Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Beaufils, Luc, Terrade, Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n° 216, 2002-2003). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la motion.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Air France est née le 1er septembre 1933. Durant ses soixante-dix années d'existence, l'entreprise a connu des situations difficiles, qu'elle a toujours su surmonter, comme Hélène Luc vient de le rappeler. Elle est aujourd'hui une entreprise à capitaux majoritairement publics, économiquement et socialement performante.

Cette entreprise, monsieur le ministre, vous voulez la faire disparaître de notre patrimoine public, et cela, nous dites-vous, au nom de la modernité et du développement.

Ainsi, selon vous, la privatisation serait le remède à tous les maux. Elle permettrait en particulier à la compagnie de « renforcer sa stratégie de partenariat », alors que, vous le savez aussi bien que nous, les alliances se sont largement développées dans la période récente et que rien ne s'oppose aujourd'hui à ce qu'elles se poursuivent.

En fait, monsieur le ministre, faire le panégyrique de la privatisation revient à dénigrer l'entreprise publique, en laissant croire que le statut actuel de la compagnie serait un frein à son développement.

La privatisation, dites-vous encore, devrait « lui donner les moyens de faire appel au marché pour soutenir sa politique d'investissement ». Mais, jusqu'à présent, les investissements ont été réalisés tout à fait normalement ; l'entreprise n'a pas à rougir de l'état de sa flotte par rapport à toutes les autres entreprises du secteur.

Au demeurant, vous osez prétendre qu'il ne s'agit pas d'une loi de privatisation. Mais vous reconnaissez dans la foulée que ce texte « doit permettre de mener la privatisation décidée. C'est vraiment jouer sur les mots !

Lors de vos interventions dans les deux assemblées, monsieur le ministre, vous avez affirmé : « Le travail des rapporteurs a permis d'améliorer ce texte très technique. » Mais à qui donc voulez-vous faire croire que ce texte est technique ? Il est essentiellement politique et, qui plus est, dogmatique. Il est, en vérité, une mise en oeuvre mécanique des conceptions libérales.

La privatisation d'Air France serait « nécessaire à son développement ». Or chacun reconnaît ici, comme l'a fait notre collègue M. Vinçon le 12 février dernier que, dans cette période difficile, après l'attentat du 11 septembre, Air France « est restée l'une des rares compagnies aériennes à ne pas avoir subi de perte... et a enregistré un résultat positif de 153 millions d'euros pour le premier semestre 2002 ». M. Vinçon ajoutait : « Ces résultats ne sont pas le fruit du hasard mais bien celui des efforts fournis par les hommes et les femmes qui constituent l'entreprise... ils ont permis à Air France de maîtriser son endettement, d'assainir sa situation financière et d'aboutir à la création de l'alliance mondiale SkyTeam, qui s'est révélée particulièrement solide. »

Et, après de tels éloges, il faudrait que nous votions la fin de ce qui est bien un succès ! Donnez-moi, monsieur le ministre, le nom d'une seule compagnie aérienne de niveau européen qui ait eu des résultats identiques !

Ce que vous nous proposez aujourd'hui conduirait Air France à la situation qu'ont connue Sabena, Swissair ou encore US Airways, United Airlines et Air Lib.

Air Lib, justement, n'est-ce pas l'illustration de l'échec du privé dans le secteur aérien ? La constitution d'une commission d'enquête a été demandée à l'Assemblée nationale pour contrôler l'usage des fonds publics par cette entreprise. Fort bien ! Mais alors pourquoi, dans cette enceinte, a-t-on supprimé la loi Hue, qui instituait le contrôle des fonds publics versés aux entreprises, notamment à celles qui mettent en place des plans sociaux après avoir bénéficié des aides de l'Etat ?

Les exemples, à cet égard, ne manquent pas, et il n'est pas suffisant de traiter certains patrons de « voyous », comme dans le cas de Metaleurop, si c'est pour les laisser poursuivre leur basse besogne ! Comment comprendre que la transparence soit exigée concernant Air Lib mais que l'opacité puisse s'installer chez les autres ? La loi Hue permettait, elle, de traiter toutes les entreprises de manière égale !

Les premières victimes de cette catastrophe économique, ce sont les 3 200 salariés qui se sont retrouvés au chômage. Faisons le point, dans la clarté, analysons en profondeur tous les mécanismes qui ont mené à cette tragédie, décortiquons tous les croisements financiers entre banques et holdings, mettons au jour le rôle de la Swissair, de la holding financière Marine-Wendel, présidée par M. Seillière, posons la question du respect de la législation européenne sur la détention majoritaire du capital par des investisseurs de la Communauté.

Ces quinze années de turbulence où la privatisation a fait les ravages qui ont mené à la faillite de cette société devraient pouvoir servir de contre-exemple et vous montrer à quoi vous exposez Air France en la privatisant.

Loin de tenir compte de tous ces dysfonctionnements, vous voulez appliquer au secteur aérien des méthodes inadaptées, en favorisant les échanges capitalistiques par des participations croisées. On ne veut pas imaginer ce que serait devenue Air France si, au lieu d'accords commerciaux, elle avait pris des participations dans le capital de Delta Airlines, qui vient d'annoncer la suppression de 4 000 emplois, consécutive à de profondes difficultés financières.

On devine tout de suite les conséquences du choix que vous voulez imposer à travers ce texte ; la privatisation que vous annoncez ne peut en effet conduire qu'à un tel processus, alors que le statut public joue un rôle de protection contre ces dérives du marché.

Air France, qui est le pivot de l'alliance mondialeSkyTeam, représente un trafic annuel de 204 millions de passagers, avec une flotte de près de 1 200 avions et environ 170 000 salariés. Assurant 7 000 vols quotidiens, l'alliance mondiale SkyTeam dessert plus de 500 destinations dans plus d'une centaine de pays.

Cette réussite ne doit rien au hasard : elle est le fait d'une entreprise où le capital public est majoritaire.

Ce que vous proposez, ce ne sont pas des alliances qui pourraient être profitables sur un plan commercial et économique, mais des regoupements qui favorisent des participations croisées, débouchant, dans une première étape, sur une restructuration autour des trois grandes compagnies que sont Lufthansa, British Airways et Air France, ainsi que vous l'avez laissé entendre, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale le 11 mars dernier.

Air France est, comme vous le reconnaissez vous-même, une entreprise qui a su mieux que toutes les autres résister et se développer dans une période difficile, et ce avec une flotte âgée de huit ans et demi en moyenne, ce qui est inférieur à l'âge moyen de la flotte des autres compagnies.

Rappelons-nous : c'est en 1990 qu'Air France a enregistré de lourdes pertes, essentiellement dues à l'accroissement du prix du carburant. La situation géopolitique actuelle devrait nous conduire à beaucoup de circonspection.

Pour vous, le caractère majoritairement public de cette entreprise serait un frein à son essor, alors, que nous le remarquons tous ici elle résiste et se développe beaucoup mieux que tous ses concurrents.

Résultats excellents, alliances commerciales pertinentes, développement à l'international en progression par des coopérations avec Japan Airlines, Aeroflot, Air India et Singapore Airlines : autant d'arguments démontrant qu'Air France n'est pas, contrairement à ce que vous voulez faire croire, une entreprise isolée et sclérosée par son statut public.

Ce n'est pas en jetant le discrédit sur notre patrimoine industriel que vous rehausserez l'image de la France !

Vouloir privatiser Air France, c'est ignorer les conditions particulières du secteur aérien.

Dire que l'activité de ce secteur est « cyclothymique » pourrait sembler une lapalissade : ce secteur est plus sensible que tous les autres à la conjoncture ; la situation géopolitique, les guerres, le terrorisme, le prix du pétrole sont autant d'éléments qui peuvent renverser les tendances et entraîner des dépressions difficiles à traverser.

Faire croire qu'une privatisation éviterait que le contribuable n'ait à « mettre la main à la poche » lorsque les situations sont critiques est difficile à admettre.

L'exemple américain est révélateur. Le trésor américain a déboursé 15 milliards de dollars en aides publiques après le 11 septembre. Le bilan est édifiant : 6 milliards de dollars de profits en vingt-quatre ans, 12 milliards de pertes en deux ans.

Les entreprises du secteur aérien fonctionnent sur de très faibles marges, de 1 % à 3 %. Seules les low cost réalisent des marges plus importantes, mais c'est au détriment du service, de la sécurité, de l'emploi et des salaires, et aussi au gré des subventions des collectivités et des chambres de commerce.

S'agissant donc d'un secteur au plus haut point instable, il est difficile d'y intéresser les marchés boursiers. C'est peut-être, d'ailleurs, ce qui explique l'information toute récente selon laquelle vous envisagez, monsieur le ministre, de repousser la mise sur le marché d'actions de la compagnie.

C'est aussi un secteur où les investissements sont lourds : un Airbus A 340 coûte 90 millions de dollars, sans parler de son entretien. L'immobilisation en capital est donc énorme, et le renouvellement doit se faire tous les dix ans.

A cela s'ajoutent des tarifs d'assurance qui ont atteint des sommets.

Et c'est dans de telles conditions que vous envisagez de privatiser, en prétendant que l'Etat n'aura plus à intervenir !

Les low cost qui se maintiennent aujourd'hui sur certains créneaux ne le font qu'avec l'argent des contribuables puisqu'elles reçoivent des aides des chambres de commerce et d'industrie, des régions, des communautés d'agglomération, des conseils généraux. Nous venons d'en avoir un exemple en Touraine, où Ryanair, qui a absorbé Buzz, n'a maintenu sa ligne Tours-Londres qu'après avoir reçu un million d'euros des différentes collectivités.

L'aéroport de Tarbes poursuit Ryanair pour concurrence déloyale, cette compagnie ayant obtenu des collectivités des aides financières importantes - entre 500 000 et 1 250 000 euros, pour 50 000 passagers - afin d'ouvrir une ligne Pau-Londres.

Cette compagnie fait déjà l'objet d'une procédure de la Commission européenne, saisie d'une plainte pour concurrence déloyale à l'aéroport de Charleroi, et est attaquée par Air France à Strasbourg.

Et que dire des décisions prises pour la répartition des 44 528 slots disponibles du fait de la disparition d'Air Lib ? Les grands gagnants restent les low cost, Aeris, Easy Jet et Virgin Express se taillant la part du lion - près de 45 % - alors qu'Air France ne reçoit que quelques restes : 2 190 slots, soit à peine 5 %.

Ce qu'il faut attendre d'abord de la privatisation, c'est un prix bradé. Alors même que rien n'était décidé, par pure obstination dogmatique, vous avez fait voter les recettes de cette privatisation dans le budget de 2003 mais elle ne rapportera que le tiers du montant de la recapitalisation.

Vous partez du principe que l'entreprise publique est un anachronisme. Mais de quelle modernité vous prévalez-vous ? Celle des 160 000 emplois perdus dans le secteur aérien depuis la fin 2001 ou encore des 70 000 suppressions d'emplois et des 4 milliards de dollars perdus par trimestre, selon un rapport publié par l'Association du transport aérien international, l'IATA ?

Eh bien, sachez que nous préférons la modernité d'Air France, entreprise publique, qui a créé 17 000 emplois depuis 1997 !

Vous prétendez vouloir favoriser l'emloi, alors que les plans sociaux annoncent dans toutes nos régions des licenciements par milliers. Rejeter Air France intégralement dans le privé, c'est mettre cette entreprise en situation d'échec.

La présence de l'Etat dans cette société peut avoir un rôle positif non seulement pour l'entreprise elle-même mais aussi pour toute la filière aéronautique. Nous savons tous qu'Air France a joué un rôle essentiel dans le lancement d'Airbus en offrant au constructeur une garantie d'achat.

Le maintien de certaines lignes grâce au principe de la péréquation est un élément fort de l'aménagement du territoire. Respecterez-vous le principe de continuité territoriale en maintenant les lignes avec les DOM-TOM ?

Que peuvent attendre les salariés de vos mesures ?

Vous savez qu'ils sont très largement opposés à votre projet de loi. Seraient-ils compétents lorsqu'il s'agit de travailler, de remonter l'entreprise - « Nous tenons à les saluer aujourd'hui, car ils ont permis à Air France de maîtriser son endettement », disiez-vous dernièrement - et deviendraient-ils détestables lorsqu'ils s'opposent à votre projet de privatisation ? C'est parce qu'ils connaissent bien l'entreprise, qu'ils connaissent bien le secteur, qu'ils ne veulent pas que vous livriez entièrement au marché une entreprise publique qui a fait la preuve de son efficacité.

Nous avons dénoncé dans cette enceinte le dumping social de la route, qui concurrence le chemin de fer de manière déloyale, et vous laissez faire de la même façon le dumping social des low cost contre Air France.

Nous avions, depuis la Libération, réussi à faire admettre que l'Etat pouvait avoir un rôle régulateur. En vertu de la théorie keynésienne, l'Etat complétait et corrigeait le marché. Les gaullistes ont longtemps appliqué ces principes, participant à la mise en place des entreprises publiques pour que, face aux retournements du marché, l'Etat puisse jouer ce rôle de régulateur.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Vos choix libéraux vous conduisent à renier ces principes qui donnaient à l'Etat toute sa dimension humaine, en mettant l'accent sur ses missions de solidarité et de régulation économique.

La puissance publique que nous avons héritée des générations passées est un outil au service des générations futures. La remise en cause de cet outil, c'est la remise en cause de la péréquation qui assure une stabilité et une égalité sur notre territoire.

En réduisant la participation de l'Etat, vous vous détournez de ce que la France avait patiemment construit, vous la livrez au libéralisme sauvage.

Pourtant, vous n'oubliez pas d'aider le secteur privé, avec 45 milliards d'euros de subventions, alors que les entreprises vitupèrent en permanence la fiscalité française.

Vous êtes acquis à l'idée selon laquelle l'Etat n'a plus de fonction régulatrice et le marché trouve lui-même les justes équilibres.

Le général de Gaulle avait pour habitude de dire qu'il ne tenait pas compte de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille. » Messieurs les libéraux, vous l'avez certainement oublié puisque vous n'attendez qu'une chose : que la Bourse soit favorable pour lui livrer, clé en main, l'entreprise publique Air France. (M. Pierre Hérisson s'esclaffe.)

Air France aura, cette année, soixante-dix ans d'existence. C'est l'âge que vous lui avez fixé pour la mettre à la retraite du service public.

Mme Hélène Luc. Exactement !

Mme Marie-France Beaufils. Vous êtes aujourd'hui complètement aveuglés par votre dogmatisme libéral. (M. Pierre Hérisson s'esclaffe de nouveau.)

La politique que vous menez depuis neuf mois a accouché d'une situation de crise. Vous avez été pris d'une fièvre intense vous poussant à brader le patrimoine public.

M. Pierre Hérisson. Qui a commencé ?

Mme Marie-France Beaufils. Cette période de gestation a été fort active et génératrice de mesures antisociales - remise en cause des 35 heures, licenciements économiques facilités, suppression du contrôle des fonds publics - et de mesures favorisant le patronat et les grandes fortunes.

Vous pensez que la loi électorale qui vise à éliminer les petits partis vous aidera à « finaliser » votre politique. Vous semblez ignorer ou sous-estimer les ressources que possède le peuple de France et ses capacités de réaction face aux coups successifs que vous lui avez assenés. Vous avez voulu trop en faire sur une courte période.

Ce que vous voulez accomplir aujourd'hui pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la création d'Air France ressemble à un enterrement annoncé.

En vous alignant sur les consignes de l'OMC, vous voulez livrer au marché le transport, l'eau, l'électricité, l'éducation, la poste, les télécommunications, la santé, alors qu'une grande partie de la planète n'y a pas accès.

Croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, que c'est là faire preuve de modernité ?

Votre projet de loi est en fait l'application de ce que M. Balladur avait annoncé en 1993, et nous n'avons probablement pas été assez vigilants pour nous prémunir contre ce que vous étiez capables de faire en cas de retour au pouvoir.

Air France peut continuer à se développer dans le cadre juridique actuel. Ce que vous faites par ce texte ne vous est imposé ni par la Constitution ni par le droit européen, qui n'a aucune incidence sur le statut public ou privé des entreprises.

Les raisons économiques que vous invoquez ne sont nullement pertinentes, ainsi que je l'ai démontré, y compris en m'appuyant sur vos propres constats. Les raisons sociales ne le sont pas plus, et la privatisation ne fera qu'aggraver la situation.

Dans un rapport sur « l'Etat actionnaire et le gouvernement des entreprises publiques », qui vous a été remis le 24 février 2003, il est constaté que « le caractère public du capital de la société Air France n'altère en rien l'exigence d'assurer la continuité de son exploitation dans les meilleures conditions de service et de coût ». C'est aussi notre conviction, et le choix que vous opérez sera lourd de conséquences pour le transport aérien français.

Au niveau international, la France a su retrouver les accents de sa grandeur : en s'opposant à la guerre, elle a revivifié les valeurs de notre République, celles des droits de l'homme et du citoyen, faisant vibrer de nouveau les peuples du monde entier épris de liberté.

On aimerait un même souffle au niveau national. Mais c'est une conception rabougrie que vous nous proposez avec ce projet de loi.

Air France fait partie de notre patrimoine public, patrimoine constitué depuis la Libération et qui fait la grandeur de la France ; au cours de ces sept décennies certaines de ces entreprises sont devenues le fleuron de notre économie. Il ne vous aura fallu que quelques semaines pour commencer à brader le patrimoine que vous a confié la nation. Vous faites comme ces héritiers qui dilapident en un rien de temps un patrimoine accumulé avec effort pendant des années, et ce pour les mêmes raisons : la recherche d'« argent frais ».

C'est parce que nous pensons qu'il est possible, autour d'Air France entreprise publique, de développer un pôle public du transport aérien correspondant à l'intérêt général que nous rejetons fermement votre projet de loi.

C'est pour l'ensemble de ces raisons économiques, commerciales, juridiques, sociales et politiques que les membres du groupe communiste républicain et citoyen invitent le Sénat à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Gerbaud, rapporteur. Cette motion tend à opposer la question préalable par rejet de la privatisation.

Contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la motion, l'activité de la compagnie Air France est une activité commerciale qui ne la distingue pas des autres compagnies aériennes. La privatisation, le moment venu, lui permettra de rejoindre le droit commun et de nouer les vraies alliances dont elle a besoin. Elle lui permettra aussi d'avoir accès au marché comme source de financement.

Air France et son personnel ont fait la preuve de leur qualité et n'ont donc rien à redouter d'un jeu à armes égales avec leurs concurrents. Bien au contraire, cette évolution est constructive.

La commission a donc émis un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gilles de Robien, ministre. Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 8, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

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Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi  relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France
Art. additionnel avant l'art. 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Marc, Pastor et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques et du plan le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux entreprises de transport aérien et notamment à la société Air France (n° 216, 2002-2003). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. François Marc, auteur de la motion.

M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « crise profonde », « débâcle », « désastre », « séisme », il suffit de prendre connaissance des titres de la presse économique - ils sont révélateurs depuis quelques jours - pour mesurer à quel point le secteur du transport aérien est confronté à une situation dramatique.

Mal remises des conséquences du 11 septembre 2001, de nombreuses compagnies aériennes sont touchées de plein fouet non seulement par la guerre en Irak, mais aussi par l'inquiétante crise sanitaire qui sévit en Asie du Sud-Est.

Sans sombrer dans un pessimisme excessif, on peut raisonnablement penser que cette dépression sera profonde et durable. Rien d'étonnant dès lors à voir les compagnies aériennes appeler les pouvoirs publics à l'aide.

Dans ces conditions, n'est-il pas étrange de voir le Gouvernement français, arc-bouté sur son crédo idéologique de dérégulation, présenter en seconde lecture ce texte de privatisation d'Air France comme si de rien n'était ?

N'est-il pas nécessaire, mes chers collègues, de bien réfléchir à deux fois avant de soumettre au vote ce projet de privatisation aux conséquences si inquiétantes pour notre pays ?

C'est la proposition que je vous soumets ici en vous présentant cette motion tendant au renvoi à la commission pour instruction complémentaire de ce dossier si sensible.

Nul ne peut en douter aujourd'hui, la guerre en Irak et ses conséquences au Moyen-Orient et en Extrême-Orient vont peser lourdement et durablement sur le transport aérien.

Après quelques jours de guerre, l'organisation de l'aviation civile internationale évalue à au moins 10 milliards de dollars la perte additionnelle des compagnies qui ont déjà subi 30 milliards de dollars de pertes depuis le 11 septembre 2001.

A vrai dire, la débâcle est enclenchée : les transporteurs américains, particulièrement touchés, se tournent vers l'Etat fédéral pour obtenir un soutien financier. On évoque ces jours-ci les très graves difficultés des compagnies aériennes.

Les compagnies européennes sont, elles aussi, concernées. Les baisses de trafic, estimées de 15 % à 20 %, risquent de les déstabiliser.

Le prix du pétrole est également un paramètre très important. Enfin, la crise financière menace. La question de l'introduction en bourse d'Air France et de ses conditions financières se pose donc.

Incontestablement, mes chers collègues, la bourrasque qui secoue aujourd'hui le secteur des transports aériens suffit, à elle seule, à justifier un renvoi à la commission et la recherche d'une approche plus réaliste de la situation.

De plus, le manque de visibilité est accentué par le fait que les questions que nous avons formulées lors de l'examen en première lecture du projet de loi n'ont toujours pas trouvé de réponses.

C'est vrai en ce qui concerne les répercussions financières de la privatisation. C'est vrai en ce qui concerne les questions sur l'aménagement du territoire. C'est vrai en ce qui concerne les droits du trafic : votre choix de renvoyer au niveau communautaire un pouvoir qui relève encore aujourd'hui de la souveraineté des Etats ne peut qu'alimenter nos interrogations quant à vos intentions.

Nous refusons enfin d'adhérer à la logique d'urgence qui anime le Gouvernement et la majorité sur ce texte, alors que rien, dans le contexte actuel, ne le justifie, si ce n'est un impératif budgétaire. Il nous semble donc opportun de renvoyer ce texte tant à la commission des affaires économiques qu'à la commission des finances afin d'éclaircir ces différents points.

Mes chers collègues, si l'on examine de près le fond de ce dossier, quel différend essentiel nous oppose aujourd'hui, en réalité ? Il s'agit incontestablement de la dimension stratégique que l'on attache ou non au dossier Air France.

Comme les collègues de mon groupe, je pense que cette compagnie constitue pour la France un levier stratégique essentiel. Cette position n'est visiblement pas partagée par la droite libérale et par le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin.

Tout d'abord, en programmant le désengagement de l'Etat du transport aérien, le Gouvernement banalise ce secteur, sans tenir compte des missions spécifiques qu'il assume en termes d'intérêt général.

En effet, et cela n'étonnera personne, nous ne sommes pas d'accord avec M. de Courson qui a déclaré à l'Assemblée nationale que le « transport aérien n'est pas un service public ». A nos yeux, le service des transports aériens constitue bien un service public !

Or le service des transports aériens exige une vision d'ensemble et une approche à long terme, dans le respect de l'intérêt général. Jusqu'à présent, c'est l'Etat qui assurait ces missions. Aujourd'hui, le Gouvernement veut s'en remettre à la main invisible du marché pour le suppléer.

A moins qu'il ne s'agisse, pour ce gouvernement épris de décentralisation libérale, de laisser les collectivités locales livrées à elles-mêmes face au véritable racket exercé par les compagnies, comme on vient de le voir récemment avec Ryanair à Strasbourg. Moins de régulation pour l'Etat, plus d'impôts pour les contribuables locaux : mes chers collègues, ce schéma est absolument scandaleux !

Le projet de loi vise à faire entrer Air France dans le droit commun des sociétés, mais, en filigrane, il opère une dérégulation quasi totale du secteur du transport aérien. En ce sens, il va d'ailleurs bien plus loin que ne le font nos partenaires européens ou internationaux, car il ne pose que de maigres garde-fous en matière d'actionnariat.

Dans le montage proposé, l'Etat ne dispose plus d'aucun levier pour défendre la nationalité du capital et ne pourrait donc pas intervenir en cas de menace sur les intérêts stratégiques du pays ou de remise en cause des missions d'intérêt général. Le dispositif de contrôle de l'actionnariat est en effet entièrement concentré entre les mains du conseil d'administration de la compagnie. Que se passerait-il si celui-ci décidait de ne pas réagir ? Visiblement, la préservation d'un pavillon français dans le domaine aérien n'est pas prioritaire pour le Gouvernement.

Ces différents arguments permettent de démontrer aisément la dimension stratégique du dossier.

Oui, Air France contribue à l'image de la France et à son rayonnement économique !

Oui, Air France, par son leadership international, est un puissant levier de l'effort exportateur de la France !

Oui, Air France joue un rôle très important dans l'aménagement du territoire national !

Oui, la présence sur le territoire national des centres de décisions liés à Air France constitue un puissant facteur de soutien de l'activité économique et de l'emploi en amont et en aval de la filière !

Oui, la réussite de la société publique Air France contribue largement à la bonne tenue de la filière aéronautique française !

Oui, la redoutable montée de l'insécurité dans le monde prouve à quel point le statut public d'une compagnie est un atout lorsqu'il s'agit de créer une véritable osmose entre les services de sécurité publique et le service de transport aérien lui-même - et l'on ne peut ignorer, en ce moment, les interpénétrations qui peuvent exister avec les56 exigences de la défense nationale ou celles de la santé publique !

Au vu de tous ces aspects essentiels à nos yeux, le caractère éminemment stratégique du dossier Air France est établi.

Comme l'a maintes fois souligné le général de Gaulle, le statut d'entreprise publique a justement vocation à permettre la prise en compte des intérêts stratégiques de la France. Peut-on parler aujourd'hui pour la droite française de reniement de la pensée gaulliste ? Beaucoup le pensent ! (Murmures sur les travées de l'UMP.)

Toujours est-il que, au début du mois de juillet 2002, à l'occasion de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, indiquait : « D'une manière générale, l'Etat a vocation à se retirer du secteur concurrentiel sauf lorsque des intérêts stratégiques sont en jeu »

En privatisant Air France aujourd'hui, le gouvernement Raffarin nie très clairement l'intérêt stratégique de la compagnie.

Il nous paraît donc essentiel que le Premier ministre vienne expliquer devant les parlementaires pourquoi Air France ne constitue pas à ses yeux un intérêt stratégique pour la France aujourd'hui.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste demande instamment au Sénat de suspendre l'examen de ce texte, de le renvoyer à la commission. Il souhaite que M. le Premier ministre vienne au Sénat exposer ses arguments pour permettre à chacun de se forger une réelle opinion sur les avantages que présenterait aujourd'hui une privatisation de la compagnie nationale.

Dans Air France, il y a « France », mes chers collègues. N'abîmons pas la France ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. François Gerbaud, rapporteur. Cette motion tendant au renvoi à la commission vise, tout comme la motion précédente, au rejet de la privatisation.

Un renvoi à la commission ne changerait rien à la position majoritaire de la commission des affaires économiques qui, on l'a vu, est favorable à la privatisation.

Par rapport aux modifications introduites par l'Assemblée nationale, cette motion n'apporte aucun élément d'analyse supplémentaire. Dans la mesure où elle ne fait qu'exprimer un refus politique de la privatisation, elle ne porte pas réellement sur le contenu du projet de loi et la commission émet un avis défavorable. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Gilles de Robien. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. Gilles de Robien, ministre. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre. Je voudrais remercier tous les intervenants. En effet, les questions qu'ils ont posées depuis le début de ce débat sont de nature à clarifier et les esprits et la qualité du texte.

Je suis particulièrement reconnaissant à MM. Cartigny et Gerbaud de ne pas avoir posé de questions étant donné qu'ils connaissent le texte par coeur et l'esprit dans lequel il a été élaboré. Ils ont estimé - je reprends leurs termes - que cette loi était tout à fait « opportune » et « indispensable », deux adjectifs que j'apprécie.

M. Soulage a beaucoup insisté sur les obligations de service public, les OSP. Mais la desserte des lignes d'aménagement du territoire est régie par des textes communautaires et elle ne dépend pas de la nature du capital de la compagnie.

J'insiste sur ce point pour répondre à certaines objections qui ont été soulevées à gauche, notamment par Mmes Luc et Beaufils. La structure du capital de la compagnie n'a rien à voir. Les lignes font l'objet d'une publication OSP pour lancer un appel d'offres. L'emporte la compagnie qui propose l'aide publique la plus faible, quel que soit son statut.

Chez nous, cette aide est apportée par les collectivités territoriales, bien souvent à hauteur de 30 %, et le reste par le FIATA, le fonds d'intervention pour les aéroports et les transports aériens, à hauteur de 70 % en moyenne. Par conséquent, je le répète, ce n'est pas le statut de la compagnie, de la société qui fait l'obligation de service public.

Une autre formule est possible en droit communautaire - c'est d'ailleurs le cas pour la Corse - qui consiste à offrir une aide publique sur certains billets et qui laisse libres les compagnies aériennes, quel que soit, je le répète, leur statut, d'assurer ou non la desserte concernée.

Les autres missions d'intérêt général, comme le rapatriement de ressortissants français ou les transports sanitaires, par exemple, peuvent être assurées par des procédures de droit commun, avec des contrats. Il en va de même pour le droit de réquisition. Les choses sont donc tout à fait claires, monsieur Soulage.

En apportant ces réponses, j'espère également avoir répondu à certaines des objections qui ont été émises par d'autres intervenants.

Vous avez également, monsieur Soulage, soulevé quatre questions.

Je vous répondrai, d'abord, que l'article 1er du projet de loi s'appliquera à toutes les sociétés cotées en bourse. C'est la raison pour laquelle il mentionne les sociétés à conseil d'administration et les sociétés à conseil de surveillance et directoire.

Il ne vise pas à remplacer l'actuel conseil d'administration d'Air France par un directoire et un conseil de surveillance.

A propros de la question portant sur l'impact du remboursement à l'Etat d'une compensation en raison de l'échange salaire-actions, je précise que ce remboursement ne doit pas dégrader le cours de l'action. Ce remboursement est lié à cet échange qui permet de réduire le coût direct de la masse salariale, donc d'augmenter la valeur de l'entreprise et, par voie de conséquence, celle de ses actions.

Monsieur Marc, vous avez qualifié le projet de « dogmatique », terme qui est revenu tout au long de cette première partie de débat. S'il y a du dogmatisme à protéger les salariés, s'il y a du dogmatisme à leur proposer des actions par priorité et à un coût préférentiel, s'il y a du dogmatisme à suggérer à des salariés des échanges salaire contre actions, s'il y a du dogmatisme à proposer que tout se fasse sur la base du volontariat, alors, je veux bien accepter votre notion du dogmatisme ! S'il y a du dogmatisme à vouloir préserver le caractère national d'Air France et protéger le capital français d'Air France, je veux bien réviser mon vocabulaire ! L'objet de ce projet de loi est précisément de donner la possibilité à tous les salariés de souscrire au capital d'Air France et de permettre à la compagnie de rester française.

En tout cas, monsieur Marc, cette loi n'a d'autre objet que de permettre une privatisation d'Air France quand les conditions économiques seront réunies. En effet, Air France doit avoir la possibilité de poursuivre ses alliances internationales et d'investir dans sa flotte. Elle doit disposer des mêmes atouts que tous ses concurrents. Sinon, un jour ou l'autre, elle ne trouvera plus de capitaux. A cette fin, elle doit avoir accès au marché. Il ne faut pas qu'elle fasse peur à d'autres compagnies, qui disent très clairement redouter son statut actuel de société dont le capital est détenu en majorité par l'Etat. Il faut donc parvenir à une égalité de traitement et à une égalité de statut.

Sur l'aménagement du territoire, j'ai déjà répondu à M. Soulage.

En ce qui concerne la politique aéroportuaire, j'attends les conclusions de la mission d'information conduite par l'Assemblée nationale.

Pour ce qui est des autres infrastructures de transport, un débat aura lieu ici même, le 21 mai prochain, sur la politique que nous souhaitons mener en la matière dans les décennies à venir. Ce débat, je vous le rappelle, sera éclairé par l'audit que vous connaissez déjà, les rapports de vos collègues MM. Haenel et Gerbaud, le rapport de M. de Richemont sur le cabotage maritime et le rapport prospectif de la DATAR. Nous aurons donc certainement une discussion de très grande qualité dans cet hémicycle.

Vous affirmez, monsieur Marc, que les salariés sont opposés à la privatisation. Je note simplement que les syndicats qui sont favorables au projet ont tous prospéré lors des dernières élections et que les grèves sur le sujet n'ont mobilisé que 5 % à 6 % des salariés. C'est un fait ! Il ne s'agit pas d'un sondage, avec un échantillonnage qui serait plus ou moins représentatif.

Par ailleurs, vous insistez pour connaître le cours de l'action et la part de capital que l'Etat cédera. Je note que vous tenez vos sources du Figaro et que vous revenez sur le scénario évoqué par ce quotidien. Pour ma part, je me refuse à entrer dans votre jeu et à prédire le cours d'une action au moins six mois à l'avance, ce qui, évidemment, favoriserait une spéculation qui pourrait nuire aux intérêts de l'Etat, d'Air France et de ses salariés.

Madame Luc, comme vous, je regrette que la compagnie Air Lib n'ait pas pu éviter la liquidation judiciaire. Nous le regrettons tous ! Vous savez combien nous nous sommes battus pendant des semaines et des semaines, en suivant vos conseils, d'ailleurs - même si, en séance publique, vous dites le contraire !

Mme Hélène Luc. Oui, mais vous n'êtes pas allés jusqu'au bout !

M. Gilles de Robien, ministre. Ceux qui ont le plus desservi les salariés d'Air Lib - je vous le dis très clairement, madame Luc - ce sont ceux qui les ont engagés dans un mauvais processus dès le départ. En prenant mes fonctions au ministère, j'ai trouvé une situation qui était largement condamnée à l'avance et qui datait de l'année précédant notre arrivée, soit fin 2001, début 2002. Les solutions alors envisagées n'ont, hélas ! pas abouti. Vous savez que ce dossier n'a pas été facile à gérer, ni pour le Gouvernement ni pour les salariés.

Aujourd'hui, l'Etat s'est mobilisé pour accompagner les salariés d'Air Lib dans leurs recherches. Les licenciements ont été notifiés le 27 février dernier et le dispositif de suivi est déjà en place. Nous avons confié au cabinet BPI l'animation de la cellule de reclassement. Celle-ci est opérationnelle depuis le 17 mars et des entreprises ont commencé à reprendre des personnels d'Air Lib : Air France a déjà repris 158 personnes, alors que ces salariés se trouvent encore dans la période de préavis. Je tenais à vous apporter ces précisions.

Les promesses de mon prédécesseur sur la première restructuration d'Air Lib n'ont pas été tenues.

Mme Hélène Luc. Il manque 200 reclassements !

M. Gilles de Robien, ministre. Effectivement ! Pour ma part, j'ai pris des engagements, le président Air France également : celui-ci s'est engagé et a confirmé que, malgré la pause actuelle, l'objectif de 1 000 salariés d'Air Lib embauchés serait maintenu.

Madame Beaufils, vous m'accusez aussi de dogmatisme libéral ou de libéralisme sauvage.

M. Pierre Hérisson. C'est un pléonasme ! (Sourires.)

Mme Marie-France Beaufils. J'accepte le pléonasme !

M. Gilles de Robien, ministre. Je vous rappelle que c'est mon prédécesseur qui a engagé l'ouverture du capital d'Air France. Vous ne le nierez pas !

C'est également mon prédécesseur qui a permis la privatisation d'Aerospatiale, avec le groupe Lagardère comme groupe de référence. Si ce n'est pas stratégique, qu'est-ce qui le sera ?

C'est encore mon prédécesseur qui a ouvert le capital de la société des Autoroutes du sud de la France.

C'est toujours mon prédécesseur qui a signé l'accord - excellent, du reste, comme vous le voyez, je n'émets pas que des critiques - le plus libéral qui soit avec les Etats-Unis en matière de droits de trafic aérien.

Il s'agit donc du gouvernement de M. Jospin, que vous avez soutenu, qui était probablement un gouvernement dogmatique libéral ou libéral sauvage - je ne sais pas comment le qualifier. En tout cas, c'est la jurisprudence Jospin-Gayssot qui s'applique à l'heure actuelle. Par conséquent, ne critiquez pas trop aujourd'hui ce que vous avez adoré hier !

Par ailleurs, j'aurais émis un avis favorable sur la motion tendant au renvoi du projet de loi commission si la commission avait eu le pouvoir d'arrêter cette malheureuse guerre en Irak, de faire baisser le prix du pétrole à dix euros, de faire monter le cours de l'action Air France à quinze euros ou plus. Mais, vous le savez, tel n'est pas le cas. Il n'y avait donc aucune raison de renvoyer à la commission ce texte qui est équilibré et qui a fait l'objet d'un travail remarquable de votre commission.

J'espère que les réponses que j'ai apportées ont rassuré les sénateurs qui ont exprimé leurs réticences. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.