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SOUHAITS DE BIENVENUE

À Mme SHIRIN EBADI,

PRIX NOBEL DE LA PAIX 2003

M. le président. Mes chers collègues, j'ai l'honneur et le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune présidentielle, de Mme Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix pour l'année 2003, qui vient d'être reçue par la commission des affaires étrangères, de la défense, et des forces armées, présidée par notre collègue M. André Dulait.

Le Sénat de la République française est heureux de saluer en vous, madame, la femme, l'Iranienne et l'avocate inlassable des droits de l'homme, qui a toujours et en tout lieu défendu les causes les plus nobles, qu'il s'agisse des droits de l'enfant, des droits de la femme ou des valeurs démocratiques.

Votre présence dans notre tribune est un message d'espoir et rappelle le commun attachement des Iraniens et des Français à leurs bonnes relations, dans le respect de leur histoire et de leur culture respectives, dont ils ont, les uns comme les autres, tout lieu d'être fiers.

Votre présence parmi nous, madame, témoigne du respect et de l'admiration que nous vouons à votre action. Elle est un encouragement à la poursuivre.(M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur particulier pour moi d'associer le Gouvernement aux propos élogieux que vient de prononcer le président du Sénat.

Le prix Nobel de la paix qu'a reçu Mme Shirin Ebadi consacre son engagement remarquable au service des droits de l'homme. Au nom du Gouvernement, je salue son courage et sa détermination.

Madame, je vous félicite pour cette distinction éminente, qui récompense justement une vie dédiée à la défense des droits et de la dignité humaine. (Applaudissements.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON

vice-président

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RAPATRIÉS

Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les rapatriés.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Joseph Kerguéris.

M. Joseph Kerguéris. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au cours de la campagne présidentielle, le président Jacques Chirac, alors candidat, s'était engagé à prendre des mesures en faveur des harkis et des rapatriés. Le temps est venu, aujourd'hui, de les mettre en oeuvre, car, plus de quarante ans après l'indépendance de l'Algérie, l'attente des rapatriés reste vive.

Le Gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, a confié, en février 2003, à M. Michel Diefenbacher le soin d'élaborer un rapport sur les politiques et les dispositifs de solidarité actuellement en vigueur envers les rapatriés de toutes origines afin de parachever les efforts de reconnaissance matérielle et morale de la nation.

Il est important de réaliser que les plaies ouvertes par le retrait de la France de ses anciennes possessions d'outre-mer sont loin d'être encore entièrement refermées aujourd'hui.

Reconnaissons que l'effort de solidarité nationale n'a pas été négligeable. Actualisé en valeur 2002, il s'élève à environ 32 milliards d'euros. Cependant, nombre de rapatriés estiment que cet effort est resté insuffisant et inadapté. En effet, si les mesures concernant l'accueil et la réinstallation ont été mises en oeuvre rapidement, l'indemnisation n'a été engagée qu'à partir de 1970, lorsqu'il s'est avéré que la plupart des rapatriés ne seraient pas en mesure de rembourser les prêts de réinstallation qui leur avaient été consentis.

En ce qui concerne spécifiquement les harkis, ce n'est également qu'à partir des années soixante-dix, lorsque la deuxième génération s'est révoltée, que l'opinion publique a commencé à prendre la mesure de la tragédie qu'ils avaient vécue. Jusque-là, l'ampleur et l'atrocité des massacres - dont probablement près de cent mille harkis ont été victimes en Algérie - et la marginalisation imposée à ceux qui ont été regroupés en métropole dans les conditions que l'on sait aujourd'hui avaient été largement ignorées ou occultées.

Un récent ouvrage a réveillé la polémique sur la responsabilité du gouvernement français de l'époque dans les massacres de harkis commis après l'indépendance.

Au-delà du débat sur le nombre des morts, qui paraît bien indécent à présent, un fait historique semble incontestable : de nombreux musulmans se sont ralliés à la France quelques mois avant le 19 mars, forts des promesses de protection faites par les autorités françaises sur le terrain.

La responsabilité de la France est donc grande, et votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, a le grand mérite de l'assumer.

Pour en revenir aux rapatriés, profondément attachés aux valeurs nationales, ils ressentent comme une profonde et douloureuse blessure le fait d'avoir été souvent regardés par une partie de l'opinion publique, notamment lors de la guerre d'Algérie, comme les responsables d'une situation dont ils étaient, en réalité, les premières victimes.

Dans ces conditions, les réparations matérielles ne pourront être jugées satisfaisantes que lorsqu'elles procéderont d'une volonté forte de légitimer et de valoriser devant l'opinion publique, nationale et internationale, l'action de pionniers qu'ils ont conduite pendant plus d'un siècle.

Les rapatriés attendent également que l'Etat fasse enfin toute la lumière sur les épisodes les plus sombres de la guerre d'Algérie, notamment sur les enlèvements et les disparitions qui ont suivi les accords d'Evian et le cessez-le-feu. Je pense, en particulier, aux dramatiques événements d'Oran, déjà évoqués à cette tribune.

C'est pourquoi il nous paraît capital que les propositions du rapport Diefenbacher ne restent pas lettre morte : elles portent sur des questions tant matérielles que morales.

En ce qui concerne les réparations matérielles, les mesures proposées dans le rapport doivent être le plus rapidement possible mises en oeuvre. Afin de parachever l'effort de solidarité nationale, il serait notamment question de compléter les aides aux harkis. Ces derniers pourraient ainsi choisir entre un doublement de l'allocation de reconnaissance, qui serait portée à 2 744 euros par an, et une mesure mixte, qui comporterait une augmentation de 30 % de cette allocation et l'attribution sur cinq ans d'un capital de 20 000 euros. Ce dispositif devrait faciliter l'accès des harkis et de leurs familles à une situation comparable à celle de leurs concitoyens.

Par ailleurs, les difficultés particulières que les intéressés rencontrent encore aujourd'hui, notamment pour accéder au marché de l'emploi, nécessiteront le maintien pendant encore plusieurs années de mesures particulières en matière d'éducation, de formation et d'insertion. Le maintien de discriminations positives en faveur des rapatriés apparaît aussi impérieux que la nomination de hauts fonctionnaires issus de l'immigration musulmane.

Mais le devoir de la nation à l'endroit des rapatriés est aussi d'ordre moral.

Plusieurs formes de réparation symbolique proposées dans le rapport Diefenbacher pourraient être mises en oeuvre telles que la transformation du mémorial de Marseille en un centre national de recherche, ou la création d'une fondation reconnue d'utilité publique dédiée à la mémoire des harkis et à l'intégration de leurs enfants. Un jour, peut-être, historiens français et algériens pourront-ils travailler dans ce cadre, main dans la main, au-delà des a priori idéologiques.

Autant que ses possessions matérielles, la mémoire d'une nation fait partie de son patrimoine. La France a le devoir de regarder son passé avec lucidité et humanité. Notre pays doit rendre hommage à ses rapatriés et contribuer à leur rendre leur dignité.

Vaincre les démons du passé pourra véritablement nous aider à affronter les difficultés liées aux communautarismes qui agitent aujourd'hui notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Peyrat.

M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention sera, dans une première partie, d'une nature que l'on pourrait qualifier d'éthique et d'intellectuelle, et, dans une seconde partie, plus matérielle, elle visera le problème de l'indemnisation.

Même si ce débat, voulu par le Gouvernement, rouvre les plaies non encore complètement cicatrisées occasionnées par la présence française en Algérie pendant près d'un siècle et demi par les huit années de conflit, par les accords d'Evian l'armistice et, par leurs funestes conséquences, il était nécessaire.

Avec le recul de plus de quarante ans, ceux qui n'ont pas vécu directement ces événements ont découvert - enfin ! - que les affrontements et les combats étendus pendant presque une demi, qui se masquaient sous le voile pudibond d'opérations de maintien de l'ordre étaient, en réalité, une guerre ; que cette guerre était de nature particulière parce que révolutionnaire, avec des méthodes et des formes d'action particulières qui l'ont rendue effroyablement et injustement cruelle ; qu'elle a eu, enfin, des conséquences funestes, je le disais à l'instant, au sens sémantique du terme. Elle a mobilisé, en effet, des centaines de milliers de jeunes gens en France, projetés dans des embuscades, attentats et combats sans préparation, si j'excepte les troupes aguerries qui venaient juste d'achever, dans le désastre de Diên Biên Phu, la guerre morte d'Indochine.

Cette guerre était particulière parce que les belligérants appartenaient, somme toute, à la même nation, parce qu'elle impliquait des populations civiles avec des politiciens engagés dans des camps antagonistes, une guerre où l'on fit jouer à l'armée un rôle qui n'était pas le sien et parce que enfin, notre pays céda une partie de son territoire, de ses populations et de ses richesses, alors que ses armées étaient victorieuses sur le terrain.

Nos soldats, avec le temps, finissent pour certains par apparaître comme des tortionnaires, malgré leur mission réussie, en dehors des combats, dans l'administration territoriale, les soins, l'enseignement, voire la police.

Toujours dans cette marche du temps, les troupes musulmanes supplétives ou harkies soutenant la France allaient devenir, pour certains responsables étrangers, des « collaborateurs », tandis que les rebelles, devenus héros de l'indépendance, suscitaient, à l'intérieur même de notre pays, des aides et des soutiens contre nos propres hommes engagés dans le combat.

Les attentats terroristes, bombes, égorgements, atrocités diverses, nourrirent en réplique la torture, les jugements sommaires, les exécutions, faisant perdre leur âme à de valeureux combattants des deux bords.

Ceux que l'on a appelés les « centurions » devinrent des parias, certes admirés par ceux qu'ils protégeaient, mais vilipendés par ceux dont ils contrariaient les projets et les calculs, offrant, avec leur vie, le sacrifice de leur gloire.

Après les camps pour les prisonniers rebelles vint le temps déraisonnable des miradors pour ceux-là mêmes qui les avaient arrêtés. L'un des meilleurs d'entre eux, celui qui n'hésita pas, devant le tribunal qui le jugeait, à affirmer que l'on ne pouvait demander à aucun homme de se parjurer, fut déporté pour la deuxième fois dans sa vie de résistant français.

Enfin s'ouvrit, à la fin des combats et après l'armistice, une période encore mystérieuse où l'armée française subit des meurtrissures - 152 morts, 422 blessés et 162 disparitions supplémentaires -, où nos malheureux compatriotes d'Algérie subirent les affres de la fusillade du 26 mars devant la Grande Poste, rue d'Isly, à Alger, et où fut perpétré l'ignoble massacre d'Oran, avec son cortège de disparus dans la nuit du Maghreb.

Vous avez dit, à l'Assemblée nationale, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il fallait ouvrir les archives de la guerre d'Algérie et réserver leur place à ces événements dans l'enseignement, ajoutant : « L'Etat doit faciliter et encourager les recherches des historiens, afin qu'ils puissent établir avec objectivité et sérénité la vérité sur ces événements. » Bravo, monsieur le secrétaire d'Etat ! Que l'Etat le fasse avec objectivité, sans craindre de se voir révéler des erreurs, peut-être des fautes ou des mensonges, car c'est l'honneur d'un grand pays que de les reconnaître, si tel est le cas, comme il en a été pour les faits de collaboration et d'antisémitisme de 1940 à 1944.

Nous sommes un grand nombre à attendre de savoir qui a commandé, le 26 mars, le feu des tirailleurs qu'un jeune sous-lieutenant s'épouvantait de devoir faire cesser ; qui a ordonné à nos troupes de demeurer dans leurs casernes, l'arme au pied, pendant que l'on tuait leurs concitoyens, parfois à coups de hache qui, enfin, a condamné au martyr - et dans quelles conditions ! - nos amis harkis ayant fait confiance à la France.

L'armée est sortie meurtrie, divisée, souillée par cette « sale guerre » que les politiques lui ont demandé de faire en fermant les yeux sur les conditions d'engagement sur le terrain, et amoindrie par la dissolution de ses meilleures unités opérationnelles de combat.

La nation s'est scindée en deux fractions ennemies qui, quarante ans après, n'ont toujours pas réussi à se réconcilier. Aujourd'hui encore, on se dispute, à coup de drapeaux d'anciens combattants, dans les défilés, devant des monuments, pour savoir quelle est la date à retenir pour l'hommage aux morts de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. Les harkis et, le plus souvent, leurs enfants se posent des questions en face des services rendus, somme toute volontairement, à la France en ce qui concerne le prix payé - et encore à payer - pour avoir fait ce choix.

Mais j'en viens maintenant à ma seconde partie, plus matérielle, qui concerne la réparation.

D'abord, la réparation morale de l'injustice et l'hommage à rendre à ces femmes et à ces hommes dévoués à la France, à ceux qui sont morts, à leurs proches, à ceux qui ont connu la douleur de la séparation, de la fuite vers la métropole, de la perte de leurs racines, puis l'accueil précaire dans les camps ou les difficultés d'installation et d'intégration, encore actuelles.

Il est un fait que votre gouvernement a donné des signes forts en direction d'une politique nouvelle : la création d'une mission interministérielle, l'inauguration du mémorial national de la guerre d'Algérie - auquel s'ajoutera celui de Marseille -, l'installation du Haut Conseil des rapatriés, la pérennisation de la journée d'hommage national aux harkis et, enfin, tant attendue, la journée nationale d'hommage aux morts pour la France de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, désormais fixée au 5 décembre.

Toutes ces dispositions viennent solennellement réintégrer dans la patrie ceux qui ont cru un temps en avoir été exclus. Pour les morts, pour l'histoire, cette reconnaissance, même si tardive, est une bonne chose. Cependant, comment les dommages seront-ils réparés pour ceux qui ont tout perdu et qui demeurent en vie ? En effet, en quarante ans d'atermoiements, disons-le, on a fait des économies !

Des femmes et des hommes, citoyens de ce pays, ont été abandonnés pour des raisons que la recherche historique expliquera, si elle ne les justifie pas. Devons-nous les indemniser pour cet abandon ? A mon sens, oui ! Cela a d'ailleurs déjà été entrepris, vous le rappeliez tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat.

Et comment indemniser de manière juste le préjudice matériel, occasionné par la perte de biens, de situations, d'exploitations, d'entreprises, de statut social, et même de devenir ?

Dans son excellent rapport, M. Diefenbacher a dégagé trente et une propositions issues d'un long travail afin, d'une part, de rétablir la vérité et la mémoire, mais aussi d'apporter, d'autre part, des réponses matérielles aux attentes - fortes, est-il précisé dans le rapport - des rapatriés, pieds-noirs ou harkis ayant réussi à vivre ou à survivre, jusqu'à ce jour.

Il me paraît juste que les réparations matérielles dont, il est vrai, le montant global est important, soient décidées immédiatement afin de sortir résolument de l'ensemble mis en place jusqu'alors d'une manière qui a été qualifiée dans ce rapport de fragmentaire et souvent tardive.

Après avoir reconnu et effacé une première injustice ce qui,- soit dit entre nous, n'est financièrement pas très onéreux -, ne nous laissons pas aller, pour des motifs d'équilibre budgétaire, à une deuxième et tout aussi grave injustice matérielle. Payons à ces familles - 425 000 rapatriés, est-il établi dans le rapport, et 154 000 harkis de la première et de la deuxième générations - ce que nous leur devons dans le cadre d'une quatrième et, je l'espère, dernière loi d'indemnisation.

Ne laissons personne en dehors. Et je songe, à cet instant, aux pitoyables arguties inventées pour laisser à l'écart de cette prochaine loi les supplétifs non musulmans.

Le travail acharné de toutes et de tous, familles expatriées de colons, musulmans de souche, a fertilisé cette terre d'Algérie. Administrateurs coloniaux, métropolitains, enseignants, médecins, entrepreneurs, agriculteurs, travailleurs de toutes races, confessions et conditions, ont assuré la construction de villes, de routes, de chemin de fer, d'aéroports, d'industries, de bâtiments publics.

La France a financé les recherches dans le désert pour trouver le gaz naturel et le pétrole, notamment à Hassi Messaoud, dont la métropole a bénéficié et dont profite, maintenant, la nouvelle nation algérienne. L'une et l'autre sont redevables et selon une participation directe ou indirecte à définir, doivent rembourser la part d'enrichissement acquise à ceux qui, par leurs investissements, leur labeur, leurs sacrifices, leurs souffrances, leur ont procuré cette richesse dont ils ont joui ou continueront à jouir.

Voilà, monsieur le secrétaire d'État, grâce à vous, le temps est venu de dire ces choses et, beaucoup mieux encore, de les faire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en me félicitant que ce débat ait enfin lieu, je voudrais remercier notre collègue député Michel Diefenbacher du travail qu'il a accompli, même si la présente discussion doit encore permettre d'affiner la réflexion qu'il a conduite.

Dans une terre meurtrie et aimée de tous les protagonistes, comme l'exprimait si bien Albert Camus, les histoires personnelles et l'histoire des peuples s'entremêlèrent de telle façon qu'il fut difficile de distinguer les intérêts conjugués ou parfois opposés des différentes couches sociales et ethniques, de distinguer le personnel du général et, surtout, de comprendre les raisons d'une guerre fratricide... Car c'était bien une guerre, même si on l'a niée pendant longtemps, et une guerre coloniale dont on n'a pas fini de mesurer les dégâts.

Vous me permettrez ici de faire référence à mon camarade Henri Alleg qui, plus que tout autre, a vécu douloureuseument cette époque. Un très beau film de Jean-Pierre Lledo, Un rêve algérien, fait retour sur un espoir de fraternité unissant toutes les origines, espoir porté par le journal Alger républicain, que dirigera Henri Alleg durant huit ans. Après la projection, il disait ne pas se résigner au pessimisme : « Ce rêve est interrompu mais pas terminé, car il faisait partie d'un plan plus général : celui d'un monde entier fraternel. »

Je voudrais insister sur le fait que les personnes dont nous parlons, les « rapatriés », bien que ce terme me choque dans sa froideur clinique -, étaient dans leur grande majorité de petites gens qui avaient cru au rêve algérien et que l'on ne peut assimiler à de grands propriétaires colons.

Il y a quarante et un ans, ces familles sont rentrées dans la précipitation, spoliées, mal accueillies, voire sans être accueillies, dans le désordre d'une histoire non encore assumée, comme vous le rappeliez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat.

A ce propos, j'évoquerai plus loin la communauté harkie et ses descendants, malheureux héritiers de cette histoire dont je doute qu'elle soit, encore à ce jour, assimilée par tous nos concitoyens.

En effet, la complexité de l'histoire de la colonisation et du développement de l'Algérie mériterait - comme l'a proposé à l'Assemblée nationale mon collègue et ami François Liberti - qu'un collectif indépendant d'historiens se mette au travail dans la sérénité et ait accès à toutes les archives.

Ce dont ont besoin toutes les victimes de la guerre d'Algérie, c'est de reconnaissance, de réparation et d'une mémoire réhabilitée. Il est temps que notre pays assume ses responsabilités, que nous reconnaissions notre responsabilité collective.

Les mesures prises, dont pas moins de trois lois, n'ont pu mettre un terme au contentieux. Je me contenterai de rappeler que les Italiens ont indemnisé leurs rapatriés à 100 %, et nous à environ 20 %.

Le dossier des rapatriés d'Afrique du Nord a été instruit avec beaucoup de retard et beaucoup d'injustices depuis 1962. Aujourd'hui, rapatriés comme harkis doivent être reconnus pour ce qu'ils sont : des victimes de guerre auxquelles doit être appliquée la législation en vigueur. Il est donc urgent que le Gouvernement présente un projet de loi de réparation enfin définitive.

S'agissant des dossiers de réinstallation, les trois textes adoptés par le Parlement, qui tendaient à une suspension de poursuite au profit des rapatriés et à une aide au désendettement, sont loin d'avoir tout réglé. Des centaines de dossiers demeurent en souffrance.

C'est pourquoi les associations de rapatriés demandent que l'aide de l'Etat soit définie avant le début de la négociation entre rapatriés et créanciers. Ainsi, les plans d'apurement pourraient aboutir plus rapidement. Le taux de la participation de l'Etat à la prise en charge des dettes des réinstallés doit être suffisamment incitatif et tenir compte des réalités propres à certains dossiers.

Ces associations préconisent un effacement de 50 %, non limité en volume, pour le passif général et de 100 % pour le passif social non rémissible par les caisses. Cette disposition aurait l'avantage d'éviter les effets de seuil, souvent désastreux.

On pourrait, pour plus de justice, prévoir deux exceptions. Ainsi, pour les dettes égales ou supérieures à 1 million d'euros, les dossiers feraient l'objet d'une expertise particulière en fonction de laquelle la part de l'intervention de l'Etat serait modulée. Quant aux dossiers à dominante sociale, d'un passif de 230 000 euros maximum, la subvention de l'Etat pourrait excéder le taux forfaitaire de 50 %.

Compte tenu des délais de traitement des dossiers, les dettes à prendre en compte doivent être celles qui auront été recensées au 31 décembre 2003 et non plus au 31 décembre 1998. En effet, entre-temps, les endettements se sont considérablement aggravés, mettant des familles dans des situations dramatiques.

Il conviendrait également que les disparus, estimés à plus de 3 000 - chiffre sans doute minoré -, ne soient pas oubliés dans cette future loi. Une enquête sur leur sort serait bienvenue, comme le propose le rapporteur Michel Diefenbacher. Cependant, une commission paritaire au sein de laquelle une place serait faite aux familles me semblerait beaucoup plus judicieuse qu'un comité de sages comprenant des magistrats, un représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU et une personnalité qualifiée.

Le Gouvernement pourrait également faire sienne la proposition du comité de liaison des rapatriés d'assouplir le 5° de l'article 7 de la loi du 3 janvier 1979, pour permettre aux familles d'avoir accès aux archives.

Je voudrais cependant revenir sur le cas particulier des harkis.

Monsieur le secrétaire d'Etat, une forte communauté harkie habite dans ma ville, et je suis ce dossier depuis de très nombreuses années. L'Etat a des responsabilités à l'égard de ces personnes et de leurs descendants, et il est plus que temps de clore ce douloureux dossier.

Il existe une catégorie de harkis et de supplétifs qui n'ont pu percevoir l'allocation de 60 000 francs accordée par la loi du 16 juillet 1987 ni celle de 110 000 francs accordée par la loi du 11 juin 1994 pour la simple raison qu'ils ne possédaient pas la nationalité française avant le 21 mars 1967, pour les uns, ou avant le 10 janvier 1973, pour les autres, alors qu'ils remplissaient toutes les autres conditions légales.

Cette situation s'explique aisément par le fait qu'ils étaient demeurés dans la plus totale ignorance de la procédure administrative à suivre avant ces dates. J'estime qu'il y a là une injustice à réparer.

En bref - puisque mon temps de parole ne me permet pas de prétendre à l'exhaustivité -, il convient de mettre en place une indemnisation matérielle et morale afin que la France se libère enfin de la dette de reconnaissance qu'elle n'avait pas payée à certains de ses enfants. Alors, les traumatismes commenceront à s'estomper en se fondant dans une mémoire collective retrouvée et honorée, et le deuil pourra se faire.

Notre responsabilité, aujourd'hui, est de soulager rapatriés et harkis du poids de l'Histoire, de conforter leur intégration à la communauté française et, ainsi, de renforcer l'unité de la nation, l'unité de la République.

Pour cela, il convient de légiférer de façon définitive. Aussi, je me réjouis, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement s'y engage par votre voix. Encore faudra-t-il que les moyens soient à la hauteur des promesses et de la nécessaire réparation ultime. Je vous assure de la vigilance de mon groupe à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Max Marest.

M. Max Marest. Monsieur le secrétaire d'Etat, étant le dernier orateur inscrit, je serai amené à répéter ce que mes collègues ont déjà dit ; mais je vais essayer de parler avec mon coeur.

En 1956, j'avais vingt-sept ans, et je suis parti en Algérie servir mon pays en tant qu'officier de réserve rappelé. J'ai découvert alors une région qui ressemblait à la France, peut-être parce que notre pays avait oeuvré depuis plusieurs générations au développement de cette terre et que certains endroits, nous étions nombreux à avoir le sentiment de nous trouver dans le midi de la France.

Aussi, mon propos se contentera d'évoquer ce que j'ai connu : l'Algérie.

Certains d'entre nous ont une histoire liée à l'Algérie. Pour certains, il s'agit d'une histoire heureuse et triste à la fois ; pour d'autres, il s'agit d'une histoire douloureuse. Dans tous les cas, l'Algérie fait partie intégrante de leur vie, car l'Algérie, pour eux, c'était la France, une province et ses quinze départements français.

Le temps passe, les blessures cicatrisent plus ou moins, les souvenirs restent.

Aujourd'hui, nous sommes ici pour évoquer l'histoire des rapatriés, une histoire qui appartient à notre pays, une histoire qui fait partie de l'histoire de la France.

Depuis le 21 septembre 1997, les événements d'Algérie sont officiellement désignés en France comme une « guerre » à part entière. En effet, quand vous êtes amené à vous battre pour sauver la vie d'hommes, de femmes et d'enfants, et la vôtre, quand vous êtes amené à tuer, cela porte un nom : la guerre. On en connaît les épisodes et l'épilogue.

Je me dois de rappeler ici les accords d'Evian et leur annonce à nos concitoyens par le Haut Commissariat de la République en Algérie, dans un document intitulé Les accords d'Evian et les pieds-noirs : « Français d'Algérie, si après un délai de réflexion de trois ans vous ne choisissez pas la nationalité algérienne, vous bénéficierez d'un statut particulier, tout en conservant la nationalité française ; vous aurez la garantie d'un traitement privilégié : vous pourrez emporter vos meubles, vendre vos immeubles ou vos terres et transférer vos capitaux. Vous pourrez acheter, gérer et céder librement tous les biens. Vos biens fonciers seront protégés. Ceux d'entre vous qui sont agriculteurs ne pourront être expropriés que dans le cadre d'un plan de rachat et contre indemnité équitable dont le financement sera garanti par l'aide de la France. »

Telle était la promesse ! Quarante ans après, ce rappel n'est-il pas éloquent ?

Beaucoup y ont cru, jusqu'à ce qu'ils aient dû, pour sauver leur vie et leur liberté, quitter leur province natale dans des conditions matérielles difficiles, abandonnant tout.

Ils pouvaient espérer, en arrivant en métropole, que les droits qu'on leur avait annoncés seraient appliqués. En réalité, accueillis dans l'indifférence, voire dans l'hostilité, ils n'ont reçu dans un premier temps que des allocations de survie. A cette époque, une seule loi d'indemnisation aurait dû suffire à clore le dossier.

L'exode des rapatriés a été une véritable épreuve, car l'indemnisation des familles a eu lieu, je le souligne, trop tardivement. Il est donc temps que la France assume ses responsabilités, qu'elle reconnaisse ses fautes, qu'elle tente de réparer l'irréparable.

Après le départ de la présence française, les enlèvements se sont multipliés. Selon M. Jean de Broglie, secrétaire d'Etat aux affaires algériennes de l'époque, on peut parler de 3 019 disparus en neuf mois, dont seulement 1 282 ont été libérés ou retrouvés assassinés. Si l'on rapportait ces chiffres aux 60 millions de Français, aujourd'hui, on obtiendrait 100 000 disparus !

Une enquête de la Croix-Rouge internationale réalisée de mars à septembre 1963 laisse supposer que ce chiffre a été minoré. En outre, on estime à 210 000 les musulmans tués par le FLN.

A titre de comparaison, le régime dictatorial de Pinochet a fait en dix ans 1 015 disparus, à comparer à nos 3 019 en neuf mois !

Aussi, la solution préconisée dans le rapport de notre collègue député Michel Diefenbacher de constituer, en liaison avec le Haut Conseil des rapatriés, un comité des sages chargé d'enquêter sur la situation des disparus semble être de bon augure, car les familles attendent depuis de longues années.

En effet, le 24 février 2003, le Premier ministre a confié à Michel Diefenbacher, notre collègue député de Lot-et-Garonne, une mission concernant les rapatriés de toutes origines, avec trois objectifs : analyser les politiques et les dispositifs de solidarité en vigueur ; porter une appréciation sur l'adaptation du dispositif de réparation et sur son évolution ; rechercher les solutions permettant de parachever les efforts de reconnaissance matérielle et morale de la nation, qui sont indissociables.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez rassurés tout à l'heure sur la prise en compte de ce rapport.

M. Diefenbacher a travaillé pendant six mois avec la mission interministérielle aux rapatriés, la MIR, l'agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer, l'ANIFOM, et le service central des rapatriés, le SCR. Le Haut Conseil des rapatriés a également été consulté, ainsi que ses deux sections, rapatriés et harkis, tout comme des associations et des particuliers.

Plusieurs constats ont été faits qui méritent quelques réflexions.

Plus de quarante ans après l'indépendance, l'attente des rapatriés reste la même, cela a déjà été souligné : ils demandent que l'Etat prenne en compte les vies gâchées, brisées, et l'arrivée sur une terre de métropole que certains n'avaient jamais foulée dans des conditions que nous connaissons tous.

Les nouvelles générations ne savent pas ce qu'a été la guerre d'Algérie ni ce que sont les rapatriés, qui restent d'ailleurs relativement modestes et silencieux. Aussi, vous me permettrez de citer la définition juridique que donne des rapatriés la loi du 26 décembre 1961 : ce sont les « Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ».

Au 31 décembre 2002, le nombre de rapatriés était de 1 483 321, soit environ 600 000 ménages. Au total, la somme consacrée à l'indemnisation s'élève, actualisée, à 14,2 milliards d'euros.

Malgré ce chiffre important, l'indemnisation n'a pas été suffisante. Aujourd'hui, les associations de rapatriés estiment que 600 000 ménages, soit 1,5 million de personnes, sont susceptibles d'être indemnisables ; elles réclament que soient consacrés à l'indemnisation 12,7 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent de trois jours du produit intérieur brut de la France, soit 21 200 euros par ménage ou, si je « traduis », 139 000 francs, en moyenne bien sûr.

A cet égard, le doyen Georges Vedel et René-William Thorp ont écrit, dans la conclusion de la « Consultation sur les droits des Français atteints en Algérie par des mesures de dépossession » : « Il existe incontestablement un droit des Français d'Algérie ayant subi des pertes ou des spoliations à l'indemnisation directe de celles-ci par l'Etat français, indépendamment de tout problème de paticipation de l'Etat algérien à cette indemnisation.

S'agissant d'une obligation juridique à réparation, et non de secours ou de mesures de bienveillance, le quantum est mesuré par l'équivalent économique de la perte subie. »

En effet, les trois lois d'indemnisation de 1970, de 1978 et de 1987 qui ont longuement été évoquées, n'ont pas respecté les principes qui fondent la société de droit et assurent la cohésion nationale. De plus, leur application a été différée et étalée dans le temps : l'exécution de la première loi ayant commencé dix ans après les spoliations de 1962 et celle de la troisième loi s'étant achevée trente-cinq ans après, on peut comprendre aisément qu'une certaine amertume se soit installée.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez récemment apporté sur les retraites différentes précisions qui devraient satisfaire les principales revendications des intéressés - on ne peut que s'en réjouir -, en particulier le rétablissement des droits des cadres rapatriés et des médecins à l'égard des retraites complémentaires.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, vous me permettrez maintenant d'évoquer les harkis, qui font partie de la grande famille des rapatriés français et qui ont subi le même préjudice.

Le 25 septembre 2001, le président Jacques Chirac déclarait : « Notre premier devoir, c'est la vérité. Les anciens des forces supplétives, les harkis et leurs familles, ont été victimes d'une terrible tragédie. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus. La France, en quittant le sol algérien, n'a pas su les empêcher. Elle n'a pas su sauver ses enfants... Leur engagement aux côtés de la France, les massacres dont ils ont été victimes dans l'Algérie devenue indépendante, les difficultés de leur intégration personnelle et familiale en métropole exigent à l'évidence qu'une attention toute particulière soit portée aux harkis et que la dimension du drame qu'ils ont vécu soit pleinement prise en compte par l'Etat. La fidélité dont ils ont témoigné, les sacrifices qui en ont résulté, l'oubli qui leur a été longtemps infligé font qu'aujourd'hui encore la dette de la France à leur égard n'est pas entièrement acquittée. »

Le nombre des harkis reste imprécis pour deux raisons : d'une part, les historiens ne retiennent pas les mêmes définitions ; d'autre part, aucun service n'a tenu de statistiques. Cependant, il semblerait qu'un consensus rassemble peu à peu les historiens français et qu'une évalutation de 60 000 à 80 000 victimes harkies soit aujourd'hui retenue.

Comme l'a très bien expliqué l'historien Benjamin Stora dans son livre consacré à la mémoire de la guerre d'Algérie : « Les harkis sont des témoins gênants des deux côtés de la Méditerranée. »

M. Jacques Peyrat. C'est vrai !

M. Max Marest. « En effet, reconnaître l'histoire des supplétifs musulmans conduit à briser le mythe fondateur du peuple uni contre la colonisation... » - je crois que c'est un point qui mérite d'être souligné - « ... encore faut-il démontrer l'existence d'un peuple algérien en 1962 et en France l'abandon des harkis a toujours provoqué un malaise emprunt d'une culpabilité certaine. Aujourd'hui comme hier, les harkis veulent être des citoyens comme les autres et ils ont le sentiment que cela ne sera possible que lorsque les nécessaires mises à niveau auront été faites », en termes de morale et en termes de finances, ajouterai-je.

Le 25 septembre, institué journée nationale d'hommage aux harkis, est un geste symbolique qui répond en partie à leurs attentes. Le Président de la République a su entendre la voix de ceux qui se sont battus ou qui sont morts pour notre patrie.

Je terminerai mon propos en abordant un point essentiel : le devoir de mémoire et de vérité. Pour le présent et pour l'avenir, pour les nouvelles générations, notre pays doit faire une quête du souvenir, et, à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez rassurés.

Les attentes des rapatriés portent en effet sur trois points principaux : premièrement, la conservation de la mémoire ; deuxièmement, l'enseignement scolaire, qui passe par l'exercice - et Dieu sait s'il est essentiel - d'un droit de regard sur le contenu des manuels mis entre les mains des élèves et des maîtres, car que n'a-t-on pas écrit ; troisièmement, la préservation des sources.

Le mémorial de Marseille, qui est à l'état d'ébauche, doit être un haut lieu du souvenir, mais aussi un centre national de recherche, d'échange, de diffusion et de promotion.

Il est indispensable d'y associer les témoins pour que la définition du message historique soit la plus exacte possible. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner des informations quant à ce projet et nous dire quelles sont les propositions qui ont été faites jusqu'alors ?

Concernant la préservation des sources, monsieur le secrétaire d'Etat, pourriez-vous nous donner des indications sur la volonté du gouvernement de l'Algérie de restituer les doubles des archives d'état civil ?

S'agissant du devoir de mémoire et de vérité, la France doit se souvenir, se souvenir qu'elle a en quelque sorte abandonné ses enfants, se souvenir de ses fautes. Se souvenir, ce sera le prix à payer pour que les futures générations comprennent qu'un jour ou l'autre on doit toujours rendre des comptes.

On dit que notre société perd ses repères, perd ses valeurs ; aujourd'hui, si l'Etat montre aux jeunes générations qu'il reconnaît ses erreurs, alors nous sommes sur la bonne voie, celle qui place l'être humain au-dessus de la raison d'Etat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Monsieur le président, mesdames messieurs les sénateurs, je souhaite remercier sincèrement chacune et chacun des orateurs.

Au-delà de vos convictions respectives, vous avez tous attesté du respect de la nation pour les souffrances subies par les rapatriés et en particulier les harkis.

Vous avez tous partagé la volonté du Gouvernement d'apporter des réponses fortes aux attentes de nos compatriotes.

Je sais qu'ils seront très sensibles à ce message unanime de la représentation nationale.

Pour ma part, j'y vois la confirmation de l'analyse qui nous a conduits à agir fortement depuis dix-huit mois, à vous proposer ce débat et à préparer un projet de loi.

Ce moment était attendu, et les promesses sont tenues.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant m'efforcer de répondre aussi précisément que possible à vos questions en procédant par thème, puisque beaucoup de sujets ont été évoqués par plusieurs d'entre vous, et je vous remercie encore d'avoir tracé ainsi des lignes dont nous saurons nous inspirer pour apporter des réponses à de légitimes attentes.

Vous m'avez tous interrogé sur les dossiers de réparation, et je sais gré à ceux d'entre vous qui ont bien voulu saluer les mesures déjà prises en 2002 et 2003 par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, conformément à la volonté de M. le Président de la République, qui comme vous le savez, suit avec attention, comme il l'a toujours fait, le dossier des rapatriés.

Sans même attendre les conclusions de la concertation qui a été engagée non plus que celles de ce débat, le Gouvernement a en effet tenu à prendre les mesures que l'urgence imposait. Je l'ai indiqué à l'ouverture de ce débat.

Mesdames, messieurs le sénateurs, tous les orateurs de tous les groupes ont évoqué les mesures de réparation encore nécessaires à l'égard des harkis et de leurs familles.

Le Gouvernement considère également qu'un effort supplémentaire doit être fait en faveur des anciens combattants et de leurs veuves.

Il s'agit pour nous aujourd'hui d'améliorer leur vie au quotidien par le biais d'une revalorisation forte de l'allocation de reconnaissance. Dès le 1er janvier prochain, cette allocation sera portée à 453 euros par trimestre. Elle deviendra ainsi un important complément de retraite pour nos compatriotes.

Nous connaissons aussi les difficultés qu'ont éprouvées les harkis pour justifier de titres de propriété qui leur auraient permis d'être indemnisés, comme tous leurs compatriotes. Le Gouvernement a la volonté d'apporter un nouveau complément aux efforts déjà accomplis.

S'agissant des jeunes issus de familles harkies, j'ai déjà indiqué à l'Assemblée nationale et je dis au Sénat, plus particulièrement à M. Kerguéris qui m'a interrogé sur le sujet, que je suis personnellement sensible à cette question. L'accès à l'emploi et à un métier est essentiel pour ces jeunes qui souffrent plus que d'autres du chômage et de la discrimination, une des causes, comme je l'ai indiqué dans mon intervention en ouverture de ce débat, de leur marginalisation.

Il s'agit aujourd'hui de les accompagner de façon privilégiée dans tous les dispositifs d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle que nous voulons mettre en place, afin de faciliter leur insertion dans le tissu économique et social. Il s'agit aussi, comme je l'ai déjà dit, mesdames, messieurs les sénateurs, de mobiliser les grands employeurs de notre pays.

Les préfets ont été mobilisés pour faciliter l'emploi de ces jeunes. Le recensement des demandeurs d'emploi se termine. Des opérations ciblées seront organisées en 2004 dans les principaux départements. Les collectivités locales concernées seront, bien entendu, informées, et je suis convaincu qu'elles se mobiliseront sur ce sujet.

J'ajoute que très nombreux sont les cas de réussite des enfants de harkis lorsqu'on leur accorde l'égalité des chances, dans toutes les professions et tous les métiers. Pour que ces réussites soient encore plus nombreuses, il convient de se battre inlassablement contre le fléau de la discrimination.

En ce qui concerne le logement des harkis, sur lequel m'a interrogé M. Peyrat, le Gouvernement a décidé de prolonger en 2004 les mesures d'accession à la propriété et le désendettement immobilier, et de réactiver la mesure d'aide à l'amélioration de l'habitat. En aidant ainsi les harkis à accéder à la propriété, ce sont des racines que l'on recrée et aussi un patrimoine que l'on transmet un jour aux enfants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de préciser que, contrairement à une idée reçue, la moyenne d'âge des harkis n'est pas très élevée. Un tiers a moins de soixante-cinq ans et les deux tiers ont moins de soixante-dix ans. Aussi, nous étudions la possibilité de les faire bénéficier de prêts adaptés à des taux réduits, en plus de l'aide spécifique.

La question de la réintégration dans la nationalité française m'a été posée par M. Fischer.

Il existe en effet des personnes mal informées, essentiellement des harkis et des veuves, qui ont conservé la nationalité algérienne faute de maîtriser les démarches administratives. Elles ne peuvent de ce fait bénéficier de l'ensemble des mesures législatives prises en leur faveur. Le Gouvernement étudie dans quelles conditions des mesures dérogatoires pourraient être mises en place pour leur permettre de bénéficier de la plénitude de leurs droits.

Madame Printz, vous m'avez interrogé sur le voyage du Président de la République en Algérie. Au cours de cette visite, il a évoqué avec son homologue algérien les problèmes de la libre circulation des ressortissants français en Algérie. Je peux vous l'affirmer, de réels progrès ont été accomplis depuis cette rencontre. Soyez assurée que nous suivons cette affaire de très près. La mission interministérielle fait quotidiennement le bilan de tout ce qui pourrait être une dérogation à la marche naturelle de la libre circulation, que nous appelons évidemment de tous nos voeux.

Le ministre des affaires étrangères, particulièrement vigilant sur ce sujet, ne manque pas de saisir l'ambassade d'Algérie - et cela s'est fait à plusieurs reprises - dès qu'il a connaissance d'un problème.

MM. Marest, Peyrat, Kerguéris, Fischer et Vallet, ainsi que Mme Printz, ont évoqué le problème de l'indemnisation des biens perdus en Algérie et des injustices qui découlent de la mise en oeuvre des différentes lois.

Les préjudices subis par les rapatriés d'Afrique du Nord lorsqu'ils ont été contraints d'abandonner leurs biens ont été considérables, je vous l'accorde. C'est la loi du 15 juillet 1970 qui a fixé les bases d'un droit à l'indemnisation.

Je sais que les rapatriés considèrent que cette question n'est pas totalement réglée et que l'Etat français doit assumer les conséquences de la dépossession intervenue après l'indépendance de l'Algérie.

La solidarité de la nation envers nos compatriotes rapatriés a toutefois été réelle et importante. Elle s'est réalisée au moyen des lois d'indemnisation de 1970, de 1978 et, surtout, de 1987.

L'Etat a ainsi versé au total plus de 14 milliards d'euros aux victimes du rapatriement.

L'importance des sommes en cause montre l'implication du pays tout entier pour faire face aux conséquences de cette épreuve nationale.

Il est vrai cependant que la mise en oeuvre de ces législations a conduit à certaines inégalités. Je pense notamment aux inégalités liées à l'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978.

Ces législations ont en effet prévu des remboursements anticipés de prêts de réinstallation prélevés sur les certificats d'indemnisation. Ils ont ainsi créé une inégalité entre les rapatriés, certains ayant vu leurs prêts effacés en 1986, d'autres pas.

Je vous confirme que le Gouvernement souhaite que la solidarité nationale puisse d'exprimer pour réparer l'injustice née de l'application des lois de 1970 et 1978.

M. Jacques Peyrat. Très bien !

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat. M. Fischer m'a interrogé sur les difficultés liées au fonctionnement de la CNAIR.

Je rappelle que ce dispositif a été mis en place en 1999 pour prendre la succession des commissions départementales, qui étaient en passe d'achever, je me plais à le souligner, le règlement de cette question.

En effet, ce dossier a fait l'objet de mesures successives depuis 1969. Sur les 26 000 dossiers de réinstallation ouverts lors du rapatriement, 800 environ exigent encore un traitement, car ils n'ont pas bénéficié pleinement des dispositifs antérieurs.

Force est de constater aujourd'hui que les mesures prises par décret, il y a maintenant près de quatre ans, n'ont pas été efficaces. Jusqu'au troisième trimestre 2002, le nombre de dossiers traités est resté très faible.

Dès son arrivée, le Gouvernement a pris plusieurs mesures, à commencer par un renforcement en personnel pour l'instruction des dossiers soumis à la CNAIR. En un an, près de 1 000 dossiers ont été examinés, contre 900 entre 1999 et 2001.

Par ailleurs, un audit a été demandé par le Premier ministre à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de l'administration. Cet audit vient d'être remis.

Les pistes qu'il suggère pour accélérer de manière équitable et humaine le dossier de la réinstallation sont actuellement étudiées. Sans entrer dans le détail, il s'agit aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de mobiliser et de responsabiliser tous les partenaires du dispositif : rapatriés, créanciers, services centraux et locaux de l'Etat, et CNAIR.

Dès à présent, le Gouvernement a souhaité l'inscription de crédits significatifs - pour être précis, 10 millions d'euros - en loi de finances rectificative afin de permettre une accélération des aides de l'Etat.

En ce qui concerne les médecins rapatriés, je peux indiquer à M. Marest qu'un accord est intervenu entre les pouvoirs publics et la direction de la sécurité sociale pour leur permettre de racheter les cotisations de retraite correspondant aux années d'exercice en Algérie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en arrive maintenant aux questions, que vous avez tous évoquées, de la vérité historique, de la reconnaissance et des responsabilités, notamment de l'Etat français, dans les drames survenus après le 19 mars 1962.

Vous l'avez rappelé, monsieur Marest, la guerre d'Algérie fut, comme toute guerre qui engage les populations civiles, l'occasion de trop nombreuses atrocités. Je sais que beaucoup de familles de rapatriés de toutes origines n'ont jamais pu faire le deuil de leurs proches. Je sais l'émotion qui est toujours la leur aujourd'hui. Le temps ne peut effacer la douleur de la perte d'êtres chers.

Vous l'aurez compris en entendant ma déclaration liminaire, le Gouvernement a la ferme volonté d'aider à éclairer les zones d'ombre, à faire la lumière sur des événements plus ou moins douteux.

M. Jacques Peyrat. Ou mystérieux !

M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat. Il s'agit de clarifier les choses, pour que chacun puisse être en paix avec sa conscience.

S'agissant des disparus, j'assure à MM. Peyrat, Marest, Vallet, Fischer et Kerguéris que le dossier est suivi avec la plus grande attention. Le rapport établi en 1963 par la Croix-Rouge internationale sur le sort des prisonniers et disparus en Algérie a été communiqué, en juin dernier, à des historiens afin de rendre public son contenu.

A la demande du Gouvernement, la direction des archives du ministère des affaires étrangères a identifié plus de 3 000 dossiers relatifs à ces événements.

Ces dossiers n'étant communicables que passé un délai de soixante ans, nous étudions actuellement les conditions dans lesquelles des dérogations pourraient être accordées aux familles concernées. Nous le devons à ces familles durement éprouvées ; c'est la moindre des choses que nous puissions faire.

M. Vallet m'a interrogé sur les cimetières français en Algérie.

Ce dossier a constitué l'un des thèmes importants de la visite historique du Président de la République en Algérie en mars 2003, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer.

La France et l'Algérie coopèrent déjà activement et des travaux importants ont été réalisés, sur l'initiative tant des autorités locales algériennes que des consulats français.

Pour coordonner l'ensemble de cette action, un plan de réhabilitation sur cinq années a été établi.

Dans un premier temps, une commission technique franco-algérienne s'est attachée à dresser un audit précis de l'état des 549 cimetières dénombrés.

L'ambassade de France a mis en ligne, sur son site Internet, le premier recensement établi, qui porte sur près de 200 cimetières. Un calendrier de travaux prioritaires va être préparé par le ministère des affaires étrangères, en liaison avec les autorités algériennes, la mission interministérielle aux rapatriés et les associations de rapatriés.

Pour répondre aux demandes des collectivités territoriales, qui ont souhaité, tout à fait légitimement, participer financièrement au plan de réhabilitation lancé par l'Etat, un fonds de concours sera prochainement ouvert par le ministère des affaires étrangères.

En ce qui concerne le mémorial national de l'outre-mer de Marseille, je précise à MM. Marest et Kerguéris que le Premier ministre a annoncé, au mois d'août dernier, que l'Etat participerait au projet lancé sur l'initiative du maire de Marseille, M. Jean-Claude Gaudin, et apporterait une aide de 5 millions d'euros en crédits d'investissement à cette réalisation.

Le bâtiment, de plus de 3 000 mètres carrés, sera situé sur une parcelle contiguë au parc Chanot, bien desservie et ayant accueilli le musée colonial jusqu'en 1962.

Le maire de Marseille et moi-même serons attentifs à associer les rapatriés à ce grand projet. Je suis allé visiter le site sur lequel sera installé le mémorial : je puis vous affirmer, mesdames, messieurs les sénateurs, que la municipalité de Marseille a veillé avec le plus grand soin à ce que ce lieu de mémoire réponde à tous nos espoirs.

Nous disposerons ainsi d'un outil irremplaçable de promotion et de valorisation de l'engagement outre-mer, au nom de notre pays, de générations de femmes et d'hommes de toutes origines. Vraiment, nous devons, mesdames, messieurs les sénateurs, mieux valoriser ce passé dont notre nation peut s'enorgueillir. Tous les Français, et singulièrement les enfants de rapatriés, doivent en concevoir une légitime fierté.

Enfin, monsieur Marest, vous m'avez interrogé sur le traitement de la guerre d'Algérie dans les manuels scolaires, question qui nous concerne tous et à laquelle nous devons apporter la réponse qui convient.

Je peux vous assurer que, en liaison avec mon collègue de l'éducation nationale, M. Luc Ferry, nous nous y employons déjà. Un groupe de travail a été constitué, auquel participent des rapatriés.

En outre, je puis vous indiquer que le Gouvernement se préoccupe de récupérer les 1,5 million d'actes d'état civil qui n'ont pas été rapatriés en 1962. En accord avec les autorités algériennes, la numérisation de ces archives débutera en 2004. Le coût de cette opération, qui est d'environ 500 000 euros, sera assumé par le ministère des affaires étrangères.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous renouvelle mes remerciements pour la grande qualité de ce débat, qui nourrira le travail de recherche et d'investigation mené afin d'apporter des réponses justes aux situations que nous connaissons.

J'espère n'avoir omis aucun des sujets que vous avez abordés.

Une nouvelle étape de notre action s'engage maintenant. Grâce à vous, nous allons avancer sur le chemin tracé ensemble. Nous nous retrouverons pour examiner un projet de loi qui permettra, je le crois, de manifester la solidarité et la reconnaissance de la nation envers nos compatriotes rapatriés de toutes origines. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - M. Guy Fischer applaudit également.)

M. le président. Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d'Etat. Le Sénat aura apprécié, j'en suis sûr, la qualité et la précision de vos réponses.

Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 121 et distribuée.