Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais d’abord exprimer la solidarité et les sentiments fraternels du groupe écologiste aux victimes des attentats de Bruxelles, à leurs familles, à leurs proches, ainsi qu’à tout le peuple belge.

Nous savons la sidération et la douleur qui sont les leurs aujourd’hui, mais je voudrais aussi dire ma stupéfaction devant la récupération politique de ces tragiques événements à laquelle nous assistons depuis ce matin, de la part de quelques-uns de nos amis députés socialistes, taxant par voie de tweets la droite sénatoriale d’irresponsabilité, au motif qu’elle ne votera pas conforme la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Encore traumatisés par la tragédie de novembre, nous savons ce que vivent les Belges aujourd’hui : un peu d’humilité et de décence n’aurait pas été de trop… (Marques d’approbation sur les mêmes travées.)

La capture à Molenbeek par la police belge, en collaboration avec les services français, de Salah Abdeslam, dernier membre présumé en vie du commando des attentats du 13 novembre, démontre une fois de plus que ce n’est pas l’inflation législative qui résoudra le problème complexe de la menace terroriste.

La coordination et la coopération européennes en matière de renseignement et de police se révèlent en revanche vitales pour accroître l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Ni les événements récents, ni le fond ou la forme des débats de la semaine dernière n’ont infléchi notre position sur cette constitutionnalisation.

Sur la forme, d’abord, puisque le Premier ministre a annoncé d’emblée que la proposition du Sénat ne serait jamais adoptée par une majorité de députés, il aurait donc fallu, pour ne pas lui déplaire, que les sénateurs, dans leur pluralité d’opinions, taisent leurs convictions et votent conforme ce projet de loi.

Quand certains ont osé émettre des réserves, pointer les abus auxquels pouvait donner lieu la mise en place de l’état d’urgence et, parfois, renvoyer le Gouvernement à ses contradictions, la réponse de celui-ci a consisté à occulter les faits.

Monsieur le garde des sceaux, vous n’avez pas répondu à la remarque sur les abus liés à l’état d’urgence que j’ai faite lors de l’une de mes explications de vote. Votre silence est-il un aveu ?

Avant la deuxième prorogation de l’état d’urgence, on dénombrait 3 189 perquisitions administratives, menées de jour et de nuit, certaines avec grand fracas et parfois humiliation des familles, 541 armes saisies, 382 interpellations, 406 assignations à résidence. Par ailleurs, 200 poursuites judiciaires avaient été engagées, mais seulement quatre procédures effectivement en lien avec le terrorisme ont été ouvertes, sans parler des assignations à résidence abusives, comme celles qui ont visé de simples militants écologistes pendant la COP 21.

Peut-être est-il plus urgent de pister de futurs terroristes, de réformer nos services de renseignement, de raccourcir les délais d’intervention de la police, de mieux gérer le numéro vert, saturé le 13 novembre, ou la communication à l’intérieur de la police, de faire lire à vos collaborateurs les travaux des chercheurs sur le terrorisme, d’investir plus et mieux pour désendoctriner et réinsérer les candidats au djihadisme, d’assainir le terreau dans lequel celui-ci se développe…

À vous écouter, monsieur le garde des sceaux, la déchéance de nationalité ne concernera pas que les binationaux, elle ne vise que les terroristes, et ceux qui contestent une telle mesure n’ont rien compris ou sont des émotifs. Qu’importent les 5 millions de Français binationaux, qui se sont sentis stigmatisés, et tous ceux, binationaux ou pas, qui ont été scandalisés qu’un gouvernement de gauche soit à l’initiative d’une telle disposition !

Il est également à regretter que le président Bas, avec la bénédiction du Gouvernement, ait eu recours à un article du règlement réduisant à néant l’espace d’expression des opposants à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Plus de soixante-dix sénateurs issus de tous les groupes de notre assemblée étaient pourtant signataires d’amendements de suppression de l’article 2, amendements qui n’auront été ni défendus ni mis aux voix.

M. Philippe Bas, rapporteur. Ils ont été présentés !

M. Roger Karoutchi. Ils ont été défendus !

Mme Esther Benbassa. Le 16 novembre, à Versailles, le Président de la République, le Gouvernement et les parlementaires étaient unis par un sens aigu de leur responsabilité commune. Cela valait-il blanc-seing pour engager des réformes à visée parfois électoraliste et aggraver une inflation législative n’ayant pas prouvé, jusqu’ici, son efficacité ?

Mme Esther Benbassa. L’« unité nationale », brandie comme un étendard contre toute forme de contestation de vos mesures, n’est plus qu’une utopie mort-née. Décréter la déchéance de nationalité n’unit pas et rassure encore moins. Le débat sur ce sujet s’arrêtera sans doute aujourd’hui. Que l’article 2 soit retiré ou que le texte entier s’enlise, il est temps d’admettre cet échec et de passer à l’action pour combattre le terrorisme. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Comme annoncé lors de la discussion générale, le groupe écologiste votera contre cette révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette réforme constitutionnelle aura peu d’efficacité concrète. En revanche, elle marque symboliquement notre détermination face au terrorisme et à tout ce qui peut le favoriser. En l’espèce, je pense notamment au communautarisme musulman,…

Mmes Éliane Assassi et Bariza Khiari. Encore !

M. Jean Louis Masson. … dont l’une des facettes est l’augmentation exponentielle du nombre des binationaux.

En effet, il est affligeant que, sous l’influence de la pensée unique, on refuse de regarder la vérité en face. Ainsi, les médias, les grands partis politiques et les soi-disant intellectuels bien-pensants prétendent qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Cela n’a pas de sens, car personne ne pense un seul instant que tous les musulmans sont des terroristes ou que toutes les personnes issues de l’immigration sont dangereuses.

Mme Bariza Khiari. On n’en est pas loin…

M. Jean Louis Masson. Par contre, il faut avoir le courage de dire que les récents attentats terroristes ont été absolument tous commis par des musulmans extrémistes, lesquels étaient quasiment tous issus de l’immigration.

De même, les quatre présumés terroristes arrêtés la semaine dernière étaient tous des binationaux, en l’espèce un Franco-Marocain et trois Franco-Turcs. Là encore, il n’est pas question de dire que tous les binationaux sont des terroristes,…

M. Alain Gournac. Heureusement !

M. Jean Louis Masson. … mais, statistiquement, un binational a mille fois plus de chances qu’un Français de souche d’être un extrémiste radicalisé. (Vives protestations sur la plupart des travées.)

Mme Éliane Assassi. Dire ce genre de choses devrait être puni par la loi !

M. Michel Bouvard. C’est honteux !

M. Jean Louis Masson. Ce n’est pas moi qui le dis : ce sont les statistiques !

Mme Éliane Assassi. Il faut rappeler que le racisme est un crime !

M. Michel Bouvard. C’est une honte !

M. Jean Louis Masson. Plus généralement, il faut aussi cesser de travestir la vérité en prétendant que ces actes terroristes ne seraient que le fait de quelques illuminés. En effet, partout dans le monde, des pays sont mis à feu et à sang au nom de Mahomet, que ce soit à Bamako hier ou à Bruxelles aujourd'hui.

Ce ne sont pas des cas isolés. D’ailleurs, les attentats contre Charlie Hebdo ont été révélateurs, car, au cours de la semaine qui a suivi, des milliers de collégiens ou de lycéens issus des quartiers ont refusé de respecter la minute de silence. Pis, ils se sont même ostensiblement réjouis de cet attentat. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Il faut donc réagir avec la plus grande détermination contre les dérives du communautarisme musulman, qui est le terreau de la radicalisation.

M. Jean-Pierre Bosino. N’importe quoi !

M. Jean Louis Masson. Si on ne le fait pas, les extrémistes musulmans continueront à recruter et la situation ira en empirant. Or la binationalité favorise le glissement des intéressés vers le communautarisme.

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean Louis Masson. C’est en cela que la version de l’article 2 adopté par le Sénat est très positive, car elle met le doigt sur le cas des binationaux. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 13 novembre, les Bruxellois ont pleuré pour Paris. Aujourd'hui, nous pleurons pour Bruxelles, pour nos amis Belges. Nos pensées sont avec eux, même si notre devoir et notre mission sont de continuer le travail qui nous a été confié.

Le projet de loi de révision constitutionnelle dont nous avons été saisis suit un parcours chaotique – c’est un euphémisme ! –, cela parce qu’il est le fruit d’une accumulation d’ambiguïtés.

Il n’y a pas d’ambiguïté possible pour combattre Daech et le terrorisme, et je n’ai jamais douté de la volonté de l’exécutif, du Premier ministre, du ministre de l’intérieur d’accomplir jusqu’au bout leur très difficile tâche ; nous devons les soutenir dans cette lutte.

Ce projet de loi avait pour objectif affiché de rassembler les Français, de cristalliser dans la Constitution un moment d’unité nationale, d’union sacrée, pour rappeler celle qui, voici un siècle, cimenta la lutte contre l’agression. Un tel projet nécessitait une véritable concertation en amont avec les forces politiques représentées au Parlement, un consensus préalable et, bien entendu, l’absence de toute manœuvre venant de quelque bord que ce soit, démarche étrangère par nature à cette volonté de rassemblement et incompatible avec elle.

Si l’intention pouvait être pure, la réalisation a relevé de circonvolutions compliquées, révélatrices de contradictions et d’ambiguïtés constatées.

La réunion du Parlement en Congrès dès le 16 novembre fut une initiative heureuse, un grand moment de communion républicaine, d’émotion dans le meilleur sens du terme, marqué par le sentiment partagé qu’à travers chaque parlementaire c’était chaque citoyen, chaque quartier, chaque village qui exprimait rejet de la barbarie et attachement aux valeurs de la République.

Applaudir le chef de l’État, chanter La Marseillaise, c’était exprimer ensemble tout cela, c’était ce qu’attendaient de nous tous, à juste titre, les Français. Ce n’était point donner un blanc-seing à quelque texte que ce soit, à un moment où les Français sont préoccupés par la sécurité, par la mise en œuvre des moyens matériels et humains indispensables pour l’assurer, par les questions économiques, et non par l’accumulation de textes sans effet concret.

M. Jacques Mézard. Autre ambiguïté : ce projet de révision est-il nécessaire, est-il utile, au-delà des efforts de ses auteurs et, encore davantage, de ceux de notre excellent président de commission, Philippe Bas ? Il suffit de se plonger dans son non moins excellent rapport pour répondre que ce projet n’était ni nécessaire ni utile.

En ce qui concerne la constitutionnalisation de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a dit par trois fois depuis le 13 novembre que la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence était compatible avec la Constitution de 1958. Quant à l’argument selon lequel l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution protégerait les libertés, il est pour le moins réversible, car est-ce un progrès pour les libertés que de constitutionnaliser un troisième régime d’exception ?

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Mézard. C’est d’ailleurs si peu utile que de très éminents parlementaires ont expliqué aux médias que, si le projet était réduit à l’article 1er relatif à l’état d’urgence, l’article 2 sur la déchéance de nationalité étant supprimé, il n’y aurait aucun intérêt à réunir le Congrès : on ne saurait mieux dire !

Quant à la déchéance de nationalité, les médias ont exposé, voici quelques jours, le fond de la pensée du chef de l’État sur ce sujet : encore une ambiguïté, aggravée par la communication simpliste, voire tronquée, de certains médias.

Les Français ont en effet pu penser qu’il s’agissait de créer la procédure de déchéance de nationalité, alors que cette procédure existe déjà,…

M. Jacques Mézard. … que le Gouvernement l’a d’ailleurs, à juste titre, utilisée à plusieurs reprises ces derniers mois et que, comme l’a rappelé avec grande sagesse M. Badinter, il suffisait de modifier par une loi ordinaire l’article 25 du code civil pour atteindre l’objectif.

M. Hubert Falco. Exactement !

M. Jacques Mézard. Ambiguïté encore, car il est impossible de rendre compatibles la déchéance de nationalité pour tous et le refus de l’apatridie : c’est l’un ou l’autre, pas les deux !

J’ai entendu affirmer, ici et ailleurs, qu’il ne s’agissait pas de règles de droit, mais de symboles. Chacun appréciera, au moment où sécurité, emploi, pouvoir d’achat sont les priorités des Français, et non les discussions, certes passionnantes, sur ce texte.

Le groupe du RDSE votera très majoritairement contre le projet de loi, la plupart d’entre nous étant opposés au principe même de la révision constitutionnelle. Les autres, opposés au texte tel qu’il nous est soumis, s’abstiendront.

Je tiens à saluer la qualité des débats qui se sont déroulés au Sénat, dans un profond respect de toutes les opinions. Au sein même des groupes, tant majoritaires que d’opposition, des conceptions très divergentes, mais toutes respectables, se sont fait jour. Comment être indifférent aux propos pleins d’émotion de notre collègue Bariza Khiari sur les binationaux, à la fougue manifestée par M. Malhuret et par tant d’autres dans la défense des libertés individuelles ?

Je dois, une fois encore, saluer le travail de la commission des lois et de son président, qui a donné à ce projet de loi plus de clarté et de cohérence, et renforcé le respect des libertés.

C’est pourquoi, mes chers collègues, nous avons été profondément choqués par les attaques préméditées et totalement déplacées contre le Sénat venant, en particulier, de membres éminents de l’Assemblée nationale, voire de l’exécutif, qui ont reproché au Sénat « d’avoir commis une double erreur », de ne pas avoir cherché le « consensus », de n’avoir « pas essayé de reproduire » ce qu’avait fait l’Assemblée nationale… C’est tout le Sénat qu’ils attaquent, manifestant une fois de plus un profond mépris de la Haute Assemblée.

Monsieur le ministre, je sais que vous saurez vous faire mon interprète auprès de ceux de vos excellents collègues qui ont tenu ces propos. Quand on veut rassembler, on doit commencer par respecter : telle est ma conclusion ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais assurer le peuple belge de notre solidarité et de notre compassion. Nous nous souvenons que, pour Térence, « rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Chacun d’entre nous traduit aujourd’hui cette phrase ainsi : rien de ce qui touche nos amis belges ne nous est indifférent. Cet après-midi, nous nous sentons tous Belges, bien sûr !

Le discours que nous pouvons tenir cet après-midi n’est pas du tout celui que nous avions prévu avant que ne surviennent les événements de Bruxelles. Je voudrais cependant rappeler quelques évidences et quelques constats.

Tout d’abord, une arrestation ne fait évidemment pas le printemps de la paix. Nous sommes en face d’une organisation qui a la capacité de rendre coup pour coup. Tout se passe comme si Daech, qui subit un recul territorial, le compensait par une expansion et une capacité à frapper sur l’ensemble de la planète. Oui, nous sommes en guerre, dans une guerre qui ne dit pas son nom, dans une guerre qui s’est affranchie des codes militaires, des frontières et du champ de bataille ! Cette guerre ne connaîtra pas d’armistice et ne se terminera pas avec l’éradication de Daech.

Oui, nous sommes en guerre ! Nous sommes en guerre dans le long terme. Il faudra à la France une volonté farouche, une volonté tenace. Il faudra aussi que le peuple français se rassemble et que nous puissions nous montrer dignes de lui.

Jacques Mézard l’a dit à l’instant, le Sénat s’est montré digne dans tous ses débats, qui ont été d’une haute tenue. Je ne répondrai donc à aucune de ces attaques qui nous tirent vers le bas,…

M. Bruno Retailleau. … mais je tiens à remercier Jacques Mézard et Esther Benbassa. Pour se rassembler, il faut bien sûr se respecter. Je pense aussi, comme Péguy, que tout ce qui élève unit. Je ne me laisserai donc pas aller à quelque facilité que ce soit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mes chers collègues, je voudrais revenir sur nos débats. Quelle a été la position de la majorité sénatoriale, qui a fait preuve d’une cohésion absolument remarquable ? J’en profite pour saluer nos amis centristes, ainsi que mes camarades du groupe Les Républicains… (Sourires.) Nous avons dit, depuis le départ, que la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne nous semblait pas nécessaire, mais nous avons voulu tendre la main, tout comme nous l’avons fait sur la déchéance de la nationalité, qui a enflammé le débat.

Bien sûr, il s’agit d’une mesure symbolique, mais il nous est apparu que Daech mène aussi une guerre symbolique. En effet, les images du World Trade Center ont sans doute fait plus pour Al-Qaïda que ses succès militaires en Afghanistan, de même que les images des attentats de Paris et de Bruxelles feront sans doute plus pour l’État islamique que ses victoires passagères au Levant. Ne laissons pas à cette organisation dangereuse le monopole de la puissance du symbole !

Nous avons dit aussi que la France était une nation civique, fondée non pas sur l’hérédité et la naissance, mais sur la volonté et le consentement, et que, par conséquent, la déchéance de la nationalité était une sorte de prolongement naturel de notre pacte républicain. Quand il n’y a plus consentement, il est juste que la qualité de Français puisse se perdre. Puisque cette dernière s’acquiert par le droit du sol, il est légitime qu’elle se perde par le prix du sang des Français blessés, massacrés – ou des Belges, bien sûr. En revanche, nous avons dit non à l’apatridie.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Trois textes ont fait, ou vont faire, l’objet d’une délibération. Un premier texte a été délibéré en conseil des ministres au mois de décembre dernier ; un deuxième a fait l’objet d’une délibération à l’Assemblée nationale et, bientôt, un troisième texte sera le fruit des délibérations du Sénat. Sur ces trois textes, deux sont en concordance : celui qu’a adopté le conseil des ministres et celui que le Sénat s’apprête à adopter dans quelques minutes.

Monsieur le ministre, pourquoi reprocher au Sénat d’être fidèle aux engagements du Président de la République, notamment sur l’apatridie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.) La réalité m’oblige à vous dire que la droite sénatoriale était rassemblée, mais que la gauche était divisée,…

Mme Éliane Assassi. Non, le parti socialiste !

M. Bruno Retailleau. … comme nous avons pu le constater ici même, il y a quelques instants, en écoutant les explications de vote des différents groupes. Nous savons aussi que le Gouvernement lui-même était divisé. D’ailleurs, l’une de ses figures iconiques a démissionné, il y a quelques mois, parce que l’idée de la déchéance de la nationalité la heurtait profondément.

Faites-nous au moins la grâce d’admettre que le Sénat ne se contente pas d’adopter une posture : il s’agit bien de notre conviction, que nous avons, après le Président de la République, constamment réaffirmée. Nous n’avons pas changé de ligne. Ne demandez pas aux sénateurs de jeter aux orties leurs convictions !

M. Alain Fouché. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Le Premier ministre, au mois de janvier, avait dit, très exactement – je l’ai entendu –, que la déchéance de la nationalité ne serait pas conforme à nos valeurs ni aux engagements internationaux de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Aussi, expliquez-nous pourquoi la déchéance de la nationalité serait contraire à nos valeurs en janvier et, deux mois après, conforme à ces mêmes valeurs. Nous n’avons pas varié, monsieur le ministre !

M. François Marc. C’est laborieux…

M. Bruno Retailleau. Vous ne pouvez pas vous appuyer sur la position de nos amis du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale. En effet, mon collègue Christian Jacob, lors des explications de vote sur ce texte, a déclaré que la plupart des députés de son groupe ne donnaient pas un blanc-seing au Gouvernement, mais qu’ils voteraient le texte de l’Assemblée nationale pour que le Sénat le réécrive.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Bruno Retailleau. C’est ce que nous avons fait, et on ne peut pas rejeter sur le Sénat la responsabilité des divisions qui, à gauche, ont conduit à dénaturer l’engagement du Président de la République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Bruno Retailleau. Pour conclure, au-delà de la révision constitutionnelle, qui aboutira ou non, les Français nous attendent sur leur protection. Notre seule ligne, désormais, c’est la protection des Français, c’est l’unité de la France ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Bruno Retailleau. Je suis sûr que le peuple de France retrouvera en lui-même les ressources qui lui ont permis, dans le passé, de surmonter tant de drames, tant d’épreuves, pour que, demain, il soit un grand peuple, capable d’éradiquer Daech et le totalitarisme islamique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Ouverture du scrutin public solennel

M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, modifié.

Ce scrutin, de droit en application de l’article 59 du règlement, sera ouvert dans quelques instants. Il aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Colette Mélot, François Fortassin et Serge Larcher, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert et je suspends la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Proclamation du résultat du scrutin public solennel

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 184 :

Nombre de votants 348
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l’adoption 176
Contre 161

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de protection de la Nation
 

6

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.

situation intérieure à la suite des attentats de bruxelles

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Longuet. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

À l’image de l’opinion française, le Sénat, unanime, se tourne vers le peuple belge pour exprimer sa compassion et sa solidarité au regard des atrocités qui se sont déroulées ce matin à l’aéroport et dans les transports en commun de Bruxelles.

Monsieur le Premier ministre, je m’adresse à vous avec respect et gravité.

Avec respect, parce que vous avez la charge du gouvernement de la France dans un moment d’épreuve. Vous avez la responsabilité de l’action, pour laquelle nous n’avons jamais négocié notre soutien, dès lors qu’il s’agissait de mesures d’organisation juridique ou financière.

Avec gravité, parce que, au terme du vote qui vient d’avoir lieu dans cette assemblée, nous voulons vous dire que cette urgence et cette déchéance sont au cœur de nos préoccupations : l’urgence, c’est l’action ; la déchéance, car le fonctionnement normal de nos institutions exige d’aller au bout du dialogue pour sceller le pacte républicain.

Ma question est la suivante : quelle initiative allez-vous prendre pour que, sur un sujet aussi important, qui rassemble et divise au-delà des camps, nous puissions donner à l’opinion l’image d’un Gouvernement et d’un Parlement capables de présenter une réforme unitaire, telle que nous l’avions souhaitée à Versailles le 16 novembre dernier, et qu’il est encore possible d’obtenir si, respectant vos responsabilités constitutionnelles, vous vous efforcez de rapprocher les points de vue, et non pas de les opposer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, cher Gérard Longuet, comme le président Larcher a eu l’occasion de le dire voilà un instant, mes premiers mots et mes premières pensées vont naturellement vers Bruxelles, qui a été lâchement frappée ce matin par des attaques terroristes.

Je pense, nous pensons aux victimes et à leurs familles. Même si le Président de la République et les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur l’ont bien évidemment déjà fait, je veux de nouveau, ici au Sénat, assurer les autorités belges de notre soutien, de notre solidarité et, bien sûr, de notre amitié indéfectible.

Ces événements nous rappellent une fois encore tragiquement que nous sommes face à une menace globale. Nous sommes en guerre, comme je le dis depuis janvier 2015, en guerre contre l’islamisme radical, contre le djihadisme, contre le terrorisme, contre le fanatisme, et nous devons continuer à mener cette guerre avec détermination, avec les armes de l’État de droit et de la démocratie, c’est-à-dire avec les lois que l’immense majorité des sénateurs et des députés a votées.

Il y a eu deux lois antiterroristes, dont une dès l’automne 2012, que j’avais présentée ici même. Nous avions ensemble déjà détecté ce qui faisait la particularité de cette menace terroriste et de ce terrorisme, à savoir l’existence concomitante d’un ennemi extérieur et d’un ennemi intérieur.

Par ailleurs, nous avons fait voter deux lois sur le renseignement et apporté des moyens accrus à cette action. Jamais un gouvernement et un parlement n’avaient donné autant de moyens à nos forces de l’ordre et à nos armées pour lutter contre le terrorisme, mais il faudra aller encore plus loin dans la lutte contre la radicalisation, pour la justice et la sécurité de nos concitoyens, et accorder bien sûr des moyens encore plus importants.

C’est l’affaire d’une génération et il faudra engager une lutte de très longue haleine, très difficile – je le dis avec gravité et je vous remercie d’ailleurs, monsieur Longuet, du ton et des mots que vous avez employés – contre ces phénomènes de radicalisation, qui concernent aujourd’hui des milliers de jeunes en France.

C’est l’affaire d’une génération, qui devra faire l’effort de cette prise de conscience. Cette lutte nécessitera l’engagement de l’ensemble de nos services publics, mais aussi de la société.

Nous vivons une situation caractérisée par un niveau de menace jamais égalé, comme le ministre de l’intérieur le rappelait encore ce matin. Il faut une réponse à ce terrorisme qui nous frappe en France et en Europe, et celle-ci doit être européenne.

Ce terrorisme frappe les pays libres, les démocraties, les symboles, comme la Tunisie, le Mali, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire. Face à ce terrorisme, il y a bien sûr nos valeurs et notre démocratie à opposer, et il n’y a qu’une réponse possible : l’unité.

Il s’agit bien sûr de l’unité avec nos amis belges, mais aussi de l’unité de tous les États de l’Union européenne face au terrorisme. Il faut que l’Union prenne toute sa dimension sur ce sujet, car une Europe de la liberté doit s’accompagner d’une Europe de la sécurité. À cet égard, comme nous avons eu l’occasion de le dire voilà un instant à l’Assemblée nationale, il est temps que le Parlement européen adopte, par exemple, le dispositif de sécurité pour les passagers de compagnies aériennes, c’est-à-dire le PNR. En la matière, nous avons perdu assez de temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Il s’agit enfin de l’unité de la France, telle qu’elle s’est manifestée en janvier et en novembre 2015 autour des symboles de la Nation, comme je le disais ici mercredi et jeudi derniers.

Cette unité et ces valeurs, nous les défendons en poursuivant le débat démocratique. Le Sénat vient d’adopter à son tour le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, avec des modifications intéressantes pour ce qui concerne l’article 1er et des changements substantiels pour ce qui concerne l’article 2. C’est la preuve que la démocratie suit son cours, dans le respect du bicamérisme. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Nous avons eu des débats et des discussions, qui ont révélé d’incontestables désaccords. Il faut chercher à rapprocher les points de vue, car ma conviction personnelle, que rien ni personne ne fera changer, est que, face au terrorisme, il faut non seulement des réponses en matière de sécurité et de protection des Français, donc en termes de moyens, mais également des réponses symboliques.

Comme vous l’avez dit, monsieur Longuet, ce débat a divisé, ou tout du moins a eu lieu dans les deux camps politiques, pour reprendre une terminologie trop guerrière. En même temps, il s’agit d’un débat passionnant et passionné qui, contrairement à ce que j’entends, intéresse nos concitoyens, car nous nous posons ces questions que nous ne nous étions pas posées depuis des décennies : qu’est-ce qu’être Français dans ce moment-là ? Comment faire vivre la Nation, ce « plébiscite de tous les jours » ?

En ce qui me concerne, je considère qu’il faut continuer à avancer et à discuter, mais, monsieur le sénateur, il s’agit d’un débat non pas seulement entre le Gouvernement et le Sénat, ou entre la gauche et la droite, mais aussi entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

Aussi, le Gouvernement, avec les présidents des assemblées, sous l’autorité du Président de la République, ne manquera pas de prendre des initiatives, à condition de savoir où nous allons pour trouver le chemin du rassemblement, question que je posais ici même voilà quelques jours.

Les Français attendent de nous le rassemblement et – je ne le dis ici en aucun cas comme une menace, mais comme une exigence – ils ne comprendraient pas, très sincèrement, que l’Assemblée nationale et le Sénat, la majorité et l’opposition, ne puissent se mettre d’accord sur ce qui fonde notre pacte républicain et national. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à cette construction commune que je vous appelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)