compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Valérie Létard,

Mme Catherine Tasca.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président. J’ai reçu une lettre de Mme Marie-Christine Blandin par laquelle elle se démet de son mandat de sénatrice du Nord, à compter du lundi 3 juillet.

M. Henri de Raincourt. Quel dommage !

M. le président. Je voudrais saluer la manière dont Mme Blandin a accompli son mandat de sénatrice avec conviction, hauteur de vues et ouverture aux autres. Elle a notamment été, dans l’histoire de notre Haute Assemblée, la première présidente de la commission de la culture, de la communication et de l’éducation.

M. Joël Labbé. Bravo à Marie-Christine !

M. le président. En application de l’article L.O. 320 du code électoral, elle est remplacée par Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, dont le mandat de sénatrice du Nord a commencé le mardi 4 juillet 2017, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le président, lors du scrutin n° 104, notre collègue Robert Navarro a été comptabilisé comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Sénat. C’est en effet la première fois que vous siégez dans cet hémicycle au banc du Gouvernement. (M. le Premier ministre opine.) Je tiens également à saluer le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, ainsi que les ministres et secrétaires d’État présents à vos côtés, parmi lesquels je reconnais quatre anciens membres de notre assemblée. C’est avec plaisir, et bonheur, que nous vous accueillons cet après-midi.

Vous avez la parole, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Union Centriste et du RDSE. – Mme Aline Archimbaud et M. Jacques Chiron applaudissent également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, hier, M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur vous a, comme le veut la coutume, donné lecture de ma déclaration de politique générale. Au lendemain du vote de la confiance par l’Assemblée nationale, je ne pouvais qu’être devant vous aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour m’adresser directement à vous.

N’ayant pas eu le privilège de siéger parmi vous, je n’ai pas le plaisir de tous vous connaître. (Murmures sur plusieurs travées.)

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas grave ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ça viendra ! (Nouveaux sourires.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Sans doute… (Rires.) Certes, des visages sur ces travées me sont familiers et même amicaux. Certains ont jalonné mon parcours, d’autres m’ont aidé à le construire. Et je ne parle pas seulement de ces grandes figures de notre histoire politique – Victor Schœlcher, Victor Hugo, Georges Clemenceau ou, permettez-moi de le citer, le Havrais René Coty – dont les voix et les intelligences ont fait vibrer ces murs.

J’ai par ailleurs l’honneur de compter dans mon gouvernement d’anciens membres de votre assemblée.

M. Gérard Longuet. Les meilleurs !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le Sénat se confond avec la République.

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Il en est un pôle d’équilibre. Il est à la fois en prise directe avec le quotidien de millions de Français et à l’écart d’une certaine fébrilité politique. Cette sérénité démocratique est une chance. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.)

Hier, dans mon discours, j’ai commencé par rendre hommage à de nouveaux députés qui, par leur parcours, ont remodelé le visage d’une partie de la représentation nationale. Je sais que, comme vous, ils auront à cœur de nouer un dialogue fructueux pour faire avancer le travail parlementaire et pour faire réussir la France.

Si je les mentionne de nouveau aujourd’hui, c’est que je m’adresse à une assemblée qui, durant vingt et un ans, a confié sa destinée au petit-fils d’un esclave. Elle l’a fait à une époque où les préjugés étaient encore plus rudes et encore plus injustes que de nos jours. Vos prédécesseurs n’ont pas choisi Gaston Monnerville pour ses origines, mais pour ses talents, lesquels n’auraient pu s’épanouir si la République ne les avait pas reconnus et encouragés.

C’est de cette République, de cette France de l’égalité des chances, que je veux vous parler aujourd’hui, une France qui, dans les moments les plus difficiles de son histoire, a toujours été capable d’étonnants sursauts.

Cette France s’est exprimée durant la campagne présidentielle. Elle a exprimé sa colère, mais elle a aussi exprimé son optimisme et sa volonté de rassemblement.

Avant-hier, devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République nous a montré le cap : celui-ci est clair et sera tenu !

Les Français ont d’ailleurs, dans un souci de cohérence, donné au Président et au Gouvernement une majorité claire et incontestable au sein de l’Assemblée nationale.

J’ai eu l’occasion de le dire et le répète : je ne prends pas cette majorité pour un blanc-seing. Il est évident que, comme toutes les majorités, elle implique bien plus de devoirs que de droits. Parmi ces devoirs figure évidemment la nécessité de respecter les institutions démocratiques. J’y veillerai.

Mais la France doit avancer. Dans « notre cher et vieux pays », il existe une envie, une énergie, un espoir qui transcendent les courants politiques.

Le Gouvernement veut s’appuyer sur cette envie et cette énergie pour que la France retrouve confiance : j’ai eu l’occasion de le décliner hier, confiance en son action publique, confiance en sa justice, en sa sécurité sociale et en sa cohésion territoriale.

Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que, collectivement, nous fassions preuve de courage : courage devant les menaces terroristes et tout ce qui peut menacer la sécurité des Français ; courage devant le défi migratoire pour être fidèles à nos idéaux comme à nos responsabilités ; courage aussi pour préparer l’avenir de nos enfants en refondant l’école, pour rénover notre modèle social – il en a besoin –, pour réduire la dette et la dépense publique – c’est indispensable.

Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que la France redevienne conquérante, pour qu’elle redevienne une terre d’accueil des compétences, des entreprises, des investissements et des intelligences, pour qu’elle restaure la puissance de son agriculture, qu’elle saisisse la chance de la transition écologique et qu’elle assume pleinement sa vocation européenne et internationale.

Hier, j’ai indiqué la feuille de route du Gouvernement, son calendrier, sa méthode.

Je les résumerai en quelques mots-clefs : la collégialité, la sincérité, la recherche permanente de l’efficacité, et non de la popularité.

Hier, j’ai eu l’occasion de dire combien je pensais que l’exercice du pouvoir était avant tout un exercice de vérité. Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas impossible que, durant trop longtemps, notre pays ait pris la mauvaise habitude de s’arranger un peu avec la vérité. La Cour des comptes, avec ses mots, nous en a donné une triste illustration. J’y vois une des causes de la crise de confiance qui a secoué notre pays.

La vérité n’est pas bâtie dans l’antre des ministères et au sein des cabinets ministériels. Elle se construit et se constate parfois dans le respect et dans le dialogue avec les partenaires sociaux, avec les acteurs économiques, avec le monde associatif.

C’est pourquoi le Président de la République et moi-même avons voulu prendre le temps de la concertation, de la discussion, du dialogue avec les parties prenantes sur ceux des sujets qui structurent l’avenir du pays.

C’est le sens des États généraux de l’alimentation et de l’agriculture, des assises de l’outre-mer, des États généraux des comptes de la Nation et, j’y reviendrai, de la Conférence nationale des territoires.

Débattre d’un certain nombre de sujets à l’extérieur des assemblées avant de délibérer dans ces mêmes assemblées des actes législatifs censés mettre en œuvre les grands principes sur lesquels on s’est mis d’accord n’est pas une idée nouvelle.

Cette méthode a fait ses preuves. Beaucoup d’entre vous la connaissent, pour l’avoir pratiquée ici ou dans le cadre de l’action publique locale. Elle est efficace pour produire les normes et définir les règles qui seront acceptées de tous. Je veux donc associer des phases de discussion à l’extérieur des assemblées à d’intenses phases de délibération à l’intérieur de celles-ci.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux pas vous infliger une seconde lecture de ma déclaration de politique générale… (Murmures et sourires sur certaines travées.) Ce serait malvenu ! (Nouveaux sourires.)

Je ne veux pas non plus vous en infliger une lecture abrégée et commentée, vous n’en avez pas besoin. Non, je veux profiter de ma présence ici pour aborder deux sujets qui vous tiennent à cœur, deux sujets sur lesquels j’ai des choses à dire et, j’en suis sûr, des choses à apprendre de vous.

Le premier sujet est institutionnel.

Je crois au bicamérisme. Je mesure le rôle du Sénat dans le bon fonctionnement de notre démocratie, et c’est un ancien député qui vous le dit ! (Mme Catherine Troendlé sourit.)

Je connais la qualité de vos débats,…

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … je connais aussi la qualité de vos textes, de votre travail en commission. Je crois au bicamérisme et j’y tiens. Aucune démocratie ne fonctionne avec une seule chambre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et La République en marche, sur la plupart des travées du RDSE et du groupe Union Centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Mesdames, messieurs les sénateurs, j’y ai toujours cru, mais j’y crois plus encore aujourd'hui, et pas seulement parce que je vous en parle en ce moment,…

M. Roger Karoutchi. Ce qui est déjà considérable.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. …  - ce qui est en effet déjà considérable (Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) -… mais parce que le bicamérisme prend plus encore son sens aujourd’hui qu’hier.

D’un côté, nous avons une Assemblée nationale profondément renouvelée. Ce renouvellement était nécessaire. Il était voulu par les Français. Il a été démocratique, clair. Il est une chance pour notre pays.

De l’autre côté, nous avons un Sénat où siègent « des élus élus par des élus », des élus qui connaissent mieux que personne la réalité des territoires de la République et qui incarnent une expérience des territoires et du processus législatif.

Le Sénat a renoncé depuis longtemps aux clivages artificiels. On y pratique le sens du consensus et du compromis. On y aime la discussion, le dialogue. On sait y marier les bonnes volontés.

Le Sénat, de ce point de vue, a probablement largement anticipé la logique que nous connaissons aujourd’hui.

Cette expérience, nous en aurons besoin pour préparer les réformes constitutionnelles dont le Président de la République a dessiné les contours avant-hier, devant le Parlement réuni en Congrès.

Réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, limitation à trois du nombre de mandats successifs, suppression de la Cour de justice de la République, refonte du Conseil économique, social et environnemental, évolution du travail parlementaire pour le rendre plus efficace et, quand cela est nécessaire, plus rapide : ces réformes seront d’une ampleur dont je ne sais si elle est inédite, mais qui, à l’évidence, sera considérable.

Le Sénat, sous l’impulsion de son président Gérard Larcher, a pris les devants. Le 11 mars 2015, votre conférence des présidents a adopté 46 mesures qui ont conduit à une modification du règlement du Sénat le 13 mai 2015 et qui ont en particulier valorisé le travail en commission.

Cette expérience, vous aurez l’occasion de la faire valoir par l’intermédiaire de votre président dans le cadre de la réflexion qui s’engage avec le président de l’Assemblée nationale, le ministre d’État, ministre de l’intérieur, et la garde des sceaux. J’y serai pour ma part très attentif.

Elle nous montre une chose importante, que vous-mêmes en tant que législateurs avez en tête, à savoir que tout ne passe pas par la norme constitutionnelle ni même par la loi. En effet, à Constitution identique, les méthodes de travail peuvent être différentes. Pour régler les problèmes, il faut donc s’inspirer non pas simplement des modifications de normes, mais aussi des usages et des règles qu’adoptent les assemblées et qui fonctionnent bien.

Le second sujet que je voulais aborder avec vous concerne l’organisation territoriale de notre pays.

Je l’ai dit hier devant l’Assemblée nationale : les jardins à la française ont leur charme, mais ils se prêtent assez peu au foisonnement d’initiatives dont le pays a besoin et auquel les collectivités sont prêtes.

Nous voulons que les collectivités locales soient fortes et libres : libres de s’organiser en développant des communes nouvelles ou des regroupements de départements à condition, bien sûr, que ces fusions ne soient pas contraires à l’intérêt général ; libres d’exercer de nouvelles compétences ; libres aussi de mieux se les répartir au moyen, par exemple, du mandat de délégation ; enfin, libres d’expérimenter non seulement de nouvelles organisations et de nouvelles compétences, mais aussi de nouvelles règles d’exercice de ces compétences dans le cadre d’un élargissement du pouvoir réglementaire local.

Liberté et confiance, tels sont les deux fondements de la décentralisation d’aujourd’hui.

Une décentralisation qui ne se décrète plus depuis Paris, mais qui s’expérimente, se teste et s’adapte.

Il ne faut plus décider pour les autres – même si cela peut arriver –, il faut dans toute la mesure possible inciter !

Incitons les territoires à adapter localement leur organisation pour tendre partout où cela sera possible vers deux niveaux d’administration locale en dessous du niveau régional. Ce ne sera pas le même schéma partout. Essayons de susciter parmi les collectivités, leurs élus, les discussions qui nous permettraient, le cas échéant, à tel endroit de privilégier tel ou tel interlocuteur, à tel endroit, et librement, de privilégier telle ou telle autre organisation.

Cette simplification répond à une exigence de bonne gestion. Elle répond aussi à une exigence de lisibilité : l’empilement actuel n’est pas toujours compris de nos concitoyens.

Bien évidemment, cette liberté s’accompagnera de solidarité.

Une solidarité qui s’exprime d’abord, au niveau de l’État, au travers de la création d’un ministère de la cohésion des territoires dont le titulaire est issu de vos rangs.

Cette solidarité s’exprimera aussi par de grands chantiers sectoriels.

Dans le domaine de la santé : j’ai demandé à la ministre de préparer pour le mois de septembre un plan de lutte contre les déserts médicaux. Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet crucial pour l’égalité entre nos territoires. Ce plan sera construit dans le dialogue avec les élus locaux et les professionnels de santé pour trouver des solutions adaptées à chacun des territoires.

Ce sera long car, à l’évidence, il n’y a pas simplement un problème de répartition immédiate sur le territoire. Il n’est pas possible d’imposer depuis Paris une répartition brutale et immédiate des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire. Grâce à une meilleure organisation et de meilleures relations avec ceux qui défendent les intérêts des professions médicales, nous pouvons cependant faire en sorte d’améliorer cette répartition et de créer des mécanismes incitatifs pour que, au fur et à mesure de notre action, la question, terrible pour nos concitoyens, des déserts médicaux, qui ne se réduisent plus aujourd'hui à quelques territoires et deviennent presque la norme, puisse être résolue dans les meilleures conditions.

Mme Nicole Bricq. Dites-le aux ARS !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Dans le domaine de la mobilité : dès la rentrée, se tiendront également des assises de la mobilité. Elles associeront les usagers, les opérateurs, les collectivités territoriales et les associations engagées dans ce domaine.

Leur but est double. En premier lieu, il s’agit de bâtir une stratégie adaptée aux besoins des territoires, qui permette de mieux utiliser les infrastructures existantes en bénéficiant des possibilités offertes par le numérique, par exemple. En second lieu, elles visent à élaborer une programmation financière soutenable qui fera porter l’effort non plus sur les grandes infrastructures, mais sur l’entretien et la rénovation des réseaux actuels, qui, de toute évidence, ne sont pas satisfaisants.

Autre chantier sectoriel sur lequel le Sénat est devenu un expert : le numérique. Comme je m’y suis engagé hier, je souhaite un accès garanti pour tous et partout en France au très haut débit au plus tard en 2022. Mais, là encore, gardons-nous de raisonner uniquement en termes d’infrastructures. Pensons service : service à l’usager, service aux collectivités. Cette politique d’accès au numérique nous permettra de déployer de nouveaux projets : je pense notamment au « compte citoyen en ligne » qui pourrait devenir l’interface de base, la norme, entre les administrations et le citoyen.

Le dernier chantier concerne la revitalisation des petites villes et des bourgs-centres, trop longtemps négligée par les politiques publiques, alors qu’elle mérite à la fois une attention particulière et une stratégie propre à chaque territoire : la situation n’est pas la même en Alsace que dans le Massif central, ou en outre-mer. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Ces chantiers tendent vers un objectif : combler le fossé qui se creuse entre deux France que certains voudraient opposer, entre deux France qui se vivent parfois comme étant en opposition, alors qu’elles ne peuvent pas réussir l’une sans l’autre. J’entends par là bien sûr la France des métropoles mondialisées et la France dite « périphérique ».

C’est tout l’objet de la Conférence nationale des territoires que le Président de la République a souhaité constituer et dont la première réunion se tiendra mi-juillet. Si vous en êtes d’accord, celle-ci pourrait justement se tenir au Sénat. (Exclamations et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, La République en marche et Union Centriste, ainsi que sur la plupart des travées du RDSE.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. M. le président du Sénat pourrait y tenir le rôle éminent qui lui revient.

Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez évidemment représentés de façon permanente au sein de cette instance par ceux que votre assemblée aura désignés.

Un dernier mot peut-être sur les aspects financiers.

Je l’ai dit hier, la situation de nos finances publiques est plus que préoccupante, elle est grave. Nous devrons tous contribuer à l’effort de redressement. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains opinent.)

Je sais que les collectivités locales y ont déjà contribué, partout (M. Henri de Raincourt opine.), y compris dans les grandes villes portuaires… Je ne sous-estime pas, loin de là, les conséquences de ces efforts.

Je crois à la responsabilité des élus locaux, comme je crois à leur sens des réalités. Ils gèrent des budgets, parfois dans des conditions difficiles. Ils sont amenés à faire des choix, à assumer et parfois à revoir leurs priorités.

Je sais aussi que « faire avec moins » peut parfois – pas toujours ! – conduire à « faire mieux », c’est-à-dire à proposer des services plus simples, plus agiles et plus efficaces.

Nous ouvrirons le dialogue avec les élus pour bâtir une trajectoire commune de maîtrise de la dépense publique.

Nous engagerons également la réforme de la taxe d’habitation d’ici à la fin du quinquennat. Cela ne veut pas dire que l’on attendra la fin du quinquennat pour le faire. (Mme Françoise Férat s’exclame.) Cela signifie simplement que l’on conduira cette réforme pendant le quinquennat et qu’elle sera achevée avant son terme. Je tenais à le préciser, parce que certains ont pu se méprendre sur la portée des propos que j’ai tenus hier.

Je sais cette réforme attendue par les contribuables, mais redoutée par les élus. Alors, parlons-en. Parlons-en avec le Sénat et avec le Comité des finances locales pour réformer cet impôt, qui n’est pas le plus juste, sans porter atteinte à l’autonomie financière des collectivités territoriales. (Mme Pascale Gruny s’exclame.)

Ce sujet fiscal comme celui de la dépense publique seront évidemment au cœur de la prochaine Conférence nationale des territoires.

Au-delà de la taxe d’habitation, je crois pouvoir dire ici que les élus locaux, que les sénateurs encore plus que les élus locaux ont parfaitement conscience du caractère globalement insatisfaisant de la fiscalité locale. Celle-ci est souvent incompréhensible, largement illisible, globalement inefficace et, dans les faits, souvent corrigée pour faire face au problème du moment, si bien qu’elle est devenue, à bien des égards, un peu incohérente.

Je ne suis pas venu vous annoncer le grand soir ou la grande réforme de la fiscalité locale, tout droit sorti du crâne d’un spécialiste, que je ne prétends pas être. Mais là encore, dans nos échanges, dans nos travaux collectifs, nous pouvons partager ce constat et peut-être lancer ces réflexions au long cours qui, parce qu’elles sont bien conduites, notamment par le Sénat, finissent par prospérer et déboucher sur de bonnes réformes – il existe des exemples.

Nous pouvons tenter de parvenir, le moment venu, peut-être dans longtemps, une fois que l’ensemble des questions auront été débattues, à des finances locales et à une fiscalité locale plus satisfaisantes qu’aujourd'hui.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je connais comme vous les limites du politique, mais je ne crois pas à son impuissance.

Je sais ce que peut la volonté politique : je l’ai vu, comme beaucoup d’entre vous, en exerçant mon mandat de maire. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans les assemblées, nous sommes tous frappés par le contraste saisissant qui existe entre le constat souvent dressé d’un pays qui serait bloqué, comme arrêté, et l’incroyable transformation d’un certain nombre de nos territoires qui, grâce à l’action résolue d’élus locaux, la cohérence de la ligne qu’ils ont suivie, et au consentement qu’ils ont su obtenir de la part des citoyens eux-mêmes, ont connu des évolutions majeures et bénéfiques.

En parcourant la France, on peut constater les difficultés rencontrées par un certain nombre de territoires, mais aussi l’incroyable succès des politiques publiques conduites, un peu partout, par des élus locaux. Cela démontre que la politique peut, que lorsque la volonté est forte, la majorité stable, le dialogue réel, et lorsque la cohérence guide l’action, il est possible de réussir.

Cette méthode de travail, le Gouvernement la propose aux législateurs que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, en la complétant, bien entendu, par le respect et l’exigence de vérité.

Je vous propose d’œuvrer ensemble dans cet esprit, sinon de consensus, de débat, qui n’interdit ni la franchise ni la contradiction, et pourrait nous permettre, d’ici à la fin de ce quinquennat, de faire aboutir les réformes attendues par les Français et par les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, La République en marche et Union Centriste, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du RDSE.

M. Alain Bertrand. Monsieur le Premier ministre, je tiens à vous remercier, en mon nom, au nom de mon groupe et, peut-être, au nom des autres sénateurs, pour les propos que vous avez tenus sur la Haute Assemblée.

Les dernières élections présidentielle et législatives ont porté Emmanuel Macron à l’Élysée et lui ont donné une large majorité.

Les Français nous ont envoyé le double signal d’une exigence de résultats et d’une stratégie politique visant au rassemblement. Ils ont choisi de s’attaquer au chômage et de maintenir les fondamentaux de notre République sociale. Ils ont approuvé une stratégie de dédramatisation et de fertilisation de la vie politique, en répondant au président Macron qu’il fallait effectivement dépasser les anciens clivages entre droite et gauche pour plus d’efficacité.

Les Français nous invitent à privilégier ce qui nous rassemble et nous commandent d’obtenir des résultats.

Dans votre discours de politique générale, monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué une première thématique, la confiance.

Vous avez reconnu les progrès réalisés au cours des dernières années, mais indiqué qu’il fallait en faire d’autres. Nous vous soutiendrons dans votre volonté de restaurer la confiance dans l’action publique, tout en proposant des amendements sur certains sujets.

Par ailleurs, nous sommes comme vous opposés au voyeurisme et à l’absolue transparence. Nous devons tout autant reconnaître l’absolue honnêteté et le formidable travail de nos élus sur tout le territoire. Faire progresser la transparence, oui ; l’inquisition, non ! (M. Roger Karoutchi rit.)

Vous avez évoqué la réforme de la justice, qui se meurt par endroits, faute de moyens ou du fait de la disparition de tribunaux d’instance ou de grande instance. Nous soutiendrons la loi quinquennale de programmation des moyens de la justice, la création de 15 000 places supplémentaires de prison et la réforme constitutionnelle renforçant l’indépendance des magistrats. Nous partageons, bien sûr, les objectifs de rapidité et d’efficacité des actions en matière de terrorisme et de grande criminalité.

N’oubliez pas, monsieur le Premier ministre, que la justice s’exerce sur tout le territoire. Nous serons attentifs à ce que tout ne se concentre pas dans les métropoles, les capitales régionales ou les agglomérations.

S’agissant de la confiance, toujours, vous avez raison de penser qu’il faut rassurer les Français quant à l’avenir de la sécurité sociale ou du régime de retraite. C’est le cœur de notre république sociale !

Vous entendez éviter l’exclusion des soins et l’actuel accroissement des inégalités. Nous avons envie de vous soutenir sur ces sujets, mais la promesse d’une réduction de la fracture territoriale et d’une lutte contre les déserts médicaux nous a souvent été faite… Pour ce qui est du tabac, on sait que la seule augmentation des prix ne suffit pas.

Si je peux me permettre, monsieur le Premier ministre, soyez donc performant et rapide !

N’oubliez pas nos montagnes, nos ruralités, les transports héliportés, les hôpitaux locaux, la banlieue – la ruralité ne s’oppose ni à la métropole ni aux banlieues.

Sous ces réserves, donc, nous sommes avec vous et entendons aussi souligner que les hôpitaux – j’en préside un – travaillent avec un personnel en souffrance et des moyens réduits d’année en année.

J’en viens à un sujet sur lequel vous avez insisté dans votre prise de parole, et je vous en remercie : le lien entre État et territoires.

À l’instar du président Emmanuel Macron lors de son discours devant le Congrès – j’y ai été particulièrement attentif –, vous nous dites : « Confiance, liberté, partenariat, effacement du fossé entre métropole et ruralités ».

Ces ruralités, vous les appelez « France périphérique » ; au sein du groupe du RDSE, loin de les considérer comme des territoires à la marge, nous les appelons « le cœur de la France ». Les ruralités sont l’hinterland des métropoles, pas leurs dépendances !

Les idées avancées – encouragement des partenariats, expérimentations – sont bonnes. Le Président de la République a même évoqué des « pactes girondins », donc des pactes de décentralisation, de « démétropolisation », pourrais-je dire, de confiance avec les collectivités.

De ce point de vue, vous avez raison, la conférence des territoires pourrait être décisive à bien des égards.

Toutefois, des interrogations subsistent sur le financement des collectivités, mentionné précédemment, notamment l’aide apportée aux départements les plus ruraux pour faire face au transfert de charges de l’État. S’y ajoutent d’autres interrogations sur la prise en compte des charges de centralité – vous en avez aussi dit un mot en évoquant les bourgs-centres – et sur la révision des dotations de solidarité rurale, dont on parle depuis déjà très longtemps.

Par ailleurs, une large partie du territoire rural, les zones montagneuses et toutes les ruralités, est touchée par un fort sentiment d’abandon. Nous vous suggérons donc, à partir des travaux de la conférence des territoires, de réfléchir à une loi d’avenir sur les ruralités qui permettrait à votre gouvernement de répondre à cette attente colossale d’une très grande partie de la France, de remédier à un sentiment politiquement destructeur puisqu’il renvoie vers les extrêmes.

Votre deuxième thématique est celle du courage.

Nous sommes favorables à la sortie de l’état d’urgence au 1er novembre, à condition, bien sûr, de muscler l’arsenal législatif contre le terrorisme et l’insécurité, et de simplifier les procédures administratives imposées aux forces de sécurité.

Au sujet des migrants, nous soutenons la tradition d’accueil, la solidarité et la responsabilité affichées dans les actions que nous menons avec nos partenaires européens et qui, parfois, appelleraient une plus grande rapidité dans la mise en œuvre. Pour autant, sans angélisme, il convient d’accélérer les procédures et d’éviter les confusions avec les migrants économiques. Comme vous l’avez dit très justement : « Accueillir, oui, bien sûr. Aider, oui, évidemment. Subir, non, jamais ! »

Comme vous, nos constats sur l’école et l’enseignement sont parfois négatifs : absence de maîtrise de l’écriture et de la lecture, instabilité des organisations scolaires, baccalauréat désuet, échec important à l’université.

Les solutions que vous avancez, monsieur le Premier ministre, sont intéressantes. Nous vous suggérons d’aller plus loin, de frapper plus fort, plus définitivement, et comme pour la santé, d’envisager un véritable parcours de réussite scolaire pour tous, qui pourrait aussi commencer par une loi sur l’éducation parentale.

Nous approuvons également l’idée d’un nouveau service national pour tous.

Sur le modèle social, monsieur le Premier ministre, vous auriez pu choisir de commencer par la phrase suivante : « Les Français souffrent », ceux qui n’ont pas d’emploi comme ceux qui ont un emploi peu ou mal rémunéré.

La rénovation sociale que vous proposez en quatre points – dialogue social, pouvoir d’achat, sécurisation des parcours professionnels, système de retraite plus juste – est pertinente. Concertez et, là aussi, essayons d’aller vite !

Un point essentiel, il n’y a pas d’autre voie, et c’est ce que vous proposez, que de rendre du pouvoir d’achat aux Français. Sans cela, sous la pression des souffrances, des doutes, de l’absence de résultats et des extrémismes qui y travaillent, le corps social éclaterait.

Nous l’avons dit, nous soutenons les propositions consistant à accorder plus de liberté, alléger les charges et la taxation des entreprises, en un mot donner de l’agilité. Mais ce soutien n’est valable que si l’on s’attaque au chômage, certes, mais aussi aux bas salaires et aux faibles revenus, ce qui figure bien dans vos propositions.

La clef du succès est donc double, vous le savez. Il faut de l’équilibre.

S’agissant des finances, brièvement, vous avez rappelé que la dette s’élevait à 2 147 milliards d’euros et fixé un objectif de réduction du déficit annuel de l’État sous la barre des 3 % du produit intérieur brut. Nous ne pouvons que partager cet objectif.

Vous nous annoncez une baisse des prélèvements obligatoires de 20 milliards d’euros d’ici à 2022, avec trois leviers : la masse salariale du secteur public, les niches fiscales, les périmètres des politiques publiques.

Nous sommes très attachés, au RDSE, au signal républicain et à la fonction publique. Si des économies sont à dégager sur la fonction publique, cela ne peut être au détriment des ruralités, dans lesquelles celle-ci est déjà « à l’os ».

Nous vous invitons donc à privilégier l’abandon de certaines niches fiscales, sans efficacité réelle sur l’emploi, la redéfinition du périmètre des politiques publiques et, surtout, la réduction drastique du nombre – surréaliste – d’agences de tout poil et de comités Théodule existant dans notre pays.

La conquête constitue votre dernière thématique.

Nous partageons vos ambitions sur le plan économique. Il ne fait pas de doute que nous pouvons faire beaucoup mieux et créer plus d’emplois dans ce pays : alléger les charges salariales, réduire le taux de l’impôt sur les sociétés, supprimer le régime social des indépendants, ou RSI, protéger l’épargne productive, lancer un plan d’investissement de 50 milliards d’euros.

En revanche, les membres de mon groupe et moi-même tremblons un peu quand vous évoquez le numérique : cette promesse nous a déjà été faite au moins une vingtaine de fois dans cet hémicycle ! Or nous représentons de nombreux territoires dans lesquels, sans même parler du numérique, la téléphonie mobile, parfois fixe, ne passe pas.

Vos pistes sont bonnes, mais, monsieur le Premier ministre, commencez par le commencement ! Commencez par ceux qui souffrent le plus, non par ceux qui disposent déjà d’un équipement abondant, et n’oubliez pas de rattraper le retard en termes d’aménagement du territoire !

Sur le plan écologique, vous êtes réaliste et ambitieux.

En matière de logement, nous vous félicitons pour l’accélération des procédures. Mais vous devriez prendre l’engagement de diviser par deux tous les délais administratifs conditionnant des réalisations dans ce pays : permis, recours, autorisations, enquêtes, etc. Notre pays va à un train de pays riche ; il ne l’est plus, il faut accélérer !

Dans le domaine de l’agriculture, parmi les problèmes que vous avez évoqués, la répartition inégalitaire de la valeur entre producteurs et distributeurs, le dumping social et la prolifération des normes sont essentiels. Les États généraux de l’alimentation et de l’agriculture représentent, à ce titre, une excellente initiative.

Enfin, si nous sommes radicalement attachés à l’Europe au sein du RDSE, nous sommes aussi farouchement déterminés à ce que notre pays se montre plus ferme envers nos amis et partenaires allemands, et tout aussi ferme dans la négociation du Brexit avec nos amis et alliés britanniques.

Comme le Gouvernement, notre groupe réunit des progressistes de tout bord : des radicaux, des socialistes, des membres du parti Les Républicains, à l’instar de notre président, Gilbert Barbier, que je salue – je salue également Jacques Mézard, notre ancien président –, et des personnalités de gauche très connues comme Robert Hue et Pierre-Yves Collombat.

Ce groupe étant pluraliste, une minorité de nos membres ne partage pas la position que je viens d’exprimer. Pour rapporter leur position, j’indiquerai qu’ils considèrent votre politique comme une continuité des politiques antérieures et doutent qu’elle permette de sortir le pays de sa langueur économique.

Le RDSE, plus vieux groupe du Sénat, héritier des grandes traditions républicaines, va donc majoritairement vous soutenir, monsieur le Premier ministre,…