.

Ainsi, le clonage thérapeutique, s'il n'est peut-être pas en soi condamnable, doit être interdit parce qu'il risque de nous coûter éthiquement très cher vu les dérives vers lesquelles il porte inéluctablement.

La question de l'embryon est sans nul doute le point le plus délicat abordé par ce projet de loi, comme ce fut le cas en 1994.

Lors de l'examen des premières lois de bioéthique, le législateur avait renoncé à définir le statut juridique de l'embryon, se tenant ainsi, comme M. le ministre l'a rappelé, prudemment à l'écart d'un débat philosophique et biologique que nul ne saurait prétendre trancher d'autorité. Cette position n'est d'ailleurs pas modifiée par le projet de loi tel que l'a adopté l'Assemblée nationale.

En revanche, à défaut de définir son statut juridique, il est possible, et même nécessaire, de décider de son sort.

En 1994, le législateur avait strictement interdit que des recherches soient menées sur l'embryon, mais il avait admis qu'à titre dérogatoire soient réalisées des études qui ne porteraient pas atteinte à son intégrité.

Fort peu avait alors été prévu pour décider du sort des embryons créés dans le cadre d'un projet parental et qui, pour des raisons diverses, n'avaient finalement pu être implantés. Or, aujourd'hui, le nombre de ces derniers, qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliers, soulève un grave dilemme.

Pour les uns, aucune recherche ou prélèvement ne saurait être admis par respect pour cette « personne humaine potentielle », telle que définie par le Comité national consultatif d'éthique.

Pour d'autres, il pourrait être envisagé que, avec l'assentiment explicite du couple qui a accompli ou renoncé à son projet parental et qui n'a plus de projet pour les embryons restants, ces derniers, ou des cellules prélevées sur ceux-ci, fassent l'objet de recherches.

Le principe de la recherche n'est sans doute pas conforme au principe de protection de la vie tel qu'il figure dans le code civil. C'est donc son interdiction qu'il convient de retenir et d'affirmer comme principe.

Toutefois, peut-on et doit-on fermer à jamais une porte à la recherche sans rien connaître de sa potentialité et de son innocuité ?

Le législateur doit, en 2003, conserver la même modestie qu'en 1994 et reconnaître lui-même la possibilité d'une dérogation transitoire et strictement encadrée aux principes fondamentaux qu'il a consacrés.

La compétition scientifique qu'évoque ce processus m'invite à aborder brièvement la question de la brevetabilité du vivant.

Les quelques années qui séparent le présent projet de loi des lois de 1994 ont été marquées par la formidable course au séquençage du génome humain. Là encore, la science bouscule le droit et le législateur doit se demander s'il est possible ou non que des éléments du corps humain, notamment ses gènes, fassent l'objet d'une quelconque protection intellectuelle.

L'Assemblée nationale a adopté une position de principe forte, qui a le mérite de réaffirmer son opposition ferme à la brevetabilité du vivant, mais qui prend l'exact contre-pied des dispositions prévues à l'article 5 de la directive européenne relative à la protection des inventions biotechnologiques.

Cette position avait-elle vocation à témoigner d'un soutien sans faille au Gouvernement dans l'optique d'une renégociation de la directive ou appelle-t-elle une rédaction de compromis entre le principe qu'elle défend et les dispositions du droit européen ?

M. le ministre de la santé nous a livré son sentiment et a fait part de ses propositions sur ce sujet. La commission les attendait ; elle les approuve.

Je conclurai mon propos, volontairement concis au regard de l'étendue et de la profondeur du sujet, par trois observations.

Plusieurs de nos collègues ont déploré que certains aspects n'aient pas été abordés lors de nos échanges en commission. Ce projet de loi n'épuise en effet pas la matière de la bioéthique. Ainsi que l'a excellemment remarqué M. le ministre, celle-ci concerne désormais de nombreux sujets, que ne peut embrasser à lui seul le projet que nous examinons aujourd'hui.

Certains aspects, quant à eux, relèvent du domaine réglementaire ; je pense notamment à la congélation des ovocytes. Sans doute, au cours du débat, chacun de nos collègues aura-t-il la possibilité de faire part de son analyse sur le système en vigueur et d'attirer, le cas échéant, l'attention de M. le ministre sur l'opportunité de procéder à certains aménagements.

Le hasard du calendrier a voulu que l'Académie des sciences se déclare, quelques jours avant l'examen de ce projet de loi par notre assemblée, en faveur de l'autorisation du clonage thérapeutique.

La parole est, bien entendu, libre et la bioéthique, encore moins que tout autre sujet, ne doit faire naître ni totems ni tabous. Pour autant, vous autoriserez le médecin impliqué dans la recherche médicale que je suis à ne pas faire sienne cette position pour les raisons qui ont déjà été développées excellemment par M. le ministre.

Je terminerai enfin ce propos par un constat qui n'est pas pessimiste.

J'ai conscience que l'équilibre prudent mais ouvert que propose la commission des affaires sociales ne saurait convenir à tous nos collègues ; nul équilibre ne le pourrait.

Les sujets relatifs à la bioétique touchent au plus profond de nos consciences et ne permettent pas de recueillir l'unanimité que l'importance des enjeux nous conduirait à souhaiter. J'ose néanmoins espérer que la démarche de la commission, à défaut de ses conclusions, rencontrera l'assentiment de l'ensemble des membres de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la représentante de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Sylvie Desmarescaux, représentante de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'emblée de remercier la commission des affaires sociales et plus particulièrement son président, Nicolas About, d'avoir souhaité recueillir l'avis de la délégation aux droits des femmes sur les articles 8, 16 et 18 du projet de loi relatif à la bioéthique, qui concernent l'assistance médicale à la procréation.

La révision des lois relatives à la bioéthique de 1994, qui devait intervenir dans un délai de cinq ans, a pris du retard, comme vous l'avez précisé, monsieur le ministre. Aujourd'hui, elle doit être l'occasion de réaffirmer les principes protecteurs de la personne face aux avancées scientifiques et médicales.

A cet égard, la France doit poursuivre les efforts qu'elle mène au niveau international en vue de parvenir à l'interdiction absolue du clonage reproductif, assortie de sanctions, afin de mettre un terme à des pratiques dangereuses, qui restent aujourd'hui impunies.

Toutes ces questions mettent particulièrement en cause les femmes. Le clonage, par exemple, requiert l'usage d'ovocytes, dont on déplore la pénurie et pour lesquels un véritable marché risque de s'organiser. De façon plus générale, les débats liés à la bioéthique, comme la recherche sur les embryons ou le diagnostic préimplantatoire, concernent toujours au premier chef les femmes, qui se rendent disponibles pour des traitements souvent longs et douloureux. L'assistance médicale à la procréation, qui offre un espoir immense aux couples stériles, doit être considérée non pas seulement comme une médecine du désir, mais comme une réalité médicale à part entière.

La qualité et la richesse des débats auxquels l'examen de ces dispositions a donné lieu au sein de la délégation attestent la complexité et l'importance des enjeux liés à cette question pour les femmes.

Dans le cadre de l'examen de ce texte, nous avons procédé à des auditions qui nous ont permis d'entrevoir un certain nombre de dérives auxquelles pouvait conduire l'assistance médicale à la procréation.

A cet égard, l'actuel projet de loi présente des dispositions contestables, notamment au regard de l'intérêt de l'enfant.

Ainsi, la condition de deux ans de vie commune pour le recours à l'assistance médicale à la procréation des couples non mariés a été supprimée. Or ce délai est nécessaire pour constater l'infertilité d'un couple et s'assurer de sa réalité et de sa stabilité. La délégation souhaite donc le rétablissement de cette condition.

Par ailleurs, l'assistance médicale à la procréation comporte des risques certains pour la santé des femmes et des enfants. Les traitements inducteurs de l'ovulation soulèvent des questions sérieuses. Les prescriptions ont décuplé en dix ans et l'on estime à 60 000 le nombre de femmes traitées en dehors des centres agréés.

Or les stimulations ovariennes induisent des risques importants de grossesse multiple, de kyste ovarien, de ménopause précoce, voire de cancer de l'ovaire, bien que ce dernier risque ne soit pas avéré.

On peut craindre qu'un certain nombre de femmes ne recourent à la stimulation ovarienne sans connaître la lourdeur des traitements et leurs risques potentiels. Il apparaît donc indispensable de mieux encadrer ces pratiques.

Par ailleurs, la technique de l'ICSI soulève les inquiétudes les plus vives. Des études montrent aujourd'hui qu'il existe un risque sérieux de transmission de l'infertilité, voire d'autres anomalies génétiques. Or l'ICSI représente aujourd'hui 40 % des fécondations in vitro.

Peut-on accepter, à l'avenir, que de telles méthodes, qui n'ont pas été préalablement expérimentées sur l'animal, soient utilisées à grande échelle uniquement parce qu'elles « marchent » ? Dans ce domaine, dire que les couples sont consentants ne suffit pas, car l'attente à l'égard des solutions proposées par la médecine est très forte.

Dans ce contexte, l'objectif du dispositif d'évaluation des nouvelles techniques prévu par le présent projet de loi peut sembler légitime et nécessaire. Toutefois, le contenu de ce dispositif pose un réel problème éthique. En effet, les embryons créés dans le cadre des protocoles d'évaluation ne sont ensuite ni transférés ni conservés, ce qui aboutit, de facto, à créer des embryons uniquement en vue de la recherche, en dehors d'un projet de naissance. Ce dispositif ne saurait donc être conservé.

Cependant, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes affirme avec force que l'évaluation des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation reste indispensable. A ce titre, elle souhaite qu'à l'avenir la mise en oeuvre des nouvelles techniques d'AMP soit intégrée dans le champ de la loi Huriet sur la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale et préconise un suivi des enfants nés des nouvelles techniques d'AMP, sur la base du volontariat des couples.

L'insuffisance de l'information et de l'accompagnement des couples a également été évoquée lors des auditions organisées sur ce texte. Or celle-ci peut déboucher, dans certains cas, sur un « acharnement procréatique » qui expose les femmes à des risques pour leur santé, ainsi que pour leur vie professionnelle.

Devant ces questions, il est surprenant de constater l'absence, en France, d'une instance capable de diffuser une information nationale, objective et transparente sur la stérilité et ses traitements.

L'APEGH n'est chargée explicitement d'aucune mission d'information du public, alors même que toutes les agences créées ces dernières années pour encadrer des secteurs intéressant la santé publique ont des missions d'information et de contribution au débat public.

En Grande-Bretagne, par exemple, l'Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine a des missions de conseil aux établissements, aux patients et aux donneurs. Elle est également chargée d'organiser la consultation des citoyens sur l'évolution des pratiques d'assistance médicale à la procréation.

C'est pourquoi la délégation recommande de renforcer le dispositif d'information et d'accompagnement des couples. Elle souhaite que soit attribuée à l'APEGH - ou à l'Agence de biomédecine - une mission d'information sur la stérilité, ses causes, ses traitements et leurs risques éventuels. Elle recommande également que les centres d'AMP donnent des indications sur le nombre d'enfants nés, et non simplement sur le nombre de grossesses obtenues. Enfin, la pluridisciplinarité des équipes d'AMP doit être renforcée et des moyens supplémentaires en personnel doivent être mis en oeuvre, afin d'associer pleinement les psychologues aux cliniciens et aux biologistes dans la prise en charge des couples.

En dernier lieu, la délégation aux droits des femmes souligne que la situation actuelle de pénurie d'ovocytes est porteuse de dangers pour les femmes, notamment les plus fragiles, en raison des pressions affectives ou financières qui pourraient s'exercer sur les donneuses potentielles.

La raréfaction du don d'ovocytes en France entraîne une augmentation excessive des délais d'attente pour les couples, qui atteignent plus de deux ans. De ce fait, ces couples décident trop souvent de partir à l'étranger, accompagnés d'une donneuse parente ou amie, afin d'y bénéficier d'un don direct. Cette pénurie comporte également un risque de commercialisation du don.

Pour y remédier, il semble que les centres fassent passer en priorité les couples demandeurs qui se présentent accompagnés d'une donneuse. Cette situation, évidemment, est source de discriminations et engendre des risques de pressions affectives, voire financières, sur les éventuelles donneuses. De plus, le système est très injuste à l'égard des couples qui n'ont pas, dans leur entourage immédiat, de donneuse potentielle.

A cet égard, la délégation réaffirme les principes de volontariat, d'anonymat et de gratuité du don de gamètes, et s'inquiète des risques de dérives auxquelles peut donner lieu la pratique du don relationnel.

Elle préconise le lancement de campagnes d'information au niveau national, réalisées par l'APEGH, ou par la future agence de biomédecine, sous le contrôle du ministère chargé de la santé, afin de développer le don de gamètes et de faire connaître les principes qui le régissent. Une telle information doit respecter des exigences de transparence et indiquer notamment les contraintes qui sont liées au prélèvement ovocytaire, afin que les donneuses s'engagent en connaissance de cause.

La situation du don d'ovocytes doit également être améliorée par l'arrêt de la congélation obligatoire des embryons, imposée par le décret de 1996. Il semble que les risques de contamination de l'ovocyte par des virus comme celui du VIH ou de l'hépatite soient extrêmement faibles. Aucun cas de séroconversion n'a été remarqué depuis l'entrée en vigueur du décret et, dans les pays de l'Union européenne qui ne pratiquent pas la congélation des embryons, aucun cas de contamination n'a été établi.

La délégation recommande, à la suite du Comité consultatif national d'éthique dans un avis rendu en 2001, une révision du décret de 1996, afin de donner aux femmes le choix entre un transfert d'embryons frais et un transfert d'embryons congelés.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Sylvie Desmarescaux, représentante de la délégation aux droits des femmes. Enfin, le projet de loi autorise, sous certaines conditions de délai, le transfert d'embryons post mortem. Cette question soulève des interrogations profondes et complexes, qui touchent au vécu le plus intime des femmes, à travers le deuil.

Il paraît humainement très difficile d'accepter que la femme dont le mari décède soit obligée de consentir à la destruction de ses embryons ou à leur accueil par un autre couple, et de la contraindre ainsi à vivre un double deuil. Toutefois, l'autorisation du transfert post mortem, telle qu'elle est prévue par l'actuel projet de loi, pose aussi des problèmes sérieux.

D'abord, l'enfant naîtra orphelin et occupera une position, sans doute difficile à vivre, d'enfant du deuil.

Ensuite, les femmes disposent, en raison des délais posés par la loi, d'une unique tentative de transfert. Or les risques d'échec sont importants et apparaissent, dans cette circonstance, particulièrement difficiles à accepter. Pour cette raison, l'issue du processus peut s'avérer extrêmement douloureuse.

Enfin, une telle autorisation soulève des questions concernant le droit de la filiation et de la succession, que l'actuel projet ne résout que partiellement. Faut-il vraiment modifier le code civil, texte qui concerne les structures fondamentales de la société, pour résoudre quelques cas particuliers, fort peu nombreux, comme l'a souligné notre rapporteur ?

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable - à titre personnel, je le précise - à l'autorisation du transfert d'embryons post mortem.

Toutefois, je n'ai pas souhaité en faire une recommandation pour ne pas engager la délégation sur une question aussi délicate et subjective, liée au vécu de chacun.

Si le transfert d'embryon était interdit, cette interdiction devrait être mentionnée explicitement aux couples dès le premier entretien, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre. Les couples doivent être pleinement conscients que le parcours devra être interrompu en cas de décès du père.

Tels sont les voeux formulés par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, après les exposés très complets et d'une haute tenue des ministres, du rapporteur de la commission des affaires sociales et de la représentante de la délégation aux droits des femmes, je me limiterai à quelques brèves observations afin de ne pas retarder davantage le moment où les orateurs des groupes pourront s'exprimer à leur tour.

Je crois tout d'abord, monsieur le ministre, que vous avez eu raison de poursuivre la discussion de ce projet de loi, déposé par le précédent gouvernement en juin 2001 et adopté par l'Assemblée nationale en janvier 2002, sous la précédente législature.

Déjà, les précédentes lois de bioéthique, vous le rappeliez, avaient été adoptées « à cheval » sur deux législatures, séparées par une alternance politique. C'est dire que le sujet, infiniment complexe, mais également éminemment intime, transcende nos clivages habituels.

Le vertige qui nous prend devant les transgressions qu'autorisent désormais les progrès de la science du vivant, ainsi que l'espoir que font naître, en chacun d'entre nous, les perspectives thérapeutiques que ces transgressions rendent possibles n'inclinent pas à prendre des positions radicales. De fait, l'opposition d'hier, en janvier 2002, n'ayant pas voulu rejeter un projet de loi dont elle n'approuvait pourtant pas toutes les options, s'est largement abstenue.

Il reste que le choix de poursuivre la discussion du présent projet de loi ne va pas sans quelques conséquences, dès lors que le Gouvernement et, dans une moindre mesure, notre commission ont naturellement été amenés à proposer un nombre substantiel d'amendements qui, parfois, bouleversent la structure du texte. Cela ne vous a pas facilité la tâche, mes chers collègues, je le sais.

Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir bien voulu, dès votre audition, le 12 décembre dernier, par notre commission, clairement indiquer quelles étaient les grandes orientations que vous aviez retenues et les initiatives que vous comptiez prendre dans la perspective de nos débats d'aujourd'hui.

Je pense, notamment, à la mise en place d'une Agence de biomédecine, à la définition solennelle d'un crime contre l'espèce humaine, qui vise l'eugénisme et le clonage reproductif, ou encore à la recherche d'un dispositif qui puisse être appliqué concernant la brevetabilité du corps humain.

Il n'est pas contestable que nous abordons un débat complexe. Ce ne doit pas être pour autant un débat de spécialistes. Aussi, je remercie Francis Giraud d'avoir voulu, très en amont, associer nos collègues à son travail de rapporteur, avant même que notre commission n'auditionne publiquement. Malgré ses titres et sa compétence plus que reconnue, il n'a jamais été « professoral » ; il a toujours su être pédagogique et concret, ce dont je le remercie.

En relisant les travaux parlementaires qui ont accompagné la préparation et l'examen du présent projet de loi, ceux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, ceux de la mission d'information et de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, je me suis livré à un bref calcul. En incluant nos propres travaux, j'ai constaté que le Parlement aura procédé à plus de deux cents auditions. Certaines personnalités parmi les plus éminentes ont été entendues jusqu'à quatre ou cinq fois !

Qu'elles soient remerciées d'avoir bien voulu apporter ainsi au Parlement leur science, leur expérience, leurs convictions, mais également, ne l'oublions pas, leurs doutes et leurs craintes.

Je retiens, pour ma part, de ces auditions et des débats que nous avons eus au sein de notre commission quelques convictions prudentes.

Je crois, tout d'abord, que nous devons rester circonspects face aux promesses de la médecine « régénératrice ». Ce serait probablement tromper nos concitoyens que de leur laisser croire que leurs proches pourront être guéris, sinon demain, du moins après-demain, et qu'il suffirait, pour ce faire, d'ouvrir largement les portes de la recherche, quel qu'en soit le « coût » éthique.

A l'évidence, le chemin est long, semé d'embûches, et il n'est pas exclu que les termes de nos dilemmes d'aujourd'hui puissent être périmés demain. Je pense, notamment, aux perspectives qu'ouvre la recherche sur les cellules souches adultes.

De fait, le droit des malades, que d'aucuns trouvaient insuffisamment pris en compte dans nos propositions, est d'abord le droit à la vérité.

Je crois, en outre, qu'il ne faut pas abuser de l'argument de la compétition internationale qui voudrait que l'on doive autoriser dans notre pays ce qui peut se faire à l'étranger.

Comme l'ont indiqué plusieurs de nos collègues en commission, nous ne pouvons pas nous laisser imposer les normes éthiques de nos voisins : l'éthique, c'est la liberté qu'on se fixe à soi-même et non pas celle que se fixent nos voisins !

En revanche, nous pouvons prétendre faire école et faire référence, comme nous l'avons fait en prenant l'initiative des lois de bioéthique en 1994. Nous devons oeuvrer sans relâche pour promouvoir, au niveau européen, bien entendu, mais également au niveau international, les principes auxquels nous sommes attachés.

Je crois enfin que le dispositif proposé par notre commission est équilibré et je ne pense pas que cet équilibre soit frileux.

Il est vrai que nous sommes revenus sur plusieurs dispositions du projet de loi. J'observe toutefois que, souvent, elles ne figuraient pas dans le texte initial du précédent gouvernement ; ce dernier avait fait preuve, à bien des égards, lui aussi, de prudence.

Cet équilibre résulte naturellement de la prise en considération de préoccupations contradictoires. C'est la définition même du travail législatif. Mais, dans le domaine de la bioéthique, les dilemmes que nous rencontrons posent des questions cruciales.

S'agissant du transfert d'embryon post mortem, doit-on privilégier le droit d'un parent d'avoir un enfant ou le droit de l'enfant d'avoir des parents ?

Comment pouvons-nous aussi résoudre la pénurie de greffons que connaît notre pays ? Il est prioritaire d'informer sans relâche sur les possibilités de don d'organes post mortem. Mais doit-on faciliter le recours au don entre vivants qui n'est jamais sans risques et sans conséquences ? Peut-on l'ouvrir de façon large et vague sans encourir le risque d'une dérive mercantile particulièrement odieuse ?

Peut-on prôner l'évaluation des nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation afin de limiter les risques pour le foetus et pour l'enfant mais tolérer, ce faisant, une atteinte caractérisée à l'interdiction de création d'embryons pour la recherche ?

Ou encore, peut-on accepter d'ouvrir une « fenêtre de recherche » sur les embryons qui existent aujourd'hui et qui ne font plus l'objet d'un projet parental ? Cette transgression, quand bien même elle serait strictement encadrée et limitée dans le temps, est-elle acceptable ? Que de questions !

Sur ces questions particulièrement difficiles, la commission des affaires sociales et son rapporteur ont beaucoup réfléchi, beaucoup consulté et beaucoup débattu. Les positions qu'elle a finalement retenues et que nous a exposées à l'instant M. Francis Giraud me paraissent raisonnables et prudentes, sans être frileuses. Elles rejoignent largement vos orientations, monsieur le ministre, et elles seront, je l'espère, complétées par les importantes initiatives que le Gouvernement a prises et que notre commission examinera demain.

Si nous n'avons pas retenu, comme cela avait été le cas en 1994, le principe d'une révision de la loi à l'issue d'une période de cinq ans, cela ne signifie pas pour autant que nous avons le sentiment d'établir un cadre législatif définitif. Nous avons la conviction, au contraire, que la loi, dès sa mise en application, devra faire l'objet d'un suivi particulièrement vigilant, et nous y prendrons part au travers, notamment, des parlementaires qui siégeront à la future agence de biomédecine. Nous pourrons ainsi corriger, sans attendre une quelconque échéance, les évolutions, voire les dérives qui sembleraient trahir l'esprit de nos délibérations.

Il nous faudra sans doute aussi revenir sur certaines des positions que nous aurons arrêtées pour tenir compte de l'évolution de nos connaissances et de l'évolution de notre société.

Notre devoir est d'être prudents, mais également d'avancer en faisant montre d'un esprit toujours ouvert sur notre monde et sur ses réalités. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 115 minutes ;

Groupe socialiste, 59 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 22 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue les efforts de notre rapporteur, Francis Giraud, qui a déployé une énergie considérable pour essayer d'encadrer dans une démarche éthique la formidable pression de toutes les voix qui réclamaient une évolution de la législation de 1994.

Nous avons été sensibles à la séduction des brillants exposés du ministre de la santé, qui a dominé ce sujet avec compétence et qui a fait preuve, à cette occasion, d'une rare capacité conceptuelle. Il a affiché une ambition humaniste communicative et laissé transparaître une forme de déchirement entre le chercheur, le médecin et l'homme devant la difficulté de trouver une position qui soit pleinement satisfaisante pour les trois simultanément.

Tous mes collègues doivent, sur des questions aussi personnelles et mettant en cause les ressorts les plus sensibles de la conscience de chacun, partager cette tension intérieure inhérente au sujet de ce projet de loi.

Car ceux qui trouveraient les propositions de notre rapporteur trop prudentes sont obligés de constater que les acquiescements du ministre ne peuvent être balayés d'un revers de main. Quant aux autres, bien moins nombreux certainement, qui trouveraient à l'inverse excessives les avancées proposées par M. le rapporteur, en dépit des justifications qui leurs sont données, ils ne peuvent que reconnaître que l'encadrement proposé, qui rejette des menaces bien plus graves, n'est tout de même pas insignifiant.

Le projet de loi semble donc bien équilibré. Et il l'est, d'une certaine manière, car on est embarrassé à l'idée de rejeter des mesures qu'on voudrait durcir devant l'émotion d'une opinion publique avide d'entendre les perspectives de guérison qu'offriraient les thérapies cellulaires. Aussi improbables soient-elles à court terme - et même à moyen terme - personne ne peut démontrer leur totale et définitive impossibilité.

Inversement, celui qui s'offusquerait des barrières mises à la recherche scientifique, impatiente de favoriser son développement en multipliant les embryons disponibles, est obligé de reconnaître que des risques de folles dérives doivent être pris en compte. Pourtant, je suis obligé de réfréner l'excès d'enthousiasme que suscite le projet tel qu'il a été préparé par le Gouvernement et examiné par la commission au regard d'un point essentiel que je voudrais clarifier maintenant.

Le statut de l'embryon reste au coeur du débat, contrairement à ce que le rapport semble suggérer parfois, car ce texte le complète. Ce statut est, en effet, constitué par l'ensemble des textes juridiques qui caractérisent la façon de traiter l'embryon. Ce projet de loi, en autorisant l'expérimentation sur l'embryon, ajoutera donc un volet à son statut. Ainsi que le dit d'ailleurs fort justement M. le rapporteur, l'enjeu « n'est pas tant le définir que de dire ce qu'on ne peut pas faire de lui ou sur lui ». Or décider de son sort, c'est très exactement définir son statut juridique.

On serait dans l'erreur si l'on pensait se tenir à l'écart d'un débat philosophique. Ne pas vouloir l'expliquer, ce n'est pas s'en affranchir. Comme il en était de M. Jourdain et de la prose, il y a une position philosophique derrière tout comportement. Qu'est-ce, d'ailleurs, que la bioéthique, sinon une attitude philosophique ? L'éthique est bien une partie de la philosophie !

La précision sémantique du Comité consultatif national d'éthique, parlant à propos de l'embryon de « personne humaine potentielle », ne modifie pas la réalité qui fait de lui un être humain ; ce que le même comité ne nie d'ailleurs pas, puisque le développement de cet embryon dans des conditions normales de gestation donne toujours un enfant.

La notion de personnalité différée évoquée dans le rapport reprend sous une autre expression cette distinction ancienne, mais toujours valable, du Comité consultatif national d'éthique. Contrairement à ce qu'on pourrait croire superficiellement, elle devrait non pas suspendre, mais au contraire renforcer la protection qu'il conviendrait d'accorder à l'embryon.

Qu'il me soit permis de dire un mot de cette distinction relative à la personne.

La qualité de personne humaine se caractérise par la responsabilité qui s'y attache. Une personne, c'est un être responsable, qui peut et qui doit répondre de ses actes. La constatation de l'absence totale ou partielle de cette responsabilité justifie la législation sur les incapables majeurs ou mineurs, et se traduit toujours par une protection accrue contre les tiers.

Ainsi, l'évocation de personnalité potentielle ou de personnalité différée devrait se traduire, en bonne logique humaniste et juridique, par une protection accrue, malgré les discours contraires.

J'avais déjà eu l'occasion d'évoquer cette question en 1994. Je le fais à nouveau sur ce point intangible : l'embryon est un être humain - nul ne le conteste -, une personne en gestation. Il deviendra réellement une personne à sa majorité, avec l'acquisition de sa pleine responsabilité, et il doit donc être traité, d'ici là, comme la personne qu'il sera un jour si on le laisse vivre. On doit le traiter avec d'autant plus d'égards qu'il ne peut pas se défendre comme est censé pouvoir le faire un adulte responsable.

La franchise de M. le rapporteur est sans détour lorsqu'il écrit : « Peut-on et doit-on fermer la porte à jamais à la recherche sans rien connaître de sa potentialité et de son innocuité ? »

C'est bien la question fondamentale de tout le domaine de la bioéthique ! Y aurait-il des droits de la science opposables aux droits de l'homme d'aujourd'hui au nom de l'homme de demain ? Je réponds clairement par la négative.

La loi de 1994, comme le projet de loi dont nous allons débattre, traduit un essai d'adaptation du contexte culturel et moral aux exigences de la recherche scientifique et de ses applications.

M. le rapporteur écrit que « les pressions économiques, sociales et culturelles sont disproportionnées par rapport aux barrières morales ». C'est bien là que réside le fondement de la nécessité de la législation en matière de bioéthique, mais aussi sa fragilité !

Notre éminent rapporteur énumère toutes les constructions juridiques déjà élaborées sur ce terrain et cite, notamment, l'article 18 de la convention d'Oviedo pour justifier son hostilité à la constitution d'embryons aux fins de recherche. Or, aux termes du premier paragraphe de ce même article, « lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon ».

En fait, tout le dispositif, qui se veut restrictif, de limitation de la recherche aux embryons surnuméraires sans perspective d'implantation utérine ne peut satisfaire à cette disposition de la convention d'Oviedo, puisque le prélèvement de cellules souches est, en réalité, destructeur de l'embryon.

On constate, à travers cet exemple, toute l'évolution en cours qui consiste, au fil des années, à enlever les barrières, limitant l'appétit de la recherche juste ce qu'il faut pour ne pas inquiéter outre mesure.

En 1994, la nécessité de prévoir une révision de la loi au bout de cinq ans s'imposait puisque l'obstacle majeur, qui était celui de l'expérimentation sur l'embryon, n'avait pas pu être franchi. La tentative pour le faire s'était traduite par un échec. Seule la recherche non destructrice sur l'embryon et dans son propre intérêt avait été acceptée.

Avec le texte proposé aujourd'hui, cette barrière tombe. L'expérimentation est autorisée sur une catégorie d'embryons que personne ne défendra, puisque la loi prend la précaution de spécifier qu'ils seront livrés par leurs propres parents. Leur congélation et leur statut d'embryon dit « surnuméraire » en faisait déjà une catégorie d'êtres humains à l'avenir aléatoire, égaux philosophiquement mais inégaux juridiquement.

Avec une prudence apparente, le texte précise encore que cette autorisation n'est que pour une période de cinq ans, toutefois éventuellement renouvalable, voire pérenne si la recherche a, d'ici là, prouvé sa fécondité. Inutile donc d'imaginer désormais une future révision de la loi de bioéthique, puisque la transgression majeure serait acquise avec l'expérimentation sur l'embryon.

La restriction de cette transgression à une catégorie particulière d'embryons ne pèsera d'aucun poids, car cette discrimination est purement contingente et n'est pas fondée ontologiquement.

Révélatrice est à cet égard, dans ce même texte, la compétence exclusive reconnue au ministre de la recherche pour l'importation et l'exportation à des fins de recherche scientifique de sang, de tissus et de cellules. Le ministre de la santé ne pourra que constater demain que les laboratoires travaillent sur des cellules souches embryonnaires en provenance de l'étranger à partir d'embryons constitués pour la recherche. Il ne restera plus qu'à organiser la même filière au niveau national, au nom de la pratique constatée.

Je récuse le raisonnement selon lequel les progrès de la médecine se seraient construits sur des transgressions, car il n'y a transgression qu'à propos d'un interdit moral légitime. Je ne connais donc pas d'autre transgression médicale que celles du serment d'Hippocrate avec la législation sur l'avortement, le diagnostic préimplantatoire et, à partir de demain, si nous ne réagissons pas, l'expérimentation destructrice sur les embryons. Personne ne peut prétendre que les progrès de la médecine résultent de ces transgressions !

Comme je l'avais déjà dit en 1994, le seul guide éthique en matière de recherche scientifique est fondé sur le principe très simple de ne pas faire à autrui ce que l'on n'accepterait pas pour soi-même ou, de manière positive, de chercher à lui faire autant de bien que l'on voudrait en recevoir soi-même. Et, dans cet autrui, il faut mettre l'embryon que nous avons tous été quelque temps.

Je ne peux aussi que répéter ce que je disais encore il y a neuf ans : l'approche cellulaire des biotechnologies, et singulièrement l'assistance médicale à la procréation, nous a ouvert le domaine de la fabrication de l'humain sans que nous prenions la mesure de toutes les conséquences de cette évolution. C'est « la médecine sans le corps », pour reprendre l'expression qui constitue le titre d'un récent ouvrage du professeur Didier Sicard.

Or la conséquence majeure de cette évolution est d'imposer l'exigence du « zéro défaut ». Nous ne nous en affranchirons pas ! C'est un esclavage que nous avons pu prendre pour une libération, mais seule la procréation naturelle est libératrice parce qu'elle n'impute aucune responsabilité de résultat aux parents ; l'intervention d'un tiers assistant dans le processus ne peut qu'imposer l'obligation de résultat, la satisfaction d'une norme de qualité. L'arrêt Perruche a constitué un signe explicite de ce dont je veux parler.

On continuera cependant à déployer des énergies considérables pour éviter les dérives eugéniques les plus intolérables, car cette perspective de notre évolution sociétale nous est à tous, dans cet hémicycle, insupportable. C'est un engrenage faustien implacable, qui trouble les plus lucides mais ne s'impose pas au grand nombre.

Nous continuerons non seulement à supporter, mais aussi à devoir organiser ce qui nous répugne. Il est vraisemblablement trop tard pour faire marche arrière collectivement à l'échelle internationale. L'histoire de notre législation nous démontrera, de plus en plus, cette progressive mithridatisation de notre médecine.

Notre santé mentale supportera-t-elle cette évolution ? Il est permis d'en douter lorsqu'on met en parallèle la sophistication des biotechnologies, les prouesses scientifiques qui s'y rapportent et la dégradation de la santé psychique dans les sociétés contemporaines.

Je n'ai pas, hélas ! le temps d'appronfondir ici ce débat, bien que je ne souhaite pas rester superficiel : j'imagine l'angoisse de ceux qui espèrent de la recherche scientifique la victoire sur la maladie et la souffrance. Mais il faut considérer l'ensemble de la scène de la dramatique humaine. Méfions-nous des contresens qui se soldent par une accumulation de nouvelles souffrances d'une autre nature et par un déplacement, voire une occultation des problèmes essentiels.

C'est donc avec un regard plus douloureux qu'accusateur que je considère la masse d'énergie consacrée à aplanir le chemin de l'humanité vers ce qui pourrait bien être une défaite plutôt qu'une victoire, ainsi que Guy Coq et Isabelle Richebé l'ont écrit il y a tout juste un an, dans leur ouvrage - Petits Pas vers la barbarie.

Dans cette marche de l'humanité, non sans avertissement consenti, la bioéthique n'est pas le seul domaine préoccupant. Il y en a bien d'autres, plus fondamentaux même si l'on retient comme critères les effets sociaux de masse. Je pense aux valeurs de civilisation en général et aux atteintes à la justice, à la liberté et à la paix.

Mais tout se tient, et puissent au moins les aventures scientifiques de l'humanité ne pas être falsifiées et présentées comme des progrès quand elles ne sont que des évolutions, sinon aveugles, du moins borgnes.

On juge l'arbre à ses fruits, et s'il est peut-être trop tard pour reculer compte tenu de la mondialisation de ces évolutions, il est trop tôt pour en mesurer et en connaître toutes les conséquences. Quel bilan global pouvons-nous faire en ce début de xxie siècle ? Qui peut l'établir ?

Que l'objection de conscience puisse en tout état de cause être toujours protégée, elle qui permet de ne pas faire comme tout le monde, car c'est une voie constante et propre à l'humanisme que celle de la résistance. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'Union centriste.) M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, mes chers collègues, en débattant de la révision des lois sur la bioéthique, nous abordons un sujet très sensible, qui touche directement à l'essence de l'homme, à la conception de la personne et à son devenir. Ces questions se posent à chacun individuellement, avec ses propres convictions morales, philosophiques ou spirituelles. Il n'y a donc pas de réponse simple, unique et partisane.

Pourtant, une responsabilité nous incombe à tous : la défense des valeurs essentielles qui fondent notre société, notamment de la principale d'entre elles : le respect de l'être humain, de son intégrité, de sa liberté et de sa dignité, alors même que jamais n'aura été posée avec autant de force la question de la responsabilité de la science, du scientifique, mais aussi du citoyen.

L'éthique de responsabilité universelle fait son irruption là où prévalait l'ancienne éthique de conviction.

L'un des hauts mérites du Comité consultatif national d'éthique, le CCNE, aura été d'avoir contribué à tracer les voies inédites d'une morale commune en ces nouveaux territoires d'humanité qu'a commencé d'ouvrir, non sans quelque précipitation, la recherche biomédicale. Car le pire peut suivre le meilleur comme son ombre, si du moins l'on ne s'entend pas expressément sur la sorte d'humanité que nous voulons continuer d'être.

« Agis de telle sorte que tu traites l'humanité dans ta personne et dans celle d'autrui comme une fin en soi et jamais comme un moyen », disait déjà Kant, définissant cette conduite comme un « impératif catégorique ».

Or l'être humain accède pour la première fois, grâce aux découvertes en génétique, en neurobiologie et en embryologie, à la connaissance de ses propres mécanismes vitaux.

Il s'est doté, au-delà de ses savoirs, du pouvoir de transformer les processus de développement du vivant de toutes les espèces, animales et végétales, y compris la sienne.

Passionnantes sur le plan intellectuel et capitales pour l'avenir de l'humanité, ces questions nouvelles ne doivent pas rester aux mains des seuls experts, encore moins d'une « expertocratie », mais devenir l'affaire de la société tout entière dans sa diversité. Or force est de constater que les citoyens sont les grands absents de ce débat, engagé déjà depuis plusieurs mois.

Certes, les questions sont complexes et appellent les contributions essentielles des chercheurs et des scientifiques dans la diversité de leurs activités et de leurs conceptions. Mais on ne peut en rester là.

Il nous faut contribuer à construire un processus continu et démocratique de négociation éthique auquel les protagonistes sociaux puissent participer à part entière.

Il ne s'agit pas là de limiter la liberté des chercheurs, mais de les impliquer de façon cohérente dans les choix de société. Permettez-moi de reprendre cette réflexion d'un philosophe allemand : « Depuis Hiroshima et Nuremberg, les scientifiques se retrouvent sans cesse davantage à la croisée des chemins, et nous tous avec eux. N'est-il pas temps de bien comprendre que science sans conscience n'est pas seulement ruine de l'âme, mais aussi ruine de la science ? »

Or l'une des caractéristiques de la science contemporaine est de repousser à plus tard le problème du sens de la science.

Pourtant, cette science contribue à modifier notre quotidien, amène des transformations économiques, sociales, politiques et historiques fondamentales.

Alors, s'il est essentiel de se demander si tout ce qu'il est techniquement possible de faire doit être fait, il est tout aussi nécessaire de se demander à qui poser la question, et qui peut y répondre.

Je considère que seul le débat citoyen peut permettre d'éffectuer des choix quant à telle ou telle application d'une découverte.

Pour que ce débat ait lieu, il faut l'alimenter. S'il ne suffit pas de savoir ce qu'est un gène pour avoir un avis, l'ignorer est un obstacle pour pouvoir se prononcer.

Il n'y a pas de recettes toutes faites, je le reconnais, mais plusieurs pistes pourraient être explorées.

D'abord, celle de l'école, dont le rôle est fondamental au niveau de l'enseignement des sciences, y compris pour ceux qui ne se destinent pas à des carrières scientifiques.

Faire de l'enseignement un lieu de l'éducation à la pensée scientifique et à l'esprit critique est en ce sens un véritable défi.

L'école dans son ensemble et l'université doivent s'ouvrir à plus de transversalité, d'interdisciplinarité. Il est tout aussi affligeant d'être un philosophe qui ignore la génétique qu'un biologiste qui ignore la philosophie. L'enseignement de l'éthique doit devenir partie intégrante des formations médicales et scientifiques.

Et que dire de la télévision, premier vecteur culturel de masse ? N'y a-t-il pas d'autres façons de traiter du clonage que sous l'aspect spectaculaire et médiatique, comme nous l'avons vu pendant la période des fêtes, au risque d'alimenter dangereusement des fantasmes et des peurs par définition irrationnels ? La télévision - et le service public en premier, je le regrette - a manqué à ses devoirs en contribuant, dans un premier temps, à banaliser l'inacceptable, même si elle a redressé le cap après quelques jours en ouvrant le débat.

M. Louis Souvet. C'est vrai !

M. Ivan Renar. S'interroger sur le sens de la science, c'est s'interroger sur le sens du monde, car on ne peut ignorer que les applications scientifiques existent non pas dans un contexte neutre, mais au contraire dans un contexte profondément marqué, en particulier, par la loi du marché, qui est « sans conscience ni miséricorde ».

C'est un débat essentiel au moment où le couple progrès-science tend à se briser, où un nombre sans cesse plus élevé de nos concitoyens s'interrogent pour savoir si la science sert encore ou non l'humanité.

Ainsi, les peurs du public en matière de manipulations génétiques sont justifiées et alertent sur le fait que c'est à la société dans toutes ses composantes de fixer à la recherche ses limites.

Le philosophe Lucien Sève nous met fortement en garde lorsqu'il dit : « De la façon dont va se régler cette question emblématique du clonage de l'embryon, comme celle aussi de la brevetisation de nos gènes, beaucoup va dépendre quant à l'avenir de la démocratie au sens le plus fort du mot. »

La recherche sur l'embryon permet, certes, de comprendre les mécanismes biologiques qui président à cette étape de la vie et de travailler, là aussi, sur la prévention médicale. Mais la frontière est étroite entre clonage thérapeutique et clonage reproductif.

Faut-il prendre le risque de permettre le financement de recherches à des fins thérapeutiques qui pourraient dériver vers le clonage reproductif ?

Faut-il que notre pays s'engage dans ce qui pourrait être un engrenage dont on ne maîtriserait ni la portée ni les dérives ?

Le clonage reproductif est un véritable crime contre le genre humain, car l'instrumentalisation de l'être humain revient, en définitive, à faire disparaître l'humain. Il faut le combattre avec la plus grande fermeté. Cela mériterait même une réforme de la Constitution.

La levée de l'interdiction du clonage thérapeutique soulève par conséquent des questions éthiques majeures, d'autant plus difficiles à aborder sereinement qu'elles mettent en cause le droit inaliénable à la connaissance, plus particulièrement celui de la continuité des recherches pour guérir et sauver des vies humaines.

On mesure donc encore mieux que les inquiétudes peuvent se faire jour dans un contexte de mercantilisation des objectifs de recherche en l'absence de maîtrise citoyenne des enjeux.

En ce qui nous concerne, nous considérons, d'une manière générale, que la personne et l'humanité doivent toujours être traitées comme des fins en soi, jamais comme de simples moyens.

L'une des exigences éthiques les plus fondamentales est de n'entreprendre aucune recherche ni aucun traitement sans le consentement libre et éclairé de ceux qui s'y prêtent. D'où, par exemple, notre refus de principe de toute rémunération du volontaire sain, laquelle représente une pression manifeste sur son libre choix, et notre préférence systématique pour l'expérimentation non pas sur l'être humain pris comme objet, mais avec lui institué en partenaire.

Il faut se féliciter de tous les approfondissements apportés sur cette question fondamentale par le Comité consultatif national d'éthique dans son rapport de 1998 sur le consentement éclairé. La pire atteinte à la dignité de l'homme est en effet de le traiter comme une chose.

On ne félicitera jamais assez le comité d'éthique pour l'intransigeance et le courage qu'il a montrés sur ces questions en s'opposant à ce que le sang soit assimilé à un médicament, donc à une marchandise, ou que le génome humain soit considéré comme brevetable.

C'est d'autant plus louable que les pressions de l'économie pèsent lourd. L'entrelacement de l'industrie et de la recherche fondamentale ou appliquée est aujourd'hui devenu si serré que la liberté de la recherche est menacée.

« Nul ne sait ce que peut un corps », disait Spinoza dans l'Ethique. L'économiste, lui, le sait. Il sait que le corps peut devenir une pure marchandise.

Les brevets sont l'objet de guerres économiques sans pitié dans lesquelles ne s'applique aucune éthique, pas même une simplé déontologie commerciale. D'où l'importance du renforcement du service public de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée qui préserve des protocoles de recherche respectueux de la dignité humaine telle qu'elle est définie dans le code civil.

Une conception étroitement utilitariste de la recherche hypothéquerait les éventuelles découvertes futures. Les découvertes ne se programment pas !

Les décideurs, tant ceux du secteur public que ceux du secteur privé doivent évaluer de plus en plus précisément l'impact potentiel de ce nouveau pouvoir sur la vie humaine et son environnement.

La grande majorité du monde de la recherche scientifique considère désormais que la réflexion éthique fait partie intégrante du développement de ce domaine. Pour ce faire, l'interdisciplinarité entre les recherches en sciences lourdes et les recherches en sciences sociales apparaît tout à fait essentielle.

Mes chers collègues, les progrès spectaculaires de la biologie, de la génétique constituent une formidable avancée de civilisation. En même temps, que de questions en suspens, que de craintes !

Comment, dès lors, ne pas regretter l'absence d'un véritable débat national à ce sujet, aussi justes que soient les décisions que nous pourrions prendre ici.

Donner à chacun, à chaque citoyen, les éléments de connaissance et lui permettre d'accéder à des espaces de décision est une de nos responsabilités.

Si la personne en tant que valeur obligeant au respect n'est bien entendu pas un fait de nature, elle ne se réduit pas pour autant à une fiction juridique ou à une abstraction philosophique. C'est une authentique réalité, mais historico-sociale et non pas neuro-biologique.

Sa genèse est toute une histoire, celle de la très longue et conflictuelle formation d'un ordre de la personne, immense ensemble de rapports, d'institutions, d'affects et de représentations, où l'être humain est considéré comme une valeur en soi, et qui va du respect des morts au don d'organes en passant par les droits de l'homme.

Il s'agit d'un ordre nominatif structuré par le droit, animé par l'éthique, sublimé par la philosophie et la théologie, mais avant tout produit et prorogé par ce grand oublié de la littérature et des débats bioéthiques : les pratiques sociales civilisantes dont un exemple majeur dans la France de la Libération, celle du général de Gaulle, est l'invention populaire, sur l'initiative de grands médecins humanistes, relayée par des centaines de milliers de citoyens, du don gratuit du sang, lequel était vendu avant la guerre. La gratuité, le bénévolat et l'anonymat sont des règles fondamentales.

Cela étant, notre débat s'inscrit au sein d'un débat plus vaste, qui concerne le sens donné à la recherche, la place de la science dans la société, les applications scientifiques et les développements technologiques.

Nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut réinventer la démocratie. C'est un problème mondial. La tâche est immense. Les philosophes des Lumières nous ont montré le chemin. Ils ont inventé la démocratie parlementaire, l'équilibre des pouvoirs, qui n'avait jamais existé et qu'ils n'ont pas connu. Les principes montrent aujourd'hui leur validité et aussi leurs limites.

A la différence des débats de l'époque, notre responsabilité est irréversible. Serions-nous Sisyphe ? Peut-être... Mais le poète René Char ne disait-il pas « c'est dans l'obscurité qu'il fait bon de croire à la lumière ? »

Pour ce qui concerne la suite du débat sur ce texte, les sénateurs communistes se prononceront en fondant leur ligne de conduite sur ce principe clair et fondamental : le corps humain ne peut être commercialisé et le vivant ne peut être breveté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.

M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, les progrès considérables réalisés dans les sciences de la vie sont porteurs de grands espoirs.

Nous avons accompli de grands progrès concernant la connaissance des cellules, leur développement et le phénomène de différenciation. Nous avons obtenu de grandes victoires contre de nombreuses causes de stérilité. Nous avons aussi fait de grandes découvertes liées à l'utilisation de cellules souches. Celles-ci permettent de guérir les maladies dues à des déficiences immunitaires, ce qui laisse entrevoir un domaine potentiel porteur de grands espoirs dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Or, lorsque ces espoirs sont possibles, les scientifiques sont soumis à de grandes tentations.

Comme l'affirmait Claude Lévi-Strauss : « Chaque progrès donne un nouvel espoir, suspendu à la solution d'une nouvelle difficulté, et le dossier n'est jamais clos. »

Les possibilités qui s'ouvrent donc en médecine lancent des défis de plus en plus grands à l'éthique et à la politique.

Que les choses soient claires. Il ne s'agit aucunement de brider la recherche scientifique et tout progrès en thérapie génétique et cellulaire. Le rôle du Parlement est, au contraire, d'organiser les conditions dans lesquelles cette recherche pourra s'exercer librement.

Le préalable réside dans la fixation d'un certain nombre de valeurs morales dont la principale est le caractère intangible de la dignité de l'être humain. Je crois que ce principe doit demeurer dans l'esprit de chacun à chaque instant de ce débat.

L'humanité est le fruit du hasard. Elle doit le demeurer, sauf à violer la nature et à limiter la liberté des êtres humains.

Notre vision de l'humanité ne serait-elle pas modifiée si notre société banalisait le recours à la manipulation de nos dispositions génétiques ou intellectuelles et à la possibilité d'une reproduction asexuée de l'espèce ?

L'homme mène sa propre vie et est, en conséquence, responsable de ses actes. Si l'on manipule le génome humain, pourra-t-on encore considérer que nous sommes les auteurs de nos propres actes, les auteurs de notre vie ?

Bien évidemment, si cette manipulation a pour but de sauver une vie ou de pallier une maladie grave, elle semble justifiable sur le plan éthique, car, on peut penser que l'être humain sur lequel elle est pratiquée ne pourrait qu'y consentir. Il demeure, dans cette hypothèse, auteur de sa propre vie : il ne subit pas une vie que l'on a déterminée pour lui.

Toutefois, ne risque-t-on pas d'entrouvrir la porte à une forme d'eugénisme ?

Aujourd'hui, nous devons apporter des réponses à bien des questions.

La première a trait au regard que notre société porte sur l'homme. Notre société a su évoluer et porte aujourd'hui un regard humaniste sur l'homme et son devenir.

Si nous souhaitons conserver ce regard et ne pas instrumentaliser l'être humain, il est du devoir de la société et de ses représentants d'être vigilants à l'égard du dépassement possible des limites éthiques par certaines pratiques médicales.

Il convient de poser des règles claires s'agissant du cadre dans lequel les scientifiques peuvent exercer leurs compétences.

Il est aussi de notre devoir de nous entourer de garanties législatives et réglementaires pour préciser clairement les frontières à ne pas dépasser et pour donner les moyens de l'interdiction, donc de fixer la gamme des sanctions à l'encontre de ceux qui transgressent la loi.

C'est dans ce contexte que le Sénat est saisi de la révision des lois de bioéthique de 1994 et doit faire un certain nombre de choix sur des sujets graves tels que le diagnostic préimplantatoire, l'assistance médicale à la procréation, le don d'organes, la recherche sur l'embryon et le clonage.

La première valeur morale que nous devons défendre est celle de la gratuité du don des éléments du corps humain.

Celle-ci, affirmée en 1994, est confirmée dans le présent projet de loi. Pour autant, elle ne peut être totalement déconnectée de la nécessité de trouver une réponse à la question du manque de greffons en France. Cette réalité exige des initiatives fortes du Gouvernement pour faire évoluer les mentalités.

La réponse contenue dans le projet de loi, qui vise à favoriser les prélèvements sur des personnes vivantes volontaires en élargissant le cercle des donneurs, n'est pas totalement satisfaisante.

Je partage davantage les orientations de la commission des affaires sociales en faveur du don post mortem, notamment par une politique d'information plus active sur la finalité du don d'organe après le décès. De même, il me semble que nous devons mener une politique plus effective du régime du consentement présumé, qui, dans les faits, est souvent mis de côté.

Quant à la question de la brevetabilité du vivant, le débat introduit à l'Assemblée nationale par le nouvel article 12 bis du projet de loi demeure entier.

Le développement de la mondialisation et de la concurrence fait apparaître que la propriété intellectuelle est devenue, dans quasiment tous les domaines, l'un des enjeux majeurs de la nouvelle économie. Le brevet est effectivement adapté à l'économie de l'innovation ; il la protège tout en permettant de la confronter à la concurrence et crée des droits transférables.

Depuis le 1er janvier 1996, les Etats membres de l'Union européenne sont censés se conformer aux accords internationaux prévoyant sans aucune réserve la brevetabilité du vivant. La directive européenne de 1998 reprend cette règle.

Or l'appropriation croissante du vivant par le moyen du brevet, d'une part, menace de façon générale la recherche et, d'autre part, pose des problèmes éthiques dans le domaine de l'humain.

La principale question qui se pose est de savoir s'il faut accepter le développement d'un mécanisme qui risque d'aboutir tôt ou tard à une « marchandisation », qui peut être totale, du corps humain. Ce serait évidemment en contradiction totale avec le principe selon lequel le corps humain ne peut faire l'objet d'aucun commerce. La réponse ne peut être que négative, et c'est l'objet de l'article 12 bis. Cependant, celui-ci est en contradiction avec la directive européenne de 1998.

Le dispositif que vous nous proposez, monsieur le ministre, nous paraît répondre à cette préoccupation en interdisant la brevetabilité des inventions qui seraient contraires à la dignité humaine et en encadrant strictement celle des autres inventions, afin que la recherche ne soit pas freinée par des brevets trop peu précis, sans application concrète. Ainsi sera-t-il toujours possible d'effectuer des recherches et de breveter des découvertes portant sur une même séquence génique si la mise au point d'une nouvelle application technique est concrètement différente de la première.

La seconde valeur morale est le respect de l'enfant à naître.

Je souhaiterais m'exprimer en premier lieu sur le diagnostic préimplantatoire - le DPI - et sur son extension, admise par le présent projet de loi.

Il faut d'abord rappeler que le DPI consiste à effectuer un tri génétique entre les embryons. Il soulève donc des questions au regard des risques de dérives eugéniques qu'il peut susciter.

Ainsi que le Comité consultatif national d'éthique l'a indiqué dans un avis en date du mois de juillet 2002, si l'extension des indications génétiques du DPI pour l'enfant lui-même ne pose pas de problème juridique ou éthique en soi, elle soulève des questions juridiques et éthiques majeures lorsqu'elle concerne l'intérêt d'un tiers, fût-ce pour le sauver.

C'est le problème du « bébé médicament », c'est-à-dire de l'enfant que l'on fait naître pour prélever sur lui des cellules ou des tissus susceptibles de sauver un aîné atteint d'une maladie grave nécessitant ce don.

Dans cette dernière hypothèse, on pourrait renoncer à implanter un embryon sain en raison d'une incompatibilité tissulaire avec l'éventuel receveur atteint de la maladie que l'on souhaite éviter. La question, vous le voyez, est éthiquement fort complexe.

N'y a-t-il pas alors contradiction avec le principe selon lequel l'enfant doit venir au monde d'abord pour lui-même ?

Face à la détresse d'une famille, le CCNE ne veut pas opposer un refus absolu, mais il exige une prise de conscience de la problématique par la famille, qui doit bien maîtriser les conséquences d'une telle décision. Le désir de guérir un enfant ne pourrait arriver qu'en seconde position après la recherche d'un enfant indemne d'une affection génétique rare qui le menace.

Les auditions auxquelles a procédé la commission des affaires sociales du Sénat nous ont révélé que les parents qui effectuaient de telles démarches étaient relativement rares et qu'ils faisaient preuve d'un grand sens des responsabilités. Quant aux professionnels qui pratiquent ces techniques, ils ont le souci d'entourer médicalement mais aussi psychologiquement et moralement, ces familles. Ce constat est rassurant.

En tout état de cause, il doit être réaffirmé que le DPI ne doit pas être étendu au diagnostic de maladies moins graves que celles qui sont déjà concernées ou qu'il ne peut être utilisé dans la perspective d'une médecine de réparation.

Il doit demeurer une technique extrêmement encadrée en raison de ses conséquences qui nous placent dans des situations d'interrogations extrêmement douloureuses.

Quant au débat sur l'assistance médicale à la procréation, plusieurs questions sont posées.

Il semble, en premier lieu, que certaines pratiques exigent un encadrement un peu plus scrupuleux que ce qui existe actuellement. Le professionnalisme et le dévouement des équipes travaillant dans ce domaine sont admirables. Pour autant, les rapports évaluant, par exemple, les pratiques de stimulation ovarienne démontrent bien que ces techniques ont des effets significatifs sur les femmes concernées, entraînant notamment douleurs abdominales, troubles biologiques, prise de poids, etc.

Je ne peux donc qu'approuver le choix de la commission de renvoyer l'encadrement de ces pratiques aux recommandations de bonnes pratiques homologuées par le ministre de la santé.

S'agissant des conditions d'accès à ces pratiques, le maintien d'une condition de vie commune de deux ans pour les couples non mariés souhaitant avoir recours à une technique d'AMP me paraît être à même de prouver que les embryons qui vont être conçus et congelés font l'objet d'un projet parental solide.

Quant au débat sur l'opportunité d'interdire ou non le transfert post mortem d'embryons, il fait partie de ces questions complexes, sans vérité établie, qui relèvent d'un choix éthique que le législateur doit trancher sans ambiguïté.

Il faut tout d'abord noter que la question ne se pose qu'en cas de décès du père puisque le décès de la mère n'ouvrant aucun choix au père, le recours aux mères porteuses est interdit en France.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais pas ailleurs !

M. Jean-Louis Lorrain. Le CCNE, qui a eu l'occasion d'examiner cette question, a semblé considérer, malgré ses réticences, que la mère était cependant la mieux à même de décider quel devait être le sort de cet embryon. Il semble légitime que la mère en deuil puisse souhaiter porter l'enfant de l'homme qu'elle aimait et avec qui elle avait conçu un projet parental. Ce père biologique avait bel et bien souhaité avoir cet enfant avant son décès.

Le regard que porte notre société sur la mort a évolué avec le temps. Si nos ancêtres côtoyaient la mort quotidiennement, elle nous est devenue insupportable aujourd'hui. La tentation est donc grande, puisque l'occasion nous en est donnée, de transgresser cette donnée.

Pour autant, ainsi que notre rapporteur l'a affirmé, il ne me semble pas possible de contourner cette réalité que constitue le décès d'un homme, le décès d'un père. Le transfert post mortem d'un embryon n'apparaît donc pas envisageable. Il me semble difficile de permettre la naissance d'un enfant orphelin.

Quant à la délicate question que soulève la pratique de l'ICSI - ce mode de fécondation spécifique de l'ovocyte - elle n'avait pas été prévue en 1994. Les doutes qu'elle a fait naître imposent de s'interroger sur l'évaluation nécessaire des nouvelles techniques d'aide médicalisée à la procréation.

Or la réponse de l'Assemblée nationale n'apparaît pas satisfaisante. Elle autorise implicitement la création et la destruction d'embryons à fins d'évaluation. L'embryon, matière première d'expérience scientifique, est ainsi rabaissé au rang d'objet, ce qui n'est pas acceptable.

J'en viens tout naturellement au débat sur la recherche et le clonage des embryons.

La troisième valeur morale que nous devons défendre est celle du respect de la dignité humaine.

S'agissant du clonage humain, qui a été l'objet d'une actualité sordide au tout début de cette nouvelle année, un véritable débat doit s'instaurer.

Concrètement, il s'agit de mettre dans le cytoplasme d'un ovocyte le noyau d'une cellule adulte afin d'obtenir un groupe de cellules. La technique est la même pour le clonage reproductif - l'amas de cellules obtenus serait implanté dans un utérus maternel - que pour le clonage thérapeutique, ces cellules servant alors à réaliser des greffes sans risque de rejet sur un patient qu'on pourrait ainsi guérir de maladies actuellement mortelles.

A l'heure actuelle, en pratique, ces techniques sont imparfaitement maîtrisées. De nombreux désordres génétiques sont constatés à l'occasion de l'expérimentation sur l'animal, et elles sont donc non recommandables actuellement chez l'homme. La coopération entre cellules dans un organisme en formation protège contre les erreurs ponctuelles qui surviennent fréquemment dans les mécanismes de la division cellulaire. Dans le clonage, la cellule somatique isolée risque de transmettre plus facilement des erreurs génétiques graves.

De plus, ces techniques supposent le recueil d'une très grande quantité d'ovocytes chez de jeunes donneuses, ce qui implique un certain nombre de dangers et de souffrances. On peut aussi craindre qu'elles ne suscitent un trafic international au détriment des populations les plus pauvres, trafic qui doit être condamné et réprimé.

Plaçons-nous maintenant sur le plan éthique.

Si le clonage reproductif humain fait l'objet d'une désapprobation quasi unanime dans le monde, c'est que ce mode de reproduction asexuée porterait atteinte à la part d'indétermination qui fonde la liberté de chaque être humain. Il ne s'agit plus seulement d'une question qui peut être tranchée sur la base des droits de l'homme ; il s'agit de savoir quelle vision notre société porte sur l'homme. Irrévocablement aliéné dès sa naissance à celui dont ses cellules sont issues, l'être humain cloné aurait-il une existence propre ?

Il nous semble, par conséquent, que cette instrumentalisation d'une personne à part entière, déterminée génétiquement dès sa naissance par le choix de ses créateurs, porte atteinte à sa dignité et à l'humanité tout entière.

Notre groupe ne peut donc qu'approuver la décision ferme et définitive d'interdire purement et simplement le clonage reproductif.

Toutefois, il ne faut pas ignorer que seul un interdit mondial, avec des moyens pour le faire respecter, pourra nous prémunir totalement contre tout clonage reproductif. Je tenais d'ailleurs à signaler la position ambiguë de la France, qui n'a pas signé le protocole additionnel à la convention d'Oviedo condamnant expressément le clonage reproductif.

Je souligne à cette occasion mon regret que la France se montre aussi discrète dans le débat bioéthique international, alors qu'elle a su, dès 1994, se doter de lois importantes, reflet des valeurs fondamentales que défend notre société.

Votre proposition, monsieur le ministre, de donner au clonage humain le caractère de crime contre l'espèce humaine, à mi-chemin entre le crime contre l'humanité et le crime contre les personnes, est de nature à traduire un changement d'attitude très ferme dont nous ne pouvons que nous féliciter.

La question du clonage thérapeutique semble plus complexe. Plusieurs éléments doivent nous guider dans notre décision.

Tout d'abord, concrètement, la technique du clonage thérapeutique est la même que celle du clonage reproductif ; seule la finalité change. Elle consiste à créer des embryons humains utilisés, dans un premier temps, à des fins de recherche et, dans un second temps, comme matériel biologique pour une médecine nouvelle. Elle conduit, elle aussi, à une instrumentalisation de l'embryon humain.

De plus, il existe des alternatives de recherche au clonage thérapeutique. Aujourd'hui, on commence à savoir isoler les cellules souches adultes à partir de différents tissus : sang, peau, muscles. Elles manifestent des potentialités de différenciation très intéressantes, donc de thérapies cellulaires prometteuses.

Les recherches sur l'animal ne sont pas non plus épuisées, et elles peuvent encore nous faire progresser pour mieux connaître les mécanismes fondamentaux de la reprogrammation associée au clonage.

Il apparaît donc sage, aujourd'hui, d'interdire expressément le clonage à visée thérapeutique, et notre groupe se félicite de l'initiative prise par Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales, de proposer une telle disposition. Ce choix est celui de la responsabilité et de la prudence.

En forme de clin d'oeil, j'ajouterai ceci : au Sénat, on sait aussi lire Jürgen Habermas !

Bien évidemment, ce débat est indissociable de celui qui traite de la recherche sur l'embryon humain. A partir du moment où le clonage humain est interdit, la création par le clonage de matériel humain nécessaire à la recherche est interdite. Cette règle vient confirmer le principe posé dès 1994 selon lequel la création d'embryon à des fins de recherche n'est pas autorisée.

Qu'en est-il alors de la recherche sur l'embryon humain ?

En 1994, la loi s'est fondée sur l'idée que toute recherche sur l'embryon était interdite, mais que certaines études ne nuisant pas à son intégrité et à son développement pouvaient être autorisées. Cette situation était peu satisfaisante, car trop ambiguë. Elle était le résultat d'une question qui n'avait pas reçu de réponse législative : la définition du statut de l'embryon.

Ce débat qui mêle morale, philosophie, religion n'est pas davantage tranché aujourd'hui. Mais est-ce souhaitable ? A tout le moins avons-nous la responsabilité de définir le sort de ces embryons, à défaut de leur statut.

A l'heure actuelle, deux solutions sont envisageables : soit nous excluons toute recherche sur l'embryon, comme certains de nos collègues le proposent, parce qu'il s'agit d'une personne en pleine humanité, soit nous l'autorisons dans un cadre strict, pour une finalité justifiable.

M. Axel Kahn, entendu par notre commission - et je tiens à saluer la qualité de son témoignage - a exposé ses doutes sur la question. Il a notamment estimé qu'il serait singulier de considérer l'âge embryonnaire comme le seul âge de la vie humaine sur lequel nous ne pourrions pas mener de recherches.

Cependant, je m'inscris dans la même logique que notre rapporteur : par principe, la recherche sur l'embryon doit être interdite.

Toutefois, faut-il exclure totalement la recherche sur l'embryon, qui présente un vrai potentiel de découvertes fondamentales ? En a-t-on éthiquement le droit ? D'autant que ces recherches suscitent beaucoup d'espoir chez les familles des malades.

La réponse proposée en 1994 d'autoriser la recherche sur les embryons surnuméraires issus de couples ayant renoncé à tout projet parental, c'est-à-dire ne souhaitant pas que l'embryon soit implanté dans l'utérus maternel, est-elle parfaitement satisfaisante ?

La création de ces embryons surnuméraires a pour objet, initialement, de faire un enfant. Cela dit, avec les techniques d'assistance médicale à la procréation, seul 25 % environ des embryons conçus donneront un enfant. L'utilisation d'un tel embryon, voué à ne pas devenir un bébé et sur lequel on prélèverait des cellules dans un but de recherche, est-elle pour autant moralement et scientifiquement justifiable ?

Tout d'abord, il me paraît extrêmement dangereux de laisser croire que nous considérons qu'il existerait différentes catégories d'embryons, les embryons surnuméraires étant une catégorie à part, dont on pourrait disposer sous certaines conditions, alors même que la société n'a pas défini le début de la vie.

Ensuite, il faut se demander s'il n'existe pas d'autres possibilités. Peut-on espérer obtenir des résultats thérapeutiques plus intéressants qu'avec des cellules souches adultes qui ne posent aucun problème éthique, car elles reposent sur le don, ou des cellules embryonnaires d'origine animale, ainsi que je l'ai exposé précédemment ?

De même, le développement rapide de nanotechnologies est porteur de nombreux espoirs. Ces dispositifs relevant de l'infiniment petit ne sont pas du matériel vivant et ne posent aucune difficulté d'ordre éthique.

Selon les scientifiques, des voies très intéressantes sont encore à développer dans ces différents domaines, qui nécessitent que l'on poursuive les recherches.

Lors des auditions, il nous a été exposé qu'il ne fallait pas croire que l'avenir de la médecine dépendait uniquement de la recherche embryonnaire. Aussi, je considère que nous devrions être prudents face à des promesses de découvertes finalement aléatoires et certainement encore très éloignées dans le temps.

Toutefois, M. le rapporteur propose d'accorder une dérogation transitoire et strictement encadrée au titre de l'expérimentation sur les embryons surnuméraires voués à la destruction après l'abandon du projet parental, afin d'évaluer l'intérêt que présentent des recherches sur les cellules embryonnaires humaines, qui pourraient entraîner des progrès décisifs dans le traitement des maladies graves pour lesquelles l'arsenal thérapeutique actuel est impuissant.

Cette proposition me paraît acceptable, car elle est de nature à nous permettre, au terme des cinq ans de la période transitoire, d'être mieux éclairés sur les progrès que l'on peut escompter de telles recherches.

Pour autant, je souligne l'importance du contrôle des protocoles des recherches, dont sera chargée l'agence de biomédecine que vous proposez de créer, monsieur le ministre. Toute expérience qui tendrait à développer des embryons vers un stade plus proche de la viabilité serait moralement inacceptable et devra être interdite. Il faudra y veiller.

Enfin, je tiens à souligner la grande qualité des travaux de la commission des affaires sociales sur ce projet de loi, et à féliciter son rapporteur, qui a réalisé un travail remarquable, permettant d'éclairer les travaux de la Haute Assemblée sur ces sujets complexes.

De même, monsieur le ministre, vous avez fait preuve d'un investissement personnel dans ce texte, ce qui prouve l'importance de ces questions. Nous nous en félicitons, car ce sujet ne peut être traité à la va-vite, nous l'avons constaté, et il mérite notre plus grande attention.

Sur l'ensemble du texte, les propositions de la commission des affaires sociales rejoignent celles du Gouvernement. Nous partageons le même respect envers la dignité de l'humanité. Le groupe de l'UMP votera donc le projet de loi tel qu'il sera modifié par les amendements proposés par le rapporteur et par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre d'un projet de loi relatif à la bioéthique, qui touche à des principes aussi fondamentaux, est pour chacun d'entre nous l'occasion de regarder son humanité comme dans un miroir et de faire son examen de conscience.

Pour moi qui ne suis ni médecin ni biologiste, nombre des principes et des notions qui sont aujourd'hui abordés semblent complexes. A cet égard, je souhaite remercier M. le ministre et M. le rapporteur d'avoir utilisé des mots de tous les jours pour en parler. C'est important, car ces questions méritent d'être comprises par l'ensemble de nos concitoyens.

Je suis émerveillé devant ce que nous sommes capables de faire en matière de recherche. De nombreux progrès ont été réalisés dans le domaine de la bioéthique, ne serait-ce que depuis les textes de 1994, puisque les sujets que nous abordons aujourd'hui sont bien différents de ceux qui faisaient alors l'actualité. Cela montre la capacité de l'esprit humain à progresser. Je félicite et je remercie les scientifiques de tout le travail qu'ils ont effectué.

D'autres pensées me viennent à l'esprit : ne laisse-t-on pas les malades espérer plus que ce qu'on peut leur apporter ? Aucune thérapie n'étant efficace à l'heure actuelle, ils attendent qu'une solution, voire une amorce de solution, soit trouvée à leur maladie. Ces promesses, dont nul ne sait si elles pourront être tenues ! Ne sont-elles pas trop médiatisées ? Beaucoup de femmes et d'hommes malades de par le monde risquent d'être cruellement déçus.

Tout cela ne cache-t-il pas des enjeux financiers et commerciaux ? Les pressions extérieures sont nombreuses ! N'oublions pas que, dans le domaine de la recherche, nous ne sommes pas seuls : certes, l'action des scientifiques et celle du législateur en France sont importantes, mais de nombreuses autres initiatives existent dans le monde. Nous devons donc aborder ces questions avec humilité.

Que le tribunal administratif de Paris, dans un jugement rendu public hier, autorise l'importation de cellules souches embryonnaires avant même que nous en ayons autorisé l'utilisation doit également nous inciter à faire preuve d'une certaine modestie.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit, dans votre brillante intervention, que le droit devait trouver sa place aux côtés de la recherche, de la science et de la philosophie. En tant que juriste, je suis heureux qu'un chercheur - même s'il est aussi ministre de la santé - reconnaisse l'utilité des juristes dans un tel domaine.

Le droit n'existe pas en soi : c'est en prenant en compte un certain nombre de rapports dans la société que l'on crée le droit.

Aujourd'hui, il nous revient de prendre des mesures tendant à encadrer ce qu'il y a probablement de plus fragile, à savoir la vie. Je partage une pensée de Paul Ricoeur, déjà ancienne : « L'objet de la responsabilité, c'est le fragile, parce qu'il est confié à notre garde, à notre soin. » On retrouve dans un texte comme celui que nous discutons le fondement même de la responsabilité politique.

Quel type de société souhaitons-nous pour nous et nos enfants ? Le présent projet de loi nous conduit à le dire.

C'est avec beaucoup d'humilité que je voudrais aborder deux ou trois points et poser quelques questions.

J'espère que la qualité du débat qui aura lieu au sein de notre Haute Assemblée nous permettra de progresser et d'aboutir à une solution qui, tout naturellement, sera dépassée demain.

Tout d'abord, le progrès lui-même ne peut revêtir un aspect moral. Mais il doit être encadré, orienté, afin que soient respectés les principes qui fondent notre société.

Sur nombre de points, je partage les propos qui ont été tenus à propos du clonage. Cette question ne devrait pas faire l'objet de longues discussions.

Ce qui fait l'originalité de l'homme, sa singularité, c'est l'absence de toute programmation. C'est ce qui le distingue du reste de la création.

L'embryon humain peut-il être utilisé à des fins de recherche ? C'est l'un des points essentiels de ce texte et il suscite beaucoup d'interrogations. A l'évidence, l'homme est un objet de recherche pour la médecine. Sinon, nous n'en serions pas là. Il n'y a pas de raison d'écarter, à quelque stade de la vie que ce soit, l'homme de la recherche médicale. Cela ne soulève aucun problème.

La question qui nous est posée aujourd'hui est celle de l'espoir que fait naître la thérapie cellulaire. Cet espoir est d'autant plus grand que personne ne peut mesurer les progrès susceptibles d'être accomplis. Nul ne sait véritablement si les recherches déboucheront sur un résultat tangible et utilisable. On peut même dire, comme le rappelait dans un quotidien de ce matin le professeur Testard, que tout ce qui a été fait ces dernières années est plutôt décevant. Il faudrait le dire haut et fort, afin que nos concitoyens malades n'attendent pas de miracles en ce domaine. Le professeur Testard faisait également observer que, depuis une douzaine d'années, les chercheurs anglais sont autorisés à faire des recherches sur les cellules humaines et que celles-ci n'ont débouché sur rien ou presque. Certes, ce n'est pas parce qu'on n'a pas trouvé aujourd'hui qu'on ne trouvera pas demain, mais il ne faut pas donner aux gens des espoirs qui sont encore infondés. Je tenais à insister sur ce point.

A ma connaissance, et s'agissant de cellules humaines, les seules recherches ayant abouti à des résultats concrets sont celles qui ont porté sur des cellules souches adultes, lesquelles sont d'ailleurs couramment utilisées pour les greffes de moelle osseuse ou d'organes. Mais ces cellules souches-là ne sont pas en cause ; ce sont d'autres cellules souches dont la recherche souhaite aujourd'hui faire un objet d'étude.

Monsieur le ministre, devant tant d'inconnues, il faudrait accorder la priorité aux travaux sur les cellules souches adultes. Un pays comme le nôtre s'honorerait en s'efforçant de prendre de l'avance dans ce domaine, en mettant en oeuvre une politique de la recherche hardie, une politique puissante, forte de moyens importants. Telle est, pour nous, la condition préalable essentielle.

Nous ignorons aujourd'hui ce que seront les résultats des recherches sur les cellules souches adultes et, a fortiori, ce à quoi pourrait aboutir la recherche sur les cellules souches embryonnaires. En affirmant la priorité de la recherche sur les cellules souches, adultes notre pays ferait oeuvre civilisatrice et permettrait à la recherche médicale de réaliser une grande avancée.

S'agissant maintenant des cellules souches embryonnaires, le problème tient au sort que l'on réserve à l'embryon : une fois qu'il a « fourni » ses cellules souches embryonnaires, il est détruit.

Certes, on nous répondra que, dans la fécondation sexuée naturelle, il y a bien des embryons surnuméraires, et la nature trie : seul l'embryon élu se développera. Pour ce qui est de la procréation assistée, si des embryons sont congelés, c'est parce que l'on n'est pas certain que le premier transplanté se développera et qu'il faut bien garder, au nom du projet parental, d'autres embryons. Peut-être faudra-t-il les détruire quand il n'y aura plus de projet parental. Mais, entre-temps, on pourrait considérer qu'ils participent d'une certaine « solidarité thérapeutique » et qu'ils sont, à ce titre, en quelque sorte « humanisés ».

Monsieur le ministre, si vous désirez ouvrir la porte, même modestement, à la recherche sur ces embryons, qu'il soit entendu que, pour nous, tout embryon doit pouvoir vivre, et qu'il ne saurait y avoir d'embryons qui, créés aux seules fins de recherches, seraient voués à la destruction.

C'est une dimension fondamentale de notre réflexion : un embryon n'existe que parce qu'il est lui-même l'expression d'un projet, qu'il peut se développer jusqu'à devenir un bébé. Il le devient ou il ne le devient pas, c'est une autre affaire, mais on ne peut pas créer des embryons qui ne serviraient qu'à la recherche.

Ce serait une pratique absolument monstrueuse, et nous ne pourrions pas l'accepter. Toutes les dérives sont envisageables, notamment le don ou l'achat d'embryons obtenus par clonage thérapeutique. On peut aussi imaginer que certaines grossesses ne seraient provoquées que dans le but de « fournir » tel ou tel organe.

Devons-nous ouvrir cette porte ? Si nous ne l'ouvrons pas, serons-nous définitivement en retard sur d'autres qui l'ont déjà ouverte ? Comme le montre le jugement du tribunal administratif de Paris, nos positions dans ce débat peuvent changer de jour en jour, de même que le monde qui nous entoure change.

A titre personnel, je pense que l'embryon ne doit pas être détruit, qu'il doit s'inscrire dans un projet de vie. Certes, la nature opère un tri et rejette un certain nombre d'embryons, mais il n'appartient pas à l'homme d'être maître de la vie, car, au-dessus de la loi des hommes, il y a naturellement la loi morale, plus puissante. La destruction de l'embryon pour des motifs liés à la recherche ne me semble pas acceptable. Cependant, en tant que parlementaires, parfois juristes, nous ne saurions ignorer ces interrogations ; ce ne serait ni juste ni normal.

Je souhaite donc, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que le débat qui s'ouvre soit l'occasion pour nous d'avancer dans notre réflexion afin que, peut-être, nous trouvions, dans le respect de la singularité de l'embryon, dans le respect de cette oeuvre de vie qui nous échappe, des solutions qui permettent aux chercheurs de ce pays comme à d'autres de faire progresser l'espèce humaine. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord féliciter notre rapporteur, M. Francis Giraud, pour son excellent rapport et le remercier du travail qu'il a accompli ces derniers mois au sein de la commission des affaires sociales, sous l'autorité de son président, nous permettant d'aborder tous les problèmes posés.

Lors de l'adoption des lois relatives à la bioéthique, en 1994, le Parlement avait inscrit le principe d'une révision de la législation dans un délai de cinq ans, pour permettre la prise en compte des progrès scientifiques et médicaux intervenus entre-temps.

Une telle révision imposait une évaluation préalable de l'application de ces lois. Conduite par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, celle-ci a donné lieu à des analyses extrêmement intéressantes qui ont eu le mérite d'ouvrir un débat public et de susciter la réflexion de chacun sur ces sujets. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail important et particulièrement approfondi accompli par notre ancien collègue M. Claude Huriet et par M. Alain Claeys, député.

Dans leurs rapports, ils relèvent, sur de nombreux points, des incertitudes, des insuffisances et des lacunes qui exigent aujourd'hui, de la part du législateur, des réponses ou des améliorations propres à donner à la communauté scientifique française un cadre juridique clair.

Les déclarations très récentes et médiatisées des raëliens sur la prétendue réussite du premier clonage humain posent avec acuité le problème des limites à l'activité scientifique et donnent un éclairage particulier à nos discussions d'aujourd'hui.

Doit-on abandonner certaines pistes de recherche qui pourraient permettre de développer des thérapies parce qu'elles apparaissent sujettes à caution sur le plan des principes ? Soigner des personnes malades, n'est-ce pas, en vérité, un principe éthique de tout premier ordre ? Doit-on laisser la science explorer toutes les méthodes, même les plus contestables, au risque d'altérer gravement l'essence même de l'humanité ?

Il appartient au législateur que nous sommes de répondre à ces questions, mais cette mission est particulièrement délicate.

Tous ces sujets - recherche sur l'embryon, clonage, médecine prédictive - interpellent en effet la conscience de chacun. Or les convictions personnelles ne sont ni uniformes, ni monolithiques, ni même définitivement arrêtées, car elles peuvent évoluer avec les découvertes scientifiques.

Ainsi l'image conceptuelle du statut de l'embryon peut-elle varier non seulement en fonction des croyances personnelles et des convictions religieuses ou philosophiques, mais aussi au gré des acquis scientifiques.

Certains peuvent considérer l'être humain comme un assemblage très complexe de cellules, de molécules ou d'acides aminés, dont l'ordonnancement serait, dès lors, susceptible d'être artificiellement manipulé, sans philosophie ni morale, pour que l'on obtienne l'individu de son choix.

Opposant à cette conception l'« extrême dignité philosophique du travail scientifique » proposée par Bachelard, d'autres peuvent mettre en avant la « dimension non seulement biologique mais idéelle de l'être humain ».

Selon qu'elles se fondent sur l'une ou l'autre de ces conceptions, les réponses apportées aux problèmes soulevés par le développement des sciences du vivant seront évidemment profondément divergentes.

Cependant, les lois de la République n'ont pas pour fonction d'arbitrer entre les différentes perceptions de la nature humaine. Et, en tout état de cause, le mystère de l'homme, malgré les théories darwiniennes, ne semble pas définitivement éclairci.

Au risque d'être assimilé au juge de l'Inquisition condamnant Galilée, qui vient d'être remis au goût du jour par Claude Allègre, et sans tomber dans l'obscurantisme de l'époque, je dirai que le législateur a l'obligation de déclarer à un instant t, comme l'évoque la philosophe Anne Fagot-Largeault : « Voilà ce qui paraît bon, voilà ce qu'il est possible de faire. »

La philosophie des sciences du vivant n'est-elle pas aussi une philosophie du monde vivant telle que les sciences la découvrent à nos yeux ?

La médiatisation de certaines découvertes, parfois difficiles à appréhender pour le commun des mortels, suscite de formidables attentes mais aussi des peurs. Le législateur se doit donc de fixer des limites à l'activité scientifique, fondées sur un subtil équilibre entre plusieurs aspirations ou valeurs, entre des exigences immédiates et des principes plus constants.

Bien sûr, des voix s'élèveront pour dénoncer le carcan imposé aux biologistes et le risque de blocage des recherches menées par des laboratoires français.

Mais ces recherches ont-elles toujours pour unique but de soulager et de guérir ? Il est facile, mais peut-être aussi malsain, de vanter le bénéfice thérapeutique pour justifier le bien-fondé d'une recherche qui est encore balbutiante.

Combien de champs d'expérimentation existent encore dans les sciences du vivant, qu'il s'agisse du monde végétal ou du monde animal ? Combien de vérifications, d'évaluations à distance de tel ou tel protocole méritent d'être conduites avant de poursuivre la recherche sur l'embryon humain ?

S'il interdit de créer des embryons consacrés spécifiquement à la recherche, le projet de révision ouvre la porte, en revanche, à une recherche dite « encadrée » sur les embryons in vitro qui, conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation, ne font plus l'objet d'un projet parental.

Les partisans de l'utilisation des cellules souches embryonnaires mettent en avant le fait que les cellules différenciées obtenues pourront peut-être un jour remplacer des tissus de patients atteints de maladies graves comme la myopathie ou la sclérose en plaques.

Toutefois, nous sommes encore loin de maîtriser ces techniques, et les possibilités offertes par ces cellules n'ont pas été confirmées scientifiquement, sans compter les risques notables qu'elles comporteraient.

Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous nous avez démontré avec brio combien il était délicat et dangereux de créer un statut de l'embryon. Puis, parlant de recherche sur l'embryon, vous avez souhaité que soit défini un statut de patient pour cet embryon. Je crois qu'il faut, bien au contraire, lever toute ambiguïté sur ce sujet.

J'ai traduit ces réserves par le dépôt d'un amendement interdisant la recherche sur l'embryon mais l'autorisant sur les cellules embryonnaires disponibles. La nuance est fondamentale, y compris pour obtenir l'éventuel consentement du couple, au sujet duquel il faudra bien préciser s'il reste propriétaire des embryons surnuméraires, et pendant combien de temps.

Bien sûr, l'étude de l'embryon doit rester possible dans le cadre du diagnostic préimplantatoire afin de dépister le support génétique de certaines maladies létales ou très invalidantes ou encore de malformations particulièrement graves. Encore faudrait-il savoir où s'arrêter dans cette voie. Doit-on, dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation, aller plus loin que ce que permet de déceler à ce jour le diagnostic prénatal ?

Certes, l'eugénisme est condamné d'une manière unanime ; le risque est donc très faible de ce côté-là. Mais l'exigence de sélection d'un couple doit se heurter à des limites réglementaires explicites ; sinon la pression sera très grande sur les médecins implanteurs.

S'agissant du clonage, le projet de loi mériterait aussi d'être plus clair.

A la conception très matérialiste du vivant en général et de l'être humain en particulier que semble soutenir M. Dominique Lecourt dans un récent article de presse particulièrement détonnant - une conception qui autoriserait le clonage même reproductif - peut être opposé le risque évident d'une société à double face conduisant, à terme, à un monde vivant asexué.

Gardons également à l'esprit les avertissements du professeur Sicard. Au-delà du souhait, tout à fait louable, d'apporter un traitement à certaines maladies, d'autres motivations peuvent se cacher derrière le clonage, comme retrouver un être cher disparu ou voir se réaliser le vieux mythe de l'immortalité, qui semble guider les apprentis sorciers raëliens.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, je rejoins tout à fait votre position en faveur d'une interdiction totale du clonage : le clonage thérapeutique est une porte ouverte au clonage reproductif. Ne tentons pas le diable ; les dérives « scientistes » peuvent survenir facilement. Le professeur Axel Kahn l'a d'ailleurs souligné à plusieurs reprises : lorsqu'une technique est au point, le risque d'une utilisation déviante par des esprits plus ou moins bien intentionnés est très grand.

La connaissance des techniques de fissibilité de l'atome n'a-t-elle pas conduit à la fabrication de la bombe atomique ? Et l'actualité ne nous en apporte-t-elle pas encore aujourd'hui un témoignage ?

L'amendement que j'ai déposé à l'article 15 du projet de loi vise à poser le principe de l'interdiction du clonage reproductif et thérapeutique, quel que soit le procédé utilisé, qu'il s'agisse d'une scission d'embryon ou d'un transfert nucléaire.

Cette dernière précision m'est apparue utile afin de lever une ambiguïté dans la rédaction du projet de loi. Les termes « embryons humains qui ne seraient pas directement issus des gamètes d'un homme et d'une femme » semblent en effet laisser ouverte la possibilité d'un clonage par scission d'embryon. Dans ce cas, l'embryon obtenu est bien issu des gamètes d'un homme et d'une femme, et - vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre - cette technique est parfaitement au point pour les animaux.

Serait-il plus moral d'autoriser un individu né par fécondation in vitro à avoir un embryon jumeau disponible susceptible de venir à son secours en cas de défaillance de l'un ou l'autre de ses organes ? Ou bien est-ce un oubli dans le projet projet de loi ?

Je crois qu'il nous appartient, autant que faire se peut, de ne pas créer de zones d'ombre ni de frontières mal définies. Vous avez, monsieur le ministre, conseillé à juste titre la prudence : n'est-il pas prudent d'élargir cet interdit à tout clonage ?

Moins médiatisés que le clonage, mais tout aussi importants, l'expérimentation des caractéristiques génétiques, l'identification par empreintes génétiques et les dons et prélèvements de sang, de tissus ou d'organes sont également visés dans le projet de loi.

Sur ces différents points, plusieurs rapports ont souligné la complexité, l'imprécision, les insuffisances, voire les lacunes de notre législation. Le projet de loi tente d'y remédier mais, à mon sens, pas toujours à bon escient.

Il en est ainsi, notamment, de la protection des mineurs. Leur cas n'est pas prévu dans l'examen des caractéristiques génétiques ou l'identification par empreintes génétiques. Par ailleurs, il est proposé de déroger à l'interdiction de prélèvement de sang sur un mineur en supprimant le cumul des conditions d'urgence thérapeutique et de compatibilité tissulaire. Enfin, les possibilités de prélèvement de moelle osseuse sur de tels patients sont élargies.

A ce jour, peut-on raisonnablement mesurer les conséquences de certains prélèvements sur des mineurs ? Qui peut aujourd'hui affirmer qu'ils sont sans conséquences sur la morbidité ? Il importe donc de restreindre à l'extrême ces prélèvements, y compris en matière de transfusion sanguine, où l'innocuité est probable mais non certaine. C'est le sens d'un certain nombre d'amendements que j'ai déposés.

L'élargissement au-delà de la famille biologique du cercle des donneurs vivants en vue de greffe constitue un autre sujet sur lequel j'émets de sérieuses réserves.

Plusieurs orateurs l'ont déjà dit, les risques de pressions commerciales ou affectives sur les donneurs potentiels sont grands, sans compter le risque médical. Certes, le texte proposé apporte des garanties, notamment en confiant à un juge le soin de s'assurer que le consentement est libre et éclairé. Mais selon quels critères ? Comment s'assurer de l'absence de chantage ou de marchandage ?

Toutes ces questions plaident, en effet, en faveur d'une plus grande prudence, monsieur le ministre.

J'ai bien conscience qu'une telle attitude pose avec plus d'acuité encore le problème de la pénurie de greffons en France. Malgré les efforts d'associations méritantes, cette tendance se confirme et inquiète la communauté médicale. Cela étant, le phénomène est dû surtout à une mauvaise application de la législation régissant le prélèvement sur personnes décédées, notamment de la règle du consentement présumé. Avant d'envisager l'élargissement du cercle des donneurs vivants, il faut peut-être se donner les moyens d'épuiser ou d'améliorer les possibilités offertes à l'heure actuelle.

Une solution consisterait peut-être à transformer le registre national informatisé des refus en un registre qui, à l'opposé, enregistrerait les accords formels des individus, car nous savons très bien que la carte de donneur dans le portefeuille de la personne décédée laisse encore trop de place à la contestation par la famille.

Il faut, au demeurant, avoir une grande capacité de persuasion pour expliquer à un entourage qui est dans la peine la différence pour le moins subtile entre l'autopsie à visée médicale et l'autopsie à visée scientifique, ou entre les prélèvements à fins d'examen en laboratoire et prélèvements à visées de transfert.

Il ne s'agit pas là de techniques scientifiques ; il s'agit de convictions personnelles ou familiales portant sur le respect ou le non-respect de l'intégrité de la personne décédée.

A l'évidence, les textes gagneraient à être plus clairs et plus précis.

Notre société est aujourd'hui de plus en plus attachée, voire soumise au principe de précaution, mais prévision et précaution ne sont pas prédictions scientifiques. La médecine prédictive n'est pas une science exacte. Malgré son contenu scientifique, la médecine reste un art, qui comporte une part subjective, que d'aucuns voudraient voir disparaître. La prédiction relève, elle, de l'irrationnel.

Les évolutions des sciences biologiques au cours des dernières décennies nous incitent d'ailleurs à la modestie et à la prudence.

Voilà à peine quelques décennies, la théorie cellulaire devait être le fil rouge reliant l'ensemble des organismes vivants. Puis survint la biologie moléculaire, qui, de l'unicité du vivant, nous conduisit vers le gène avec la mise en route du séquençage du génome humain et de la thérapie génique, deux mots qui semblaient quasi magiques.

Nous en sommes aujourd'hui aux thérapies cellulaires. Qu'en sera-t-il demain ? Nul ne le sait, pas plus nous, au Sénat, que les scientifiques dans le meilleur des laboratoires. Nous avons tous nos incertitudes et nos espérances. Cela aussi est inhérent à la nature humaine. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

MM. Jacques Blanc et Henri de Raincourt. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, en attendant l'arrivée de M. le Premier président de la Cour des comptes, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

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Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
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