Mme la présidente. La parole est à M. Christian Namy.

M. Christian Namy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 juin prochain, nous célébrerons un triste anniversaire, celui de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, il y a cent ans. Nous sommes en effet aux prémices d’un cycle mémoriel dense, important, voire crucial. Cette année, nous commémorerons le centenaire du début de la Première Guerre mondiale.

Mais c’est un terme bien pudique que celui de « Première Guerre mondiale ». Nous allons en réalité commémorer une boucherie humaine sans nom, une guerre qui eut les conséquences les plus atroces et les plus dramatiques pour la France et l’Europe : 10 millions de morts, dont près de 1,5 million pour notre seul pays. Ces chiffres sont abstraits, la réalité l’est moins. Cette guerre, c’est l’enfer des tranchées boueuses, pestilentielles et sanglantes, dans lesquelles nous avons enseveli toute une génération d’hommes.

Permettez au président du conseil général de la Meuse que je suis d’avoir un regard particulier et une sensibilité aiguë sur le sujet. Vous avez tous lu Ceux de 14 de Maurice Genevoix. Aussi, vous n’êtes pas sans savoir que, chaque jour, la mémoire de Verdun, de l’Argonne, des Éparges s’impose à mon département. Un siècle après, nous nous souvenons, et c’est à nous qu’il incombe d’honorer la mémoire de ceux qui ont fait le sacrifice ultime pour la liberté de notre pays et de ceux qui sont tombés du fait de la seule absurdité de la guerre.

Près d’un million et demi de soldats français perdirent la vie. Parmi eux, il y aurait eu plus de 600 « fusillés pour l’exemple ». À ce nombre, corrigé par M. le secrétaire d’État à l’instant, s’ajoutent tous ceux qui ont été abattus sans jugement. Pour quel exemple ? Parlons-nous de ces soldats de dix-huit ans, parfois moins, qu’on envoyait à la mort dans des conditions dramatiques et qui ont été fusillés pour n’avoir su sortir assez vite de la tranchée ? Parlons-nous de ceux qui, après avoir essuyé l’horreur de l’assaut contre une tranchée ennemie, ne pouvaient se retenir de regarder leurs officiers en murmurant « assassin, assassin ! ». Est-ce cela « l’exemple » justifiant le fait de fusiller nos propres compatriotes ? Est-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ?

Une justice militaire intransigeante quand elle était exercée, des conditions de guerre épouvantables, des circonstances terribles, voilà les raisons pour lesquelles ces hommes furent fusillés. Il s’agissait d’exécuter pour dissuader. On a brisé des vies.

Dans le rapport remis au Gouvernement par le comité d’historiens présidé par Antoine Prost sur la question des fusillés pour l’exemple est cité un cas qui m’a spécialement interpellé. C’est celui des sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant, tous deux à la tête d’une compagnie du même bataillon, qui, en juin 1916, se replièrent avec les rescapés lors d’un assaut manqué plutôt que de se faire prendre par l’ennemi. Ils ont été fusillés le lendemain !

Le sous-lieutenant Herduin se savait victime d’une injustice. Néanmoins, il commanda lui-même son peloton d’exécution. Et voilà ce qu’il a déclaré avant de mourir : « Soldats, vous allez me fusiller, mais je ne suis pas un lâche, mon camarade non plus. Mais nous avons abandonné la position ; nous aurions dû rester jusqu’au bout, jusqu’à la mort. Si vous vous trouvez dans le même cas, n’abandonnez pas, restez jusqu’au bout… et maintenant, visez bien, droit au cœur... ».

Encore une fois, je me pose la question : était-ce cela le prix de la discipline dans les rangs ? Je suis très sensible à leur drame. Alors qu’ils ont été réhabilités en 1926, le département de la Meuse, avec l’accord unanime des associations locales d’anciens combattants, a érigé une stèle en leur honneur en novembre 2009, dans un lieu proche de leur exécution, à savoir le village de Fleury, qui est l’un des neuf villages détruits par les combats et non reconstruits dans la zone rouge de Verdun. Vous comprendrez donc ma sensibilité sur ce sujet.

La proposition de loi déposée par Guy Fischer et ses collègues a pour objet de réhabiliter collectivement les fusillés pour l’exemple. Dans un contexte commémoratif important, cette question est plus que légitime pour les familles, pour les associations et pour notre mémoire nationale. Je remercie chaleureusement notre collègue de nous permettre ainsi d’évoquer ces faits terribles dans l’enceinte de cet hémicycle.

Pendant trop longtemps, ces hommes ont été qualifiés de soldats indignes ; pendant trop longtemps, le sceau de la honte a marqué leurs familles. Le chagrin devenait une souffrance morale : « comment pleurer quelqu’un qui a déshonoré l’uniforme ? ». Ces fusillés pour l’exemple font aujourd’hui et à jamais partie de la mémoire nationale.

Avez-vous vu, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le film Joyeux Noël de Christian Carion ? Parfois, il devient évident que, lorsque l’on a atteint les limites de l’intolérable, on devient tout simplement incapable de se battre, sans pour autant trahir son pays. Qu’aurions-nous fait, nous tous, dans les mêmes conditions, à tout juste dix-huit ans ?

Les orateurs qui m’ont précédé ont cité les propos tenus par MM. Jospin et Sarkozy. Ce dernier s’est exprimé en 2008 à Verdun, à l’ossuaire de Douaumont, où, je vous le rappelle, plus de 130 000 corps de soldats français et allemands sont ensevelis. Le Président de la République François Hollande a réaffirmé, quant à lui, le 7 novembre dernier, ce qui avait été dit par son prédécesseur : les fusillés pour l’exemple ne doivent pas être oubliés.

Si une réhabilitation morale a donc eu lieu, reste à mener une véritable réhabilitation législative, qui conduirait à rendre hommage aux soldats tombés injustement, en inscrivant leurs noms sur nos monuments aux morts. C’est pourquoi, à titre personnel, je suis tenté d’adhérer à la démarche initiée par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. J’y suis tenté en mémoire non seulement de ces vies perdues pour des motifs absurdes, mais aussi de mon département de la Meuse, qui a été l’un des théâtres de cette guerre atroce.

Cette proposition de loi possède une véritable portée. À mes yeux, elle est un signal très fort envoyé au Gouvernement et au Président de la République en cette année de commémoration.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté avec attention votre intervention. Tous les fusillés, vous avez raison, ne peuvent pas forcément être réhabilités. Je retiens donc votre proposition, qui, si je l’ai bien comprise, permettra une réhabilitation au cas par cas, sur demande des familles concernées. Il y a là, je crois, une voie permettant d’élever le débat, d’en sortir par le haut et d’apporter le supplément d’âme nécessaire aux prochaines commémorations. Je regrette simplement qu’aucun amendement n’ait été déposé pour introduire vos propositions. Tout comme mon groupe, j’y aurais adhéré très volontiers. Aujourd’hui, nous ne pouvons accepter la réhabilitation de tous les fusillés sans examen des dossiers. C’est pourquoi, dans sa grande majorité, le groupe UDI-UC ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918
Discussion générale (suite)

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Candidatures à une commission spéciale

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des trente-sept membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 10 du règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été publiée.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918
Discussion générale (suite)

Réhabilitation des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918

Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918
Article unique (début)

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Claire-Lise Campion.

Mme Claire-Lise Campion. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui porte sur un sujet sensible. Sensible, non pas parce qu’elle modifierait en profondeur la vie sociale ou politique de notre pays ni parce qu’elle serait déterminante pour construire notre avenir collectif. Sensible, parce qu’elle s’intéresse au passé, à la vision que nous nous faisons de notre histoire, et donc à la mémoire que nous en conservons.

Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale ont débuté et, pendant quatre ans, il y aura de très nombreux événements historiques à rappeler et à commémorer. Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont voulu, par cette proposition de loi, que nous nous saisissions de la question des fusillés pour l’exemple.

Les événements ont cent ans, mais la question également : elle commença à être posée dès les premières exécutions. Portée par les témoignages des combattants, par l’engagement d’associations de défense des droits de l’homme et par la volonté des familles des fusillés, elle se pose encore aujourd’hui.

S’intéresser aux fusillés pour l’exemple, c’est d’abord s’intéresser à des hommes, essayer de savoir qui ils étaient. La tâche est complexe, car si le terme pour les désigner est unique, la réalité de leur condition est multiple. Certains, ayant refusé, selon les mots du Premier ministre Lionel Jospin, « d’être des sacrifiés », ont été victimes, lors de leur passage devant le conseil de guerre, d’une absence d’instruction préalable, ainsi que de témoignages exclusivement à charge et réduits à la portion congrue. D’autres, plus d’une centaine, civils comme militaires, ont été jugés coupables non pas d’avoir flanché face à la violence quotidienne et vaine des combats, mais de s’être livrés à des actions d’espionnage ou d’avoir commis des crimes de droit commun, parfois des crimes de sang.

C’est cette diversité des cas personnels qui rend ce sujet si difficile à aborder de façon globale ; elle rend symboliquement compliquée une réhabilitation collective.

Dans le même temps, il faut ajouter à cette diversité des situations, la difficulté des historiens à exploiter les sources que leur a laissées la justice militaire. Cette juridiction d’exception n’utilisait souvent que peu de documents, pour des procès rapides, voire expéditifs. Les dossiers judiciaires tenus dans chaque division de l’armée française sont manquants pour 20 % d’entre eux. La qualité de ceux qui ont été conservés est très aléatoire, certains contenant moins d’une dizaine de documents, d’autres plusieurs centaines. C’est cette qualité variable des sources qui rend ce sujet malaisé à aborder de façon particulière ; elle constituerait un obstacle majeur s’il nous fallait envisager une réhabilitation totale au cas par cas.

L’opinion publique n’a jamais oublié les fusillés pour l’exemple. Les demandes pour permettre des réhabilitations ont été nombreuses. Elles sont la marque d’une volonté de ne pas reléguer ces hommes dans les fourgons de l’histoire.

Quatre-vingts ans après la fin de la Première Guerre mondiale, on pouvait craindre que le sujet ne soit définitivement oublié, relégué dans la liste des questions difficiles à aborder, voire taboues. Elle aurait alors été un « kyste mémoriel » de l’histoire de France. En 1998, en rendant hommage, à Craonne, aux fusillés de la Grande Guerre, le Premier ministre Lionel Jospin a ouvert le chemin au plus haut niveau de l’État pour reconnaître qu’il y a encore des réponses à apporter.

Dix ans plus tard, en rendant hommage, à Douaumont, à tous les soldats morts au cours de la Première Guerre mondiale, le Président Nicolas Sarkozy a poursuivi dans ce sens.

Le Président François Hollande, voilà quelques mois, le 7 novembre dernier, en lançant les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, a dit l’importance qu’il accorde à cette question et a présenté les solutions qu’il a retenues pour qu’enfin les fusillés prennent toute leur place dans la mémoire nationale.

Ce n’est plus seulement à l’État, ce n’est plus seulement aux femmes et aux hommes politiques de faire vivre cette nouvelle étape de la mémoire ; c’est aussi et avant tout aux citoyens.

Au plus haut niveau de l’État, la reconnaissance des fusillés est acquise ; elle a dépassé deux alternances politiques, et elle a été et sera encore réaffirmée à l’occasion des célébrations du centenaire. Elle est également acquise pour de nombreux autres acteurs de la vie publique. À l’heure actuelle, nombre de conseils généraux et régionaux se sont saisis de cette question.

Cela a été rappelé par plusieurs orateurs, l’une des principales illustrations de ces événements par le cinéma, le film de Stanley Kubrick, Les Sentiers de la gloire, sorti en 1957, n’a été diffusé en France pour la première fois qu’en 1975. Ne parlons pas de censure : à sa sortie, les distributeurs décidèrent d’eux-mêmes de ne pas le diffuser. Preuve, déjà, qu’il convient d’agir pour améliorer la perception qu’ont nos concitoyens de ces événements, plus encore que d’agir par la justice et la loi.

Plusieurs historiens se sont déjà emparés du sujet, ont fourni les données, les analyses, matières fondamentales pour une meilleure compréhension des mentalités de l’époque et de ces exécutions.

Il est nécessaire que les fusillés pour l’exemple soient avant tout réhabilités dans la mémoire collective, qu’ils le soient par une meilleure ouverture de la société à leur histoire, à toutes leurs histoires. Rendons publics les dossiers judiciaires, renforçons la place accordée aux fusillés dans notre récit de la Première Guerre mondiale, facilitons l’inscription des noms des fusillés sur les monuments aux morts : ces mesures permettront de donner corps dans la société à la réhabilitation.

Nous avons déjà discuté, ici, de lois mémorielles, comme cette proposition de loi, mais il faut aussi savoir adopter d’autres méthodes pour ne pas juger l’histoire en rejugeant les hommes, mais comprendre l’histoire en la laissant aux hommes. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collèges, c’est dans le contexte de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre que nous examinons une proposition de loi chargée d’émotion qui renvoie à un événement tragique de notre histoire.

Le cas des « fusillés pour l’exemple » de 1914-1918 fait partie de ces chapitres douloureux qui resurgissent régulièrement parce qu’ils n’ont pas été dépassionnés totalement. Nous savons que c’est un sujet qui a longtemps partagé, d’un côté, les tenants de l’ordre militaire coûte que coûte et, de l’autre, ceux qui ont mis en avant les circonstances atténuantes des « fusillés pour l’exemple ». Les seconds finiront par l’emporter.

En effet, les lois d’amnistie de 1919, puis de 1921, ainsi que la loi du 9 août 1924 tendant à permettre la réhabilitation des soldats exécutés sans jugement, ont rapidement posé la question du sort injuste de ces soldats victimes des affres de la guerre. Il faudra toutefois attendre plusieurs décennies pour que les esprits continuent à converger vers cette idée de réhabilitation collective.

Grâce au travail des historiens et à l’exploitation des archives, il faut bien reconnaître que tous ces jeunes gens ont payé de leur vie une posture politique qui consistait à afficher la fermeté du pouvoir dans un contexte de débâcle sur le front est.

Comme vous le savez, mes chers collègues, la justice militaire a vu croître ses prérogatives à partir d’août 1914, avec en point d’orgue l’instauration de « conseils de guerre spéciaux » par décret du 6 septembre 1914. On connaît les conséquences de cette justice d’exception : des procédures expéditives, sans recours possible, suivies d’exécutions publiques pour frapper les esprits et garantir la discipline des troupes. Il faudra toute la ténacité des familles et des associations pour que les réhabilitations judiciaires démontrent l’arbitraire de ces exécutions sommaires.

Sur le plan politique, on ne peut que saluer l’initiative du Premier ministre de l’époque, Lionel Jospin, qui, en 1998, à Craonne, a ouvert la porte à la réhabilitation politique des « fusillés pour l’exemple ». L’actuel chef de l’État et son prédécesseur ont poursuivi ce travail de réintégration de ces soldats au sein de la mémoire collective nationale.

S’agissant des collectivités locales, il faut rappeler que leurs élus ont aussi entrepris des démarches visant à la réhabilitation des « fusillés pour l’exemple » de la Grande Guerre. C’est le cas dans les Hautes-Pyrénées, dont le conseil général a adopté une motion en ce sens le 24 mai 2013.

Je partage, avec mes collègues du RDSE, cette attention portée au drame des « fusillés pour l’exemple », qui s’exprime encore aujourd’hui dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de nos collègues du groupe CRC. Nous ne pouvons que reconnaître la brutalité de cette politique qui a ôté brutalement la vie à plus de 700 soldats, qui, rappelons-le, n’avaient pour horizon, à ce moment, que la pluie, la boue, le froid, la faim, les poux, la mitraille et le sang.

M. Roger Karoutchi. C’est la guerre !

M. François Fortassin. Tous ceux qui n’avaient plus la force d’affronter ces maux, fallait-il les fusiller pour l’exemple ? Quel exemple ? Celui de tenir debout tous ceux qui devaient encore aller au supplice et ne pas lâcher leurs compagnons de misère ?

Il faut reconnaître aujourd’hui que ces exécutions ont choqué l’idéal républicain, les valeurs d’humanisme et de fraternité que celui-ci suppose. C’est d’ailleurs au nom de ces valeurs et du respect des droits de l’homme que notre pays sait condamner avec promptitude les exécutions de soldats et de combattants en différents points chauds de notre planète.

Soucieux de redonner une place aux « fusillés pour l’exemple » dans la mémoire collective, je soutiens, avec la plus grande partie des membres de mon groupe, l’esprit de la proposition de loi, mais non pas son dispositif ; nous lui préférons l’amendement déposé par les auteurs de cette proposition de loi. En effet, nous avons bien conscience que cet amendement évite d’engendrer les conséquences juridiques qu’ouvre au contraire le texte initial. Il s’agit avant tout de rendre aux fusillés toute leur dignité, et nous devons nous attacher à cette réhabilitation symbolique, qui sera néanmoins, j’en suis sûr, un geste fort de reconnaissance de la nation et un élément de fierté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Christian Namy applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur la proposition de loi déposée par Guy Fischer relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918.

Cette proposition de loi prend une dimension toute particulière en cette année où nous célébrons le centenaire de la Grande Guerre. Le Président de la République a lui-même appelé, lors du lancement du cycle des commémorations, le 7 novembre 2013, à la prise en compte et à la reconnaissance de l’histoire des fusillés. Faisant écho au contexte particulièrement inhumain et barbare dans lequel les soldats français ont évolué, le chef de l’État a souhaité « qu’aucun des Français qui participèrent à cette mêlée furieuse ne soit oublié ». Cependant, les déclarations ne suffisent pas. Et c’est bien là tout le sens cette proposition de loi !

Le groupe écologiste salue cette initiative. En effet, ce texte vise environ 600 fusillés pour manquements à la discipline militaire : refus d’obéissance, abandon de poste, révolte, voie de fait sur supérieur, désertion à l’ennemi. Le rapport énonce que ni les soldats exécutés pour des crimes de droit commun ni les civils coupables d’espionnage ne sont concernés.

Ces « fusillés pour l’exemple », condamnés à mort par des conseils de guerre et exécutés au front, ont servi de levier de répression pour instaurer un climat de terreur dans les rangs et ainsi réduire au silence tout mouvement de contestation. Le cérémonial et la mise en scène autour des exécutions sont bien la preuve que l’impact psychologique était, au-delà de la simple condamnation, l’effet recherché. Or ce texte nous appelle à repenser le sens que nous donnons au mot « héros ». Il est certain qu’il ne suffit pas d’obéir à la hiérarchie militaire, au sacrifice de sa vie, pour être un héros.

Mme Annie David. Très juste !

Mme Leila Aïchi. Les mutins de la Grande Guerre ont rejeté l’absurdité et la barbarie dans laquelle la nation se trouvait. Ils ont bravé une autorité militaire devenue absurde. À ce titre, ils étaient aussi des héros. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)

Il est temps de rendre hommage à ces acteurs de la paix, dont la mémoire a été salie pour les besoins de l’Union sacrée. Les témoignages des poilus sont particulièrement édifiants et nous permettent, l’espace d’un court instant, d’imaginer l’horreur qu’a pu être cette guerre : « Les canons et les fusils ne marchaient plus, il régnait un silence de mort. Il n’y avait que les blessés qui appelaient : "Brancardiers ! Brancardiers ! À moi ! Au secours !" D’autres suppliaient qu’on les achève. C’était affreux à voir. […] le bombardement commençait et il fallait rester là, à attendre les obus, sans pouvoir bouger jusqu’au soir huit heures, où on venait nous relever. »

Avec un siècle de recul, nous devons comprendre que les hommes visés par cette proposition de loi, condamnés pour manquements à la discipline militaire, n’étaient ni des lâches ni des traîtres. Les témoignages et les analyses en ce sens abondent et ne font que rappeler la détresse dans laquelle ces hommes, au service de la France, se trouvaient.

Mes chers collègues, aujourd’hui, force est de constater que l’image des fusillés est déjà « réhabilitée » dans la conscience collective. Or il s’agit simplement ici de permettre à la loi de s’adapter aux évolutions de la société. Accorder une place aux fusillés de 14-18 dans le musée des Invalides ou mettre à disposition du public leurs dossiers sont certes des avancées, mais cela ne suffit pas.

Sur le fond, certains opposeront à ce texte la contrainte juridique. En effet, le terme « réhabilitation » implique l’annulation des jugements rendus par les conseils de guerre. Le terme « collectif », quant à lui, empêche toute distinction entre les innocents, victimes d’une justice excessive, et ceux qui étaient, comme le définit le rapport, « objectivement coupables ». Je considère toutefois que l’impératif de reconnaissance ne doit pas être entravé par de simples considérations administratives. Il s’agit là davantage d’un acte symbolique de la nation envers ses combattants.

Mme Annie David. Très juste !

Mme Leila Aïchi. C’est en ce sens que l’amendement proposé par Mme Demessine visant à permettre une réhabilitation symbolique et morale des fusillés pour l’exemple se trouve être un premier pas important. Son adoption permettrait à la France d’en finir définitivement avec ce tabou.

Le groupe écologiste soutient unanimement cet amendement, car il vise surtout à réparer une injustice. En effet, près de 200 fusillés non réhabilités figureraient déjà sur les monuments aux morts. Il paraît alors délicat de ne pas accorder à l’ensemble ce que nous avons déjà permis pour certains. À titre d’exemple, le sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant a été fusillé pour « capitulation en rase campagne » le 11 octobre 1914 alors qu’il venait, en réalité, d’échapper aux Allemands, qui l’avaient fait prisonnier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez vous-même reconnu ce soldat « mort pour la France » en 2012. Pourquoi nous arrêter là ? Cet exemple nous montre bien que, si nous ne pouvons refaire l’histoire, nous devons toutefois tenir compte du caractère exceptionnel de la situation qui a pu mener à des dérives.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas souscrire au principe de discrimination des morts. Il est donc de notre devoir de citoyens et d’élus de la nation de reconnaître l’ensemble de ces hommes qui ont été confrontés à la guerre dans ce qu’elle a de plus absurde et de leur rendre hommage. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Christian Namy applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur Fischer, j’aurais vraiment aimé être d’accord avec vous, car, vous le savez –  je vous l’ai dit à plusieurs reprises –, j’ai pour vous beaucoup d’estime.

M. Gérard Longuet. C’est justifié !

M. Roger Karoutchi. Mais l’historien que je suis a bien du mal à considérer que c’est au Parlement de réécrire l’histoire de France. Dans bien des cas, si on laissait faire les historiens, si on laissait faire la mémoire collective, celle des citoyens et non pas celle du Parlement, ce serait plus efficace, en tout cas plus conforme à la réalité. On ne refait pas l’histoire, parce qu’on ne recrée pas les conditions dans lesquelles les événements se sont déroulés.

Pour autant, j’ai entendu beaucoup de choses avec lesquelles je suis d’accord : certains de ces soldats ne méritaient probablement pas d’être exécutés.

Mme Évelyne Didier. Beaucoup d’entre eux !

M. Roger Karoutchi. Certains d’entre eux, madame Didier.

D’ailleurs, presque immédiatement après la guerre, pendant deux ans, de 1933 à 1935, alors que certains des acteurs militaires étaient encore en activité, une cour spéciale composée de magistrats et de militaires a réhabilité un certain nombre de fusillés, mais pas tous. En d’autres termes, quinze ou vingt ans après les faits, à une période où l’on n’était plus sous la pression de la guerre, non seulement cette cour à la composition mixte n’a pas réhabilité collectivement les soldats fusillés, mais elle n’en a pas non plus réhabilité certains.

Plusieurs intervenants se sont émus de l’horreur de cette guerre. Moi, je ne connais pas de guerre qui soit drôle, sympathique. Je ne connais pas de conditions de guerre qui soient acceptables pour les soldats.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Roger Karoutchi. Personne ne nie que la période entre 1914 et 1918, avec son lot de combats, de boue, de froid, de tranchées, ait été atroce. Mais pensez à la retraite de Russie, ce n’était pas mieux ! Lisez les récits de nos soldats de la Grande Armée, qui parlent de ces régiments entiers morts de froid, de ces hommes morts gelés dans des fleuves glacés en construisant des ponts. Oui, les guerres sont atroces ! Oui, elles causent beaucoup de morts, de souffrances, d’atrocités ! Mais on ne refait pas l’histoire cent ans après.

Monsieur le secrétaire d’État, vous le savez, beaucoup de choses ont été dites sur les quelque 900 fusillés qui viennent d’être recensés. La mémoire collective les a souvent associés à l’offensive Nivelle de 1917, offensive atroce, abominable. Cette véritable boucherie a poussé 40 000, 50 000, 60 000 soldats à se mutiner. Face à cette situation invraisemblable, Pétain, qui n’était pas encore l’homme de 1940, a quasiment demandé les pleins pouvoirs. Et il les a obtenus, parce que l’armée était en train de se disloquer et que les forces allemandes étaient sur le point d’atteindre Paris !

Pendant cette période, c’est vrai, plus de 500 condamnations à mort ont été prononcées en quelques semaines, mais, au final, très peu d’exécutions ont lieu : une quarantaine. En fait, l’armée a réellement procédé à des exécutions au début de la guerre. Durant le seul mois d’octobre 1914, on en compte 60, et on était alors loin des mutineries.

Mes chers collègues, souvenons-nous : en octobre 1914, la guerre n’a commencé que depuis deux mois, les forces allemandes percent les lignes françaises sur la Marne. Le général Gallieni mobilise alors les Parisiens et réquisitionne les taxis pour défendre Paris, la capitale, la patrie et la République ! Il est vrai que les chefs militaires disent aux autorités civiles : « Nous ne tenons pas ! » Il est vrai également que c’est à ce moment-là que sont survenus un certain nombre de désertions et de problèmes dus à la débâcle. Est-ce que vous pouvez dire à des chefs militaires qui défendent la République : « Vous n’avez pas à prendre de mesures pour sauver Paris, pour sauver la France, pour sauver la République ? »