M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Deuxièmement, les dispositions de l’article 11 de la Constitution dont nous débattons instaurent un référendum d’origine partagée, impliquant à la fois le Parlement et un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Ces mesures ne concernent pas une procédure limitée aux citoyens d’une collectivité locale et à leur assemblée délibérante. Le Parlement n’est donc nullement concerné par les amendements que vous proposez.

Si un amendement similaire a bien été adopté par l’Assemblée nationale, le gouvernement de l’époque et le rapporteur de la commission des lois s’y étaient opposés, uniquement pour des raisons de droit. Mais le droit est important dans une assemblée parlementaire !

Enfin, je vous fais observer que les amendements tels qu’ils sont rédigés ne relèvent pas de l’article 72-1 de la Constitution, qui vise le référendum local. Vous proposez pour votre part une consultation, qui n’emporte pas décision, mais permet simplement de donner un avis.

Afin de ne pas conclure mon propos sur une note négative – propos que je n’ai pas non plus entamé négativement –, et après avoir accompli mon office, je voudrais vous faire une suggestion. Cette question de la consultation des populations sur un enjeu local ou régional est importante, et je ne la mésestime pas, mais elle relève de la loi ordinaire. À cet égard, deux occasions s’offriront à vous pour présenter une nouvelle fois ces amendements : la première, dans quelques jours, avec l’examen du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux et municipaux et des délégués communautaires et modifiant le calendrier électoral ; la seconde, avec l’examen du futur projet de loi portant décentralisation et réforme de l’action publique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. le rapporteur a été quasi exhaustif dans ses explications, que le Gouvernement partage.

Cela étant, je comprends l'impatience que manifestent certains à pouvoir mettre en place ces procédures de consultation. Un certain nombre de territoires, pour ne pas dire la presque totalité d’entre eux, expriment leur vitalité notamment par une réflexion continue, constante, sur les contours géographiques des différentes entités qui les composent. Le Gouvernement l’entend, mais il considère que ce projet de loi n’est pas le bon support législatif.

Je m'interdis toujours de qualifier un amendement de cavalier législatif. Je trouve cet argument d'autorité déplaisant. Mon expérience de parlementaire m'a enseigné que, souvent, ces amendements permettent de jeter les bases de débats qui conduisent, quelque temps après, à un changement de politiques publiques, soit par le recours à un véhicule législatif plus adapté, soit par l’instauration de dispositions réglementaires. De fait, ces initiatives parlementaires ne sont jamais inutiles.

Même si ces amendements sont pertinents, je rejoins la suggestion du rapporteur de la commission des lois : des occasions se présenteront assez rapidement pour un nouvel examen de ces amendements, en particulier le futur projet de loi que vous soumettra Marylise Lebranchu. Je ne doute pas qu’une rédaction de grande qualité permettra au Sénat, puis à l’Assemblée nationale d’aboutir.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable, même si, je le répète, votre revendication est tout à fait pertinente. Je ne doute pas que, grâce à votre pugnacité, elle trouve prochainement une traduction législative.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Je ne suis pas totalement convaincu par les explications de M. le rapporteur et de Mme le garde des sceaux, même si j’ai bien entendu leur argumentation juridique.

Nous discutons d'une disposition introduite à l'Assemblée nationale, grâce à la conjonction de voix émanant de l’ensemble des groupes politiques – c’est suffisamment rare pour le souligner –, de l'UMP aux socialistes, en passant par les centristes, les Verts et même peut-être les communistes. C’est la preuve que ce sujet transcende les clivages politiques traditionnels.

Ces amendements, qui visent à rétablir l’article 3 ter dans sa rédaction initiale, après sa suppression par la commission des lois de la Haute Assemblée, n’ont d’autre objet que de permettre une respiration démocratique, une expression populaire, en autorisant l’organisation d’un référendum sur un projet de rattachement d’un département à une région.

Je le disais, cette question transcende les clivages partisans et divise même les partis politiques. Or un référendum, une mobilisation citoyenne, peut justement contribuer au règlement de questions qui ne peuvent être tranchées par les partis politiques ou par les groupes politiques siégeant dans les différentes assemblées tout simplement parce qu'ils sont dans l’impossibilité d’y apporter une réponse homogène. Mes chers collègues, donner la parole aux citoyens sur ces sujets me paraît être une excellente chose.

Les présents amendements, soyons clairs, visent à offrir un cadre sans préjuger le résultat.

M. Jean-Pierre Caffet. Encore heureux !

M. François Marc. Il s'agit de permettre l'expression populaire. C'est pourquoi leurs auteurs proposent une procédure en deux temps : solliciter l’avis du département concerné, puis celui de la région d'accueil.

S'agissant du cas spécifique de la Loire-Atlantique et de la Bretagne, qui a inspiré les auteurs de ces amendements, il faut savoir, d’une part, que le conseil général de ce département a déjà, à plusieurs reprises, manifesté son souhait d'aller dans cette direction et, d’autre part, que la région d'accueil s'est exprimée à plusieurs reprises dans le même sens, que ce soit sous la présidence de Josselin de Rohan ou sous celle de Jean-Yves Le Drian. Ces données sont connues et parfaitement claires.

Aujourd'hui, nous avons l’occasion de permettre cette consultation, cette respiration démocratique à laquelle nous aspirons. J’y insiste, ces amendements ont pour seul objet de permettre l’organisation d’une consultation référendaire, sachant qu’il reviendra aux habitants de ces collectivités de se prononcer in fine, selon une procédure bien encadrée, telle qu’elle est prévue par le projet de loi.

Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.

M. Ronan Kerdraon. Nous sommes là au cœur du débat que nous avons eu ce matin. De quoi s'agit-il ? Il s'agit tout simplement de donner la possibilité – je dis bien « la possibilité » – à un département de choisir sa région d'appartenance sans que sa région d'origine puisse s'y opposer. Cette disposition, si elle était votée, permettrait, par exemple, d'organiser un référendum en Loire-Atlantique et dans les quatre autres départements bretons pour décider si, oui ou non, ce département doit rejoindre la Bretagne.

En votant ces amendements, nous ouvrirons la porte au débat – et uniquement au débat – sur une revendication historique, en particulier de la gauche bretonne, à savoir la reconstitution de la Bretagne historique.

Il faut le reconnaître, ce débat transcende les clivages politiques.

L'article 3 ter du texte initial a été supprimé au motif qu'il s'agirait d'un cavalier législatif, c'est-à-dire d’une disposition sans lien direct avec le projet de loi. Ronan Dantec, François Marc et Dominique de Legge ont parfaitement expliqué pourquoi il n’en était rien. Il me semble au contraire que nous sommes au cœur du sujet puisqu'il s'agit de renforcer la démocratie locale et de traiter de l'organisation des pouvoirs publics. En cela, le rétablissement de l'article 3 ter constituerait une avancée institutionnelle majeure.

Il serait paradoxal que la Haute Assemblée et sa majorité bloquent un processus pleinement démocratique, d'autant que personne ne peut nier l'identité culturelle et les convergences économiques indéniables entre certains départements et certaines régions.

Dans les départements bretons, mais également en Loire-Atlantique, nombre d'élus de tendances politiques différentes, nombre d'habitants attendent le rétablissement de cet article. Je les comprends, je les soutiens, car nous sommes au cœur même de la décentralisation au sens noble du terme ; nous sommes aussi au cœur même du débat sur les langues et les cultures régionales.

Aussi, en cohérence avec les positions que j'ai toujours défendues, tant à Paris que chez moi, dans les Côtes-d'Armor, en pleine cohérence avec les vœux de nombre de collectivités en Bretagne et les motions qu’elles ont adoptées, en premier lieu par son conseil régional, présidé à l'époque par Jean-Yves Le Drian, en pleine cohérence également avec la position défendue par nos collègues députés bretons, je voterai ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Nous ne sommes pas au Parlement de Bretagne !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Que chacun s’exprime !

M. Yannick Botrel. Depuis plusieurs décennies, les régions sont désormais des collectivités de plein exercice et l'on sait tout ce que nous devons aux lois de décentralisation, dont les premières ont été votées voilà plus de trente ans.

Alors même que nous allons passer à son acte III, la décentralisation ne soulève plus aucune question dans nos assemblées, si tant est qu'elle en ait soulevé ces dernières années. Il n’en allait pas de même au départ.

En revanche, la question de l'organisation territoriale des régions n'a jamais été sérieusement posée en dépit des interrogations qui se sont fait jour, en divers lieux, à ce sujet.

Dans nos assemblées, comme je l’ai dit à l’instant, nous attendons l’acte III de la décentralisation. La démocratie territoriale est une démocratie vivante, une démocratie réelle, une démocratie indispensable, qui doit être confortée par des initiatives. À cet égard, même si c’est un sujet que je connais moins bien, observons ce qui se passe en Alsace.

Sur l'initiative des trois assemblées locales et, sans doute, de la population également, une consultation sera organisée sur la réorganisation territoriale.

M. Jean-Jacques Hyest. Attendons le résultat !

M. Yannick Botrel. Cette idée est intéressante. Or refuser ce type d’initiative, c’est dénier aux collectivités le droit d’exprimer leur volonté en faveur de telle ou telle évolution.

Sur le territoire de la République, les citoyens et les assemblées élues, s’ils en manifestent le souhait, doivent pouvoir être à l’origine d'avancées, et même en prendre l’initiative. En l’espèce, il est exact que les assemblées et un certain nombre d’associations bretonnes ont pris des initiatives qui font débat ce matin dans cet hémicycle.

À titre personnel, je me rallie pleinement à ces deux amendements, que je voterai avec enthousiasme.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.

M. Jean-Jacques Hyest. Je peux partager l'enthousiasme de nos collègues dans la défense de leur belle région et dans leur volonté de reconstituer la Bretagne historique. En revanche, je partage beaucoup moins leur enthousiasme s’agissant de la procédure qu’ils proposent. Ce n'est pas parce qu’elle est le fruit des travaux de l'Assemblée nationale qu’elle est parfaite. Si tel était toujours le cas, cela se saurait ! Il arrive parfois, surtout dans ce domaine, que le Sénat soit contraint de corriger profondément les textes votés par nos collègues députés.

Sans vouloir rouvrir le débat, je tiens quand même à dire que ces amendements ne trouvent absolument pas leur place dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui et ne s’inscrivent aucunement dans le cadre de l'article 11 de la Constitution, même indirectement. Si le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur cet article, je peux vous garantir qu'il le censurerait.

La loi prévoit déjà la possibilité d’organiser des référendums d'initiative locale. Mon cher collègue, vous évoquez le cas de l'Alsace, mais, en l’occurrence, c’est la population qui sera consultée après que les collectivités se sont prononcées. Or la procédure proposée par les auteurs de ces deux amendements est assez curieuse puisqu’ils copient la procédure prévue à l'article 11 de la Constitution : celle-ci est enclenchée sur proposition d’un cinquième des membres de l’assemblée délibérante, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales du département.

Pardonnez-moi, mais cette procédure n'est pas claire. D'ailleurs, ce texte est incomplet et vous n'allez pas jusqu'au bout, car il faudrait instituer un processus totalement spécifique.

Ces deux amendements reprennent strictement la rédaction de l’article 3 ter tel que l’a voté l'Assemblée nationale pour assurer un vote conforme. Si vous aviez un tout petit peu réfléchi, vous y auriez apporté quelques modifications. Les dispositions qui y sont visées seront inapplicables. Personnellement, je ne m’y résous pas, même si une majorité – qui plus est une majorité du jeudi matin (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.) – vote ces deux amendements.

Je ne prétends pas qu’il ne soit jamais arrivé que, certains jeudis matins, des groupes n’aient pas été aussi bien représentés pour examiner des textes présentés par la commission des lois. Il y a des majorités de rencontre, dont acte. Je ne suis pas persuadé que cela suffise à faire de bonnes lois.

J’ai encore la faiblesse de penser que nous votons non pas pour faire plaisir à certains, mais pour faire des lois qui puissent s’appliquer. C'est pourquoi je ne voterai pas le rétablissement de l’article 3 ter dans la rédaction qui nous est proposée par les amendements nos 1 rectifié nonies et 4 rectifié.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. J’éprouve, comme nombre d’entre vous sur diverses travées de cet hémicycle, une certaine sympathie pour ces amendements.

La loi du 16 décembre 2010 prévoit la possibilité de procéder à des regroupements de régions, après consultation des électeurs concernés. Mais aucun dispositif ne permet de modifier le rattachement d’un département à une région, afin de mieux faire correspondre les limites régionales avec la réalité historique, culturelle, voire économique d’aujourd'hui. Or, nous le savons, nos régions ont été découpées en fonction de critères qui relèvent davantage d’une réflexion d’ordre administratif que de la reconnaissance de la réalité des grandes provinces régionales que l’histoire nous a léguées.

Nous devons, me semble-t-il, introduire plus de démocratie locale, reconnaître le droit de nos concitoyens de décider eux-mêmes à quelle région leur département doit être rattaché. Néanmoins, les arguments juridiques et de procédure avancés tant par le rapporteur que par Jean-Jacques Hyest sont malheureusement insurmontables. Si d’aventure nous les ignorions, le Conseil constitutionnel saurait nous les rappeler et nous les imposer, ce qui est toujours désagréable pour une assemblée censée respecter les dispositions juridiques qui s’appliquent à la délibération législative.

Madame le garde des sceaux, j’ai été très sensible au fait que le Gouvernement se montre compréhensif face à une certaine impatience, ce qui va sans doute droit au cœur des auteurs de ces amendements et de ceux qui les soutiennent.

Vous avez également indiqué que cette revendication vous paraissait pertinente. Nous saurons rappeler ces propos, qui engagent tout le Gouvernement, à M. le ministre de l’intérieur ou à Mme la ministre chargée de la décentralisation, quand viendra le moment d’adopter des dispositions pour lesquelles je vous sais par avance favorable, pourvu, naturellement, que la discussion permette d’en régler exactement la rédaction.

Compte tenu de cet engagement du Gouvernement – le mot ne me paraît pas trop fort – je m’abstiendrai lors du vote de ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Je reconnais le caractère immodeste de mon intervention alors que tout le monde ici salue la qualité du travail du rapporteur de la commission des lois.

Permettez-moi simplement de rappeler les termes d’une partie de l’alinéa 3 de l’article 72-1 de la Constitution : « La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi. » Si le Sénat ne précisait pas la loi, alors qu’il en a la possibilité ce matin, ce serait une véritable occasion manquée.

Ces amendements visent simplement à modifier l’article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales, qui a déjà été modifié à plusieurs reprises par des lois ordinaires. Ils s’inscrivent tout à fait dans l’esprit de l’article 72-1 et présentent un lien indirect avec l’article 11 de la Constitution. Il ne s’agit donc pas de cavaliers.

D’aucuns m’opposent que le Conseil constitutionnel pourrait censurer cette disposition. Eh bien, chiche ! Votons les amendements, et si le Conseil constitutionnel retoque l’article 3 ter, ses considérants nous donneront les éléments nécessaires pour réécrire un texte. Ainsi, nous gagnerons du temps et conforterons l’efficacité de l’action publique. Reste que si le Conseil constitutionnel nous sanctionne, il appartiendra au Gouvernement de proposer une nouvelle rédaction dans un futur projet de loi.

En tout état de cause, c’est aujourd’hui que nous devons donner ce signal politique. En dépit de nos désaccords, il y a de la place pour cette lecture juridique. Si nous voulons que le Conseil constitutionnel donne son avis, encore faut-il voter les amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Ronan Kerdraon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. En ma qualité de membre de la commission des lois, je reconnais que les arguments de droit avancés par le rapporteur sont imparables.

S’il faut modifier la loi, faisons-le dans un autre cadre. Ici, nous sommes face à une question de dimension nationale et non pas uniquement locale.

En commission des lois, j’avais éprouvé une certaine sympathie pour ces amendements, mais l’éventualité d’une reconstitution de la Bretagne historique me fait un peu froid dans le dos. Mon père fut député breton pendant vingt-six ans, il est donc bien évident que j’aime beaucoup cette région. Mais je ne peux m’empêcher de penser au reste de la France.

M. François Fortassin. La République !

M. Christian Cointat. Mes chers collègues, je suis favorable à une certaine souplesse, mais je ne peux accepter que le choix d’un département nuise à d’autres territoires.

M. Ronan Dantec. Ça ouvre le débat !

M. Christian Cointat. Aujourd’hui, Nantes est chef-lieu de région. Si la Loire-Atlantique rejoint la Bretagne, d’autres départements seront laissés en déshérence. Il ne faut pas l’oublier.

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Christian Cointat. Oui à la souplesse, oui à l’aménagement de ce qui n’existe pas encore de façon claire dans l’article 72-1 de la Constitution, mais pas d’une manière incohérente, uniquement pour satisfaire le choix de quelques-uns !

Il faut veiller au respect de la cohérence nationale. L’important, plus que la décentralisation, plus que le choix des régions et des collectivités, c’est le sort de la France ! (MM. Jacques Mézard et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. À l’évidence, ces amendements présentent tous les atouts de la séduction.

M. François Fortassin. Pour autant, je ne les voterai pas, car leur adoption pourrait avoir un effet pervers.

Élu des Hautes-Pyrénées, département qui n’est pas l’un des plus riches de France, je me demande quel plaisir nous pourrions trouver à abandonner la région Midi-Pyrénées pour être rattachés à la région PACA, par exemple.

Mes chers collègues, quelle que soit la sympathie que j’éprouve pour les Bretons, les Basques, les Catalans, je place la République au-dessus de tout. Or, en adoptant ces amendements, nous nous exposerions au mitage de la République.

M. François Fortassin. Dans la période difficile que nous connaissons, s’il est une notion qui résiste, c’est bien celle de République. Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’affaiblir un temps soit peu l’unité républicaine.

M. le président. La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.

M. René Garrec. En tant que Breton, je suis, vous le comprendrez, très concerné par tout ce qui vient d’être dit.

D’ailleurs, j’ai failli être francisé, en quelque sorte. Voilà maintenant bien longtemps, en effet, lorsque vous vous appeliez Garrec, on vous proposait, lorsque vous alliez à la mairie déclarer la naissance d’un enfant, de modifier votre nom en « Le Garrec », suggérant que ce patronyme s’apparentait à un titre de noblesse. De là à considérer que cela améliorait l’espèce… (Rires.)

Le Conseil d’État s’en est mêlé en 1872, en permettant à tous les « Le Garrec » qui avaient accepté la proposition du secrétaire de mairie – le plus souvent l’instituteur, qui bien entendu parlait français couramment et qui était Français la plupart du temps, en tout cas pour les Bretons du coin – de retirer la « particule » qui avait été adjointe à leur nom.

Ma famille n’a pas été concernée, car mes ancêtres parlaient tous couramment breton. Pour ma part, comme on m’a interdit l’usage de cette langue à l’école, je le parle assez mal, exception faite de quelques jurons et du vocabulaire relatif à la chasse et à la pêche. (Nouveaux rires.)

Cela me rappelle une autre anecdote. Lorsque j’ai intégré le deuxième régiment d’infanterie de marine, basé en Algérie, l’adjudant placé sous mes ordres s’est présenté à moi en se mettant au garde à vous et en me disant : « Bignard, second royal breton. » Cela a fait « tilt ». « Comment ? », lui ai-je demandé. Il m’a répondu : « Mercenaire breton au service de la France. » J’ai tout d’abord pensé que c’était de l’humour de sa part. On m’a précisé que non, qu’il s’agissait plutôt d’un excès de Pernod, mais les deux peuvent se confondre. (Sourires.)

Plus sérieusement, et je me tourne vers mes collègues bretons, je comprends bien les problèmes liés à l’identité régionale. Nous savons bien pourquoi le découpage des régions par Michel Debré a cassé les anciennes provinces royales. Le cas de la Bretagne est un peu particulier. C’est une grande presqu’île et, d’un point de vue économique, Nantes en fait partie, ce qui paraît homogène.

Mes chers collègues bretons, lorsque vous présenterez un nouveau texte, je le voterai sans aucune hésitation parce qu’il y a là une vraie logique. De même, je considère que la Normandie, qui est aujourd’hui coupée en deux, pourra être réunie le jour où un grand projet, relier Paris à la mer par exemple, associera de nouveau les deux régions actuelles, qui agissent chacune de leur côté.

C’est un autre problème. Il mérite d’être traité, mais avec un autre texte. Pour l’heure, en qualité de membre de la commission des lois, je suivrai mon président et je ne voterai pas les propositions de mes amis bretons, en dépit d’une petite tristesse au fond du cœur.

M. Ambroise Dupont. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. J’ai demandé, au nom de mon groupe, un scrutin public sur ces amendements, non parce que je suis insensible aux arguments qui ont été présentés pour les défendre, non parce que je considère que les frontières administratives sont intangibles, mais parce que leur modification – je partage les observations du rapporteur et de notre collègue Jean-Jacques Hyest – doit se faire autrement. Une modification des frontières administratives suppose une réflexion du Gouvernement avec les élus des territoires concernés, dans une approche globale de la République.

M. Jacques Mézard. Lorsque j’ai entendu parler du rétablissement de la Bretagne historique, la sympathie première que m’inspiraient ces amendements s’est immédiatement évaporée.

M. Jacques Mézard. Pourquoi ne pas aussi restaurer la monarchie ? (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Ils ne sont pas allés jusque-là !

M. Jacques Mézard. Certes ! En héritiers des fondateurs de la République, nous considérons que cette façon de procéder n’est bonne ni pour la République ni pour les idées de ceux qui souhaitent modifier les frontières administratives. Cela ressemble plus à une embuscade médiatique qu’à une réforme législative. (MM. Christian Cointat et Ambroise Dupont applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Personnellement, je trouve assez distrayant que nous débattions d’un sujet un peu différent, après ce consensus mou sur un projet de loi organique dont chacun sait parfaitement qu’il ne sera appliqué par personne.

M. François Marc. Très bien !

M. Hugues Portelli. Au moins, cette question intéresse les gens dans la vraie vie.

Je partage totalement l’analyse de Jean-Jacques Hyest : cette disposition est inconstitutionnelle et ces amendements sont des cavaliers. Pourtant, bien qu’étant professeur de droit constitutionnel, je les voterai (Applaudissements sur plusieurs travées.) pour une raison très simple : la navette va se poursuivre après cette étape.

M. Jean-Pierre Michel. Vous vous trompez !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il n’y aura pas de navette si l’article 3 ter est adopté conforme !

M. Hugues Portelli. De toute façon, le projet de loi sera au moins examiné en commission mixte paritaire dans la mesure où il n’a pas été voté dans les mêmes termes au sein des deux assemblées.

L’adoption de ces amendements identiques obligerait le législateur et le Gouvernement à s’interroger. En effet, la bonne procédure consiste à s’appuyer sur l’article 72-1, alinéa 3, de la Constitution : le législateur consulte les populations, et pour être certains qu’il le fasse, nous devons lui montrer que c’est important en votant ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je suis non pas bretonne, mais séquano-dionysienne. Reste que je comprends parfaitement le souci des auteurs de ces amendements, même si, comme d’autres ici, je suis très attachée à l’indivisibilité de notre République.

Pour aussi sympathiques que soit cette disposition, elle mériterait sans doute d’être examinée dans le cadre d’un autre texte, par exemple lors du débat sur l’acte III de la décentralisation, comme l’a indiqué Mme la garde des sceaux.

Quoi qu’il en soit, ce débat montre, je l’ai dit lors de la discussion générale, que le présent texte a en quelque sorte été examiné en catimini. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne participerons pas au vote.

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.