Question préalable

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive
Art. 1er

M. le président. Je suis saisi, par MM. Ralite et Renar, Mme David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 34, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive (n° 320, 2002-2003). »

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jack Ralite, auteur de la motion.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un remarquable ouvrage, La Capitale des signes, Karlheinz Stierle s'arrête un instant sur le roman d'Aragon, Le Paysan de Paris pour en retenir « Les Passages », où la ville « devient une école d'attention qui se tourne vers ce qui a toujours échappé au regard et qui y découvre la réalité et la surréalité les plus denses ».

« Passages », « passer », « passé », « passant », « passager », tout un alphabet de mots y sont « opératifs » pour assurer la transition entre le rêve et l'éveil historique ; ils sont passeurs du concret qui, dans sa banalité et son aspect quotidien, ouvre sur la découverte.

J'aime cette façon de dire et de penser, qui pour moi va comme un gant à l'archéologie, cette science des signes, des traces, des symptômes, des marques, des indices, des objets, qui donne résurrection à un monde englouti, à des lointains inexplorés, qui donne accès à ce qui n'a point apparemment d'accès, qui nous libère de nos ornières mentales. C'est un tremplin inusable, un vade-mecum que l'on feuillette inlassablement pour y découvrir ces éclats du passé, y compris très proches, qui nous permettent, avec Marc Bloch, de ne pas être « veuf » de notre passé et, avec Aragon, de nous « souvenir de l'avenir ».

Tout cela est un travail inouï, un combat qui a mis beaucoup de temps pour être reconnu par la société.

Dès 1825, Victor Hugo, qu'a déjà évoqué Ivan Renar, ne réclamait-il pas « une loi pour l'oeuvre collective de nos pères, une loi pour l'histoire, une loi pour l'irréparable que l'on détruit, une loi pour ce qu'une nation a de plus sacré après l'avenir, une loi pour le passé ».

Précisément, le 17 janvier 2001, mettant fin à des errements majeurs, à une longue « histoire-galère », une telle loi, la loi pour l'archéologie préventive était votée, faisant de cette discipline une mission de service public dont la responsabilité incombe à l'Etat.

On pouvait être satisfait, et les personnels de ces services qui prirent grande part à la conception des textes aussi. Le Conseil constitutionnel avalisait la loi, tout comme l'Union européenne. La convention de Malte que nous avions signée avait son répondant opératoire en France.

Puis, il y eut quelques problèmes pratiques - souvent une loi connaît ces aléas -, que les décrets d'application pouvaient corriger d'autant qu'ils n'étaient pas tous publiés.

Mais, à l'évidence, les rectificatifs réclamés n'étaient pas de détail, et, par deux fois, lors du vote du projet de budget pour 2003 et du vote sur l'appauvrissement de la loi SRU, des « cavaliers » sont apparus. L'un passa l'obstacle, et la contribution des aménageurs fut réduite de 25 %. L'autre ne le passa pas : il avait pour objectif d'instaurer dans ce domaine la mise en concurrence pilotée par la logique du marché.

Aujourd'hui, le Gouvernement va jusqu'au bout de son objectif, de son idéologie, devrais-je même dire. Il bouleverse dans son texte les grand équilibres et les principes fondamentaux de la loi du 17 janvier 2001 en transférant la maîtrise d'ouvrage des fouilles archéologiques actuellement assurée par l'Etat aux aménageurs, et en prévoyant la possibilité de la réalisation de ces opérations par des entreprises privées avec ses conséquences principales : le partage des objets et de la documentation de fouille entre différents propriétaires publics et privés, et la mise en concurrence commerciale des équipes d'archéologues publiques et privées. En recherche, on coopère, on échange, on partage ; c'est l'émulation. En commerce, on se concurrence, on cache, on éloigne l'autre : c'est le conflit.

Les collectivités locales elles-mêmes sont blessées par la nouvelle loi. Quand une collectivité locale aura la charge du diagnostic - des communes ont des services compétents en la matière -, elle ne touchera les trente-deux centimes d'euro par mètre carré qu'à partir de cinq mille mètres carrés. Vous permettrez au maire d'Aubervilliers que j'ai été jusqu'à peu de dire que l'archéologie urbaine, qui est la grande question actuelle, opère sous des terrains beaucoup plus petits. Les villes pourront donc avoir la responsabilité sans le sou. Et que dire des bourgs et des villages ? N'est-ce pas cela, la nouvelle décentralisation ?

Philosophiquement, juridiquement, pratiquement, le projet de loi du Gouvernement pousse au « tout-marché ». Comme on pouvait le lire dans Le Figaro le 29 mai, « l'archéologie perd son statut d'exception culturelle pour entrer dans la jungle du marché ».

Je ne veux pas examiner plus avant le texte, d'autant que mon collègue Ivan Renar vient de le faire excellemment et minutieusement. Même en se limitant aux points évoqués, on comprend que des centaines d'archéologues aient manifesté dans de nombreuses villes leur désaccord mêlé à leur volonté de voir gardée la loi historique de janvier 2001 en l'améliorant dans le sens de la responsabilité publique et de son outil, l'INRAP, auxquels doivent être associés les services existants dans certaines collectivités locales. C'est le seul moyen d'empêcher que ne se renouvellent un jour des scandales retentissants comme ceux du parvis de Notre-Dame de Paris ou de la Bourse de Marseille, dans les années 1965 à 1970.

Mais je ne peux traiter isolément l'archéologie préventive, car son traitement privatisant, même si la référence au service public en est d'autant plus présente, apparaît comme le fil rouge de la nouvelle politique culturelle du Gouvernement.

Nous le ressentons très directement comme sénateurs membres de la commission des affaires culturelles, qui, maintenant, sommes amenés à des réunions conjointes avec la commission des finances - c'est le cas pour le mécénat - et la commission des affaires écomomiques - c'est le cas pour l'économie numérique -, notre commission étant sollicité pour l'avis, ou pas consultée du tout -, c'est le cas pour la loi d'habilitation et de simplification du droit. D'une certaine manière, c'est la culture sous tutelle.

Ajouterai-je que le Sénat n'a pas eu le droit de discuter du séisme culturel qu'a provoqué Vivendi Universal ? S'il avait pu le faire, et nous l'avons proposé maintes fois, cela aurait pu contrarier la malheureuse évolution actuelle de la politique culturelle du Gouvernement, de plus en plus sensible à l'économie, comme on peut le constater dans ses projets concernant la culture et l'art.

C'est le texte sur le mécénat, abondant les intéressements aux entreprises pour qu'elles contribuent éventuellement au financement de démarches culturelles et artistisques, mais avec quelles conséquences sur les budgets publics ! On le verra à l'automne pour l'année 2004.

C'est la hausse du plafond en dessous duquel les collectivités locales ne sont pas obligées de faire un appel d'offres pour leurs projets ; les marchés iront encore plus aux promoteurs industriels, qui cumulent très souvent construction et conception, éliminant de ce fait nombre d'architectes et, avec eux, une diversité architecturale dans et pour la ville.

C'est la réforme des musées avec la disparition, via la réunion des musées nationaux, de la mutualisation des ressources, ce qui est grave pour les petits musées, avec aussi l'autonomisation des grands musées et leur financement de plus en plus lié aux recettes commerciales. Le Louvre doit augmenter ses ressources propres de 25 % de 2003 à 2005. L'Etat, dans ses interventions, tiendra compte de la fréquentation des musées. C'est l'audimat au musée !

C'est le projet de loi sur l'économie numérique, qui traite l'Internet avant tout comme un objet économique et marchand, avec les conséquences que cela aura pour les droits d'auteur, la propriété intellectuelle, etc.

C'est l'offensive du MEDEF contre les intermittents du spectacle pour minorer la durée d'ouverture des droits de douze à neuf mois mettant en cause le vivier du spectacle vivant.

C'est encore le projet d'étendre à de grands groupes de la distribution la possibilité de faire de la publicité à la télévision.

Il y a aussi une démarche du moindre engagement culturel public. Lors de la discussion du budget pour 2003, je l'avais dit : « Le budget est malmené, comme mis en examen. Et je pressens qu'est en train de s'ouvrir un vrai procès de la dépense culturelle, comme si, sans le dire, on lui reprochait d'exister. »

Chacun sait que, pour les théâtres comme pour les monuments historiques dépendant d'un financement d'Etat, il est actuellement envisagé d'en diminuer le nombre. Je connais l'argument tautologique qui nous est opposé, notamment à Bercy : il y a disette de crédits et il faut donc accepter de diminuer certains crédits pour préserver ce qui reste, de rogner des droits sociaux au nom de la préservation de ce qui demeure... pour un temps.

C'est un contresens qui s'exprime notamment au cinéma. Dans le journal Le Monde du 14 juin dernier, un article nous informe en effet que la Warner souhaite bénéficier du fonds de soutien, et on y lit : « Au CNC, où aucune position formelle n'a encore été prise, on précise que l'ouverture du compte de soutien aux majors se traduirait par des risques limités. » Je pense en ce moment à la remarque de René Char : « Méfie-toi de ceux qui se déclarent satisfaits, parce qu'ils pactisent. »

Soyons clair, je ne dis pas que, dans tous les secteurs évoqués, il n'y a pas des évolutions à opérer et que le ministère n'a pas oeuvré heureusement ici ou là, mais c'est un ruisseau de responsabilité publique dans un fleuve de libéralisation.

Comme vous le voyez, je fais, si j'ose dire, de l'archéologie préventive de l'orientation culturelle gouvernementale, orientation que personne n'a jamais annoncée comme telle.

Et le constat est d'autant plus grave que, dans l'oeil de ce mouvement tournant tendant à substituer à un pseudo tout-Etat un réel tout-affaires, il y a l'exception culturelle dont il est fait légitimement grand cas, notamment par vous, monsieur le ministre, sur le plan international, mais, on vient de le voir, dont il est fait tout petit cas, à l'intérieur au point de miner les efforts à l'extérieur, et de nous faire penser au canard qui court un temps après avoir été décapité.

Ajoutons qu'à Bruxelles la Convention pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Giscard d'Estaing, n'a pas suivi ce que nous avions construit en matière de culture sur quinze ans, avec la directive Télévision sans frontières, le prix unique du livre, l'exception culturelle arrachée au moment du GATT puis le rejet de l'AMI, l'accord multilatéral sur les investissements, l'échec de l'OMC à Seattle et le mandat européen sur la diversité culturelle dans le commerce international, garantie par la règle de l'unanimité. La convention a choisi de substituer à l'unanimité la majorité qualifiée, ce qui est totalement inacceptable, parce que cela livre l'imaginaire aux grandes affaires. (M. Emmanuel Hamel applaudit.)

Notons au passage que le Sénat a été absent de cette étape décisive du combat, qui, heureusement, n'est pas terminé et dans lequel ont déjà pris position les cinéastes.

Je propose que notre assemblée débatte de la question culturelle, de l'Europe et de l'OMC en séance publique dans un délai extrêmement bref.

La conférence internationale de Paris, qui s'est tenue au Louvre sur l'initiative du Comité de vigilance, le 3 février, tout comme l'université des mondialisations, organisée les 4, 5 et 6 juin à La Villette par le groupe d'études et de recherches sur les mondialisations, ont milité pour que l'impitoyable OMC ne l'emporte pas et ont refusé l'impuissance démissionnaire.

J'y ai moi-même agi, habité par l'idée de la nécessité d'une responsabilité publique en matière de culture et d'art, cette notion neuve et capitale mise en avant par les états généraux de la culture dès 1987, valable comme loi pour le secteur public et comme obligation d'intérêt général pour le secteur privé.

Je souhaite clore cet exposé de nécessaire élucidation et d'affranchissement de la clarté en remerciant les archéologues et leurs organisations syndicales d'avoir tant fait par leurs actions résolues, leur pensée ouverte, leur esprit de contenu et leur imagination créatrice. Et ils ne sont pas seuls. Rappelez-vous cette grande émission télévisée sur France 3, L'Odyssée de l'espèce, réalisée par Jacques Malaterre, avec la coopération scientifique d'Yves Coppens, émission qui a créé un partenariat passionné à la dimension du pays et dont le Président de la République a tenu lui-même à féliciter les auteurs. Nous avons eu en la circonstance un éloge populaire de l'archéologie préventive.

Je me souviens aussi d'une lecture émerveillée de l'ouvrage fondamental d'André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole, qui a tant et si hautement à voir avec l'archéologie.

Je crois qu'il ne manque pas de bonnes paroles au ministère de la culture et alentours. Puisse-t-il y avoir des gestes significatifs pour récuser la religion de l'économie. Les codes de bonne conduite ne sont pas la solution, comme on le voit avec ce qui se passe dans l'édition.

Il faut remplacer la religion de l'économie par une démarche à la Octavio Paz : « Les poètes, les romanciers, les penseurs » - j'ajouterai les archéologues - « ne sont pas des prophètes. Ils ne connaissent pas le visage de l'avenir. Mais beaucoup d'entre eux sont descendus au fond de l'âme des hommes. C'est là, tout au fond, que repose le secret de la résurrection. Il faut le désenfouir. »

Un travail d'archéologue, non ?

Un travail aussi pour les artistes, ces archéologues de l'intime.

Un travail encore de citoyens, considérés dans leur dignité, ces archéologues de la vie sociale vraie que veut cacher l'espéranto de M. Raffarin.

Je suis certain que, d'ici à Noël, les états généraux de la culture sauront contribuer à réunir tous ces acteurs experts, et experts du quotidien, pour un rassemblement de réflexion et d'action sur la vie culturelle d'aujourd'hui, la vie de l'autre, la vie des autres qu'on ignore si fort, un peu comme celle d'Augustine dans la grotte d'Arcy-sur-Cure,...

M. Henri de Raincourt. C'est dans l'Yonne !

M. Jack Ralite. ... si chère à André Leroi-Gourhan, à qui je cède, pour conclure, la parole à propos de l'archéologie, « ce besoin si puissant de plonger vers les racines ».

« Les richesses archéologiques, écrivait-il, éveillent presque en chaque homme le sentiment d'un retour et il en est peu qui, à la première occasion, résistent à la tentation d'étriper la terre comme un enfant désarticule un jouet. » « L'analyse des sources - ce qui est doublement enfoui dans la terre et dans le passé - est peut-être plus lucide et certainement plus pleine si on cherche non pas seulement à voir d'où vient l'homme, mais aussi où il est, et où il va peut-être. »

Un dernier mot : les archéologues sont des libérateurs de mémoire, mémoire qu'ils placent dans la société, d'où la grande qualité d'avenir de leur mouvement, que je vous demande d'écouter éperdument, comme les témoignages des plus hautes autorités de la spécialité du CNRA et du CCRA, en ne foulant pas aujourd'hui la loi historique, parce que fondamentale, de janvier 2001. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Hélène Luc. Tout le monde va voter la motion !

M. Jacques Legendre, rapporteur. La tête me tourne un peu à l'évocation de tant de noms illustres : Louis Aragon, René Char, Victor Hugo, qui siégeait sur ces bancs, Leroi-Gourhan...

A mon tour, je me référerai à Henri-Paul Eydoux, dont le livre, jadis, m'a jeté sur la route du site de Fontaines-Salées...

M. Henri de Raincourt. C'est aussi dans l'Yonne !

M. Jacques Legendre, rapporteur. Je pense aussi à l'homme que, sans doute, j'admire le plus en littérature : André Malraux. Comme ministre de la culture, il fit tout son possible pour préserver et mettre en valeur le patrimoine de notre pays, mais il fut aussi ce colonel Berger des maquis de Corrèze et de Dordogne qui trouva refuge dans les grottes - il le rapporte lui-même - de Lascaux.

Je ne me crois cependant pas autorisé à appeler André Malraux à la rescousse du projet de loi que nous examinons...

M. Ivan Renar. C'est déjà fait !

M. Jacques Legendre, rapporteur. ...et je veux revenir à la réalité de ce que, au-delà des grands noms et de toutes ces évocations qui parlent à nos coeurs, vous nous proposez, monsieur Ralite.

Vous estimez qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération, ce qui signifie que la loi du 17 janvier 2001 devrait continuer à s'appliquer sans modification. Or, nous savons que celle-ci a engendré dès la première année de son application, et avant les mesures adoptées par l'Assemblée nationale, de très importantes difficultés. En particulier, le monopole qui a été constitué n'est plus en état de répondre à la tâche qui lui a été confiée. Dès lors, nous savons que des fouilles ne seront pas faites, nous savons que des collectivités, comme des organismes privés, ne seront pas en mesure - en tout cas pas dans les délais - de réaliser les aménagements dont elles sont chargées. Le mécontentement va donc grossir, et, injustement, il remettra en cause la notion d'archéologie elle-même.

Dans une telle situation, la commission, quand elle a été saisie de cette motion tendant à opposer la question préalable, a estimé qu'il fallait, au contraire, poursuivre le débat. La situation exige un débat urgent pour des solutions urgentes.

Vous avez vous-même relevé, mon cher collègue, un certain nombre de problèmes qu'il y a lieu de traiter. Je pense par exemple à la propriété du mobilier archéologique. Si la motion est repoussée, notre assemblée pourra débattre des amendements examinés par la commission sur ce point.

Il est donc bien nécessaire d'avoir un débat, un débat de qualité qui aille au fond des choses : si nous voulons rester fidèles à l'esprit des grands hommes qui ont été cités, le Sénat doit remplir tout son rôle ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Le Gouvernement ayant présenté ce projet de loi, vous conviendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il ne pourrait pas sans absurdité se ranger à la proposition de M. le sénateur de la Seine-Saint-Denis.

J'ai écouté M. Jack Ralite avec beaucoup d'attention et, comme toujours, avec beaucoup d'émotion. Je ne suis cependant pas d'accord avec son analyse, j'ai le regret de le lui dire.

Nous ne sommes pas ici dans le domaine de l'idéologie, mais de la survie : survie de l'archéologie préventive dans notre pays et survie d'un établissement public. J'ai la charge de ce dernier et je compte bien, avec vous, le sauver.

S'égarer dans des considérations philosophiques ou idéologiques de politique générale serait, croyez-moi, rendre un mauvais service à tous.

Je récuse, monsieur le sénateur, le mot de « privatisation ». Si un dispositif où l'Etat et l'un de ses établissements occupent une position aussi éminente et encadrent les opérations à chaque étape de leur exécution évoque une privatisation, c'est que je ne comprends rien ni à la privatisation ni au libéralisme effréné !

L'Etat, dans ce dispositif, assume ses missions, sans abandonner aucune de ses responsabilités régaliennes. Simplement, il organise de façon différente la mise en oeuvre de projets d'intérêt général en les répartissant selon un autre mode entre lui-même, son établissement, l'INRAP, et les collectivités locales ou tout autre opérateur qui aura été agréé. Ce qui se passe dans d'autres domaines de la politique du patrimoine peut très bien être mis en oeuvre dans le domaine de l'archéologie préventive.

Monsieur le sénateur, vous avez beaucoup parlé de l'exception culturelle. Tout d'abord, je vous ferai remarquer que, s'il n'y avait pas d'exception culturelle, nous ne serions pas ici, dans cet hémicycle, pour discuter de l'archéologie préventive, laquelle serait livrée au jeu du marché et aux aléas de la responsabilité, spontanée ou non, des uns et des autres.

Dans son principe, l'exception culturelle signifie, comme le Président de la République n'a eu de cesse de le rappeler, que les biens culturels ne sont pas des marchandises ordinaires. C'est vrai, et je suis attaché à ce principe. Néanmoins, dire que les biens culturels ne sont pas des marchandises ordinaires, c'est reconnaître que, souvent, ce sont des marchandises.

Lorsque nos musées acquièrent des objets pour leurs collections, ils interviennent sur le marché de l'art. Lorsqu'un éditeur prend la responsabilité d'éditer un ouvrage, il engage un acte économique. De même, les actions d'archéologie préventive exposent les opérateurs et les aménageurs à des coûts.

L'économie est présente à chaque étape de l'action culturelle. Vouloir méconnaître cette réalité, c'est s'exposer à faire la bête à force de vouloir faire l'ange !

Je crois que nous devons aujourd'hui admettre, de façon responsable, que la mise en oeuvre d'un projet de politique culturelle ne saurait méconnaître la dimension économique de nos engagements ou de l'engagement de tous les opérateurs qui interviennent dans la chaîne de production des biens culturels.

Vous avez évoqué nos relations avec les Etats-Unis d'Amérique. A voir la compétition qui, incontestablement, s'est instaurée entre le cinéma européen, notamment français, et le cinéma américain, comment méconnaître la dimension économique du problème ? Mettre des oeillères et continuer à ignorer cette dimension, c'est s'exposer à de graves déconvenues.

Je me refuse donc à parler de privatisation. J'assume, dans ce projet de loi, ma responsabilité. Je ne galvaude pas le service public. Bien au contraire, j'ai le sentiment aujourd'hui, avec vous, de le sauver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 34, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)

PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

16

MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, je vous signale que mon collègue du groupe de l'Union centriste M. Jean-Léonce Dupont souhaiterait corriger son vote pour les scrutins n°s 166 et 170 relatifs aux propositions de loi organique et ordinaire portant réforme de l'élection des sénateurs et intervenus jeudi dernier 12 juin. En effet, mon collègue a été comptabilisé par erreur comme ayant voté pour ces propositions de loi. En réalité, il n'a pas pris part au vote.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue.

17

ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE

Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi

déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive.

Nous en sommes parvenus à la discussion des articles.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi modifiant la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive
Art. additionnels après l'art. 1er

Article 1er

M. le président. « Art 1er. - Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive est remplacé par les dispositions suivantes :

« Un décret en Conseil d'Etat fixe les délais dans lesquels l'Etat prescrit les mesures mentionnées au premier alinéa et définit les modalités d'une consultation préalable de la personne projetant d'exécuter les travaux.

« Les prescriptions de l'Etat peuvent s'appliquer à des opérations non soumises à la redevance prévue à l'article 9. »

L'amendement n° 1, présenté par M. Legendre, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour remplacer le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 :

« Les prescriptions de l'Etat concernant les diagnostics et les opérations de fouilles d'archéologie préventive sont motivées. Elles sont délivrées dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat. »

Le sous-amendement n° 40, présenté par M. Dauge, Mme Blandin, MM. Lagauche, Picheral, Signé et les membres du groupe socialiste et apparenté, est ainsi libellé :

« Compléter la première phrase du texte proposé par l'amendement n° 1 par les mots suivants : "et font l'objet d'une consultation préalable de la personne projetant d'exécuter les travaux". »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1.

M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. L'article 1er a notamment pour objet d'introduire une procédure de consultation de l'aménageur préalablement à l'édiction des prescriptions archéologiques par l'autorité administrative. Il s'agit clairement de faire en sorte que la procédure archéologique soit marquée par cette nécessité du dialogue.

L'objectif visé par cette disposition est d'atténuer le caractère unilatéral des décisions prises par le préfet de région, caractère qui, je l'ai souligné dans mon intervention générale, a été dénoncé par les aménageurs. Il s'agit évidemment là d'une intention louable.

Cependant, les critiques portent aujourd'hui moins sur le pouvoir de prescription que sur le fait que l'édiction de la prescription déclenche la perception de l'impôt de manière automatique, ne laissant d'autre choix à l'aménageur que de s'en acquitter.

Le dispositif proposé par le Gouvernement dissocie la perception de la redevance des prescriptions archéologiques. L'un des principaux motifs du mécontentement des aménageurs disparaît. Par ailleurs, la procédure de consultation - on ne voit guère quelle sera son issue en cas de désaccord de l'aménageur sur les propositions de l'administration - risque de se traduire par un allongement inutile des procédures et entretient l'idée que les prescriptions archéologiques sont négociables.

Au regard de ces observations, plutôt que d'introduire une procédure susceptible de rallonger les délais, il semble opportun de prévoir dans la loi que les prescriptions de l'Etat imposant aux aménageurs la réalisation de diagnostic ou de fouilles sont motivées.

Voilà ce qui vous est proposé. La motivation des prescriptions présente plusieurs avantages. D'une part, elle oblige l'administration à examiner attentivement le bien-fondé de ses décisions, notamment en fonction de l'objectif de conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social. D'autre part, elle garantit la transparence de son action à l'égard des administrés.

Le texte que je propose n'exclut évidemment pas que les services de l'Etat consultent les aménageurs, mais encadrer cette consultation dans la loi et les décrets me semble être une source de contraintes excessives au regard de l'objectif visé.

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge, pour présenter le sous-amendement n° 40.

M. Yves Dauge. Nous souscrivons à l'idée selon laquelle les prescriptions doivent être motivées. Cependant, nous considérons qu'il aurait été préférable de garder l'article tel que le Gouvernement l'a proposé, en maintenant la consultation préalable de la personne projetant d'exécuter les travaux. J'ai compris que l'on cherche à réduire les délais, mais cette consultation préalable reste utile.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jacques Legendre, rapporteur. En l'occurrence, nous nous plaçons du point de vue de l'aménageur. Il a deux préoccupations. D'une part, il veut être sûr que ce qu'on lui demande est justifié, d'où l'exigence de la motivation que nous introduisons par l'amendement n° 1. D'autre part, il veut ne pas perdre trop de temps. Or, ce que je redoute, c'est que cette formulation n'entraîne un allongement des délais.

Voilà pourquoi, tout en partageant l'intérêt de ne pas soumettre les aménageurs à un pouvoir arbitraire dans des situations autoritaires, je souhaite que M. Dauge comprenne que nous ne refusons pas le dialogue, mais qu'il nous paraît souhaitable de ne pas entrer dans une procédure de débats sur la prescription même de diagnostics, puisqu'il s'agit bien de cela.

Aussi, nous émettons un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication. S'agissant de l'amendement n° 1, j'émets un avis favorable. En ce qui concerne le sous-amendement n° 40, je me range à l'avis de M. le rapporteur. Le fait d'établir une zone de concertation partait effectivement d'un très bon sentiment, mais M. le rapporteur nous a très justement indiqué que les prescriptions elles-mêmes ne devaient pas donner lieu à de trop longues délibérations, en raison de l'urgence des chantiers.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 40.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Legendre, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Compléter le texte proposé par cet article pour remplacer le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque les prescriptions imposent la conservation de tout ou partie d'un terrain, le ministre chargé de la culture notifie au propriétaire une proposition de classement dans les conditions prévues par la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Legendre, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir dans la loi les conditions dans lesquelles l'Etat peut prescrire la conservation de tout ou partie d'un terrain lorsque l'intérêt des vestiges le justifie. Cette hypothèse, qui n'est pas expressément mentionnée par la loi du 17 janvier 2001, est prévue par le décret d'application du 16 janvier 2002, qui ne précise pas les droits à indemnisation dont disposent dans ce cas les propriétaires du terrain. Afin de dissiper toute ambiguïté, il conviendrait de compléter l'article 2 de la loi du 17 janvier 2001 afin de prévoir que, dans ce cas, l'autorité administrative doit procéder au classement du terrain qui renferme les vestiges selon la procédure prévue par la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques qui ouvre droit à indemnisation.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable.

M. René-Pierre Signé. Ils ont de la chance !

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge, pour explication de vote.

M. Yves Dauge. Il s'agit d'une excellente mesure. Aussi, nous la voterons.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)