M. Didier Guillaume. C’est une très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez d’abord rappelé la bataille que nous avons conduite sur la question des droits de plantation.

Quel était l’esprit de cette bataille pour obtenir la remise en cause de l’accord signé en 2008 visant à supprimer les droits de plantation ? La Commission et ceux qui avaient conclu ledit accord entendaient stimuler le développement de la production viticole en Europe, afin d’accéder à un marché mondial du vin dont la progression suit le rythme de la consommation.

Cela comportait un risque, qui a été rappelé : en développant les plantations de vignes sans aucune régulation, on pouvait aboutir à remettre en cause la qualité, l’origine, les AOC et l’ensemble des IGP, tout ce qui constitue l’enjeu majeur en matière de vin.

Tel était donc l’objectif. Nous avons remis en cause le projet de la Commission. La bataille qui a lieu désormais porte non pas sur l’objectif qui était le nôtre, à savoir revenir sur la libéralisation, mais sur les moyens d’appliquer, au niveau des actes délégués, le retour aux droits de plantation.

C’est à ce niveau, vous l’avez parfaitement indiqué, monsieur le sénateur, qu’est désormais engagée la bataille avec la Commission, pour empêcher que l’on revienne, de manière déguisée, sur les mesures proposées en 2008, celles-là mêmes que nous avions contestées et remises en cause en réclamant le retour des droits de plantation.

Nous devons nous battre sur plusieurs critères. J’ai envoyé à ce sujet au commissaire européen une lettre, dans laquelle j’ai évoqué les questions de régionalisation de ces droits, de critères, notamment de cépages, de production et de productivité,...

M. Jean-Pierre Sueur. C’est différent...

M. Stéphane Le Foll, ministre. ... ainsi que de niveau de plantation, autant d’éléments qui doivent être intégrés en un seul objectif : éviter qu’une replantation, sans aucune régulation, ne finisse par remettre en cause les AOC et les IGP. C’est cela, l’enjeu !

Un plan stratégique m’a été présenté ce matin. L’ensemble de la profession vitivinicole française a en effet travaillé sur l’objectif à viser dans les années qui viennent. Il s’agit, à la fois, de protéger les IGP et les AOC et de développer ce qui fait en partie défaut dans la production viticole française, c’est-à-dire l’exportation, surtout des vins de cépage.

Il faut être conscient que la bataille immédiate se joue sur les actes délégués. Nous devrons tous ensemble, nous qui connaissons les vins des différentes régions, faire en sorte que l’application de ces nouvelles règles soit cohérente pour l’ensemble du vignoble français. En effet, j’ai connu, comme vous, des situations de concurrence entre les régions...

Nous devons être capables d’assumer nos responsabilités. Je compte donc sur votre soutien, aujourd’hui, pour la négociation en cours sur les actes délégués et, demain, sur l’organisation du marché viticole français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

agroalimentaire en bretagne

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, l’activité industrielle agroalimentaire bretonne souffre, particulièrement dans les filières porcine et avicole. Très au fait des difficultés rencontrées, vous vous êtes régulièrement déplacé en Bretagne. Des aides ont été débloquées pour soutenir les filières. Des moyens d’accompagnement des hommes et des femmes ayant perdu leur emploi ont été mis en œuvre.

L’État s’est engagé concrètement auprès des anciens salariés de Gad, en mettant en place une allocation de reconversion professionnelle pendant un an et un suivi dans la recherche d’emploi, avec un dispositif prévoyant un conseiller de Pôle emploi pour vingt salariés au chômage.

Pour autant, la Bretagne doit aujourd’hui faire face à la remise en cause complète de toute une filière et d’un modèle de développement économique en matière d’agroalimentaire. La période de transition vers ce nouveau modèle risque d’être longue.

Des projets émergent, comme celui de Lampaul Agro, qui prévoit la reprise du site d’abattage de porcs de Lampaul-Guimiliau. Ce dossier suscite de l’espoir. Quel soutien le Gouvernement peut-il encore apporter en la matière, sachant que nous attendons beaucoup, aussi, de la solidarité professionnelle pour que se concrétise rapidement l’ouverture de ces 250 emplois ?

La filière volaille souffre également. Sur le territoire du pays de Morlaix, à Guerlesquin, les salariés de l’entreprise Tilly-Sabco se mobilisent pour le maintien de leur outil de travail. Deuxième exportateur de poulets français, le volailler est toujours suspendu aux aides financières, et ses 340 employés sont très inquiets de cette situation critique.

Par ailleurs, après dix-huit mois de redressement judiciaire, le sort du volailler Doux n’est toujours pas scellé.

Toutefois, en parallèle, sans faire de bruit, de nombreuses PME ont pris le chemin de l’innovation et de la valeur ajoutée dans le secteur agroalimentaire ; je pense à Savéol, à Whaou, à Sodebo ou encore à Père Dodu. Mais il faudra encore du temps pour que l’ensemble du secteur se redresse.

C’est donc un élan collectif qui, seul, permettra de retrouver les conditions d’une dynamique solidaire pour l’économie bretonne et l’emploi. Monsieur le ministre, quelle est, à ce jour, votre perception de la situation du secteur agroalimentaire en Bretagne ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, dans votre intervention relative au secteur agroalimentaire breton, vous avez particulièrement insisté sur les filières avicole et porcine.

Au sein de la filière avicole, vous l’avez dit, la filière volaille export connaît en particulier des difficultés, et ce non pas depuis quelques mois, mais depuis plusieurs années. Il se trouve que le redressement judiciaire de Doux a été engagé lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités. Quant à la société Tilly-Sabco, elle est toujours en situation de fragilité. Que fait le Gouvernement ?

Premier point, et premier message : il y a un avenir pour une filière export de poulets en Bretagne.

Deuxième point : il fallait éviter la dégradation de la situation de Doux. C’est ce que nous avons fait, en mettant en place un fonds de retournement et en organisant la mobilisation des acheteurs, en particulier saoudiens. Nous avons également mobilisé les moyens de l’État, en créant une fiducie pour permettre à Tilly-Sabco de faire face aux difficultés et d’éviter la liquidation.

Rien ne garantit, à terme, la viabilité économique actuelle. Toute la stratégie mise en place a pour objectif de faire venir des opérateurs industriels français, qui pourront investir et relancer une filière export, dont je veux dire aujourd’hui, ici au Sénat, qu’elle a un avenir.

Il existe des marchés extrêmement importants au Moyen-Orient. Nous devons nous organiser pour y trouver des débouchés. Les acteurs économiques actuellement mobilisés doivent trouver des solutions pour développer la filière export.

J’en viens à la filière porcine, dont les problèmes ne datent pas d’hier. La production, qui était en baisse dans ce secteur, se redresse aujourd’hui grâce aux mesures que nous avons prises, en particulier la procédure d’enregistrement des établissements classés.

En effet, un abattoir ne peut fonctionner qu’à partir d’un certain seuil, exprimé en nombre d’animaux abattus. Lorsque ce dernier diminue, les structures d’abattage sont mises en difficulté. C’est le cas en Bretagne, où la production a baissé de 7 % à 8 % par rapport à 2010. Je ne parle pas d’augmenter la production pour l’augmenter... L’objectif est de revenir au niveau de 2010 – et non pas d’aller au-delà ! – pour structurer les établissements d’abattage.

Vous avez évoqué le site de Lampaul-Guimiliau, où un abattoir a été fermé. Vous l’avez dit, un projet est actuellement en discussion. En même temps, à Josselin, un autre abattoir connaît des difficultés.

Des réunions ont été organisées, en particulier au niveau de la région, afin que l’ensemble des acteurs concernés se retrouve autour de la table et cherchent des solutions communes, collectives. C’est ainsi que l’on y parviendra !

Aujourd’hui, force est de constater que nous n’avons pas encore trouvé ces solutions. La réflexion est en cours, animée par la volonté de redresser la production pour pouvoir, ensuite, assurer la pérennité des outils de transformation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

santé en outre-mer

M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Robert Laufoaulu. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé et porte sur la santé dans les outre-mer.

Dans un tout récent rapport, la Cour des comptes a fait une présentation alarmante de la situation sanitaire dans les outre-mer français.

Constatant des difficultés persistantes, une prévention insuffisante et des systèmes de santé à la peine, la Cour rappelle que la République, si elle respecte les spécificités de chacun, est néanmoins une et indivisible et que l’État doit veiller à ce que soit assurée l’égalité de chacun dans le domaine de la santé.

Il est souligné, par exemple, que Wallis-et-Futuna est la seule partie de la France où l’espérance de vie recule. C’est d’autant plus choquant que la dépense courante par habitant en matière de santé y est la plus basse. L’état de santé des populations y est aussi le plus dégradé de tout l’outre-mer et de toute la République.

La Cour formule quatorze recommandations visant à agir plus efficacement pour la santé en outre-mer, selon une stratégie d’ensemble pluriannuelle permettant de réduire les écarts les plus graves en termes d’accès aux soins et d’égalité des chances.

Quelle suite le Gouvernement compte-t-il donner à ces diverses recommandations ? Une stratégie d’ensemble dotée d’outils d’évaluation réguliers sera-t-elle mise en place ?

Concernant la treizième recommandation, au travers de laquelle la Cour demande que la dette de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna soit apurée au plus vite – le président Jean-Pierre Bel connaît bien ce dossier, sur lequel il nous a soutenus –, quel calendrier comptez-vous mettre en place ?

Les mois qui passent en annonces d’apurement non concrétisées, malgré les promesses formulées publiquement par le Président de la République, font courir des risques accrus sur la santé déjà précarisée des populations de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Marisol Touraine, qui n’a pu venir répondre en personne à votre question.

Vous interrogez le Gouvernement sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la santé dans les outre-mer, lequel a frappé tous les esprits, au regard, à la fois, de la situation dont il faisait état et du caractère exhaustif de son diagnostic.

Il constitue un document très complet, se fondant sur un certain nombre de constats, en particulier sur la nécessité pour les politiques de santé de prendre en compte les spécificités ultramarines que constituent l’éloignement de l’Hexagone – parfois même l’isolement –, les risques naturels – cyclones, séismes – et l’existence de populations fragilisées et surexposées à certaines pathologies infectieuses ou chroniques, ou encore à la prévalence de certaines maladies génétiques, comme la drépanocytose.

Comme Marisol Touraine l’a rappelé avec force, ce matin, lors de la présentation des orientations de la stratégie nationale de santé, les actions en matière de santé, notamment la prévention dans l’ensemble de nos territoires, doivent être mises en œuvre. Elle veillera donc à ce que les avancées majeures contenues dans le projet de loi santé soient appliquées de manière adaptée – c’est bien la question ! – aux territoires d’outre-mer.

S’agissant du second sujet que vous avez abordé, le Gouvernement déplore tout particulièrement les difficultés auxquelles sont confrontés les Wallisiens lorsqu’ils doivent recourir à des soins médicaux. Il s’est engagé à consolider le fonctionnement de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna. Des moyens supplémentaires destinés à limiter son endettement seront donc alloués à cette dernière.

Nous soutiendrons également les investissements nécessaires pour assurer la prise en charge sur place et limiter autant que faire se peut les évacuations sanitaires.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est mobilisé pour protéger la santé de nos compatriotes ultramarins, et tout particulièrement pour rétablir la situation sanitaire de Wallis-et-Futuna, que vous avez décrite avec beaucoup de force et qui nous importe au premier chef. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Charles Guené.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Décision de l'Assemblée nationale sur l’engagement d’une procédure accélérée

M. le président. M. le président de l’Assemblée nationale a informé M. le président du Sénat que la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, réunie ce jour, avait décidé de ne pas s’opposer à l’engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Acte est donné de cette communication.

9

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
Discussion générale (suite)

Législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, présentée par M. André Reichardt et plusieurs de ses collègues (proposition n° 826, texte de la commission n° 613, rapport n° 612).

Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion générale avait été entamée lors de notre séance du 17 juin dernier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon collègue Roland Ries, qui devait intervenir mardi dernier dans la discussion générale, n’a pu le faire, faute de temps : à dix-huit heures trente, il fallait passer à la « niche » écologiste. Il regrette de ne pouvoir être présent aujourd’hui pour poursuivre la discussion de ce texte, et je reprendrai par conséquent une partie du discours qu’il avait l’intention de prononcer.

À plusieurs reprises ces dernières années, le droit local alsacien mosellan est revenu dans l’actualité. La proposition de loi que nous examinons n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’attachement qu’il suscite dans nos départements.

En préambule, je dirai mon regret que ce texte n’ait pu être préparé dans la recherche d’un réel consensus. Notre collègue député Armand Jung rappelait dans la presse locale : « Je n’ai pas été consulté, d’autres élus non plus. » Une concertation plus large, non partisane, l’inscription de ce texte ailleurs que dans une « niche » politique auraient sans doute mieux valu. En matière de droit local, en effet, il faut toujours une concertation.

Par ailleurs, la proposition de loi semble vouloir prendre de court l’installation de la commission du droit local d’Alsace-Moselle prévue par le décret du 23 janvier 2014. Cette instance se substituera à l’actuelle commission d’harmonisation du droit privé et elle a la volonté de créer une nouvelle dynamique.

Le débat ayant néanmoins été introduit de la sorte, il convient à présent de le poursuivre. Ce texte modifié et adopté par la commission des lois est l’occasion de procéder à une analyse sur la signification et l’avenir de ce droit local.

Nous le savons, ce droit local a été présenté après 1918 comme une mesure provisoire pour permettre aux populations d’Alsace et de Moselle de bénéficier d’une transition avant la mise en application complète du droit commun français dans les territoires rendus à la France. Il cumule les dispositions les plus sensibles maintenues du droit d’avant 1870 et des mesures sociales issues de la période bismarckienne : un régime local de sécurité sociale équilibré, un droit associatif particulier, des protections et droits sociaux appréciés, comme les jours fériés, un droit budgétaire communal et diverses dispositions organiques.

Sans reprendre les éléments historiques évoqués dans le rapport, je tiens tout d’abord à m’associer à la défense du droit local, qui est un ciment républicain pour l’Alsace et la Moselle.

Ce droit permet la conjugaison de spécificités historiques dont on ne niera pas la compatibilité avec l’attachement à la République française et à des avancées modernes indéniables. Je n’en citerai que deux exemples : le livre foncier et le Crédit mutuel. On reconnaîtra la robustesse de l’un, qui satisfait tous les professionnels du droit, ceux de l’immobilier et leurs clients, comme de l’autre, qui est progressivement devenu le second groupe bancaire français et un modèle coopératif.

Concrètement, ce droit ne régresse pas. Son maintien constitue une sorte de reconnaissance par la France de l’histoire et de la personnalité spécifique de l’Alsace et de la Moselle.

C’est cette nature complexe du droit local qui explique qu’il soit encore là, presque cent ans après le retour à la France. Certes, il ne représente plus qu’une part relativement faible de l’ensemble des dispositions légales applicables en Alsace et en Moselle, mais il a bien rempli son office. Il a inspiré de nombreuses évolutions législatives dans les domaines les plus divers : droit des assurances, procédure civile, autonomie communale, aide sociale et sécurité sociale, entre autres. La modernisation de la législation générale a ainsi ouvert la voie à l’unification législative, qu’il s’agisse de faire évoluer le droit local pour le rapprocher du droit national ou, au contraire, d’aligner le droit national sur le droit local lorsque celui-ci est en avance sur celui-là.

On a pu observer l’attachement des populations concernées par ce droit local. Il y a déjà quelques années, mon collègue Roland Ries a consacré un chapitre de son ouvrage L’Alsace et la gauche à ce sujet. Il a plaidé pour une approche progressiste de l’identité régionale.

La gauche a aujourd’hui compris que le droit local faisait partie de cette identité, et c’est la raison pour laquelle des hommes de gauche ont joué un rôle décisif dans sa prise en compte. Je rappelle que c’est un rapport d’un député – alors de gauche (Sourires) –, Jean-Marie Bockel, qui a lancé une réflexion qui a débouché sur la création de l’Institut du droit local alsacien mosellan, cité dans le rapport de Jean-Pierre Michel.

M. André Reichardt. Tout le monde peut se tromper ! (Nouveaux sourires.)

Mme Patricia Schillinger. Il est admis aujourd’hui que ce droit local n’est pas destiné à disparaître. Cependant, il doit être géré. En d’autres termes, il doit pouvoir s’adapter à l’évolution des circonstances.

Le Conseil constitutionnel a certes estimé que cette législation ne devait pas connaître d’évolution divergente par rapport au droit général, mais il a admis cette nécessaire adaptation. Cette préoccupation d’aménagement du droit local et de son évolution dans le sens de la modernité et de l’adéquation aux besoins des usagers est clairement soutenue par la gauche.

Aujourd’hui, le droit local ne doit pas être un objet de confrontation entre la gauche et la droite. C’est pourquoi nous aurions préféré être associés en amont à la rédaction de ce texte. Fidèle à la tradition de cette assemblée, chaque groupe aurait déposé le même texte, comme ce fut le cas encore récemment avec le texte relatif aux sociétés d’économie mixte à opération unique ou « SEM contrat ».

Il est vrai qu’il n’existe pas de cadre institutionnel communément reconnu pour réaliser cette concertation au niveau des élus. Mon collègue Roland Ries et moi-même proposons que, sur la base de cette expérience, nous lancions entre parlementaires de toutes tendances et des deux assemblées une réflexion pour établir un cadre opérationnel reconnu par tous, qui permette à l’avenir de garantir une meilleure concertation.

Par ailleurs, il est vrai que l’on peut avoir un sentiment de frustration à la lecture de ce texte, qui donne l’impression d’un certain fourre-tout, sans vision d’ensemble. Ce ne sont pas les sujets qui sont actuellement les plus importants pour le droit local qui sont abordés dans cette proposition de loi. Aujourd’hui, notre préoccupation concerne notamment l’avenir du régime local d’assurance maladie, comme je l’ai souligné dans mon rapport d’information sur l’étude de la Cour des comptes relative au régime d’assurance maladie complémentaire d’Alsace-Moselle.

Je remercie notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, de l’excellent travail qu’il a effectué et des auditions qu’il a menées. Ils montrent que les dispositions proposées ne sont pas si consensuelles et mériteraient une réflexion beaucoup plus poussée. Je le rappelle, aucun des sénateurs mosellans n’a voulu cosigner cette proposition de loi, alors qu’elle les concerne. C'est la raison pour laquelle le rapporteur avait proposé une motion de renvoi en commission du texte, non pour en ralentir l’examen, mais, au contraire, pour l’approfondir.

Mes chers collègues, permettez-moi maintenant de vous faire part, très brièvement, de mon sentiment concernant ces différents articles.

Si les articles 1 à 3 concernant les corporations m’ont semblé de prime abord intéressants, car ils permettent de trouver une solution rapide au problème du financement de ces structures, je suis malheureusement dubitative concernant leur constitutionnalité. Il s’agit clairement de contourner la décision du Conseil constitutionnel. Dans ces conditions, il n’est, à mon sens, pas prudent de risquer une nouvelle censure pour les corporations.

De même, la réintroduction de la taxe des riverains ne devrait pas plaire aux Sages du Conseil constitutionnel. Je m’amuse de voir que c’est la majorité à laquelle vous apparteniez alors qui l’avait supprimée en 2010, monsieur Reichardt.

M. André Reichardt. Je l’ai dit !

Mme Patricia Schillinger. Votre collègue Philippe Marini avait alors indiqué qu’un « dépoussiérage » s’imposait. Vous proposez de la réintroduire aujourd’hui. Or cet article 6, qui revient sur cette précédente abrogation, ne règle pas la question du cumul avec la taxe locale d’aménagement, qui avait pourtant vocation à s’y substituer.

En outre, l’article 8 évoque le repos dominical. Lors de ses différentes auditions, le rapporteur a pu constater que, s’il y avait un consensus des acteurs sur ce sujet, c’était pour attendre la mise en œuvre de l’accord signé le 6 janvier 2014, non pour qu’on légifère sur ce point. Cette question nécessite effectivement une certaine clarification, mais elle doit se faire avec l’ensemble des organisations syndicales et patronales. Je ne suis pas convaincue que la voie législative soit, à ce stade, la meilleure réponse à apporter aux questions sociales et économiques qui se posent.

Les dispositions relatives aux associations coopératives, qui figurent à l’article 7, me semblent bienvenues, de même que celles qui concernent, aux articles 4 et 5, l’informatisation du cadastre.

Enfin, s’agissant de la procédure de partage judiciaire de droit local, dont il est question à l’article 9, un approfondissement du dossier me paraît indispensable pour y voir plus clair.

Vous aurez compris que toutes les mesures proposées, et surtout la procédure suivie, ne suscitent pas mon enthousiasme. Il faut toutefois reconnaître que l’essentiel des dispositions présentées permet de prendre date pour améliorer le droit local.

C’est pourquoi, afin de permettre les évolutions, clarifications et modernisations nécessaires du droit local d’Alsace-Moselle, je ne m’opposerai pas globalement à cette proposition de loi, même si je persiste à penser que la méthode choisie et l’inscription de cette proposition de loi dans une niche politique partisane, à trois mois du renouvellement sénatorial en Alsace, n’est pas la bonne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler.

Mme Esther Sittler. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre du droit local d’Alsace-Moselle, qui constitue l’un des ciments de l’identité des habitants de ces trois départements.

Je tiens à remercier mon collègue André Reichardt, ainsi que l’Institut du droit local alsacien-mosellan, pour cette excellente initiative.

Ce droit spécifique a bien souvent, aux yeux des « Français de l’intérieur », une image quelque peu surannée, voire archaïque. C’est aussi le cas au sein même de notre vénérable assemblée. J’ai ainsi en mémoire les propos tenus par certains de nos collègues lors des débats sur la taxe des riverains. Les amendements proposés par notre collègue rapporteur de la commission des lois sont également le signe d’une perception erronée de nos spécificités.

Cette proposition de loi témoigne, au contraire, non seulement de la vitalité et de la capacité d’adaptation de notre droit local aux enjeux actuels, mais également de la pérennité de ses dispositions, toujours en vigueur cent ans après leur introduction en droit français.

Le mouvement de redynamisation du droit local est amorcé depuis une quinzaine d’années. Par plusieurs décisions successives, le Conseil constitutionnel a confirmé que le principe d’indivisibilité de la République n’impliquait pas une uniformité normative.

Nous sommes en outre passés d’une harmonisation avec le système juridique national à une intégration à ce système. La récente transformation de la commission d’harmonisation du droit privé en commission du droit local d’Alsace-Moselle, entérinée par décret, constitue un signe fort de l’attachement des pouvoirs publics à la législation applicable dans les trois départements. Dorénavant, les travaux de cette commission seront élargis à la modernisation de la législation locale, afin de lui redonner un second souffle et de la tourner vers l’avenir.

Enfin, des états généraux du droit local se tiendront en octobre prochain.

La présente proposition de loi ne constitue donc qu’une étape, mais une étape majeure de par l’importance et la variété des sujets abordés.

Le premier de ces sujets est celui des corporations. L’artisanat alsacien-mosellan bénéficie d’une législation spécifique avec deux types de corporations : les corporations libres et les corporations obligatoires.

En novembre 2012, le Conseil constitutionnel a estimé que l’affiliation d’office à un organisme disposant du pouvoir de s’ingérer dans la vie de l’entreprise en imposant à celle-ci des obligations spécifiques, voire en sanctionnant leur inobservation par des amendes, constituait une entrave à la liberté d’entreprendre, de même que, par voie de conséquence, la contribution des artisans aux frais de fonctionnement de l’institution.

Cette jurisprudence a profondément ébranlé et déstabilisé le monde artisanal, qui considère les corporations comme un ciment et un outil de résistance dans un contexte de crise économique et de concurrence des travailleurs de l’Est. Le Conseil a néanmoins ouvert la possibilité d’assurer leur pérennité, à condition de trouver un mode de financement alternatif.

Le présent texte vise ainsi à apporter une solution consensuelle, en prévoyant la création d’une redevance pour services rendus.

La réponse de Sylvia Pinel à une question orale posée par André Reichardt en décembre 2012 nous avait donné le sentiment d’avoir été entendus. La ministre avait en effet déclaré travailler « à recenser l’ensemble des dispositions relatives au droit local en Alsace-Moselle qui pourraient ultérieurement être remises en cause, à l’occasion d’une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel ». Selon elle, il s’agissait, pour le Gouvernement, « de stabiliser au plus vite le droit local et de mettre fin à l’instabilité juridique que les corporations connaissent ».

À ce jour, rien ne nous a été proposé. Pourriez-vous donc, madame la ministre, nous indiquer quel est le fruit des réflexions menées par le Gouvernement depuis un an et demi ?

L’article 4 traite de la numérisation du cadastre. Chacun s’accorde à reconnaître la grande précision et la fiabilité du système cadastral alsacien-mosellan. Il est aujourd’hui urgent d’en assurer la pérennité en facilitant la numérisation de croquis réalisés à l’encre sur papier. La proposition de loi, là encore, apporte à ce problème une solution très attendue.