Sommaire

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

MM. Jean Desessard, François Fortassin.

1. Ouverture de la deuxième session extraordinaire de 2012-2013

2. Procès-verbal

3. Décès d'anciens sénateurs

4. Décisions du Conseil constitutionnel

5. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi et d'un projet de loi

6. Dépôt de rapports

7. Dépôt de demandes d’habilitation

8. Débat sur la situation en Syrie

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères.

MM. Jean-Michel Baylet, André Gattolin, Philippe Adnot, Jean-Pierre Raffarin, François Rebsamen, Pierre Laurent, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre.

9. Modification de l’ordre du jour

10. Clôture de la session extraordinaire

11. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Ouverture de la deuxième session extraordinaire de 2012-2013

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 28 août 2013 portant convocation du Parlement en session extraordinaire le 4 septembre 2013.

Ce décret vous a été adressé le 29 août dernier.

Acte est donné de cette communication.

En conséquence, la deuxième session extraordinaire de 2012-2013 est ouverte.

2

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du 25 juillet 2013 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

3

Décès d'anciens sénateurs

M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues René Marquès, qui fut sénateur des Pyrénées-Orientales de 1992 à 2001, et Dick Ukeiwé, qui fut sénateur de Nouvelle-Calédonie de 1983 à 1992.

4

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 1er août 2013, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Acte est donné de cette communication.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi et d'un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 15 mai 2013.

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 septembre 2013.

6

Dépôt de rapports

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre les rapports suivants :

- en application de l’article L.O. 1114-4 du code général des collectivités territoriales, le rapport sur l’autonomie financière des collectivités territoriales pour l’année 2011. Ce rapport a été transmis à la commission des lois ainsi qu’à la commission des finances ;

- en application de l’article 17 de la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, le rapport évaluant l’impact de la loi n° 2008-790 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire. Ce rapport a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ;

- trois rapports respectivement relatifs à la mise en application :

∙ de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ;

∙ de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière ;

∙ de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d’investissement.

Ces trois rapports ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

J’ai, en outre, reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le projet de contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions pour la période 2013-2015. Ce document a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ainsi qu’à la commission des finances.

J’ai enfin reçu :

- de M. le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, conformément à l’article 114 de la loi du 28 avril 1816, le rapport sur les opérations de cet établissement en 2012. Ce rapport a été transmis à la commission des finances ;

- de M. le gouverneur de la Banque de France, président de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, le dixième rapport annuel de cet organisme, portant sur l’année 2012. Ce rapport a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

7

Dépôt de demandes d’habilitation

M. le président. Par lettre en date du 26 juillet 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Martinique en date du 18 avril 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à fixer spécifiquement pour son territoire les règles en matière d’énergie, et notamment de maîtrise de la demande d’énergie et d’énergies renouvelables.

Cette délibération a été transmise aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

Par lettre en date du 26 juillet 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Guadeloupe en date du 14 juin 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-9 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à fixer spécifiquement pour son territoire les règles en matière de maîtrise de la demande d’énergie, de développement des énergies renouvelables et de planification énergétique.

Cette délibération a été transmise aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

Par lettre en date du 30 août 2013, le Premier ministre m’a transmis la délibération du conseil régional de la Martinique en date du 28 juin 2013 demandant, en application des articles L.O. 4435-1 à L.O. 4435-11 du code général des collectivités territoriales, à être habilité par le Parlement à adapter et à fixer spécifiquement pour son territoire des règles en matière de transport.

Cette délibération, ainsi que les observations qu’elle appelle de la part du Gouvernement, ont été transmises aux commissions compétentes.

Acte est donné de cette communication.

8

Débat sur la situation en Syrie

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la situation en Syrie.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, aux premières heures du 21 août, à quelques kilomètres du centre de Damas, près de 1 500 civils, dont des centaines d’enfants, sont morts, asphyxiés dans leur sommeil, assassinés par le régime syrien, dans ce qui constitue, en ce début de siècle, le plus massif et le plus terrifiant usage de l’arme chimique.

Ces faits, chacun d’entre nous a pu les découvrir, immédiatement après ce drame, sur des dizaines de vidéos : des vidéos tournées par des médecins, des voisins, des parents, à la fois terrifiés et conscients du devoir d’informer le monde sur l’horreur de ce qui venait de se produire.

Chacun d’entre nous a pu voir les images abominables de l’agonie des victimes, de ces cadavres d’enfants alignés. Sur ces cadavres, pas une goutte de sang, pas une blessure ; juste la mort silencieuse par l’emploi des gaz dont plus personne ne nie qu’ils aient été utilisés cette nuit-là.

Au-delà de ces images terrifiantes, de quoi sommes-nous certains ?

C’est pour en informer la représentation nationale que le Premier ministre, les ministres de la défense et des relations avec le Parlement et moi-même avons réuni, lundi dernier, les présidents des deux assemblées, des commissions compétentes et des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le Gouvernement en est convaincu, la gravité du moment exige transparence et dialogue républicain.

Nous sommes certains de l’ampleur du bilan, qui pourrait atteindre jusqu’à 1 500 victimes. Des évaluations indépendantes, comme celles de Médecins sans frontières, le confirment.

En analysant des vidéos, que nous avons authentifiées, nos propres services sont parvenus au constat que toutes les victimes étaient localisées dans des quartiers contrôlés par l’opposition. Tous les symptômes observés sont cohérents avec une intoxication aux agents chimiques. Des éléments en notre possession, comme en celle de nos alliés, indiquent que du gaz sarin a été utilisé.

Nous sommes certains que la Syrie dispose de l’un des stocks d’armes chimiques les plus importants au monde : plus de 1 000 tonnes d’agents chimiques de guerre et des dizaines de vecteurs.

Nous sommes certains que le régime syrien a déjà employé l’arme chimique à plusieurs reprises ces derniers mois à une échelle beaucoup plus réduite, dans le but de reconquérir des zones tenues par l’opposition et d’y semer la terreur. Nous avons récupéré et analysé des échantillons qui ont confirmé l’emploi de gaz toxiques à Saraqeb ou à Jobar. Ces éléments ont été transmis aux Nations unies.

Nous sommes certains que cette attaque s’inscrivait dans le cadre d’une offensive pour la reconquête d’une zone clé qui commande l’accès à Damas. Elle avait fait l’objet de préparatifs dans les jours précédents, incluant des mouvements d’agents chimiques depuis les principaux points de stockage du régime. Après l’attaque, nous sommes aussi certains que des bombardements intenses ont tenté d’en effacer les traces.

Nous sommes certains, enfin, que l’opposition n’a pas les capacités de conduire une opération d’une telle ampleur. Aucun groupe appartenant à l’insurrection ne dispose des quantités d’agents chimiques, des vecteurs ou des compétences nécessaires pour mener à bien une telle attaque.

C’est donc une certitude : il y a bien eu une attaque chimique massive le 21 août dans la plaine de la Ghouta. Le régime syrien en porte l’entière responsabilité.

Cette certitude, nous la partageons avec nos partenaires américains, britanniques, allemands, turcs. La Ligue arabe l’a elle-même confirmé à l’occasion de sa réunion ministérielle de dimanche dernier, en évoquant la responsabilité du régime.

La recherche de cette responsabilité n’entre pas dans la mission des enquêteurs des Nations unies. Ces enquêteurs ne pourront donc que confirmer l’usage de l’arme chimique.

Face à ces faits incontestables, que choisir : l’action ou la résignation ? Pouvons-nous nous contenter de condamner, d’en appeler à un sursaut de la communauté internationale pour qu’enfin s’ouvrent des négociations de paix qui ne viennent pas ?

À ces questions, mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a apporté une réponse claire et conforme à la mobilisation de la France depuis le début de la crise syrienne.

Nous avons été les premiers à reconnaître la coalition nationale syrienne, à lui apporter notre appui, à répondre à l’urgence humanitaire, à promouvoir une solution politique. Sans relâche, nous avons aussi multiplié les contacts pour chercher des solutions à cette tragédie avec nos partenaires européens, nos alliés, les pays de la région, la Russie et la Chine.

Ne pas réagir, ce serait tolérer que demeure impuni un recours massif à l’arme chimique.

Ne pas réagir, ce serait adresser à M. Bachar Al-Assad et au peuple syrien un message terrible : l’arme chimique peut être utilisée demain à nouveau contre Damas, contre Alep, de façon peut-être encore plus massive.

Ne pas réagir, ce serait mettre en danger la paix et la sécurité de la région tout entière, mais aussi, au-delà, notre propre sécurité. En effet, il faut poser la question : quelle crédibilité auraient ensuite nos engagements internationaux contre la prolifération des armes de destruction massive, y compris l’arme nucléaire ? Quel message enverrions-nous à d’autres régimes – je pense à l’Iran ou à la Corée du Nord ?

Ce message serait malheureusement très clair : vous pouvez continuer ; la possession de ces armes vous confère l’impunité ; la division de la communauté internationale vous protège.

Ne pas réagir, ce serait enfin fermer la porte à un règlement politique du conflit syrien. Oui, la solution à la crise syrienne sera politique et non militaire. Mais regardons la réalité en face : si nous ne mettons pas un coup d’arrêt à de tels agissements du régime, il n’y aura pas de solution politique. Car quel serait l’intérêt pour M. Bachar Al-Assad de négocier, tant qu’il croit qu’il peut, comme il l’a encore répété, par écrit, au début de la semaine, « liquider » – c’est son propre terme – son opposition, notamment au moyen d’armes qui sèment la terreur et la mort ?

Pour toutes ces raisons, le Président de la République française a fait le choix de l’action ; le choix d’une action légitime, collective et réfléchie.

L’action est d'abord légitime, car le régime syrien a massivement violé ses obligations internationales. En employant l’arme chimique, M. Bachar Al-Assad a violé ses obligations au titre du protocole de 1925 qui en prohibe l’usage et que la Syrie a ratifié en 1968. Il a bafoué le droit international humanitaire en menant des attaques indiscriminées, interdites par les conventions de Genève. Il s’est rendu coupable d’un crime de guerre. Il a commis ce que le Secrétaire général des Nations unies a qualifié de « crime contre l’humanité ».

En plus de ces violations, le régime syrien a refusé constamment de coopérer avec la communauté internationale : en empêchant l’accès de la commission d’enquête internationale sur les droits de l’homme ; en s’opposant, pendant cinq mois, à la présence des inspecteurs sur les armes chimiques ; en écartant les différentes tentatives de cessez-le-feu ; en multipliant les obstacles à l’action humanitaire en Syrie.

Bien sûr, une autorisation explicite du Conseil de sécurité serait souhaitable. Mais, là aussi, regardons la réalité en face. Depuis deux ans et demi, la Russie et la Chine ont bloqué toute réponse à la tragédie syrienne, y compris en opposant à trois reprises leur veto. Notre tentative, il y a une semaine, d’un projet de résolution autorisant une riposte ferme à l’attaque chimique du 21 août a elle aussi été stoppée net.

La gravité de la menace associée à l’emploi de l’arme chimique nous oblige à agir.

L’action que nous envisageons est réfléchie et collective. Le Président de la République l’a indiqué, elle devra être « ferme et proportionnée ». Ponctuelle, elle devra viser des objectifs significatifs, mais ciblés. Il n’est pas question d’envoyer des troupes au sol. Il n’est pas question d’engager des opérations militaires pour renverser le régime.

Bien entendu, nous souhaitons le départ de M. Bachar Al-Assad, qui n’hésite pas à menacer directement notre pays et qui croit même pouvoir intimider la représentation nationale. Oui, nous souhaitons son départ, dans le cadre d’une solution politique en faveur de laquelle la France continuera à prendre l’initiative.

Notre message est clair : l’emploi d’armes chimiques est inacceptable. Nous voulons à la fois sanctionner et dissuader, répondre à cette atrocité pour éviter qu’elle ne se reproduise. Nous voulons aussi montrer à M. Bachar Al-Assad qu’il n’a pas d’autre solution que la négociation.

Certains nous disent qu’une réaction compliquerait encore la situation. Mais, là aussi, j’en appelle à votre lucidité. La déstabilisation des pays de la région, qui font face à l’afflux de plus de deux millions de réfugiés, est une réalité. L’inaction face aux souffrances du peuple syrien fait le lit des extrémistes. Ne pas laisser impunis les crimes du régime syrien, c’est au contraire le moyen pour nos démocraties de conforter, comme il le faut, l’opposition syrienne modérée.

C’est ainsi que nous serons fidèles à nos valeurs, sur lesquelles se fonde l’engagement de la France dans le monde. La France a en effet une responsabilité particulière. C’est une chance et une exigence, qui contribuent à la grandeur de notre pays. Soyons unis pour rester fidèles à cette vocation.

La France n’agira pas seule. Elle joindra ses efforts à ceux d’autres partenaires, à commencer par les États-Unis d’Amérique avec lesquels elle s’est toujours retrouvée dans les moments critiques quand la cause était juste. Nous comptons également sur le soutien des Européens et des pays de la région, notamment au sein de la Ligue arabe. Le Président de la République poursuit son travail de conviction afin de réunir la coalition de soutiens la plus large possible. La réunion du G20 à Saint-Pétersbourg, à partir de demain, en sera l’occasion.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’année prochaine, nous commémorerons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, qui a été marquée par la première utilisation massive de gaz toxiques comme arme de combat. Un siècle plus tard, alors que les armes chimiques ont été bannies par le droit international, nous ne pouvons accepter un épouvantable retour en arrière.

Dans ces circonstances graves, il importe que la représentation nationale soit éclairée. C’est pourquoi nous nous engageons à continuer à vous informer dans les jours prochains sur l’évolution de la situation, dans le respect des équilibres institutionnels découlant de notre Constitution. En toute hypothèse, la décision ultime ne pourra être prise par le Président de la République que lorsque sera constituée la coalition, seule à même de créer les conditions d’une action.

Mesdames, messieurs les sénateurs, face à la barbarie, la passivité n’est pas une option. En tout cas pas pour la France. Ne pas réagir, c’est laisser M. Bachar Al-Assad poursuivre ses atrocités, encourager la prolifération et l’emploi d’armes de destruction massive, abandonner la Syrie et la région tout entière au chaos et céder aux menaces. Avec ses partenaires, la France prendra donc ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Histoire connaît un de ces moments de fièvre où le temps s’accélère. Nous ne sommes pas réunis aujourd’hui, en session extraordinaire, pour seulement débattre de notre implication dans une guerre civile. Ce qui se joue actuellement touche à la stabilité d’une région entière, aux grands équilibres géopolitiques mondiaux, et aussi à la sécurité de notre pays et de nos concitoyens.

Depuis plusieurs mois la machine médiatique et politique s’emballe. Les polémiques fleurissent, parfois sur le fond, souvent sur la forme. La question d’un vote à l’issue de ce débat a suscité une vaste controverse, que j’ai un peu de mal à entendre tant la Constitution est claire à ce sujet. Son article 35 prévoit en effet que « le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger » et que « cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote ».

Je rappelle d'ailleurs, peut-être plus particulièrement à l’intention des membres de l’opposition (Protestations sur les travées de l'UMP.) 

M. Jean-Claude Gaudin. Ne nous faites pas la leçon !

M. Jean-Michel Baylet. Avant de protester, laissez-moi aller au bout de mes propos !

Je rappelle que cette disposition existe depuis la révision constitutionnelle de 2008. C’est incontestable ! J’ai d'ailleurs voté cette révision constitutionnelle.

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas grave !

M. Jean-Michel Baylet. Je rappelle également qu’une procédure identique a été suivie lors de l’engagement de nos forces en Libye.

La représentation nationale se réunit donc normalement aujourd'hui, car la situation dramatique en Syrie a franchi, ces dernières semaines, les limites de l’horreur. Depuis le déclenchement des premières manifestations contre le régime, le cap des 110 000 morts est dépassé, tout comme celui des deux millions de réfugiés. Par ailleurs, l’usage d’armes chimiques, pourtant prohibé par les accords internationaux, est avéré, et M. le ministre des affaires étrangères vient de nous le confirmer. Et il ne fait guère de doute que cet usage soit le fait du régime lui-même.

Bien sûr, l’effroi né de ces massacres ne doit pas occulter la complexité de ce conflit ni les conséquences de notre éventuelle intervention. Autour du drame syrien s’enchevêtrent en effet les grands enjeux du Proche-Orient et du Moyen-Orient : tensions confessionnelles entre chiites et sunnites, rivalité pour le leadership régional entre les puissances voisines – Turquie, pays du Golfe, Iran – et quête d’influence de la Russie.

Cette prise de conscience indispensable ne doit cependant pas servir d’alibi à un renoncement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a eu raison, lors de son allocution devant la conférence des ambassadeurs, de signifier au dictateur syrien qu’il ne pouvait plus gazer son peuple en toute impunité.

L’inaction, face à ce qui constitue une provocation de la part du régime syrien, serait un signal dramatique envoyé au monde. À long terme, elle serait dangereuse, manifestant une impuissance, et signifierait la perte définitive de l’influence occidentale sur la scène internationale.

Par cette intervention, il ne s’agit pas de soutenir une rébellion dont nous connaissons l’hétérogénéité et les problématiques, ainsi que l’extrémisme de certaines de ses composantes. Il s'agit d’adresser un double message : l’un directement à Bachar Al-Assad, lui intimant que ses manquements aux conventions internationales en matière d’utilisation d’armes chimiques ne seront plus tolérés ; l’autre à ses alliés, la Russie, l’Iran, mais aussi le Hezbollah, qui aident militairement et de manière directe le régime syrien. Il s’agit en particulier de montrer au nouveau président iranien, M. Rohani, notre détermination s’agissant de l’usage d’armes chimiques et notre fermeté quant à l’évolution du programme nucléaire iranien.

Si l’on se place du côté des valeurs, ne pas intervenir serait indigne. Si l’on raisonne en matière de rapport de forces, en regardant les intérêts de la France, ne pas intervenir serait une faute.

Je sais que d’aucuns opposent intervention armée et solution politique. Je pense au contraire que des frappes ciblées, qui – le Président de la République l’a répété – n’ont pas vocation à renverser le régime – encore que, pour ma part, je ne serais pas malheureux de voir chuter Bachar Al-Assad –, …

MM. Jean-Claude Gaudin et Roger Karoutchi. Pour le remplacer par qui ?

M. Jean-Michel Baylet. … permettraient de dépasser certains obstacles empêchant aujourd'hui le règlement politique du conflit.

À ce jour, sur le plan diplomatique, nous ne pouvons que constater le blocage institutionnel aux Nations unies. Entre les mesures dilatoires du gouvernement Al-Assad, le rejet, du fait des vetos russes et chinois, des projets de résolution présentés au Conseil de sécurité, et les nombreux reports de la conférence dite « Genève 2 », la Syrie et ses alliés entretiennent volontairement l’impasse.

Certains pointent aussi du doigt la menace d’un embrasement de la région. À ceux-là, on peut objecter que le conflit syrien s’est déjà internationalisé et a largement dépassé les frontières de la Syrie : il affecte le Liban surtout, déstabilisé par une série d’attentats et l’afflux de réfugiés, mais aussi la Turquie, l’Irak et la Jordanie.

Une intervention ciblée en Syrie à laquelle participerait la France devra bien sûr s’accompagner d’un renforcement de la sécurité de nos ressortissants civils et militaires dans la région ; je pense notamment aux militaires déployés au Liban dans le cadre de la force intérimaire des Nations unies au Liban, la FINUL.

Mes chers collègues, si une riposte s’impose, des questions subsistent, c’est vrai, quant à ses modalités.

Lundi dernier, le Premier ministre a évoqué « une action ferme et proportionnée ». Nous y souscrivons.

Mais la question du calendrier de l’intervention se pose. Nous le constatons, ce calendrier évolue constamment. Il est désormais évident – et cela vient de nous être rappelé – que rien ne se fera avant le vote du Congrès américain, qui interviendra le 9 septembre. De plus, dans les prochaines semaines, les observateurs des Nations unies rendront leur rapport sur l’utilisation d’armes chimiques.

Bien sûr, l’hypothèse d’une action isolée de la France est écartée. Le temps dont nous disposons doit donc être mis à profit pour convaincre et élargir les contours d’une coalition. Dans cette optique, le G20 de demain et vendredi à Saint-Pétersbourg sera crucial. Des réunions entre pays européens auront lieu en marge de ce sommet. Il faudra aussi, à cette occasion, parler avec la Russie, sans laquelle, nous le savons, une solution politique sera difficile à trouver.

Mesurant l’inquiétude de nos compatriotes, le Président de la République a également prévu de s’adresser aux Français en temps utile.

Enfin, monsieur le ministre, nous souhaitons que le Parlement soit pleinement associé, dans les prochains jours et les prochaines semaines, à la gestion de cette crise.

Mes chers collègues, la France doit délivrer un message fort, non seulement en raison des valeurs qu’elle porte, mais aussi au nom de nos relations anciennes avec la Syrie, qui ont été forgées par l’histoire.

Parce que nous sommes conscients des enjeux qui sous-tendent la situation actuelle, nous souhaitons assurer le Président de la République de notre soutien à sa démarche. Ce faisant, nous renforcerons et amplifierons la voix de la France. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais, depuis le début de notre mandature, le Sénat n’a eu à débattre d’un sujet aussi grave. C’est donc avec une extrême gravité, avec sérieux et sincérité, qu’il convient de nous exprimer.

En réalité, la question de savoir s’il faut ou non intervenir relève à mes yeux d’un faux débat. Prisonniers à la fois de l’urgence et du pourrissement du conflit, nous devons plutôt nous attacher à définir la réaction la plus appropriée possible, ce qui exige que soient précisément établis tout à la fois le cadre de cette réaction, les mesures qui la composent et celles qui devront permettre d’en assurer le suivi.

À mon sens, il y a à ce sujet un large consensus entre nous, sachant que nous avons tous également à l’esprit le fait qu’une mauvaise intervention est parfois tout aussi néfaste, sinon plus, qu’une non-intervention.

Il est évidemment hors de question, pour la France, de s’engager seule, et il ne s’agit pas non plus de donner un blanc-seing à une coalition dont nous ne connaîtrions ni les contours précis, ni les objectifs, ni les prolongements politiques.

Il paraît donc essentiel de mettre à profit les jours qui viennent, la réunion du G20, celle des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne et la réflexion qui s’engage entre nos collègues parlementaires américains pour mettre tout cela au clair.

Aujourd’hui 4 septembre 2013, nous en sommes à plus de 100 000 morts et à 6 millions de personnes déplacées, dont 2 millions ont quitté la Syrie et se trouvent dans des camps situés dans les pays limitrophes, notamment dans les zones les plus pauvres de la Turquie et de la Jordanie, où elles vivent dans des conditions abominables. Sur ces 2 millions de personnes, plus de la moitié sont des enfants. L’Organisation des Nations unies est formelle : cette situation est absolument inédite.

Nous constatons un degré de violence, notamment envers les plus faibles, jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est là un fait indéniable, comme l’usage des armes chimiques, que personne ne nie, même si, aux yeux de certains, les responsabilités ne sont pas assez clairement établies.

Nous étudierons évidemment avec la plus grande attention les résultats de l’inspection conduite par les Nations unies, mais cette dernière n’a de toute façon pas vocation à révéler publiquement l’origine de ces armes chimiques.

M. Alain Richard. Exactement !

M. André Gattolin. Cependant, les éléments d’ores et déjà réunis par plusieurs gouvernements, mais aussi par les organisations humanitaires et plusieurs grands médias, notamment Le Monde et la BBC, vont tous dans le même sens : d’une part, ces armes ont bel et bien été utilisées ; d’autre part, le régime de Damas est a priori le seul à être en mesure de mener des attaques comme celle du 21 août dernier, dans les faubourgs de la capitale, où se concentre une partie des opposants démocrates à Bachar Al-Assad.

Les déclarations récentes, proprement surréelles, de M. Bachar Al-Assad à un quotidien français ne laissent guère de doutes quant à sa détermination meurtrière et à ce qu’il serait capable de faire en l’absence de réaction internationale.

Disons-le clairement : si nous persistons à ne rien faire face à la nouvelle montée en horreur du conflit, nous entérinons de fait la dépénalisation de l’usage des armes chimiques, que le régime syrien conçoit manifestement comme une arme conventionnelle, puisqu’il les a utilisées à plusieurs reprises, alors que leur prohibition constitue un pilier du droit international et humanitaire depuis la fin de la Première Guerre mondiale et la signature du Protocole de Genève, en 1925.

Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir anéanties les composantes démocratiques de la rébellion –celles précisément qui ont été visées par le bombardement du 21 août –, ce qui laisserait alors la place à un face-à-face entre Bachar Al-Assad, appuyé par ses alliés iraniens et ceux du Hezbollah, et les composantes résolument anti-démocratiques de la rébellion.

Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir l’ONU encore plus affaiblie qu’elle ne l’est déjà. Certains de nos collègues, sceptiques quant à l’opportunité d’une intervention internationale, considèrent qu’une telle action porterait un coup fatal à l’influence de l’ONU.

En réalité, c’est plutôt l’inaction qui constituerait le plus grand risque sur ce plan, car elle consacrerait le pouvoir de nuisance de pays tels que la Russie, qui abuse en permanence de son droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. En empêchant depuis deux ans tout règlement politique du conflit, c’est bien ce pays qui a rendu possible la perpétuation des atrocités commises par le régime syrien.

Le débat que nous menons aujourd’hui ne s’achèvera pas par un vote, ce qui est après tout logique à ce stade, puisque beaucoup de paramètres peuvent encore changer. C’est la semaine prochaine que nous pourrons et devrons voter – les écologistes le demandent instamment –, une fois que ces paramètres auront été précisés.

À cet égard, je poursuivrai mon propos en évoquant trois points qu’il faudra impérativement approfondir avant une convocation ultérieure du Parlement.

Le Congrès américain devrait voter le 9 septembre prochain sur la participation des États-Unis à une intervention aérienne, ciblée et circonstanciée, participation à défaut de laquelle une action militaire française serait évidemment remise en question. Mais, quelle que soit la décision finale de nos alliés, il convient de mobiliser la communauté internationale sur ce dossier comme elle ne l’a jamais été jusque-là. À l’heure actuelle, plusieurs membres importants de la Ligue arabe, mais également la Turquie et le Japon, ont fait connaître leur soutien à une éventuelle opération, sans que l’on sache, pour le moment, comment ce soutien pourrait se traduire concrètement.

Mais il faut aller encore plus loin ! De grands pays émergents comme le Brésil doivent être approchés, pour voir dans quelle mesure leur position pourrait évoluer, compte tenu des derniers développements en cours. L’Union européenne doit se mobiliser en tant que telle et sortir de sa coupable torpeur.

Je mentionnai à l’instant les limites du Conseil de sécurité de l’ONU, mais il est frappant de constater que l’Assemblée générale de celle-ci, qu’aucun veto ne peut paralyser, reste elle aussi absente de ces débats. La France et ses partenaires doivent demander sa convocation en urgence afin de rappeler avec force l’interdiction du recours aux armes chimiques et de réclamer une enquête de la Cour pénale internationale sur les derniers bombardements. L’adoption probable d’une telle déclaration conforterait la volonté du Gouvernement d’intervenir. Un tel vote n’aurait certes pas le même poids qu’une résolution du Conseil de sécurité, mais il permettrait néanmoins de sortir quelque peu de l’insupportable situation de blocage qui affecte l’ONU depuis le début de ce conflit.

Il faut bien rappeler que les composantes démocratiques de l’opposition syrienne, en particulier l’Armée syrienne libre, réclament aujourd’hui une intervention de la communauté internationale. Ce n’était pas le cas voilà deux ans, car elles craignaient alors que le régime de Bachar Al-Assad n’instrumentalise à son profit une intervention extérieure. Aujourd’hui, cette partie de l’opposition réclame une telle intervention, et il est frappant de constater qu’elle est encore largement sous-équipée par rapport aux autres acteurs du conflit, en dépit des promesses de livraisons d’armes qui lui ont été faites. Qu’attendons-nous pour la renforcer et pour traiter véritablement les représentants de cette opposition démocratique comme des interlocuteurs pleinement légitimes ? À mon sens, c’est là une nécessité absolue si nous voulons que l’état des forces en présence puisse véritablement évoluer.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la rébellion syrienne a débuté en réaction au sort qui avait été réservé à des enfants de moins de 15 ans ayant un peu naïvement repris un slogan des révolutions arabes : « le peuple veut la chute du régime ». Cela leur valut d’être arrêtés et torturés… Deux ans plus tard, ce sont toujours les enfants qui sont les premières victimes de cette guerre ignoble. Leur mise en sécurité, ainsi que celle des millions de personnes déplacées, doit être désormais notre priorité, y compris d’ailleurs en dehors du théâtre d’opérations proprement dit.

Comment la France compte-t-elle participer aux efforts internationaux visant à accueillir les réfugiés syriens ? Le Gouvernement reviendra-t-il rapidement sur sa décision de janvier dernier de contraindre les ressortissants syriens se rendant par exemple aux États-Unis ou au Canada à demander des visas de transit aéroportuaire pour la moindre escale dans les zones d’attente de nos aéroports, ce qui a pour conséquence évidente de gêner la fuite de personnes déjà terriblement éprouvées ? Bien sûr, il s’agit là de mesures modestes au regard de celles que nous avons évoquées précédemment, mais une telle mise en cohérence avec les principes humanitaires les plus élémentaires me semble plus que nécessaire, alors même que la population syrienne paie le prix non seulement de la folie de son dictateur et de ses soutiens, mais aussi des erreurs commises par celles et ceux qui se disent à ses côtés.

Le groupe écologiste du Sénat salue la volonté du Président de la République de sortir de la terrible inaction internationale qui a jusqu’à présent prévalu à l’égard du drame syrien. Nous demandons aujourd’hui au Gouvernement de mettre à profit le court délai qui a été octroyé par les circonstances pour préciser les modalités de l’action de la France, élaborer d’éventuelles alternatives à une intervention aérienne, en complément ou en substitution à celle-ci si nos alliés venaient à y renoncer, et s’investir plus que jamais dans la préparation d’une conférence Genève 2, visant à réunir l’ensemble des parties prenantes pour ouvrir la voie à une transition que nous appelons toutes et tous de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République nous invite à débattre d’une éventuelle intervention en Syrie. En cet instant, je voudrais exprimer non seulement mon intime conviction, mais aussi un sentiment très largement majoritaire parmi nos concitoyens.

Faut-il voter, au terme de ce débat ? Le texte actuel de la Constitution est sage, car il préserve notre capacité d’initiative, sans interdire un vote en fonction des situations. Aujourd’hui, me semble-t-il, il n’y a pas d’effet de surprise à rechercher et le répit américain montre qu’il n’y a pas d’urgence. Aussi serait-il dommage de ne pas pratiquer cet exercice démocratique.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Philippe Adnot. Faut-il intervenir ? Je ne le pense pas : ce conflit est un conflit interne à la Syrie, qui met en jeu des options politiques, ethniques et religieuses. Sommes-nous certains que ceux qui souhaitent substituer leur pouvoir à celui de Bachar Al-Assad seront plus démocrates et plus respectueux de la vie d’autrui ? Des exemples récents suggèrent le contraire.

Quel serait le fondement de notre action ? J’ai été très heureux de la position de Jacques Chirac lorsque la question d’une intervention en Irak s’est posée. Je n’ai pas approuvé l’intervention en Libye…

M. David Assouline. Et au Mali ?

M. Philippe Adnot. … et nous avons bien vu les conséquences de cette déstabilisation régionale, qui a rendu ensuite nécessaire une intervention au Mali.

Faut-il que la France soit le seul gendarme du monde ? La France aurait-elle dû intervenir lors de guerres internes, comme en Tchétchénie ou au Tibet, ou bien ne doit-elle frapper que les petits pays ?

Pour autant, faut-il ne rien faire ?

L’heure est à l’action collective. Oui, il faut désapprouver les actes d’horreur, qu’ils soient d’ailleurs perpétrés au moyen de gaz ou de bombes ! À mes yeux, les 350 ou 1 000 morts par gazage ne sont pas plus importantes que les 100 000 qui les ont précédées.

Je pense qu’il nous faut rassembler sur une même ligne un maximum de pays, placer la Ligue arabe devant ses responsabilités, annoncer l’engagement d’une action internationale en vue de faire condamner Bachar Al-Assad pour crime contre l’humanité. La mise en place d’un couloir humanitaire me semblerait également une bonne chose.

Oui, il faut agir, mais certainement pas en frappant et en causant de nouvelles morts, et sûrement pas seuls ! Le moment est venu pour l’Europe, me semble-t-il, de définir une ligne commune, et, pour la France, d’y participer pleinement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

M. Philippe Marini. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, la tragédie syrienne fait éclater aux yeux du monde l’extrême folie dictatoriale, la cruelle permanence des guerres de religion et l’inquiétante impuissance des démocraties.

L’impuissance, notre impuissance, tel est le sujet d’aujourd’hui. Fidèles aux grands principes de la Ve République, nous savons bien que ce débat n’est pas requis par notre Constitution, mais il est cependant indispensable. La question d’une intervention armée en Syrie divise nos alliés, mais aussi notre pays, et la clarification la plus convaincante eût été de procéder à un vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Nos amis Américains prenant le temps de la démocratie au Congrès, il n’est pas possible d’invoquer l’urgence pour priver notre Parlement de son expression la plus responsable : le vote. Nous regrettons donc que ce débat ne débouche pas sur la conclusion que nous espérions. Britanniques et Américains nous devancent à nouveau dans la pratique démocratique. Nous sommes dans cette situation curieuse et quelque peu humiliante où l’engagement militaire de la France dépend non pas de notre vote, mais de celui de nos collègues américains ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

La première condition de l’utilité de notre débat, c’est de hausser notre réflexion au-delà des traditionnels clivages partisans. La diplomatie est plus forte dans l’unité. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

La complexité du sujet, le poids de vos décisions nous obligent à prendre de la hauteur. Nous avons su montrer l’esprit responsable de notre opposition, notamment sur le dossier malien. La diplomatie française, monsieur le ministre, sait pouvoir compter sur notre soutien dans les situations les plus graves.

Pour cette raison, on ne peut accepter que l’hostilité de l’opinion publique française à l’égard d’une frappe militaire en Syrie ait pu être qualifiée de « munichoise » par un responsable du parti socialiste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur de nombreuses travées de l’UDI-UC.) La démocratie, c’est aussi le respect de l’autre, et non sa disqualification par des comparaisons historiques absurdes, injurieuses et blessantes !

En Europe, la France est aujourd’hui le seul pays à se tenir sur la ligne qu’elle a annoncée imprudemment.

Le parlement britannique a rejeté la motion présentée par David Cameron, malgré toutes les précautions de langage qu’il a pu employer en exprimant sa position. L’Allemagne a fait savoir qu’elle n’envisageait pas de participer à une action militaire en Syrie,…

M. Jean-Marc Todeschini. Comment ferait-elle ?

M. Jean-Pierre Raffarin. … l’Italie et l’Espagne, pour ne citer que ces pays, ont aussi exprimé leurs réserves quant à une action décidée en dehors du Conseil de sécurité. La Ligue arabe est elle-même profondément divisée…

M. Jean-Pierre Raffarin. … entre ceux qui veulent la chute du régime de Bachar Al-Assad et voient dans l’intervention militaire un moyen d’y parvenir et d’autres qui craignent des répercussions pour l’ensemble de la région et redoutent que les islamistes accèdent, comme ailleurs, au pouvoir.

L’envoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Lakhdar Brahimi, a fait savoir que le feu vert du Conseil de sécurité était nécessaire.

Le Brésil, qui est une grande démocratie, a évoqué la violation du droit international que constituerait une telle action, si elle était engagée sans l’aval du Conseil de sécurité.

J’arrêterai là mon énumération, sans évoquer les positions de la Russie et de la Chine, qui sont connues de longue date.

Un tel isolement de la France, fait nouveau, est pour nous tous source d’une légitime et profonde inquiétude.

Bien sûr, la position de la France ne peut résulter mécaniquement de l’attitude adoptée par ses partenaires, aussi proches soient-ils, que ce soit dans le sens de l’intervention armée ou dans le sens contraire. Il s’agit toutefois d’un élément à prendre en considération, mais comme les positions de nos alliés sont différentes, contradictoires, c’est à la France, au Président de la République, « l’homme en charge de l’essentiel », selon l’expression du général de Gaulle, qu’il revient d’arrêter la position la plus favorable aux intérêts de la France et à la recherche de la solution la plus propice à la restauration de la paix et au respect de la légalité internationale. Le moment venu, le Président de la République devra expliquer à la nation sa vision de l’avenir sur ce tragique dossier.

M. Gérard Larcher. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il est clair – on ne peut avoir aucun doute sur ce point – que le recours à l’arme chimique est fermement condamnable. Il est clair, également, que l’on ne peut laisser passer sans réagir l’utilisation d’une arme proscrite par le droit international. Cette violence est extrême, elle révolte nos consciences.

En effet, la France, membre du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, doit se sentir garante des traités internationaux. Elle ne peut donc rester les bras croisés face à leur violation manifeste.

Faut-il pour autant choisir la voie des frappes militaires pour « punir » celui qui est accusé d’avoir utilisé l’arme chimique contre sa population ? Le précédent irakien, que j’ai vécu en direct à Matignon, nous enseigne que la prudence et la vérification sont nécessaires.

Il est donc avisé de constater, quoique tardivement, que le rapport en cours d’élaboration des inspecteurs des Nations unies constituera l’un des éléments qui permettront d’attribuer internationalement les responsabilités, sans que la suspicion affecte la crédibilité de déclarations dont on sait bien qu’elles peuvent faire l’objet de manipulations.

L’histoire salue déjà la clairvoyance de Jacques Chirac, qui, en 2003, a protégé la France de l’« erreur irakienne », servant ainsi notre honneur international. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

Attendons donc le rapport des Nations unies et le débat qui s’ensuivra pour fixer et énoncer la position de la France ! Celle-ci devrait tenir compte de la dimension juridique, du droit international, ainsi que de l’efficacité des mesures qui seront prises et de leurs conséquences sur la situation politique en Syrie comme dans toute la région et au-delà.

Avant d’aborder la question de l’efficacité politique des décisions qui pourraient être prises si les faits sont établis grâce au travail des inspecteurs des Nations unies, je voudrais poser celle de la légalité internationale d’une frappe militaire.

La France a toujours eu à cœur de renforcer le poids, la légitimité et le bon fonctionnement des Nations unies. Membre du Conseil de sécurité, elle assume en effet des responsabilités éminentes. Que ce soit en Irak, avec Jacques Chirac, ou en Lybie, avec Nicolas Sarkozy, elle a tenu à ce que les procédures onusiennes soient toujours respectées. Il y va évidemment de l’image des Nations unies dans le système international, comme de l’équilibre d’un monde qui, même s’il est multipolaire ou le devient, a besoin d’éléments d’équilibre et d’une représentation universelle.

J’ai lu et j’ai entendu dire tout à l’heure que certains veulent faire de la Syrie le dossier central de la réunion du G20 de Saint-Pétersbourg : c’est ne pas tenir compte du fait que le G20 ne peut se prononcer légitimement que sur les questions économiques. En outre, court-circuiter l’ONU n’est pas dans l’intérêt de la France, qui tire une puissante influence de sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. –M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

Quel mauvais exemple nous donnerions en nous affranchissant des Nations unies dès lors qu’elles gêneraient notre liberté d’action ! Les conditions posées par le chapitre VII de la Charte des Nations unies ne peuvent être réunies : en effet, nous ne sommes pas dans le cas d’une menace contre la paix, prévu à l’article 39, ou en état de légitime défense, comme visé à l’article 51.

La tragédie syrienne dure depuis plus de deux ans, elle a fait plus de 100 000 morts par armes conventionnelles. Malgré cela, le Conseil de sécurité est toujours divisé et sa décision est dépendante d’un veto d’un membre permanent.

Invoquer la « responsabilité de protéger » les populations constitue certes une voie de recours, mais, là non plus, on ne peut s’affranchir d’un acquiescement ou d’une absence d’opposition des Nations unies.

Créer un précédent serait donc regrettable, car cela permettrait à des États mal intentionnés de prendre parti dans telle ou telle querelle intérieure au nom de la sauvegarde d’une fraction de la population. La légalité internationale prévient les abus à venir.

On parle de mener des frappes aériennes pour « punir » Bachar Al-Assad d’avoir franchi une « ligne rouge », celle de l’usage de l’arme chimique.

La dimension morale de cette forme de réaction est forte, mais celle-ci n’en suscite pas moins de sérieuses interrogations de notre part. Cela fait deux ans que les combats armés se déchaînent en Syrie. Ils ont causé plus de 110 000 morts, le déplacement d’innombrables réfugiés, des drames humains séparant des communautés qui, jusqu’alors, vivaient ensemble sans trop de difficultés. Ces actions ne sont-elles pas en elles-mêmes punissables ? Pourquoi la situation serait-elle devenue brutalement telle qu’il faille maintenant bombarder la Syrie sans mandat international ?

Le recours à l’arme chimique est odieux, insupportable, mais l’utilisation de bombes à fragmentation l’est-elle moins ? Il ne s’agit pas d’accepter, il ne s’agit pas de se résigner, mais, au contraire, de réagir de la meilleure façon, la plus efficace au regard de l’objectif visé, à savoir le retour à la paix et à la concorde civile en Syrie et dans la région !

Évidemment, nous payons tous le prix de l’attentisme de la communauté internationale sur ce dossier.

On parle de frappes « ciblées », « proportionnées », devant dissuader Damas de recourir à nouveau à l’arme chimique et attester que les lignes rouges fixées ne peuvent être franchies sans que cela entraîne de sérieuses conséquences.

Mais, parce que la situation intérieure est d’une extrême complexité, l’on dit dans le même temps que l’on ne veut pas provoquer la chute de Bachar Al-Assad et un changement de régime…

M. Philippe Marini. C’est assez hypocrite !

M. Jean-Pierre Raffarin. Punir sans abattre : or la guerre est peu compatible avec la nuance !

On sait que, en Syrie, la solution doit être politique, afin que les délicats équilibres soient ménagés, que les radicaux islamistes n’imposent pas leur loi et leur dictature.

Nous notons que le caractère exclusivement punitif donné à ces frappes militaires n’est pas approuvé par certains voisins de la Syrie, qui soutiennent les combattants et les mouvements islamistes et sont surtout portés, eux, à conjuguer tous leurs efforts pour abattre le régime de Damas.

L’impact de nos frappes aériennes serait très incertain. Je parlerai non pas de l’impact physique – qui est cependant à prendre en considération, comme le font les populations qui, actuellement, fuient la Syrie, ou comme pourrait le faire Bachar Al-Assad, en recourant à l’horrible pratique des boucliers humains –, mais de l’impact politique et diplomatique.

La région est déjà parcourue de crises et soumise à des facteurs d’instabilité. Le Liban, la Jordanie, l’Irak sont d’ores et déjà malmenés par des attentats qui traduisent des clivages religieux. Des communautés chrétiennes sont de plus en plus en butte aux exactions, aux proscriptions, alors qu’elles sont présentes dans la région depuis des millénaires. La sécurité d’Israël ne peut qu’être affectée par un environnement instable, violent. Les chrétiens d’Orient, comme nos amis du Liban, nous rappellent nos racines et nous appellent à la plus grande réserve.

De façon plus large, l’impact sur d’autres dossiers de sécurité en cours de discussion – ou de reprise de discussion – avec la Russie, la Chine, l’Iran, ne peut être que négatif si l’on substitue aux règles de la légalité internationale celles de l’unilatéralisme, de la force des armes, ou la traditionnelle arrogance occidentale.

J’entends bien ceux qui disent qu’une frappe punitive n’est pas la guerre. Mais quand on a frappé, c’est celui qui est frappé qui décide, par sa riposte, s’il y a guerre ou pas.

M. Philippe Marini. Très juste !

M. Jean-Pierre Raffarin. On ne maîtrise pas la situation au lendemain d’une frappe.

M. Philippe Marini. Très juste !

M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas être « munichois », passif et pacifique que de reconnaître que, dans les circonstances actuelles, le choix des armes n’est certainement pas la réaction la plus appropriée.

Ce serait évidemment différent si le Conseil de sécurité donnait son feu vert à une opération armée, qui aurait alors une portée politique et juridique indiscutable.

M. Jean-Pierre Raffarin. Le candidat François Hollande partageait d’ailleurs cet avis, quand il s’exprimait en ces termes sur une chaîne de radio, le 20 avril 2012 : « La France participera à une intervention armée en Syrie […] si elle se fait dans le cadre des Nations unies. » (M. Pierre Hérisson applaudit.)

Alors que faire, puisque nous reconnaissons évidemment l’odieuse utilisation d’armes chimiques ? Nous refusons l’absence de réaction, nous rejetons la résignation. (M. Jean- Marc Todeschini s’exclame.)

Même si nous devons reconnaître que la France s’est mise elle-même dans une situation où son silence serait coupable et abîmerait notre image, la France doit, d’abord et avant tout, rompre son isolement européen. Une réunion du Conseil européen nous paraît un préalable nécessaire à toute constitution d’une coalition spécifique. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Il faut bien sûr que la France agisse. Qu’elle le fasse avec les autres membres de la communauté internationale, d’abord avec l’Europe, mais aussi avec ses alliés.

La voie du consensus, du rapprochement des positions, des intérêts est, certes, plus difficile que celle des frappes militaires, mais elle seule est, selon nous, porteuse d’espoir quant à l’obtention d’une solution politique acceptable.

En effet, qui peut croire, chers collègues, que des frappes en Syrie feront avancer la solution politique ? Elles risquent, au contraire, de durcir les positions en présence et les ressentiments.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Pierre Raffarin. La condamnation du recours à l’arme chimique doit évidemment être sans ambages. Il nous faut chercher à obtenir l’appui à cette condamnation le plus large, car ni la Russie, ni la Chine, ni l’Iran ne peuvent non plus accepter l’utilisation de l’arme chimique. Victime, dans le passé, des armes chimiques, la Chine pourrait condamner leur emploi, pour peu que cette prise de position ne soit pas contraire à sa vision de la non-ingérence politique.

Il faut que le représentant des Nations unies et de la Ligue arabe poursuive ses efforts pour amener autour de la table de négociation les différentes parties prenantes en vue de dégager un consensus. Lakhdar Brahimi connaît bien les conditions qui doivent être satisfaites pour parvenir à la cessation de la guerre, à une transition raisonnable, à la préservation de la cohabitation la plus harmonieuse possible, en Syrie, de communautés différentes, qui doivent retrouver la volonté de vivre ensemble.

Une fois cette feuille de route établie, il faut évidemment prendre le chemin de Moscou, lieu probable de la véritable solution politique. Nous savons que les Russes n’ont pas admis l’interprétation occidentale de la résolution 1973 sur la Lybie. Il faut donc dégager avec eux un consensus sur l’interprétation de nos règles. C’est un passage obligé pour mobiliser Moscou.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Ce n’est pas New York, c’est Moscou !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dans cette période, la proximité avec l’Amérique n’est pas toujours un atout dans la négociation.

M. Jean Besson. Bravo pour l’amitié franco-américaine !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous attendons, monsieur le ministre, une relance du dialogue avec Moscou, qui est une constante de notre diplomatie.

Au total, le bilan des interventions militaires récemment engagées par nos démocraties n’est pas vraiment brillant.

Notre mission universelle ne consiste-t-elle qu’à remplacer des dictateurs laïcs par des dictateurs religieux ? (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Le défi est certes difficile à relever, mais il s’impose à nous au regard de cette guerre qui dure, de ces failles qui se creusent. Autant de drames qui se prolongent, mais qui doivent justement amener les acteurs nationaux et internationaux à faire des concessions et les gestes nécessaires.

La tragédie syrienne est évidemment un crime contre l’humanité. La riposte est en question, mais vous avez entendu, monsieur le ministre, notre profonde réserve, dans les circonstances actuelles, à l’égard d’une intervention armée.

Trois préalables seraient à réunir : la reconnaissance des preuves par l’ONU ; la légalisation internationale de l’intervention, qui exige une relance de la diplomatie française ; la définition des objectifs politiques par le Président de la République devant la nation, dans le contexte qui résultera du vote du Congrès américain.

L’impuissance des démocraties est le plus mauvais des signaux envoyés à une planète qui, dans son ensemble, hésite entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires.

Le message des démocraties peut être celui de la force, mais de la force légitimée par le droit. Une force certes lente, mais une force puissante. « Une force qui va et qui sait où elle va », disait Victor Hugo.

Je voudrais, en terminant mon propos, vous livrer un témoignage personnel : j’ai entendu Colin Powell et George Bush, forts de leur puissance et de leurs certitudes, nous exposer, à l’Élysée, l’argumentation du leadership démocratique.

M. François Rebsamen. Et alors ? Quel rapport ?

M. Jean-Pierre Raffarin. Face à eux, j’ai vu un Président de la République française trouver la force de la résistance dans ce qui fait la force de la France : son indépendance. Dans les périodes difficiles, le meilleur des recours est celui de la grandeur de la France ! (Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous n’en serez pas surpris, mes propos différeront quelque peu de ceux que vient de tenir M. Raffarin…

Ce qui nous anime, sur ce sujet, c’est la recherche permanente du rassemblement le plus large, dans l’intérêt de notre pays.

À cet égard, vous avez salué, monsieur Raffarin, la position adoptée par le Président Jacques Chirac à propos de l’intervention en Irak. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour avoir refusé d’assister à un défilé militaire donné en l’honneur de M. Bachar Al-Assad. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mes chers collègues, comme l’a souligné le Premier ministre, comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères, le régime de Bachar Al-Assad a commis l’irréparable. Personne ne le nie !

En effet, alors que, chaque jour, s’étalent aux yeux du monde entier les atrocités les plus extrêmes, le 21 août dernier, un nouveau palier a été franchi sur l’échelle de l’impensable en Syrie : l’arme chimique a été à nouveau employée et, avec une ampleur inédite, elle a frappé indistinctement combattants et populations civiles.

Une première fois, au mois d’avril dernier, le régime avait lancé plusieurs attaques. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait dénoncé les faits et publié des éléments de preuve dès le mois de juin. Ces attaques n’étaient, hélas, que des coups d’essai !

Le 21 août dernier, le régime a donc pris la décision de perpétrer un massacre de masse avec des armes marquées du sceau de l’opprobre et de l’interdit. Personne n’en doute ; ne faites pas semblant d’en douter !

Nous ne savons pas si cet acte, commis le premier jour de la mission des inspecteurs des Nations unies, était une provocation supplémentaire, un ultime pied-de-nez à une communauté internationale enlisée, ou répondait à une volonté de brouiller les pistes. En fait, quel pouvait en être le véritable mobile ?

Il y a encore deux ans, un de nos collègues disait que la Syrie, si elle n’est certes pas une démocratie, est un pays où prévaut la paix civile, qui permet de fonder des familles.

Mme Laurence Rossignol. C’était Philippe Marini !

M. François Rebsamen. Eh bien, ce n’est même plus le cas !

À n’en pas douter, Bachar Al-Assad a voulu tester les limites tolérées par les puissances occidentales qui tentent de mettre un frein à la répression sanglante qu’il inflige à une partie des populations de Syrie et d’imposer une solution politique, à laquelle tout le monde est évidemment attentif.

En faisant cela, ce régime vacillant, et non pas renforcé, commet une double forfaiture.

Il a franchi une « ligne rouge », tracée par la convention sur les armes chimiques de 1925, qui fut la réponse logique, humaniste et justifiée à l’horreur des gaz de combat employés de façon massive lors de la Première Guerre mondiale et dont furent victimes des centaines de milliers de combattants.

Bachar Al-Assad peut arguer qu’il se situe en dehors du champ de cette convention. C’est d’ailleurs ce qu’il sous-entend dans un entretien accordé à un quotidien français, quand il est interrogé sur la détention par l’armée syrienne de stocks d’armes chimiques. Mais la communauté internationale, à commencer par le secrétaire général des Nations unies, considère, à juste titre, qu’il s’agit bien d’un crime contre l’humanité. C’est la première forfaiture.

Les combattants n’étaient même pas les seules cibles de l’attaque du 21 août. Ce sont des civils, des femmes, des enfants qui ont payé le plus lourd tribut à cette attaque aux portes de Damas. Ces femmes et ces enfants représentent la moitié des victimes. Il est inutile d’employer le conditionnel : nous avons vu des photos, nous avons des preuves !

Seconde forfaiture insupportable, ultime : cette nouvelle marche dans l’escalade de l’horreur intervient alors même que ce conflit a engendré, en deux ans et demi, 3 millions de réfugiés et de déplacés. Le Haut Commissariat aux réfugiés estime à 1 million le nombre d’enfants aujourd’hui exilés. C’est donc toute une génération qui est en situation de détresse. Imaginez, mes chers collègues, les conséquences de cette situation, pour la Syrie, tout d’abord, mais également, dans les années à venir, pour les autres pays de la région touchés par le conflit.

Alors, que devons-nous faire ? Quel est notre devoir ?

J’ai écouté avec intérêt l’intervention de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui a exposé toutes les raisons de ne rien faire. Je pense, pour ma part, que la communauté internationale, la France, ses alliés ne peuvent pas rester inactifs face à cette nouvelle tragédie ! Elle ne peut se contenter d’une simple condamnation morale, qui n’atteindra jamais un tel régime ! Celui-ci n’a que faire des préoccupations humanitaires ; seules sa propre survie et celle du clan au pouvoir le préoccupent depuis des années : il est prêt à toutes les extrémités pour les assurer, et si nous restons les bras croisés, les choses empireront.

Nous avons donc le devoir de l’arrêter, de mettre un coup d’arrêt à l’utilisation d’armes chimiques : c’est cela, le sujet de notre débat d’aujourd’hui, et non pas de savoir s’il faut ou non voter ; sur quoi voterions-nous, d’ailleurs ?

Nous ne savons pas si nous obtiendrons l’aval de la Russie – ce serait certes largement préférable ! –, et donc la résolution des Nations unies qui permettrait de conférer une légalité absolue à une intervention militaire. Pour autant, il s’agit bien de faire respecter le droit international ; les arguments en faveur de la légitimité d’une action coercitive ne manquent pas et méritent d’être entendus.

Même si la Syrie n’est pas partie prenante à la Convention pour l’interdiction des armes chimiques signée en 1993, l’emploi des armes de cette nature constitue incontestablement une violation du droit international. Comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies le 21 août 2013, « toute utilisation d’armes chimiques par un quelconque camp et en n’importe quelle circonstance constituerait une violation du droit international humanitaire ». C’est légitime ! Un régime politique, quel qu’il soit, ne saurait s’exonérer du respect d’un socle minimum de valeurs et de principes qui sont au fondement même de la communauté des humains. L’interdiction de l’emploi d’armes de destruction massive contre des populations civiles en fait naturellement partie. À ce propos, nous nous félicitons que la Coalition nationale syrienne s’engage, comme vous l’avez rappelé voilà quelques jours, monsieur le ministre des affaires étrangères, à proscrire les armes chimiques dans un avenir que nous espérons proche. (M. Alain Gournac s’exclame.)

Par ailleurs, je veux ici rappeler que l’Assemblée générale des Nations unies, afin de pallier les carences du Conseil de sécurité, a adopté plusieurs résolutions concernant la Syrie. La dernière, en date du 15 mai 2013, comporte les deux éléments essentiels suivants.

Tout d’abord, elle souligne, en son paragraphe 6, que « la crise en République arabe syrienne menace sérieusement la sécurité de ses voisins et la paix et la stabilité régionales et a de sérieuses répercussions sur la paix et la sécurité internationales ». Or l’existence d’une menace pour la paix et la sécurité internationales est une condition sine qua non du recours à la force.

Ensuite, cette même résolution fait référence à la persistance de violations et d’atteintes flagrantes, généralisées et systématiques aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales par les autorités syriennes et les milices progouvernementales. On en sait assez sur ce sujet ! En l’espèce, il s’agit non pas de violations ponctuelles des droits de l’homme, mais bien d’un manquement généralisé du régime syrien à son obligation de protéger sa population, qu’il veut même « liquider » !

Nous sommes en présence non pas d’un manquement à n’importe quelles règles du droit international, mais de violations de normes dites impératives du droit international. Je rappelle que ces normes impératives ont ceci de particulier qu’elles s’imposent à tous. Leur respect est dû à la communauté internationale dans son ensemble, et il ne peut y être dérogé en aucune circonstance.

Peu importe, donc, que la Syrie n’ait pas ratifié le statut de la Cour pénale internationale : l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité s’impose à ses dirigeants, puisque la violation grave d’une norme impérative internationale constitue un crime international. Sa violation justifie donc pleinement une intervention coercitive.

La légitimité d’une intervention provient aussi des preuves. Or le ministre des affaires étrangères a rappelé que la France dispose d’un faisceau de preuves de la responsabilité du régime syrien.

À cet égard, j’indique à M. Raffarin que la mission des inspecteurs de l’ONU est d’établir s’il y a eu ou pas emploi d’armes chimiques, et non qui, le cas échéant, les a utilisées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas pareil !

M. François Rebsamen. Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’efficacité de nos services de renseignement. Ils prouvent ainsi qu’ils sont l’une des clefs de voûte de notre autonomie stratégique, permettant à la France de disposer d’une liberté d’appréciation des situations de crise que peu de pays possèdent. Cette autonomie stratégique et cette liberté d’appréciation sont au fondement de notre indépendance politique.

Que savons-nous aujourd’hui de cette attaque ?

J’ai écouté avec attention, monsieur le ministre, ce que vous nous avez dit à ce propos. Nous savons qu’elle était préméditée. Nous savons qu’elle a été préparée en trois jours. Nous savons, enfin, que la seule structure disposant des moyens matériels, logistiques et humains nécessaires pour mener ce type d’opération est l’armée syrienne. Une telle attaque suppose en effet un entraînement, des infrastructures et un savoir-faire dont les insurgés sont dépourvus.

Mes chers collègues, j’entends, ici et là, avancer des comparaisons hasardeuses avec les cas irakien ou libyen. Rien n’est plus erroné.

En Libye, la coalition internationale est intervenue sur le fondement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, pour empêcher la Jamahiriya libyenne de massacrer des civils. Cette intervention a précipité la chute de Kadhafi.

Nous ne sommes pas non plus, comme Bachar Al-Assad et les Russes le prétendent, dans la fantasmagorie des armes de destruction massive de l’administration Bush à propos de l’Irak, dont nos amis Anglais, et surtout leur Premier ministre, David Cameron, ont dernièrement payé assez cher les conséquences ! Dans ce cas-là, les missions d’inspection internationales n’avaient pu apporter d’éléments tangibles relatifs à un réarmement irakien en matière d’armes de destruction massive.

Aujourd’hui, dans le cas qui nous occupe, les preuves de l’emploi d’armes chimiques sont là. Elles existent.

De fait, ces actes sont donc constitutifs d’un crime contre l’humanité au sens du droit international et doivent donner lieu à une sanction, qui ne peut être que de nature militaire. En cela, nous ne nous conduisons pas purement en guerriers ; nous cherchons des solutions afin d’empêcher Bachar Al-Assad et son régime de continuer à perpétrer de tels crimes, qui ne peuvent nous laisser indifférents.

Le massacre de la Ghouta ne saurait être la réédition du drame de Srebrenica, à l’occasion duquel la communauté internationale, pourtant bien présente, s’était illustrée par sa passivité. La passivité, en l’occurrence, serait une nouvelle faute qui entacherait profondément notre mémoire.

Le massacre de la Ghouta ne peut attendre une justice qui serait hypothétiquement rendue sur le tard, après un jugement tout aussi hypothétique de ses responsables, comme dans le cas du massacre de 4 000 Kurdes à Halabja, commandité par Saddam Hussein.

Ce massacre massif et aveugle ne peut rester impuni et doit être sanctionné. Comme le Président de la République l’a déclaré, nous sommes manifestement en présence d’« une violation monstrueuse des droits de la personne humaine ». Le seul message que ce régime puisse comprendre est une vigoureuse intervention militaire.

Cela a été rappelé maintes fois, et répété encore aujourd’hui : même si cela peut choquer, il s’agit non pas de libérer la Syrie, ni de renverser Bachar Al-Assad – à titre personnel, je n’y verrais pourtant pas d’inconvénient –, mais d’interdire à ce régime, qui ne connaît ni limite ni retenue lorsqu’il s’agit de massacrer sa propre population, d’utiliser l’un des modes opératoires les plus effroyables de son arsenal.

Cette action militaire, au regard des faits et des éléments de droit que j’ai soulevés précédemment, est, je le pense, légitime et doit avoir une valeur de dissuasion. Il serait pour le moins curieux de considérer comme illégale une action qui vise à faire respecter le droit international.

La dissuasion est l’objectif principal de l’intervention militaire, autrement dit le « but de guerre ». Il s’agit de sanctionner militairement le régime et de marquer notre détermination quant aux limites à ne pas franchir. C’est la seule et unique façon d’ouvrir la voie à une solution politique. Vous pouvez ne pas être d’accord avec nous sur ce point, chers collègues de l’opposition, mais alors, faites des propositions !

Pour marquer notre détermination, il faut envisager une action proportionnée mais ferme contre le régime de Damas, dans le cadre d’une coalition internationale.

Vous avez pris un malin plaisir, monsieur Raffarin, à affirmer que nos partenaires européens ne se joindraient pas à nous, comme si vous le souhaitiez au fond de vous-même. Pour notre part, nous voulons les convaincre et constituer cette coalition internationale, sans pour autant court-circuiter l’ONU. Aujourd’hui, cependant, le Conseil de sécurité est empêché d’agir.

La France ne veut pas faire la guerre au peuple syrien. La France, vous le savez, a été exemplaire depuis le début de la guerre civile. Notre diplomatie s’est distinguée par la recherche obstinée d’une solution politique visant au départ de Bachar Al-Assad et à un avenir meilleur pour la Syrie.

Contrairement à ce que l’on a pu dire ou écrire ici et là, il s’agit non pas d’agir dans la précipitation, mais d’intervenir dès lors qu’un faisceau de preuves est réuni.

Tout d’abord, cela a été rappelé, nous n’agirons que dans le cadre d’une coalition, qui devra être la plus large possible. Lorsque la France et les États-Unis convergent vers un même objectif, à savoir la justice et le respect du droit international humanitaire, il s’agit là d’une vision partagée de la justice, apte à rassembler bien au-delà de nos deux pays.

Cette coalition ne pourra agir que dans le seul dessein de sanctionner le régime de Bachar Al-Assad, et se bornera donc à mener des actions ciblées et limitées dans le temps.

Je ne doute pas que le Gouvernement, que nous soutenons, prendra les mesures nécessaires pour préserver nos intérêts dans la région et assurer la sécurité de nos implantations diplomatiques, ainsi que celle de nos ressortissants et de nos soldats engagés au Liban.

Le conflit syrien irradie déjà bien au-delà des frontières du pays et menace aujourd’hui de déstabiliser l’ensemble de la région, ne serait-ce que par l’afflux de réfugiés au Liban, en Jordanie, en Turquie.

Bachar Al-Assad ne fait d’ailleurs pas mystère de ces menaces. En cet instant, la communauté française, la représentation nationale doivent être rassemblées. La France ne peut pas se laisser intimider par les propos d’un dictateur rapportés par un de nos journaux ! Ce n’est pas tolérable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Chers collègues de l’opposition, nous avons su, à d’autres époques, applaudir certaines interventions de membres de gouvernements que vous souteniez. J’aurais apprécié que vous fassiez de même aujourd’hui, à votre tour, eu égard à la grande qualité du discours de M. le ministre des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Et vous, que faisiez-vous lorsque vous étiez dans l’opposition ?

M. François Rebsamen. Enfin, pour clore la polémique sur la nécessité d’un vote, je souhaiterais rappeler ici quelques éléments de droit. Je pense que vous connaissez l’article 35 de la Constitution, puisque vous l’avez voté.

Aux termes de cet article, le Gouvernement « informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger ». Je remercie d’ailleurs le Gouvernement de le faire, comme d’avoir communiqué à l’ensemble des responsables politiques de notre pays les éléments qu’il détient. Il est important que chacun puisse disposer de toutes les informations nécessaires pour se forger sa propre opinion.

M. François Rebsamen. Je rappelle que certains de ceux qui aujourd’hui réclament un vote s’y étaient farouchement opposés en 2008. Il est vrai que l’on a le droit de changer d’avis ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

Mais vous avez voté l'article 35 de la Constitution, mes chers collègues !

À l’heure où nous parlons, l’intervention est à peine à l’état de maturation, puisqu’il est a priori exclu que la France agisse seule. Demander un vote à ce stade n’a par conséquent pas grand sens.

M. Didier Guillaume. Aucun sens !

M. François Rebsamen. Et un vote sur quoi ?

La question ne peut se poser que plus tard, mais personne ne niera qu’il s’agit là de la responsabilité pleine et entière du Président de la République.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. De toute manière, ce n’est pas comparable, puisque, maintenant, c’est sans mandat de l’ONU !

M. François Rebsamen. Vous risquez d’avoir des surprises !

Nous mesurons les risques que comporte une telle intervention, mais, mes chers collègues, ainsi que cela a été souligné, c’est l’honneur et la grandeur de la France d’être en pointe dans le combat pour le respect des droits humains les plus élémentaires, ces droits bafoués depuis trop longtemps par le régime de Bachar Al-Assad.

Malgré ces risques, nous savons aussi pertinemment qu’une non-intervention aurait des conséquences bien plus graves pour l’ensemble de la région, voire pour la communauté internationale.

Raisonnons a contrario, car je crois que c’est l’argument le plus fort en faveur de l’intervention, et imaginons un instant que l’action du régime de Damas ne soit pas sanctionnée.

Le régime poursuivra l’utilisation d’armes chimiques – ce n’est pas rien ! –, occasionnant de nouveaux massacres de masse, repoussant dans leur dernier retranchement les forces insurgées, à commencer par les unités de l’Armée syrienne libre – il n’y a pas là-bas que des combattants d’Al-Qaïda –, et écartant du même coup toute solution politique.

Ne rien faire, ne pas intervenir serait le plus mauvais signal envoyé à toutes les puissances, et il y en a, qui souhaitent se soustraire au droit international. Ainsi, l’Iran ne serait plus du tout dissuadé de poursuivre son programme nucléaire. De manière générale, et ce qui serait encore plus inquiétant, les dynamiques de prolifération des armes de destruction massive seraient encouragées.

La convention sur l’interdiction des armes chimiques serait irrémédiablement abîmée. Dans le même temps, le subtil et fragile édifice fait de conventions et de traités, bâti à grand-peine, auquel a contribué notre pays dans le cadre de sa politique extérieure, s’écroulerait. La lutte contre la prolifération et l’emploi des armes de destruction massive est un domaine dans lequel notre pays a toujours été précurseur, car nous avons conscience, et le Premier ministre l’a rappelé, qu’il s’agit d’un enjeu majeur de sécurité collective.

Enfin, ce n’est pas trop de le dire, il y va de la survie de l’avenir des révolutions arabes et de notre responsabilité à l’égard de ceux des peuples qui conquièrent leur liberté en versant le prix du sang. (Murmures sur certaines travées de l'UMP.) Il est vrai que certains préfèrent Bachar Al-Assad... Moi pas !

Les régimes autocratiques se verraient déliés du peu de scrupules qui les retiennent dans leur répression. Nous ne pouvons le tolérer.

De fait, une non-intervention aurait des conséquences plus graves pour l’ordre international qu’une intervention militaire opérée en coalition, même sans résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous le savons, il s’agit d’une décision courageuse et difficile. Je veux saluer ici la détermination sans faille et la ténacité du Président de la République et de l’ensemble de l’exécutif. Ce sont de ces mêmes qualités qu’ils ont su faire preuve à l’occasion de la crise malienne.

La France doit continuer à assumer ses responsabilités, comme elle le fait depuis le début de la tragédie syrienne. Elle doit continuer à œuvrer pour réunir les conditions permettant de sanctionner ce régime qui n’a pas droit à l’impunité. En même temps, nous en sommes bien d’accord, elle doit poursuivre sa quête visant à l’émergence d’une solution politique, seul horizon possible pour la Syrie. De cela, nous sommes tous persuadés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la tragédie dans laquelle s’enfonce la Syrie et le martyre subi par son peuple placent aujourd'hui la France devant une alternative cruciale : soit préparer la guerre en soutenant les visées de l’administration américaine en Syrie et au Proche-Orient, soit définir un rôle propre, indépendant et positif, contre les illusions de la force et les dangers de l’intervention militaire, pour une solution négociée garantissant l’arrêt des massacres et une transition vers la démocratie.

Le choix qui doit être fait est d’une grande portée pour la Syrie, pour toute la région, pour la France. Il mérite et appelle un débat, mais aussi un vote du Parlement, ainsi que je l’ai demandé au Président de la République dès le 27 août.

Quelque deux Français sur trois se déclarent aujourd’hui opposés à une intervention militaire. En Europe comme aux États-Unis, des constats semblables témoignent aussi d’interrogations, de réticences et d’hostilités massives à la guerre.

Le choix de la guerre ne peut être celui d’un seul homme. Devant un enjeu si crucial, dans un monde devenu si complexe, nos institutions, qui réservent au seul chef de l’État le pouvoir d’engager nos armées, témoignent de leur archaïsme. Je réitère ici notre demande solennelle : aucune décision ne doit être prise sans un vote du Parlement.

M. Jean-Marc Todeschini. Vous voteriez quoi ?

M. David Assouline. Oui, que voteriez-vous ?

Mme Éliane Assassi. À quoi servons-nous, sinon ?

M. Pierre Laurent. La crise syrienne est devenue une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans maintenant, par la brutale et sauvage répression lancée par le régime de Bachar Al-Assad contre son peuple et amplifiée depuis par l’internationalisation et l’ingérence militaire croissante des puissances régionales et internationales dans le conflit. La France n’a malheureusement pas été en reste.

Le drame syrien est donc aussi devenu une crise géopolitique internationale, dans une région, le Proche-Orient, où tous les conflits s’entremêlent.

Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France, c’est la capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de règlement politique. Or ce qui se prépare, ce que vous nous invitez à soutenir, c’est l’inverse, à savoir une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La France ne doit pas s’y engager. Elle doit choisir une autre voie d’action. Oui, la France doit agir, mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à la guerre, du sang au sang.

Quel est le sens de l’entreprise de guerre que vous envisagez ? Punir le régime de Bachar Al-Assad ? Le « punir », dites-vous, pour empêcher que ne se renouvelle l’usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix, quelle est son efficacité réelle ? Quelles en seront les conséquences, quelle sera son utilité pour faire progresser l’indispensable solution politique dont le Président de la République affirme lui-même qu’elle reste la seule véritable issue ?

Peut-on bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le coup », juste « pour voir », comme au poker, sans s’appuyer sur la légalité du droit international et un mandat de l’ONU, sans évaluer les risques d’un embrasement régional, notamment au Liban où, dans les faits, il a déjà commencé avec une succession d’attentats, de représailles et de vengeances, sans mesurer les conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du régime, sans veiller au sort de nos deux otages dans ce pays ? Ne les oublions pas !

Le degré supplémentaire franchi dans l’horreur par l’usage massif d’armes chimiques justifie, selon vous, que la France entre à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?

L’usage des armes chimiques est inqualifiable. C’est un crime effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l’ont commis dans la violation manifeste des conventions qui les interdisent : ceux-là devront en rendre compte quand les responsabilités seront clairement établies de manière internationale.

La France, comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a le devoir de remettre tous les éléments dont elle dispose à la mission d’enquête de l’ONU et au Conseil de sécurité pour que ceux-ci établissent officiellement les responsabilités. À cet égard, j’estime qu’en tant que parlementaires, c'est-à-dire représentants d’un pays membre du Conseil de sécurité, nous devrions éviter les déclarations qui, comme j’ai pu l’entendre ici, traitent par-dessus la jambe le travail des inspecteurs de l’ONU.

La France déclare détenir des preuves, et nous les prenons au sérieux, mais rien ne la dispense de tenir compte des résultats de la mission d’enquête de l’ONU, rien ne l’autorise à pouvoir prétendre « punir » seule, sauf à contribuer ainsi elle-même à discréditer la légalité internationale.

Comme le notait déjà la commission d’enquête internationale indépendante dans le rapport remis à l’ONU au mois de juin dernier, « la Syrie est en chute libre, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont une réalité quotidienne en Syrie. Personne n’est en train de gagner la guerre et personne ne la gagnera ». Face à l’amplification des crimes, qui dure depuis des mois, avant même l’attaque chimique, la France doit inlassablement travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.

L’escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et nous éloignera de la solution politique et négociée incontournable.

Les autorités françaises mesurent-elles avec suffisamment d’attention et de prudence les expériences désastreuses des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, conflits que personne dans le monde ne peut oublier ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force, une « solution » en prenant, selon la formule consacrée, « toutes les mesures nécessaires ». Or les gouvernements coalisés n’ont finalement récolté que la poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos.

Le syndrome d’un modèle d’intervention libyen, mené par le pouvoir sarkozyste dont on mesure pourtant aujourd’hui les effets désastreux, a malheureusement dramatiquement marqué la diplomatie française dans la crise syrienne. Est-ce qu’avec ces guerres la démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s’est renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions internationales en sont sorties consolidées ?

Que de questions sans réponse ! Que de risques majeurs sans vision politique digne de ce nom ! Que d’échecs tragiques et stratégiques dont on ne tire pas les leçons !

Encore une question : le peuple syrien, première victime de cette crise, n’est-il pas en réalité le grand oublié de cette tragédie (Mme Éliane Assassi acquiesce), otage dramatiquement effacé de la confrontation des intérêts géopolitiques de puissances dont la Syrie est hélas devenue une sorte de ligne de front ? Au mois de mars 2011, le peuple de Syrie s’est soulevé pacifiquement, comme celui de Tunisie ou celui d’Égypte, au cours de ce que l’on a à l’époque appelé le « printemps arabe »... Ce fut pour les libertés, pour un État de droit, pour la justice sociale, pour la souveraineté.

Ce mouvement, c’est la vérité du peuple syrien, c’est l’espoir du peuple syrien.

Ce mouvement, nous l’avons soutenu contre la dictature criminelle et corrompue de Bachar Al-Assad. Nous le soutenons toujours, en Syrie comme ailleurs.

On voit aujourd’hui combien la conquête de l’émancipation politique et sociale engagée par ces peuples est complexe et difficile. Elle l’est particulièrement en Syrie, où le régime, dès les premiers jours, a choisi une répression féroce et meurtrière qui n’a fait qu’accélérer la militarisation de la crise et une terrible escalade dans la confrontation armée, avec des exactions d’une sauvagerie inouïe.

Le bilan de cette crise est épouvantable ; nous le connaissons tous : plus de 100 000 morts, plusieurs millions de réfugiés, une société pulvérisée par la violence des affrontements, par les divisions politiques et confessionnelles, par les atrocités commises par des groupes salafistes qui sont, pour l’essentiel, des corps étrangers à une société syrienne profondément laïque, mais armés par des puissances régionales dont certaines font, paraît-il, partie de nos alliés…

Alors, oui, il faut arrêter ça ! Il faut arrêter ça pour le peuple syrien. Il faut arrêter ça pour toutes celles et tous ceux qui, en 2011, se sont mobilisés pacifiquement dans ce pays. Il faut arrêter cette escalade tragique et chercher le chemin d’une issue politique pour aller vers une transition démocratique.

Une intervention militaire, dirigée par un duo isolé de puissances occidentales, hors du droit, constituerait un degré supplémentaire dans l’inacceptable, aux conséquences incontrôlables.

Ce n’est pas par la guerre que l’on peut protéger les peuples et gagner une sécurité humaine. La France doit prendre d’urgence un autre chemin, définir une vision politique et prendre de fortes initiatives.

Oui, il y a une alternative à la guerre !

Nous appelons donc les autorités françaises à proposer à tous nos partenaires internationaux, dès la réunion du G20, une rencontre au sommet de tous les belligérants et des principales puissances impliquées, les États-Unis et la Russie, bien sûr, mais aussi la Turquie et l’Iran, notamment, afin de définir les conditions d’un arrêt de l’escalade dans la confrontation militaire.

Il faut reprendre l’esprit et l’ambition de la deuxième conférence de Genève, qui aurait pu tracer la voie d’une telle solution il y a déjà des mois. Mais, au lieu de la soutenir dès juin 2012, au lendemain de Genève I, vous l’avez aussitôt mise en doute, monsieur le ministre, au motif que l’accord passé à l’époque ne prévoyait pas assez clairement la mise à l’écart de Bachar Al-Assad.

L’occasion de stopper les massacres a été gâchée. Or, aujourd’hui, vous préconisez une intervention aux risques énormes en déclarant qu’elle ne vise pas le départ de Bachar Al-Assad.

Où est la vision, où est la cohérence ?

M. Francis Delattre. Bonne question !

M. Pierre Laurent. La France doit cesser de se fourvoyer et reprendre l’initiative politique et diplomatique. Cela est encore possible, mais il y a urgence.

On voit d’ailleurs le niveau élevé des réticences politiques et des rejets populaires de la guerre en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, dans toute l’Europe, et même aux États-Unis.

Non, il n’y a pas de consensus pour la guerre !

La France, monsieur le ministre, a mis jusqu’ici son énergie dans l’option militaire. Nous vous demandons de l’investir dans la recherche d’une issue politique. Au lieu d’imposer la guerre, il faut, avec détermination, avec vos alliés, avec la Russie, emmener les protagonistes syriens aux conditions d’un règlement politique, avec un calendrier et de vraies décisions qui puissent constituer une réelle avancée dans la voie de la transition démocratique attendue par le peuple syrien. La France se grandirait en agissant ainsi, même si, nous le savons, le chemin est difficile.

Le G20 doit être utilisé pour une première et urgente concertation multilatérale, en particulier avec la Russie, les États-Unis et les autres puissances concernées.

La crise géopolitique syrienne sollicite donc, avec insistance, la France et le rôle qui devrait être le sien dans le monde d’aujourd’hui. Car cette crise majeure fait surgir immédiatement d’autres questions de grande portée internationale, en particulier l’enjeu global de la sécurité internationale, celui du désarmement et de l’élimination des armes non conventionnelles ou de destruction massive.

Il n’y a pas, en effet, que les armes chimiques. Il y a aussi, notamment dans la région, les armes nucléaires et la question, cruciale, de la prolifération.

Lors de la Conférence des ambassadeurs, voilà seulement quelques jours, le Président de la République, à propos de la crise sur le nucléaire iranien, a explicitement affirmé : « Le temps presse […], la menace grandit et le compte à rebours est d’ores et déjà enclenché. » Nous souhaitons, monsieur le ministre, que cette grave formulation, visant le principal allié de la Syrie, ne soit pas l’annonce que la crise iranienne devrait, elle aussi, le moment venu, passer par l’inacceptable et dangereuse phase d’une nouvelle opération militaire.

On dit, en effet, à Paris comme à Washington, que « toutes les options sont sur la table ». Y compris, de nouveau, la guerre ? Jusqu’où irons-nous encore ? Je souhaite, monsieur le ministre, que vous répondiez à cette question.

Le traité de non-prolifération doit être respecté par tous ses signataires. Il faut aller vers un désarmement nucléaire multilatéral et contrôlé. Et ni les États-Unis, ni la France, ni d’autres puissances ne peuvent se permettre d’envisager le règlement de toutes les crises par la force. C’est impensable ! Ne nous engageons pas dans un tel engrenage !

Construire une sécurité collective et humaine sur le plan international appelle tout autre chose que la guerre et les ambitions de domination qui vont avec. La France ne doit pas suivre Washington sur ce fil qui mène aux déstabilisations et aux désastres que nous connaissons déjà. Un changement sur le fond de politique internationale et de conception de la sécurité s’impose, avec un effort indispensable pour le désarmement concernant toutes les armes de destruction massive, et la nécessité de lier cette option essentielle au règlement des conflits, notamment la crise sur le nucléaire iranien, la politique israélienne et la question de la Palestine, la politique de la Turquie et la question kurde…

L’urgence n’est pas de faire la guerre ; elle est de construire un avenir commun pour tous les peuples dans cette région cruciale de la Méditerranée et du Proche-Orient. Saurons-nous, en Syrie et ailleurs, commencer à relever ce formidable défi ? Nous pensons, pour notre part, que la France, si elle le décide, en a la force. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Pierre Chevènement et Robert Hue applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre civile qui secoue la Syrie représente un drame humain depuis près de deux ans et demi maintenant. Selon les services de l’ONU, ce conflit meurtrier a fait à ce jour entre 93 000 et 110 000 morts. Voilà la réalité !

Une nouvelle étape dans l’escalade de la violence semble toutefois avoir été franchie dans la journée du 21 août dernier.

En effet, les preuves d’une utilisation à large échelle d’armes chimiques par le régime syrien de Bachar Al-Assad, et ce à l’encontre de sa propre population, convergent désormais.

La communauté internationale ne peut rester figée sans réponse face à des crimes d’une telle gravité ; elle se doit d’y apporter une réponse appropriée.

Néanmoins, le déclenchement d’une éventuelle intervention militaire à l’encontre du régime syrien, même ciblée et ponctuelle, ne peut, le cas échéant, se faire dans la précipitation, sans que l’on prenne en compte les multiples implications géopolitiques qu’elle pourrait avoir et la complexité de la situation, particulièrement dans cette région du monde.

Le rejet d’une motion présentée par le premier ministre britannique, David Cameron, et tendant à autoriser le recours à la force devant la Chambre des communes a ainsi démontré que des interrogations subsistaient quant à une opération dans ce pays, qui fut souvent un allié sur le plan militaire. En France, un récent sondage a confirmé que nos compatriotes se posaient les mêmes questions.

Dans les grands pays démocratiques, à l’instar des États-Unis, où le président Obama a suspendu sa décision au vote du Congrès américain, c’est une logique politique qui prévaut, au-delà des mécanismes institutionnels. Il s’agit en définitive d’obtenir le soutien du Parlement, même si celui-ci n’est pas constitutionnellement indispensable, afin de forger une position nationale plus forte, quelle qu’elle soit.

Dès lors, monsieur le ministre, mes chers collègues, il apparaît aux sénateurs du groupe UDI-UC qu’il est politiquement impensable de prendre la décision d’engager nos forces armées en Syrie sans que le Parlement puisse préalablement s’exprimer sur le sujet par un vote.

Certes, nous ne contestons pas que le Président de la République demeure chef des armées et qu’il lui appartient d’engager nos forces armées de manière discrétionnaire et dans l’urgence quand nos intérêts nationaux sont en danger, comme ce fut le cas au Mali. Mais force est de constater que la situation est différente en l’espèce. Aussi, une consultation du Parlement permettrait de rechercher le consensus national tout en apportant des réponses aux multiples questions que nous nous posons. Ce débat est nécessaire.

Car il est clair qu’une telle opération militaire ne peut être envisagée, le cas échéant, sans que l’on ait pesé attentivement ses conséquences et délimité ses objectifs. Sinon, nous risquons de nous retrouver prisonniers d’une mécanique infernale qui pourrait conduire à l’embrasement de la région, et au-delà.

Le Président de la République a évoqué l’idée d’une intervention « punitive » qui aurait vocation à mettre un coup d’arrêt à la sauvagerie des actes perpétrés par le régime de Damas. Mais posons-nous les bonnes questions, il est encore temps : une telle opération permettrait-elle de marquer réellement un coup d’arrêt à l’escalade de la violence en Syrie ? Contribuerait-elle efficacement à la protection de la population civile, alors qu’un exode massif s’amplifie chaque jour un peu plus ? Quelles en seraient les objectifs ? Pourquoi ne pas envisager la mise en place de couloirs humanitaires, voire d’une zone d’exclusion aérienne, dans un premier temps, pour protéger efficacement les populations civiles ?

En outre, n’y a-t-il pas un risque d’exacerbation du conflit et de fragilisation de la région tout entière, d’autant que la crise syrienne s’est déjà propagée à certains pays voisins ? Une déstabilisation des équilibres de la région, où de multiples acteurs, étatiques ou non, se côtoient, pourrait déclencher une machine infernale que nul ne pourrait arrêter, au moment même où nous pouvons déjà observer une transposition des termes du conflit sur le territoire du malheureux Liban.

En somme, la définition d’objectifs stricts et précis doit nous garder du risque réel d’un embrasement généralisé de cet « Orient compliqué », qui aurait sans nul doute des répercussions immédiates dans tout le pourtour méditerranéen, dont la France fait partie.

Le cadre légal – plusieurs orateurs l’ont rappelé – est également fondamental. Comment inscrire une opération militaire dans la légalité internationale en dehors de tout mandat des Nations unies ? Le critère humanitaire est-il suffisant ? Cette question est d’autant plus délicate à appréhender que le schéma du conflit est particulièrement complexe. En effet, l’analyse simpliste des « bons » et des « méchants » ne résiste pas à l’épreuve des faits, avec des forces de l’opposition fragmentées, dont certains de ses membres, proches de l’islam radical, comme chacun le sait, sont loin d’être des « enfants de chœur » !

Enfin, nous mesurons encore mal les implications qu’une telle opération pourrait avoir vis-à-vis de pays comme la Russie ou la Chine, qui, jusqu’à aujourd’hui, soutiennent peu ou prou le régime de Damas. Ces pays, qui bloquent déjà depuis près de trente et un mois toute adoption de résolution sur le sujet par le Conseil de sécurité, pourraient continuer de soutenir le régime de Damas en cas d’intervention militaire, notamment à travers la livraison d’armes supplémentaires, avec à la clé un risque d’escalade. À cet égard, un surcroît d’efforts diplomatiques pour conforter l’entente internationale est très certainement préférable, à ce stade.

La prudence s’impose donc. La précipitation n’est pas une méthode d’action et nous ne pouvons envisager, le cas échéant, une option militaire sans une meilleure appréciation de la situation et de ce que nous attendons d’une intervention armée éventuelle.

Alors que l’exacerbation du conflit entraîne une accélération de l’exode des populations civiles, je tiens à attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la question humanitaire, qui est bien réelle.

J’étais il y a quelques jours seulement dans la région au titre de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, une assemblée au sein de laquelle nous sommes plusieurs ici à siéger. À cette occasion, je me suis rendu dans différents camps, formels ou informels, de réfugiés au Liban et en Turquie, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, où j’ai pu recueillir, comme d’autres, le témoignage poignant de ces populations, qui ont bien souvent tout perdu et qui vivent dans le dénuement le plus total.

Appelons les choses par leur nom ; c’est bien à un drame humanitaire que nous assistons en Syrie et dans les pays voisins. Le bilan de la guerre civile syrienne est d’ores et déjà accablant, et près de 2 millions de Syriens, dont 1 million d’enfants, ont d’ores et déjà trouvé refuge dans les pays limitrophes. Les drames humains dépassent les logiques comptables. Il est là aussi, le véritable « crime contre l’humanité ».

Pour António Gutteres, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés – je salue au passage le rôle remarquable joué dans cette crise par le HCR et certaines ONG –, « La Syrie est devenue la grande tragédie de ce siècle, une calamité humanitaire indigne avec des souffrances et des déplacements de population sans équivalent dans l’histoire récente. »

Pouvons-nous rester sans réagir, alors que l’aide pâtit d’un sous-financement chronique ? Qu’attendons-nous pour renforcer notre soutien humanitaire aux pays de la région ? Voilà un engagement immédiat que nous pourrions prendre.

La France et, surtout, l’Europe entendent-elles rehausser leurs engagements à cet égard, alors que l’amplification du conflit va inéluctablement entraîner un afflux supplémentaire de réfugiés ?

Dans le petit Liban de 3,5 millions d’habitants, en l’espace de onze mois, les réfugiés qui s’entassent dans des camps non-formels sont passés de 25 000 à près de 700 000, et l’on pense qu’ils seront 900 000, voire 1 million à la fin de l’année. Telle est la réalité !

La période de consultation et de réflexion que nous vivons en ce moment doit par ailleurs nous permettre de définir une méthode d’action pour répondre à l’ensemble de ces enjeux.

De nombreux orateurs l’ont dit, une éventuelle intervention ne peut être envisagée totalement en marge des Nations unies. Certes, le Conseil de sécurité est paralysé, mais ne fermons pas la porte aux tractations diplomatiques, y compris avec les Russes, afin de maintenir une démarche inclusive : eux aussi voient ce qui se passe, eux aussi sont témoins des horreurs actuelles, eux aussi ont une opinion publique.

D’autres voies diplomatiques pourraient aussi être étudiées, notamment l’adoption de résolutions par l’Assemblée générale des Nations unies. Une telle démarche permettrait d’accroître la pression internationale sur Damas.

Par ailleurs, cette intervention éventuelle devrait se faire dans le cadre diplomatique le plus large possible. La mise en place d’une « coalition des volontaires », si elle aboutissait, ne saurait se limiter à quelques pays occidentaux, au risque de donner des arguments fallacieux aux adeptes du « choc des civilisations ». Une fois de plus, on en verrait les conséquences, qui se traduiraient par des difficultés à constituer une nécessaire coalition internationale.

Et quid des positions de la Ligue arabe, certes divisée, mais incontournable, ainsi que des grands pays limitrophes ? Je pense à la Turquie, qui est une puissance régionale tout aussi incontournable, mais aussi à l’Iran, acteur-clé de la région, s’agissant d’un conflit qui, à bien des égards, ressemble à une guerre de religion de notre temps.

Il est en effet de notoriété publique que la rébellion syrienne est composée en partie de mouvements salafistes extrémistes, souvent extérieurs, jouant sciemment la carte de l’affrontement entre les différentes branches de l’islam. Nous ne saurions laisser la Syrie aux mains de tels groupes sans déstabiliser l’ensemble de la région pendant plusieurs décennies.

Il nous faut donc trouver le moyen d’œuvrer, autant que faire se peut, le plus unis possible, à une sortie de crise par le haut, préservant les minorités religieuses, notamment chrétiennes, sans faire le jeu de ces groupuscules extrémistes.

Enfin, et c’est un vœu solennel que je prononce devant vous, au nom de notre groupe, mes chers collègues, il serait impensable que l’Europe ne se saisisse pas davantage de la question, dans son volet humanitaire – on peut faire mieux et on peut faire plus ensemble –, mais aussi dans sa dimension politique. Quelle formidable occasion de démontrer que l’Europe politique est capable, devant une telle crise, devant un tel enjeu géopolitique, de se mettre en mouvement ! La Syrie est membre de l’Union pour la Méditerranée, dont font partie les pays de l’Union européenne. C’est donc bien de notre voisinage immédiat qu’il est ici question !

Certes, le Royaume-Uni s’est retiré pour le moment du processus, mais quelle est la position de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de l’ensemble des pays européens ? Que fait Mme Ashton ? Il faudrait que les chefs d’État et de gouvernement européens se réunissent au plus vite sur cette question, pour définir une approche commune et une stratégie d’action, que l’on trouve ensemble un dénominateur commun ! Une fois de plus, la crédibilité de l’Europe est en jeu.

M. Gérard Longuet. C’est vrai !

M. Jean-Marie Bockel. Nous en avons tous conscience, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République a de graves décisions à prendre. Notre rôle, en tant que sénateurs, représentants du peuple français, est de nous assurer que sa décision sera prise au nom d’objectifs réalistes, atteignables et utiles, respectueux de la sécurité de la France comme de la légalité internationale.

Cela n’a rien d’une impossible quadrature du cercle ! Ne gâchons pas l’occasion de trouver une solution pérenne et durable à la crise syrienne et revoyons-nous prochainement pour un nouveau débat, suivi d’un vote ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre des affaires étrangères, j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de vous exprimer, ainsi qu’au Président de la République, ma préoccupation, et ce depuis le mois de juin 2012, quant à la définition de notre politique à l’égard de la Syrie.

Dès le départ, cette politique, dont vous avez d’ailleurs hérité, puisque notre ambassade à Damas avait été fermée dès le mois de mars 2012, a été dictée par l’émotion.

Plaçons-nous dans une logique de paix et non dans une « logique de guerre », pour reprendre une expression fameuse. Je n’exprime pas ici une préoccupation qui me serait propre. Elle est aussi celle de Robert Hue et de plusieurs autres sénateurs du groupe du RDSE.

L’exigence, avant une quelconque transition, du départ d’Assad, déclaré assassin de son peuple, affaiblissait évidemment toute démarche de négociation visant à faire pression sur le régime de Damas.

En réalité, c’est la nature même de la guerre engagée en Syrie qui faisait et fait encore problème. Tentons de nous délivrer des manichéismes trompeurs ! C’est une guerre civile et, plus que cela, une féroce guerre interconfessionnelle. Assad, dictateur brutal, défend les prérogatives d’une minorité, celle des alaouites, qu’il sait soutenus par d’autres minorités, chrétiennes, par exemple, mais aussi par une fraction de la majorité sunnite, qui a longtemps bénéficié de la stabilité des courants d’affaires.

La seule issue de cette guerre civile barbare était et reste une issue négociée entre les deux camps.

Les sunnites, ou du moins une majorité d’entre eux, veulent l’effacement des alaouites. Ils doutent d’y réussir par la force et comptent sur une intervention extérieure, à l’exemple de ce qui s’est passé en Libye. Mais que savons-nous de la situation qui prévaudra après la chute du régime de Bachar Al-Assad ? Regardons ce qui se passe en Irak ! Encore 1 000 morts au mois de juillet à Bagdad. En Libye, les milices tribales, le plus souvent islamistes, se sont rendues maîtresses du terrain. Le port de Derna est aux mains d’Al-Qaïda, le Mali a été déstabilisé. Sans l’intervention de la France dans le cadre des résolutions de l’ONU, intervention que j’ai soutenue fortement, le Mali serait aujourd’hui un sanctuaire de l’islamisme radical, dominé par des groupes terroristes djihadistes.

Enfin, par l’interprétation qui a été faite en Libye de la résolution 1973, la notion de « responsabilité de protéger » a été malheureusement discréditée aux yeux de la Russie et de la Chine, mais aussi de la plupart des pays émergents, comme l’Inde, le Brésil ou l’Algérie, qui refusent la notion d’« ingérence », elle-même proscrite par la Charte des Nations unies. L’occidentalisme peut se camoufler en « droit-de-l’hommisme ». Celui-ci ignore ou, de manière plus perverse, veut occulter les réalités et les choix politiques.

Or la France doit d’autant plus se placer sur le terrain du droit international qu’elle est elle-même l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, qu’elle se veut une « puissance repère », comme le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre, l’avez dit.

La résolution de 2005 votée par l’Assemblée générale des Nations unies prévoit bien la responsabilité de protéger, mais, et je vous renvoie au texte, « par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son chapitre VII ». Ce dernier doit donc donner son autorisation. Il n’existe pas de responsabilité de protéger reconnue par l’ONU en dehors de ce cadre juridique. Voilà ce que dit le droit !

Des frappes aériennes sur la Syrie ne pourraient ainsi s’effectuer qu’en dehors du cadre de la légalité internationale. Un homme d’État comme vous, monsieur le ministre, ne peut pas fonder une intervention sur le principe du « on ne peut pas ne pas », même s’il sert à tous les gouvernements, principe en vertu duquel on n’agit pas pour quelque chose, mais on agit parce que l’on ne peut pas faire autrement ! Nous sommes bel et bien dans cette situation.

Vous essayez de vous raccrocher au droit, en vous référant à la convention de 1925, passablement ancienne et aujourd’hui dépassée, interdisant l’utilisation, en temps de guerre, des armes chimiques, dont la Syrie, et pour cause – elle était alors sous mandat français –, ne pouvait pas être partie prenante. Quant à la convention plus récente sur l’interdiction des armes chimiques, signée à Paris le 13 janvier 1993, vous savez pertinemment que ni la Syrie, ni l’Égypte, ni d’ailleurs la Somalie ou le Soudan du Sud ne l’ont signée. D’autres pays, notamment Israël et la Birmanie, ne l’ont pas ratifiée.

Je le répète, la Syrie n’a pas signé cette convention, pas plus que toutes les nations du monde n’ont signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.

Vous évoquez la notion de « crime contre l’humanité », mais j’observe que le Statut de Rome, portant création de la Cour pénale internationale, définit celui-ci très largement dans son article 7, mais ne mentionne pas spécifiquement l’utilisation d’armes chimiques. Dans cette définition, très générale, on peut naturellement ranger l’utilisation d’armes chimiques. Mais quid des utilisateurs de bombes à fragmentation ou de bombes au napalm, quid des pays qui refusent de signer les conventions d’interdiction des armes chimiques, bactériologiques, nucléaires, de ceux qui n’ont pas ratifié le traité d’interdiction des essais nucléaires et de ceux qui répriment par balles leur opposition ? Monsieur le ministre, ne faudrait-il pas les punir, eux aussi ?

Punissons, punissons à tour de bras, et punissons tout le monde ! C’est une logique, une logique morale définie par ceux qui ont les moyens d’exercer des sanctions. Car on n’a jamais vu les faibles faire la morale aux forts et les sanctionner. Cela n’existe pas !

Aussi bien, est-on sûr à 100 % de l’origine des frappes ? J’observe simplement, en exerçant le doute méthodique cher à Descartes, qu’un groupe extrémiste comme le Front Al-Nosra, alimenté par des fournitures d’armes extérieures ou par des stocks qu’il aurait pu détourner, aurait pu perpétrer ce crime abject pour entraîner une intervention occidentale. Cette hypothèse n’a pas été sérieusement examinée.

Je ne reviendrai pas sur les déclarations imprudentes du Président Obama, qui ont provoqué, depuis une année, une surenchère d’accusations, mais je pose la question : quel serait l’intérêt du régime syrien, qui avait pris le dessus par des moyens conventionnels, tout aussi barbares, d’ailleurs ?

La morale remplace le droit : ce n’est pas un progrès, car seul le droit protège tous les pays, tandis que la morale, d’où procède la sanction, est à l’appréciation des plus forts. À mon avis, la France a intérêt, du point de vue de l’esprit de défense, à ne pas confectionner un droit à sa mesure, en marge du droit international reconnu par l’ONU.

M. le président. Mon cher collègue, il vous faut songer à conclure.

M. Jean-Pierre Chevènement. Je vais conclure, monsieur le ministre, parce que je sens que M. le président s’impatiente, en espérant toutefois qu’il voudra bien permettre au dernier survivant des acteurs du congrès d’Épinay d’achever son propos. (Rires et applaudissements sur certaines travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Quel est le cadrage politique, monsieur le ministre, quel est l’objectif politique ?

L’opposition syrienne démocratique est divisée. La guerre l’a marginalisée au profit de groupes extrémistes. Le cours des révolutions arabes en Tunisie et plus encore en Égypte doit nous rendre prudents. Quelle cohérence y a-t-il entre notre combat justifié au Mali contre les groupes djihadistes armés et la complaisance dont nous ferions preuve à l’égard de ces mêmes groupes dans la guerre civile qui déchire la Syrie ?

La France doit soutenir partout non pas l’islamisme politique, mais la démocratie, inséparable des valeurs républicaines, au Mali, au Niger, en Libye, en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Arabie saoudite, au Qatar, à Bahreïn, dans le respect du principe de non-ingérence, bien sûr, et sous le contrôle du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce serait là le sens d’une stratégie d’influence, dans le droit fil de la dernière Conférence des ambassadeurs, que vous avez d’ailleurs très brillamment conclue, je veux au passage vous en féliciter, monsieur le ministre.

Quel effet des frappes américaines et françaises auront-elles ? D’ores et déjà, la menace des frappes a gonflé le flot des réfugiés aux frontières du Liban et de la Jordanie. On ne pourra pas éviter les dommages collatéraux, surtout si les stocks d’armes chimiques sont visés, comme je l’ai entendu dire. C’est très grave ! Que se passera-t-il le jour d’après ? D’autres frappes ? Sur la Syrie ? Ou sur l’Iran ? Encore une fois, restons fidèles à Descartes et traitons séparément des dossiers dont la solution doit rester distincte – la Syrie, la Palestine, l’Iran.

La « fabrication d’un ennemi » est chose facile. Elle sert rarement la cause de la paix.

J’ai entendu l’accusation de « passivité ».

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Je conclus, monsieur le président !

Ce ne serait pas être passif que de faire pression pour que l’opposition syrienne désigne ses représentants à la conférence de Genève II, afin que celle-ci puisse se réunir dans les prochaines semaines. Cette négociation peut se faire par des rencontres bilatérales dans les couloirs du G20, à Saint-Pétersbourg. Mais le G20 n’a pas vocation à remplacer le Conseil de sécurité des Nations unies. C’est dans le cadre de celui-ci que nous pouvons obtenir une trêve dans la guerre civile et un compromis qui préserve l’unité de la Syrie. Sa balkanisation serait la source de malheurs encore plus grands. Mettons un peu de cohérence dans notre politique et défions-nous de l’occidentalisme.

La France ne se définit pas, comme le disait M. Sarkozy, par son appartenance à la famille des nations occidentales, elle appartient avant tout à la grande famille des nations humaines. La Révolution de 1789 visait à l’universalité. La France doit servir de pont entre toutes les nations et ne pas se couper des pays dits « émergents ».

Le Président de la République souligne à juste titre la nécessité de préserver notre souveraineté.

M. le président. Cher collègue, je vous prie de conclure. (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC – Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais qu’en est-il, dans la situation présente, de l’autonomie même de la France par rapport aux États-Unis ? Où sont passés nos alliés européens ? On les cherche ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Chevènement, il faut maintenant conclure !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il ne faut pas effacer la brillante réussite malienne, qui nous doit beaucoup, par une erreur qui serait gravissime pour l’ensemble de notre politique étrangère et pour nos intérêts dans le monde. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en tant que président du groupe d’amitié France-Syrie du Sénat, je me félicite que nous ayons ce débat.

La France a choisi très tôt la reconnaissance de l’opposition syrienne et, dès lors, l’équilibre de l’ensemble de la région et les intérêts de notre pays ne peuvent laisser place aux jeux partisans.

Lors des premières manifestations de ce qui allait devenir le « printemps arabe », peu de chancelleries imaginaient un soulèvement en Syrie et les analyses ne cesseront d’être continuellement en décalage par rapport à une réalité qui aura fini par déboucher sur un état de guerre civile.

La Syrie qui, certes, n’était pas l’exemple de la démocratie avec la toute-puissance d’un parti Baath, parti socialiste, laïc et nationaliste créé en 1953, avait su pourtant préserver la liberté des minorités et de multiples populations et religions en étant un des seuls États arabes a avoir inscrit la laïcité dans sa constitution et à garantir un égal accès aux fonctions publiques et privées.

Si les premiers soulèvements populaires et pacifiques pouvaient laisser entrevoir et espérer une ouverture institutionnelle du régime, très rapidement hélas ! la répression enclenchera son processus inexorable d’escalade.

L’excuse des groupes radicaux, qui marqua le début du processus répressif, devint hélas encore ! la réalité d’une présence croissante de djihadistes et d’extrémistes qui ne cessèrent de progresser, renforçant l’escalade et la déstabilisation du pays, tout en concourant à l’affaiblissement des mouvements d’opposition et à leurs difficultés à se donner la légitimité et la force nécessaires.

Aux frontières de cette poudrière, Israël, de façon constante, ne cessera de revendiquer le respect de son territoire et d’affirmer sa ferme résolution à s’opposer à tout débordement.

Le Liban, dont on connaît la situation particulière avec la Syrie, verra son gouvernement adopter très rapidement une position, qui a pu surprendre certains, consistant à considérer que la situation syrienne était extérieure, comme pour dire qu’elle ne le concernait pas : une façon de s’isoler par les mots et de ne pas être entraîné dans un conflit, même si le Hezbollah a fini par l’y amener.

À l’intérieur, les Kurdes, après avoir obtenu la reconnaissance de droits réclamés depuis longtemps, engagèrent une réaction vigoureuse contre les djihadistes qui tentaient de s’installer sur leur territoire.

Sans aller plus loin dans la complexité, cette situation n’est pas sans rappeler les propos du général de Gaulle qui, dès 1945, précisait : « L’Orient, dont fait partie la Syrie, se trouve en présence de populations qui ont toujours constitué pour le monde un problème très délicat. »

Oui, c’est dans ce contexte et dans une région au sujet de laquelle le spécialiste du Moyen-Orient Antoine Sfeir a très tôt évoqué le risque d’un nouveau conflit mondial pouvant résulter d’une confrontation entre les chiites et les sunnites qu’il convient d’apprécier la position de la France.

Si la non-intervention militaire de la France a été rapidement affichée, elle doit être réaffirmée fortement, au moment où le Parlement est saisi de la question de la réaction de notre pays à l’usage des armes chimiques.

Au risque de surprendre, monsieur le ministre, et alors que je suis fermement opposé à toute intervention militaire sur le sol syrien, je le dis très clairement : une réaction immédiate concertée et ferme à l’usage d’armes chimiques aurait eu mon assentiment total. Oui, l’usage d’armes chimiques, par qui que ce soit, doit être une ligne rouge.

Or force est de constater que le trouble grandissant de l’opinion publique, comme des politiques, d’ailleurs, n’est pas sans lien avec la confusion, les hésitations et le flou qui ont progressivement entouré ce qui a été qualifié très tôt d’« action coup de semonce ».

Comment se fait-il que, quelques mois après une première alerte, qui aurait exigé d’ailleurs plus de transparence déjà, la communauté internationale n’ait pas été capable d’arrêter une position qui lui aurait permis d’agir immédiatement et non de se discréditer dans des débats où l’argument juridique devenait l’excuse à l’absence de décision en semant le trouble dans une opinion déjà dubitative ?

Oui, la définition et les contours d’une doctrine d’intervention nous auraient épargné les difficultés rencontrées aujourd’hui et nous auraient permis de nous interroger sur l’étape suivante.

Hélas ! la communauté internationale n’ayant pas de doctrine, elle ne peut avoir de stratégie. Et, quand on n’a pas de stratégie, on n’a pas prise sur les événements ; ce sont les événements qui ont prise sur vous.

Voilà la question.

Je me garde bien de parler, en le regrettant d’ailleurs, du silence assourdissant de l’Europe, elle qui avait pourtant laissé entrevoir sa volonté de s’investir fortement sur les enjeux de la Méditerranée.

Dès lors, faut-il aujourd’hui que le Parlement se prononce par un vote ? Si la question pouvait se poser hier, la réponse s’impose aujourd’hui : elle s’impose pour des questions tant d’ordre juridique que d’ordre politique.

Au sujet du conflit de 2003, qui est devenu pour l’opinion le syndrome irakien du mensonge d’État, François Hollande, à l’époque, réclamait à l’Assemblée nationale un vote par respect « de la primauté du droit » et du « rôle des Nations unies ».

Comment pourrait-on priver le Parlement de l’expression de ce droit, alors qu’aujourd’hui nous nous trouvons privés du soutien des Nations unies, que les deux principales puissances occidentales, les États-Unis et la Grande-Bretagne, se sont engagées à saisir leur parlement et que le premier ministre canadien vient de faire savoir que son pays n’entendait pas participer à une telle frappe militaire ?

Or c’est bien le sens de l’article 50–1 de la Constitution, qui précise très clairement que le Gouvernement « peut, de sa propre initiative […], faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le désire, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité ».

Il va sans dire que la France ne peut agir seule, mais la coalition, dont on parle de plus en plus, est-elle davantage une garantie ?

Quelle est la cohérence, monsieur le ministre, entre le Canada, qui a dit très tôt ne pas vouloir intervenir militairement, et la Turquie, pour qui la frappe correspond de toute évidence à une notion bien différente puisque, pour le chef du gouvernement turc, cette frappe doit être conduite de façon ferme et résolue avec pour seul objectif la chute de Bachar Al-Assad ?

Mais ce vote s’impose davantage encore pour des raisons politiques.

Si l’origine des tirs semblent aujourd’hui se confirmer, force est de constater que, lorsque la mission des Nations unies rendra ses conclusions, les frappes, qui devaient être dissuasives, vont devenir des frappes aléatoires sur des objectifs incertains et perdre leur effet militaire pour devenir un risque politique.

Hier, le coup de semonce devait être un avertissement ; aujourd’hui, le coup de semonce risque de devenir une déclaration de guerre.

Oui, monsieur le ministre, le risque de cette réaction est aujourd’hui trop grand pour qu’il n’y ait pas l’expression du vote du Parlement, face à une population nationale qui s’interroge et à une population syrienne qui exprime également de plus en plus son inquiétude devant une telle initiative.

Puis-je d’ailleurs souligner que, à ce jour, plus de 12 000 ressortissants français continuent de vivre en Syrie et nous écoutent avec l’attention que vous imaginez ?

Bien évidemment, monsieur le ministre, je ne vous poserai pas la question sur l’Irak : combien y a-t-il eu de morts avant l’intervention, combien de morts pendant l’intervention et combien de morts depuis ?

Or, monsieur le ministre, nos concitoyens se posent cette question.

Est-ce la voie du renoncement ? Non. Nos amis syriens nous disent : « Soit vous n’avez rien à dire, et vous vous taisez, soit vous avez quelque chose à dire, et vous l’assumez ! »

Deux messages nous sont ici adressés.

Le premier message est humanitaire : c’est d’abord la nécessité impérieuse d’une aide massive et urgente, sur le plan humanitaire et sanitaire, en faveur des populations déplacées ou réfugiées qui, selon le Haut-Commissaire de l’ONU, seraient passées en un an de 230 000 à 2 millions, dont plus de la moitié d’enfants.

La Syrie est un pays en ruine, avec une économie anéantie, un patrimoine historique et archéologique dévasté.

Nous sommes à quelques semaines de l’hiver dans une région, monsieur le ministre, où le climat est rigoureux. La communauté internationale ne peut pas laisser des centaines de milliers de Syriens démunis.

Cette question humanitaire est tout autant brûlante en ce qui concerne l’afflux des réfugiés syriens, qui peut devenir un facteur de déstabilisation des pays voisins. Nous pensons tous au Liban et à la Jordanie.

Le second message est politique : il y a quelques jours, le Président de la République affirmait que l’action de la France ne pouvait pas consister, dans un premier temps, à chasser Bachar Al-Assad. Recevant le chef de la coalition nationale syrienne, il précisait : « Tout doit être fait pour une solution politique, mais elle ne le deviendra que si la coalition de l’opposition est capable d’apparaître comme une alternative avec la force nécessaire. »

Oui, après plus de deux ans et demi de conflit, le moment est venu pour que toutes les grandes puissances, dont la France, usent de leur vraie capacité pour imposer à toutes les parties syriennes de se rencontrer.

Le moment n’est plus à poser comme préalable les questions qui doivent être l’objet même des discussions et de la reconstruction de la Syrie.

Oui, si les morts des armes chimiques demandent justice, les 100 000 morts et plus demandent tout autant de ne pas être morts pour rien. C’est un appel qui doit être entendu avant tout par la communauté internationale.

Permettez-moi, pour conclure, de rappeler cette règle de la médecine de la Méditerranée d’il y a plus de 2 000 ans, qui serait l’expression d’Hippocrate : « Être sûr avant d’agir de ne pas nuire par son intervention. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, cher Laurent Fabius, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, intervenir ou ne pas intervenir, là est la question d’importance.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. La question est facile à poser, la réponse est plus difficile à formuler. Et nous sommes précisément ici pour en débattre et en délibérer.

Aujourd’hui, mes chers collègues, chaque groupe a pu exprimer publiquement son point de vue. Hier, les membres de la commission des affaires étrangères et de la défense, que j’ai l’honneur de présider, ont pu assister à une présentation à huis clos par le ministre de la défense des éléments probants déclassifiés et classifiés.

J’ai pensé qu’il était tout à fait légitime que ces parlementaires accèdent à cette connaissance.

Chacun a pu s’exprimer librement, dans un débat sans formalisme qui a renoué, me semble-t-il, avec la meilleure tradition parlementaire.

Nous avons donc pu peser et soupeser les arguments. Oui, mes chers collègues, délibérer, c’est savoir, mais délibérer, c’est aussi choisir.

Alors, rationnellement, cher Jean-Pierre Chevènement, c’est-à-dire animés pas le doute méthodique, que savons-nous ? Que savons-nous ne pas savoir ? Et que devons-nous décider ?

Afin d’apporter une réponse, qui sera une réponse personnelle, j’ordonnerai brièvement mes idées autour de sept séries de considérations.

Premièrement, nous savons que des armes chimiques ont été utilisées, de façon massive, le 21 août dernier. Il n’y a aucun doute là-dessus. S’agit-il de gaz sarin, de gaz VX, d’ypérite ou, plus vraisemblablement, d’un mélange que d’aucuns appellent « cocktail » ? Nous ne le savons pas. Cela demande des analyses très poussées qui seront effectuées sur les échantillons ramenés par les experts de l’ONU et dont les résultats ne seront connus que dans quinze jours, au mieux.

Qui a donné l’ordre ? Nous n’avons aucune preuve formelle, et je crains qu’il n’y en ait jamais. Du reste, c’est quoi, une preuve formelle ? L’ordre écrit de M. Al-Assad ?

Certes, on pourrait envisager une manipulation de l’opposition, car le drame du marché de Sarajevo est encore dans bien des mémoires. Mais, en réalité, tout désigne le régime. Car c’est bien le régime des Assad – le père comme le fils – qui a fait fabriquer ces armes. C’est encore le régime des Assad qui les a stockées et militarisées. Et c’est toujours le régime des Assad qui a refusé de signer, en 1993, la convention internationale sur les armes chimiques, preuve s’il en est qu’il s’autorisait leur utilisation.

Quant à celle de 1925, cher Jean-Pierre Chevènement, ils l’ont signée, beaucoup plus tard, en 1968.

Cela, mes chers collègues, ce ne sont pas des supputations, ce sont des certitudes, comme sont des certitudes désormais parfaitement établies : premièrement, le fait que ce bombardement était massif et donc supposait la détention d’une grande quantité de composants chimiques ; deuxièmement, le fait qu’il exigeait une haute technicité, un entraînement et une chaîne de commandement hors de portée des forces d’opposition ; troisièmement, le fait qu’il visait des zones tenues par les opposants et occupées uniquement par des civils.

Deuxième série de réflexions : cette utilisation des armes chimiques n’est que le dernier épisode d’une guerre civile qui a déjà fait plus de cent dix mille morts et deux millions de réfugiés. Cela fait deux ans et demi qu’en Syrie l’on massacre, l’on tue, l’on bombarde sans distinction femmes, enfants, vieillards, malades, civils et militaires.

Mes chers collègues, les mots sont impuissants à décrire cet enfer, tant les images sont insoutenables.

C’est une guerre civile de la pire des espèces, car elle est aussi une guerre de religion. Et nous Français, et nous habitants du Sud-Ouest, sommes bien placés pour savoir que ce sont les plus terribles et les plus longues. Il est donc peu probable qu’elle cesse rapidement.

Il faudrait certainement que le Conseil de sécurité de l’ONU intervienne ou puisse aller vers une intervention sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

Or nous savons, et c’est mon troisième point, que le Conseil des Nations unies ne prendra aucune décision. La Russie et la Chine, pour ne pas les nommer, ne le veulent pas, car ces pays ne veulent pas admettre l’existence d’un droit d’ingérence humanitaire. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici : quel principe doit primer ? Devons-nous admettre qu’au nom de la souveraineté des nations les gouvernants sont autorisés à massacrer leurs populations ? Ou bien devons-nous essayer de faire prévaloir la responsabilité de protéger les populations civiles menacées par des satrapes sanguinaires ?

Je vous pose la question : combien de centaines de milliers de morts supplémentaires faudra-t-il pour que l’on fasse quelque chose ? Que répondrons-nous aux générations futures ? Jusqu’à quand et jusqu’où serons-nous des spectateurs interdits ? Devons-nous attendre qu’il y ait cinq cent mille morts pour en reparler ? Non évidemment. À mon sens, il faut agir, mais agir dans quel but ?

Précisément, c’est mon quatrième point, nous savons que Bachar El-Assad est un dictateur dangereux et sanguinaire, mais nous savons aussi qu’une partie de ses opposants ne valent guère mieux. Certains sont des fondamentalistes proches d’Al-Qaïda. Autant dire que ce ne sont des amis ni de l’Occident ni de ses valeurs.

Donc, le but de notre action ne peut être de vouloir faire tomber le régime. Il s’agit de donner un coup d’arrêt aux violences perpétrées par ce régime en réduisant sa capacité de nuisance et, ce faisant, montrer à tous les régimes dictatoriaux qu’ils ne peuvent utiliser des armes de destruction massive impunément.

Mes chers collègues, il n’y aura pas de solution politique au conflit tant que les partisans du régime accepteront d’avoir un criminel de guerre à leur tête, qui avilit le nom même de la Syrie.

Alors, proposons un début de solution politique. Oui, créons une espérance européenne à côté des grandes puissances, avec la Russie. Proposons, comme l’a suggéré le ministre des affaires étrangères russe, la constitution d’un gouvernement de transition. Mais, chacun le comprend, ce gouvernement de transition ne pourra se constituer qu’en dehors de la tutelle de Bachar Al-Assad.

Cinquièmement, quelle sera la réaction de la Syrie et de ses principaux alliés, le Hezbollah et l’Iran ? Personne ne le sait, mais on peut l’imaginer sans peine, et donc s’y préparer. Je crois être autorisé à vous dire que le gouvernement français l’a fait et est en train de peaufiner cette préparation.

Sixièmement, qu’ont décidé nos alliés ?

Le Royaume-Uni a fait son choix, et il faut le respecter. Il nous faut aussi en comprendre les raisons. Pour moi, il ne fait guère de doute que David Cameron a dû régler la facture impayée par Tony Blair et George Bush. Je le dis sans détour. Mais ce n’est pas parce que l’on nous a menti en 2003, cher Jean-Pierre Raffarin, que l’on nous ment en 2013.

Quant au Président des États-Unis, il a fait son choix, et ce choix sera vraisemblablement confirmé par le Congrès dans les jours qui viennent.

La Ligue arabe a demandé une intervention, et je ne doute pas que ses membres sauront prendre leurs responsabilités – même si je les sais divisés –, de même que la Turquie.

Bien évidemment, la France n’est pas seule ; elle n’ira pas seule. Le pourrait-elle ? Peut-être, mais elle ne doit pas le faire, car il faut un minimum de consensus pour forger la légitimité internationale.

Dernier point : que devons-nous faire ? Dans le doute, dans la confusion, dans l’incertitude, la première des choses à faire est de rester unis. J’apprécie que certains avant moi l’aient proposé. C’est tout le sens de mon engagement depuis que j’ai été élu à la présidence de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. C’était aussi celui de mon prédécesseur, Josselin de Rohan. Je ferai tout pour préserver notre unité, dans la tradition sénatoriale.

Cherchons donc ensemble, dans les traits fondamentaux qui dessinent notre identité, dans le fond et le tréfonds de notre histoire, les réponses que nous dictent notre conscience et notre raison. Pour ce qui me concerne, ce que me disent et mon cœur et mon cerveau est sans ambiguïté : on ne peut pas laisser gazer des hommes, des femmes et des enfants, sans rien faire.

On ne peut pas laisser, sans rien faire, un dictateur semer la terreur, répandre la désolation et massacrer sa population.

Que répondrons-nous à nos enfants et à tous ceux qui nous diront demain : vous saviez, vous pouviez et vous n’avez rien fait ? On nous dit qu’il ne faut pas répéter les erreurs du passé. C’est bien vrai. Alors ne répétons pas l’erreur du Rwanda et ne laissons pas commettre impunément des massacres. Il faut que cela cesse, mes chers amis ! Il faut que cela cesse maintenant !

Entre agir sans savoir et savoir sans agir, je prends résolument le parti d’agir.

En effet, si nous intervenons en Syrie, c’est d’abord et avant tout dans l’intérêt du peuple syrien et pour des raisons éminemment humanitaires. Mais c’est aussi, mes chers collègues, et j’y tiens par-dessus tout, pour nous-mêmes, pour ce qui fait notre humanité, nos valeurs, et qui fait que nous sommes fiers d’être Français !

Entre mon confort et mon honneur, j’ai choisi mon honneur. Je soutiendrai donc l’intervention que décidera le Président de la République ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier tous ceux qui sont intervenus, quelle que soit leur position : Jean-Michel Baylet, André Gattolin, Philippe Adnot, Jean-Pierre Raffarin, François Rebsamen, Pierre Laurent, Jean-Marie Bockel, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Vial et, à l’instant, le président Jean-Louis Carrère.

Je les remercie, non seulement parce qu’ils ont élaboré des réponses, pris en considération les arguments, mais aussi, personne ne le contestera, parce que le climat de nos débats est empreint de gravité, de sérieux, d’écoute de l’autre. Cela est extrêmement important sur un sujet comme celui-ci, car si, en définitive, il faut choisir – vous l’avez dit fort bien, monsieur le président de la commission, nous ne sommes pas des commentateurs, des journalistes libres d’écrire ce qu’ils veulent, ni même des citoyens pouvant interpréter la situation comme ils l’entendent –, nous devons regarder les deux côtés – il y a deux colonnes –, mais, à la différence de beaucoup, – c’est cela notre responsabilité politique – nous devons faire un trait en bas des deux colonnes et décider dans un sens ou dans un autre.

À cet égard, il est juste de dire qu’aucune solution n’est parfaite. C’est peut-être le propre de la décision politique. Mais la décision politique supérieure, c’est lorsqu’il existe, pour chaque solution, des inconvénients et des avantages. Il faut faire la balance, qui est très délicate et dépend de la grille d’analyse, de la réflexion de celui qui la fait.

Cela s’applique particulièrement dans une situation aussi complexe que celle de la Syrie aujourd’hui.

Avant de répondre précisément aux orateurs, je voudrais ajouter deux messages qui, j’en suis sûr, seront partagés par beaucoup.

Nous discutons, c’est le propre de notre démocratie. Vos collègues députés le font aussi au même instant. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a d’abord les hommes et les femmes en Syrie et dans les territoires autour, et qu’ils ne sont pas du tout indifférents à nos débats.

Un orateur a dit qu’il avait visité les camps. Je l’ai fait aussi, comme plusieurs d’entre vous. C’est une émotion terrible de voir les images que vous avez vues : des enfants morts dans des linceuls de fortune. Nous avons tous ressenti cette émotion, cette indignation, et il faut en tenir compte. Mais, dans le même temps, nous devons aller plus loin, réfléchir.

Je pense à ces Syriens, en particulier à ceux que nous avons vus dans les camps. Le camp qui m’a peut-être le plus touché est le camp de Zaatari, que certains d’entre vous connaissent sans doute. Le nombre de réfugiés dans ce camp, qui était à l’origine de 10 000, est aujourd’hui de 130 000 ; ils sont dans le désert, sans rien.

Il faut écouter ce que nous disent les Syriens – ce sont des Syriens qui sont partis –, et ne pas être portés uniquement par l’émotion. Ainsi, au moment de prendre notre position, et même s’il faut faire la part de l’émotion et du raisonnement, les choses vont tout de même dans un certain sens.

Je n’ai entendu aucune de ces femmes ou aucun de ces hommes dire autre chose que : « Venez à notre secours ! » Leurs propos sont souvent beaucoup plus forts, et vous le savez.

Je voudrais dire un mot – ce pourrait être un long débat – sur ce qui nous rassemble aussi certainement : l’aspect humanitaire. D’ailleurs, un lien existe entre mes propos précédents et ceux-ci.

Une action humanitaire est menée, et une action humanitaire est à mener, car, plusieurs d’entre vous l’ont dit, les comptabilités macabres du Haut Commissaire Guterres sont malheureusement exactes. C’est le plus grand drame humanitaire depuis le début du siècle, et même depuis plus longtemps !

En plus des solutions que nous devons apporter à la cause, il faut que nous nous impliquions toujours davantage pour apporter un soutien aux populations victimes de ces drames humanitaires.

De ce point de vue, l’un d’entre vous a évoqué la question des couloirs humanitaires, des zones d’exclusion, etc. Ce sont des sujets qui ont bien sûr été examinés, et on ne peut pas lancer cette « solution » sans en étudier les conséquences. Nous souhaiterions évidemment tous que cela puisse être installé.

Prenons l’exemple de la zone d’exclusion. D’après les examens des militaires, une telle zone requerrait, en troupes au sol – il n’est pas question d’installer ces éléments d’exclusion sans qu’il y ait des éléments au sol –, en artillerie et autres, six fois ce qui a été déployé pour la nuit.

Dans le contexte géographique qui est celui de la Syrie, la communauté internationale a malheureusement jugé que, pour l’heure, cette solution n’était pas possible. C’est un crève-cœur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai regroupé en sept ou huit points les principaux éléments de vos interventions auxquels je répondrai brièvement.

Tout d’abord, en reprenant ce que de nombreux orateurs ont dit, je souligne qu’il y a, au total, peu de contestations sur les faits. Bien sûr, plusieurs d’entre vous considèrent qu’il faut attendre la remise des travaux des inspecteurs. Reste le constat global, qui est très important. En effet, lorsqu’on regarde le concert international, ce qui retient ou empêche de très grands pays – je pense à la Russie ou la Chine – de permettre une réaction, c’est la contestation des faits. Il y a quelques heures encore, le président Poutine a déclaré que, si les faits étaient avérés, il n’excluait pas non seulement de soutenir une action contre le régime syrien, mais aussi de la soutenir militairement.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Oui, mais qui va apporter la preuve ?

M. Laurent Fabius, ministre. Cela étant, je constate, en la matière, une différence de perception très forte.

Des éléments nous ont été apportés, non par des agents de l’extérieur mais par nos propres services, qui – un orateur l’a très justement rappelé –, lors de l’affaire d’Irak, ne se sont pas trompés ! Je reviendrai sur la comparaison avec l’Irak, au sujet de laquelle il y a beaucoup à dire. De plus, nous disposons de nombreux éléments de conviction.

Certains répliquent, ce que je comprends tout à fait : « D’accord, nous ne mettons pas en cause ce qu’affirment les services de renseignement, d’autant qu’il y a une logique à tout cela, mais il faudrait attendre le rapport des inspecteurs. »

Cette solution pose problème face aux nécessités du terrain. Dimanche dernier, je me suis encore entretenu avec le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Je lui ai demandé des précisions sur deux points.

Premièrement, quand pourrons-nous disposer des éléments qu’ont rapportés les inspecteurs ? Il m’a répondu : « C’est compliqué, des examens en laboratoire sont nécessaires. Un délai de trois semaines sera peut-être nécessaire. » (M. Alain Gournac s’exclame.) Je le répète, cette conversation a eu lieu dimanche !

Deuxièmement, je lui ai posé cette question que chacune et chacun d’entre vous lui aurait soumise : les inspecteurs ont achevé leur mission vendredi soir, ils se sont penchés sur la matérialité des faits. Mais vont-ils étudier ce que les spécialistes nomment, en termes techniques, l’imputabilité, c’est-à-dire déterminer qui a commis ces faits ? La réponse a été non.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis pas plus que vous spécialiste en la matière. Serait-il possible, dès lors que le constat aura été massif, d’en tirer des conclusions sur l’auteur des faits ? Nous l’espérons tous, mais là n’est pas la mission des inspecteurs. Dire cela, ce n’est pas faire du juridisme.

Il s’agit d’une question très importante. À mon sens, il est difficile de conditionner la décision qui devra être prise à des éléments que les intéressés eux-mêmes affirment ne pas nous fournir.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !

M. Laurent Fabius, ministre. Je ne voudrais pas que la France et la communauté internationale tout entière se fourvoient sur ce point.

Ensuite, j’évoquerai la question dite des extrémistes de l’opposition et la réalité syrienne.

M. Vial nous a donné des indications parfaitement pertinentes quant à la difficulté de cerner ces extrémistes, compte tenu notamment de leur diversité.

Bien sûr, la Syrie est composite. Il y a, d’un côté, le dictateur, qui est soutenu – il faut le reconnaître – par une grande partie de la communauté alaouite. Celle-ci craint, s’il n’était plus là, d’être victime des extrémistes de l’opposition. Il est également soutenu par un certain nombre de communautés, notamment les communautés chrétiennes et d’autres encore. Elles n’éprouvent aucun enthousiasme pour M. Bachar Al-Assad, mais elles redoutent que les extrémistes, qu’elles appellent « le grand djihad », ne prennent le dessus. Dans ce cas, disent-elles, elles seront balayées, et même « liquidées ». Cette réalité existe.

Par ailleurs, compte tenu des exactions épouvantables de M. Bachar Al-Assad, il y a des éléments extrémistes, qui ont crû au fil du temps. On distingue essentiellement deux mouvements, l’un qui se rattache à l’Irak et l’autre à Al-Nosra. Ils sont très minoritaires, mais ils existent et commettent eux aussi des exactions.

Si nous ne voulons pas – pour employer, à mon tour, une formule qui est très juste – être placés face à une alternative entre dictature laïque et dictature religieuse, notre choix – c’est celui de la politique et de la diplomatie françaises depuis le début – est de dire : « Bien sûr, ce sont les Syriens qui vont décider, mais nous devons essayer de soutenir l’opposition modérée, l’opposition démocratique, qui est représentée par la coalition nationale syrienne. »

Certains orateurs demandent : « Où est la diplomatie ? » Or, depuis le début, nous sommes les premiers à dire : réunion des Amis du peuple syrien, à Paris ! Reconnaissance de la coalition nationale syrienne à Paris ! Aide humanitaire par Paris ! Parmi ceux qui suivent ce dossier, au plan international ou national, nul ne contestera que la France, sans sortir de son rôle, a émis un choix. Puisque, précisément, nous ne voulons pas avoir à choisir entre la dictature d’un côté et la dictature de l’autre, nous avons essayé d’être conséquents et de soutenir, avec les moyens qui sont les nôtres et en entraînant d’autres pays, cette opposition démocratique.

Là est précisément le lien à la question dont nous sommes saisis : s’il n’y a pas de sanction – je préfère ce mot à celui de punition,…

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. Laurent Fabius, ministre. … qui, comme l’a rappelé M. Chevènement, a, dans son acception habituelle, une dimension morale ; on pourrait longuement disserter sur la morale et le droit, et M. Chevènement pourrait opposer sa connaissance intime de Descartes à mes quelques souvenirs –, s’il apparaît donc que le dictateur peut continuer à agir en toute impunité, la population syrienne ne pourra évidemment pas l’accepter. Elle risque alors de se tourner vers ceux qui soutiennent que la seule solution, c’est le massacre inverse.

Nous ne voulons pas cela. Tous ceux qui souhaitent une Syrie aussi démocratique que possible et rassemblée ne peuvent pas vouloir cela. Cela n’irait pas dans le bon sens. Descartes, à cet égard, peut être contesté : s’il a pu dire que le bon sens était la chose du monde la mieux partagée, nous savons tous que, de temps à autre, il faut prendre un peu de recul par rapport aux réalités. (M. Jean-Pierre Chevènement acquiesce.) C’est ce que font toutes celles et tous ceux qui sont aujourd’hui présents dans cet hémicycle.

La sanction n’est pas en contradiction avec la négociation politique, elle en est la condition. En effet, comme M. Carrère et beaucoup d’autres l’ont dit, au nom de quoi peut-on penser que le dictateur Bachar Al-Assad reverra sa position et se rendra à la table des négociations si aucune sanction ne répond aux exactions abominables qui ont été commises ?

En outre, concernant l’Irak, je souligne que comparaison n’est pas raison. Nous nous accordons tous à saluer la décision prise à l’époque par Jacques Chirac, qui était d’ailleurs en pleine conformité avec la position suggérée, auparavant, par notre propre formation politique. Il n’y a donc pas de débat sur ce point. Toutefois, si l’on compare l’Irak et la Syrie, il faut rappeler qu’en Irak il n’y avait pas d’armes de destruction massive et qu’il y a eu une intervention, ce qui était une grave faute.

M. Laurent Fabius, ministre. A contrario, en Syrie, il y a des armes chimiques, qui ont été massivement utilisées, et c’est le fait de ne pas agir qui serait une grave faute !

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Nous sommes d’accord !

M. Laurent Fabius, ministre. C’est en ces termes que le problème se pose.

À mes yeux, il faut avoir toutes ces données à l’esprit, tirer les leçons de l’histoire et ne pas faire un parallèle qui ne serait pas exact.

Cela étant, l’exemple irakien est également intéressant d’un autre point de vue. Sur ce plan, nous nous retrouvons avec les Russes, avec lesquels nous parlons. Je rencontrerai, demain, mon homologue Lavrov à Saint-Pétersbourg. Je retournerai d’ailleurs en Russie la semaine suivante, car nous avons divers dossiers à traiter. M. Jean-Pierre Chevènement a du reste accompli un travail tout à fait remarquable pour tenter de développer, sur le plan économique, les relations franco-russes.

Concernant la Syrie, les Russes et nous nous rejoignons sur un point, même si nous n’en tirons pas pour le moment les mêmes conclusions. Lorsque nous leur demandons pourquoi ils soutiennent le régime syrien, les Russes nous répondent : nous n’avons pas d’affection particulière pour M. Bachar Al-Assad, mais nous voulons éviter le chaos. Nous sommes parfaitement d’accord ! Sauf que le chaos, c’est aujourd’hui !

Allons un peu plus loin : bien sûr, ce sont les Syriens qui décident, mais quelle est la grande difficulté ? On le comprend bien, il n’y a pas d’avenir pour une Syrie démocratique avec M. Bachar Al-Assad. Mais il faut que, parallèlement à son remplacement, une solution soit déterminée, qui ne signifie pas la destruction de toute une série d’éléments qui servent de piliers au régime. Sinon, nous nous trouverons face à la solution irakienne, qui n’en est pas une ! En Irak, l’intervention a abouti à des catastrophes. Comme un orateur l’a souligné, les morts s’y accumulent chaque jour, et, aujourd’hui, la situation y est épouvantable.

Toutefois, nous divergeons avec nos collègues russes – pour le moment en tout cas – sur le constat suivant : à nos yeux, si la situation actuelle perdure, s’il n’y a pas de négociation, la Syrie sera prise entre deux extrémismes, et elle explosera, y compris sur le plan géographique.

Si l’on est de bonne volonté, il faut donc que l’on puisse bâtir ensemble une solution, dans le cadre de laquelle M. Bachar Al-Assad sera, nous l’espérons, affecté à d’autres tâches, où les alaouites n’auront pas à craindre d’être détruits, où les communautés minoritaires – chrétiennes ou autres – seront protégées, où les sunnites et les Kurdes seront respectés, et où la Syrie restera aussi unitaire que possible. C’est une grande tâche, c’est un grand rêve, mais c’est cela notre objectif. Je le souligne en réponse aux interrogations portant sur l’objectif de notre diplomatie.

La question de la légalité est très compliquée et très difficile. Elle a donné lieu à des échanges. Il est parfaitement exact que, dans la rigueur des textes, dont la France se fait le défenseur, une intervention doit être organisée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. C’est là une position constante de la France.

Cela étant, nous sommes placés face à une situation d’impossibilité. Pourquoi ? Parce que le massacre commis viole le droit de la guerre lui-même – c’est, en tout cas, la position du gouvernement français.

Évidemment, on rétorquera : un mort, c’est un mort. Mais il s’agit là d’une exaction qui, à ce jour, est totalement interdite internationalement.

Il existe un droit de la guerre. Certes, le bon sens conduit à considérer que c’est la guerre elle-même qui est hors la loi. Mais il existe des éléments si graves, si gravissimes que l’ensemble de la communauté internationale les a mis hors la loi. Il s’agit d’un domaine étroit, dont les armes chimiques font partie. Bachar Al-Assad a employé ces dernières. Il faut donc réagir : c’est un impératif.

Parallèlement, il faudrait normalement passer par le Conseil de sécurité. Or on sait que c’est impossible, puisque la Chine et la Russie disent non. Ce n’est pas un refus théorique : ces deux pays ont opposé par trois fois leur veto !

Ces deux propositions sont donc de sens exactement contraires.

D’un côté, il faut absolument réagir, sous peine d’emporter toutes les conséquences déjà énumérées ; de l’autre, si l’on passe par le chapitre VII de la Charte des Nations unies, c’est impossible.

Nous pourrions dire : « C’est compliqué, nous verrons cela dans quelques années ». Non ! En nous appuyant sur une lecture du protocole de 1925, sur la définition du crime contre l’humanité et sur d’autres éléments, en tenant compte de la situation – nous voudrions la modifier, cependant, même si la France est une grande puissance, il n’est pas en notre pouvoir d’ordonner aux Russes et aux Chinois de changer d’avis –, nous disons que pour respecter la loi internationale telle qu’elle est définie en matière d’armes chimiques il peut exister, sauf si ces puissances modifient leur position – ce qui serait souhaitable – une disposition d’exception, et nous le regrettons. Nous ne voulons évidemment pas que cela constitue un précédent. Je ne vais pas chercher une interprétation qui serait juridiquement erronée.

J’en arrive à la question négociation-guerre. Plusieurs d’entre nous, notamment MM. Pierre Laurent et Jean-Pierre Chevènement, ont évoqué la guerre, la guerre, la guerre ! Je n’ai pas recensé le nombre de fois où ils ont employé ce mot dans leurs interventions.

Si l’on veut avoir une discussion qui permette d’avancer, il ne faut pas travestir la position que l’on veut combattre. Il n’y a pas d’un côté ceux qui veulent la guerre, soit beaucoup d’entre vous et le Gouvernement, et, de l’autre, ceux qui demandent une négociation internationale afin d’arriver à la solution. Non !

Tout d’abord, même si tout cela est très délicat, nous souhaitons une sanction ciblée. Lorsque le Président de la République s’exprimera, il dira ce qu’il souhaite, mais il est clair pour nous, expressis verbis, qu’il n’y aura pas de troupes au sol. Il s’agit donc bien d’une sanction et d’une dissuasion par rapport à un acte précis commis en matière d’armes chimiques.

Ensuite, la négociation, tout le monde est pour. Mais le problème, c’est de l’engager et qu’elle réussisse. Nous ne cessons de plaider pour cela. Mon cher ami Pierre Laurent, au bas de « Genève I » figure la signature de Laurent Fabius. C’est moi qui tenais la plume. Alors que l’on ne me dise pas aujourd’hui que nous avons été contre Genève I !

Mme Éliane Assassi. Mais justement !

M. Pierre Laurent. Demandons l’application de Genève I !

M. Laurent Fabius, ministre. Il y avait alors autour de nous le Russe, l’Américaine, c’était une femme à l’époque, le Britannique, etc. Mais aucun Français, ensuite, n’a dit refuser Genève I !

Concernant « Genève II », je tiens à dire aux sénateurs et aux sénatrices, de sorte que nous discutions de faits précis, qu’il s’agit d’une initiative des Russes et des Américains, menée avec notre approbation, visant un objectif bien précis : réunir à Genève un certain nombre de parties avec pour objet « la constitution par consensus d’un gouvernement de transition qui disposera de la totalité du pouvoir exécutif ».

Cela signifie qu’à l’époque où Genève II a été proposée, et alors que M. Bachar Al-Assad était peut-être moins flamboyant que ces dernières semaines, son but était de réunir, par consentement des deux parties, c’est-à-dire, d’une part, l’opposition et, d’autre part, Bachar Al-Assad, un groupe de travail visant à mettre sur pied un gouvernement de transition auquel seraient transférés les pouvoirs de M. Bachar Al-Assad.

Croyez-vous, cher ami, que dans les circonstances actuelles M. Bachar Al-Assad enverrait ses représentants à Genève II dont l’objet est de former un gouvernement de transition visant à le dessaisir de ses propres pouvoirs ? Malheureusement non !

Aussi, l’objectif de la France, que nous avons déjà commencé à développer – la diplomatie, souvent, est chose plus discrète que ce que l’on en voit à la télévision –, avec les Russes, avec les Chinois, avec les parties, y compris avec mon collègue iranien, qui m’a appelé et auquel j’ai parlé l’autre jour, est de déterminer comment faire venir les puissances concernées à une discussion afin que l’on sorte de ce blocage.

S’il n’y a aucune réponse à cette affaire d’armes chimiques, je crains fort, c’est même une certitude, que M. Bachar Al-Assad ne dise non, et que l’opposition, qui pour l’instant a accepté d’envoyer des représentants à Genève, ne considère que l’utilisation d’armes chimiques, les 1 500 personnes gazées, et l’absence de sanction internationale rendent difficile la tenue d’une discussion. Or je souhaite qu’elle ait lieu.

Ce sera donc l’objet des échanges dans les couloirs du G20, car ce n’est pas l’objet du sommet lui-même, comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé. Il se trouve cependant que beaucoup de responsables se réunissent, nous allons par conséquent discuter. Ensuite, cela tombe bien, une réunion de l’ensemble des ministres européens aura lieu vendredi et samedi. On avance ! Quelle que soit la grandeur de la France, à laquelle, tous, vous concourez, il n’est toutefois pas en notre pouvoir de dire : « C’est comme ça, et tout le monde s’aligne ! » Voilà la réalité.

Je tiens à le répéter afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, et le Président de la République l’a dit encore ce matin en conseil des ministres dans une déclaration rendue publique, nous pensons que la solution est politique et non militaire. Mais, en l’occurrence, la sanction permet d’avancer sur le plan de la négociation.

Sur le suivisme, l’isolement et l’Europe, nous n’allons pas nous disputer sur les mots. La question est de savoir si la cause est juste. Nous pensons que c’est une cause juste.

Il y a un certain nombre de pays qui non seulement le pensent, mais acceptent de s’engager, physiquement, allais-je dire. C’est le cas de la France, une fois que tous les éléments auront été réunis ; c’est le cas des États-Unis, sous réserve que le Congrès vote positivement ; c’était également le cas du gouvernement britannique, mais le Parlement a dit non. Il peut bien sûr y avoir d’autres puissances, et nous souhaitons qu’il y ait le maximum de participants.

En ce qui concerne l’Europe, cependant, j’ai parlé au téléphone avec tous mes collègues, Mme Ashton fait ce qu’elle doit faire… Mais si l’Europe de la défense existait, comme beaucoup d’entre nous le souhaitent, nous le saurions. Nous y sommes favorables, mais actuellement elle n’existe pas.

Que me disent mes collègues dans leur immense majorité, voire dans leur totalité ? Ils me disent que c’est bien sûr horrible, que le responsable est bien évidemment M. Bachar Al-Assad, qu’il faut bien sûr une sanction, mais que, tout en étant à nos côtés, ils ne participeront pas. Pourquoi ? Une bonne partie d’entre eux n’ont pas les éléments militaires pour cela, je ne rentrerai pas dans le détail de ce que nous ferons s’il y a sanction, mais la plupart d’entre eux ne disposent pas des éléments nécessaires. Ils peuvent donc nous soutenir, mais ils ne peuvent participer. Pour d’autres, comme les Allemands, une participation n’entre pas dans leur tradition constitutionnelle. Nous avons déjà parlé des Britanniques.

On verra ce qui sortira de nos réunions de vendredi et de samedi, mais je pense que la quasi-totalité de ces pays émettront à la fois une condamnation et une volonté de sanction. Nous voudrions bien sûr aller plus loin. Mais aujourd’hui l’état des choses ne le permet pas, c’est toute la question de la défense européenne.

On ne peut donc parler d’isolement. Il n’existe d’ailleurs pas beaucoup de pays dans le monde qui peuvent avancer dans ce domaine. Mais vous voyez bien le soutien, à quatre abstentions près, de l’ensemble de la Ligue arabe, comme de beaucoup de pays, on en a compté trente-cinq ou cinquante et un, je ne sais plus. Cependant, la participation matérielle est évidemment une autre question.

Je terminerai en reprenant le début de l’intervention forte de votre collègue M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, avec lequel j’entretiens des relations d’amitié. (M. Jean-Pierre Raffarin opine.) M. Jean-Pierre Raffarin, qui, chacun le sait, a le sens de la formule, a dit : notre impuissance, c’est le grand sujet.

En effet, mon cher collègue et ami, mais où est l’impuissance ? On pourrait vous répondre que l’impuissance c’est d’expliquer avec force pourquoi il faut intervenir et ensuite de fixer des conditions qui rendent cette intervention impossible. Voilà la définition de l’impuissance.

Je peux faire miennes beaucoup de vos objections, mais au bout du bout, il faut trancher. Cela pose la question du vote. Je pense honnêtement que le vote aujourd’hui n’aurait pas eu grand sens. Sur quoi, en effet, auriez-vous pu voter ? Il n’aurait d’ailleurs pu qu’être conditionnel.

Comme le Président de la République l’a dit hier et répété ce matin, il rassemble tous les éléments de la décision, c'est-à-dire ce qui se passe sur le terrain et au plan international, avec, évidemment, la position du Congrès américain. Non parce qu’il s’agirait d’une dépendance, mais parce qu’elle est un élément de cette décision, c’est une évidence aveuglante. Personne d’entre vous, même les plus ardents, n’a soutenu que la France, comme on dit, y aille seule !

Je ne sais pas quand le Congrès prendra sa décision, lundi, mardi, ou jeudi. Une fois que l’ensemble des éléments seront en sa possession, le Président de la République prendra sa décision et s’adressera aux Français. Cela ne signifie pas qu’il ne peut y avoir un élément parlementaire, nous ne l’avons pas exclu, mais ce n'est pas ce que prévoit la Constitution. Le Président de la République prendra sa décision.

J’entends bien les arguments de part et d’autre, et il faut les avoir à l’esprit. Conformément à une définition réputée moderne, il faut, plusieurs d’entre vous l’ont dit, associer le Parlement. Si l’on demande aux Français s’ils souhaitent que ce soit le cas, la réponse est, je crois, assez largement positive.

Dans le même temps, d’autres considérations doivent être prises en compte. Cela n’a pas été beaucoup exprimé ici, mais je sais que de nombreux responsables le gardent à l’esprit : dans le concert des nations, du côté des régimes autoritaires, lorsque le Président ou le Premier ministre énonce ce qu’il va faire, il n’y a pas beaucoup d’interrogations sur la position qu’adoptera le Parlement. Du côté des démocraties, dont nous nous honorons d’être, c’est plus compliqué.

Jusqu’à présent, conformément à la logique de la Ve République, que l’on peut d’ailleurs contester, lorsque le Président dit quelque chose en matière d’engagement militaire, il n’y a pas un nota bene ajoutant « sous réserve de l’avis du Parlement ». Il s’agit donc d’un arbitrage à faire, qui n’aura pas nécessairement valeur de jurisprudence, mais je pense que nous tous, responsables français souhaitant la grandeur et le rayonnement de la France, nous devons aussi avoir cet élément à l’esprit. Cet arbitrage est très compliqué et je ne sais pas ce qu’il sera. À mes yeux, il faut soumettre cela à la réflexion de l’ensemble de nos compatriotes, sinon on ne considère qu’une seule partie du sujet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais si j’ai été trop court ou trop long. En tout cas, si j’ai été trop long, je vous prie de m’en excuser ; si j’ai été trop court, je vous prie aussi de m’en excuser. (Sourires.)

Pour conclure, et en vous remerciant à nouveau de la qualité de ce débat, j’aimerais insister sur trois observations.

Premièrement, pour ce qui est des faits, je pense que la contestation n’est pas possible. En France, nous sommes très prudents – souvenez-vous de l’affaire irakienne ; pourtant, pour tous ceux qui ont suivi l’affaire de près, en particulier les parlementaires membres des commissions compétentes, mon collègue Le Drian, moi-même et les autres ministres, le Premier ministre et le Président de la République, la contestation est impossible : il y a eu un massacre chimique et c’est le régime de Bachar Al-Assad qui en est à l’origine.

Deuxièmement, nous pensons qu’il faut une sanction et que ce problème concerne la France : parce qu’il s’agit d’une région éruptive et que, si on laisse faire sans réagir, il n’y aura plus aucune limite, mais aussi parce que nous pourrions nous-mêmes être directement concernés, compte tenu de la nature de ces armes et des capacités des vecteurs.

Troisièmement, – c’est, en fin de compte, la question sur laquelle notre débat a surtout porté – nous pensons que l’action, à condition qu’elle soit bien proportionnée et que nous ne nous engagions pas dans ce qu’on appelle la guerre, non seulement n’est pas contradictoire avec la solution politique qui est nécessaire, mais qu’elle en est une condition. Sans action, en effet, nous craignons que rien ne bouge.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais vous apporter. Je remercie beaucoup le Sénat ; une fois de plus, il a justifié son nom de Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Michel Bécot et Mme Marie-Annick Duchêne applaudissent également.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que tous les orateurs qui se sont exprimés dans ce débat digne et de qualité.

Nous en avons terminé avec le débat sur la situation en Syrie.

9

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande d’inscrire au début de l’ordre du jour de la séance du vendredi 13 septembre, à 9 heures 30, l’examen de la proposition de loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques.

Sur la proposition de Mme la présidente de la commission des affaires sociales, le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé le jeudi 12 septembre à 17 heures et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait de deux heures.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

10

Clôture de la session extraordinaire

M. le président. Mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour pour la session extraordinaire.

J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République portant clôture de la session extraordinaire du Parlement.

En conséquence, il est pris acte de la clôture de la session extraordinaire.

11

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 10 septembre 2013 :

À neuf heures trente :

1. Ouverture de la troisième session extraordinaire 2012-2013.

2. Lecture des conclusions de la conférence des présidents.

3. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe.)

À quatorze heures trente et le soir :

4. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la consommation (n° 725, 2012-2013) ;

Rapport de MM. Martial Bourquin et Alain Fauconnier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 809, tomes I et II, 2012-2013) ;

Avis de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la commission des lois (n° 792, 2012-2013) ;

Avis de M. Jean-Luc Fichet, fait au nom de la commission du développement durable (n° 793, 2012-2013) ;

Avis de Mme Michèle André, fait au nom de la commission des finances (n° 795, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 810, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART