Sommaire

Présidence de M. Hervé Marseille

Secrétaires :

M. Claude Haut, Mme Colette Mélot.

1. Procès-verbal

2. Questions orales

conventions pour une politique en faveur de l’école rurale et de montagne

Question n° 23 de M. Alain Duran. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale ; M. Alain Duran.

secteur viticole et suites de l’épisode de gel du mois d’avril 2017

Question n° 25 de M. Philippe Madrelle. – M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation ; M. Philippe Madrelle.

retards de paiement des aides de la politique agricole commune

Question n° 18 de M. Michel Raison. – M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation ; M. Michel Raison.

situation des viticulteurs après les épisodes de gel de 2017 dans l’aude

Question n° 34 de M. Roland Courteau. – M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation ; M. Roland Courteau.

situation du personnel du lycée louis-massignon à abu dhabi

Question n° 3 de Mme Claudine Lepage. – M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ; Mme Claudine Lepage.

état du déploiement des réseaux numériques fixe et mobile

Question n° 6 de M. Hervé Maurey. – M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Hervé Maurey.

avenir des départements de la petite couronne

Question n° 13 de M. Christian Favier. – M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Christian Favier.

autorisations de construire déposées par les coopératives d’utilisation des matériels agricoles

Question n° 21 de M. Jean-Marie Morisset. – M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Jean-Marie Morisset.

redécoupage des zones de revitalisation rurale

Question n° 28 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

couverture en téléphonie mobile dans les zones rurales

Question n° 24 de M. Mathieu Darnaud. – M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires ; M. Mathieu Darnaud.

situation de l'aide à domicile

Question n° 1 de M. Dominique Watrin. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Dominique Watrin.

application de la décision n° 397151 du conseil d'état

Question n° 10 de Mme Laurence Cohen. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.

transport des greffons

Question n° 17 de M. Gilbert Bouchet. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Gilbert Bouchet.

tarification des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

Question n° 22 de M. Alain Milon. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.

financement des activités de l’hôpital marie-lannelongue du plessis-robinson

Question n° 32 de Mme Isabelle Debré. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Isabelle Debré.

procès de l’amiante

Question n° 33 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Yannick Vaugrenard.

éligibilité aux aides de la fondation du patrimoine des villes à secteur sauvegardé

Question n° 11 de M. Yannick Botrel. – Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; M. Yannick Botrel.

emplois d’avenir

Question n° 16 de Mme Nicole Bonnefoy. – Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture ; Mme Nicole Bonnefoy.

augmentation sensible de la taxe d’habitation dans les communes nouvelles

Question n° 20 de M. Michel Vaspart. – Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur ; M. Michel Vaspart.

difficultés rencontrées dans l’accueil des gens du voyage en haute-savoie

Question n° 9 de M. Loïc Hervé. – Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur ; M. Loïc Hervé.

présence judiciaire dans l’aisne

Question n° 4 de M. Antoine Lefèvre. – Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Antoine Lefèvre.

rénovation de la ligne polt

Question n° 2 de M. Daniel Chasseing. – Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Daniel Chasseing.

développement des ports de l’axe seine

Question n° 7 de Mme Agnès Canayer. – Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; Mme Agnès Canayer.

réhabilitation de la ligne libourne-bergerac-sarlat

Question n° 30 de M. Claude Bérit-Débat. – Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Claude Bérit-Débat.

contournement est de rouen

Question n° 26 de M. Thierry Foucaud. – Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports ; M. Thierry Foucaud.

santé publique et lutte contre les nuisibles

Question n° 12 de Mme Colette Mélot. – Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Colette Mélot.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

3. Hommage à Jean-Claude Gaudin, sénateur des Bouches-du-Rhône, vice-président du Sénat

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. le président

4. Rappel au règlement

M. Michel Le Scouarnec ; M. le président

5. Renforcement du dialogue social – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Article 9 (priorité)

Mme Marie-France Beaufils

Mme Élisabeth Lamure

Amendement n° 50 rectifié de M. Thierry Carcenac. – Rejet.

Amendement n° 150 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 151 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 152 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° 209 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.

Adoption de l’article modifié.

Article additionnel après l’article 9 (priorité)

Amendement n° 22 rectifié de M. Hervé Marseille. – Retrait.

Article additionnel avant l’article 1er

Amendement n° 88 de M. Dominique Watrin. – Rejet par scrutin public n° 127.

Article 1er

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Mme Évelyne Yonnet

M. David Assouline

M. Olivier Cadic

M. Dominique Watrin

Mme Laurence Cohen

Mme Annie David

Mme Éliane Assassi

M. Yves Daudigny

Mme Jacky Deromedi

M. Jean-Marc Gabouty

M. Martial Bourquin

M. Jérôme Durain

M. Philippe Adnot

Mme Dominique Gillot

M. Jean Desessard

M. Didier Guillaume

Amendements identiques nos 1 rectifié quater de Mme Marie-Noëlle Lienemann, 54 de M. Dominique Watrin, 156 de M. Jean Desessard et 182 rectifié ter de M. Martial Bourquin

Suspension et reprise de la séance

Amendements identiques nos 1 rectifié quater de Mme Marie-Noëlle Lienemann, 54 de M. Dominique Watrin, 156 de M. Jean Desessard et 182 rectifié ter de M. Martial Bourquin. – Rejet par scrutin public n° 128.

Rappel au règlement

Mme Nicole Bricq ; M. le président

Article 1er (suite)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

Amendement n° 162 rectifié de M. Jean Desessard. – Rejet.

Amendement n° 198 de M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Adoption.

Amendement n° 23 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.

Amendements identiques nos 68 rectifié de M. Maurice Antiste et 89 de M. Dominique Watrin. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 90 de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié ter de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Rejet.

Amendements identiques nos 69 rectifié de M. Maurice Antiste et 91 de M. Dominique Watrin. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 21 rectifié bis de M. Philippe Mouiller. – Retrait.

Organisation des travaux

M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales ; Mme la présidente.

Suspension et reprise de la séance

Article 1er (suite)

Amendements identiques nos 92 de M. Dominique Watrin et 183 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 242 au Gouvernement. – Rejet.

Amendements identiques nos 24 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne et 189 de Mme Françoise Laborde. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Retrait.

Amendement n° 25 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.

Amendement n° 5 rectifié bis de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Rejet.

Amendements identiques nos 71 rectifié de M. Maurice Antiste et 93 de M. Dominique Watrin. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Rejet.

Amendement n° 187 rectifié de Mme Élisabeth Lamure. – Adoption.

Amendements identiques nos 94 de M. Dominique Watrin et 184 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 188 rectifié de Mme Élisabeth Lamure. – Retrait.

Suspension et reprise de la séance

6. Demande d’avis sur un projet de nomination

7. Dépôt de documents

8. Renforcement du dialogue social – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Article 1er (suite)

Amendement n° 227 du Gouvernement. – Adoption.

Amendements identiques nos 26 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne et 95 de M. Dominique Watrin. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 190 de M. Jean-Noël Guérini. – Non soutenu.

Amendement n° 239 du Gouvernement. – Adoption.

Amendements identiques nos 27 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne et 96 de M. Dominique Watrin. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 97 de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 191 de M. Jean-Noël Guérini. – Retrait.

Amendement n° 185 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet.

Amendement n° 243 du Gouvernement. – Rejet.

Amendement n° 201 rectifié de Mme Élisabeth Lamure. – Adoption.

Amendement n° 240 du Gouvernement. – Adoption.

Amendements identiques nos 99 de M. Dominique Watrin et 186 rectifié bis de M. David Assouline. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 67 rectifié bis de M. Jean-Marc Gabouty. – Irrecevable.

Amendement n° 138 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Adoption, par scrutin public n° 129, de l’article modifié.

Articles additionnels après l'article 1er

Amendement n° 100 de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 180 rectifié de Mme Michelle Meunier. – Rejet.

Amendement n° 116 rectifié de M. Dominique Watrin. – Rejet.

Amendement n° 28 rectifié de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.

Article 2

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Mme Évelyne Yonnet

M. Roland Courteau

M. Olivier Cadic

M. Dominique Watrin

Mme Annie David

Mme Laurence Cohen

Mme Dominique Gillot

M. Yves Daudigny

Mme Catherine Génisson

M. Jean Desessard

M. Martial Bourquin

M. Daniel Chasseing

M. Michel Canevet

Renvoi de la suite de la discussion.

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Hervé Marseille

vice-président

Secrétaires :

M. Claude Haut,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

conventions pour une politique en faveur de l’école rurale et de montagne

M. le président. La parole est à M. Alain Duran, auteur de la question n° 23, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Alain Duran. Lors du précédent quinquennat a été mis en place, à partir de 2014, un dispositif inédit : les conventions pour une politique en faveur de l’école rurale et de montagne. Le 24 janvier de cette même année, le Cantal était le premier département à signer ce type de convention.

Promouvant une approche de concertation nouvelle, ces conventions prévoient l’accompagnement des territoires ruraux fragilisés par la baisse démographique en préservant l’existant et en apportant des moyens supplémentaires en personnels enseignants, au profit des collectivités. De leur côté, les élus s’engagent à conduire au niveau local une réflexion sur le réaménagement des réseaux d’écoles.

L’objet était double.

Premièrement, il s’agissait de construire une école rurale de qualité et de proximité, qui s’émancipe de la menace récurrente des effets comptables résultant de la démographie.

Deuxièmement, il s’agissait de maintenir un climat de travail serein et constructif entre les élus et les autorités académiques, au profit de la communauté éducative locale.

Au terme de la précédente législature, les élus de plus de quarante départements, sur les soixante-six éligibles au dispositif, avaient décidé, toutes tendances politiques confondues, de contractualiser, et plusieurs autres conventions étaient en cours de préparation. L’État a accompagné cette démarche en apportant de la visibilité, via des conventions triennales renouvelables, et en limitant le nombre de suppressions d’emploi, puisque pour la première fois, sur deux cartes scolaires consécutives, des dotations « ruralité » avaient été fléchées.

Alors que, pour les premières de ces conventions, signées en 2013-2014, approche l’échéance du renouvellement, et tandis que des départements qui avaient souhaité se donner un temps de réflexion envisagent à présent de s’engager dans la démarche, je souhaiterais, monsieur le ministre de l’éducation nationale, connaître les dispositions que vous comptez prendre pour poursuivre la mise en œuvre des conventions ruralités et, le cas échéant, pour engager également cette démarche en faveur des collèges en milieu rural.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale. Monsieur Duran, je vous remercie de votre question, qui aborde un sujet des plus importants pour l’éducation nationale et pour le pays. Je vous remercie également de votre rapport, que j’ai lu avec attention et qui pose très clairement la problématique.

Sur cette question, nous avons besoin d’une politique d’État continue et de long terme. Comme vous l’avez rappelé, ce dispositif a été mis en place à partir de 2014. Il a porté ses premiers fruits dans environ quarante départements, sur soixante-six éligibles. Tout en m’inscrivant dans une logique de continuité, j’ai la volonté d’aller plus loin, conformément à ce qu’a annoncé le Président de la République la semaine dernière lors de la Conférence des territoires.

Il convient d’abord de pouvoir toucher l’ensemble des territoires concernés. Comme je l’ai rappelé, seulement deux tiers des départements éligibles ont profité du nouveau dispositif. Il s’agit aussi de tirer les conséquences qualitatives de l’action engagée, pour essayer de faire mieux dans le futur. Dans cette perspective, nous devons concevoir ensemble, grâce à l’expertise que vous avez développée et en associant à la réflexion l’ensemble des acteurs, une deuxième génération de contrats, plus offensifs que les contrats actuels, afin de rendre les territoires ruraux plus attractifs et de ne plus se borner à mettre en avant des critères quantitatifs pour tenter d’éviter les fermetures, souvent en vain en raison des réalités démographiques. Comme vous le savez, au cours des prochaines années, la baisse de la démographie sera importante dans le premier degré.

Nous devons donc adopter une vision qualitative, afin par exemple de relancer une politique des internats en milieu rural et de mettre en place une politique d’innovation pédagogique, pour le premier degré comme pour le collège. Cela conduira parfois d’ailleurs à relier le premier degré et le collège et à instaurer un lien entre le CM2 et la sixième. Tout cela doit être articulé avec le renouveau des services publics en milieu rural, dans le cadre d’une politique générale cohérente.

En tout état de cause, monsieur le sénateur, je suis prêt à travailler avec vous sur ce sujet au cours des prochains mois.

M. le président. La parole est à M. Alain Duran.

M. Alain Duran. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. L’école reste souvent le dernier service public en zone rurale et contribue à l’attractivité de nos territoires. Je me félicite que vous vous inscriviez dans la voie de la coconstruction – la seule possible à mes yeux – entre les services de l’État et les élus de terrain, qui connaissent mieux que quiconque les problématiques, variables d’un territoire à l’autre.

secteur viticole et suites de l’épisode de gel du mois d’avril 2017

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 25, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Philippe Madrelle. Au lendemain des épisodes catastrophiques de gel des nuits des 27 et 28 avril derniers, qui ont frappé l’ensemble des appellations du vignoble bordelais – plus de 100 000 hectares en Gironde ont été touchés –, ainsi que d’autres régions viticoles du pays, les services de l’État, la région, le département, les chambres d’agriculture, les organisations professionnelles agricoles et viticoles se sont mobilisés afin d’accompagner au mieux les agriculteurs et les viticulteurs sur l’ensemble du territoire régional.

Au-delà des conséquences économiques et sociales auxquelles cette mobilisation générale a tenté d’apporter des réponses, il a été admis que cet épisode de gel a montré l’absolue nécessité d’un développement de la couverture assurantielle pour les viticulteurs.

Devant la multiplication des aléas climatiques, les viticulteurs, mais également tous les autres agriculteurs, doivent intégrer la gestion des risques dans la conduite de leur exploitation : le gel et la grêle sont des risques assurables non négligeables devant être intégrés de façon prioritaire dans la réflexion économique sur le développement des entreprises viticoles.

Si les systèmes d’assurance proposés ne correspondent pas forcément aux attentes des viticulteurs, en particulier à celles des propriétaires de petites exploitations, ils restent le meilleur rempart face à une telle catastrophe économique.

En Gironde, seuls 20 % des viticulteurs sont assurés et peuvent le faire : cette très faible proportion traduit les imperfections, les insuffisances et, surtout, le coût exorbitant du système assurantiel actuel. Les tarifs très élevés, conjugués à un taux de franchise de 25 %, n’autorisent pas les petits propriétaires à se protéger contre les risques. Comme le souligne Bernard Artigue, président de la chambre d’agriculture de la Gironde, « il est primordial de remettre sur la table tous les éléments pour améliorer le système d’assurance d’ici à la prochaine campagne et de le rendre plus attractif ».

Monsieur le ministre, je me dois d’être le porte-parole à cette tribune de trop nombreux viticulteurs de la Gironde qui doivent faire face à une situation préoccupante en multipliant les efforts pour maintenir l’activité de leur exploitation et contribuer ainsi à la survie de nos territoires ruraux. Vous reconnaîtrez que, pour ces viticulteurs, les tarifs prohibitifs de l’assurance représentent un frein à la souscription. Seule la solidarité nationale est en mesure de redonner espoir à toute une profession !

À la suite de cet épisode catastrophique, quelle réponse pensez-vous pouvoir apporter à ces viticulteurs en grande souffrance ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Je voudrais tout d’abord rendre hommage au secteur viticole français, qui porte l’image de notre pays à travers le monde.

Durant le mois d’avril 2017, la France a connu deux épisodes de gel qui ont affecté un grand nombre de régions et différents types de productions.

Plusieurs dispositifs peuvent déjà être mobilisés dans les différentes filières : recours à l’activité partielle pour les salariés, dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti si les pertes sont avérées, demande de report du paiement des cotisations sociales auprès des caisses.

Par ailleurs, afin de prendre en compte le caractère spécifique de la viticulture, le dispositif de prise en charge partielle par l’État à hauteur d’un tiers des frais de restructuration des prêts professionnels vient d’être élargi aux viticulteurs et prolongé jusqu’au 31 décembre 2017.

Les viticulteurs ont également accès au dispositif de prise en charge du coût de la garantie bancaire octroyée pour les prêts de restructuration de l’endettement bancaire ou de renforcement du fonds de roulement, qui est également prolongé jusqu’au 31 décembre 2017.

Si les pertes de récolte ne sont pas éligibles au régime d’indemnisation des calamités agricoles, les pertes de fonds consécutives à une taille sévère ou à la mortalité des jeunes ceps peuvent malgré tout être indemnisées.

Les préfets réuniront prochainement les comités départementaux d’expertise pour que ces derniers rendent leur avis sur le caractère de calamité agricole des dommages. Si le caractère exceptionnel des variations de température est confirmé, je reconnaîtrai rapidement le caractère de calamité agricole.

En outre, des mesures de gestion de crise complémentaires destinées au secteur viticole sont également développées pour conforter la résilience des exploitations. Il en est ainsi de la possibilité, pour les viticulteurs affectés par des sinistres climatiques, d’acheter dans certaines conditions des vendanges à d’autres producteurs afin de compléter leur récolte.

Sur le plan plus général de l’équilibre des marchés, le secteur viticole et celui des spiritueux sont de formidables moteurs pour faire rentrer des devises dans l’économie française. L’un et l’autre assurent une part très importante de l’excédent commercial français. L’état des lieux de notre agriculture qui a été dressé jeudi 20 juillet, lors du lancement des états généraux de l’alimentation, l’a démontré. Il faut néanmoins souligner que les importations françaises de vin sont en augmentation. C’est notamment le cas pour les vins espagnols, et cela déstabilise parfois nos marchés.

M. Stéphane Travert, ministre. Je rencontrerai, à l’issue de cette séance au Sénat, la ministre espagnole de l’agriculture lors d’un « comité mixte franco-espagnol ». Cet espace de concertation nous permettra, je le souhaite, de construire des positions communes pour préserver nos marchés et le fruit du travail de nos viticulteurs.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Vous avez rappelé tous les dispositifs pouvant être mobilisés pour faire face aux difficultés économiques. J’insiste néanmoins : il est urgent de revoir le fonctionnement de l’assurance récolte si l’on veut éviter de nouveaux drames dans le secteur viticole.

Aujourd'hui, le dispositif n’est pas abouti, puisque seulement 1 600 viticulteurs sur 8 000 sont couverts. Il convient donc, par des mesures simples, d’inciter les vignerons à souscrire massivement ces assurances. C’est la voie dans laquelle le Gouvernement doit s’engager !

retards de paiement des aides de la politique agricole commune

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, auteur de la question n° 18, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Michel Raison. Un nouveau et énième calendrier de paiement des aides de la PAC a été annoncé par le gouvernement Philippe I en juin dernier, la veille du départ de votre prédécesseur, monsieur le ministre.

Le règlement des retards devrait intervenir à la fin de juin pour ce qui concerne les aides du premier pilier, à la fin du mois de juillet pour les indemnités compensatrices des handicaps naturels au titre de 2016, et – c’est le comble ! – en novembre pour les aides « bio » et les mesures agroenvironnementales et climatiques, les MAEC, au titre de 2015. Les agriculteurs comprennent mal que, à l’heure où l’on parle beaucoup du bio et de la modernité informatique, les aides « bio » au titre de 2015 ne soient pas encore versées !

La complexité liée à la mise en œuvre de la « nouvelle PAC » 2015 pouvait à la rigueur justifier, à l’époque, quelques cafouillages. Mais que les retards s’accumulent et que les agriculteurs n’aient pas encore touché des aides dues au titre de 2015 est en revanche inacceptable, surtout dans un contexte de volatilité des prix et d’extrême fragilité de la trésorerie des paysans en raison d’une mauvaise campagne 2016 sur le plan climatique. Je connais même des agriculteurs qui ont été obligés de vendre un tracteur pour faire de la trésorerie !

À cet égard une partie des professionnels, las des engagements et annonces non suivis d’effet, menacent d’interdire l’accès des contrôleurs aux fermes tant que le solde restant dû n’aura pas été crédité sur leurs comptes. Vous héritez de cette programmation et ces engagements vous obligent. Vous les avez d’ailleurs confirmés le lendemain de votre arrivée au ministère de l’agriculture.

Au 25 juillet, le calendrier est-il respecté sur l’ensemble du territoire ? Surtout, quelle organisation mettez-vous en œuvre entre l’administration française et Bruxelles pour que cette expérience désastreuse en matière de paiement des aides ne se renouvelle pas ?

Pour que nos concitoyens retrouvent confiance dans l’action publique, il ne suffira pas de supprimer la réserve parlementaire ; il faut aussi mettre fin à tous ces cafouillages !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, vous avez raison. Cette situation n’était plus tenable et je comprends la colère des producteurs qui, depuis 2015, attendent le versement de ces aides.

Mon prédécesseur, Jacques Mézard, a présenté le 21 juin dernier un calendrier pour mettre fin aux retards de paiements accumulés depuis 2015.

Je ne sous-estime pas les raisons qui ont conduit à ces retards, mais j’entends corriger cette situation en prenant des engagements précis et en confinant ce que M. Mézard avait annoncé.

Cet engagement est important, parce qu’il s’agit de restaurer le crédit de la parole de l’État auprès des agriculteurs. C’est d’autant plus important que personne, ici et ailleurs, ne méconnaît les difficultés auxquelles sont confrontées, du fait de la baisse des prix à la production, l’ensemble des filières.

Je suis allé personnellement rencontrer les équipes de l’Agence de services et de paiement, l’ASP, dans leurs locaux, à Montreuil, et je leur ai donné des consignes très précises.

J’ai demandé à l’ASP de renforcer sans délai les moyens humains mobilisés pour le chantier de l’instrumentation des aides PAC pour que l’ASP et son prestataire informatique accroissent leur capacité à traiter en parallèle les chantiers du paiement des aides du premier et du deuxième pilier de la PAC. Je veillerai aussi à ce que les services d’économie agricole aient les moyens nécessaires pour traiter ces chantiers en parallèle cet automne.

J’ai eu l’occasion, avant d’occuper mes fonctions actuelles, de passer un après-midi à la direction départementale des territoires et de la mer de mon département, la Manche. J’ai pu constater combien ces difficultés étaient prégnantes. J’ai acquis la conviction que nous devions tout mettre en œuvre pour faciliter la vie des services d’économie agricole dans les territoires et tenir nos engagements.

Les priorités que j’ai fixées aux services et à l’ASP sont les suivantes.

Tout d’abord, il s’agit d’engager les paiements en novembre 2017 pour les mesures agroenvironnementales et climatiques et les aides à l’agriculture biologique pour la campagne 2015.

Dans la foulée, il convient de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que les paiements des MAEC et des aides à l’agriculture biologique au titre de 2016 soient versés au plus tard en mars 2018. Le paiement des MAEC 2017 sera initié dès juillet 2018, ce qui signifie que, pour ces aides, le calendrier « habituel » sera repris.

La campagne de télédéclaration s’étant achevée le 31 mai 2017, il faut réaliser l’instruction des aides 2017 du premier pilier pour permettre leur paiement dès février 2018. Une avance de trésorerie remboursable sera mise en place à la mi-octobre 2017 pour « compenser » le non-paiement des avances et des acomptes versés habituellement en septembre et en octobre.

Quant aux campagnes 2018 et suivantes, le calendrier « habituel » sera retrouvé aussi pour les aides du premier pilier, avec avance des paiements directs en octobre et paiement du solde en décembre. Je veillerai à ce que ce calendrier soit suivi et tenu.

M. le président. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Monsieur le ministre, vous bénéficiez d’un état de grâce et je vous fais confiance, mais nous resterons vigilants.

Une autre façon de régler le problème, à plus long terme, serait de simplifier la mécanique. Je n’en veux pas aux fonctionnaires qui pataugent dans un système complexe. Afin de réduire leur nombre et de permettre ainsi à l’État de faire des économies, il faudrait commencer par simplifier les choses ! Il en va de même pour notre système fiscal.

Monsieur le ministre, nous serons à vos côtés non seulement pour veiller au grain, mais aussi pour vous aider dans un esprit constructif.

situation des viticulteurs après les épisodes de gel de 2017 dans l’aude

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 34, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Roland Courteau. Comme d’autres régions françaises, le bassin viticole du Languedoc-Roussillon a été très fortement affecté par les épisodes de gel de 2017. Certaines estimations faisaient état de plusieurs dizaines de milliers d’hectares de vignes touchés, dont des pans entiers du vignoble du département de l’Aude.

Je souhaite donc attirer votre attention sur la situation de détresse des viticulteurs. Certains d’entre eux ont été touchés par la grêle de 2014 puis par la sécheresse de 2016, cela dans un contexte de mévente des vins et de concurrence déloyale des vins espagnols à bas prix.

Devant cette situation pour le moins alarmante –seulement 20 % des viticulteurs sont assurés contre les dégâts causés par le gel –, le Gouvernement est appelé à prendre toute la mesure de cette catastrophe économique et sociale en mettant en œuvre en urgence un certain nombre de mesures conjoncturelles et structurelles.

Sont attendues non seulement des mesures de dégrèvement d’impôt foncier, d’allégement des cotisations à la mutualité sociale agricole, la MSA, de prise en charge des intérêts d’emprunts et d’accès au chômage partiel pour les éventuels salariés des exploitations, mais également des aides spécifiques exceptionnelles, susceptibles d’être modulées pour les exploitants disposant d’une assurance récolte : il s’agit en fait de permettre aux sinistrés, notamment à ceux d’entre eux qui ne seraient pas assurés, de faire face à leurs besoins immédiats pour garantir la pérennité de leur exploitation, grandement menacée. Il importe de prévoir des mesures d’accompagnement pour les agriculteurs en difficulté, afin de préserver à la fois la vie des familles et les exploitations.

Par ailleurs, en raison des pertes de marchés qui pourraient s’ensuivre, il est demandé que soient prises toutes dispositions permettant d’autoriser des achats de vendanges par les vignerons sinistrés.

En outre, plusieurs autres dispositions doivent pouvoir venir en complément, telles que le lissage de l’impôt et une évolution de la fiscalité des stocks.

Autres mesures attendues, l’abaissement du seuil de déclenchement de l’assurance à 20 % de pertes, contre 30 % actuellement, et l’augmentation de la prise en charge des primes.

Je citerai également le problème posé par les importations de vins espagnols à bas prix, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Nous attendons beaucoup des pouvoirs publics !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, au printemps de 2017, la France a connu deux épisodes de gel qui ont affecté un grand nombre de régions et différents types de productions. C’est notamment le cas dans votre département de l’Aude, même si celui-ci a, semble-t-il, été moins touché que d’autres.

M. Roland Courteau. Je ne crois pas !

M. Stéphane Travert, ministre. Il mérite en tout cas toute notre attention.

Selon les premières estimations du service statistique du ministère de l’agriculture, la production française de vin serait cette année inférieure de 17 % à celle de 2016 et de 16 % à la moyenne des cinq dernières années. La production s’établirait entre 37 millions et 38,2 millions d’hectolitres, soit un niveau historiquement faible. Le gel de printemps aurait affecté fortement la production du Sud-Ouest.

Les dispositifs habituels peuvent déjà être mobilisés dans les différentes filières, comme je viens de l’indiquer à M. Madrelle : recours au travail partiel pour les salariés, dégrèvement de la taxe foncière, report du versement des cotisations sociales.

Pour bien prendre en compte le caractère spécifique de la viticulture, il est indispensable que, devant la multiplication des intempéries, les viticulteurs puissent assurer plus largement leur production. L’État soutient désormais le développement d’une assurance récolte contre les risques climatiques, incluant la grêle ou le gel. Ce soutien prend la forme d’une prise en charge partielle des primes, pouvant aller jusqu’à 65 %.

Sur le plan plus général de l’équilibre des marchés, le secteur viticole est un moteur de croissance de l’économie française. Néanmoins, nous connaissons actuellement une hausse des importations, liée à la faible disponibilité de vins d’entrée de gamme en France. Cette situation suscite des tensions fortes avec nos partenaires et amis Espagnols. Je condamnerai toujours les exactions perpétrées à la frontière franco-espagnole à l’encontre de transporteurs de vins espagnols.

Le renforcement en 2016 des enquêtes et contrôles menés par les services des douanes et de la répression des fraudes a révélé la portée limitée des fraudes relevant d’opérateurs français, et l’absence de fraudes de la part des opérateurs espagnols. Malgré cela, ces contrôles se poursuivront en 2017 et en 2018, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché.

Enfin, pour renforcer le dialogue entre la France et l’Espagne, j’irai présider, en sortant de ces lieux, un comité mixte franco-espagnol du secteur vitivinicole, qui se tiendra au ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Il est nécessaire de constituer des espaces de dialogue entre nos deux pays, pour trouver des solutions avec les professionnels et les acteurs des filières en vue de diminuer les effets des importations sur notre économie. Nous devons trouver ensemble des compromis pour que nos filières continuent de bien travailler et d’exporter, contribuant ainsi au dynamisme de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, vous avez raison de dire qu’il faut régler ce problème des importations de vins espagnols. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.

Je prends note de votre réponse s’agissant des épisodes de gel que nous avons connus, mais ces annonces suffiront-elles à rassurer les vignerons sinistrés ? J’y insiste, il ne faudrait pas que les épisodes de gel d’avril 2017, s’ajoutant à la grêle de 2014 et à la sécheresse de 2016 dans un contexte de marasme du secteur viticole, représentent pour les viticulteurs une sorte de coup de grâce. Il est essentiel que le Gouvernement tienne compte des situations de détresse que connaissent nombre d’entre eux.

situation du personnel du lycée louis-massignon à abu dhabi

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la question n° 3, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Claudine Lepage. Je voudrais appeler l’attention du Gouvernement sur la situation du lycée français Louis-Massignon, à Abu Dhabi.

Le personnel de cet établissement du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, m’a alertée sur la situation difficile à laquelle il devait faire face. En effet, l’AEFE a décidé de mettre fin à la mise à disposition de logements de fonction dans les locaux adjacents à l’établissement, pour se mettre en conformité avec la loi locale.

Les personnes occupant jusqu’à présent ces logements de service vont pouvoir bénéficier d’une compensation financière. Bien que ne couvrant pas le montant du loyer annuel pour un logement se situant à proximité de l’établissement, la compensation proposée est toutefois décente, selon les délégués du personnel.

Pour autant, cette décision de l’AEFE peut entraîner de grandes difficultés pour les personnels du lycée Louis-Massignon, notamment à l’occasion du renouvellement de leur visa. En effet, un contrat de location officiel est nécessaire pour l’obtenir. Or il n’est pas rare que les autorités locales expulsent des familles vivant dans des villas partagées de façon illégale de leur point de vue. La loi encadre en effet strictement les colocations : elles ne sont autorisées que dans certains cas, par exemple pour des employés de même sexe travaillant pour une même entreprise. Or, pour des raisons financières évidentes, certaines villas sont aménagées en plusieurs appartements, occupés par différentes familles.

Une autre règle applicable à Abu Dhabi est le paiement par avance d’une année entière de loyer, lequel est très élevé. Vous comprendrez donc les difficultés parfois insurmontables pouvant découler de ce système.

La menace pesant sur le renouvellement des visas des personnels et de leur famille a de graves conséquences : l’établissement pourrait à la fois être privé de son personnel actuel et manquer de candidats à l’avenir, ceux-ci risquant d’être découragés et de ne plus postuler dans de telles conditions. À terme, c’est donc l’existence même du lycée qui est menacée. Quelles solutions pourraient être mises en place afin d’assurer l’avenir de l’établissement ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, il a effectivement été décidé de mettre fin à l’occupation des logements dont bénéficiait un nombre limité d’agents, détachés ou en contrat local, du lycée Louis-Massignon d’Abu Dhabi. Cette décision a pour objet de se mettre en conformité avec la législation locale – c’est la moindre des choses – prévoyant qu’une emprise scolaire ne peut pas être utilisée à des fins résidentielles.

Devant cette situation, nous ne sommes pas restés inertes.

Les personnels résidants qui avaient bénéficié de cet avantage pendant environ douze ans ont été invités à prendre leurs dispositions et ont été accompagnés à cette fin. Dans le détail, trois d’entre eux ont demandé leur réintégration, un couple a obtenu sa mutation à l’étranger, sept autres personnes se sont relogées à Abu Dhabi, sans difficulté particulière semble-t-il.

En ce qui concerne les dix-huit personnels de droit local bénéficiant d’un ancien contrat avec logement, un dispositif compensatoire a été mis en place pour les accompagner. Il prend la forme d’une indemnité. Tout cela a été débattu avec les représentants du personnel. Nous espérons que ce cadre général permettra à chacune des personnes concernées de se loger.

Pour ce qui concerne le renouvellement des visas, les autorités françaises ne manqueront pas d’appeler l’attention des autorités émiraties sur l’intérêt qui s’attache à ce que l’établissement puisse continuer à fonctionner avec du personnel de qualité. Je ne doute pas que nous trouverions les voies et moyens de résoudre tout problème à cet égard, s’il devait s’en poser.

En ce qui concerne le paiement d’avance d’un an de loyer, il est difficile d’intervenir, s’agissant de relations d’ordre privé.

En tout état de cause, soyez assurée que ce lycée a un bel avenir devant lui. Des travaux sont prévus pour construire une nouvelle école maternelle, agrandir les espaces extérieurs et rénover les anciens bâtiments. Nous sommes tous mobilisés pour que ce lycée puisse continuer d’exercer ses missions dans les meilleures conditions.

M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Je vous remercie de vous être penché sur cette question, monsieur le secrétaire d’État.

Nous pouvons être fiers, à plus d’un titre, de notre réseau d’enseignement français à l’étranger. C’est un outil remarquable de notre diplomatie d’influence.

Cependant, des problèmes menacent son équilibre, qu’il s’agisse de l’indemnité spécifique liée aux conditions de vie locales, l’ISVL, dont le montant n’est pas toujours adapté au coût de la vie dans les pays les plus riches, du non-renouvellement des détachements, des frais de scolarité, très lourds pour la plupart des familles, ou encore de la pérennité des bourses scolaires.

Nos craintes sont fortes eu égard aux coupes budgétaires annoncées par le Gouvernement.

état du déploiement des réseaux numériques fixe et mobile

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 6, adressée à M. le ministre de la cohésion des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Hervé Maurey. Ma question porte sur l’état du déploiement des réseaux numériques dans notre pays, sur lequel il convient de faire un point en ce début de quinquennat.

Le classement de la France au vingt-septième rang des pays européens pour le très haut débit par la Commission européenne témoigne du retard considérable que nous avons pris.

Dans les zones d’appel à manifestation d’intérêt d’investissement, les zones AMII, les opérateurs n’ont commencé à procéder au déploiement des réseaux que dans 652 communes, seules 480 d’entre elles disposant d’une couverture supérieure à 50 %. Ces chiffres traduisent le non-respect du principe de complétude et un phénomène d’écrémage.

Pour ce qui est des réseaux d’initiative publique, les RIP, les collectivités territoriales, malgré la baisse des dotations, font un effort d’investissement considérable pour répondre aux attentes de leurs administrés.

En matière de déploiement des réseaux mobiles, les objectifs fixés par la loi dite « Macron » n’ont pas été tenus. Selon les derniers chiffres, plus de 550 centres-bourgs attendent encore d’être couverts en 2G, alors que cela devait être fait au 31 décembre 2016. Le même constat s’impose pour la 3G, avec une échéance qui était fixée au 30 juin 2017.

Au mois de juin en Haute-Vienne, et la semaine dernière encore lors de la Conférence nationale des territoires, le Président de la République a annoncé que l’ensemble du territoire serait couvert en 3G et en 4G d’ici à deux ans, en matière de téléphonie mobile, et en haut et très haut débit d’ici à la fin 2020, s’agissant des réseaux fixes, en faisant appel à un plus large mix technologique.

Comment faut-il interpréter ces annonces ? L’échéance de 2022 est-elle avancée à 2020 ou 2020 n’est-il qu’une étape avant la couverture en très haut débit prévue en 2022, comme l’a indiqué le directeur de l’Agence du numérique ? Le recours à davantage de technologies alternatives à la fibre n’est-il pas un marché de dupes en termes de débit ? Que faut-il penser des annonces de SFR, qui dit vouloir déployer le très haut débit sur l’ensemble du territoire sans argent public ? Pour ce qui concerne la téléphonie mobile, comment comptez-vous arriver à une couverture en 3G et en 4G dans les deux ans ? Enfin, le Président de la République a évoqué le recours à des mesures contraignantes à l’égard des opérateurs, comme le Sénat le préconise depuis longtemps : pouvez-vous nous en dire plus à cet égard ?

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Deux minutes et trente secondes pour répondre à autant de questions : c’est un défi !

C’est parce que le Gouvernement a conscience du retard tout à fait significatif de notre pays dans le déploiement du très haut débit et de la téléphonie mobile que le Président de la République a pris la décision d’accélérer les choses.

C’est comme cela qu’il faut comprendre l’annonce qu’il a faite la semaine dernière devant la Conférence nationale des territoires. Garantir le haut et le très haut débit à tous les Français dès 2020, c’est en réalité poser un jalon intermédiaire au regard de l’objectif d’assurer la couverture en très haut débit – soit 30 mégabits par seconde – pour tous en 2022, objectif qui demeure.

En d’autres termes, nous accélérons le processus et fixons une échéance plus proche pour être certains d’atteindre cet objectif. Telle est la feuille de route fixée par le Gouvernement.

Dans les zones les plus enclavées, là où le déploiement de la fibre est extrêmement coûteux, nous n’aurons d’autre choix que d’utiliser d’autres technologies, au moins pendant une certaine période : le satellite, la boucle locale radio, la 4G fixe. La couverture en téléphonie mobile 4G est donc un moyen de parvenir à ces fins. Nous n’avons pas de préférence a priori pour une technologie ou pour une autre, dès lors que l’accès à un très bon débit est garanti dès 2020.

La fibre pour tous doit rester un objectif de long terme, mais il serait irréaliste de la promettre dans les cinq ans qui viennent sur tout le territoire. Il faut être clair sur ce point.

Ces dernières semaines, nous avons entamé des discussions avec les opérateurs, à qui nous avons demandé quelles étaient leurs intentions en matière de déploiement sur le fixe et le mobile, et quelle était selon eux la meilleure solution pour atteindre les objectifs fixés par le Président de la République. SFR a été le premier à répondre, par voie de presse, en promettant de déployer la fibre sur tout le territoire sans argent public. C’est une bonne nouvelle, mais il faudra voir comment cela peut se concrétiser. Nous devons être vigilants sur le respect de ces annonces.

À la rentrée, nous arrêterons les grandes lignes d’un plan d’action. Nous voulons donner de la visibilité à tous les acteurs, nous assurer que les engagements déjà pris ou devant l’être seront bien respectés. Soyez certain, monsieur le sénateur, que nous serons particulièrement fermes s’agissant de l’utilisation des moyens de l’État.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Je vous remercie de ces éléments de réponse, monsieur le ministre. J’ai bien noté que 2020 représente un « jalon intermédiaire », pour reprendre votre expression, et qu’il ne s’agit pas, comme certains journalistes l’avaient compris, d’anticiper l’échéance de 2022.

Je me permettrai de souligner que cela n’est pas très nouveau : la feuille de route du précédent gouvernement, présentée en février 2013, prévoyait déjà que tous les Français disposeraient d’un débit minimal de 3 à 4 mégabits par seconde à la fin de l’année 2017. Ici même, en 2012, le Sénat avait voté une proposition de loi prévoyant que l’ensemble des Français bénéficient d’un débit de 2 mégabits par seconde à l’échéance du 31 décembre 2013 et de 8 mégabits par seconde à celle du 31 décembre 2015… En 2017, on nous fait les mêmes promesses pour 2020 : j’espère que, cette fois, elles seront tenues.

J’espère également que, en matière de téléphonie mobile, la situation sera considérée comme prioritaire. C’est sur ce point que les annonces du Président de la République sont le plus floues. Il s’agit d’un problème encore plus prégnant, pour nos concitoyens, que celui de l’internet fixe, pour lequel des solutions se mettent en place, grâce aux réseaux d’initiative publique notamment. Il importe vraiment que l’échéance annoncée par le Président de la République soit respectée, car cela fait trop longtemps que, dans ce domaine, les promesses ne sont pas tenues. Patrick Chaize et moi-même avons présenté, il y a deux ans, un rapport intitulé « Couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions » : ce titre n’a rien perdu de son actualité ! Nos territoires ont vraiment besoin de pouvoir disposer d’une véritable couverture numérique, fixe et mobile.

avenir des départements de la petite couronne

M. le président. La parole est à M. Christian Favier, auteur de la question n° 13, adressée à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Christian Favier. Lors de la Conférence nationale des territoires qui s’est tenue au Sénat le 17 juillet dernier, le Président de la République a annoncé sa volonté de « simplifier drastiquement les structures » du Grand Paris et de réunir une conférence territoriale pour aboutir à « une organisation institutionnelle stabilisée et efficace ».

Le Président de la République reconnaît ainsi que la création de la métropole sur le périmètre de la petite couronne n’a apporté ni la stabilité ni l’efficacité recherchées.

En affirmant son ambition de « tendre vers deux niveaux seulement d’administration territoriale en dessous de l’échelon régional », le Président de la République n’a pas pour autant levé les fortes inquiétudes qui s’expriment devant la volonté, souvent exprimée depuis 2009, de s’attaquer aux départements et aux communes, lesquels constituent pourtant les piliers de l’action publique, y compris en zone urbaine dense.

Le débat parlementaire sur la loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République et sur la loi MAPTAM de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles avait permis que soit écartée cette menace pesant sur l’échelon départemental. Aujourd’hui resurgit ici ou là l’idée saugrenue de fusionner les trois départements de petite couronne pour préparer leur « évaporation » au sein de la métropole du Grand Paris. Une telle perspective n’a aucun sens eu égard au rôle irremplaçable joué par les départements en matière de cohésion sociale en lien étroit avec les populations, rôle que ne saurait assumer une métropole de plusieurs millions d’habitants.

Cette fusion conduirait à la disparition de toutes les politiques originales décidées démocratiquement par des assemblées élues. Ce serait un véritable coup de force contre la démocratie locale ; j’entends m’y opposer avec la plus grande énergie.

Au-delà des rumeurs et des discours sibyllins, quels sont donc les projets du Gouvernement pour la métropole du Grand Paris et la place des départements de la petite couronne ? Quelle sera la méthode de concertation ? Quel est votre calendrier ?

Monsieur le ministre, la nouvelle majorité a été élue sur la promesse d’un changement des pratiques politiques et sur un engagement de transparence. C’est pourquoi j’aimerais obtenir aujourd’hui l’engagement clair qu’aucune décision ne sera prise sans concertation approfondie et sans l’accord majoritaire des habitants et des élus locaux.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, le Président de la République a clairement exprimé ici même son souhait que nous renoncions à une vision trop uniforme de notre territoire.

Plusieurs départements voisins, formant un territoire d’un seul tenant et situés dans la même région, peuvent demander, par délibérations concordantes de leurs conseils départementaux, à être regroupés en un seul. Le regroupement est rendu possible par les lois de réforme des collectivités territoriales de 2010 et NOTRe de 2015. Je ne rappellerai pas les débats auxquels j’ai longuement participé : vous connaissez ma position sur la nécessité de maintenir l’échelon départemental, sous réserve qu’une métropole importante ne soit pas implantée sur le territoire.

Le regroupement doit être validé par un décret du Conseil d’État.

Les élus des assemblées départementales des Hauts-de-Seine et des Yvelines ont voté, le 30 juin dernier, une délibération commune demandant à leurs présidents respectifs de concrétiser la fusion des deux territoires.

Ces deux départements voisins avaient déjà enclenché, en janvier 2016, un rapprochement, avec la création d’un établissement public interdépartemental, la mutualisation de plusieurs services et la création d’une société d’aménagement. Les objectifs affichés en 2016 par les départements étaient de rationaliser les dépenses de fonctionnement.

Le département des Hauts-de-Seine est inclus dans la métropole du Grand Paris. Celui des Yvelines est membre de l’association Grande Couronne capitale, rassemblant tous les départements de la grande couronne.

Je précise que la fusion des deux départements ne saurait préempter les choix à venir concernant la métropole du Grand Paris. Ce sujet sera abordé lors de la Conférence territoriale du Grand Paris annoncée par le Président de la République le 17 juillet dernier et qui se tiendra cet automne.

D’ici là, nous allons mener une concertation approfondie. Elle est déjà en cours, puisque j’ai commencé de recevoir les acteurs concernés. Il s’agit de dégager ensemble, avec toutes les collectivités territoriales concernées, les possibilités de rationalisation d’une structuration aujourd’hui trop complexe et unanimement considérée comme inadéquate.

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Je vous remercie d’avoir affirmé votre volonté de dialogue avec les élus locaux.

Ma question, cependant, portait non pas sur la fusion des Hauts-de-Seine et des Yvelines, mais sur l’avenir des départements de la petite couronne, à savoir la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine. Certains envisagent déjà leur fusion.

Nous avons besoin de connaître rapidement les pistes de travail du Gouvernement. Vous aviez promis la transparence ; nous sommes encore, je dois le dire, dans une situation de flou artistique. Les populations, les personnels, les élus des collectivités territoriales ont besoin de visibilité pour pouvoir se projeter dans l’avenir, après plusieurs années d’incertitude.

Je connais et partage votre attachement aux collectivités de proximité. J’espère que vous saurez résister aux pressions permanentes des technocrates tant de Bruxelles que de Paris, qui cherchent à affaiblir la démocratie de proximité au profit de superstructures – régions XXL ou métropoles – très éloignées des besoins des habitants.

Vous pouvez compter sur notre vigilance et notre détermination à défendre les intérêts de la population, qui est très attachée aux politiques publiques menées par les départements. (Mme Laurence Cohen applaudit.)

autorisations de construire déposées par les coopératives d’utilisation des matériels agricoles

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, auteur de la question n° 21, adressée à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jean-Marie Morisset. La réglementation applicable à ce jour aux autorisations de construire déposées par les coopératives d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, est symptomatique des carcans et des freins administratifs que doit supporter le monde agricole.

Créatrices de liens de solidarité, les CUMA sont un outil de développement durable de notre agriculture que l’on doit soutenir quand elles envisagent de construire ou d’agrandir des bâtiments nécessaires au stockage ou à l’entretien de matériel.

Malheureusement, la jurisprudence a longtemps considéré les CUMA comme des entreprises de services non directement utiles à l’activité économique agricole. Pour cette raison, les CUMA ne pouvaient construire dans les zones agricoles et naturelles des communes. Un exploitant agricole peut le faire, des exploitants agricoles regroupés au sein d’une CUMA n’y sont pas autorisés : cela peut paraître quelque peu paradoxal !

Nous pensions que la récente recodification du code de l’urbanisme aurait enfin permis de clore ce dossier et de laisser les CUMA réaliser leurs projets. Elle autorise, il est vrai, l’accueil des bâtiments des CUMA dans les zones agricoles et naturelles des communes, mais sous réserve que ces dernières soient dotées d’un plan local d’urbanisme – PLU – ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal – PLUI – et à condition de modifier celui-ci. Or vous savez, monsieur le ministre, à quel point les procédures d’urbanisme peuvent être longues.

Au-delà, c’est surtout le sort réservé aux communes actuellement dépourvues de document d’urbanisme ou disposant seulement d’une carte communale qui interpelle. Dans mon département, les Deux-Sèvres, sur un peu plus de 300 communes, un tiers n’ont aucun document d’urbanisme et une soixantaine ne disposent que d’une carte communale. Dans les faits, malgré l’engagement pris par le ministre de l’agriculture de l’époque, la récente recodification du code de l’urbanisme ne permet toujours pas aux CUMA de construire dans les secteurs agricoles et naturels de nombreuses communes soumises au règlement national de l’urbanisme.

L’article 80 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », comporte une disposition qui intéresse le droit de l’urbanisme. Elle vise à faciliter la réhabilitation et l’extension mesurée d’habitations agricoles. Sa rédaction est simple et l’intention qui la sous-tend est louable. Cette mesure de simplification concernant l’urbanisme patrimonial agricole ne pourrait-elle pas être étendue au bénéfice des CUMA, qui font vivre de manière intelligente et rationnelle notre agriculture dans nos territoires ruraux ?

Monsieur le ministre, je vous sais attaché à la simplification des procédures et à l’équité entre les communes : pensez-vous pouvoir modifier le code de l’urbanisme afin de satisfaire les demandes et les besoins des CUMA et apporter ainsi un soutien au monde agricole, qui en a tant besoin ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, vous savez l’importance que j’attache au développement des implantations dans nos territoires ruraux. Les CUMA y jouent un rôle très important. Un travail de réflexion avec la Fédération nationale des CUMA a été conduit par le précédent gouvernement pour faciliter la mutualisation des équipements et matériels agricoles, tout en assurant la préservation des espaces agricoles et naturels.

L’implantation des CUMA est encadrée, à l’instar de celle de toutes les autres constructions en zone agricole et naturelle. Le code de l’urbanisme a ainsi été modifié par le décret du 28 décembre 2015, qui autorise, dans les zones A et N des PLU, les constructions et installations nécessaires au stockage et à l’entretien de matériels agricoles par les CUMA. Cette solution d’équilibre permet d’autoriser les constructions et installations des CUMA dont l’implantation en zone A ou N apparaît justifiée, tout en excluant celles destinées à être implantées en zone urbaine, comme les bureaux des salariés des CUMA.

Dans les communes qui ne sont pas couvertes par un PLU, l’implantation de constructions dans les secteurs agricoles et naturels est également possible.

Dans les communes couvertes par une carte communale, il convient de délimiter un secteur constructible destiné à accueillir ces constructions et installations.

Quant aux communes encore soumises au règlement national d’urbanisme, ces constructions et installations devront faire l’objet d’une délibération motivée du conseil municipal, ce qui n’est pas une condition très difficile à remplir. L’avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers garantira, en outre, l’association des acteurs du monde agricole au choix du secteur d’implantation.

En résumé, je vous confirme donc la possibilité, dans le cadre établi par le droit actuel, pour les CUMA de construire dans les secteurs agricoles et naturels, y compris dans les communes non couvertes par un PLU.

Monsieur le sénateur, vous avez appelé mon attention sur la nécessité de simplifier les choses : c’est un objectif auquel, bien entendu, je souscris totalement. Dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif au logement, ainsi que sur un certain nombre d’autres dossiers, je donne pour instruction à l’administration d’aller résolument dans cette voie. J’observe toutefois que la simplification n’est pas toujours facilitée par les débats parlementaires…

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset.

M. Jean-Marie Morisset. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre, mais, vous le savez, il y a un fossé entre les réponses que l’on obtient de vos services et l’application sur le terrain. Il aurait été beaucoup plus simple de régler le cas des communes soumises au règlement national d’urbanisme quand on a recodifié le code de l’urbanisme.

Sur le terrain, les préfets et les services de l’État n’ont pas forcément la même vision. Le préfet des Deux-Sèvres avait d’ailleurs dû demander des précisions par écrit. Il serait bon de clarifier les choses. En ce moment, les services encouragent à élaborer des PLU ou des PLUI, en indiquant aux exploitants agricoles qu’ils auront le droit de construire lorsqu’un tel document existera.

redécoupage des zones de revitalisation rurale

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 28, adressée à M. le ministre de la cohésion des territoires.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ma question porte sur le redécoupage des zones de revitalisation rurale, les ZRR, à la suite du décret pris le 16 mars 2017 par le précédent gouvernement, qui a établi une nouvelle liste de communes éligibles à un dispositif largement remanié depuis le 1er juillet.

Ce décret fait suite à un amendement adopté lors de l’examen de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015, qui prévoit un nouveau zonage, fondé au niveau du périmètre intercommunal, et non plus à l’échelle communale, ainsi que deux critères sélectifs, à savoir la densité de population et le revenu par habitant.

Ainsi, un grand nombre de communes jusqu’alors intégrées au dispositif sont désormais exclues des ZRR. Par exemple, dans le département des Alpes-Maritimes, sept communes entrent dans le dispositif, tandis que vingt en sont exclues en application des nouveaux critères.

Certes, les communes exclues continueront à bénéficier du dispositif des ZRR durant une période transitoire de trois ans, mais ce sursis n’aidera en rien les élus de ces communes à conserver les acteurs et les opérateurs économiques sur leur territoire.

Créées en 1995, les ZRR sont un élément fondamental du maillage territorial dans nos départements. Elles ouvrent droit à un certain nombre d’avantages fiscaux, via des exonérations d’impôts nationaux et locaux qui ont jusqu’à présent fait l’unanimité.

La dernière proposition de loi que vous avez déposée sur le bureau du Sénat avant votre nomination au Gouvernement, monsieur le ministre, visait à revenir au mécanisme antérieur des ZRR devant l’« injustice » de la nouvelle législation pour les communes très rurales ou isolées, qui ont besoin du dispositif des ZRR pour lutter contre la désertification. Êtes-vous favorable à la réintroduction du dispositif initial des ZRR lors de l’examen de la prochaine loi de finances ou envisagez-vous la définition de nouveaux critères ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Je vous remercie, madame la sénatrice, de faire référence aux excellents textes que j’ai pu déposer lorsque j’étais membre de cette assemblée. (Sourires.)

Sachez que je n’ai pas pour habitude de revenir sur ce que j’ai dit. Vous l’avez rappelé, une réforme du système des ZRR a été décidée en 2015, avec application au 1er juillet 2017. Or entre-temps est intervenue la fusion des intercommunalités. Je persiste à considérer que cette réforme est néfaste et inéquitable. Je l’avais dit lorsque j’étais parlementaire ; je le redis aujourd’hui.

Comment réparer un certain nombre de conséquences de cette réforme qui peuvent paraître injustes, en particulier pour des territoires très ruraux ou de montagne ? Dans certains départements, on ne compte que des communes qui sortent du dispositif ; aucune n’y entre. Ce n’est pas le cas des Alpes-Maritimes, où vingt communes sont exclues et sept sont admises.

Si l’on modifie à nouveau le système, comment expliquer à toutes les communes nouvellement bénéficiaires du dispositif qu’elles vont devoir en ressortir ? Demandez à votre excellent collègue Bruno Retailleau ce qu’il en pense ! Dans la mesure où, en Vendée, il n’y a que des communes qui entrent dans le dispositif, il vous répondra sans doute, logiquement, qu’il veut le maintien de la situation actuelle.

Devant cette situation, j’ai interpellé mon administration pour savoir comment on en était arrivé là. Cette réforme a été décidée sur la base d’un rapport parlementaire rédigé par un député du Cantal et un député de la Haute-Loire, appartenant l’un à la majorité, l’autre à l’opposition. Je pense qu’il s’agissait d’une commande gouvernementale. J’en suis même sûr. On voit le danger de certaines missions parlementaires… (Sourires.)

La décision qui a été prise me paraît extrêmement critiquable. J’ai demandé à mes services une expertise juridique afin d’examiner les possibilités de limiter les conséquences de la sortie du dispositif. Je travaille sur ce dossier très difficile, et je ne doute pas, madame la sénatrice, que vous m’apporterez votre concours, y compris en déposant des amendements, lorsque nous débattrons de cette question pour essayer de trouver une solution positive.

Je maintiens ma position : ce qui a été fait n’est pas juste. Je le redis très clairement aujourd’hui devant vous.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je n’en attendais pas moins de vous, monsieur le ministre. Je me félicite que vous confirmiez aujourd’hui, en tant que ministre, la vision pragmatique que vous aviez défendue dans cet hémicycle en qualité de sénateur d’un département ô combien rural. Nous n’avons donc aucune raison de ne pas vous faire confiance. Vous avez souligné le caractère injuste et néfaste de cette réforme.

J’entends bien que les communes nouvellement entrées dans le dispositif ne souhaitent pas en sortir. Pour autant, l’injustice est flagrante pour les communes qui en ont été exclues. J’espère que nous parviendrons à trouver des solutions pour éviter que des communes rurales parmi les moins densément peuplées ne soient pénalisées. Je rappelle que la réforme du dispositif a été introduite au détour du vote d’un amendement à une loi de finances rectificative et est entrée en application dix-huit mois plus tard.

couverture en téléphonie mobile dans les zones rurales

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, auteur de la question n° 24, transmise à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Mathieu Darnaud. Ma question porte sur la couverture en téléphonie mobile des zones rurales de notre pays.

À l’heure de la généralisation de la fibre optique dans les villes, de nombreux territoires ruraux sont encore trop mal desservis. Or, monsieur le ministre, garantir un accès équitable de l’ensemble des Français aux télécommunications est indispensable à la cohésion entre les territoires ; je sais combien vous êtes sensible à cette question.

L’État doit donc agir avec les opérateurs pour permettre un déploiement qui tienne compte des spécificités locales. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a fixé des obligations en termes de couverture numérique du territoire aux opérateurs titulaires de fréquence : ceux-ci devaient achever le déploiement avant le 30 juin 2017, conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016. Nous sommes aujourd’hui très loin du compte !

De nombreux territoires ruraux subissent de graves difficultés liées à l’existence de zones dites « blanches » ou « grises », qui ne sont couvertes que par un seul opérateur, avec pour conséquence une couverture partielle, voire très partielle, des communes concernées. Dans le département de l’Ardèche, ces problèmes affectent particulièrement les communes de Saint-Laurent-les-Bains, de Laval-d’Aurelle, de Pranles, de Saint-Sauveur-de-Montagut, d’Issamoulenc, de Saint-Julien-du-Gua et de Chazeaux. Ils concernent non seulement les particuliers, mais également les entreprises et les services publics, dont l’activité se trouve considérablement ralentie.

Ce retard en matière de déploiement n’est pas uniquement dû aux manquements des opérateurs, mais également aux pouvoirs publics, qui tardent à faire construire des pylônes mutualisés permettant l’installation d’antennes relais.

L’État a lancé, le 12 décembre 2016, la plateforme France Mobile, opérée par l’Agence du numérique, en y associant les collectivités et leurs élus pour procéder dans les meilleurs délais à l’éradication des zones « blanches » et « grises ».

À la suite des informations récoltées par cette plateforme, je souhaiterais savoir quels moyens le Gouvernement est prêt à mettre en œuvre, en matière d’investissements publics, pour rattraper son retard dans la tenue des engagements pris.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la cohésion des territoires.

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je partage tout à fait votre avis : la couverture en téléphonie mobile doit être une priorité du Gouvernement. Les engagements formels pris par le Président de la République en la matière sont le gage de l’action que nous allons mener.

La situation actuelle est absolument insatisfaisante. Comme vous l’avez indiqué, un certain nombre d’engagements n’ont pas été tenus. Nous avons connu les zones « blanches », nous connaissons désormais les zones « grises ». Nous savons ce que c’est que de devoir aller se connecter devant la porte de la mairie. Pour ma part, je connais tout cela par cœur, étant issu d’un département rural…

Dans un premier temps, la couverture des 4 000 centres-bourgs était limitée aux services de téléphonie « voix » dans le cadre du programme « zones blanches en centre-bourg ».

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les opérateurs mobiles sont tenus d’assurer la couverture en services mobiles de troisième génération de l’ensemble de ces centres-bourgs. Le suivi du respect de cette obligation est assuré par l’ARCEP, qui publiera demain le bilan de ce suivi au 30 juin 2017.

Je peux d’ores et déjà vous dire, monsieur le sénateur, que les communes que vous citez, qui relèvent effectivement du programme « zones blanches en centre-bourg », bénéficient depuis peu d’une couverture en 3G.

Il nous appartient désormais de veiller à ce que les 541 centres-bourgs nouvellement identifiés en zone « blanche » depuis 2016 soient rapidement équipés de nouveaux pylônes qui permettent le déploiement effectif, par les opérateurs, des services mobiles de troisième génération aux habitants. Pour ce faire, l’État a déjà affecté près de 30 millions d’euros au soutien aux collectivités territoriales. Par ailleurs, nous travaillons à déterminer les modalités d’un meilleur accompagnement de ces collectivités, parfois de très petite taille, dans un exercice complexe et coûteux.

La plateforme France Mobile a déjà permis d’enregistrer plus de 3 500 signalements d’élus locaux, qui nourrissent les travaux que nous menons depuis plusieurs semaines avec les collectivités territoriales et les opérateurs de téléphonie mobile.

Nous devrons avoir conclu ces travaux avant la fin de l’année, afin d’engager dans les meilleurs délais le plan d’accélération massive du déploiement de la 4G que nos concitoyens attendent. Je puis vous assurer qu’il s’agit d’un objectif prioritaire du Gouvernement ; nous nous y tiendrons.

M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.

M. Mathieu Darnaud. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je suis particulièrement sensible au volontarisme que vous affichez. Je sais que vous connaissez très bien ce sujet. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’avenir de nos territoires ruraux. La couverture en téléphonie mobile est consubstantielle à la cohésion des territoires. Aujourd’hui, le déploiement de la fibre n’est pas encore effectif sur l’ensemble du territoire. J’ajoute que la défaillance de l’opérateur historique fait que, depuis trois mois, les habitants de nombreuses communes, notamment dans la région du Haut-Vivarais, ne disposent même plus du téléphone fixe.

L’accès à la téléphonie mobile est un enjeu essentiel : c’est une question non seulement de confort, mais aussi de sécurité pour les populations concernées. (Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Loïc Hervé et Cyril Pellevat applaudissent.)

situation de l'aide à domicile

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 1, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, vous connaissez la situation financière préoccupante de nombreuses associations d’aide à domicile. J’ai coécrit un rapport sur ce sujet il y a trois ans, et je parcours la France à l’appel d’élus départementaux désorientés, de responsables de structures aux aguets, de salariés à bout. Ceux-ci sont à 95 % des femmes. Les trois quarts travaillent à temps partiel. Ils payent de leur santé le manque de financement public et des conditions de travail dégradées : taux d’accidents du travail quatre fois supérieur à la moyenne, explosion des burn-out et des arrêts maladie en lien avec la robotisation des tâches et la perte de sens d’un métier d’abord relationnel.

Alors que les salaires sont au plus bas, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement annonçait une revalorisation, bien que trop timide, de la profession : augmentation d’un point d’indice et hausse de 2 centimes d’euro des indemnités kilométriques – « même pas une baguette de pain par jour », avais-je dit à la ministre de l’époque.

Cependant, dix-huit mois après la promulgation de la loi, ces maigres avancées ne sont pas totalement appliquées : certains départements retiennent les fonds, d’autres disent ne pas avoir reçu d’enveloppe budgétaire de l’État pour les frais kilométriques, des associations rechignent…

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour répondre à cette urgence que je n’ai pas vue mentionnée dans votre feuille de route, ce qui m’inquiète ? Débloquer les fonds, si nécessaire, et/ou sanctionner les récalcitrants ? Quand entendez-vous revaloriser la participation de l’État à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pour rémunérer le service rendu au juste prix, évalué en 2013 à 24,24 euros de l’heure par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA ?

Il est urgent que l’État consente cet effort financier, souhaité par 85 % des Français, pour répondre à la préoccupante crise de recrutement du secteur. Il s’agit là d’emplois utiles et non délocalisables.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, j’ai reçu l’ensemble des acteurs du secteur voilà quinze jours pour discuter avec eux de ces questions. Le maintien à domicile des personnes âgées est une priorité, et le restera.

Le secteur de l’aide à domicile fait l’objet d’un important soutien de l’État depuis de nombreuses années. L’allocation personnalisée d’autonomie à domicile a été réformée afin de favoriser le soutien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie.

À cet égard, vous évoquez des contributions financières nouvelles qui seraient imposées aux bénéficiaires de l’APA. Pourtant, la réforme a permis d’exonérer de participation financière les bénéficiaires les plus modestes, d’alléger le reste à charge des bénéficiaires, en particulier de ceux dont les plans d’aide sont les plus lourds. Elle a revalorisé les plafonds nationaux de l’APA, jusqu’à hauteur de 400 euros par mois pour le niveau de perte d’autonomie le plus élevé. Ces mesures permettent d’augmenter le temps d’accompagnement à domicile et d’élargir la palette de services mobilisables.

S’agissant de leur financement, il est garanti, de façon durable et évolutive, par la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA. Cette recette nouvelle permet d’accroître la part de la solidarité nationale dans le financement global de l’APA.

Pour ce qui concerne l’application de ces mesures par les départements, soyez assuré que j’y suis particulièrement attentive.

L’accompagnement de la mise en œuvre de la réforme par les départements est également assuré par un fonds instauré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Ce fonds d’appui est doté de 50 millions d’euros. Ces crédits peuvent soutenir les départements dans la définition d’une stratégie territoriale d’organisation et de pilotage de l’offre d’aide à domicile, afin de mieux répondre aux besoins. Ils permettent également d’impulser une démarche de qualité : cinquante départements sont en cours de conventionnement avec la CNSA dans ce cadre.

Les services d’aide et d’accompagnement à domicile, les SAAD, des autres départements peuvent également solliciter l’aide à la restructuration auprès des agences régionales de santé.

J’ai annoncé la mise en place d’un groupe de travail qui sera chargé de déterminer le meilleur modèle de financement pour les usagers, en limitant le reste à charge, et d’apporter une réponse pérenne aux difficultés économiques des structures. Ces travaux débuteront dès le mois de septembre.

Au-delà des outils mis en place pour accompagner les départements, je poursuivrai le dialogue avec les collectivités territoriales, notamment dans le cadre de la Conférence nationale des territoires.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Je vous rejoins, madame la ministre, sur le choix de donner la priorité à l’aide à domicile. C’est d’ailleurs la solution privilégiée par les usagers. Il faut préciser qu’elle représente un investissement avant de constituer un coût.

Vous avez rappelé ce qui a déjà été mis en œuvre, mais vous n’avez pas indiqué ce que vous envisagez de faire de plus concrètement. Vous avez ainsi évoqué la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, le déplafonnement, la diminution du reste à charge pour les personnes les plus dépendantes et la création du fonds d’appui aux structures.

Pour ce qui concerne les questions plus précises que j’ai posées, vous renvoyez à un groupe de travail. Le rapport Labazée renvoyait, quant à lui, à une commission… On n’avance pas !

Il est urgent que les gouvernements, quels qu’ils soient, prennent la mesure de la gravité de la situation. Ce sont 300 000 emplois, non délocalisables, qui pourraient être créés dans ce secteur. Celui-ci connaît des difficultés de recrutement, un taux d’absentéisme de 30 %, un important turnover, et un grand nombre de personnels sont proches de l’âge de la retraite.

Ce sont bien le manque de financements publics et la réduction par l’État de sa participation à l’APA qui créent les difficultés. À cet égard, deux fédérations d’employeurs, l’UNA et l’Adessadomicile, viennent d’alerter les parlementaires sur le fait que la valeur du point d’indice dans la branche augmentait de 3,34 % quand, durant la même période, le SMIC augmentait de 16 % : voilà l’explication de cette crise du recrutement !

J’attire aussi votre attention sur une décision de la Cour de cassation qui oblige les structures à rémunérer les temps de travail entre les vacations. Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour permettre aux structures d’appliquer la loi ?

application de la décision n° 397151 du conseil d'état

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 10, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, le 8 février dernier, le Conseil d’État a demandé à Mme Marisol Touraine, alors ministre de la santé, de prendre des mesures ou de saisir les autorités compétentes afin d’assurer la disponibilité de vaccins correspondant aux seules vaccinations obligatoires –antidiphtérique, antitétanique et antipoliomyélitique – prévues aux articles L. 3111-2 et L. 3111-3 du code de la santé publique. La licence d’office est l’une des pistes qu’il a ouvertes en vue de la mise en œuvre de cette injonction.

Le 15 juin dernier, dans une interview au Parisien, vous annonciez réfléchir à étendre l’obligation vaccinale à onze valences. Aujourd’hui, madame la ministre, vous semblez avoir fait votre choix. C’est une façon de répondre à la décision du Conseil d’État, mais en la détournant de son objectif premier, me semble-t-il.

Alors que la vaccination est une question de santé publique, une protection individuelle et collective indispensable, votre décision inquiète nos concitoyennes et nos concitoyens.

La couverture vaccinale est, hélas, en baisse en France, et il est important d’en appréhender les causes, qui sont multifactorielles. Les scandales sanitaires, les liens et conflits d’intérêts mis en lumière, le refus de remise sur le marché de vaccins sans adjuvants aluminiques y sont pour beaucoup.

Or votre décision, au lieu de contrer l’obstination des laboratoires à ne pas respecter l’obligation vaccinale en sortant un vaccin à trois valences, valide, dans les faits, leur stratégie. C’est grave, car ces grands laboratoires sont aujourd’hui en mesure d’influencer la politique vaccinale en France, y compris en organisant des pénuries.

Madame la ministre, ma question est simple : par quels moyens allez-vous mettre l’industrie pharmaceutique au service de la santé publique, loin des intérêts financiers, et comment allez-vous créer les conditions de la mise en œuvre de la licence d’office, au moins concernant la production des vaccins ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Je vous remercie, madame la sénatrice, de m’interpeller sur cette question des vaccins, extrêmement importante en termes de santé publique.

Nous le savons, l’obligation vaccinale est liée à l’histoire de la vaccination. La distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés est le fruit de décisions inscrites dans cette histoire : on pensait que se faire vacciner serait un mouvement naturel de la population française. Or cette dernière est désormais celle qui doute le plus de la vaccination, pour les raisons que vous avez évoquées : scandales sanitaires, problèmes survenus lors de la vaccination contre le virus H1N1… C’est pourtant dans notre pays qu’ont été découverts les grands vaccins, notamment celui contre la rage, par Pasteur, et le BCG, par Calmette.

En instaurant cette nouvelle obligation vaccinale, je veux souligner que ces vaccins sont sûrs. Je souhaite expliquer à la population française que si l’État prend une telle décision, c’est parce que mourir d’une diphtérie ou mourir d’une méningite, c’est toujours mourir… La distinction entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés ne repose sur rien.

Par ailleurs, notre couverture vaccinale ne cesse de diminuer. Aujourd’hui, elle ne protège plus les plus vulnérables. En effet, une couverture vaccinale de 95 % est nécessaire, selon l’Organisation mondiale de la santé, pour assurer cette protection. En France, elle atteint 80 % pour la rougeole et moins de 70 % pour la méningite. Nous faisons donc courir un risque non seulement à nos enfants, mais aussi aux personnes qui ne peuvent pas se protéger ou se vacciner. La vaccination est aussi un acte de solidarité.

Je tiens à faire œuvre de pédagogie en matière de vaccination. Cette démarche n’a absolument aucun lien avec l’industrie pharmaceutique, car celle-ci ne gagne quasiment pas d’argent avec les vaccins. Elle en gagne beaucoup plus avec les médicaments, notamment avec les antibiotiques, qu’il faudrait utiliser en cas d’infection.

L’enjeu est que les Français retrouvent confiance dans la vaccination. La licence d’office n’est pas une solution. Il faudrait qu’un laboratoire ait envie de racheter cette licence d’office et d’investir dans la production d’un vaccin qui n’existerait que pour la France, aucun autre pays ne connaissant d’obligation vaccinale limitée au vaccin DT-Polio. Il faut atteindre un taux de couverture vaccinale de 95 %, notre pays étant l’un des plus éloignés de ce seuil en Europe.

Je rappelle que l’Amérique du Sud a réussi à éradiquer la rougeole grâce à une vaccination de masse, tandis que la France connaît chaque année une augmentation du nombre des cas de cette maladie : dix enfants en sont morts au cours des huit dernières années.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je suis bien évidemment sensible à l’argument relatif à la protection de la population, mais votre réponse, madame la ministre, n’est pas la bonne. Plutôt que de s’engager dans cette fuite en avant, il faut écouter ce qu’ont dit les jurys de citoyens et de professionnels de santé lors de la concertation menée par le professeur Fischer : « Les effets indésirables pouvant découler de la vaccination représentent la plus grande crainte liée à la vaccination. Parmi ceux-ci on peut relever les craintes liées aux effets indésirables des sels d’aluminium, principal adjuvant, et leur possible toxicité. La question des sels d’aluminium est au cœur de la controverse. » J’avais déjà posé cette question à Marisol Touraine : pourquoi ne pas avoir écouté ces jurys, alors que l’on s’était engagé à le faire ?

En ce qui concerne la couverture vaccinale contre la rougeole, il faut savoir qu’elle est tout de même très forte pour un vaccin qui n’est pas obligatoire, puisqu’elle atteignait en 2014 le taux de 90 % pour la première injection, taux qui progresse régulièrement.

Au regard de ces éléments, est-il nécessaire d’imposer une mesure coercitive ? Je ne le pense pas. Il faut écouter les professionnels et les patients, qui sont inquiets. Nous devons non seulement développer l’information, mais aussi agir. Quand obligerez-vous les laboratoires à produire de nouveau des vaccins sans sels aluminiques ? Vous dites qu’il n’est pas possible d’imposer la licence d’office, mais d’autres pays, comme le Brésil, ont réussi à le faire, en s’appuyant sur des laboratoires publics. Le Gouvernement n’a pas la volonté de mettre en place un laboratoire public chargé de développer des vaccins et des médicaments : on s’en remet entièrement au secteur privé et aux choix qu’il opère. Madame la ministre, un vaccin à onze valences, ce n’est pas le même prix qu’un vaccin à trois valences !

transport des greffons

M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet, auteur de la question n° 17, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

M. Gilbert Bouchet. En octobre 2015, j’ai proposé au ministre de la santé, au cours des débats sur la loi de modernisation de notre système de santé, un amendement visant à modifier l’article L. 1418-1 du code de la santé publique.

Cet amendement tendait à créer, entre l’Agence de la biomédecine et les établissements de santé où sont réalisées les greffes, les conditions d’une coordination simplifiée du transport des greffons, sans que cela nécessite une réorganisation importante de l’agence, ni des moyens supplémentaires significatifs, le réseau d’achats groupés de l’hospitalisation publique UniHA finançant déjà trois emplois opérationnels et assurant le suivi administratif de cette mission.

Cet amendement devait également permettre d’assurer, s’agissant de la phase sensible des transports, le respect de la directive du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation.

Le ministre m’avait répondu qu’un groupe de travail avait été mis en place pour réfléchir à une organisation plus efficiente du prélèvement d’organes dans notre pays et de l’acheminement des greffons au lieu voulu. Il avait ajouté que les centres hospitaliers universitaires, les CHU, avaient souhaité la mise en place d’une réflexion avec l’Agence de la biomédecine, afin de mettre à plat les recommandations relatives aux prélèvements. Enfin, une énième mission a été confiée à l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS.

J’ai ensuite souhaité, par le biais d’une question écrite, obtenir connaissance des résultats de ces travaux, mais je n’ai pas reçu de réponse. Or, madame la ministre, il est temps d’agir. En effet, les systèmes de transport aérien de province et de l’AP-HP ne sont pas coordonnés ; la fermeture nocturne de nombreux aéroports complexifie la manœuvre logistique ; les militaires, habitués à une chaîne opérationnelle unique et cohérente, se démobilisent ; les hôpitaux exposent des coûts inutiles, qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros ; la sécurité sociale ne bénéficie pas pleinement du moindre coût de la greffe, alors que des dizaines de millions d’euros d’économies sont possibles ; la solidarité nationale exprimée par les donneurs est gaspillée.

Madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale du mercredi 19 juillet dernier, vous avez fait la déclaration suivante : « Je ne serai pas une ministre qui légifère mais qui expérimente. »

L’action que je souhaite vous voir entreprendre dans ce domaine correspond parfaitement au nouvel esprit de pragmatisme et d’efficacité qui guide l’action publique.

Ma question est la suivante : pouvons-nous simplifier cette procédure en envisageant le plus rapidement possible l’organisation d’une réunion avec tous les acteurs concernés, afin de définir une stratégie pilotée par vous, madame la ministre, d’énoncer la démarche à suivre pour l’Agence de la biomédecine et de les transcrire de manière opérationnelle via l’UniHA ? Après une phase d’expérimentation de six mois, nous pourrons juger des résultats.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Bouchet, vous soulignez à juste titre que le transport d’organes est un des maillons essentiels de notre politique nationale de greffes et qu’il est nécessaire de l’optimiser et de le rationaliser, afin d’économiser des greffons aujourd’hui perdus.

Je connais extrêmement bien ce sujet pour avoir siégé dix ans au conseil scientifique de l’Agence de la biomédecine. J’ai vu les évolutions à l’œuvre. La situation actuelle est liée à l’augmentation des besoins en greffons.

Même si le dispositif français est l’un des meilleurs d’Europe, l’existence de tensions en matière d’acheminement des greffons et de logistique ne peut pas être niée.

Le ministère a effectivement confié en 2016 à l’IGAS une mission en vue d’améliorer l’organisation du transport des greffons. Le rapport remis en mars 2017 a permis de définir plusieurs hypothèses d’évolution du modèle de l’organisation des transports.

Quatre possibilités ont ainsi été identifiées : mutualiser les moyens des établissements de santé pour les transports, dans le cadre de l’organisation actuelle ; élargir le rôle de l’Agence de la biomédecine à la supervision des transports, en laissant l’organisation de ceux-ci sous la responsabilité des établissements de santé ; transférer la compétence totale du transport des greffons à l’Agence de la biomédecine en lui allouant un budget à cette fin ; confier à cette agence l’ensemble de l’organisation opérationnelle.

Ces scénarios nécessitent d’être expertisés par le ministère, en termes d’organisation et de financement.

Si la croissance de l’activité de greffe, combinée à la volonté de réduire les délais d’ischémie, rend nécessaires des améliorations, il n’en faut pas moins rendre hommage aux coordinations hospitalières et aux professionnels qui accomplissent malgré tout un travail extraordinaire.

La question du transport des greffons ne peut pas être séparée de celle du modèle d’organisation chirurgicale des prélèvements, qui connaît aussi des tensions.

C’est pourquoi je vous confirme, monsieur le sénateur, qu’une réflexion sur l’organisation et l’optimisation des actes chirurgicaux de prélèvements de greffons et du transport de ceux-ci a été engagée dans le cadre du groupe ministériel.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet.

M. Gilbert Bouchet. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Beaucoup de questions ont été posées, de nombreux rapports ont été rédigés, mais on attend toujours du concret… J’espère que vous me tiendrez au courant des évolutions à venir.

tarification des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

M. le président. La parole est à M. Alain Milon, auteur de la question n° 22, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

M. Alain Milon. Je souhaite attirer l’attention de Mme la ministre sur les conséquences graves, pour les établissements publics hébergeant des personnes âgées dépendantes, de la réforme de la tarification en cours.

La situation des personnes âgées dépendantes est, dans notre pays, préoccupante. Treize ans après la création de la journée de solidarité, le service public destiné aux personnes âgées est en danger.

En effet, la réforme de la tarification des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes, les EHPAD, actuellement mise en œuvre, fragilise ce secteur et risque d’avoir un fort impact sur les personnes âgées les plus fragiles et les ménages les plus modestes.

Avec plus de 200 millions d’euros de retraits de financement, les établissements publics font face à une situation inextricable qui pourrait, à terme, se traduire par une augmentation du reste à charge pour les personnes non bénéficiaires de l’aide sociale, au travers d’une libéralisation des tarifs d’hébergement des établissements publics via des déshabilitations ou déconventionnements visant à leur permettre de trouver un équilibre financier.

Le contexte de crise a fragilisé les plus exposés, au premier rang desquels se trouvent les personnes âgées et les ménages aux revenus modestes. La réforme en cours vient directement affecter leur quotidien dans un moment de vulnérabilité aiguë.

Je demande donc que les modalités de calcul du point des groupes iso-ressources soient réexaminées, et je voudrais savoir quel modèle de financement pourrait être proposé afin d’apporter une réponse globale qui soit à la hauteur des enjeux majeurs auxquels il faut faire face.

Madame la ministre, je vous remercie de nous faire connaître les intentions précises du Gouvernement sur cette question particulièrement importante pour les personnes âgées accueillies en EHPAD public, leurs familles et les personnels de ces structures, et, plus largement, sur celle de la prise en charge de la dépendance.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet extrêmement important.

Nous avons beaucoup favorisé le maintien des personnes âgées à domicile. De ce fait, les personnes qui rejoignent aujourd’hui les EHPAD se trouvent dans un état de dépendance bien plus avancée qu’il y a quelques années. Cela alourdit la prise en charge et amène à s’interroger sur notre modèle de financement.

L’objectif de la réforme de la tarification des EHPAD est de rétablir de l’équité dans la répartition des financements au regard des seuls critères de l’état de dépendance et des soins à apporter aux résidants.

La réforme organise une convergence progressive des dotations versées par l’assurance maladie au titre des soins et par les conseils départementaux au titre de la dépendance.

Afin de ne pas alourdir la charge financière pour les conseils départementaux, la convergence des tarifs « dépendance » des EHPAD est organisée autour du tarif moyen départemental. Cette convergence, à la hausse comme à la baisse, est étalée sur sept ans. D’après mes informations, 70 % des EHPAD y gagneraient en termes de tarification, et 30 % y perdraient.

La mise en œuvre de la réforme de la tarification mobilise 100 millions d’euros de crédits d’assurance maladie supplémentaires pour cette seule année. Ces crédits doivent accompagner la médicalisation des EHPAD, mais également renforcer la qualité de la prise en charge.

Monsieur Milon, j’entends vos inquiétudes. J’ai demandé au directeur général de la cohésion sociale, M. Jean-Philippe Vinquant, de présider un comité de suivi de la réforme, qui associera l’Assemblée des départements de France, les administrations centrales concernées, les agences régionales de santé et les fédérations représentant les organismes gestionnaires d’EHPAD.

La mise en place de ce comité doit permettre d’apprécier qualitativement et quantitativement les impacts financiers et organisationnels de la mise en œuvre des évolutions réglementaires. Ce bilan permettra de faire émerger les difficultés et de proposer des solutions. Le premier comité doit se réunir en septembre prochain.

Enfin, la question du reste à charge pour les résidents des EHPAD, notamment du coût de l’hébergement, est également une préoccupation forte. Elle pose plus globalement la question de l’organisation entre soins à domicile et EHPAD. Faut-il d’autres types de structures ? C’est la question que je me pose. Sur ce point, les travaux engagés par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, qui doivent être finalisés très prochainement, serviront de base à ma réflexion, en vue de l’élaboration de propositions concrètes.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Madame la ministre, nous avons tous conscience que la mise en application des arrêtés consécutifs à la loi de décembre 2016 met en danger le budget « dépendance » des EHPAD. Le budget « hébergement » relevant des départements, des personnes âgées et des familles, cela peut passer, à la rigueur. Quant au budget « soins », il ne pose pas de difficulté majeure. C’est vraiment le budget « dépendance » qui pose problème, avec cette tarification unique au niveau des départements qui met en difficulté plus de 30 % des EHPAD publics. La convergence public-privé entraîne, semble-t-il – il faudrait disposer d’études plus précises –, un déplacement de 200 millions d’euros du public vers le privé. C’est là un problème majeur pour l’avenir des EHPAD publics.

Mettre en place une commission de travail est une bonne idée. Il faudrait qu’elle commence ses travaux le plus rapidement possible, car les budgets « dépendance » de nombreux établissements publics risquent un déséquilibre.

financement des activités de l’hôpital marie-lannelongue du plessis-robinson

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, auteur de la question n° 32, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Isabelle Debré. Madame la ministre, établissement privé à but non lucratif de secteur 1, l’hôpital Marie-Lannelongue, du Plessis-Robinson, bénéficie d’une réputation internationale d’excellence. Son histoire est jalonnée de grandes premières médicales, depuis la greffe cœur-poumons réalisée en 1985 par le professeur Philippe Dartevelle.

Cet établissement est aujourd’hui spécialisé dans la chirurgie thoracique et cardio-vasculaire de l’enfant et de l’adulte, le traitement chirurgical ou angioplastique de l’hypertension artérielle pulmonaire et la chirurgie des cancers du thorax.

Sur ce dernier point, il faut signaler l’étroit partenariat noué avec l’Institut Gustave-Roussy. Grâce à ce partenariat, les patients ont accès aux thérapies et techniques chirurgicales les plus avancées.

L’hôpital Marie-Lannelongue dispose également d’une forte capacité, unanimement reconnue, d’innovation et de recherche, aussi bien clinique que fondamentale.

Or cette tradition d’excellence a deux conséquences : un taux de recours extrêmement élevé de 37 %, quand la moyenne des centres hospitalo-universitaires est inférieure à 10 % ; un différentiel de coûts de l’ordre de 12,3 millions d’euros, que ni la tarification à l’activité ni la dotation budgétaire au titre des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation ne permettent de couvrir. Malgré une amélioration constante des processus de production et de gestion, l’équilibre financier de l’établissement n’est pas atteint.

Dans ces conditions, ma question sera simple, madame la ministre : vous paraît-il envisageable de prévoir un dispositif spécifique et pérenne de compensation permettant à l’hôpital Marie-Lannelongue de faire face aux surcoûts inhérents à l’excellence des soins qu’il assure et de poursuivre l’intégralité de ses activités de recherche ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez raison, il s’agit d’un hôpital à l’excellence unanimement reconnue. La dégradation de la situation d’exploitation de l’établissement récemment observée est liée à la baisse brutale d’une activité, celle du pôle cœur congénital, fortement valorisée dans les tarifs. Cette diminution de l’activité est liée au départ du chef de pôle, qui a conduit à une perte de recettes de près de 10 millions d’euros en deux ans et à un décrochage de rentabilité en l’absence d’un ajustement suffisant des charges et d’un nouveau modèle économique pour l’établissement.

Cet hôpital a également connu une baisse des dotations MERRI – missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation – liées au financement des surcoûts d’activités de recours exceptionnel et à une diminution des financements liés aux publications de l’établissement.

La baisse des dotations MERRI avait été compensée intégralement en 2014 par une aide exceptionnelle de l’ARS. Pour autant, l’ARS et le niveau régional n’ont pas vocation à compenser durablement des baisses de financement, qu’elles soient liées au départ d’un chef de pôle ou à une diminution des dotations MERRI. Cette aide ponctuelle n’a pas été reconduite en 2015 et en 2016.

Dès lors, l’ARS a préconisé à l’établissement la mise en œuvre d’un plan de retour à l’équilibre de 10 millions d’euros sur la durée du prochain plan global de financement pluriannuel. Ce plan devrait être prêt pour la période de financement 2017-2021 et s’appuyer sur un nouveau projet médical induisant un repositionnement de l’activité de l’établissement et une évolution favorable du case-mix. Je le rappelle, plus les établissements sont monothématiques, plus ils sont sensibles à des variations à la baisse des tarifs. Par conséquent, de tels établissements doivent repenser leur capacité à travailler avec d’autres établissements de proximité, comme l’Institut Gustave-Roussy, que vous avez cité. Les centres de lutte contre le cancer peuvent être confrontés à la même difficulté.

Il est important de repenser l’organisation territoriale en faisant reposer cette réorganisation et le plan de retour à l’équilibre sur un projet médical écrit par l’établissement, en vue d’assurer une hausse des recettes d’activités et une meilleure maîtrise des charges.

Madame la sénatrice, le soutien de l’ARS devra intervenir dans le cadre de la préparation d’un plan stratégique, fondé sur un projet médical ambitieux pour la structure et en lien avec les autres établissements de la région.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle Debré. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse, que je ne manquerai pas de communiquer aux responsables et aux acteurs de cet établissement d’exception. Je ne doute pas qu’ils se mettront en contact avec vous. J’espère que vous pourrez travailler avec eux pour trouver une solution. L’hôpital Marie-Lannelongue est un établissement d’excellence, et il doit le rester.

procès de l’amiante

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 33, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

M. Yannick Vaugrenard. Les cancers de l’amiante sont des maladies graves et, d’ici à 2025, 100 000 personnes risquent de décéder pour avoir été exposées à l’amiante.

Ceux qui, par une négligence coupable, n’auront pas permis d’éviter ce drame doivent être jugés et condamnés. Or, aujourd’hui, pour une vingtaine de dossiers déposés avec le soutien de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, les conclusions récentes de l’instruction ouvrent la voie vers un non-lieu, et donc vers une absence de procès. Les juges estiment qu’il est impossible de dater le moment de la commission de la faute, et donc d’imputer celle-ci à quiconque.

Cette décision est particulièrement grave pour les victimes de l’amiante, qui sont en droit d’attendre réparation mais aussi transparence absolue sur les négligences constatées. Les industriels qui ont sciemment prolongé l’utilisation d’un matériau qu’ils savaient mortel, ceux qui ont laissé faire et les lobbyistes du comité permanent amiante, qui ont milité contre l’interdiction, doivent être jugés. Il est arrivé que des décisions et des orientations aient été prises par des décideurs économiques en pleine conscience des dégâts humains et environnementaux qu’elles impliquaient. En conséquence, ces crimes industriels doivent être impérativement instruits et jugés en tenant compte de la gravité des fautes commises.

Toutes les leçons de cette catastrophe doivent être tirées afin que nos enfants et nos petits-enfants ne connaissent jamais plus de telles tragédies.

Car, au-delà de la question de l’amiante, cela pourrait signifier que pour d’autres produits que l’on emploie aujourd’hui dans l’industrie, ou encore pour les pesticides, par exemple, nous serions susceptibles d’avoir les mêmes décisions juridiques dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas possible !

Madame la ministre, notre démocratie, vous le savez, traverse une période de grande fragilité. C’est pourquoi les prises de position sur un sujet aussi sensible sont attendues avec impatience et une forme d’espérance.

Partant du principe que les pollueurs par l’amiante, comme les pollueurs par tout autre produit dangereux, devraient être les payeurs, je souhaite savoir, madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet sensible de santé publique.

M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de m’interpeller sur cette question de santé publique. Vous le savez, l’amélioration de la prévention est la priorité de ma feuille de route.

Vous interrogez le Gouvernent sur les cancers liés à l’amiante. Comme vous le rappelez, la justice a été saisie, et il ne m’appartient pas de commenter ses décisions.

Il est très important d’indemniser les victimes pour le préjudice qu’elles ont subi. C’est la raison pour laquelle le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, a été créé voilà plus de quinze ans. La branche accidents du travail-maladies professionnelles indemnise les maladies liées à l’amiante à hauteur de près de 2 milliards d’euros par an.

Il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique, puisque l’exposition aux fibres d’amiante est aujourd’hui la deuxième cause de maladies professionnelles et la première cause de décès liés au travail, hors accidents du travail. Chaque année, entre 4 000 et 5 000 nouveaux cas de maladies liées à l’amiante sont détectés, dont environ 1 000 cancers. Il s’agit d’une maladie à déclaration obligatoire, qui fait l’objet d’un suivi très particulier par l’Agence nationale de santé publique. Ce suivi a été récemment réorganisé, notamment pour permettre une surveillance exhaustive des mésothéliomes, afin de pouvoir réagir à cette « épidémie » de pathologies liées à l’amiante, d’affiner notre connaissance de l’évolution de ces maladies et d’améliorer la recherche.

Depuis l’interdiction de l’usage de l’amiante, de nombreuses dispositions législatives et réglementaires ont été adoptées pour protéger le mieux possible les travailleurs.

La mise en œuvre du plan interministériel sur l’amiante témoigne de la mobilisation des gouvernements successifs sur ce sujet. Elle favorise des actions concertées entre les administrations impliquées. Les travaux s’organisent autour de cinq axes : renforcer et adapter l’information des professionnels ; améliorer et accélérer la professionnalisation ; faciliter et accompagner la mise en œuvre de la réglementation liée à l’amiante ; soutenir et promouvoir les démarches de recherche et de développement sur l’amiante ; se doter d’outils de connaissance, de suivi et d’évaluation.

Depuis peu, un site interministériel dédié à l’amiante est accessible sur le portail du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Il est également possible de consulter le bilan de la mise en œuvre des actions de ce plan interministériel sur ce portail.

Votre question, monsieur le sénateur, va bien au-delà : comment prévenir de nouveaux scandales liés à l’exposition à d’autres produits toxiques ?

S’agissant des produits phytopharmaceutiques, les règles d’évaluation des risques et de mise sur le marché sont définies dans un cadre réglementaire européen. Il convient de vérifier que la liste des produits à risque est régulièrement mise à jour en fonction des progrès des connaissances. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a été mobilisée à ce propos très récemment par le ministre de la transition écologique et solidaire et par moi-même.

Je tiens à vous assurer que l’État prendra toutes ses responsabilités et édictera les mesures nécessaires pour éliminer progressivement l’utilisation des pesticides dans l’environnement. Sachez également que, dans ma stratégie nationale de santé, qui vise à promouvoir la prévention, les questions de santé liées à l’environnement seront prioritaires. Je travaille sur ces questions en lien étroit avec le ministre de la transition écologique et solidaire. Vous connaîtrez le détail de cette stratégie nationale de santé d’ici à la fin de l’année.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse très complète et de l’attention que vous avez portée à ma question.

Vous avez abordé le présent et l’avenir ; je comprends et apprécie votre volonté d’éviter que de tels drames ne se reproduisent, mais il y a aussi un passé, qui a été source de tristesse et, parfois, de détresse, humaine et financière. J’entends bien que vous ne pouvez pas commenter les décisions de justice, mais, lorsqu’il y a injustice, l’État doit jouer complètement son rôle. Il n’est pas normal que les pollueurs de la santé ne soient pas les payeurs des conséquences d’actes dont ils connaissaient d’avance la portée. La justice, parce que ces actes ne sont pas datés, considère qu’elle n’a pas à intervenir. Il faut revoir cela, afin que nous puissions dire demain à nos enfants et petits-enfants : « Plus jamais ça ! ».

éligibilité aux aides de la fondation du patrimoine des villes à secteur sauvegardé

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, auteur de la question n° 11, adressée à Mme la ministre de la culture.

M. Yannick Botrel. Madame la ministre, le patrimoine immobilier de nos villes et de nos petites cités de caractère nécessite une attention toute particulière afin qu’il puisse être conservé pour les générations à venir.

Il existe, à cette fin, plusieurs dispositifs permettant de donner aux propriétaires privés les moyens de réaliser des travaux de sauvegarde ou de restauration.

Il faut tenir compte cependant d’un cas particulier : celui des villes à secteur sauvegardé, qui ne peuvent disposer des aides de la Fondation du patrimoine, au prétexte qu’elles bénéficient de la loi Malraux. Or cette loi ne garantit plus les avantages fiscaux prévus initialement à destination des propriétaires occupants. Seuls les programmes locatifs peuvent bénéficier de ces avantages.

La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, promulguée en juillet 2016, visait à simplifier et à moderniser la protection de notre patrimoine. Elle n’a malheureusement pas apporté de solution à ce problème particulier des villes à secteur sauvegardé.

Dans certaines communes, les bâtiments qui auraient besoin d’être restaurés sont occupés par leurs propriétaires, qui sont donc privés de tout soutien financier. Les biens se dégradent rapidement. C’est une partie importante du patrimoine qui est menacée.

Ma question, madame la ministre, est la suivante : le Gouvernement est-il favorable à l’élargissement du dispositif d’aide de la Fondation du patrimoine aux sites patrimoniaux remarquables – c’est la nouvelle dénomination des villes à secteur sauvegardé –, afin de permettre aux propriétaires occupants de pouvoir financer équitablement les travaux auxquels ils sont soumis ? Quelles sont, de manière générale, les mesures concernant la préservation du patrimoine qui sont envisagées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Yannick Botrel, vous m’interrogez sur l’éligibilité aux aides de la Fondation du patrimoine des villes à secteur sauvegardé.

Comme vous le savez, le ministère de la culture, tout comme le Parlement, est particulièrement attentif à la protection et à la mise en valeur des ensembles urbains et paysagers d’intérêt majeur.

C’est pourquoi, par souci de clarification et d’efficacité, la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP », a regroupé sous l’appellation de « sites patrimoniaux remarquables » les anciens « secteurs sauvegardés », les anciennes « aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine », et les anciennes « zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ».

À la suite de cette évolution des outils de protection du patrimoine, et dans ce même objectif de simplification, nous avons souhaité, en lien avec Bercy, mettre en cohérence les dispositifs fiscaux associés de deux manières.

Dès la loi de finances rectificative pour 2016, nous avons permis d’appliquer à ces sites patrimoniaux remarquables la fiscalité dite « Malraux », en vigueur dans les anciens dispositifs. La seconde mesure – c’est l’objet de votre question, monsieur le sénateur – consiste en une révision de la doctrine fiscale en faveur du patrimoine.

En effet, j’ai le plaisir de vous annoncer ce matin que l’ensemble de ces nouveaux sites patrimoniaux remarquables seront désormais éligibles au label délivré par la Fondation du patrimoine aux propriétaires privés pour des travaux, ainsi qu’aux déductions fiscales au titre de ces travaux. Je rappelle que, auparavant, seules l’étaient les anciennes « aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine » et « zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ».

Enfin, vous me permettrez, j’en suis sûre, de profiter de cette question pour saluer dans cet hémicycle le travail remarquable de la Fondation du patrimoine qui, grâce à son implantation territoriale, à l’action de ses bénévoles et à ses interventions sur le patrimoine non protégé au titre des monuments historiques, conduit une action exemplaire, partenariale et complémentaire de celle de l’État.

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse très complète et, en même temps, très technique. J’aurai besoin de la relire avec attention pour en apprécier toute la portée et toute la dimension.

Néanmoins, le problème soulevé est réel. J’ai été en particulier interpellé sur cette question par des maires de petites cités de caractère, confrontés comme bien d’autres à la désertification des centres-villes, évoquée dans un certain nombre de débats récents, avec le risque, à terme, d’une « clochardisation » de l’habitat qui pourrait s’accentuer compte tenu des sujétions dont je viens de faire état.

emplois d’avenir

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question n° 16, adressée à Mme la ministre du travail.

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la ministre, ma question porte sur les emplois d’avenir. Dans l’attente de nouvelles dispositions du gouvernement nouvellement constitué, il semble que les aides à l’accompagnement des jeunes au travers des missions locales soient actuellement bloquées. Dans ses premières semaines à la tête du Gouvernement, le Premier ministre a indiqué qu’il considérait comme « élevé » le coût de tels contrats, et qu’il souhaitait, dès lors, ne continuer d’y recourir que « de façon maîtrisée ».

Les emplois d’avenir ont été créés en 2012 ; ils ont pour objectif de faciliter l’insertion sur le marché du travail des jeunes peu ou non qualifiés en leur proposant un emploi à temps plein de longue durée incluant un projet de formation.

Le bilan établi à la fin de l’année 2016 prévoyait que, un an après la signature de leur contrat, trois jeunes en emploi d’avenir sur quatre auraient bénéficié d’une formation, et qu’un sur deux aurait bénéficié d’une formation certifiante. Cet accès plus facile à la certification résulte d’un effort de formation qui bénéficie notamment aux non-diplômés et aux plus jeunes.

Ainsi, plus de 325 000 contrats d’emplois d’avenir ont été signés depuis 2012 et 51 % des jeunes inscrits dans ce dispositif ont trouvé un emploi dans les six mois suivant la fin de leur contrat. Depuis le début de sa mise en œuvre, ce dispositif a ainsi connu une véritable réussite, favorisant l’accès des jeunes à l’emploi.

Je souhaite donc vous interroger, madame la ministre, sur les intentions réelles du Gouvernement quant à la suite donnée à cette politique de soutien de l’emploi.

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser ma collègue Muriel Pénicaud, qui est retenue, vous le savez, devant la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée par l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement au sujet des emplois d’avenir. Le soutien à l’insertion professionnelle des publics les plus éloignés du marché du travail, notamment des jeunes, est une priorité du Gouvernement, priorité qui doit toutefois tenir compte de l’amélioration de la conjoncture économique ainsi que de la nécessaire maîtrise des dépenses publiques.

Vous le savez, les emplois d’avenir visent à lutter contre la précarité professionnelle des jeunes peu ou non qualifiés, en rupture avec le monde éducatif. Leur mobilisation doit donc s’articuler avec la palette d’outils que le Gouvernement entend conforter afin que chaque jeune trouve la réponse à son besoin, à son projet.

Ainsi, en matière de formation, les jeunes seront l’un des publics prioritaires du plan d’investissement dans les compétences. Nous souhaitons également renforcer, faciliter et sécuriser l’accès à l’apprentissage et la réussite de ces parcours en développant les dispositifs permettant d’amener les jeunes en difficulté vers l’alternance, puis de les accompagner, pour éviter les ruptures de contrat.

En matière d’accompagnement intensif, la garantie jeunes portée par les missions locales et l’accompagnement intensif des jeunes vont enfin poursuivre leur montée en puissance. Dans ce cadre, le volume d’emplois d’avenir a donc vocation à diminuer.

Pour l’année 2017, le volume total de contrats s’élèvera à plus de 39 000, soit 4 000 contrats de plus que ne le prévoyait la loi de finances initiale. Au second semestre, un effort sera fourni pour assurer les renouvellements de contrats, la durée passée dans le dispositif étant, d’après les évaluations dont nous disposons, un vecteur d’efficacité.

Il ne s’agit donc pas, vous l’aurez compris, de mettre un terme à ce dispositif ; ce qui est recherché, c’est la qualité de ces contrats au service de l’insertion et de l’autonomie des bénéficiaires à la sortie du dispositif. La publication d’une évaluation complète de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, prévue à l’automne prochain, nous permettra d’avoir davantage de recul sur la performance de ce dispositif.

Parallèlement, nous étudierons l’opportunité de transposer certains paramètres des emplois d’avenir aux autres catégories de contrats aidés.

Enfin, nous souhaitons renforcer une approche décloisonnée de l’ensemble de ces outils, qui doit servir la logique de parcours du jeune.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. J’ai bien noté qu’il ne s’agit pas de mettre un terme à ce dispositif qui a bien fonctionné – je l’indiquais à l’instant –, même s’il s’agit de le réduire ; nous pouvons donc être, de ce point de vue, quelque peu inquiets.

J’ajoute que, quand les choses fonctionnent bien, il est peut-être dommage d’y mettre fin. Nous resterons donc très vigilants quant à l’analyse que vous ferez de ce dispositif et quant à la façon dont il pourrait perdurer.

augmentation sensible de la taxe d’habitation dans les communes nouvelles

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, auteur de la question n° 20, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.

M. Michel Vaspart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question s’adresse au ministre de l’intérieur et porte sur les conséquences fiscales de la création d’une commune nouvelle préjudiciables aux contribuables des communes fusionnées.

Plusieurs maires de communes nouvelles ont fait savoir qu’ils rencontraient des difficultés du fait de l’absence de prise en compte de la réduction de la part départementale de la taxe d’habitation, ce que l’on appelle « débasage de la TH », au moment des votes des taux de fiscalité de la commune. Or la loi ne prévoit aucun dispositif particulier pour empêcher le risque de hausse de la taxe d’habitation pour les ménages.

Dans le département dont je suis élu, les Côtes-d’Armor, le maire de la commune nouvelle de Beaussais-sur-Mer, issue de la fusion des communes de Plessix-Balisson, Ploubalay et Trégon, a constaté une augmentation très forte de la taxe d’habitation, particulièrement pour les familles de trois enfants ou plus, sur les trois communes.

Les services de la direction générale des collectivités locales comme ceux de la direction générale des finances publiques ont identifié ce problème, qu’ils qualifient d’anomalie, et ont proposé une solution : les communes nouvelles concernées qui souhaitent corriger leur politique fiscale votée en 2017 sont invitées à prendre rapidement contact avec les services préfectoraux ou avec les services de la direction départementale des finances publiques. Ils reçoivent alors un nouvel état 1259 comprenant le débasage du taux de taxe d’habitation. Elles bénéficient d’un délai supplémentaire pour délibérer leurs taux de fiscalité pour 2017.

Un nouveau vote peut effectivement intervenir, mais, dans ce cas, les recettes de la commune sont amputées à due concurrence de la baisse des taux votée par le conseil municipal.

Or, dans la situation actuelle, est-il bien normal de ne pas être, dans le cadre des transferts, dans une parfaite neutralité fiscale, comme le veut d’ailleurs la loi ? La solution proposée n’est donc pas, me semble-t-il, sécurisée juridiquement, raison pour laquelle certaines communes hésitent à recourir à la fusion, pour cette année et à l’avenir.

Néanmoins, on sait déjà que cet avenir sera bref, puisque le Président de la République a, hélas, annoncé la suppression progressive de la majeure partie de la taxe d’habitation, voilà quelques jours, au Sénat. Cette annonce inquiète évidemment très fortement toutes les collectivités locales.

Toutefois, si la taxe est supprimée, quel sera le montant des compensations accordées à ces communes nouvelles ? À ce stade, madame la ministre, je souhaiterais du moins que vous puissiez apporter aux communes nouvelles concernées par cette anomalie toute garantie que la solution fiscale proposée cette année est claire et sécurisée.

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Michel Vaspart, vous appelez mon attention sur l’augmentation de la taxe d’habitation à l’occasion de la création de communes nouvelles et notamment sur la situation de la commune nouvelle de Beaussais-sur-Mer dans votre département, les Côtes-d’Armor.

Bien qu’il soit effectivement lié au transfert de la part départementale de la taxe d’habitation au bloc communal lors de la réforme de la taxe professionnelle intervenue en 2011, le sujet que vous évoquez ne relève pas d’une problématique de taux, mais se rapporte aux abattements.

Le transfert de la part départementale de la taxe d’habitation a en effet donné lieu à la correction, à la hausse ou à la baisse, des abattements communaux et intercommunaux, afin qu’ils intègrent ceux qui étaient en vigueur au sein de la part départementale à la date de la réforme. Cela est évidemment obligatoire.

Or, en cas de création d’une commune nouvelle – c’est le cas que vous soulevez –, les abattements de taxe d’habitation applicables sur le territoire des anciennes communes sont soit harmonisés sur délibération de la commune nouvelle, soit, en l’absence de délibération, ramenés à leur niveau de droit commun. Dans ce cadre, les corrections d’abattement sont également supprimées.

Il en résulte qu’une commune nouvelle peut voir la taxe d’habitation augmenter sur son territoire, faute de délibération pour harmoniser son régime d’abattement ou parce que le nouveau régime d’abattement a été harmonisé sans tenir compte des corrections d’abattement.

Pour corriger cet effet, la commune nouvelle de Beaussais-sur-Mer aurait pu harmoniser ses abattements en prévoyant, comme le permet l’article 1411 du code général des impôts, de majorer d’un ou de plusieurs points l’abattement pour charge de famille, puisque c’est de cela qu’il s’agit. En tout état de cause, le conseil municipal peut délibérer avant le 1er octobre 2017 pour augmenter les abattements applicables sur son territoire à compter de 2018.

Vous avez aussi évoqué, à la fin de votre question, la suppression de la taxe d’habitation. Les communes nouvelles seront bien sûr traitées, à cet égard, comme les autres. Je vous rappelle qu’il s’agira d’un abattement ; ainsi, les rôles et donc les bases seront mis à jour chaque année. Par conséquent, l’État prendra en charge, à l’euro près, ce que les contribuables devaient payer.

M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, qui est extrêmement complète. Elle mérite d’être lue dans le détail, car il s’agit de sujets très techniques. Je ne manquerai pas de la transmettre au maire de Beaussais-sur-Mer.

difficultés rencontrées dans l’accueil des gens du voyage en haute-savoie

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, auteur de la question n° 9, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne la situation de l’accueil des gens du voyage dans le département de la Haute-Savoie et s’adresse à Mme la ministre auprès de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.

Madame la ministre, mon interpellation de ce matin s’inscrit au cœur d’une actualité criante dans l’ensemble du territoire départemental, du Chablais à la frontière genevoise, de la vallée de l’Arve aux bords du lac d’Annecy ou dans l’Albanais. J’y associe d’ailleurs bien volontiers mes collègues Jean-Claude Carle et Cyril Pellevat, présents tous les deux ce matin pour entendre votre réponse.

Sur le terrain, les habitants, les entreprises et les agriculteurs subissent les effets des installations illicites quand les forces de l’ordre et les élus ne sont plus en mesure de maîtriser la situation. Celle-ci révèle notre incapacité collective à agir, elle décrédibilise l’action de l’État et celle de la justice, tout cela alors que ce phénomène prend une ampleur considérable, partout et de manière récurrente.

Les élus locaux ont mis en place, à grands frais, tant en investissement qu’en fonctionnement, des aires d’accueil pour les petits et les grands passages. Même si ces obligations sont issues de la loi et du schéma départemental, ils ont eu besoin d’un grand courage politique pour faire passer de telles décisions – je parle ici en connaissance de cause, comme maire et président d’intercommunalité.

À l’heure où je vous parle, il me semble pertinent de revisiter la loi Besson, de requalifier certaines incriminations pénales et de simplifier les procédures administratives et judiciaires.

Madame la ministre, nous sommes en plein été et la Haute-Savoie connaît une activité touristique importante, l’un des piliers de notre économie dans cette région frontalière et de montagne.

Quelles initiatives le Gouvernement compte-t-il prendre en la matière dans les mois qui viennent ? Quel travail pouvons-nous construire ensemble, en nous fondant sur la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Claude Carle ou sur celle que je vais déposer cette semaine ?

Par ailleurs, au moment où la Haute-Savoie connaît une situation aussi critique, quels moyens pourraient être alloués par le ministère de l’intérieur pour y remédier ? (MM. Cyril Pellevat et Jean-Claude Carle applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, cher Loïc Hervé, vous m’alertez sur la situation problématique des occupations illicites de terrains par les gens du voyage en Haute-Savoie, cet été. L’installation d’un certain nombre de groupes au comportement irrespectueux sur des terrains agricoles ou sur des zones industrielles, situés parfois à proximité des zones d’habitation, suscite évidemment des tensions avec la population. Ce sort n’est évidemment pas réservé à la Haute-Savoie, mais je suis en l’occurrence interrogée par un élu de ce département.

Ces installations illicites entretiennent la confusion, voire l’amalgame, entre ces groupes et la majorité des gens du voyage, qui s’installent sur les aires d’accueil dédiées et ne provoquent pas de troubles. Bien sûr, quand les gens du voyage respectent la loi, il faut également les respecter et leur permettre de s’installer sur les aires d’accueil. Ainsi, au mois de juin, le préfet a été obligé de réquisitionner des engins du service départemental d’incendie et de secours, le SDIS, pour permettre l’accès à une aire dédiée, bloquée par le maire et des agriculteurs. Ce n’est pas normal et, évidemment, nous soutiendrons les préfets lorsque certains essaieront de faire ainsi obstacle à l’accès à des aires dédiées.

Dans le même temps, il faut pouvoir effectivement lutter contre les occupations illicites. En Haute-Savoie, les demandes d’expulsion à la suite d’une occupation illicite ont augmenté de 50 % depuis un an. Les outils juridiques disponibles doivent être utilisés au maximum, et je demande aux préfets d’agir en ce sens : vous pouvez compter sur moi. Je vous rappelle toutefois que l’évacuation des occupants illicites est conditionnée, pour la commune demandeuse, au fait d’avoir satisfait à ses obligations au titre du schéma départemental d’accueil des gens du voyage – c’est tout à fait le cas en Haute-Savoie, mais je le précise pour le cas général.

Quant à notre cadre juridique, dont vous demandez l’adaptation au mode de vie des gens du voyage, je dois rappeler qu’il a beaucoup évolué. La loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a ainsi abrogé tout titre de circulation, un progrès demandé depuis longtemps, et a prévu une adaptation des obligations des collectivités locales pour tenir compte de la sédentarisation de certains groupes. Nous sommes en train de prendre les décrets d’application de cette loi. Nous en tirerons ensuite toutes les conséquences et apprécierons s’il faut modifier à nouveau, comme vous le demandiez, le cadre légal.

J’aurai le plaisir, monsieur le sénateur, de vous recevoir jeudi, ainsi que vos collègues Cyril Pellevat et Jean-Claude Carle, ici présents, de même que d’autres élus de Haute-Savoie puisqu’une demande forte émane de votre département. Avec ces représentants, y compris le président de la chambre d’agriculture et le président de l’association des maires de Haute-Savoie, nous verrons s’il y a lieu d’envisager de légiférer à terme sur ce problème que vous évoquez pour la Haute-Savoie, mais qui existe dans d’autres départements.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Nous savons que vous connaissez bien, madame la ministre, ce dossier des gens du voyage, grâce au travail que vous avez accompli au cours de votre carrière politique, notamment à l’Association des maires de France. Je vous remercie de votre écoute.

Nous avons besoin d’être mieux compris et nous avons besoin d’action. Nous savons que nous pouvons compter sur vous pour que les choses aillent plus vite. Tel est le souhait de la délégation d’élus locaux et d’agriculteurs que nous accompagnerons, en tant que parlementaires, au ministère de l’intérieur, où vous la recevrez jeudi prochain : aller plus vite pour trouver des solutions concrètes. Nous attendons beaucoup de cette rencontre, qui nous permettra de faire un point sur la situation, que vous connaissez déjà parfaitement, et d’envisager les solutions qui devront être apportées cette année.

Toutefois, soyons bien clairs, si les objectifs du schéma départemental sont atteints dans l’essentiel du territoire de la Haute-Savoie, jamais notre département ne pourra accueillir tous les groupes de voyageurs qui voudraient s’y installer. Il y a donc une incompatibilité entre la volonté des groupes qui viennent s’installer et nos capacités d’accueil, quand bien même elles seraient conformes à la loi. Il faut donc une réponse collective ferme et des évolutions législatives. Je sais que vous saurez accueillir avec bienveillance les propositions qui vous seront faites par Jean-Claude Carle, Cyril Pellevat et moi-même en ce domaine.

Pour la fin de l’année, il nous faut des moyens, mais vous avez pris un engagement en la matière, madame la ministre, et je vous en remercie. (MM. Cyril Pellevat et Jean-Claude Carle applaudissent.)

présence judiciaire dans l’aisne

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 4, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Antoine Lefèvre. Madame le garde des sceaux, en ma qualité de rapporteur spécial du budget de la mission « Justice » pour la Haute Assemblée, je ne connais que trop vos problématiques budgétaires, mais je souhaite appeler votre attention sur le nécessaire maintien d’une présence judiciaire équilibrée sur nos territoires, en particulier dans le département de l’Aisne, que je représente ici.

Dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, les ministères de la justice et des affaires sociales ont rendu conjointement, en février 2016, un rapport sur le transfert du contentieux des tribunaux des affaires de sécurité sociale, les TASS, des tribunaux du contentieux de l’incapacité, ou TCI, et des commissions départementales d’aide sociale, ou CDAS, vers les nouveaux pôles sociaux des tribunaux de grande instance, les TGI. Selon ce rapport, l’objectif est d’« offrir une justice de qualité, proche des citoyens » : l’intention est louable.

Or, bien que soulignant, d’une part, que le département de l’Aisne compte deux TASS, l’un à Laon, l’autre à Saint-Quentin, et que, d’autre part, la comparaison des affaires en stock entre ces deux juridictions montre une meilleure évacuation des affaires au tribunal de Laon, ce rapport prévoit pourtant l’absorption du TASS de Laon par celui de Saint-Quentin.

Cette disposition aboutirait à la concentration exceptionnelle d’un pôle économique et social dans cette ville au détriment de la ville préfecture, faisant ainsi fi de l’éloignement géographique qui augmenterait considérablement pour de nombreux justiciables – parfois plus de 200 kilomètres aller-retour –, de l’efficacité avérée du TASS de Laon, et des locaux du conseil de prud’hommes de Laon, qui ont la capacité logistique et immobilière d’accueillir le TASS de Laon au sein d’un pôle cohérent et efficace.

Cet exemple atteste que l’avenir et l’organisation des juridictions sont un facteur de risque non négligeable pour l’accès au droit de l’ensemble des justiciables et des professionnels du droit, ainsi que pour le maintien d’une présence judiciaire équilibrée dans le département de l’Aisne.

Je vous demande par conséquent, madame le garde des sceaux, quelles actions vous comptez entreprendre pour consolider la présence d’un pôle social à Laon et, au-delà, quels moyens et quelles décisions vous comptez mettre en œuvre pour garantir l’équilibre judiciaire au niveau des territoires.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, le rapport interministériel que vous évoquez énumère effectivement le cas de départements dans lesquels existent actuellement plusieurs tribunaux de grande instance et où le contentieux social qui relevait auparavant des TASS, des TCI et des CDAS devra, aux termes de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adoptée en 2016, être regroupé en janvier 2019 au sein d’un pôle social constitué dans un TGI par département. Néanmoins, à ce stade, je tiens à vous le dire, monsieur le sénateur, aucune décision n’est prise quant à l’implantation des futurs pôles sociaux.

Étant donné l’importance, que je ne méconnais nullement, des choix à opérer pour les justiciables, mais également pour le personnel qui travaille dans ce secteur, nous avons souhaité mettre en place des comités locaux de pilotage. Ces derniers sont composés, notamment, de représentants des TGI, des TASS, des TCI, des cours d’appel, des CDAS, des caisses primaires d’assurance maladie, des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et des directions départementales de la cohésion sociale. Ces comités ont notamment un rôle d’analyse de la situation de chacune des entités concernées et ont fait remonter à la Chancellerie, ces dernières semaines, leurs observations.

La désignation des juridictions qui assumeront le rôle de pôle social s’appuiera bien entendu sur les conclusions de ces comités locaux, qui sont en cours d’analyse par mes services et qui me seront ensuite présentées ; cette désignation s’inscrira, je ne vous le cache pas, dans le cadre de la réflexion globale que je souhaite conduire sur l’organisation du réseau judiciaire. Cette réflexion globale sera menée de pair avec la simplification, la dématérialisation et la numérisation des procédures, l’ensemble formant un tout.

Je peux néanmoins vous assurer que je veillerai au maintien de l’équilibre judiciaire territorial dans votre département et que je serai extrêmement attentive à la proximité et à l’accessibilité des différentes juridictions.

J’ajoute que, pour ce qui concerne l’Aisne, les nouvelles dispositions que nous envisageons seront de nature à assurer aux justiciables une meilleure accessibilité à la justice, puisque, pour des contentieux qui relèvent actuellement du TCI d’Amiens, ils pourront à l’avenir se rendre au pôle social du TGI de leur département. Il me semble donc que, de ce point de vue, il y aura une amélioration de l’accessibilité.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Je veux remercier Mme le garde des sceaux de sa réponse précise. Elle m’a rassuré en indiquant que rien n’était décidé à ce jour.

Le 17 juillet dernier, ici même, le Président de la République indiquait, dans le cadre de la conférence des territoires, croire « profondément que, dans la très grande majorité des cas, les territoires en réalité savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux ».

Vous rappeliez il y a un instant le rôle des comités locaux mis en place ; j’espère que ce sera l’occasion d’illustrer cette volonté de faire confiance à l’intelligence des territoires. Je sais pouvoir compter sur votre attention en ce domaine, notamment dans le cadre de l’élaboration de la loi de programmation que vous venez d’annoncer pour la période 2018-2022.

rénovation de la ligne polt

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, auteur de la question n° 2, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la situation de la ligne SNCF Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT, sur laquelle d’autres collègues sénateurs et moi-même sommes déjà intervenus.

Depuis plusieurs années, cette ligne, qui était dans les années 1960 la plus rapide de France, souffre d’équipements devenus vétustes et de retards chroniques. En outre, il est quasiment impossible d’y utiliser les réseaux internet et de téléphonie mobile. Cette situation pénalise grandement les usagers qui l’utilisent régulièrement, en particulier les décideurs économiques, politiques et administratifs, par rapport à ceux qui ont accès à des TGV performants dans les autres régions.

C’est pourquoi je souhaiterais obtenir un certain nombre de précisions quant à la modernisation des matériels roulants. Quel est l’état des travaux à ce jour ? Où en est l’appel d’offres européen concernant les futures rames ? Quand celles-ci seront-elles livrées ?

J’insiste tout particulièrement sur le fait que, à la suite de l’abandon du projet de création de la ligne à grande vitesse Paris-Poitiers-Limoges, la ligne POLT constitue désormais l’unique axe ferroviaire entre l’ancienne région Limousin et Paris. Elle revêt donc une importance considérable en matière de désenclavement géographique et donc d’avenir économique des départements, le plus souvent ruraux, qu’elle dessert.

Aujourd’hui, l’arrêt du lancement de lignes à grande vitesse redonne toute leur place à ces lignes traditionnelles, comme celle du POLT, et à certaines de leurs gares, parmi lesquelles figure celle de Brive-la-Gaillarde, récemment rénovée pour 13 millions d’euros et qui attend de savoir quel sera son avenir, notamment pour ce qui concerne les trains de nuit et les emplois cheminots qui en découlent.

À ce sujet, je me permets de vous demander si le rapport Delebarre, remis au Premier ministre, sera rendu public et si un certain nombre de mesures préconisées seront retenues dans l’élaboration de la future stratégie.

Enfin, les élus locaux se demandent si les lignes transversales vont être conservées, comme celle qui relie Lyon à Bordeaux via Ussel et Brive-la-Gaillarde. Non seulement les horaires ne sont pas adaptés aux heures de travail des utilisateurs, mais il se dit encore que ne subsistera bientôt sur cette ligne que le trajet Tulle-Bordeaux, ce qui enclaverait Ussel et ce qu’il est convenu d’appeler la Haute-Corrèze, déjà fragilisée par l’abandon de la desserte Ussel-Clermont-Ferrand, laquelle était évidemment utile aux étudiants et aux malades hospitalisés au CHU de cette ville.

Cette question des lignes subsidiaires n’est pas anecdotique, dans la mesure où 60 % des voyageurs utilisant le POLT en sont issus.

Les membres de la représentation nationale concernés par tous les territoires situés entre Brive, Limoges et Paris, en particulier ceux de la Corrèze, attendent donc votre réponse, madame la ministre, dont je vous remercie à l’avance.

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse est l’une des principales lignes structurantes du réseau des trains d’équilibre du territoire et des engagements forts ont été pris pour améliorer le confort et la qualité de service qui y sont proposés.

Ainsi, 500 millions d’euros seront consacrés à la modernisation de son infrastructure sur la période 2015-2020, ce qui représente un doublement par rapport au rythme d’investissement de la période 2005-2014. À cet important effort de régénération, dont le rythme sera maintenu sur la période 2020-2025, viendront s’ajouter plus de 120 millions d’euros d’investissements inscrits dans les contrats de plan État-régions 2015-2020, pour améliorer la fiabilité et la régularité des temps de parcours.

Par ailleurs, comme vous le savez, un appel à candidatures en vue d’acquérir un matériel au confort adapté aux parcours de moyenne et longue distances a été lancé à la demande de l’État par SNCF Mobilités en décembre dernier. L’appel d’offres est en cours et la procédure se poursuit. Cette amélioration du confort des voyageurs est particulièrement nécessaire sur cet axe structurant du réseau.

À la suite de l’annulation de la déclaration d’utilité publique, une mission a été confiée à Michel Delebarre, afin de rechercher, avec l’ensemble des collectivités et des acteurs concernés, une alternative à la ligne à grande vitesse. Pour répondre à votre interrogation, je diffuserai très prochainement le rapport de M. Delebarre et je vous proposerai une réunion à la rentrée, avec les collectivités concernées, pour que nous puissions examiner ensemble les pistes définies dans ce rapport.

Sans attendre, SNCF Mobilités est en train d’expérimenter sur la ligne des démarches pour améliorer la couverture mobile, de manière à répondre à une attente forte des usagers, comme cela se fait actuellement sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand. L’ensemble de ces éléments va permettre d’alimenter le schéma directeur de la ligne pour proposer des mesures visant à améliorer le service de cet axe.

Je peux vous assurer que le Gouvernement est mobilisé sur les transports du quotidien, afin d’assurer une mobilité pour tous dans tous les territoires et permettre à chacun de bénéficier d’une mobilité alternative à la voiture. Toute cette démarche s’inscrit pleinement en cohérence avec les orientations présentées par le Président de la République, notamment la priorité accordée à l’entretien et la régénération des réseaux existants.

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, il est urgent que la ligne POLT soit véritablement aménagée et reste une priorité de votre ministère. Ainsi, une injustice pour tous les départements ruraux desservis par cette ligne serait en quelque sorte réparée.

Je vous remercie de votre réponse, qui va dans le sens que nous souhaitons, mais sachez que, pour l’instant, la situation est loin d’être satisfaisante. J’espère qu’il en ira différemment le plus rapidement possible !

développement des ports de l’axe seine

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 7, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, l’attractivité des ports de l’axe Seine est un enjeu essentiel pour l’économie normande, mais aussi, et avant tout, pour l’économie française.

Situés le long de la Seine, les ports du Havre, de Rouen et de Paris sont reliés directement à l’arc atlantique et constituent donc de formidables portes d’entrée pour le commerce extérieur français. Or les ports de l’axe Seine, réunis au sein du GIE HAROPA, sont en concurrence directe avec les ports du nord de l’Europe, Rotterdam, Anvers et Hambourg.

Plusieurs facteurs handicapent aujourd’hui les ports normands et, plus globalement, les ports français. Ces handicaps tiennent notamment à la gouvernance, aux règles d’occupation du domaine public maritime, à la fiscalité, aux aides de l’État ou encore aux infrastructures.

La qualité des infrastructures est une condition indispensable pour étendre l’hinterland portuaire.

L’exemple du port d’Anvers, deuxième port d’Europe, qui poursuit et amplifie ses investissements dans les infrastructures fluviales et ferroviaires, témoigne de la nécessité de s’adapter pour capter toujours plus de marchés. Tout y est mis en œuvre pour favoriser l’attractivité du port, qui voit l’activité de son nouveau terminal à conteneurs monter en charge. Aujourd’hui, près de 40 % des marchandises y sont acheminées par le transport fluvial et 13 % le sont par fret ferroviaire.

En comparaison, le port du Havre achemine 80 % de ses marchandises par la route, 15 % par le transport fluvial et 5 % seulement par le fret ferroviaire.

Or la concentration des acteurs maritimes et le gigantisme des navires entraînent une mutation forte du transport maritime, qui impose aujourd’hui une véritable massification des moyens de transport des conteneurs. La densification par le transport ferroviaire, moins coûteux et plus respectueux de l’environnement, est essentielle pour maintenir la compétitivité des ports français, d’autant que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, puis la programmation pluriannuelle de l’énergie, ont mis l’accent sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment celles de CO2. Le report du transport de marchandises de la route vers le fret ferroviaire est aujourd’hui essentiel ; il s’inscrit dans cette démarche.

Les enjeux justifient l’évolution de nos infrastructures ferroviaires pour mieux connecter les ports de l’axe Seine à l’hinterland européen. De plus, la compétitivité des ports nécessite aujourd’hui l’élaboration d’une véritable politique maritime et portuaire qui valorise les atouts maritimes.

Madame la ministre, j’aimerais savoir quelles seront vos premières décisions pour montrer cette volonté de renforcer la compétitivité des ports normands et donner à notre pays une véritable politique maritime portuaire.

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Madame la sénatrice, je partage pleinement l’idée que nos ports n’ont pas aujourd’hui la place qu’ils devraient avoir dans la compétition européenne. L’exemple des ports normands est significatif à cet égard.

Le renforcement de la compétitivité de nos ports est un enjeu stratégique fort. Vous pouvez compter sur moi pour m’atteler, dans les mois qui viennent, à leur développement.

Comme vous l’avez évoqué, cela passe par un ensemble de mesures. Parmi celles-ci, le renforcement de la gouvernance à l’échelle des principaux corridors est nécessaire.

À cet égard, je veux saluer la démarche d’HAROPA, qui développe, depuis plus de cinq ans maintenant, des synergies entre les trois ports de l’axe Seine, lesquels se coordonnent pour former un acteur portuaire intégré, attractif et durable.

Il faudra également refonder le modèle économique de nos ports pour leur donner les moyens réels de leur développement. À cet égard, je serai notamment attentive à la clarification des relations financières et fiscales entre l’État et ses établissements publics portuaires.

Je souhaite également que l’on examine les conditions qui permettront de faciliter l’implantation, sur le domaine portuaire, d’activités industrielles et logistiques, lesquelles sont une source importante de revenus pour les autres ports européens.

Comme vous l’avez souligné, il faut aussi soutenir la desserte massifiée de nos places portuaires. Au sein du port du Havre, l’État, en investissant aux côtés du port et des collectivités pour la construction d’un nouveau terminal multimodal, a soutenu un véritable outil industriel, même s’il faut encore développer le trafic et enrichir les services offerts par ce terminal.

Ainsi que vous l’avez indiqué, la compétitivité d’un port dépend également de sa capacité à desservir son arrière-pays par les transports terrestres. De ce point de vue, il est vrai que le mode ferroviaire n’occupe pas la place qu’il devrait avoir dans la desserte du port du Havre. Cette situation doit évoluer dans les prochaines années et le Gouvernement y est pleinement engagé.

Ainsi, les premiers travaux de modernisation de la ligne Serqueux-Gisors-Pontoise viennent de débuter. Il s’agit de créer un itinéraire fret alternatif à celui de l’axe historique de la vallée de la Seine, actuellement proche de la saturation. La mise en service est attendue à l’été 2020. Par ailleurs, on sait qu’il existe également des réserves de capacité pour ce qui concerne la desserte fluviale.

Tous ces sujets seront débattus à l’automne, dans le cadre des Assises de la mobilité, où je souhaite que les enjeux de la logistique puissent faire l’objet d’une concertation spécifique, en associant notamment les acteurs portuaires, avec l’ambition de traduire ces orientations en véritables plans d’action à mettre en œuvre à court, moyen et long termes.

M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Je vous remercie, madame la ministre, de cet engagement, qui montre votre compréhension des problématiques réelles et importantes que connaissent aujourd’hui les ports français, notamment normands. L’enjeu, pour notre économie, est réel. Il est aujourd’hui nécessaire d’appréhender ces problématiques globalement, tout en investissant sur l’avenir, pour développer, notamment, la massification et les infrastructures, qui constituent le nœud essentiel du développement économique.

L’engagement de l’ensemble des acteurs portuaires, notamment des acteurs économiques, est réel et les attentes sont fortes. Dès lors, nous vous remercions, madame la ministre !

réhabilitation de la ligne libourne-bergerac-sarlat

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 30, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la ministre, je n’ai pu assister à votre audition devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable jeudi dernier, parce que je présidais la séance publique. Toutefois, je sais que, à cette occasion, vous avez exprimé votre volonté de privilégier la rénovation des lignes ferroviaires existantes par rapport au développement de nouvelles lignes à grande vitesse.

En Dordogne, la réhabilitation de la ligne Libourne-Bergerac-Sarlat, l’une des plus anciennes de la région, dont l’état, très dégradé, demande d’importants travaux, me semble correspondre parfaitement à l’objectif affiché.

Cette ligne cumule un manque d’entretien et bien d’autres handicaps, tels que la présence de 111 passages à niveau sur 168 kilomètres et trop peu de zones d’évitement. Pourtant, elle constitue l’un des axes ferroviaires majeurs du département, avec 700 000 usagers annuels.

L’état actuel de l’infrastructure ne permet plus une exploitation satisfaisante du matériel roulant, avec de nombreux tronçons soumis à des réductions temporaires de vitesse, allongeant le temps de trajet et augmentant encore le nombre, déjà important, de retards. Ces différents éléments appellent une réhabilitation jugée urgente par tous, mais qui demeure aujourd’hui incertaine.

En 2013, une estimation réalisée par SNCF Réseau chiffrait le montant des travaux à réaliser à 45 millions d’euros. La première tranche de ces travaux avait même été inscrite dans le contrat de plan État-région 2015-2020, actant une participation financée aux deux tiers par l’État et la région et, pour le tiers restant, par les collectivités locales concernées et SNCF Réseau.

Mais, le 20 juin dernier, une nouvelle étude commandée par l’entreprise ferroviaire voyait bondir le coût de cette réhabilitation à 91 millions d’euros, rebattant les cartes de la répartition précédemment envisagée.

Ainsi, à l’inquiétude et à la frustration des usagers, largement laissés pour compte dans ce dossier, vient s’ajouter le désarroi des élus, qui l’ont manifesté lors de l’inauguration de la LGV Bordeaux-Paris, en attendant de vous, madame la ministre, des garanties quant à la réalisation et au financement de ce projet par l’État.

L’arrivée de la LGV à Bordeaux et Libourne devait constituer, entre autres, une formidable opportunité pour nos concitoyens périgourdins : celle de bénéficier de temps de trajets réduits vers la capitale. Or force est de constater que ni l’état de l’infrastructure ni le cadencement des trains ne le permettent à l’heure actuelle.

Il en va d’ailleurs de même pour la ligne TER Bordeaux-Périgueux-Limoges : les problématiques du cadencement et du temps de trajet pour se rendre à Paris se posent exactement dans les mêmes termes.

Aussi, madame la ministre, ma question est toute simple : quelles sont vos propositions pour apporter un service public ferroviaire de qualité à nos concitoyens périgourdins ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, au moment où l’on vient de mettre en service la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux, je comprends parfaitement la préoccupation des élus de la Dordogne, qui souhaitent voir leur besoin de connexion à la Gironde pris en compte. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de m’en entretenir avec plusieurs d’entre eux le 1er juillet dernier, lors de l’inauguration de la ligne à grande vitesse.

Cette préoccupation s’inscrit pleinement dans le souhait du Gouvernement d’accorder la priorité à l’entretien et à la régénération des lignes existantes et aux transports de la vie quotidienne.

Comme vous l’avez rappelé, des études ont été réalisées, préalablement au contrat de plan État-région, sur la possibilité d’améliorer la desserte de Bergerac et son raccordement au réseau à grande vitesse via Libourne et Bordeaux. Les travaux de régénération de cette ligne sont inscrits au contrat de plan État-région 2015-2020, selon une clé de répartition que vous avez mentionnée. Ils devront permettre d’assurer la pérennité de l’infrastructure entre Libourne et Bergerac et donc d’éviter la mise en place de ralentissements, qui seraient très pénalisants pour les voyageurs.

Ainsi que vous le soulignez, la dernière estimation de l’opération s’élève à environ 91 millions d’euros, montant que le maître d’ouvrage explique par une dégradation accélérée de l’état de la plateforme ferroviaire. Des optimisations du programme et des coûts sont certainement encore possibles. Elles seront étudiées dans le cadre d’un groupe de travail spécifique.

La réalisation de l’opération passe néanmoins par un nouveau tour de table financier. L’État participe aujourd’hui à hauteur de 35 %. Ce taux est très supérieur aux taux habituellement pratiqués sur les lignes d’intérêt régional, qui s’établissent, en général, autour de 15 %. Néanmoins, l’État est prêt à réaffecter les crédits selon les priorités qui seront définies par la région. Il faudra donc que le préfet de région examine avec les représentants des collectivités territoriales les possibilités de parvenir à un nouveau plan de financement, dans le respect des principes que je viens d’évoquer.

En outre, maintenant que l’opération Sud-Europe-Atlantique est terminée, SNCF Réseau va pouvoir réaffecter des ressources humaines en fonction des priorités définies par la région sur les actions de sécurisation et de fiabilisation du réseau.

En tout état de cause, soyez assuré, monsieur le sénateur, que je resterai très vigilante sur les suites données à ce dossier.

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.

M. Claude Bérit-Débat. Madame la ministre, vous venez de confirmer votre préoccupation concernant l’entretien et la régénération de certaines lignes.

Toutefois, dans le cas d’espèce, le doublement du coût de l’opération n’est pas neutre. Vous l’avez vous-même souligné pour ce qui concerne l’État. Dans ces conditions, celui-ci continuera-t-il à intervenir à hauteur de 35 % ?

Pour ma part, je vous épargnerai le couplet habituel des collectivités confrontées à une baisse annoncée des dotations. Cependant, il s’agit ici de petites collectivités : les EPCI concernés sont de taille moyenne et la commune de Bergerac compte à peine 30 000 habitants.

Par conséquent, si le doublement du coût de l’opération devait conduire à un doublement du coût des moyens financiers demandés aux collectivités, celles-ci se trouveraient dans une impasse financière.

Je parle de cette ligne ancienne qu’empruntent 700 000 usagers, mais je pourrais parler de la même manière de la ligne Bordeaux-Périgueux-Limoges. Les questionnements sont les mêmes ! Notre collègue de Corrèze évoquait tout à l’heure le POLT. Aujourd’hui, si je prends cette ligne à Périgueux, je mets quatre heures et demie pour me rendre à Paris.

L’alternative, pour notre département particulièrement enclavé, est le raccordement à la ligne à grande vitesse. Les problèmes de cadencement, de matériel, d’entretien de la ligne ne peuvent pas être résolus sans une volonté forte de la part de l’État. Vous avez exprimé cette volonté, mais il faut que les moyens financiers adéquats suivent.

contournement est de rouen

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 26, transmise à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

M. Thierry Foucaud. Madame la ministre, le projet de contournement Est de Rouen, qui doit relier l’autoroute A28 à l’A13 et inclure un « barreau » de raccordement vers Rouen, est très largement contesté en l’état. D’ailleurs, une douzaine d’associations se sont prononcées contre ce projet et, lors des réunions d’information, les populations concernées ont exprimé leur refus dans des salles pleines à craquer.

D’ailleurs, l’actuel secrétaire d’État en charge de ces questions, M. Sébastien Lecornu, qui était encore, il y a peu, président du conseil départemental de l’Eure, avait refusé de signer les conventions tendant au financement de ce projet. Des élus locaux de la Seine-Maritime et de l’Eure de toutes sensibilités politiques ont également exprimé leur refus catégorique de voir ce projet aboutir et leur détermination à s’y opposer, sur la base de motifs parfois différents. Un collectif s’est constitué, qui regroupe une quinzaine de communes, représentant 70 000 habitants directement touchés par ce tracé de contournement et farouchement opposés à sa mise en œuvre.

Les motifs d’opposition sont divers et fondés. De fait, il paraît inconcevable de faire l’impasse sur les questions d’environnement, de sécurité des usagers, de santé, de cadre de vie et de modes de déplacement futurs.

D’ailleurs, la question de ma collègue Agnès Canayer, qui est intervenue tout à l’heure sur la question des ports de Normandie, regrettant que 85 % des marchandises soient transportées par la route – je soutiens sa position –, est intimement liée à la préoccupation que j’exprime ici, puisque le contournement Est de Rouen vise essentiellement les camions.

Ce projet est totalement contraire aux engagements du Grenelle de l’environnement, en encourageant le développement du « tout-camion », alors que des choix de transports par rail ou par voie fluviale devraient être une priorité.

Il porte également atteinte à l’économie et à l’emploi, en menaçant de détruire, s’il est mené à son terme, une zone foncière de 400 hectares, ainsi qu’une zone d’activité économique où sont employés plusieurs centaines de salariés.

Le coût global du nouveau tronçon est évalué à plus d’un milliard d’euros. Or, à ce stade, on ne sait rien sur le bouclage du financement de cette infrastructure.

Ce projet est le fruit des réflexions d’élus de l’ancienne majorité gouvernementale. Je crois qu’il n’est pas pour rien, sur la place de Rouen, dans le mauvais sort qui leur a été fait dernièrement…

Compte tenu de ses incidences sur notre environnement, nos emplois, nos habitations, nos finances, la réalisation de ce projet serait traumatisante pour les populations de la périphérie rouennaise et d’une partie du département de l’Eure.

M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Monsieur le sénateur, j’entends les critiques que vous formulez à l’égard du contournement Est de Rouen.

Je voudrais néanmoins rappeler que ce projet a fait l’objet d’un débat public en 2005, d’une concertation recommandée avec un garant nommé par la Commission nationale du débat public en 2014, puis d’une enquête publique en 2016. Le dossier a été transmis au Conseil d’État.

La commission d’enquête a rendu un avis favorable sur le projet, en soulignant qu’il répondait à des objectifs qui lui avaient été fixés, notamment par sa capacité à délester l’hypercentre de Rouen. En réponse à certaines de ses réserves et recommandations, des mesures complémentaires ont été intégrées au projet, en particulier en matière de qualité de l’air, de maîtrise des nuisances sonores et d’insertion dans l’environnement.

S’agissant des modalités de financement du projet, elles ont été partagées avec les collectivités territoriales concernées. Elles sont, du reste, exposées dans le cadre du dossier de l’enquête publique.

Il est ainsi envisagé que ce projet, estimé à 886 millions d’euros, soit réalisé sous le mode concessif, avec une mise à péage. Néanmoins, une subvention publique d’équilibre, estimée à 55 % du coût d’investissement, est nécessaire, les recettes de péage ne permettant pas de couvrir l’ensemble des coûts de construction de cette infrastructure.

À ce stade, ce projet est concerné, comme l’ensemble des grandes infrastructures hors contrat de plan État-région, par la « pause » annoncée par le Président de la République le 1er juillet dernier. Comme nous l’avons déjà évoqué dans cette assemblée, l’addition des engagements pris par les précédents gouvernements conduit, en effet, à une impasse de 10 milliards d’euros sur la durée du quinquennat.

Les Assises de la mobilité que je lancerai en septembre viseront à identifier les besoins de chaque territoire, à examiner les ressources mobilisables, en répondant à un impératif : celui d’adapter les besoins et les ressources.

Elles permettront de préparer le projet de loi d’orientation sur les mobilités, qui sera présenté au Parlement au début de l’année 2018 et qui comprendra à la fois une vision à moyen terme des infrastructures et une programmation quinquennale des investissements, équilibrée en ressources et en dépenses et prenant mieux en compte la priorité à l’entretien et à la maintenance des réseaux existants.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Les élus de l’agglomération – le député de la troisième circonscription, le maire de Saint-Étienne-du-Rouvray, le maire d’Oissel, moi-même et d’autres encore – vous demandent un rendez-vous. Ils en demandent un autre au ministère de la transition écologique, qui est bien évidemment également concerné, compte tenu des engagements pris par la France dans le cadre du Grenelle de l’environnement.

Vous avez parlé d’études sur la qualité de l’air. Nous attendons toujours ces études, que nous avons été les premiers à demander. Nous savons d’ores et déjà que la pollution engendrée par le nouveau tracé sera supérieure à celle qui existait auparavant. Ce simple élément devrait conduire à la mise à l’écart du projet.

D’autres éléments entrent en ligne de compte.

Tout à l’heure, nous avons évoqué l’aménagement des ports normands. Celui-ci nécessite des plateformes. Or, pour l’instant, sur la vallée de la Seine, aucun terrain n’est mis à disposition pour débarquer les conteneurs et les acheminer jusqu’aux lieux de vente. Il faut savoir que, du fait du tracé, une zone de 400 hectares qui pourrait permettre le développement économique de l’agglomération rouennaise sera gelée. Je pourrais vous en parler longuement…

Vous avez évoqué les réunions d’information. Ces dernières, auxquelles j’ai participé, ont réuni des salles pleines à craquer de personnes opposées au projet – 450 sur la troisième circonscription, 400 personnes sur les plateaux est de Rouen. Sans vouloir être discourtois à son égard, je m’étonne que le directeur régional de l’environnement, de l’aménagement et du logement estime que ces réunions se sont bien déroulées et n’ont donné lieu qu’à l’expression de quelques remarques, qui seront prises en compte. Ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées ! Les remarques qui ont pu être faites sur la santé, l’environnement, la question du « tout-routier » ou encore celle du développement économique et social ont témoigné de l’opposition d’une grande partie de la population de l’agglomération rouennaise au projet. Je peux vous assurer qu’il s’agit là d’un sujet brûlant !

santé publique et lutte contre les nuisibles

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, auteur de la question n° 12, adressée à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Colette Mélot. Madame la secrétaire d’État, qu’il s’agisse des frelons asiatiques, des moustiques tigres, des chenilles processionnaires urticantes, des punaises de lit ou encore des rats, les nuisibles envahissent de plus en plus espaces verts, exploitations agricoles, forêts, villes et villages, logements, le risque qu’en soient importés davantage des quatre coins du monde étant accru durant la période des vacances d’été.

D’ailleurs, lors de la première journée mondiale dédiée à la prévention des nuisibles, le 6 juin dernier, les professionnels n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme.

Dans nos communes, les particuliers se tournent très naturellement vers leur maire, souvent désemparé face à un fléau qui ne connaît pas de frontières et qui peut conduire à l’hospitalisation des personnes touchées et à des chocs allergiques chez les animaux.

À cela s’ajoute la restriction – totalement justifiée – d’utilisation des solutions biocides pour raisons environnementales, mais qui rend les traitements moins efficaces. Et les essais menés sur les territoires n’en sont encore qu’à un stade expérimental.

Dans mon département, la Seine-et-Marne, la prolifération de la chenille processionnaire, qui touche aujourd’hui plus de 300 communes, est devenue un véritable sujet de santé publique contre lequel les collectivités locales n’ont pas les moyens techniques et financiers de lutter. Aussi, chacun se bat comme il peut et, souvent, l’abattage des arbres reste malheureusement la solution radicale retenue par les particuliers.

Outre les conséquences parfois terribles sur la vie quotidienne, on estime à 38 millions d’euros par an les coûts engendrés par les nuisibles en France.

Madame la secrétaire d’État, face à un fléau qui appelle la mise en place urgente de moyens de lutte à la fois techniques et financiers à l’échelle nationale et une collaboration étroite entre État, collectivités et professionnels, quel plan d’action comptez-vous développer pour enrayer rapidement une prolifération qui inquiète vraiment nos populations ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, je vous prie de bien vouloir excuser Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, qui, n’ayant pu être présent ce matin, m’a chargée de vous répondre.

Vous venez d’évoquer plusieurs espèces dont la prolifération a des conséquences directes non seulement sur la faune sauvage et domestique, mais aussi sur l’homme. Depuis plusieurs années, l’État met en place des mesures de régulation adaptées.

Je pense, par exemple, au frelon asiatique. Arrivé accidentellement en France en 2004, il s’est largement installé sur le territoire national et a rapidement montré son caractère invasif et dommageable, notamment vis-à-vis des abeilles domestiques.

La loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a complété le code de l’environnement pour agir efficacement contre ce type d’espèces exotiques envahissantes. Le décret publié le 23 avril 2017 a permis de préciser les dispositions de contrôle et de gestion de leur propagation.

Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que le frelon asiatique a été classé en danger sanitaire de catégorie 2 et que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation finance des études pour évaluer les moyens de faire baisser la pression de prédation.

Vous avez également évoqué le moustique tigre, espèce invasive installée en France depuis 2004 et qui peut être vecteur de maladies telles que la dengue et le chikungunya. Sachez que, chaque année, du 1er mai au 30 novembre, la direction générale de la santé active le dispositif de lutte contre cette espèce et de surveillance des arboviroses en métropole.

Enfin, la progression vers le nord de la chenille processionnaire du pin, ravageur d’origine méditerranéenne répandu depuis longtemps sur une grande moitié sud de la France, est une illustration de la nécessité de s’adapter au changement climatique.

Cette espèce invasive a un impact avéré sur la santé des populations humaines et animales, ainsi que sur certains végétaux arbustifs. La politique préconisée pour lutter contre la chenille processionnaire s’appuie sur une gestion localisée et ciblée impliquant une responsabilisation des pouvoirs locaux et des particuliers.

Ce sont les ministères chargés de la santé et de l’agriculture qui sont compétents pour définir la nature des mesures à prendre sur ces questions essentiellement sanitaires – santé publique et santé des végétaux. Sachez toutefois que le ministère de la transition écologique et solidaire reste pleinement mobilisé sur ce sujet, lequel, comme vous l’avez souligné, touche de nombreux Français dans leur quotidien et a trait à la reconquête de la biodiversité et à la lutte contre le réchauffement climatique.

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. J’ai bien noté qu’un décret a été pris concernant la prolifération des frelons asiatiques et que des expérimentations sont en cours pour lutter contre les moustiques tigres.

Toutefois, madame la secrétaire d’État, la question des chenilles processionnaires inquiète davantage les habitants de mon département qui se tournent vers les maires. Comme vous l’avez souligné, l’apparition de ces chenilles, de plus en plus envahissantes, a des conséquences sur la santé humaine. Certains arbres touchés sont situés aux abords des écoles. Les élus locaux ont d’autant plus de difficultés à répondre aux interrogations des habitants que des moyens financiers sont nécessaires pour faire face, chaque année, à ces propagations.

Je vous remercie de prendre en compte cette question. Il s’agit d’un sujet vraiment important pour nos populations. J’espère que le ministre de la transition écologique et solidaire pourra proposer des solutions à même de rassurer nos populations.

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de l’action et des comptes publics, se lèvent et applaudissent longuement.)

3

Hommage À Jean-Claude Gaudin, sénateur des Bouches-du-Rhône, vice-président du Sénat

M. le président. La parole est à M. le président du Sénat.

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président, je n’ose m’appuyer sur l’article 36, alinéa 3, de notre règlement (Sourires.) pour ce rappel, non pas au règlement, mais à la fidélité et à l’amitié. Au nom de tous les sénateurs qui ont partagé avec vous toutes ces années, cher Jean-Claude Gaudin, ce rappel à la fidélité et à l’amitié, nous vous le devons !

Vous avez choisi de demeurer, en application de la loi, maire de cette ville qui vous est tout, qui vous est chère, Marseille. Celui qui n’a pas traversé Marseille dans la voiture de Jean-Claude Gaudin, fenêtres baissées, entendant des « Bonjour, monsieur le maire ! » – avec l’accent ! (Sourires.) –, ne sait pas quelle relation peut unir un maire à sa cité.

Au moment où beaucoup de nos collègues vont prendre des décisions de cette nature, je voudrais dire que ce lien charnel, ce lien viscéral, que vous entretenez avec Marseille est à l’image du lien unissant le potier à la terre qu’il façonne.

Ministre, conseiller régional, président de région, conseiller général, député, sénateur, président de groupe, vous avez exercé toutes les fonctions, mais c’est votre cité qui vous est restée essentielle. Vous avez même refusé certaines de mes propositions pour faire passer d’abord Marseille et sa métropole dans laquelle vous vous êtes ô combien engagé. Marseille, c’est vous, cher Jean-Claude Gaudin !

Alors que nous allons engager des réflexions institutionnelles, comme le Président de la République nous y invite, je propose de constitutionnaliser un mode de votation que vous avez créé quand, président de séance, vous disiez : « Je consulte le Sénat du regard » pour ensuite tirer les conclusions que vous souhaitiez ! (Sourires.)

Au temps de l’électronique et du numérique, le regard de Jean-Claude Gaudin nous manquera, mais ne nous quittera pas : ce sera un regard venu du bord de la Méditerranée, empreint de la fidélité d’un homme à son pays, à son engagement et à nos institutions. Merci, président Gaudin ! (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de l’action et des comptes publics, se lèvent et applaudissent longuement.)

M. le président. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues…

M. Jean Desessard. Une larme !

M. le président. Plusieurs, mon cher collègue. (Sourires.)

Après avoir passé trente-neuf ans au Parlement, dont vingt-huit au Sénat et quinze en tant que vice-président de la Haute Assemblée, je préside aujourd’hui la séance pour la dernière fois.

Je ne m’attendais pas, monsieur le président, à votre rappel au règlement. Aussi, je ne peux m’empêcher de vous dire toute la joie, le bonheur, l’honneur que j’ai eus d’être parmi vous. Au moment où les hommes et les femmes engagés dans la vie publique sont si injustement critiqués, je suis fier d’avoir été parmi vous.

Beaucoup, auprès des ministres, ou les ministres eux-mêmes, ont eu la chance de faire de grandes écoles et d’obtenir de nombreux titres universitaires. Ici, nous sommes nombreux à avoir suivi un autre parcours, à avoir gravi un à un les échelons de notre vie démocratique.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. le président. Ici, nous avons reçu souvent, les uns et les autres, le sacrement du suffrage universel. Ici, et c’est mon cas, nous avons appris le droit constitutionnel et, plus encore, le respect, la considération du parcours politique de chacun.

Cela ne vous surprendra pas, mes chers collègues – tout du moins pas le président du Sénat (Sourires.) –, j’ai décidé de rester à Marseille, où je siège au conseil municipal depuis cinquante ans.

Mes chers collègues, j’ai pour vous tous un immense respect, et beaucoup d’amitié. Je ne résiste pas, en cette occasion, à la tentation de vous le dire : vous êtes des élus exemplaires de la République.

Vive le Sénat et vive la République ! (Applaudissements vifs et prolongés.)

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Mon intervention sera beaucoup plus ordinaire que celles, exceptionnelles, qui ont précédé.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais évoquer la décision injuste du Gouvernement de baisser les aides personnalisées au logement, ou APL, de cinq euros par mois pour 6,5 millions de ménages. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Outre le fait que cette décision a été prise sans aucune concertation, son caractère antisocial nous scandalise : 75 % des bénéficiaires des APL font partie du tiers des Français les plus pauvres, 60 % d’entre eux vivant sous le seuil de pauvreté.

Cette mesure fait l’unanimité contre elle : les bailleurs considèrent qu’il s’agit d’un emplâtre sur une jambe de bois et toutes les associations étudiantes, y compris l’UNI, la dénoncent, ainsi que les associations pour le droit au logement et les syndicats.

Non, cinq euros, ce n’est pas de l’argent de poche, contrairement à ce qu’affirment certains députés du groupe La République en Marche. C’est malheureusement le reste à vivre pour trop de familles. C’est l’argent nécessaire pour acheter le pain et les aliments de base. Sur l’année, cela représente soixante euros, soit l’équivalent d’un caddie de courses hebdomadaires. Cinq euros, c’est aussi deux jours de cantine pour un enfant.

Il ne s’agit pas simplement de réduire une ligne du budget de l’État. Cette réduction est insupportable pour ces enfants et ces familles qui se battent tous les jours pour vivre ou survivre.

Le Gouvernement fait les poches aux pauvres, alors qu’il s’apprête, en supprimant la part immobilière de l’impôt sur la fortune, à faire un nouveau cadeau de 3 milliards d’euros aux Français les plus riches. Cherchez l’erreur !

Ne nous parlez pas d’économies : 400 millions d’euros par an, ce sont des économies de bouts de chandelle ! Nous avons des propositions autrement plus justes et plus efficaces : attaquez-vous, par exemple, à l’évasion fiscale qui coûte chaque année 80 milliards d’euros à l’État ; instituez une véritable taxe sur les transactions financières qui rapporterait 36 milliards d’euros par an ; attaquez-vous au logement cher et aux salaires trop bas.

Nous savons tous que ce n’est pas en baissant les APL que nous ferons baisser les loyers. Au contraire, c’est en construisant plus de logements, par le biais d’aides à la pierre à la hauteur et en régulant les prix du logement, que nous y parviendrons.

L’État doit protéger les plus faibles, les plus fragiles, et garantir à tous l’accès aux droits essentiels. Vos décisions sont une véritable marche arrière. Nous vous demandons donc de renoncer à cette mesure anti-pauvres et anti-jeunes, indigne de notre République, qui ne devrait oublier personne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre déclaration.

5

Demande de priorité (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 9 (priorité)

Renforcement du dialogue social

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (projet n° 637, texte de la commission n° 664, rapport n° 663, avis n° 642).

Mes chers collègues, je vous rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social

M. le président. L’article 9 ainsi que l’amendement portant article additionnel après l’article 9 sont examinés par priorité.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article additionnel après l’article 9 (priorité)

Article 9 (priorité)

I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant, d’une part, de décaler au 1er janvier 2019 l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et de modifier en conséquence les années de référence des mesures transitoires prévues à l’article 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 et, d’autre part, de décaler d’un an l’entrée en vigueur du B du I de l’article 82 de la même loi.

Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de cette ordonnance.

II. – Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 30 septembre 2017, un rapport exhaustif présentant les résultats des expérimentations menées de juillet à septembre 2017 et de l’audit réalisé par l’inspection générale des finances et par un cabinet indépendant sur le prélèvement à la source, prévu par la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, afin d’éprouver, par des tests, les effets positifs ou indésirables du dispositif prévu et de présenter des propositions visant à améliorer la prise en compte des réductions et crédits d’impôt dans le calcul du prélèvement et à réduire la charge induite par la retenue à la source pour les tiers collecteurs, en particulier les entreprises.

Ce rapport présente également les résultats de simulations et de tests complémentaires concernant, d’une part, la collecte de la retenue à la source, prévue par la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, par l’administration fiscale et, d’autre part, la mise en œuvre d’un prélèvement mensualisé et contemporain faisant coïncider l’année de perception des revenus avec l’année de prélèvement et permettant aux contribuables de moduler le montant de leurs mensualités en temps réel, en cas de variation de leurs revenus ou de changement de leur situation personnelle.

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, sur l’article.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a déjà été pratiqué en France pendant la Seconde Guerre mondiale, on l’a quelque peu oublié.

Un tel mode de perception de l’impôt, appelé alors « stoppage à la source », fut pratiqué pour imposer traitements, salaires, pensions et rentes viagères.

Le décret-loi de novembre 1939, destiné à permettre la perception de cette « contribution », était clairement justifié par les circonstances de guerre. L’impôt fut d’ailleurs assorti d’une contribution exceptionnelle – sans doute pour tenir compte des circonstances – que le gouvernement de l’État français s’empressera de supprimer à l’été 1940, une fois consommées la défaite et la honte d’un armistice réduisant les effectifs de l’armée française à 100 000 soldats, au maximum.

Les esprits chagrins auront d’ailleurs remarqué que le « stoppage » ne concernait que les revenus aisément repérables et contrôlables et nullement ceux du capital ou du patrimoine.

Le dispositif disparut en 1948 pour faire place au célèbre « impôt sur le revenu des personnes physiques » unifiant impôt cédulaire d’antan et progressivité pour les revenus plus importants.

Chacun sait toutefois que les trente dernières années de notre histoire fiscale ont été marquées par des coups de rabot successifs sur la progressivité de l’impôt, avec notamment la suppression de l’abattement de 20 % sur les traitements et salaires, et par la montée en puissance d’un autre impôt sur le revenu, à caractère proportionnel, à savoir la contribution sociale généralisée.

La CSG, aujourd’hui, rapporte davantage que l’impôt progressif, et rapportera plus encore avec la ponction supplémentaire liée au basculement des cotisations chômage et de la cotisation maladie résiduelle.

La retenue à la source de l’impôt sur le revenu doit donc clairement être regardée comme la première étape vers la fusion-confusion entre impôt sur le revenu et contribution sociale généralisée et, par voie de conséquence, vers l’étatisation renforcée de la sécurité sociale. C’est précisément ce dont nous ne voulons à aucun prix.

Rappelons enfin que la retenue à la source n’est pas la panacée contre la fraude fiscale : des pays comme l’Italie ou la Grèce la pratiquent de longue date. Tout commentaire me semble superflu sur la situation des comptes publics de ces deux nations européennes amies de la France qui appliquent la retenue à la source.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, sur l’article.

Mme Élisabeth Lamure. Cet article 9 est important aux yeux de la délégation aux entreprises, laquelle, depuis sa création, recense les obstacles au développement de nos entreprises, et donc à l’emploi. Alors que les entreprises croulent déjà sous les obligations administratives, on envisage de les charger d’une nouvelle tâche, celle de prélever l’impôt sur les salaires. Certains font valoir que ce serait plus simple pour le contribuable ; rien n’est moins sûr.

Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’une complexité supplémentaire serait introduite pour les entreprises ; nous les rencontrons régulièrement et elles nous ont fait part de leur grande inquiétude.

C’est pourquoi nous avons confié une étude à un cabinet indépendant afin d’évaluer l’impact, pour les entreprises, du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Les résultats de cette étude accessible en ligne sont frappants ; ils ont été rappelés, d’ailleurs, par le rapporteur général de notre commission des finances. La mesure aurait un coût initial d’environ 1,2 milliard d’euros la première année, et un coût récurrent de l’ordre de 100 millions d’euros. Plus grave encore, 75 % du coût total de la mesure serait assumé par les TPE de moins de 10 employés.

Au-delà de la question du coût, l’étude montre que les chefs d’entreprise craignent une dégradation des relations sociales, en raison de l’immixtion des entreprises dans la vie privée des salariés. Ils redoutent également l’apparition de revendications salariales liées à la diminution de la rémunération nette figurant sur le bulletin de paie. Ces éléments sont à prendre en compte au moment où l’on souhaite favoriser le dialogue social au sein des entreprises !

C’est le rôle de la délégation aux entreprises de vous alerter sur ces risques, monsieur le ministre, et nous nous réjouissons de l’évolution du texte résultant des travaux de nos collègues de la commission des finances et de la commission des affaires sociales.

Dans l’exposé des motifs de son amendement n° 152, le Gouvernement explique qu’il n’aura pas le temps de tester le prélèvement mensualisé et contemporain ; un tel dispositif permettrait pourtant de corréler instantanément revenu et impôt sans que les entreprises portent le poids du dispositif.

La France souffre de trop nombreuses réformes menées sans étude d’impact préalable sérieuse ; nous ne cessons, après coup, de légiférer pour réparer des erreurs qu’une évaluation aurait permis d’éviter. Ne commettons pas, une nouvelle fois, une telle erreur collective ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 50 rectifié, présenté par M. Carcenac, Mme M. André, MM. Botrel, Chiron, Éblé, Guillaume, Lalande, F. Marc, Raoul, Raynal, Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. La mise en place du prélèvement à la source a donné lieu à un débat très approfondi au sein de notre commission des finances.

Je rappellerai simplement que ce prélèvement est une mesure de justice pour les contribuables qui voient leur situation fiscale évoluer d’une année sur l’autre. Ce n’est pas marginal : 30 % des contribuables français sont concernés chaque année. En rendant le paiement de l’impôt contemporain de la perception des revenus et en évitant le décalage d’un an, cette mesure protège ceux qui subissent une perte de revenus de manière parfois choisie, mais parfois subie. Le paiement est également mieux réparti, puisque l’impôt sera prélevé sur douze mois au lieu de dix.

Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de reporter d’un an la mise en place de cette mesure, ce que nous regrettons. La réforme a été minutieusement préparée par une administration excellente, qui a organisé la formation de ses agents, informé les contribuables, et dont les fournisseurs ont déjà mis en place les logiciels nécessaires. Elle est prête, et un test était initialement prévu pour cet été.

Ce report ne nous semble donc pas utile, sauf à fournir un rapport de plus. Nous n’osons croire que ce report vise en réalité, comme la presse s’en est fait l’écho, à ce que l’entrée en vigueur du prélèvement à la source coïncide avec la suppression de certaines cotisations salariales et avec la hausse de la CSG.

Par ailleurs, la commission des finances, sur l’initiative de son rapporteur général, dont la démarche est logique, a complété l’article 9 par certaines dispositions auxquelles nous ne sommes pas favorables, s’agissant notamment de la réduction de la charge induite pour le tiers collecteur. Des tiers collecteurs, il y en a déjà pour la TVA !

Je rappelle que le prélèvement à la source représente une ligne de plus à remplir sur la déclaration sociale nominative, la DSN, vaste chantier mis en œuvre dès 2013 selon une méthode collaborative. La DSN comprend actuellement 24 lignes ; rares sont aujourd’hui les PME et TPE qui ne sont pas encore passées à la DSN et qui ne respectent pas la loi.

Surtout, monsieur le rapporteur général, nous ne pouvons vous soutenir concernant la mise en place d’un prélèvement mensualisé et contemporain.

Pour ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à supprimer l’article 9.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur pour avis. Grande surprise, monsieur le président : avis défavorable ! (Sourires.)

Un point d’accord avec le groupe socialiste, tout de même : cet article 9 n’a strictement rien à voir avec le texte sur le dialogue social. Peut-être sommes-nous, éventuellement, dans le dialogue fiscal…

Néanmoins, je suis d’accord avec le Gouvernement : il y a urgence à annoncer suffisamment tôt aux contribuables et aux entreprises que le prélèvement à la source est reporté d’un an. Il vaut mieux que ce report figure dans un texte discuté aujourd’hui plutôt que dans le projet de loi de finances – ce serait un peu tard. Il fallait trouver un vecteur législatif ! Si nous pouvons admettre que le lien avec le texte sur le dialogue social est ténu, il est néanmoins utile d’informer les contribuables à temps.

Thierry Carcenac l’a rappelé : la position de la commission des finances, qui est la position du Sénat, est celle qui avait été adoptée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2017.

Je veux interroger M. le ministre, avec une série de questions auxquelles, pour faire simple, je donnerai également les réponses : le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu, en France, est-il mauvais ? Non, c’est l’un des plus élevés au monde. Le mode d’imposition est-il complexe ? Non, grâce à la déclaration préremplie. Les outils que nous offre la DGFiP, la direction générale des finances publiques, sont-ils simples ? Oui, ils fonctionnent plutôt bien. A-t-on le choix du mode de paiement ? Oui : prélèvement automatique, mensualisation, tiers provisionnel… Tout cela fonctionne ! Pourquoi donc complexifier ce dispositif ?

Je reconnais – je suis d’accord sur ce point avec Thierry Carcenac – qu’il y a un seul sujet véritable : on paie ses impôts sur la base de l’année n-1. C’est, en définitive, tout le débat !

Or, nous a-t-on rappelé à l’instant, 30 % des contribuables voient leurs revenus changer chaque année. Sans doute est-il possible de résoudre ce problème du décalage entre l’année de paiement des impôts et l’année de versement des revenus imposés.

Or nous considérons qu’une autre solution, en la matière, était possible – il est même probable que ce ne soit pas la seule. La commission des finances et le Sénat ont proposé d’utiliser le « tuyau » de la DSN, qui permet d’alimenter en temps réel l’administration fiscale avec les informations relatives aux revenus des contribuables. La DGFiP pourrait ainsi calculer l’impôt ; les contribuables seraient tous mensualisés non pas sur la base de leur historique de l’année n-1, mais sur celle des revenus perçus l’année n. Il y aurait certes un décalage d’un, deux ou trois mois ; mais un tel dispositif représenterait une avancée considérable par rapport au système actuel.

Surtout serait conservée cette relation duale entre le contribuable et l’administration fiscale, sans qu’il soit besoin d’embêter les entreprises – Élisabeth Lamure a rappelé à l’instant les conclusions de l’étude réalisée : le coût serait considérable, notamment pour les TPE.

La solution que nous préconisons est beaucoup plus simple et efficace que celle qui émane du gouvernement précédent ; son adoption permettrait de mettre en place un impôt moderne, au prélèvement contemporain, sans choc de complexité.

Taux par défaut, taux normal, taux choisi, deux taux dans l’année : on a inventé une usine à gaz, assortie de x taux, pour résoudre un seul problème, celui du paiement de l’impôt sur la base des revenus de l’année n-1 !

D’autres solutions existent ; c’est la raison pour laquelle l’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. D’abord, monsieur le président, je vous prie d’accepter les hommages respectueux du Gouvernement et de ma personne pour votre travail, ici, au Sénat. Chacun sait que nous perdrons beaucoup à ne plus vous compter au nombre des parlementaires, monsieur le président Gaudin !

M. Jean-Claude Lenoir. Dura lex, sed lex !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je commencerai par quelques mots de réponse aux orateurs qui ont pris la parole sur l’article.

S’il a été question à plusieurs reprises, au long de notre histoire politique, de mettre en place la retenue à la source, et si tous les pays européens et tous les pays occidentaux, aujourd’hui, mettent en œuvre soit un impôt à la source soit un impôt qui s’en rapproche, nous sommes les seuls à fonctionner autrement. La spécificité française a parfois du bon ; mais il arrive que ce ne soit pas le cas. Je voudrais dire à Mme la sénatrice Beaufils que, depuis 1940, un certain nombre de changements ont eu lieu, notamment techniques et technologiques, qui rendent possible, désormais, la contemporanéité de l’impôt.

En définitive, à entendre les différents orateurs, notamment M. le rapporteur pour avis, auteur d’un excellent rapport, mais aussi l’orateur du groupe socialiste, personne ne remet en cause l’intérêt d’un impôt contemporain.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Certes !

M. Gérald Darmanin, ministre. La possibilité de payer l’impôt sur le revenu au moment où sont perçus les revenus correspondants : voilà un avantage qui doit être offert à nos concitoyens. Il a d’ailleurs été souligné que 30 % d’entre eux voient leurs revenus changer de manière très importante, pour beaucoup à la baisse, d’une année sur l’autre. La retenue à la source, c’est une modalité de cet impôt contemporain.

Existe-t-il d’autres modalités possibles ? M. le rapporteur pour avis a évoqué cette question, ainsi que Mme la sénatrice Lamure. Réponse : peut-être ! Nous pensons, nous – c’est l’objet de la proposition que fait le Gouvernement aujourd’hui – que la contemporanéité de l’impôt doit être garantie. Essayons de trouver d’autres modalités ; mais, comme je l’ai expliqué devant la commission des finances, il nous faut « scientifiser » de telles alternatives.

En effet, comme l’a reconnu lui-même le rapporteur général, le recours à la DSN occasionnerait un décalage de trois mois. Ce décalage serait tout à fait préjudiciable aux particuliers : il ajouterait les mauvais côtés de la retenue à la source aux mauvais côtés de l’impôt sur le revenu tel que nous le connaissons.

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des revenus qui, pendant deux, trois, quatre, cinq, dix ans, demeurent stables ! Beaucoup de gens voient leurs revenus changer de mois en mois. Prenons un exemple que nous connaissons tous : un ouvrier qui perçoit un treizième mois le touche au mois de décembre. Avec le système proposé par M. le rapporteur pour avis, dont je veux souligner l’ingéniosité, il paiera l’impôt correspondant plus tard, à savoir au mois de février ou de mars, c’est-à-dire, peut-être, au moment où il aura le moins les moyens de le payer.

Je demande donc que nous examinions scientifiquement la proposition évoquée à la fois par M. le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et par M. le rapporteur général de la commission des finances du Sénat.

C’est pourquoi, monsieur Carcenac, nous proposons de décaler d’un an la mise en œuvre de la réforme.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet, nous avons nous-mêmes interrogé l’excellente administration fiscale, mais aussi les syndicats de Bercy. Ils nous ont parlé d’une difficulté possible ; c’est ce que nous devons vérifier. C’est pourquoi une expérimentation est en cours.

Toutefois, l’ancien gouvernement n’avait pas tout prévu, si vous me permettez cette observation, monsieur le sénateur Carcenac : l’expérimentation était prévue en juillet, août et septembre, et les feuilles d’imposition auraient donc dû être envoyées avant qu’elle ne s’achève. À quoi donc l’expérimentation pouvait-elle bien servir, aurait-on demandé, puisqu’il n’était pas prévu, à son terme, d’en tirer les conclusions – est-ce que ça marche, ou pas ?

Excusez-moi donc de vous dire, monsieur Carcenac, que le précédent gouvernement avait peut-être mis la charrue avant les bœufs. Si vous croyiez tant en cette réforme, il fallait la faire au début du quinquennat, et pas à la fin !

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite évoquer une deuxième question avec vous, en vous priant de m’excuser, monsieur le président, de m’étendre un peu sur cette discussion – mais ce qui sera dit le sera une fois pour toutes.

Madame la sénatrice Lamure, vous avez parlé d’un coût supérieur à 1 milliard d’euros. Nous ne sommes pas convaincus par cette estimation, bien que la réforme soit en effet, peut-être, l’occasion d’une charge administrative supplémentaire pour les TPE et les PME. Le cabinet Mazars et l’inspection générale des finances devraient pouvoir donner une réponse scientifique à cette question, comme nous le leur avons demandé.

J’ai d’ailleurs émis un avis favorable, à l’Assemblée nationale, sur un amendement tendant à demander la remise d’un rapport sur ce sujet, de même que je m’apprête à émettre un avis favorable sur le texte adopté par la commission des finances, sous réserve de l’adoption de mon amendement n° 152, afin de montrer la bonne foi du Gouvernement, qui se garde de toute idéologie. Nous remettrons ce rapport sur le caractère réel ou fantasmé de la surcharge administrative présumée pour les entreprises le 30 septembre au Parlement ; il émanera de l’IGF et du cabinet privé dont je viens de parler.

Je vous rappelle d’ailleurs, madame la sénatrice, que toutes les entreprises ne sont pas contre la retenue à la source. Les entreprises frontalières la pratiquent déjà pour beaucoup de leurs salariés, qu’ils soient belges, espagnols ou italiens – je peux vous le dire, moi qui suis originaire d’une ville frontalière. J’ajoute que le monde agricole, dont les activités sont marquées par la saisonnalité, attend beaucoup du prélèvement à la source. Toutes les entreprises, en la matière, ne sont donc pas rétives !

Par ailleurs, la simplification inhérente à la DSN a été adoptée par 97 % des entreprises ; restent 3 %, parfois des TPE et des PME. Le report de la retenue à la source permet donc également d’attendre que 100 % des entreprises soient passées à la DSN.

Enfin, monsieur le rapporteur général, nous sommes tout à fait d’accord pour travailler ensemble sur le report de l’impôt à la source. Je retiens en particulier un avantage de ce type de prélèvement : il se fait sur douze mois, pas sur dix, ce qui représente un gain d’intelligibilité certain pour nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour explication de vote sur l’amendement n° 50 rectifié. (Exclamations amusées sur toutes les travées.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Marseille !

M. Jean-Noël Guérini. Ils sont jaloux, monsieur le président Gaudin ! Vous avez reçu, me dit-on, une standing ovation. Avec l’autorisation de M. le ministre et de M. le président, permettez-moi, mes chers collègues, en tant que Marseillais, de m’adresser à celui que j’appellerai « monsieur le maire ». (Sourires.)

Monsieur le maire, donc, mon cher Jean-Claude, vous présidez aujourd’hui votre dernière séance, et je tiens à saluer l’homme, autant que l’homme politique, avec un respect teinté, à titre personnel, d’une immense émotion.

Bien sûr, dans la ville que vous aimez et défendez avec talent, nous eûmes des orages ! (Sourires.) On ne traverse pas quarante ans de combats et de batailles politiques sans nuages ni tensions. Mais ces affrontements étaient destinés à faire plus et mieux pour Marseille, ce qui nous a permis, monsieur le président, de surmonter toutes les tempêtes, même les plus terribles !

Vous manquerez à la Haute Assemblée, mais, pour ma part, j’ai l’assurance - et j’aurai la chance - de vous retrouver dans quelques jours, ou quelques heures, sous la protection de la Vierge de la Garde,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Priez pour nous ! (Rires.)

M. Jean-Noël Guérini. … qui vous accompagnera encore longtemps. D’autres piaffent pour vous succéder ; je sais qu’avec votre intelligence et votre sens des responsabilités, vous saurez vous garder de vos amis comme de vos ennemis.

Merci pour tout, cher Jean-Claude Gaudin ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe La République en marche, du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. Merci, monsieur Guérini !

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, permettez-moi, avant de revenir au texte, de vous adresser, au nom de mon groupe, mon très amical salut.

Notre position sur la retenue à la source a été rappelée. Permettez-moi toutefois de préciser ici quelques motifs qui nous conduiront à ne pas voter en faveur de la suppression de l’article 9. On peut effectivement, comme nos collègues socialistes, se demander ce que vient faire cet article dans un texte sur le droit du travail, lequel se retrouve ici dans l’orbite du droit fiscal.

L’article 9 aurait donc les apparences d’un « cavalier » législatif, les dispositions modifiées ne pouvant l’être que par une loi de finances, puisqu’il s’agit ici d’articles issus de la seconde partie de la loi de finances pour 2017, dont l’examen n’a pas eu lieu au Sénat.

Pour autant, l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, dont l’article 9 faisait partie, ne retient absolument pas cette hypothèse et ne discute donc pas plus avant du bien-fondé de la présence de cette disposition dans ce texte, bien que le lien qu’elle entretient avec le « dialogue social » ne soit qu’assez ténu.

En outre, comme il est rappelé dans le rapport de la commission des finances, tout ceci n’est pas en infraction avec les principes organiques de discussion de la loi de finances.

En réalité, mes chers collègues, le véritable débat soulevé par l’examen de cet article n’est pas un débat de pure technique fiscale, mais un débat politique de fond sur le sens que l’on souhaite donner à notre système de prélèvements dits « obligatoires ». En effet, il est notamment question, depuis le début de la législature en cours, de procéder à quelques mutations de notre droit.

La moindre n’est pas de réduire de manière assez sensible la taxation du capital et des patrimoines, via, dans un premier temps, la réduction de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, et la sortie des revenus financiers de l’assiette de l’impôt sur le revenu par application d’un prélèvement libératoire de 30 %, qui solderait l’affaire, autant pour les finances sociales que pour les finances de l’État.

Comme les différentes contributions sociales actuelles atteignent 15,5 %, on imagine donc que la part restant au budget de l’État sera de 14,5 %, taux assez éloigné, chacun en conviendra, des 45 % du taux d’imposition maximal du barème !

La réforme fiscale qui se dessine, en filigrane, derrière la mise en œuvre de la retenue à la source, revient à solliciter de manière plus importante les couches modestes et populaires au travers des impôts de consommation : TVA, TICPE, ou taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, droits sur les tabacs et sur les alcools, contribution climat-énergie.

Elle revient également à accroître la pression fiscale sur les « classes moyennes » par un impôt direct de plus en plus proportionnel, via notamment le rapprochement de la CSG et de l’impôt sur le revenu et un allégement de fiscalité pour les revenus les plus aisés.

Mes chers collègues, la disparition du quotient familial inquiète assez peu les ménages fortunés, qui ont bien d’autres moyens de réduire la facture !

Voici pourquoi, en quelques mots, nous ne voterons pas cet amendement de suppression de l’article 9.

M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.

M. François Marc. Deux mots pour justifier un vote favorable à l’amendement présenté par Thierry Carcenac : il s’agit, par cette réforme portant sur le prélèvement à la source, d’une modernisation nécessaire.

La France est aujourd’hui l’un des seuls pays au monde à ne pas appliquer le prélèvement de l’impôt l’année même du versement des revenus. En Europe, il en reste deux – je ne cite pas l’autre, cela ne nous placerait pas en très bonne compagnie. Il s’agit d’une mesure de modernisation, qui va en outre dans le sens des avancées sociales, puisque le décalage qui est en cause pénalise 30 % des familles modestes. Il s’agit donc de trouver un dispositif adapté. Les travaux qui ont été menés en ce sens méritent attention.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que vous étiez convaincu de la pertinence de ces arguments. Tant mieux ! La question posée consiste à savoir si nous sommes prêts ou non à mettre en œuvre cette réforme immédiatement. Nous avons entendu à maintes reprises l’ancien secrétaire d’État Christian Eckert et nous avons très souvent travaillé, en commission des finances, sur ce sujet. Il me semble – les collègues de notre groupe en sont convaincus – que nous sommes prêts ! Nous avons eu des discussions avec l’administration fiscale, le secrétaire d’État nous a convaincus, et je pense que nous sommes en mesure de procéder à une mise en œuvre immédiate de la retenue à la source.

C’est la raison pour laquelle il ne me paraît pas souhaitable de reporter d’un an l’entrée en vigueur de la réforme. Nous savons très bien à quoi mènent les reports : ils sont parfois l’antichambre des remises en question et des refus – dès lors que l’on touche à la fiscalité, en effet, l’impopularité guette.

Nous recommandons par conséquent que la retenue à la source soit mise en œuvre le plus vite possible, conformément à ce qui était prévu. Nous sommes prêts à y aller ; l’administration fiscale a été briefée en ce sens de toutes les manières possibles et envisageables ! L’adoption de cet amendement serait donc totalement fondée : il convient de supprimer le report d’un an qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Je comprends tout à fait l’attachement des membres du groupe socialiste à ce qui fut présenté, au cours du précédent quinquennat, comme une réforme phare.

Mais évitons les faux procès : tout le monde, y compris le Gouvernement, est favorable à la modernisation du prélèvement de cet impôt ô combien sensible pour nos concitoyens, du moins pour ceux qui le paient – nous savons qu’ils sont de moins en moins nombreux, puisqu’à peine 50 % des foyers sont concernés.

J’ai moi-même très longtemps été favorable au prélèvement à la source : je ne comprenais pas pourquoi la France ne s’y mettait pas, alors que tous ses voisins européens l’avaient mis en place. Mais ils l’avaient fait – je voudrais le souligner – à une époque déjà ancienne, lorsque la numérisation n’existait pas. Internet était inconnu, alors ! Pour eux, une telle réforme représentait une simplification extraordinaire.

Vous y allez très fort, mes chers collègues du groupe socialiste : vous proposez un amendement de suppression. Il serait vraiment dommage de le voter, dans la mesure où nous disposerons bientôt d’éléments qui nous permettront d’apprécier la nature de la modernisation qui pourrait être effectuée d’ici un an.

Des expérimentations sont menées ; il serait dommage, en supprimant l’article 9, de se priver d’un outil nouveau qui permettra d’éclairer tous les acteurs parlementaires. L’article comprend quand même trois alinéas et prévoit notamment la remise d’un rapport au Parlement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je voudrais remercier Mme Bricq pour son intervention qui, je crois, pourrait achever de convaincre M. le rapporteur général.

Monsieur Marc, si l’ancien secrétaire d’État dont vous parlez est le même que celui qui vous a présenté le budget, vous devriez vous méfier de la sincérité de ses propos ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Il s’appelait Eckert !

Mme Laurence Rossignol. Provocateur !

M. Gérald Darmanin, ministre. Songez que, peut-être, nous aurions pu éviter de prendre un décret d’avance !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Les décrets d’avance sont monnaie courante !

M. Gérald Darmanin, ministre. Puis-je me permettre de souligner que, lorsque je suis arrivé aux responsabilités qui sont les miennes, il y a huit semaines, tous les syndicats m’ont dit que la DGFiP avait fait un travail absolument extraordinaire, comme vous l’avez souligné avec raison, mesdames, messieurs les sénateurs, mais que quelques questions continuaient de se poser sur le fonctionnement du passage au prélèvement à la source ? Mais peut-être faut-il comprendre que l’on ne doit pas écouter les syndicats de fonctionnaires ?

Je vous rappelle que le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu s’élève aujourd’hui à 97 %. La moindre des choses que nous devons aux Français, s’agissant du lien fiscal que nous entretenons avec eux, c’est qu’il fonctionne correctement !

Je souhaite souligner un deuxième point : l’expérimentation prévue avait lieu après le « top départ », puisqu’il fallait prendre une décision au début du mois de juillet.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous aurions donc envoyé les feuilles d’imposition assorties du fameux taux neutre. Si l’expérimentation se passait bien, tout allait bien ; mais une expérimentation, par définition, n’a d’intérêt que si l’on prend le temps d’en tirer les conclusions.

Enfin, s’agissant de la relation de confiance qui doit être construite avec les entreprises, le Gouvernement est dans l’attente et à l’écoute. Quant aux éventuelles surcharges pour les TPE et PME, 97 % des entreprises seulement, si j’ose dire, ont adopté la DSN : 3 % des entreprises sont donc encore hors DSN. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Or la politique intervient toujours là où résistent les derniers pourcentages. À examiner tous les signaux d’alerte, je constate donc que nous n’étions pas tout à fait prêts ! Je préfère que nous reportions d’un an la mise en œuvre du dispositif et que nous fassions les choses bien, plutôt que d’aller absolument le plus vite possible, sachant que le décret n’a été signé que quelques jours avant les échéances électorales !

Madame la sénatrice Gonthier-Maurin, concernant la question juridique de savoir s’il est légal ou non d’inclure la retenue à la source dans ce texte, et puisque les sages du Conseil constitutionnel auront à lire les comptes rendus de nos débats, je souligne d’abord qu’il ne s’agit pas d’une disposition organique.

Ensuite, nous avons tout à fait le droit de reporter la mesure ; c’est même la bonne gestion fiscale qui commande de prévenir dès maintenant, au cœur de l’été, après un débat présidentiel très important sur ce sujet notamment, que nous la reportons.

En outre, votre démonstration, madame la sénatrice, est contradictoire : soit la retenue à la source établit un nouveau lien de l’entreprise avec les salariés, soit elle n’établit aucun nouveau lien. Et, d’évidence, s’agissant de la possibilité pour les entreprises, qui sont déjà collectrices d’impôt – c’est le cas pour la TVA ou la CSG –, de collecter à la source l’impôt sur le revenu, ce point a tout à fait sa place dans le cadre de la loi que nous vous présentons, qui porte sur le dialogue social. Il ne s’agit évidemment pas d’un cavalier législatif.

Enfin, je le répète, il ne s’agit pas ici de préparer la fusion entre l’IR et la CSG : le Gouvernement a déjà eu l’occasion de dire qu’il ne le ferait pas et qu’une telle fusion n’était pas dans ses intentions. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur « mandat-unique-de-maire-de-Marseille », nous ne nous verrons plus dans l’hémicycle ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Vous irez à Marseille, mon cher collègue !

M. Jean Desessard. Nous nous verrons certainement, une fois dans l’année, à Maussane-les-Alpilles ! (Nouveaux sourires.)

Je souhaite intervenir pour exprimer ma position, qui n’est pas celle de l’ex-groupe écologiste, mais celle d’un non-inscrit écologiste. J’étais moi aussi, comme Mme Bricq, favorable à la retenue à la source. Je n’ai pas rejoint En marche, mais j’ai moi aussi évolué, et il ne me semble pas idiot que nous nous donnions une année supplémentaire pour réfléchir à un prélèvement mensuel. Avec l’évolution incontestable des modalités de travail – les cas de multiemployeurs ou d’emplois multifonctions se multiplient –, si les moyens numériques nous permettent d’obtenir le même résultat par un prélèvement mensuel, nous pourrions éviter la complexité de l’impôt à la source.

Un non-inscrit écologiste, ne représentant pas l’ensemble des non-inscrits écologistes, souhaite donc dire qu’il ne votera pas l’amendement proposé par le groupe socialiste. Je me rallie aux interrogations formulées par Mme Bricq.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Le débat porte non pas sur le bien-fondé de la retenue à la source en soi, mais sur le fait d’introduire une telle disposition dans un texte portant sur un tout autre objet.

Certes, la Constitution confère au Gouvernement le privilège de pouvoir faire passer des cavaliers législatifs sans que ceux-ci soient considérés comme tels par le Conseil constitutionnel. Mais la méthode, elle, est pour le moins cavalière !

Je souhaite également faire une observation de forme. Le décret que le précédent gouvernement avait pris peu avant l’élection présidentielle faisait suite à un grand débat dans la société française. On ne peut pas dire que la décision avait été prise « en catimini ». Il y avait eu beaucoup de discussions. La réforme avait été longuement construite et expliquée et de nombreux fonctionnaires y avaient travaillé concrètement.

Et voilà que vous nous demandez d’avaliser en quelques minutes, au détour d’un texte dont ce n’est pas l’objet, une mesure décidée sans débat !

Vous pourriez sans doute vous prévaloir d’une certaine légitimité si une telle mesure avait été mise en débat au cours de l’élection présidentielle ; les Français l’auraient, en quelque sorte, validée en élisant Emmanuel Macron. Mais, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le ministre – je suis allé vérifier –, cela n’a pas été le cas ; le report n’a été annoncé qu’au mois de juin, soit plusieurs semaines après l’élection présidentielle.

Mme Nicole Bricq. Mais non ! Il avait été annoncé pendant la campagne présidentielle !

M. David Assouline. Ce n’est pas cela, la démocratie ! On pourrait considérer que le débat a été tranché par le peuple lors des élections si l’actuel Président de la République avait annoncé au cours de la campagne son intention de reporter le prélèvement à la source. Mais il ne l’a pas fait.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 50 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 150 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Les articles 60 et 82 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 sont abrogés.

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Cet amendement vise à supprimer la disposition de la loi de finances relative à la création de l’imposition par retenue, qui représente un danger tant pour le devenir des prélèvements fiscaux et sociaux que pour les citoyens, dont l’impôt personnel augmenterait à coup sûr. Il tend également à instituer un comité de suivi régional du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, pour s’assurer que les TPE et PME en bénéficient.

Selon le droit actuel, lorsque le comité d’entreprise constate que le CICE n’est pas utilisé conformément à son objet, il peut demander des explications à l’employeur. Si l’employeur refuse de s’expliquer ou si l’utilisation non conforme du CICE est confirmée, le comité d’entreprise peut rédiger un rapport qu’il transmettra au comité de suivi régional du CICE.

En l’état, le dispositif n’est pas suffisamment effectif. L’absence de sanctions peut décourager l’action des représentants du personnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. J’ai l’impression que notre collègue vient plutôt de défendre l’amendement n° 151 rectifié, dont nous serons saisis dans quelques instants.

L’amendement n° 150 rectifié vise à abroger le prélèvement à la source.

Je me suis déjà exprimé à cet égard. La commission y est, par définition, défavorable. Nous préférons attendre les résultats de l’expérimentation et de l’audit pour nous prononcer définitivement sur l’avenir du prélèvement à la source.

Adopter un tel amendement, ce serait opter pour le statu quo. Or je ne crois pas que ce soit la position majoritaire parmi nous. Il faut faire évoluer l’impôt, le rendre plus contemporain.

À nos yeux, il existe des options autres que le simple prélèvement à la source. Je pense notamment à la mensualisation contemporaine. J’ai entendu des prises de position en ce sens sur certaines travées. En tout cas, il n’est pas souhaitable d’en rester au statu quo, sur la base d’un impôt historique.

Par ailleurs, l’amendement n° 150 rectifié a également pour objet la suppression de l’article 82 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, qui transforme la réduction d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile en crédit d’impôt. Cela nous emmène bien au-delà du débat sur le seul prélèvement à la source.

Par conséquent, la commission des finances émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 150 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 151 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéas 3 et 4

Remplacer ces alinéas par deux paragraphes ainsi rédigés :

II. – Les dispositions de l’article 244 quater C du code général des impôts cessent d’être applicables pour les exercices ouverts à compter du 30 septembre 2017.

III. – L’article L. 2323-56 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le comité de suivi régional peut décider, après avoir entendu l’employeur et les représentants du personnel, de suspendre ou de retirer l’aide accordée. Le cas échéant, il peut en exiger le remboursement. »

La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. En 2003, lors de sa mise en place, le CICE nous avait été vendu comme une mesure permettant d’améliorer la compétitivité des entreprises. Je rappelle que ce crédit est calculé sur la masse salariale pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC : de 4 %, il est passé à 6 %, pour atteindre 7 % à compter du 1er janvier 2017.

Puisque nous disposons aujourd’hui d’un peu de recul, examinons ce qu’il en est en matière d’emploi et d’investissement. Selon France Stratégie, l’organisme chargé d’analyser la situation, 120 000 emplois au maximum auraient été créés ou maintenus.

Les charges à payer au titre du CICE par le budget pour les remboursements de l’impôt sur les sociétés s’élevaient à 15,2 milliards d’euros en 2016, et le stock de créances était de 17,11 milliards d’euros à cette période, soit 17,11 milliards d’euros non consommés, mais qui devront être couverts dans les prochains budgets.

Une augmentation de 5 milliards d’euros de crédits sera nécessaire en 2018. Nous ne pensons pas qu’il faille se satisfaire de simples améliorations des marges des entreprises sans retour sur l’emploi, l’investissement ou la compétitivité.

L’adoption de notre amendement permettrait une orientation budgétaire autre que celle qui nous est proposée actuellement : les dépenses publiques seraient peut-être plus efficaces si elles étaient consacrées à la satisfaction des besoins de nos concitoyens plutôt qu’au CICE…

M. le président. L’amendement n° 152, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. Alinéa 3

Remplacer les mots :

et de présenter

par les mots :

, et présentant

II. Alinéa 4

Remplacer les mots :

les résultats de simulations et de tests

par les mots :

des analyses

La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet amendement a pour objet de préciser le champ du rapport qui sera remis au Parlement avant le 30 septembre. Cela correspond, me semble-t-il, à la volonté des parlementaires, en particulier des membres de votre assemblée.

Le Gouvernement pourra ainsi répondre aux questions des parlementaires lors de l’examen du projet de loi de finances. L’idée est de leur fournir un maximum d’informations pour qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause, sur la base de chiffres les plus objectivés possible, et non sur celle de simples rapports.

M. le président. L’amendement n° 209, présenté par Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ce rapport examine aussi les conditions spécifiques de mise en œuvre du prélèvement à la source pour les non-résidents fiscaux.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Les alinéas 3 et 4 de cet article 9 prévoient la présentation au Parlement d’un rapport sur le prélèvement à la source, mais ils ne mentionnent aucunement les Français de l’étranger.

J’aimerais pourtant vous dire combien cette disposition suscite d’interrogations et d’inquiétudes parmi nos compatriotes expatriés et leurs élus, les conseillers consulaires : d’abord, parce que les Français de l’étranger paient souvent des impôts dans deux pays différents ; ensuite, parce que tous les pays n’ont pas conclu de convention fiscale avec la France ; enfin, et tout particulièrement, parce que le crédit d’impôt pour éviter le double prélèvement pendant l’année de transition pourrait présenter de sérieuses difficultés.

Nous souhaiterions donc que le rapport comprenne une étude spécifique sur l’application du dispositif à la situation particulière des Français de l’étranger.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, je reconnais que l’article 9 n’a pas grand rapport avec le dialogue social, mais l’amendement n° 151 rectifié n’en a absolument aucun : c’est un pur cavalier ! Je ne dis pas que le débat sur l’efficacité du CICE est dépourvu d’intérêt, mais sa place est en loi de finances, pas dans le cadre de l’examen du présent projet de loi.

La commission des finances émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Je me réjouis que le Gouvernement accepte l’apport du Sénat et souhaite enrichir le rapport permettant d’analyser les options autres que le prélèvement à la source. M. le ministre souligne simplement la difficulté de procéder à des tests compte tenu des délais impartis. C’est l’objet de l’amendement n° 152, auquel la commission des finances est favorable.

Enfin, par son amendement n° 209, notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam souligne les difficultés spécifiques des Français de l’étranger. J’avoue que nous n’avons pas forcément pu expertiser tous les cas de figure, en particulier ceux des pays n’ayant pas de convention fiscale avec la France. Sans doute serait-il utile d’enrichir notre réflexion à cet égard. Peut-être M. le ministre pourrait-il nous apporter des précisions ? Faute d’information, la commission des finances a souhaité s’en remettre à la sagesse du Sénat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 151 rectifié et 209 ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je n’entrerai pas dans le débat sur le CICE, que nous pourrons avoir lors de l’examen de projet de loi de finances. L’amendement n° 151 rectifié est très éloigné de l’objet du présent projet de loi.

L’adoption de l’amendement n° 209 aurait, je le crains, des effets contraires à la philosophie défendue par Mme Garriaud-Maylam, qui souhaite assurer la protection des Français de l’étranger.

L’étude préalable contient une dizaine de pages sur la situation particulière de ces personnes. Certes, ainsi que M. le rapporteur général de la commission des finances l’a souligné, les situations des Français de l’étranger varient selon les pays. Mais, en général, les retenues à la source spécifiques aux non-résidents sont préférables pour eux, notamment en raison de leur caractère libératoire… (M. Robert del Picchia acquiesce.) Je me réjouis de constater qu’un sénateur des Français de l’étranger approuve mes propos.

Nos compatriotes expatriés ont bien plus d’avantages à rester dans le système actuel. Au-delà des modalités de recouvrement, les retenues à la source spécifiques aux revenus salariaux et assimilés de source française des non-résidents sont plus favorables.

Je sollicite donc le retrait de cet amendement, dont l’adoption serait sans doute défavorable, d’un point de vue fiscal, à beaucoup de Français de l’étranger, notamment au regard des conventions que nous avons signées avec d’autres pays.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, après l’hommage que M. le président du Sénat vous a adressé, je souhaite vous exprimer, au nom de chacun des membres du groupe que vous avez présidé – j’ai pris votre succession –, notre profonde affection.

Vous nous quitterez peut-être dans quelques heures ou quelques jours, mais votre voix, avec cet incomparable accent marseillais qui la distingue entre mille, résonnera encore dans cet hémicycle longtemps après votre départ !

J’en viens à l’objet de notre débat. Nous soutiendrons l’amendement du Gouvernement, qui va dans le bon sens, M. le rapporteur général l’a souligné.

Depuis des mois, notre position n’a pas varié. Nous n’avons jamais été favorables à la retenue à la source. Certes, nous ne sommes pas hostiles – bien au contraire ! – au caractère contemporain de l’impôt, mais nous ne voulions pas surcharger encore les entreprises en leur imposant ce rôle de collecteur de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui n’est pas du tout le même que celui de collecteur de la TVA.

Grâce aux travaux de la commission des finances, en particulier de son rapporteur général, le Sénat a pu trouver une solution – je pense qu’il faudra l’étudier, monsieur le ministre, d’autant que vous-même vous êtes engagé sur ce chemin – qui conjugue le caractère contemporain de l’impôt au souci d’amoindrir les charges pesant sur les entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’ai bien entendu les propos de M. le ministre, mais il me paraît tout de même important que le rapport présenté à la fin du mois de septembre, à la suite de l’expérimentation, prenne en compte la situation spécifique des Français de l’étranger. Il est vrai que l’on a systématiquement tendance à les oublier ; certains discours n’y font même plus du tout référence, contrairement à ce qui avait toujours été la tradition républicaine. Ils font pourtant partie intégrante de notre société !

Je ne vous demande pas beaucoup, ministre : simplement de soutenir une telle démarche.

M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac, pour explication de vote.

M. Thierry Carcenac. Nous voterons évidemment contre les amendements nos 151 rectifié et 209. Mon explication de vote porte sur l’amendement n° 152.

Je tiens à souligner l’intérêt de la déclaration sociale nominative, ou DSN. Cet outil, qui permet de simplifier les déclarations des entreprises, permet de faire énormément baisser leurs coûts. Or vingt-quatre lignes sont supprimées. Le rapport permettra peut-être de clarifier l’effet des mesures envisagées sur les entreprises. J’ai d’ailleurs entendu M. le ministre reconnaître que l’évaluation de la charge résultant pour elles de l’introduction de la retenue à la source était peut-être exagérée.

Nous voterons l’amendement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. L’amendement présenté par les communistes aura le soutien du groupe écologiste honoraire. (Rires.)

M. Jean-Claude Luche. Feu le groupe écologiste ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Macron nous a « tuer » ! (Rires.)

Nous, les écologistes, avons toujours condamné le CICE, estimant qu’il n’était pas créateur d’emplois. À nos yeux, cela a été une erreur du quinquennat qui vient de s’écouler. D’ailleurs, ses principaux protagonistes l’ont payé très cher ; nous aussi, il est vrai… (Sourires.)

Nous sommes donc partisans de la suppression du dispositif. Le Gouvernement veut le supprimer, mais pour le remplacer par une exonération ou une diminution des cotisations sociales. Pour ma part, je souhaiterais que l’exonération concerne les cotisations salariales, afin d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés. Cela permettrait de relancer l’économie, ce dont nous avons besoin.

Je soutiens donc cet amendement, qui tend à supprimer le CICE et permet d’aller vers une suppression des cotisations sociales salariales, en vue de relancer le pouvoir d’achat.

Je serais très intéressé de savoir comment Mme Bricq – certes, je ne veux pas la forcer à prendre la parole (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.) –, qui a défendu le CICE avec une telle fougue pendant cinq ans, peut aujourd’hui défendre la position, légèrement contraire, du Gouvernement… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. J’ai bien entendu M. le ministre et M. le rapporteur général de la commission des finances, qui me reprochent de vouloir introduire un cavalier législatif.

En réalité, j’utilise simplement un cavalier gouvernemental pour pointer du doigt la tendance actuelle à réduire la capacité d’intervention de l’impôt sur les sociétés au sein du budget de la Nation. Il me paraît intéressant de soulever ce débat.

Par ailleurs, j’aimerais que nous puissions avoir une véritable discussion sur la manière de soutenir le dynamisme de notre économie. C’est nécessairement l’investissement qui subira les effets de la baisse de 13 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales. Pourtant, l’investissement de ces dernières est nettement plus dynamisant qu’une dépense fiscale de 13 milliards d’euros pour le CICE ! On le voit très clairement sur le terrain.

Enfin, il est pour le moins curieux de nous demander, à nous qui sommes hostiles au prélèvement à la source, d’attendre les conclusions des études supplémentaires pour savoir quel en sera le coût pour les entreprises. Nous pensons pour notre part qu’il faut conserver l’impôt actuel et sa prise en charge par les services fiscaux, avec les moyens humains nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Garriaud-Maylam, je ne voudrais pas que l’on ne se méprenne pas sur mes propos.

Nos compatriotes qui vivent à l’étranger ont évidemment toute la considération du Gouvernement. Je m’engage à ce qu’il y ait un petit zoom sur le sujet dans le rapport ; nous pourrons ainsi avoir en débat en loi de finances si leur situation se révèle plus complexe que je ne le croyais.

Mais il ne faudrait pas que l’adoption de votre amendement, même si je ne doute pas de vos bonnes intentions, ait pour effet de placer nos compatriotes expatriés dans une situation fiscale moins favorable.

Aussi, sous le bénéfice de l’engagement que je prends devant vous – le rapport qui sera remis au Parlement le 30 septembre comportera un chapitre sur la situation spécifique des Français de l’étranger –, je vous suggère de retirer votre amendement.

M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° 209 est-il maintenu ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Non, monsieur le président, je vais le retirer.

Toutefois, je regrette qu’il ne puisse pas être adopté. Je ne vois pas pourquoi le Gouvernement y est hostile. Mon amendement vise simplement à obtenir des précisions. Il ne s’agit pas de porter de jugement de valeur sur le prélèvement à la source. Je pense que le geste aurait été utile et apprécié.

Comme M. le ministre a pris un engagement, nous verrons bien ce qu’il en est. Honnêtement, je n’ai pas trouvé les dix pages consacrées à ce sujet dans l’étude d’impact. Mais peut-être ai-je mal regardé…

M. le président. L’amendement n° 209 est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 151 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 152.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 9, modifié.

(L’article 9 est adopté.)

Article 9 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article additionnel avant l’article 1er

Article additionnel après l’article 9 (priorité)

M. le président. L’amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Marseille, Guerriau et Détraigne, Mme Doineau, MM. Vanlerenberghe et Capo-Canellas, Mme Férat et MM. Longeot et D. Dubois, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de trois mois, un rapport dont l’objet est d’évaluer les effets sur l’emploi d’un mécanisme de mobilisation de créances fiscales par les organismes bancaires correspondant aux crédits d’impôt afférents aux services à la personne, destiné à éviter l’avance de trésorerie consentie par les ménages lors du recours à ces prestations.

La parole est à M. Hervé Marseille – décidément, c’est le jour ! (Rires.)

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, j’aimerais tout d’abord m’associer à mon tour, avec mes collègues du groupe Union Centriste, à l’hommage qui a été rendu à votre action, et vous dire combien votre expérience et votre humour nous manqueront.

Puisque vous avez fait allusion à mon nom, j’aimerais vous faire part d’un souvenir. À une époque où j’ai eu l’honneur de travailler à vos côtés, je vous avais proposé de me porter candidat dans votre ville, et vous m’aviez dit : « Je te mettrai dernier sur la liste ; comme ça, tu pourras pousser ! » (Rires.) On reconnaît bien là votre talent, monsieur le président.

J’en viens à la présentation de mon amendement. Comme nous souhaitons que le particulier-employeur puisse bénéficier immédiatement du crédit d’impôt dont il ne dispose actuellement qu’en année n+1, nous demandons au Gouvernement de produire un rapport sur les conséquences d’une telle mesure si elle venait à être adoptée.

Le retour d’expérience d’autres pays que le nôtre semble démontrer la pertinence d’un tel mécanisme. En Suède, le crédit d’impôt immédiat a eu pour effet d’augmenter immédiatement la demande de près de 30 % sur un an. Cela s’est traduit par la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois en 2010, alors que le secteur n’avait créé que 18 000 emplois sur les trois années précédentes.

Une telle mesure semble donc aller dans le bon sens. J’espère que le Gouvernement inscrira le crédit d’impôt immédiat pour les particuliers-employeurs dans le prochain projet de loi de finances.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis. Le débat sur le préfinancement par les banques du crédit d’impôt en faveur des services à la personne est très intéressant, mais sa place est en loi de finances et non pas au détour d’un amendement portant article additionnel après un article relatif au report du prélèvement à la source – déjà que cet article n’a pas forcément grand rapport avec l’objet du projet de loi…

Par conséquent, la commission des finances sollicite le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. À l’instar de la commission des finances, le Gouvernement pense que ce débat est extrêmement intéressant, mais qu’il aurait sans doute plus sa place en loi de finances.

Je suis donc également favorable au retrait de cet amendement, même si mes services, interpellés par des parlementaires, ont déjà beaucoup travaillé sur le sujet. À mon avis, les travaux sur un dossier aussi complexe vont prendre beaucoup de temps. Au demeurant, les particuliers-employeurs ne seraient pas concernés par la mesure qu’il nous est demandé d’étudier.

Il y a d’autres mécanismes à imaginer. Je pense notamment à celui qui entrera en vigueur au 1er janvier 2019. Je suppose que nous aurons l’occasion de revenir sur cette question complexe, mais importante, lors de l’examen de la loi de finances.

M. le président. Monsieur Marseille, l’amendement n° 22 rectifié est-il maintenu ?

M. Hervé Marseille. Non, monsieur le président ; compte tenu des explications qui viennent d’être apportées, je le retire.

M. le président. L’amendement n° 22 rectifié est retiré.

Nous revenons à présent au cours normal de la discussion des articles.

Article additionnel après l’article 9 (priorité)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 1er

Article additionnel avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 88, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase de l’article L. 2251-1, les mots : « peut comporter » sont remplacés par les mots : « ne peut comporter que » ;

2° L’article L. 2252-1 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après le mot : « interprofessionnel », est inséré le mot : « ne » ;

b) Le second alinéa est supprimé ;

3° Le second alinéa de l’article L. 2253-1 est ainsi rédigé :

« Cet accord ne peut comporter des stipulations moins favorables aux salariés. » ;

4° Les articles L. 2253-4 et L. 3122-6 sont abrogés.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Notre amendement vise à supprimer l’article 2 de la loi dite El Khomri qui, vous vous en souvenez, avait inversé la hiérarchie des normes et permis de fixer des règles moins favorables aux salariés dans les domaines de la durée du travail, des repos et des congés payés.

Depuis 2004, les réformes successives du code du travail ont étendu petit à petit les domaines dans lesquels les accords d’entreprise peuvent déroger aux accords de branche.

Avec cet amendement, nous souhaitons rétablir la hiérarchie des normes et le principe de faveur en droit du travail, afin de revenir sur les possibilités de déroger aux accords de branche par accord d’entreprise autrement que dans un sens plus favorable aux salariés.

L’article 2 de la loi El Khomri a porté, nous le savons, un coup sévère aux droits des salariés, mais également aux petites entreprises, de sorte que l’accord de branche, dont l’objet était jusqu’à présent de garantir une égalité de traitement à des salariés exerçant les mêmes métiers, ne permettra désormais plus d’éviter une concurrence déloyale entre entreprises par le biais d’un dumping social.

La loi El Khomri, qui a largement détricoté la durée légale du travail, ne suffit visiblement pas, car le Gouvernement souhaite encore aller plus loin avec ces ordonnances. Il serait donc désormais possible d’augmenter les durées maximales de travail de nuit et de supprimer les contreparties obligatoires en matière de repos et de rémunération, mais, surtout, le projet autorise, par accord d’entreprise, la création de nouveaux cas de recours au contrat à durée déterminée, la modification ou la suppression de la durée légale d’un contrat à durée déterminée et du nombre de renouvellements, ou encore la modification du montant de l’indemnité de précarité.

Le Gouvernement semble donc vouloir également mettre en concurrence les travailleurs entre eux en favorisant la baisse des salaires.

Bref, comme nous l’avions dénoncé à l’époque, le gouvernement Valls a ouvert la voie dans laquelle l’actuelle majorité présidentielle s’engouffre aujourd’hui pour créer un code du travail au niveau de chaque entreprise.

Notre amendement pose donc la question du choix de la société que nous voulons : une société du « chacun pour soi », où les droits des salariés dépendront du rapport de force dans l’entreprise, ou une société qui garantit des droits collectifs à tous les salariés, quelle que soit leur entreprise.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 88.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l’adoption 22
Contre 314

Le Sénat n’a pas adopté.

Article additionnel avant l’article 1er
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Rappel au règlement

Article 1er

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :

1° De reconnaître et d’attribuer une place centrale à la négociation collective, notamment la négociation d’entreprise, dans le champ des dispositions, applicables aux salariés de droit privé, relatives aux relations individuelles et collectives de travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, en :

a) Définissant, dans le respect des dispositions d’ordre public, les domaines limitativement énumérés dans lesquels la convention ou l’accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement, ne peut comporter des stipulations différentes de celles des conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels, ainsi que les domaines limitativement énumérés et conditions dans lesquels les conventions de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels peuvent stipuler expressément s’opposer à toute adaptation par convention ou accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement, et en reconnaissant dans les autres domaines la primauté de la négociation d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement ;

b) Définissant les critères, les conditions et, le cas échéant, les contreparties aux salariés selon lesquels l’accord de branche peut prévoir que certaines de ses stipulations, dans des domaines limitativement énumérés, sont adaptées ou ne sont pas appliquées dans les petites entreprises couvertes par l’accord de branche, notamment celles dépourvues de représentants du personnel, pour tenir compte de leurs contraintes particulières ;

c) Harmonisant et simplifiant les conditions de recours et le contenu des accords mentionnés aux articles L. 1222-8, L. 2242-19, L. 2254-2 et L. 3121-43 du code du travail, le régime juridique de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat résultant d’un accord collectif, en prévoyant notamment que le licenciement du salarié repose sur un motif spécifique auquel ne s’appliquent pas les dispositions de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du même code, ainsi que les modalités d’accompagnement du salarié ;

d) Précisant les conditions dans lesquelles il appartient à celui qui conteste la validité d’un accord de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent ;

e) Aménageant les délais de contestation d’un accord collectif ;

f) Permettant au juge de moduler, dans le cadre d’un litige relatif à un accord collectif, les effets dans le temps de ses décisions ;

g) Permettant à l’accord collectif de déterminer la périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires, ainsi que d’adapter le contenu et les modalités de fonctionnement de la base de données économiques et sociales prévue à l’article L. 2323-8 du code du travail, sans préjudice des dispositions prévues à l’article L. 2242-9 du même code ;

h) Définissant les conditions d’entrée en vigueur des dispositions prises sur le fondement des a à f du présent 1°, s’agissant en particulier de leur application aux accords collectifs en vigueur ;

2° De favoriser les conditions de mise en œuvre de la négociation collective en :

a) Facilitant, dans les cas prévus aux articles L. 2232-21 à L. 2232-29 du code du travail, les modalités de négociation, de révision et de conclusion d’un accord en permettant notamment aux employeurs, dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec le personnel ;

b) Facilitant le recours à la consultation des salariés, notamment à l’initiative de l’employeur, pour valider un accord ;

c) (Supprimé)

d) Facilitant la procédure de restructuration des branches professionnelles et en modifiant la section 8 du chapitre Ier du titre VI du livre II de la deuxième partie du code du travail et l’article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 précitée ;

3° De supprimer la commission instituée par l’article 1er de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 précitée.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, un petit mot pour exprimer à mon tour le regret de vous voir quitter notre assemblée, dont vous êtes une figure marquante. Vous nous manquerez.

J’ai aussi quelques souvenirs du maire de Marseille, passionné, avec qui j’ai travaillé sur certains dossiers relatifs au logement. Nous ne partagions pas toujours les mêmes idées, mais nous avons réussi à avancer. J’aurai plaisir à vous retrouver dans la cité phocéenne à l’occasion du prochain congrès HLM que vous accueillerez en 2018.

À ce stade, nous entrons véritablement dans la discussion des articles du projet de loi.

Dans son programme, Emmanuel Macron préconisait, pour combattre le chômage, de libérer le travail en le flexibilisant, de combattre les freins à l’embauche en permettant de licencier plus facilement. C’est une grave erreur de diagnostic : le lien entre chômage et complexité du code du travail est un « fantasme total », comme l’a déclaré le responsable de la CFE-CGC.

D’ailleurs, depuis 1986, pas moins de dix-sept lois ont été votées pour assouplir le code du travail. Chaque fois, on nous annonçait que ces textes allaient permettre de faire reculer le chômage. Or c’est l’inverse qui s’est produit, mais le MEDEF répète toujours qu’il faut aller plus loin. C’est à se demander s’il faut encore un code du travail.

En réalité, les causes du chômage sont ailleurs. Il aurait fallu davantage s’attaquer à la modernisation de notre outil de production par des politiques industrielles volontaristes et à une meilleure répartition des richesses pour soutenir une relance économique, écologique et sociale.

Pourtant, le Gouvernement continue à se référer à des dogmes de l’ancien monde, c’est-à-dire le monde porté par la vague libérale, ce qui va, hélas, nous mener dans une double impasse : un effet économique nul en matière de chômage et de relance de la croissance et un effet social catastrophique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le code du travail n’est pas un frein à l’emploi : ce sont les chefs d’entreprise qui le disent ! À cet égard, il faut bien avoir à l’esprit que M. Gattaz ne représente qu’une partie des chefs d’entreprise.

Selon la dernière enquête publiée par l’INSEE, le 20 juin 2017, la première raison pour laquelle les entreprises n’embauchent pas, c’est l’incertitude économique, pour 28 % d’entre elles ; ensuite, on trouve, pour 27 %, la difficulté à trouver une main-d’œuvre compétente, puis d’autres motifs ; enfin, bien après, arrive la réglementation trop chargée du code du travail, pour seulement 18 % des chefs d’entreprise.

Le code du travail n’est donc pas le cœur du problème si l’on veut lutter contre le chômage. En revanche, madame la ministre, votre projet risque de remettre en cause notre modèle social et républicain.

La remise en cause toujours plus poussée de la hiérarchie des normes par l’ouverture de la négociation à des sujets majeurs va réduire le champ de l’ordre public social. Or l’ordre public social n’est pas simplement protecteur de notre modèle social, il est aussi porteur de l’égalité républicaine.

À force de laisser s’installer un dumping entre entreprises, avec des normes qui ne sont pas garanties partout et pour tous, vous faites reculer l’idée d’égalité républicaine, mais, alors, il ne faudra pas venir verser des larmes de crocodile sur la fragilisation de notre République, qui sera de moins en moins défendue par nos concitoyens.

Je refuse ce texte qui n’apportera rien à l’économie et à la lutte contre le chômage, et qui représente une grave menace pour notre modèle social républicain. Avec mes collègues, nous avons été nombreux à déposer des amendements qui nous donneront l’occasion de mettre en évidence ce péril.

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous le répète, non seulement ce projet de loi est mauvais, mais la méthode choisie est aussi catastrophique.

M. Jean Desessard. Vous avez raison !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En recourant aux ordonnances, vous entretenez un flou considérable sur vos intentions. Vous parlez du champ de la négociation sociale, mais il s’agit de consultation sociale et non pas de négociation sociale. En effet, il n’y aura pas d’accord interprofessionnel liant les syndicats, le patronat et le Gouvernement. C’est donc un contournement de nos règles démocratiques, qui ne vise qu’à porter de mauvais coups sociaux et à entériner le recul républicain en pleines vacances d’été, sans que les citoyens puissent se retourner.

Croyez-moi, le peuple de France ne se laissera pas faire et il vous attendra au tournant si vous laissez passer ce projet de loi !

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, sur l’article.

Mme Évelyne Yonnet. Cet article constitue la première pierre angulaire de ce projet de loi visant malheureusement à donner un blanc-seing au Gouvernement : pour la première fois dans une réforme en matière de droit du travail, il y aura plus de reculs que d’avancées. Il faut dire que les amendements du rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales, y auront largement contribué.

Je citerai pour exemple l’amendement COM-16 sur l’alinéa 12 et les dérogations concernant les entreprises de 11 à 50 salariés, ou l’amendement COM-17 explicitant le référendum d’initiative patronale.

Si la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a introduit quelques flexibilités, elle a aussi mis en place de réelles contreparties progressistes face à la baisse des risques existant pour les patrons des TPE-PME.

Cette loi dite El Khomri a ainsi prévu le compte pénibilité, les congés spéciaux pour les événements familiaux, le droit des salariés dans le cadre des emplois saisonniers, le droit à la déconnexion, et je ne parle pas des autres lois de la précédente législature.

Cet article 1er prépare donc les salariés français au recul des accords de branche, à la réduction de leurs droits, avec, par exemple, la suppression du motif économique pour les salariés refusant la modification de leur contrat de travail à la suite d’accords collectifs, la suppression des accords de maintien, l’inversion de la charge de la preuve et la réduction des délais de contestation, la suppression du mandatement, le référendum d’initiative patronale, et j’en passe sans doute.

Cet article 1er, qui détaille les objectifs assignés aux ordonnances, n’est donc qu’une altération du droit social, qui n’avait pourtant connu que des progrès depuis la loi Waldeck-Rousseau de 1884.

Je vous épargne tout l’historique des luttes ouvrières, mais je vous garantis que nos amendements iront dans leur sens, c’est-à-dire celui d’une amélioration des conditions de travail des ouvriers.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.

M. David Assouline. Au début de ce débat, il faut revenir sur le diagnostic du Gouvernement, que nous ne partageons pas. Bien évidemment, madame la ministre, les solutions que vous apportez vont à contre-courant de ce que nous préconisons.

Pour vous, le manque de compétitivité a pour origine les freins de notre code du travail, les lourdeurs administratives, notre niveau de protection sociale. Finalement, vous vous dites qu’en libérant cela, l’enrichissement de certains et la performance économique des entreprises tireraient tout le monde vers le haut. Il y aurait plus d’emplois, avec de meilleures rémunérations. C’est en gros la doctrine traditionnelle et constante des libéraux. Elle est à l’offensive ces dernières années, sur le plan international, et elle marque des points, parce que, de l’autre côté, les réponses sont timides, partielles. En somme, vous ne faites que suivre le mouvement.

Pourtant, quand l’INSEE fait une enquête sur 80 000 PME, les chefs d’entreprise répondent d’abord « carnet de commandes ». Avant même de parler du code du travail, ils évoquent tout un tas d’autres facteurs, notamment la modernisation et l’accompagnement.

Vous répondez donc à côté de ce que les chefs d’entreprise eux-mêmes attendent en majorité, car vous n’écoutez que ceux du CAC 40, qui maltraitent de façon incroyable des milliers d’entreprises sous-traitantes, lesquelles créent pourtant au moins 80 % de l’emploi dans notre pays.

Votre diagnostic comprend un second élément : il faut moderniser les relations sociales et le code du travail. Bien entendu, mais quelle est la modernisation véritablement nécessaire ?

Tout le monde constate, et cela va s’accentuer dans les vingt ans qui viennent, que les révolutions technologiques, le travail lui-même, les relations sociales employeur-salariés, les outils de la protection sociale sont percutés, bouleversés, avec l’« ubérisation », etc. Tout le monde voit nos jeunes occuper des emplois qui n’ont plus la même nature que ceux que nous avons connus, et ce phénomène va s’amplifier.

Or le code du travail est en retard sur ce point.

M. David Assouline. Si vous voulez faire un effort de modernisation, préoccupez-vous de nos jeunes qui n’arrivent pas à travailler ou qui travaillent dans des conditions inacceptables, parce qu’il n’existe pas d’outils de protection sociale adéquats.

Il faudrait mener une longue réflexion sur ce que sera la société de demain, avant d’entamer une longue négociation sur ce vrai débat de fond. Comment fait-on progresser, évoluer le code du travail pour le moderniser afin de répondre à ces nouveaux enjeux et combattre la précarisation ?

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l’article.

M. Olivier Cadic. Vous ne serez pas surpris de savoir que je pense, comme beaucoup de gens dans notre pays, que le code du travail doit se limiter aux principes fondamentaux, ce qui réduirait sa taille.

L’inversion de la hiérarchie des normes au profit d’une plus grande latitude de négociation au niveau de l’entreprise est indispensable pour que notre économie reparte en créant des emplois. Nous devons faire confiance aux partenaires sociaux : ils partagent un destin commun.

Voilà deux ans, au moment de la discussion de la loi dite Macron, j’avais présenté un amendement appelant à modifier l’article 1er du code du travail pour permettre cette inversion de la hiérarchie des normes. L’an dernier, le rapport Combrexelle et la loi El Khomri ont permis d’entériner le principe de ce retournement, qui est nécessaire pour les entreprises.

L’article 1er de ce projet de loi, et les objectifs visés par le Gouvernement, permettent d’anticiper de nouvelles avancées, démarche que je soutiens pleinement. Je ne sais pas jusqu’où vous irez, madame la ministre, car j’attends de connaître le contenu des ordonnances, mais je dois dire que je fais pleinement confiance au Gouvernement, en espérant qu’il ira le plus loin possible.

Deux ans après avoir appelé cette inversion de mes vœux, je constate que l’idée a pris corps. Aujourd’hui, j’ai envie de vous décrire la prochaine étape, les TPE et les PME ayant encore un certain nombre d’attentes. À mon sens, un jour viendra – le plus rapidement possible, j’espère –, où les TPE et les PME de notre pays auront le droit, la liberté d’adhérer, ou non, à des conventions collectives, à l’instar de ce qui se passe dans de nombreux pays. Cela permettrait à ces entreprises d’exercer librement et de se développer le plus vite possible. Tel est le prochain objectif que j’espère voir atteint. Aussi, je souhaite que le Gouvernement emprunte cette direction. (M. Michel Canevet applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article. (Les membres du groupe CRC brandissent des feuilles de papier rouge sur lesquelles figurent différents slogans : « #Loi travail XXL » ; « La lutte continue » ; « Jeunesse précarisée » ; « Coup de force social ». – Marques de désapprobation sur les travées du groupe La République en marche, du RDSE, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, je profite de cette intervention pour vous dire notre étonnement devant votre refus de répondre, hier, à la quasi-totalité de nos observations et interpellations, qui démontraient sans ambiguïté les reculs qu’induit pour les salariés votre projet de loi.

Derrière le vocabulaire que vous utilisez, une novlangue se cache, comme je vous l’ai dit hier, expression de la main de fer du libéralisme. C’est notamment le cas avec cet article 1er qui bouleverse, quoi que vous en disiez, l’architecture générale de notre droit du travail.

Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale a publié un tableau détaillant les trois domaines d’application différenciée de la hiérarchie des normes. Des sujets qui relevaient de la loi, comme l’utilisation des contrats courts ou les CDI de chantier, pourront être mis en discussion au niveau de la branche. Surtout, la primauté donnée à l’accord d’entreprise va délocaliser la négociation collective là où le salarié est le plus en situation de faiblesse.

Le principe de « subsidiarité » dont vous parlez n’est là que pour brouiller les pistes. Il est en fait un principe de défaveur : c’est la possibilité donnée aux employeurs, éventuellement même en contournant les organisations syndicales, de remettre en cause des avantages garantis jusque-là par des conventions collectives. Nous en donnerons des exemples précis.

Vous proposez en fait l’adaptation des hommes aux besoins du marché de l’emploi. Quel progrès ! Au contraire, nous avons plutôt besoin de repenser le travail pour émanciper les hommes en créant des droits nouveaux pour protéger les travailleurs tout au long de leur parcours professionnel.

Madame la ministre, pourquoi tant d’acharnement à vouloir réformer le code du travail pour aller vers plus de flexibilité et de précarité ? Même les plus grandes institutions internationales, dont l’OCDE, le disent clairement : il n’y a pas de lien avéré entre protection du travail et niveau de chômage.

Vous comprendrez alors que nous soyons particulièrement perplexes quand nous vous entendons dire que, pour créer de l’emploi, il faudrait faciliter les licenciements. Vous vous trompez de voie, madame la ministre. Au lieu de faire un code du travail pour sécuriser les patrons des grandes entreprises, vous feriez mieux de faire un code du travail pour protéger les salariés et répondre aux défis du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. J’ai exprimé hier, lors de la discussion générale, notre opposition de fond à ce projet de loi. Aujourd’hui, je vais axer mon propos sur l’article 1er du point de vue des travailleurs en situation de handicap.

Alors que les entreprises de plus de vingt salariés sont dans l’obligation de recruter 6 % de travailleurs en situation de handicap, les chiffres sont accablants : entre 2011 et 2016, le nombre de personnes en situation de handicap au chômage a bondi de 65 % ; le taux de chômage de cette catégorie dépasse désormais la barre des 20 %. Pire, ces travailleurs restent en moyenne 200 jours de plus sans emploi que les personnes n’étant pas en situation de handicap.

Nous parlons tout de même ici d’une moyenne de 755 jours, soit plus de deux ans ! Au vu de la situation financière de l’AGEFIPH par rapport aux besoins réels, on peut légitimement s’interroger sur l’effectivité du versement obligatoire par les employeurs ne respectant pas leur obligation légale de recrutement.

Si certains éléments extérieurs comme l’âge moyen des travailleurs en situation de handicap ou le niveau de qualification plus faible en moyenne peuvent expliquer cette persistance d’un chômage de masse, les préjugés vis-à-vis de ces travailleurs ont encore, hélas, la vie dure.

Crainte d’une mise en accessibilité coûteuse des locaux, crainte devant une adaptation nécessaire du poste de travail, appréhension face à une plus faible efficacité présumée des travailleurs en situation de handicap : les freins à l’insertion professionnelle sont encore nombreux. La situation est grave, alors que le handicap concerne plus de 12 millions de personnes dans le pays.

Le projet que vous nous présentez va-t-il créer les conditions pour dépasser les difficultés que je viens de pointer, alors qu’il permettrait un nouvel affaiblissement des obligations des entreprises en rognant sur les prérogatives de la branche, pourtant plus protectrice, et surtout en capacité de raisonner à l’échelle de tout un secteur ?

Comment ne pas voir que la primauté accordée à l’accord d’entreprise va permettre à des entreprises de s’exonérer de leurs obligations ? Parce que les préjugés sont encore forts, parce qu’un certain nombre d’employeurs craindront qu’une politique inclusive de leur part leur fasse prendre du retard sur leurs concurrents directs, parce que la mise en accessibilité de leurs locaux constituera à leurs yeux un investissement déraisonnable : les raisons seront nombreuses, et vous participez indirectement à leur légitimation avec cet article 1er.

À nos yeux, l’accord de branche constitue l’échelon de négociation le plus propre à faire obstacle au dumping social, même si cela reste insuffisant, comme le montrent les chiffres que j’ai donnés.

En tout cas, nous sommes persuadés que la situation sera bien pire si nous donnons la primauté à l’accord d’entreprise, et nous ne pouvons souhaiter cela pour les travailleurs en situation de handicap, comme pour l’ensemble des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l’article.

Mme Annie David. Tous les employeurs ne cherchent pas à brader leur entreprise ni à priver les salariés de leurs droits. Les 36 000 accords d’entreprise signés chaque année démontrent que les salariés, par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, sont prêts au dialogue social.

Nous ne vivons pas dans un monde idyllique…

Mme Annie David. … et, dans la vraie vie, les salariés sont souvent confrontés à des situations dans lesquelles les intérêts financiers de leur direction sont davantage pris en compte.

J’en veux pour preuve le cas de l’entreprise Isochem, en Isère, classée parmi les leaders mondiaux de la filière agrochimique, chimique et pharmaceutique. Aujourd’hui, un énième plan vient menacer les derniers emplois restants et l’équilibre de toute la plateforme chimique de Pont-de-Claix, qui a vu se succéder, depuis 1980, les plans de restructuration, les plans de sauvegarde, les plans de départ volontaire dans une pure stratégie financière laissant sur le carreau des milliers de salariés.

Au fil du dépècement de l’entreprise historique, Rhône-Poulenc, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, les conditions de travail des salariés se sont détériorées, alors qu’ils n’ont eu de cesse de défendre leurs emplois et la pérennité de leur site.

La seule réponse que vous leur apportez est celle du MEDEF : hausse du temps de travail, baisse des rémunérations, souplesse des licenciements, suppression des indemnités sans moyen de recours.

C’est la même solution que vous apportez d’ailleurs aux salariés de Schneider Electric, où tous les accords ont été annulés en application de la loi El Khomri, ou encore aux salariés de General Electric Hydro, auxquels la direction vient d’annoncer un plan social, avec la suppression de 345 emplois, c’est-à-dire la moitié des effectifs du site, ce qui signifie, à très court terme, l’arrêt de la conception, de la fabrication et de l’entretien des turbines pour les barrages EDF, au profit des marchés asiatique et américain. Il s’agit d’un plan social réduit au minimum, qui ne prévoit la prise en compte ni de l’ancienneté, ni de la haute qualification des personnels, ni du préjudice subi, bien sûr. Des accords avaient pourtant été trouvés par M. Macron, alors ministre de l’économie de François Hollande pour non seulement créer des emplois, mais aussi assurer la pérennité du site.

Votre texte est à l’image de ces accords passés : du vent, du bon vent dans les voiles du patronat pour lui permettre de gonfler ses profits, au détriment des salariés, pour qui ce vent est bien aigre. De plus, cela va à l’encontre des intérêts industriels et économiques de notre pays, ce que ni les salariés ni les parlementaires communistes ne peuvent l’accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, à mon tour, je vous adresse tous mes vœux empreints d’estime et de respect.

L’article 1er de ce texte vise à donner une place centrale à l’accord d’entreprise, et va donc renforcer le dumping social dans notre pays. Jusqu’à présent, les domaines où l’accord d’entreprise pouvait déroger à l’accord de branche en fixant des règles moins favorables aux salariés étaient lissés et précisés.

Le projet de loi d’habilitation prévoit d’inverser la règle en établissant la liste des domaines où l’accord de branche continue de primer sur l’accord d’entreprise. Par défaut, dans tous les autres domaines non précisés, c’est l’accord d’entreprise qui primera.

C’est un formidable recul pour les droits des salariés qui s’opère grâce à un véritable tour de passe-passe. Avec cette inversion, demain, le renvoi au niveau de l’entreprise de la négociation sur la rémunération semble pouvoir autoriser les employeurs à négocier les primes d’ancienneté ou le treizième mois, entraînant ainsi un dumping social et économique.

Le représentant de la CFE-CGC, auditionné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a d’ailleurs averti que les PME sous-traitantes de grandes entreprises seraient soumises à de très fortes pressions pour baisser leurs coûts, donc pour baisser la rémunération des salariés.

Je rappelle que nous avions combattu ici une telle mesure lors des débats sur la loi El Khomri, même si nous étions relativement peu nombreux à le faire, y compris sur les travées de la gauche.

La boîte de Pandore a été ouverte, permettant l’inversion de la hiérarchie et des normes et la suppression du principe de faveur, entraînant un dumping social aggravé dans notre pays. Sous prétexte que la mondialisation de l’économie impose aux entreprises françaises d’être réactives, vous décidez de revenir sur cent ans de luttes sociales !

Le droit au travail est un droit évolutif et les contraintes que vous critiquez résultent, en réalité, du nombre croissant de dérogations aux droits des salariés ouvertes aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, je veux vous adresser à mon tour un message d’amitié.

L’article 1er traite d’une nouvelle articulation entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche, ainsi que du champ de la négociation collective.

Si l’idée forte retenue est celle de la primauté de l’accord d’entreprise, la branche est renforcée – je veux le souligner – dans un rôle essentiel de régulation des conditions de concurrence et de définition des garanties économiques et sociales.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Yves Daudigny. Je veux être plus précis : pour les salaires, les classifications, la mutualisation des financements paritaires, l’égalité professionnelle, la gestion et la qualité de l’emploi – un item récemment apparu qui vise la durée minimale du temps partiel et les compléments d’heures, la nouvelle régulation des contrats courts, les conditions de recours au CDI de chantier –, les accords d’entreprise ne pourront pas déroger aux accords de branche.

L’articulation est ainsi construite sur trois blocs de compétences, avec l’affirmation que les acteurs de l’entreprise ou de la branche sont suffisamment matures pour construire du droit applicable au sein de celle-ci.

Cet article dessine le profil d’une entreprise où le principe de subordination n’est pas nié, mais où, à la culture des rapports de force et de l’affrontement conflictuel, se substituerait une culture du compromis résultant du diagnostic partagé, du dialogue, de la négociation, qui pourrait peut-être conduire, à terme, à la situation allemande de la codétermination.

L’article 1er rouvre donc le débat sur l’inversion de la hiérarchie des normes. Il nous remémore, mes chers collègues, le long chemin parcouru depuis une ordonnance Auroux du 16 janvier 1982, prise par le gouvernement Mauroy II, qui permettait aux partenaires sociaux de conclure des accords collectifs, avec la possibilité de réduire les droits des salariés. Cette ordonnance procédait à l’époque à une véritable révolution normative, qui n’est donc pas récente.

Lors de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications résultant d’un accord collectif, un point d’alerte porte sur le type de licenciement, ses modalités et le montant des indemnités de licenciement.

Le point le plus sensible réside, à mes yeux, dans la situation des petites entreprises qui ne disposent pas de délégués syndicaux et pour lesquelles le système du mandatement ne fonctionne pas. La question centrale est celle de l’exclusivité syndicale dans la négociation d’entreprise. La remettre en cause serait franchir une ligne rouge. Le renforcement du dialogue social que vous souhaitez, madame la ministre, ne peut devenir réalité que s’il est accompagné, en parallèle, du renforcement de la présence syndicale, ce qui signifie des syndicats dotés de moyens, formés à la négociation.

Ainsi, l’article 1er jette les bases d’un droit nouveau, différent, se caractérisant par un équilibre entre, d’une part, la loi, qui continue de fixer les principes fondamentaux de l’ordre public – droits à la formation, à la protection chômage, égalité entre la femme et l’homme, interdiction des discriminations, mais aussi SMIC, durée légale du travail à 35 heures – et, d’autre part, des négociations de branche et d’entreprise qui fixent les règles communes et de proximité du monde du travail. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, sur l’article.

Mme Jacky Deromedi. Le Sénat a beaucoup travaillé sur ces sujets depuis trois ans, notamment à l’occasion de la loi Macron et de la loi El Khomri. Il l’a fait avec le souci de favoriser le dialogue social à tous les niveaux par une meilleure articulation des conventions collectives au niveau national, conventions de branches et, surtout, accords d’entreprise, car c’est au sein de l’entreprise que les relations sociales se développent d’abord.

J’adhère, pour ma part, pleinement aux lignes directrices adoptées par nos commissions compétentes. Je tiens à rendre un hommage appuyé à notre rapporteur, M. Alain Milon, et au rapporteur général de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier, pour leur excellent travail, en particulier sur l’article 1er tel qu’il nous est soumis, qui donne au débat un cadre sérieux et légitime.

Il serait très regrettable que le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’en tiennent aucun compte, se bornant à revenir purement et simplement au texte initial, comme c’est en ce moment le cas sur le texte « rétablissant la confiance dans l’action publique ».

De plus, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de nos compatriotes résidant à l’étranger qui vont subir de plein fouet les mesures diverses d’augmentation de la CSG ou de suppression de la réserve parlementaire, cette dernière contribuant à financer certains équipements nécessaires, en particulier pour l’amélioration de la vie scolaire et les Alliances françaises.

Il nous a été dit que ce gouvernement souhaitait confier à de « hauts fonctionnaires » les décisions d’attribution, alors qu’ils n’ont pas une connaissance suffisante du terrain et des besoins spécifiques de chaque pays que les parlementaires, eux, connaissent parfaitement pour les visiter « physiquement » régulièrement.

Enfin, il faudra que les gouvernements se souviennent, « hors des périodes électorales », que les Français résidant à l’étranger qui les ont élus sont des Français comme les autres et qu’ils ont droit à la même considération du Gouvernement que les Français de métropole et d’outre-mer.(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, sur l’article.

M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, l’article 1er est bien le cœur de ce projet de loi d’habilitation dans la mesure où il réaffirme et précise la primauté des accords d’entreprise, mais aussi l’équilibre et l’articulation entre accords de branche et accords d’entreprise.

Les principes, les dispositions d’ordre public demeurent du niveau de la loi. Un certain nombre de compétences restent du domaine exclusif de la branche, d’autres peuvent être déléguées aux entreprises dans le cadre d’accords de branche et la souplesse dérogatoire s’applique au niveau de l’entreprise. En tout état de cause, la branche demeure un niveau supplétif incontournable.

Pour bien couvrir tout le champ des accords collectifs, il est nécessaire que la restructuration des branches professionnelles soit effective. À cet égard, j’exprimerai une petite nuance en termes de calendrier avec la position de la commission, car il me semble qu’un délai de dix-huit mois doit être suffisant pour la réorganisation des branches. En effet, dans beaucoup de domaines, nous préconisons plus de pragmatisme, plus de réactivité par la réduction des délais. Il n’y a pas de raison de ne pas demander cet effort aux branches professionnelles.

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. Jean-Marc Gabouty. Nous approuvons donc les orientations de cette loi et les inflexions adoptées par notre commission des affaires sociales sur cet article 1er, en espérant, madame la ministre, que vous retiendrez l’essentiel des propositions constructives émises par la commission.

L’une de ces dispositions, madame la ministre, constitue le marqueur essentiel de ce texte : celle qui doit permettre de multiplier les accords d’entreprise dans les PME et TPE.

La loi du 8 août 2016, qui avait pour objectif d’encourager ces accords d’entreprise, introduisait dans les PME et TPE un dispositif de conclusion des accords qui allait à l’encontre même de cet objectif en imposant soit la présence d’un délégué syndical – or, il n’y en a que dans 4 % des entreprises de cette taille –, soit une procédure de mandatement, contrainte inadaptée si l’on veut obtenir des résultats significatifs en termes de nombre d’accords conclus.

Je me félicite donc des dispositions différenciées pour les PME et TPE, en formulant cependant une remarque personnelle : pour définir des PME et TPE, nous ne pourrons pas effacer la notion de seuil, débat récurrent dans notre assemblée. Il me paraîtrait aujourd’hui raisonnable de remonter le seuil de 10 à 20 salariés, mais de conserver celui de 50 salariés, qui correspond à une définition européenne. Je veux souligner que la mise en place d’une instance unique de représentation du personnel est susceptible d’atténuer les préventions des chefs d’entreprises à franchir ledit seuil.

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l’article.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, permettez-moi de me joindre aux différentes congratulations exprimées par tous nos collègues sur l’ensemble des travées.

Madame la ministre, mon intervention se fera sur le principe même des ordonnances. Quelle urgence y a-t-il à légiférer par ordonnances, à légiférer pour 18 millions de salariés et modifier le code du travail, qui doit être protecteur ? Quelle urgence ?

J’ai vu que le Conseil d’État nous faisait part d’inquiétudes. Dans l’avis qu’il vous a remis, il constate en effet que le projet de loi contient un très grand nombre d’habilitations permettant au Gouvernement de prendre des ordonnances sur des sujets d’une portée et d’une complexité inégales. Il appelle l’attention du Gouvernement sur les conséquences d’un tel choix en termes de hiérarchie des priorités, de calendrier et de temps nécessaire à la préparation de ces différentes réformes.

Alors, quelle est l’urgence ? J’essaie de comprendre, car il y en a certainement une, n’est-ce pas ? L’urgence, c’est la volonté du Président de la République jupitérien. Voilà la vraie raison ! Grâce à cette urgence, on passe sous silence le fait que nous ne disposons d’aucune étude d’impact sur les différentes lois de flexibilité qui ont été votées.

Tout de suite, on engage la procédure des ordonnances. Cependant, permettez-moi de signaler que nous n’avons pas le texte, alors que plus de cinquante sujets sont abordés en matière de droit du travail. Nous ne disposons pas non plus d’une évaluation des conséquences économiques, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées !

Madame la ministre, avez-vous consulté les rapports de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT ? Avez-vous pris connaissance des avertissements qu’ils nous livrent sur les burn-out, sur les troubles musculo-squelettiques, sur les problèmes de la santé au travail ? Que fait-on de tout cela ? Réponse : flexibilité, flexibilité ! Certains économistes nous disent pourtant que bien vivre avec une bonne santé au travail est certainement le meilleur facteur de productivité.

Sur toutes ces questions, vous ne nous répondez pas ! Le texte que vous nous avez donné n’est pas sérieux et c’est la raison pour laquelle il faut abandonner cette idée d’ordonnances sur le droit du travail. La méthode retenue pour mettre de côté le travail parlementaire est assez scandaleuse ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Bricq. Qu’est-ce qu’on fait en ce moment ?

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, comme la tonalité du jour est phocéenne, j’ai choisi d’aller droit au but ! (Sourires.)

Je souhaitais intervenir sur cet article pour rappeler que le contexte idéologique qui sous-tend le projet de loi que nous discutons aujourd’hui n’est pas neutre. J’irai même jusqu’à dire qu’il est discutable et discuté ! Je me permets ces rappels de base, après avoir écouté avec étonnement quelques affirmations sur ce texte et sur le code du travail, ces derniers jours.

Madame la ministre, vous avez affirmé hier que notre droit du travail était devenu progressivement inadapté à l’économie de notre temps, non pas dans ses principes, mais dans ses détails. Peut-être cette inadaptation progressive est-elle due aux nombreuses réformes – dix-sept de 2000 à 2013, d’après Les Économistes atterrés ! – visant à libéraliser le marché du travail ces dernières années, autant de réformes qui n’ont pourtant pas réussi à créer des emplois pérennes en nombre suffisant.

Constatant les échecs passés, vous vous préparez à utiliser la même méthode : légiférer vite, sans même attendre le bilan complet des réformes du précédent quinquennat ; légiférer vite, et sans doute mal, pour éviter que nos concitoyens ne s’approprient un débat qui n’a pas été tranché lors de l’élection présidentielle ; légiférer vite, en utilisant des exemples européens bien peu convaincants. Ainsi, il est souvent de bon ton d’appeler la France à se réformer sur le modèle de l’Italie ou de l’Espagne, autant de pays où le taux de chômage est encore supérieur à celui de la France, malgré une démographie largement différente, mais il faut copier Renzi, il faut imiter Rajoy !

Aujourd’hui, madame la ministre, vous souhaitez légitimement soutenir la ligne défendue par le Président de la République : réformons pendant que la cote de popularité est élevée, pendant la torpeur de l’été, pendant que l’ancien monde politique est encore tétanisé !

Mais il reste dans ce pays quelques millions de personnes qui estiment que cette philosophie de la dérégulation n’est pas pertinente socialement et qu’elle n’est pas efficace économiquement, parce qu’elle n’a pas fait la preuve de son efficacité ailleurs, parce que, en France, comme l’indique l’OCDE, les rigidités alléguées du marché du travail ne sont étayées ni en matière de licenciement individuel ni en matière de licenciement collectif, parce que ces dérégulations ont des effets pervers sur le travail des femmes, sur la précarisation de l’emploi, sur l’incitation des employeurs à toujours préférer la réduction des coûts à l’investissement.

C’est pour ces raisons, sur la forme et sur le fond, que je m’opposerai à ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l’article.

M. Philippe Adnot. Je voulais, tout d’abord, saluer le travail de la commission et dire que je soutiendrai toutes les prises de position qui seront exprimées en son nom.

Si j’ai demandé la parole, monsieur le président, c’est surtout pour que les non-inscrits puissent s’associer officiellement au concert de louanges qui vous a été adressé et qui est parfaitement justifié. En effet, tout au long de ces années, vous avez présidé nos séances avec pertinence et bonhomie, tout en veillant au respect des diverses expressions.

Je voudrais vous demander une faveur : accepteriez-vous de partager une petite parcelle de la formidable ovation qui vous a été adressée avec tous nos collègues que nous ne reverrons plus, parce qu’ils sont touchés par cette loi absurde qui interdit le cumul des mandats ? (M. le président fait un geste de remerciement. – Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l’article.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, je ne vais pas rajouter aux éloges qui vous ont été adressés… (Sourires.)

Je veux m’adresser à Mme la ministre, que j’ai écoutée avec attention hier. Après avoir relu votre intervention au compte rendu, je constate, madame la ministre, une grande absence dans votre dispositif, celle des travailleurs handicapés.

La loi du 11 février 2005 précise que les entreprises ont l’obligation de recruter ces personnes à hauteur de 6 % de leur effectif salarié. Laurence Cohen a bien décrit tout à l’heure la situation de ces travailleurs, soulignant les freins à leur recrutement, comme à leur maintien dans l’emploi. Je ne partage cependant pas tout à fait son appréciation ni ses conclusions.

Certes, les chefs d’entreprise peuvent effectivement craindre les coûts d’une insertion professionnelle obligatoire, les difficultés d’intégration d’un travailleur avec handicap. Toutes les observations montrent cependant qu’au sein d’une entreprise, quelle que soit sa taille, l’attention et la solidarité humaine et professionnelle sont bien aussi efficaces que les contraintes légales et financières pour faire place aux salariés avec handicap. Les outils existent, il faut savoir s’en saisir et c’est au cœur même de l’entreprise que cette conversion doit s’effectuer. C’est par l’expérience collective, au plus près de la pratique, que l’on garantit la meilleure reconnaissance de la place des personnes handicapées et la défense de leurs droits de travailleurs.

Nous saisissons l’occasion de cette loi d’habilitation à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social pour demander que le Gouvernement mène systématiquement des études d’impact des réformes envisagées sur l’emploi des personnes en situation de handicap et des proches aidants, tant en matière d’accès, d’évolution professionnelle que de maintien dans l’emploi, de façon à généraliser et rendre habituelle l’obligation de recrutement de 6 % de personnes handicapées dans les effectifs salariés, que l’entreprise soit publique ou privée.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, vous avez choisi d’exercer le mandat unique de maire de Marseille. À mon tour, monsieur le président, je déplore que vous ne soyez bientôt plus dans l’hémicycle, mais dans la mesure où je ne serai plus là en septembre, cela ne sera qu’un demi-dépit… (Sourires.)

Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais comme tout le monde le fait – le groupe CRC, les socialistes revigorés… –, je sens une atmosphère combative. Je me suis dit que le groupe écologiste « honoraire » se devait de prendre la parole pour dire que les gouvernements se suivent et se ressemblent. (Exclamations sur les travées du groupe La République en marche.)

Eh oui ! On croit changer tout et on retrouve la même chose ! Cela vaut d’abord au niveau des personnes. Il en est certains qui font maintenant partie de La République en marche et que j’avais vus auparavant dans d’autres groupes politiques. Cela étant, peut-être y aura-t-il à l’automne, au Sénat, un renouvellement plus important, à l’instar de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale ?

Je le reconnais, le rythme est différent : les socialistes ont avancé à petits pas feutrés ; à côté d’eux, certains sont en marche ; la droite se prépare au galop ! Tout cela pour une réforme par ordonnances, qui vise à réduire le coût du travail. Sur le fond, c’est toujours la même chose !

À l’heure actuelle, on pourrait s’attendre à voir se manifester une volonté d’aller vers le progrès social, cherchant à obtenir pour les salariés un pouvoir d’achat plus important, de meilleures conditions de travail et un abaissement de l’âge de départ à la retraite… On pourrait penser qu’il y a suffisamment de richesses sur cette planète pour permettre l’émergence du progrès social.

Pourtant, que font la majorité des parlementaires ? Ils s’opposent catégoriquement au progrès social, qui coûterait trop cher, et ils proposent de revenir sur les conditions de travail, sur les salaires, bref, sur les droits acquis ! Tout cela pour nous aligner sur quoi ? Sur les conditions les plus déplorables de la planète !

Ne devrions-nous pas plutôt aspirer à être un exemple pour l’ensemble des pays du monde et à construire, de concert avec les autres, un progrès social à l’échelle internationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, vous avez eu droit tout à l’heure, à trois reprises, à une standing ovation. Vous avez pris la bonne décision ! Lorsque l’on est Marseillais, on ne démissionne pas, on reste debout et on continue ! Et je suis certain que les Marseillais apprécient et apprécieront le choix que vous avez fait.

Je viens d’un département quasiment limitrophe des Bouches-du-Rhône (Exclamations.) Vous savez très bien que pour nous, dans la Drôme, notre capitale régionale, c’est Marseille. Nous aurons donc l’occasion de nous retrouver à plusieurs reprises.

Lors de la campagne présidentielle, le candidat Macron avait annoncé cette loi. Il avait annoncé qu’il la ferait débattre au Parlement et qu’elle serait appliquée par ordonnances. Nous en prenons acte, c’est ainsi.

Je ne fais pas partie de ceux qui sont opposés aux ordonnances. On peut avoir une position de forme, de posture et refuser par principe les ordonnances. La Constitution autorise le Gouvernement à demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Tel est le cas ici. Bien sûr, nous aurions préféré qu’il en aille différemment. Nous aurions aimé prendre plus de temps pour en discuter, mais le choix avait été annoncé. Je le répète, nous en prenons acte.

Au-delà des discours enflammés, je veux maintenant en venir au fond de ce texte et de cet article 1er. On peut tenir des discours politiques, adopter des postures respectables, mais ce qui compte, c’est ce qui est inscrit dans la loi. Ce qui compte, c’est ce qui sortira du Parlement et ce qui figurera dans ces ordonnances.

Sur cet article 1er, je veux vous dire, madame la ministre, que vous assurez la primauté des accords de branches. Cela me paraît important. Il faut l’assumer et nous en sommes ravis. Enfin, soyons sérieux, vous l’avez tous dit ici, il faut surtout restructurer les branches professionnelles !

En même temps – pour employer une expression qui fait florès –, qui a peur de discuter dans une PME ? Pour ma part, je tiens le même discours dans la Drôme et à Paris. Quand je rencontre des salariés et des patrons des TPE-PME de mon département, je les invite à discuter entre eux pour trouver les bonnes solutions et améliorer les choses. C’est ce que prévoit ce texte et cela me paraît très important.

Lors du débat sur la déclaration de politique générale, j’avais évoqué, au nom de mon groupe, notre vigilance dans le domaine économique et social. En effet, nous voulons être vigilants. Oui à la flexibilité, mais oui aussi à la sécurité !

Madame la ministre, serait-il possible, au cours de ce débat, que vous nous disiez où en sont les discussions avec les organisations syndicales ? Cet aspect est quand même très important et on n’en parle pas dans cet hémicycle. Nous aimerions savoir ce que pensent les organisations syndicales de cette discussion.

J’ai gardé la même ligne politique depuis un an. J’ai soutenu, avec de nombreux membres du groupe socialiste et républicain, la loi El Khomri, dans son contenu, comme dans son esprit. Nous sommes quelques-uns de notre groupe à soutenir votre texte, madame la ministre. Vous vous en êtes aperçue et vous le verrez cet après-midi, ce soir, demain et après-demain, les socialistes sont extrêmement divers et leurs expressions seront aussi très diverses tout au long de cette discussion !

À l’arrivée, lorsque le texte sera voté et que les ordonnances seront rédigées, la seule chose qui compte, c’est de savoir si, oui ou non, ce texte va améliorer les conditions de travail. Permettra-t-il de faire baisser le chômage et de mettre en place la flexisécurité ? Nous sommes un certain nombre de socialistes à le penser. Alors, madame la ministre, nous nous exprimerons dans ce débat avec des voix diverses, mais nous avons tous le même objectif, que la France se redresse ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 1 rectifié quater est présenté par Mme Lienemann, MM. Godefroy, Duran et Labazée, Mmes Jourda et Yonnet et MM. Mazuir, Montaugé et Courteau.

L’amendement n° 54 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L’amendement n° 156 est présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux.

L’amendement n° 182 rectifié ter est présenté par MM. M. Bourquin et Cabanel, Mme Guillemot, MM. Marie, Durain, Anziani, Assouline et Antiste et Mme Monier.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour défendre l’amendement n° 1 rectifié quater.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Pierre Gattaz et le MEDEF l’avaient rêvé : sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, cela se fait !

Pierre Gattaz disait qu’il faut donner la possibilité aux chefs d’entreprises de négocier le plus de choses directement avec les salariés. Il disait aussi que l’accord de branche ne doit primer que par exception.

On change de philosophie et c’est bien cela qui est en train de s’opérer. Il existe déjà des accords d’entreprise. Ils ne datent pas d’hier ! Nous ne sommes pas un pays complètement bloqué, ce n’est pas vrai !

Là, on change : l’accord de branche devient l’exception et l’accord d’entreprise devient la règle, le cœur. Ce n’est d’ailleurs pas du tout ce que l’ensemble du patronat souhaite. Je pense notamment à la CGPME qui ne partage pas cette philosophie. On le voit bien, on est en train d’entrer dans ce que j’ai appelé « la grande déréglementation ». Alors que nous passons notre temps à pleurer sur le dumping social des pays de l’Est, nous sommes en train d’organiser au sein de notre propre pays la concurrence déloyale avec du dumping social ! Tel est le mécanisme qui est en train de se mettre en place.

La loi d’habilitation à légiférer par ordonnances ne précise pas les champs qui continueraient de relever obligatoirement du domaine des accords de branche. On nous dit que tel serait le cas pour les minima conventionnels, les classifications, les financements paritaires, l’égalité professionnelle hommes-femmes et la qualité de l’emploi.

Je veux bien l’entendre, mais cela signifie que tous les autres domaines sont de la compétence de l’entreprise ! Je prendrai un exemple, celui des primes d’ancienneté. Supposons qu’un accord d’entreprise décide de les supprimer. Eh bien, le salarié que vous êtes va perdre sa prime d’ancienneté – elle était pourtant prévue par votre contrat de travail – parce qu’un accord d’entreprise – signé ou non majoritairement – en aura décidé ainsi. Et on appelle cela du progrès social ! Pour moi, c’est du recul social organisé !

Deuxième exemple, la suppression de la clause de faveur, qui était l’un des principes fondateurs du progrès social. Comme le disait notre collègue Jean Desessard, on a idéologiquement inversé la donne, considérant que le progrès social est un handicap dans la perspective du progrès économique ! Or nous pensons strictement l’inverse !

Pour le dernier exemple, je m’adresse à notre collègue représentant les Français établis hors de France, M. Cadic : mon cher collègue, le système que vous appelez de vos vœux, vous êtes tout prêt de l’atteindre ! Il est déjà prévu que le Gouvernement pourra, par ordonnances, exonérer les PME, précisément celles où la pénibilité et les difficultés sont parfois les plus importantes, des contraintes de la branche ! Vous allez donc voir fleurir la sous-traitance organisée et se poursuivre ces flux de sous-traitances qui fragilisent notre économie et les droits sociaux de notre pays.

Cet article 1er est donc un article dangereux, qui ne va pas renforcer le tissu économique du pays. La raison en est simple, il va plus le fractionner que le consolider !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 54.

Mme Laurence Cohen. Nous avons explicité, hier, en défendant nos motions et en nous exprimant lors de la discussion générale, notre opposition, tant sur le fond que sur la forme, à ce projet de loi d’habilitation.

Pour nous, les choses sont très claires : ce n’est pas un hasard si votre gouvernement, madame la ministre, a choisi de s’attaquer prioritairement aux droits des salariés. Après l’accord national interprofessionnel, l’ANI, de 2013, après les lois Rebsamen, Macron, El Khomri, les salariés sont une nouvelle fois la cible, sans qu’aucune évaluation de ces lois ait été réalisée, alors même que le président Macron vante l’évaluation des politiques publiques !

J’ai bataillé, avec l’ensemble de mon groupe, contre tous ces textes. Pourtant, chaque fois, vos prédécesseurs ne tarissaient pas d’éloges sur les mérites de ces nouvelles réformes. On nous assurait que, grâce à elles, le chômage allait enfin diminuer, que les entreprises allaient enfin pouvoir embaucher plus facilement… Permettez-moi d’en douter, non seulement, quand je regarde l’état du pays, six ans plus tard, mais également parce que vous avez à nouveau besoin de prévoir une grande réforme qui poursuit et amplifie les attaques de la loi El Khomri, contre laquelle la rue a grondé durant des mois, toutes générations confondues – et j’espère qu’elle grondera encore contre cette loi !

Nous demandons, par cet amendement, la suppression de cet article 1er, qui est emblématique du projet de loi que nous examinons.

Que dit donc cet article ? Il étend tout simplement les domaines dans lesquels les accords d’entreprise priment. Vous n’avez de cesse, madame la ministre, tout comme votre prédécesseur, Mme El Khomri, de dire qu’il n’y a ni inversion de la hiérarchie des normes ni suppression du principe de faveur. Pourtant, le texte parle pour vous : il y est indiqué noir sur blanc que le projet de loi entend donner à la négociation d’entreprise un rôle essentiel, et ce dans des domaines qui, jusqu’ici, relevaient de la branche ou de la loi.

Quant au principe de faveur, vous lui préférez désormais, madame la ministre, celui de subsidiarité. Mais les mots ont un sens et il s’agit bel et bien d’une remise en cause des principes fondamentaux de notre code du travail.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article qui, par ailleurs, tend à modifier la périodicité des négociations obligatoires, à réduire le délai de contestation d’un accord, ou encore à déroger aux accords majoritaires par un référendum sur l’initiative du patronat : bref, autant de reculs annoncés sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements suivants.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 156.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, il me faut choisir un angle d’attaque. Je ne voudrais pas, en effet, que vous puissiez me reprocher d’être trop long : pour votre dernière présidence de séance, j’espère ne pas vous contrarier. (Sourires.) Je parlerai donc de la forme et non du fond, sur lequel je reviendrai tout à l’heure.

Madame la ministre, vous n’avez pas assisté aux débats que nous avons eus avec Mme El Khomri. Nous avons été plusieurs – socialistes, communistes et nous, écologistes, qui formions encore un groupe vaillant – à lui demander pourquoi elle défendait cette loi, six mois avant les élections. Parfois, on n’est pas d’accord, mais on comprend ; là, nous ne pouvions pas comprendre pourquoi Mme El Khomri proposait un texte qui mettait les salariés en grève et qui opposait le Gouvernement aux syndicats et, plus largement, à la gauche, alors que des élections approchaient où il aurait besoin de la gauche. C’était incompréhensible !

Je n’ai pas le loisir d’écouter les explications qu’elle pourrait donner aujourd’hui, mais enfin, pourquoi un tel choix ? Pourquoi la gauche s’est-elle mis à dos une grande partie de son électorat, au point que ces votes lui ont manqué quelques mois plus tard ?

Tout à l’heure, madame la ministre, M. Martial Bourquin a dit ne pas comprendre pourquoi vous aviez choisi de procéder par ordonnances. Mais enfin, le virus était déjà là avant ! Pourquoi le gouvernement Valls s’est-il lancé dans cette réforme du droit du travail ? Il savait bien, pourtant, que cela allait lui nuire lors des élections, ce qui s’est d’ailleurs passé.

Alors, voici à présent M. Macron qui, à peine arrivé, proclame qu’il réformera le droit du travail par ordonnances. Mais quelle mouche vous pique ? Je pose au Gouvernement la même question que M. Martial Bourquin : pourquoi faites-vous cela ?

Vous pouviez annoncer qu’il vous fallait un petit peu de temps ; vous auriez pu profiter tranquillement de votre popularité, plutôt que d’essayer de la faire descendre tout de suite. Ainsi, vous auriez passé les vacances à vous mettre en bonne forme, vous auriez discuté avec les syndicats pendant un an et vous auriez présenté, à la fin, une belle réforme bien préparée. Alors, bien sûr, certains s’y seraient opposés, mais vous auriez au moins fait participer les syndicats et les parlementaires.

Quelle mouche a donc piqué le gouvernement précédent et celui-ci ? (Mme Esther Benbassa applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour présenter l’amendement n° 182 rectifié ter.

M. Martial Bourquin. J’ai déposé cet amendement de suppression de l’article 1er, parce que le principe même des ordonnances sur le code du travail est inadmissible.

Vous seriez mieux inspirée, madame la ministre, de mettre en place un Grenelle du droit social, du travail et de la santé au travail, afin de faire en sorte que flexibilité et sécurité soient complètement liées. Prenez l’exemple de l’usine de Sochaux : on a eu beau flexibiliser le personnel, ce qui a fait redémarrer l’embauche dans cette usine, c’est que la Peugeot 3008 – une très bonne voiture ! – a vu ses ventes multipliées par trois ; on a embauché parce qu’il y avait un bon carnet de commandes. Il ne faut donc pas tout confondre ni faire un mauvais procès au code du travail.

L’idéologie néolibérale s’est attaquée au code du travail, dont on veut absolument faire un bouc émissaire, parce qu’il protège les salariés. Veillons donc à remettre les choses à l’endroit.

Selon un rapport du FMI, l’assouplissement du marché du travail va de pair avec une inégalité croissante et avec l’enrichissement des plus riches.

Mme Nicole Bricq. Il ne parle pas de la France !

M. Martial Bourquin. Cet assouplissement réduit en outre le pouvoir de négociation des travailleurs les plus pauvres. L’étude montre par ailleurs que le développement du salaire minimum par rapport au salaire médian va de pair avec la hausse des inégalités. Or le FMI, contrairement à son habitude sur de telles questions, fait des recommandations. Quelles sont-elles ? Il préconise de mettre l’accent sur le capital humain et sur les compétences, car c’est le plus important dans une entreprise. Il propose en outre que les pays développés mettent en place une politique de redistribution par le biais de l’impôt sur la fortune, de l’impôt sur la propriété et d’une fiscalité plus redistributive.

Je vous signale, mes chers collègues, que c’est absolument le contraire de ce que fait le Gouvernement, qui choisit de frapper les plus pauvres par la baisse des aides personnalisées au logement, les APL, par l’augmentation de la CSG et par la diminution de l’ISF. Cherchez l’erreur ! (Mme Gisèle Jourda et M. Georges Labazée applaudissent.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Il est évidemment défavorable, et ce pour une raison simple : nous approuvons la volonté du Gouvernement de clarifier l’articulation entre la loi, les accords de branche, les accords d’entreprise et le contrat de travail. En effet, comme vous le savez tous, les règles actuelles sont complexes et souvent méconnues de la majorité des employeurs et de la quasi-totalité des salariés.

Il n’y a pas de bouleversement de la hiérarchie des normes, car la loi reste évidemment supérieure à la négociation collective. Depuis 1982 et, surtout, depuis 2004 et la loi Travail de l’an dernier, le législateur donne à l’accord d’entreprise la place centrale pour fixer les relations individuelles et collectives du travail. Beaucoup parlent d’un risque de concurrence déloyale au sein des branches, mais de nombreux garde-fous existent encore dans ce projet de loi d’habilitation.

D’une part, six thèmes relèvent déjà du monopole légal des accords de branche, comme les salaires minimaux, la classification ou l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En outre, la branche pourrait bientôt avoir le monopole de la fixation des règles en matière de gestion et de qualité de l’emploi, afin de définir un socle commun à l’utilisation des CDD, des contrats d’intérim et des CDI de chantier.

D’autre part, sur les matières dans lesquelles un accord d’entreprise peut intervenir, il faut un accord entre les syndicats et l’employeur. Celui-ci ne peut évidemment pas imposer seul sa volonté.

Je voudrais enfin faire remarquer que la question posée par M. Desessard – pourquoi, en fin de mandat, la loi El Khomri et pourquoi, en début de mandat, ce texte ? – me semble déplacée. En effet, il vaut mieux faire de telles réformes en début de mandat et être tranquille par la suite pour faire en sorte que l’économie de notre pays puisse évoluer dans le bon sens et que le nombre de chômeurs puisse diminuer. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il est à l’évidence défavorable, pour les raisons que M. le rapporteur vient d’exprimer. Je profite néanmoins de cette occasion pour revenir sur un point que j’ai déjà évoqué hier, mais qui est extrêmement important, à la fois dans la méthode et dans le contenu de ce projet de loi d’habilitation : le renforcement du dialogue social.

Tant au niveau de la branche qu’à celui de l’entreprise, nous faisons confiance aux employeurs et aux syndicats de salariés, qui représentent une autorité légitime pour contribuer à faire de la norme détaillée la norme sociale. Oui, c’est un pari de confiance, mais il s’appuie sur l’expérience. On conclut déjà 36 000 accords par an dans notre pays, qui recueillent tous l’assentiment de 80 % ou 90 % des signataires et de l’ensemble des organisations syndicales. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Pour ce qui est de l’article 1er, je voudrais d’abord confirmer que, bien évidemment, la loi s’impose à tous. Il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes en ce qui concerne la loi ; d’ailleurs, ce serait inconstitutionnel. Il est faux d’affirmer dans le débat qu’on inverse la hiérarchie des normes et qu’un accord d’entreprise ou de branche pourrait se passer de l’encadrement de la loi. Celle-ci fixe les droits fondamentaux, les conditions auxquelles les partenaires sociaux, au niveau de la branche et dans l’entreprise, peuvent négocier un certain nombre de sujets, les modalités et le champ de cette négociation.

Je voudrais à présent vous fournir une information relative à cet article qui peut s’avérer utile dans la suite des débats. Cet article a fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. Nous venons de mener 48 réunions approfondies sur tous les sujets couverts par le projet de loi d’habilitation, afin d’éclairer la réflexion du Gouvernement sur les ordonnances. Or sur ce point, comme vous avez pu le constater, l’ensemble des organisations représentatives patronales et syndicales exprime plutôt un certain contentement sur l’équilibre qui a été trouvé entre trois blocs de compétences : ce qui doit impérativement être de l’ordre de la discussion dans la branche, ce que la négociation de branche peut choisir d’imposer aux entreprises et, enfin, le reste, pour lequel on fait confiance aux acteurs de l’entreprise. Nous avons donc l’intention de répartir les domaines, dans les ordonnances, de la façon suivante.

Un premier bloc de compétences sera absolument réservé à la négociation de branche et ne pourra donc pas faire l’objet de dérogations à l’échelle de l’entreprise. Ce bloc comprendra évidemment les minima conventionnels, les classifications et la mutualisation des financements paritaires, qu’il s’agisse du fonds de financement du paritarisme, des fonds d’information professionnels, des fonds de prévoyance, de la complémentaire santé et des compléments d’indemnité journalière. C’est une disposition nouvelle : oui, nous renforçons non seulement la capacité à négocier dans l’entreprise, mais aussi la négociation de branche.

Ce bloc comprend encore un item que nous avons appelé « la gestion et la qualité de l’emploi » et qui est issu de nos concertations. Il couvrira aussi bien la durée minimale du temps partiel, celle des compléments d’heure, la régulation des contrats courts et les conditions de recours aux CDI de chantier.

Enfin, nous inscrirons dans les ordonnances que relève obligatoirement de la négociation de branche l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce chantier représente quand même quelque peu un échec collectif, puisque cela fait quinze ans que la loi affirme ce principe et qu’il n’est ni appliqué ni respecté. Et pourtant, la loi prévoit des sanctions. Cela montre bien, d’ailleurs, que sur un tel sujet il ne suffit pas que la loi pose un principe ; il faut aussi que les acteurs se mobilisent. C’est aussi pour cela que sont faites la négociation de branche et la négociation dans l’entreprise.

Le deuxième bloc sera constitué de domaines pour lesquels nous considérons que la branche est compétente pour négocier. Ce sera à la branche de déterminer si ces domaines sont « verrouillés », c’est-à-dire que les règles qu’elle détermine s’appliquent directement dans les entreprises, ou peuvent faire l’objet d’adaptations.

Parmi ces domaines, on compte la prévention des risques professionnels et de la pénibilité, puisqu’il existe, d’une branche à l’autre, des spécificités propres aux métiers qu’il faut absolument prendre en compte. On compte aussi le handicap ; comme plusieurs interventions ont abordé ce sujet, je tiens à réaffirmer que, bien évidemment, aucune des obligations des entreprises en matière de handicap ne va diminuer. Bien au contraire, nous jugeons important que les branches se penchent sur ce sujet, parce qu’il faut échanger les bonnes pratiques et trouver des solutions pour que les droits deviennent réellement exerçables dans toutes les entreprises. J’ose croire que tout le monde ici sera d’accord pour reconnaître que la solution n’est pas de financer un organisme parce qu’on n’a rien pu faire d’autre ; il faut réussir à mieux faire demain, parce que les salariés handicapés souhaitent avant tout avoir du travail.

Un autre nouveau domaine sera rattaché à ce deuxième bloc, ce qui montre notre esprit de renforcement du dialogue social : les conditions et les moyens d’exercice d’un mandat syndical, la reconnaissance des compétences acquises et les évolutions de carrière. C’est une question de cohérence. Si l’on affirme que le dialogue social est un facteur clé dans la branche et dans l’entreprise, parce que c’est là qu’on peut articuler, au plus près du terrain, la performance économique et la performance sociale, il faut que les acteurs soient formés, qu’ils aient une espérance de parcours de carrière et que leurs droits soient reconnus. C’est pourquoi nous évoquons ce point.

Enfin, j’en viens au troisième bloc : oui, et c’est une nouveauté, pour les domaines qui n’appartiennent pas aux deux premiers blocs, la primauté reviendra à l’accord d’entreprise. La question qui détermine ici le partage des eaux est la suivante : fait-on confiance aux acteurs, aux employeurs, aux syndicats de salariés, en somme à l’ensemble de la communauté d’entreprise pour faire de la performance économique et sociale ?

M. Pierre Laurent. Et la liste du troisième bloc ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tel est l’esprit de l’article 1er. Je remercie les auteurs de ces amendements, dont l’examen m’a donné l’occasion de vous préciser ces grandes lignes. (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, je tenais à vous dire que les gentils mots que vous m’adressiez chaque fois que vous me rencontriez vont me manquer. En somme, vous allez quand même me manquer ! (Sourires.)

Je voterai pour les amendements de suppression de l’article 1er de ce projet de loi, article dont la principale conséquence est le bouleversement profond de l’ordre public social français.

Renverser la hiérarchie des normes, et donc favoriser une sorte de concurrence au sein de chaque branche, a des conséquences graves pour nos concitoyens. Nombre d’autres mesures constituent également un important recul pour les droits des salariés : l’inversion de la charge de la preuve et la fin du principe de faveur pour le salarié n’en sont que deux exemples.

De surcroît, quelles que soient la pertinence de ce projet et l’urgence à intervenir pour « engager une réforme profonde du modèle social », nous ne pouvons que regretter, en tant que parlementaires, que le débat ne puisse avoir lieu au Parlement, par l’examen d’un projet de loi simple sur une question aussi complexe et importante, et qu’on ait plutôt recours à des ordonnances.

M. Martial Bourquin. Très bien !

Mme Esther Benbassa. L’ambition du président de notre « start-up nation » semble surtout être de faire adopter cette réforme pendant l’été, dans la torpeur du mois d’août. Mais que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit ici ni d’innover ni d’inventer le droit et la protection du travail pour les nouveaux statuts précaires, autoentrepreneurs, faux indépendants ou travailleurs des plateformes Uber et autres. Non, il s’agit surtout d’aligner le droit du travail à la baisse et d’offrir plus de précarité pour moins de droits.

À cela, en tant qu’écologiste, je ne me résigne pas !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, vous ne m’avez pas convaincue, et ce pour deux raisons.

En premier lieu, quand vous affirmez qu’il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes, c’est une forme de sophisme.

Mme Annie David. Même M. Cadic l’a reconnu !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En effet, l’ordre public social continue certes à prévaloir, mais il est limité dans son champ. Dès lors, pour tout le champ qui était historiquement garanti par l’ordre public social, vous inversez de fait la hiérarchie des normes, même si ce qui reste dans la compétence de l’ordre public social s’impose évidemment toujours à tous.

En second lieu, vous nous dites qu’il faut avoir confiance dans l’entreprise. Vous avez noté que des accords d’entreprise sont effectivement conclus. Mais vous n’ignorez pas qu’on a d’autant plus confiance qu’on est en situation d’égalité, de symétrie. La confiance ne peut pas naître quand il y a une inégalité de situation. Or qu’est-ce qui garantit l’égalité ? C’est justement la présence d’une loi protectrice et assez ample pour permettre que l’adaptation ait lieu et que la protection soit garantie. C’est d’ailleurs pourquoi les accords d’entreprise sont aisés à conclure dès lors qu’une loi protège les salariés.

J’en viens à l’exemple allemand : on nous répète à l’envi que les Allemands font des accords. Mais, en Allemagne, les salariés ont du pouvoir ! La cogestion, ce n’est pas simplement le consensus naturel ; c’est le fait que le conseil de surveillance syndical mis en œuvre dans ce système peut s’opposer, au sein de l’entreprise, à des décisions qui ne peuvent pas être prises sans son accord. Le cadre d’une négociation renforcée suppose l’égalité des parties ; or, même si, pour la réussite d’une entreprise, l’état d’esprit doit être plus collaboratif, il n’y a pas égalité des parties entre un patron d’entreprise et ses salariés.

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, l’ensemble du Sénat a conclu, pour ainsi dire, un accord collectif, ou un accord de branche, pour vous rendre hommage ; je m’y associe volontiers ! (Sourires.)

Je tiens à préciser que je souscris totalement aux propos de M. Martial Bourquin. Néanmoins, je ne voterai pas ces amendements de suppression de l’article 1er, parce que je souhaite que nous débattions de l’ensemble des alinéas et des propositions de cet article, afin de pouvoir dire tout ce que j’en pense.

Je dois également vous avouer, madame la ministre, que j’admire beaucoup votre subtilité. Vous avez résumé l’article 1er à la différenciation entre l’accord collectif et l’accord de branche, et vous avez détaillé le travail que vous allez mener, mais il n’y a pas que cela dans cet article.

On y trouve ainsi la possibilité pour le patron d’engager le référendum d’entreprise, qui ne figurait pas dans la loi El Khomri. Malgré toute l’influence que le patron peut exercer, voire la crainte qu’il peut engendrer chez les salariés, on nous dit qu’il faut lui faire confiance. Vous viendrait-il à l’esprit de ne plus limiter la vitesse et de faire confiance aux automobilistes, ou encore de ne plus prélever l’impôt et de faire confiance aux contribuables pour le déclarer et le payer eux-mêmes ? Non ! La négociation suppose qu’il y ait un équilibre, que chacun soit dans une position qui lui permet, sans crainte et en toute sérénité, de négocier. Or cela ne sera pas le cas si le référendum est d’origine patronale.

Vous indiquez également que l’accord collectif bénéficiera d’une présomption de légalité, ce qui signifie que le juge n’ira pas chercher ce qui, à l’intérieur de l’accord, peut être éventuellement illégal ; il faudra que le salarié apporte lui-même cette preuve, ce qu’il n’aura pas forcément la possibilité de faire.

On nous a dit que ces changements n’affecteront pas les salaires, parce qu’ils ne relèveront pas de l’accord collectif. C’est exact ; seulement, un revenu de salarié comprend non seulement un salaire, mais aussi certaines prestations annexes, parfois en numéraire. Or l’accord collectif peut mener à la suppression de ces prestations.

Cet article comprend donc un certain nombre d’éléments toxiques dont j’estime qu’il faut discuter. Je m’abstiendrai donc sur ces amendements, pour pouvoir ensuite intervenir sur certains points où je suis en désaccord complet avec le texte.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, je tiens moi aussi, tout d’abord, à vous rendre sincèrement hommage, comme cela a été fait par bon nombre de collègues avant moi. Je salue votre mission au service de la Haute Assemblée et du Parlement tout entier, mission que vous avez remplie avec beaucoup de cœur et de passion.

Bien que je respecte naturellement l’engagement de leurs signataires, je dois dire qu’il est toujours délicat de porter une appréciation sur les amendements de suppression d’un article, parce qu’ils tendent forcément à limiter la discussion, le dialogue. Or on est là au cœur de notre sujet : le dialogue social. Cet article aborde des sujets particulièrement complexes qui concernent beaucoup d’entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux membres de la commission des affaires sociales, qui se sont investis sur ce dossier.

J’ai aussi écouté avec beaucoup d’intérêt votre point de vue, madame la ministre, concernant le mot « confiance ». Je crois en effet que la confiance s’applique dans beaucoup de domaines et qu’il faut aussi, à un moment donné, poser les bonnes questions. Nous ne devons pas non plus oublier l’activité économique : défendre nos entreprises est aussi une large priorité.

Je suivrai donc tout naturellement l’avis de notre rapporteur et de la commission des affaires sociales, à laquelle j’ai appartenu voici quelque temps.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. J’appelle à voter la suppression de l’article 1er. Je ne reprendrai pas notre argumentaire sur l’inversion de la hiérarchie des normes, que j’ai notamment détaillé dans ma défense de la question préalable.

Mon intervention porte simplement sur les propos qu’a tenus à l’instant Mme la ministre : je ne peux pas la laisser dire, dans cette enceinte parlementaire, que les organisations représentatives des salariés seraient assez favorables au contenu de ce qui nous est proposé ici. Ce n’est pas à un ministre de parler ici à la place des organisations représentatives de salariés. Je m’en tiens, pour ma part, aux auditions qui ont eu lieu sous l’autorité du président de la commission des affaires sociales, où nous avons entendu ces organisations.

En effet, madame la ministre, pour le reste, vous avez fait le choix de discussions bilatérales, ce qui fait qu’un syndicat ne sait pas ce qui s’est dit avec l’autre.

Mme Nicole Bricq. Ils se téléphonent ! Ils se voient !

M. Dominique Watrin. Il me paraît donc quelque peu déraisonnable de rendre ainsi public tel ou tel accord partiel. Pour ma part, pour avoir écouté les représentants des organisations syndicales, je n’ai pas du tout entendu le même son de cloche. J’ai entendu la CFE-CGC dire son désaccord avec la logique d’ensemble du texte ; j’ai entendu la CFDT dire qu’elle n’avait pas demandé ce texte ; j’ai entendu FO dire qu’il y avait des lignes rouges à ne pas dépasser ; enfin, j’ai entendu la CGT appeler à la mobilisation et dire son désaccord total avec le texte. Cela fait quand même beaucoup !

Permettez-moi donc de douter quelque peu de la satisfaction, même relative, des organisations syndicales de salariés sur le contenu de cet article ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Madame la ministre, tout comme M. Watrin, votre argumentaire m’a laissé interrogatif. En revanche, il ne m’a pas surpris, puisque Mme El Khomri a développé le même voici quelques mois.

Vous faites le pari de la confiance envers les employeurs. Mais dans quel monde vivez-vous ? Nous sommes dans une société capitaliste. Qu’est-ce que cela signifie ? Il y a compétition entre les entreprises pour vendre le moins cher leurs produits, non seulement à l’échelle française, mais aussi à l’échelle internationale. Ce n’est pas un système de coopération où l’on se répartit les tâches ; au contraire, on veut vendre plus d’objets et de services au moindre prix et conquérir ainsi le marché.

Si cette compétition n’existait pas, les agriculteurs seraient-ils dans leur situation actuelle, complètement exploités par les distributeurs ? N’existe-t-il pas des patrons voyous qui rachètent des entreprises et les revendent rapidement et font du capital en chassant les travailleurs ? Tous les profits sont-ils réinvestis dans l’entreprise ? Bien sûr que non : ils vont dans des paradis fiscaux !

Vivons-nous dans le même monde, madame la ministre ? Connaissez-vous cette situation ? Comment se traduit-elle ? Des gens sont sur le carreau, et on dit qu’on va les sauver. Des territoires sont délaissés. Bien des emplois ne peuvent être conservés, parce qu’on produit désormais à l’étranger. Telle est, aujourd’hui, la situation des salariés français. Et votre réponse consiste à aggraver encore cette situation : il faut qu’il n’y ait plus de garde-fous, mais que, au contraire, l’entreprise s’adapte à cette compétition. Sachez pourtant que, lorsqu’une entreprise baisse les salaires et dégrade les conditions de travail, elle oblige par le mécanisme du capitalisme les autres à faire de même !

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, j’étais jeune sénateur de la Corrèze, quoique déjà vieux, quand j’ai eu le grand bonheur de vous rencontrer. J’ai toujours trouvé en vous un homme très chaleureux, mais, à vrai dire, je vous connaissais déjà, parce que Mme Chirac m’avait beaucoup parlé de vous… (Ah ! et sourires sur de nombreuses travées.)

M. le président. Les hôpitaux de Marseille ont reçu beaucoup de pièces jaunes !

M. Daniel Chasseing. Votre humanisme et votre générosité m’étaient donc déjà bien connus.

J’en viens à l’article 1er. Il me paraît important de souligner, à la suite d’Alain Milon, que la branche n’est absolument pas supprimée : elle est même confortée et reste incontournable.

Cet article donne la possibilité d’aménager et de faciliter des accords au plus près des besoins par un accord d’entreprise. C’est valable autant pour les salariés que pour l’employeur. D’ailleurs, contrairement à ce qui a été soutenu, c’est ce que souhaitent non pas les entreprises du CAC 40, mais bien les petites entreprises. Il ne faut pas voir les petits patrons comme des dominateurs et les employés comme des gens asservis. Pas du tout ! Dans les petites entreprises, le dialogue a lieu tous les jours.

Ce texte propose de renforcer le dialogue social, et j’y suis favorable. Cela passe par la prise en compte des petites entreprises, en précisant les domaines où l’accord de branche n’est pas adapté et, par conséquent, pas applicable.

La loi accordera une place centrale à la négociation. N’est-ce pas un progrès social, monsieur Desessard ? Si ce texte apporte de l’emploi pour notre pays, en faisant en sorte que les employeurs ne soient pas angoissés à l’idée de développer leur entreprise, notre pays sortira peut-être du chômage de masse. C’est cela qu’il faut considérer dans un premier temps. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Une fois de plus, certains de nos collègues montrent à quel point les modèles de société qu’ils défendent sont à contre-courant de l’histoire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

Je respecte vos convictions, mes chers collègues. L’ennui, c’est que le monde change : notre économie ne fonctionne plus comme au siècle dernier. (M. Alain Néri s’exclame.) Les échanges sont nombreux, rapides, internationaux ; les métiers évoluent, les marchés aussi.

Pour affronter ces changements et se positionner dans la compétition, employeurs et salariés doivent pouvoir choisir entre eux les règles propres à leur organisation. C’est la raison pour laquelle je voterai contre ces amendements de suppression.

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, vous avez parlé des règles concernant le handicap et la discrimination. Il faut savoir que, dans certains pays, la loi n’est pas aussi prolixe sur ce sujet. En revanche, on sait faire respecter l’égalité. Si l’entreprise n’est pas accessible aux personnes à mobilité réduite, elle ne peut plus recruter, car si elle le fait, on peut facilement prouver qu’elle discrimine les personnes handicapées.

Sortons ces dispositions du code du travail : sur cette matière, il est inutile. Faisons respecter le code pénal et la loi, et vous verrez que, tout à coup, comme par hasard, cette discrimination disparaîtra.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Ce sujet nous a déjà occupés voilà quelques mois, lors de la discussion de la loi El Khomri. Bis repetita placent : nous allons être obligés de vous répéter, madame la ministre, ce que nous avions dit à Mme El Khomri et qu’elle n’a pas voulu entendre, à tort d'ailleurs, puisque les faits semblent nous avoir donné raison.

Si nous vivions dans le monde des Bisounours, où tout est parfait, où tout le monde s’entend bien, nous n’aurions pas besoin de loi. En effet, la loi est le garde-fou qui permet de faire respecter le droit des uns et des autres, en particulier des plus modestes.

Il est vrai que, dans certaines grandes entreprises comme dans certaines petites, le dialogue social se passe bien, tout va bien. Malheureusement, des exceptions existent, et la loi vise à protéger les intérêts des plus modestes, c’est-à-dire des travailleurs les plus faibles, contre les excès de certains patrons qui n’ont pas encore compris le sens du dialogue social, celui de la solidarité et celui de la devise républicaine – liberté, égalité, fraternité. La fraternité est parfois oubliée, la solidarité l’est souvent !

Dans ces conditions, madame la ministre, il faut une loi qui protège les salariés. Or, tel qu’il est rédigé, ce projet de loi m’inquiète beaucoup. Le dialogue social a eu lieu, mais je n’ai pas l’impression que ce texte reflète l’avis de toutes les organisations syndicales !

Certes, vous avez parlé, madame la ministre, mais un endroit est prévu pour cela ! Je ne suis qu’un modeste instituteur : lorsque je faisais des leçons de vocabulaire, je m’attachais à la racine des mots. L’endroit où l’on doit parler, c’est le Parlement, et ceux qui doivent parler, ce sont les parlementaires !

À partir du moment où vous nous proposez de régler un problème aussi important que celui du code du travail, c’est-à-dire le droit des salariés à la dignité dans leur travail et à leur épanouissement grâce au travail, vous n’avez pas le droit de vouloir légiférer par ordonnances, car vous privez le Parlement de son droit essentiel et les parlementaires de leur droit de base, à savoir parler et discuter de ce sujet.

C’est pourquoi, madame la ministre, je ne voterai pas cet article et voterai les amendements de suppression. Je veux défendre les droits des travailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. Alain Néri vient de le souligner : on ne peut pas dessaisir le Parlement de questions aussi importantes, qui concernent des millions de personnes. Cela fait trente ans que l’on flexibilise – multiplication des contrats flexibles, intérim, temps partiel, CDD… –, et cela ne règle pas le chômage de masse. D’autres raisons expliquent ce phénomène : on a délaissé notre industrie, on a abandonné des pans entiers de notre économie ; la cause se trouve sûrement là.

Mes chers collègues, savez-vous que, selon le ministère du travail, un tiers des CDI sont rompus dès la première année ?

Savez-vous que 30 000 ruptures conventionnelles sont conclues chaque mois, toujours selon le ministère du travail ?

Mme Nicole Bricq. Oui, 400 000 par an !

M. Martial Bourquin. Jusqu’à 2,4 millions de ruptures conventionnelles ont déjà été signées. Il y a moins de plans sociaux.

Comparons notre droit du travail et celui de l’Allemagne. Sur les CDI, l’Allemagne est bien plus protectrice que la France ; en revanche, sur les CDD, elle l’est moins. En matière de plans sociaux, la réglementation en France est moins contraignante que celle qui est en vigueur dans d’autres pays européens.

Contre le chômage, la dérégulation n’a pas marché. C’est pour cela qu’il ne faut pas poursuivre dans cette direction.

Pourquoi ces amendements de suppression ? Primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail et sur la question des branches, extension du contrat de chantier à d’autres secteurs que le BTP, niveau plancher et plafond des indemnités en cas de licenciement abusif, pouvoir de négociation de l’instance unique de représentation du personnel dans les entreprises de plus de cinquante salariés, modification du périmètre de l’appréciation du licenciement économique, réduction du délai de contestation du licenciement devant les prud’hommes…

Comment légiférer par ordonnances sur des questions aussi importantes ? C’est impensable ! (Mme Catherine Deroche s’exclame.) Pourtant, Emmanuel Macron nous le propose. (Mme Gisèle Jourda et M. Alain Néri applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Le groupe La République en marche ne votera bien évidemment pas ces amendements de suppression. Je tiens à faire remarquer, ainsi que l’a très bien dit Yves Daudigny, que cet article règle un problème qui n’a pas été résolu dans la loi El Khomri, celui de l’articulation de l’accord de branche avec l’accord d’entreprise. À l’époque, tous ceux qui s’opposaient à cette loi affirmaient que l’accord de branche devait être supérieur à l’accord d’entreprise – sans étayer cette argumentation, du reste. Cet article apporte la solution.

Lorsque la commission d’affaires sociales a auditionné les partenaires sociaux, notamment les organisations syndicales, s’il y a un point sur lequel ils ont donné acte de la volonté du Gouvernement de régler ce problème, c’est bien l’article 1er. (M. Dominique Watrin s’exclame.) C’est pourquoi il ne faut absolument pas le supprimer.

Par ailleurs, je reconnais la fonction tribunitienne du parlementaire, surtout chez les membres de l’opposition ; ce n’est pas moi qui la contesterai. Il faut toutefois faire attention aux arguments que l’on avance, notamment sur ce sujet, et se garder de faire des raccourcis, à l’instar de Marie-Noëlle Lienemann, qui tout à l’heure a affirmé que l’on organisait le dumping social et qui a lié cette question à l’augmentation du travail détaché illégal.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai jamais dit cela !

Mme Nicole Bricq. Or c’est justement grâce à la branche « bâtiment » que nous avons pu réglementer efficacement l’accès du travail détaché, notamment par la carte professionnelle qui a été mise en œuvre au 1er janvier dernier.

Mme Nicole Bricq. On ne peut pas établir un lien, comme vous le faites, avec le texte dont on discute.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n’ai pas fait de lien !

Mme Nicole Bricq. Le rôle des branches, c’est justement d’apporter de la régulation et de lutter contre le dumping social. Elles savent le faire et le feront d’autant mieux que vous voterez l’articulation que prévoit cette disposition. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Chers collègues du groupe CRC, je ne parle pas de vous, vos positions sont cohérentes avec celles que vous avez toujours défendues. Je fais allusion au raccourci qui a été fait tout à l’heure. Il ne faut pas raconter n’importe quoi ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

M. Alain Néri. Nous ne racontons pas n’importe quoi !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. À mon tour, monsieur le président, je tiens à vous dire un mot d’amitié. Beaucoup ont rendu hommage à votre bonhomie, à votre accent, à votre attachement à Marseille.

Toutefois, si l’on veut être complet, il faut souligner que, à côté de la bonhomie, il y a certainement une âpreté au combat, qui vous a permis de tenir cinquante ans à Marseille, comme élu et comme maire. Ce qui m’a surpris, c’est ce mélange : il est très rare de rester courtois et respectueux et de défendre de façon aussi dure son parti et ses opinions.

M. Jean Desessard. Et c’est un Parisien qui le dit ! (Sourires.)

M. David Assouline. Il doit en rester quelques traces à Marseille.

J’en viens à l'article 1er. D’aucuns considèrent que certains seraient dans un autre siècle. Mes chers collègues, je vous invite à relire les débats qui se sont tenus dans cet hémicycle, depuis deux siècles, à chaque fois que l’on a touché à ces questions : la droite et le patronat soutenaient exactement les mêmes arguments.

M. Jean Desessard. Déjà au XVe siècle ! (Sourires.)

M. Bruno Retailleau. Et même avant ! (Nouveaux sourires.)

M. David Assouline. Il en est ainsi depuis que le Parlement existe : « Il faut faire confiance au patron. Il veut le bien-être de tout le monde et, s’il réussit à faire prospérer son entreprise, cela profitera aux salariés. Le patron est d’ailleurs tellement gentil qu’il pourra augmenter les salaires, voire construire à ses salariés une petite maison à côté de l’entreprise. En revanche, si l’entreprise sombre, des milliers de salariés seront sur le carreau. Il faut donc le laisser faire tranquillement ce qu’il veut. »

Cela fait deux siècles que de tels propos sont rabâchés ! Et cela ne fonctionne pas. Depuis trente ans que des lois visant à plus de flexibilité sont votées, avez-vous vu l’emploi et le bien-être des travailleurs augmenter ?

Soyons fiers ! C’est parce que la France a ce code du travail, ce rapport de force entre salariés et patronat que l’on n’y dénombre pas 20 % de travailleurs pauvres comme en Allemagne. Il y a la question du chômage, certes, mais il y a aussi celle de la dignité au travail. La pauvreté et la précarité sont des invariants, des cancers qui minent le lien social aujourd’hui.

La priorité devrait être de rechercher toutes les zones d’ombre du code du travail et de renforcer les protections pour les plus précaires, notamment pour le nouveau salariat. Or on fait l’inverse ! On ajoute de la fragilité là où elle est déjà présente.

Indépendamment du fait que l’on règle mieux cette articulation entre accord de branche et accord d’entreprise que dans la loi El Khomri,…

Mme Nicole Bricq. Ce n’était pas réglé !

M. David Assouline. … l'article 1er contient bien d’autres dispositions. Nous y reviendrons après le vote de ces amendements de suppression.

Selon vous, madame la ministre, les syndicats de salariés seraient d’accord avec ce qui est proposé. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Pourtant, seul le patronat a demandé ce qui se trouve dans ce projet de loi ! Je n’ai pas entendu une organisation syndicale pendant la campagne électorale réclamer un tel texte ou plus de flexibilité. Bien sûr, maintenant, les syndicats négocient ; ils tentent d’obtenir que les curseurs soient placés d’une manière qui soit plus favorable. Toutefois, ce texte répond à une demande de M. Gattaz, lequel est content.

Pour notre part, nous sommes plutôt du côté du plus grand nombre et des travailleurs, comme nous l’avons toujours été au parti socialiste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes avant la mise aux voix des amendements de suppression.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié quater, 54, 156 et 182 rectifié ter.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains et du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 336
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l’adoption 36
Contre 299

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Alain Néri. Il a eu tort !

M. Georges Labazée. Surtout après un tel débat !

Rappel au règlement

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 1er (début)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour un rappel au règlement.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, chaque fois que vous avez présidé, en particulier lors des séances de questions orales du mardi matin, vous avez fait montre d’une grande mansuétude à l’égard des orateurs qui se succédaient à la tribune ou au micro. J’avoue en avoir bénéficié quelquefois et je vous en remercie.

Mme Annie David. Vous le dites quand cela vous arrange !

Mme Nicole Bricq. Je ne fais pas de procès à ceux qui ne respectent pas aujourd’hui le temps de parole qui leur est imparti, mais j’espère qu’ils seront présents dans la nuit de jeudi et manifesteront alors le même engouement pour ce texte. Je crains que ce ne soit pas le cas de tous… (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche.)

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

Cela me fait penser à l’ancienne présidente du groupe CRC, Mme Hélène Luc, qui ne respectait jamais son temps de parole ! (Sourires.)

Mme Annie David. C’est une tradition chez nous ! (Nouveaux sourires.)

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 1er (suite)

Article 1er (suite)

M. le président. Toujours sur l’article 1er, je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 162 rectifié, présenté par M. Desessard et Mmes Benbassa et Bouchoux, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 4

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Jean Desessard. Mon cher collègue, dissipez vos alarmes et annoncez-nous un destin plein de charmes ! (Exclamations amusées. – Applaudissements.)

M. Jean Desessard. La messe est dite, et il ne me reste plus grand-chose à ajouter ! Quelques mots cependant… (Sourires.)

Monsieur le rapporteur, vous avez raison : il vaut mieux faire les réformes en début de mandat qu’à la fin de celui-ci, surtout quand elles vont contre son électorat. Je vous reconnais là un esprit d’analyse que les socialistes partagent certainement depuis l’élection présidentielle et les élections législatives…

Pour autant, pourquoi une telle précipitation ? Ce texte aurait pu être présenté dans l’année ; or le Gouvernement demande à légiférer par ordonnances et pendant les vacances. Il nous fait même travailler alors que M. Gaudin préside nos travaux pour la dernière fois !

Pourquoi ne pas avoir laissé la négociation avec les partenaires sociaux s’achever, en dresser le bilan et le présenter devant le Parlement ? Cela demandait six mois. On a du mal à comprendre cette précipitation, sauf si vous pensez que le code du travail est l’élément bloquant de l’économie et qu’il faut complètement le débloquer pour retrouver une économie compétitive.

C’est là que nous avons d’importantes divergences. Certains pensent qu’une coopération internationale est nécessaire – les communistes parleront de « solidarité internationale », pour notre part, nous évoquerons une « coopération écologiste internationale » –, c'est-à-dire que des normes doivent être établies à l’échelon européen ou mondial. Pour votre part, madame la ministre, vous considérez que les normes et la régulation du travail doivent se décider non plus au niveau de l’État ou même des branches, mais au sein de l’entreprise !

Cela signifie qu’il appartient aux salariés, au sein des entreprises, de trouver la meilleure solution pour s’adapter au système compétitif international. Cela peut paraître intéressant au premier abord, mais nous avons démontré, lors des débats sur la loi El Khomri, que le rapport de forces était aujourd'hui disproportionné. Il est en faveur des employeurs. Les salariés n’auront pas le choix : pour permettre à l’entreprise de conserver des parts de marché et d’exporter, ils devront adapter leurs horaires et leurs conditions de travail.

Pour notre part, nous nous inscrivons dans une logique de coopération internationale. Nous pensons que les normes doivent être édictées à l’échelon européen. Nous ne sommes pas favorables à une compétitivité à l’échelle des travailleurs et des entreprises.

Nous avons deux logiques différentes. Nous continuerons de défendre la nôtre au cours de ce débat, même tard dans la nuit.

M. le président. L'amendement n° 198, présenté par MM. Vanlerenberghe et Cadic, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

salariés de droit privé

par les mots :

employeurs et aux salariés mentionnés à l’article L. 2211-1 du code du travail

La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. À mon tour, monsieur le président, je tiens à vous faire part du regret qui est le mien de vous voir partir, même si ce pas très loin, heureusement. Votre accent, votre voix si chaleureuse, si humaine, vont nous manquer. Marseille a bien de la chance de vous avoir.

Que la Bonne Mère vous garde, surtout !

M. le président. Merci, mon cher collègue.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. L’amendement n° 198 est rédactionnel. Il vise, à l’alinéa 2, à remplacer les mots : « salariés de droit privé » par les mots : « employeurs et aux salariés mentionnés à l’article L.2211-1 du code du travail ».

M. le président. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

professionnelle,

insérer les mots :

dans le respect des règles de concurrence loyale et non faussée,

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement vise à limiter les effets prévisibles du dumping économique et social entre les entreprises d’un même secteur d’activité.

En effet, de nombreuses TPE et PME travaillent en tant que sous-traitantes. Par conséquent, elles pourraient être tentées pour obtenir des marchés de diminuer leurs prix et, pour cela, de minimiser le coût du travail. Le risque est donc grand que les négociations ne se fassent au détriment des travailleurs, car, à partir d’une seule entreprise, le phénomène gagnerait inévitablement l’ensemble de la branche.

L’objet de cet amendement est d’éviter ce genre de dérives.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 68 rectifié est présenté par M. Antiste et Mmes Jourda et Monier.

L'amendement n° 89 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 68 rectifié.

M. Maurice Antiste. L’alinéa 3 tend à renforcer considérablement la place des accords d’entreprise dans le droit social.

En effet, il vise à définir de manière limitative les domaines dans lesquels les dérogations par des accords d’entreprise ne seront pas permises. Ainsi, tout domaine n’entrant pas dans cette définition pourra faire l’objet d’un accord ou d’une convention d’entreprise primant sur l’accord interprofessionnel.

Un droit des salariés « à la carte » risque de voir le jour, alimentant le moins-disant social, en contradiction avec les principes qui ont forgé notre code du travail.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons la suppression de cet alinéa.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l’amendement n° 89.

Mme Annie David. Cet amendement vise également à supprimer l’alinéa 3, qui prolonge les mesures de la loi portée par Myriam El Khomri il y a à peine un an.

Sous prétexte de simplifier le code du travail et de renforcer les droits des travailleurs, cet alinéa revient en réalité sur le principe de faveur. Or il est déjà possible de négocier des accords au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, à condition qu’ils soient plus favorables aux salariés. Votre but, madame la ministre, est donc non pas de renforcer la négociation, laquelle est déjà possible, ou de la simplifier, mais bien de revenir sur les droits des salariés.

Par ailleurs, une telle mesure ne ferait finalement que complexifier le droit du travail. En effet, c’est un peu comme si l’on envisageait un code de la route par type de routes : un code pour les routes nationales, un pour les routes départementales, un autre pour les autoroutes. Aussi, c’est la loi du plus fort qui s’applique ; en droit du travail, vous le savez, le salarié est lié à son employeur par un lien de subordination.

Mis à part quelques domaines qui demeurent du ressort de l’ordre public, voire de la branche, tout pourra se faire à la carte dans les entreprises. Et dans le cas où la branche continuerait à prédominer sur l’entreprise, cette dernière pourra encore déroger à la loi. Vous allez même jusqu’à considérer que les conditions de sécurité pourraient dépendre de l’entreprise, alors que, chaque année, plus de 600 000 accidents du travail sont déclarés, dont certains sont mortels. Madame la ministre, votre course au dumping social est inquiétante !

Vous proposez en fait de priver les salariés de leurs droits, au risque de leur vie, pour libérer les entreprises de toute contrainte, comme je l’ai entendu dire en commission des affaires sociales. Pour ma part, je ne pense pas que de telles dispositions permettront de créer les emplois que réclament fortement nos concitoyens, en tout cas les millions de chômeurs que compte notre pays.

M. le président. L'amendement n° 90, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après la première occurrence du mot :

interprofessionnels,

insérer les mots :

parmi lesquels les classifications, les salaires minima, les garanties collectives complémentaires, la mutualisation des fonds de formation professionnelle, la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. L’alinéa 3, qui constitue l’un des éléments majeurs de votre projet de loi, madame la ministre, est selon nous dangereux.

En légiférant par ordonnances, vous attendez de nous que nous vous signions un chèque en blanc et que nous vous permettions de décider des domaines dans lesquels les accords d’entreprise pourront déroger aux accords de branche ou à la loi.

C’est d’autant plus grave que l’inversion de la hiérarchie des normes qui est mise en place et la suppression du principe de faveur produiront des effets négatifs. Jusqu’à présent, sauf exception dûment prévue, les salariés, par la négociation collective à l’échelle de leur entreprise, ne pouvaient obtenir que des améliorations, des plus-values par rapport à la loi. Tel ne sera plus le cas.

Aussi nous paraît-il utile, par souci de transparence et d’information de nos concitoyens, que soit très explicitement mentionnés dans l’article 1er les domaines dans lesquels il sera impossible de déroger aux accords de branche par un accord d’entreprise ou par une convention.

Certes, les intentions du Gouvernement sont précisées, notamment dans le rapport de l’Assemblée nationale, mais la rédaction actuelle de l’alinéa 3 est encore beaucoup trop floue et laconique. Cette liste nous pose plusieurs problèmes.

La gestion et la qualité de l’emploi, soit la durée minimale du temps partiel et les compléments d’heures, les contrats courts, les CDD, les contrats de travail temporaire et les conditions de recours au CDI de chantier relevaient jusqu’à présent de la loi. Vous souhaitez qu’ils relèvent des branches, avec toutes les inégalités que cela créerait pour les salariés d’une entreprise à l’autre.

Par ailleurs, des domaines essentiels sont manquants dans la liste des domaines sanctuarisés par les accords de branche. Cela signifie que, dans ces domaines, ce sont les accords d’entreprises qui primeront. C’est la raison pour laquelle notre amendement vise à ajouter dans cette liste un domaine aussi important que la prévention de la pénibilité.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que la nouvelle articulation des normes soit dans tous les cas la plus explicite possible et qu’elle protège au maximum les salariés.

M. le président. L'amendement n° 2 rectifié ter, présenté par Mme Lienemann, MM. Godefroy, Tourenne et Duran, Mme Jourda, M. Labazée, Mme Yonnet, M. Mazuir, Mme Monier et M. Courteau, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après les mots :

ou accord d’entreprise, ou le cas échéant d’établissement,

insérer les mots :

tels que la prévention des risques et les règles et conditions d’hygiène et de sécurité,

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je serai brève, car nos collègues communistes ont déjà pour une large part expliqué notre ligne stratégique.

Mon amendement est très modeste. Il vise simplement à prévoir que la prévention des risques et les règles et conditions d’hygiène et de sécurité relèvent impérativement de la branche. Il y va tout de même de la vie des gens, de leur sécurité ; c’est essentiel.

Ces domaines, j’y insiste, doivent relever a minima de la branche.

M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 69 rectifié est présenté par M. Antiste et Mme Jourda.

L'amendement n° 91 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 4

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 69 rectifié.

M. Maurice Antiste. L’alinéa 4 prévoit que les petites et moyennes entreprises pourront être exonérées de certaines règles prévues par les accords de branche.

Une telle disposition fragilisera les droits des salariés de ces entreprises alors même qu’ils bénéficient bien souvent déjà de protections moins importantes que ceux des grands groupes : absence de délégués du personnel, élaboration d’un règlement intérieur …

Pour ces raisons, nous proposons la suppression de cet alinéa.

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour présenter l'amendement n° 91.

M. Pierre Laurent. Cet amendement, identique à celui de notre collègue Maurice Antiste, vise à supprimer le quatrième alinéa de l’article 1er. S’il était conservé, cet alinéa fragiliserait grandement les petites entreprises, car il leur ouvrirait la possibilité de déroger aux accords de branche.

Le risque est qu’un nombre croissant d’entreprises s’engagent sur la voie du dumping social. La majorité sénatoriale s’est d’ailleurs engouffrée dans la brèche, en exigeant que l’on se penche tout particulièrement sur le cas des petites entreprises dépourvues de représentants du personnel.

Nous nous opposons à cet alinéa particulièrement révélateur de la philosophie générale du texte, lequel ne définit pas d’ailleurs ce qu’est une « petite entreprise ». À cet égard, le projet de loi d’habilitation qui nous est soumis est flou. S’agit-il d’entreprises de 5, de 10, de 30 ou de 50 salariés ? On le voit bien, la logique est de créer un droit du travail à la carte, comme cela a déjà été dit.

Les salariés ne sont pas les seuls à s’opposer à la généralisation de ces dérogations. Beaucoup de petits patrons et d’artisans s’inquiètent eux aussi de cette logique, car les accords de branche sont protecteurs pour nombre de PME, elles aussi menacées par la logique du dumping social.

En vérité, on nous fait une présentation en trompe-l’œil. Ainsi Mme la ministre a déclaré tout à l’heure qu’il y aurait trois blocs. Si elle a indiqué pour deux d’entre eux les domaines qui seraient concernés, elle ne l’a pas fait pour le troisième, celui qui relèvera des accords d’entreprise. Et pour cause ! Si elle donnait une liste, elle serait de loin la plus longue de toutes !

En vérité, tout ce qui ne sera pas préservé par les accords de branche sera ouvert aux accords d’entreprise. C’est cette logique qui prévaudra. Elle entraînera plus de dumping social et la dégradation de la protection des salariés.

Mme Éliane Assassi. Très bien !

(Mme Isabelle Debré remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 162 rectifié, présenté par Jean Desessard, car il vise à revenir sur ses travaux, en particulier sur l’alinéa 4.

L’amendement n° 198 de Jean-Marie Vanlerenberghe et d’Olivier Cadic n’est pas uniquement de nature rédactionnelle. Il vise tout d’abord à mentionner les employeurs, en plus des salariés. Il tend ensuite à faire référence à l’article L. 2211-1 du code du travail, qui prévoit que les dispositions relatives à la négociation collective s’appliquent aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés, aux établissements publics à caractère industriel et commercial ; aux établissements publics à caractère administratif lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé.

Je ne suis pas opposé à une telle précision juridique. La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

Je souscris évidemment à la philosophie de l’amendement n° 23 rectifié, mais je me pose des questions sur le caractère opérationnel d’une telle précision.

Il revient à la loi de fixer l’ordre public et le cadre juridique dans lequel les partenaires sociaux de la branche pourront négocier. À quel moment une stipulation d’un accord d’entreprise se transforme-t-elle en distorsion de concurrence ? Qui sera chargé de vérifier que le principe de concurrence est respecté ? Je pense qu’une telle précision juridique serait un nid à contentieux et qu’elle pourrait bloquer le processus de promotion des accords d’entreprise.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Nous sommes évidemment opposés à la suppression de l’alinéa 4, que tendent à prévoir les amendements identiques nos 68 rectifié et 89, présentés respectivement par M. Antiste et par M. Watrin. Les règles actuelles régissant les relations entre les accords de branche et les accords d’entreprise sont complexes et méconnues des employeurs comme des salariés. Il faut achever la dynamique portée par la loi Travail, qui vise à donner plus de place aux accords d’entreprise dans le code du travail.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

La commission n’est pas favorable non plus à l’amendement n° 90, car le bilan de la concertation avec les partenaires sociaux, publié le 28 juin dernier, pourrait aboutir à ce que la question de la pénibilité fasse partie non plus des thèmes relevant du premier bloc, celui du monopole légal des accords de branche, mais du deuxième bloc, celui des clauses verrouillées sur décision de la branche.

En outre, la rédaction proposée alourdirait le texte, alors même qu’au moins cinq des six thèmes actuels devraient être repris par l’ordonnance.

La commission a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 2 rectifié ter présenté par Marie-Noëlle Lienemann.

Enfin, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques nos 69 rectifié et 91. Il est nécessaire que les accords de branche tiennent compte des spécificités des petites entreprises.

Contrairement à ce qu’affirment les auteurs de ces amendements, il s’agit non pas d’interdire aux partenaires sociaux de la branche de traiter le cas des petites entreprises, mais de les obliger à prévoir les règles qui ne leur sont pas applicables et à adapter d’autres stipulations pour tenir compte de leurs spécificités.

Selon la commission, il n’y a pas de risque de dumping social, car c’est justement les partenaires sociaux de la branche qui devront fixer les règles du jeu pour les petites entreprises.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement émet, comme la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 162 rectifié.

Il est en revanche favorable à l’amendement n° 198, sur lequel la commission s’en est remise à la sagesse du Sénat. La précision rédactionnelle que tend à introduire cet amendement nous paraît utile, car elle évite toute ambiguïté en confirmant que la réforme a bien évidemment vocation à s’appliquer à l’ensemble des salariés du secteur privé, quel que soit le statut de leur employeur. Ce n’est pas un changement par rapport au droit actuel.

Enfin, à l’instar de M. le rapporteur, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 23 rectifié, sur les amendements identiques nos 68 rectifié et 89, sur les amendements nos 90 et 2 rectifié ter, ainsi que sur les amendements identiques nos 69 rectifié et 91

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l'amendement n° 162 rectifié.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mon explication de vote vaudra en fait pour l’ensemble de ces amendements en discussion commune. J’indique que je voterai notamment ceux de mes collègues du groupe CRC et de notre collègue Maurice Antiste.

On nous oppose souvent que nous ne serions pas assez attentifs aux PME et aux TPE. La réalité, c’est qu’un très grand nombre de ces entreprises sont des sous-traitantes et sont, de ce fait, soumises aux pressions de leurs donneurs d’ordres. Ainsi, on l’a vu, il est arrivé que des donneurs d’ordres exigent de leurs sous-traitants qu’ils diminuent leurs prix à proportion de ce qui leur était versé au titre du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Ces sous-traitants ont eu beaucoup de mal à résister à ces pressions, craignant de perdre leurs contrats.

Si l’on ouvre les vannes pour les PME, si les règles qui leur sont applicables peuvent différer de celles de la branche, ces entreprises risquent de subir les pressions de leurs donneurs d’ordres, à qui bénéficiera ce recul social.

Nous ne sommes pas contre les patrons de PME, nous voulons simplement que le droit du travail soit équitable et égal pour toutes les entreprises, qu’elles soient grandes ou petites.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 162 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 198.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 68 rectifié et 89.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 90.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié ter.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 69 rectifié et 91.

M. Dominique Watrin. Je ne voudrais pas laisser penser que nous ne serions pas aux côtés des TPE et des PME, qui connaissent effectivement beaucoup de difficultés ; ce sujet est important.

Ce qui pose problème ici, c’est qu’aucun critère de dérogation n’est énoncé. L’exécutif aura donc toute latitude et pourra rendre optionnelle l’application des accords de branche. Mon collègue a montré que cela pouvait conduire au dumping social. Comme il l’a dit, il n’est pas donné dans le texte de définition des « petites entreprises », une expression qui est particulièrement floue.

Nous sommes, nous, aux côtés des petites et moyennes entreprises et nous pensons qu’il y a d’autres manières de les aider. Cela a été rappelé, ce sont surtout les grandes entreprises qui ont bénéficié de la manne du CICE. Même si nous ne sommes pas convaincus par ce dispositif, il nous semble qu’il serait beaucoup plus utile s’il était recentré sur les petites entreprises.

Par ailleurs, vous le savez, l’impôt sur les sociétés pèse trois fois moins sur les entreprises du CAC 40 que sur les moyennes entreprises. C’est inacceptable ! Voilà un domaine dans lequel le Gouvernement devrait intervenir.

Enfin, je rappelle que, dans son rapport de mars 2017, le Conseil économique, social et environnemental a proposé de véritables pistes pour aider les petites et moyennes entreprises. Il propose ainsi d’orienter le crédit bancaire vers ces entreprises, sur le fondement de critères précis, favorables à l’emploi, de faciliter la transformation numérique et l’investissement immatériel par des prêts à moyen terme, d’améliorer les relations entre les banques, les très petites entreprises et les PME, ces relations étant un problème récurrent, de développer les relations interentreprises, de faire du développement des TPE et PME les priorités des conventions de revitalisation.

Il vaudrait mieux agir concrètement dans ce sens, plutôt que de réduire les protections des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Je voterai bien évidemment contre ces amendements.

Je suis un peu étonné d’entendre ces personnes…

Mme Annie David. Ces « personnes » ?

Mme Nicole Bricq. Ces collègues !

M. Olivier Cadic. … dire qu’elles veulent défendre les TPE et les PME.

Ces entreprises savent bien que le droit actuel est trop contraignant pour elles. Leurs clients traversent sans problème les frontières pour contracter avec des entreprises plus flexibles.

Offrir une meilleure protection aux TPE-PME, c’est précisément assouplir le droit du travail et prendre en compte leurs besoins au niveau de l’entreprise.

Sincèrement, la logique que vous défendez ne correspond pas aux attentes des TPE-PME. Il est important de le rappeler ici. Pour ma part, je ne vous connais pas d’expérience dans le management des TPE-PME. (Protestations sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Annie David. Qu’est-ce que vous en savez ?

M. Olivier Cadic. Moi, cela fait trente-cinq ans que je crée et que je dirige des entreprises ! (Mêmes mouvements.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous avez surtout l’expérience de la défiscalisation !

Mme Annie David. Retournez donc en Grande-Bretagne gagner de l’argent sur le dos des salariés !

M. Olivier Cadic. Ce que demandent les entreprises en France, madame la ministre, c’est qu’on leur fasse confiance. Vous avez raison d’aller dans ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Il me semble qu’il y a dans le projet de loi d’habilitation une sorte d’incohérence. Mme la ministre nous a expliqué qu’il existe trois catégories d’accords de branche : ceux auxquels il n’est pas possible de déroger et qui s’appliquent à tous sans exception ; ceux dans lesquels la branche décide elle-même que des aménagements sont possibles, en fonction d’un certain nombre d’intérêts ; enfin, les accords d’entreprise.

Par conséquent, on a considéré que l’accord de branche était protecteur. La branche peut décider – c’est à elle de le faire, non à la loi – si des petites entreprises peuvent ou non déroger à certaines règles. Cela n’a pas sa place ici.

Je voterai donc ces amendements.

M. Martial Bourquin. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je pense que certaines « personnes », qui siègent ici en tant que parlementaires, devraient réfléchir un peu avant de prendre la parole. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cher collègue, qu’est-ce qui vous permet de dire que nous n’avons aucune expérience dans le management des entreprises ? Parmi les communistes, il y a aussi des chefs d’entreprise, mais ils ne gèrent pas leur entreprise comme vous, monsieur Cadic. Nous n’implantons pas nos entreprises en Grande-Bretagne pour échapper à l’impôt, aux lois françaises, et pour gagner encore un peu plus d’argent sur le dos des salariés ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

Nous, communistes français, en tant qu’entrepreneurs, nous maintenons nos entreprises et l’emploi industriel sur notre territoire, car il nous semble important que chacun puisse vivre dignement de son travail, monsieur Cadic. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, pour explication de vote.

M. Maurice Antiste. Après l’intervention de mon collègue Olivier Cadic, je me sens encore plus proche des positions de M. Laurent. Je signe et contresigne ses propos ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Jean Desessard. C’est la lutte des classes dans l’hémicycle ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. Je pense, mes chers collègues, qu’il est aberrant de prétendre que le code du travail est le principal problème des PME-TPE. Comme plusieurs rapports sénatoriaux l’ont montré, ce sont les délais de paiement, surtout ceux des grands donneurs d’ordres, qui leur posent problème.

M. Jean Desessard. Il faut faire des ordonnances sur ce thème !

M. Martial Bourquin. Ce mal récurrent, contre lequel pas grand-chose n’a été fait, met les entreprises en difficulté.

Une suppression d’entreprise sur quatre est due aux délais de paiement qui sont trop longs. Jamais le code du travail n’est incriminé sur ces questions.

Ne refaisons donc pas l’histoire pour justifier le bien-fondé de ce projet de loi d’habilitation ! Les PME et les TPE ont besoin que les grands donneurs d’ordre remplissent leur carnet de commandes, mais surtout qu’ils respectent des délais de paiement convenables. J’entends aujourd'hui dire tout et n’importe quoi dans ce débat. Il s’agit en plus de statistiques officielles de Bercy !

Défendons plutôt nos PME et TPE. Cela va encore quand elles sont des sous-traitants de rang un, car il s’agit alors de grandes entreprises. Toutefois, lorsqu’elles sont des sous-traitantes de rang deux, de rang trois ou de rang quatre, elles se trouvent confrontées à des difficultés incroyables ! Les TPE sont favorables aux accords de branche, parce qu’elles ne peuvent pas conclure d’accords d’entreprises. Souvent, la personne à la tête d’une TPE est au travail comme ses salariés.

Bref, sur toutes ces questions, de grâce, ne refaisons pas l’histoire et gardons-nous de donner une image totalement faussée de l’entreprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, permettez-moi en préalable de vous présenter toutes mes amitiés. C’est toujours un plaisir d’entendre votre accent des Hauts-de-Seine dans cet hémicycle ! (Rires.)

M. Jean Desessard. Madame la ministre, répondez à la question de M. Bourquin : pourquoi ne prenez-vous pas d’ordonnances en matière de délais de paiement ?

M. Jean Desessard. Il s’agit pourtant du premier problème répertorié !

Si vous aviez agi de la sorte, nous aurions tous été d’accord avec vous et nous aurions félicité le gouvernement de M. Édouard Philippe.

Madame la ministre, vous qui êtes au fait des difficultés des entreprises, pourquoi ne légiférez-vous pas par ordonnance sur le problème numéro un de celles-ci : les délais de paiement ? C’était facile, et vous auriez reçu une ovation dans cet hémicycle, voire à l’Assemblée nationale. Pourquoi le problème numéro un n’est-il pas traité ?

Ce n’est pas faire preuve de pragmatisme que d’aborder en premier lieu les difficultés idéologiques, à savoir le code du travail. Le pragmatisme aurait été de s’attaquer directement aux problèmes des entreprises.

Or cela a été souligné à de nombreuses reprises, car c’est un fait avéré : le problème numéro un, ce sont les délais de paiement. Pourquoi n’avez-vous pas agi par ordonnance pour régler cette difficulté ? Nous aurions eu tout le temps ensuite de discuter durant l’année du problème numéro trois pour envisager d’éventuels aménagements du code du travail.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Lamure. Je suis très étonnée d’entendre dire ici que le problème numéro un détecté dans les entreprises est la question des délais de paiement. Je m’inscris en faux contre une telle affirmation !

Deux difficultés sont souvent évoquées à peu près à égalité devant la délégation sénatoriale aux entreprises, dont Martial Bourquin est un membre assidu : la réforme du code du travail et la lourdeur du fardeau administratif.

Mme Annie David. Ce n’est pas vrai !

Mme Élisabeth Lamure. Voilà les deux motifs de plaintes qui reviennent le plus souvent lorsque nous allons à la rencontre des entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République en marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Je ferai une proposition constructive. Dominique Watrin a fait allusion à un rapport extrêmement passionnant qui vient d’être adopté par le Conseil économique, social et environnemental sur le financement des PME ; il a dressé la liste d’une partie des mesures que ce document contient.

Le Sénat devrait prendre le temps d’étudier de près ce rapport et d’auditionner ceux qui l’ont conduit. Ce travail, adopté à une très large majorité par le Conseil économique, social et environnemental, nous invite à creuser des questions comme celles qui ont été soulevées par Martial Bourquin, et beaucoup d’autres également, qui figurent au premier rang des préoccupations des PME.

Mes chers collègues, lisez ce rapport et vous y trouvez des informations très intéressantes, que vous semblez ignorer ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 69 rectifié et 91.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L'amendement n° 21 rectifié bis, présenté par M. Mouiller, Mmes de Rose et Mélot, MM. Morisset, Commeinhes, César, Lefèvre, Bonhomme, D. Laurent, Savary et Chaize, Mmes Lopez et Estrosi Sassone, MM. Pointereau, Longuet et de Legge, Mmes Morhet-Richaud, Billon et Imbert, MM. Rapin, Kern, Pellevat et Perrin, Mmes Debré, Deromedi et Di Folco et M. Gremillet, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) Permettant à l'employeur, dans les entreprises employant moins de onze salariés et dans celles employant moins de cinquante salariés dépourvues de représentant du personnel, d'appliquer un accord type ou de prendre une décision unilatérale dans les domaines et les conditions prévues dans l'accord de branche ;

La parole est à M. Philippe Mouiller.

M. Philippe Mouiller. Cet amendement vise à sauvegarder la nécessaire équité entre les entreprises qui sont capables de signer des accords d'entreprise et celles qui sont dans l'incapacité de le faire.

À partir du moment où le Gouvernement accorde une plus grande latitude aux accords d'entreprise, cet amendement vise à prévoir que dans les entreprises employant moins de onze salariés et dans celles employant moins de cinquante salariés dépourvues de représentant du personnel, le chef d'entreprise puisse déroger à l'accord de branche. Il s'agit de prévoir la souplesse suffisante dans l'entreprise en fonction de son activité et de sa situation.

Ce faisant, cet amendement tend à refléter le dialogue social informel qui se tient quotidiennement dans les plus petites entreprises, dans lesquelles le chef d'entreprise est de fait proche de ses salariés, car ils partagent un même cadre de travail et un même vécu du métier.

Les artisans, notamment, et les TPE attendent une telle possibilité de dérogation avec impatience.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. L’alinéa 4 de l’article 1er vise, à terme, à obliger les accords de branche à prévoir quelles sont les stipulations qui ne s’appliquent pas aux petites entreprises et à en adapter d’autres pour tenir compte des spécificités de ces entreprises, qui constituent, nous le savons tous, l’immense majorité de notre tissu économique.

Nous avons déjà mis l’accent en commission sur la nécessité pour les accords de tenir compte des petites entreprises sans délégué du personnel, DP, ni comité d’entreprise, CE.

L’amendement vise à aller plus loin, en encourageant l’application directe d’accords types prévus par accord de branche, dans les entreprises employant moins de onze salariés et dans celles qui emploient moins de cinquante salariés, mais qui sont dépourvues d’institutions représentatives du personnel.

Pour mémoire, l’article 63 de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, ou loi Travail, a autorisé l’employeur, à l’article L. 2232-10-1 du code du travail, à appliquer un accord type prévu dans un accord de branche, au moyen d’un document unilatéral indiquant les choix qu’il a retenus après en avoir informé les délégués du personnel, s’il en existe dans l’entreprise, ainsi que les salariés, par tous moyens.

Cet amendement est donc plus précis et plus ambitieux que le projet de loi actuel.

À titre personnel, je comprends parfaitement les motivations de notre collègue Philippe Mouiller et je rappelle que le Sénat avait déjà, l’an dernier, lors de l’examen de la loi Travail, souhaité conditionner l’extension d’un accord de branche à l’existence d’accords types au profit des petites entreprises.

En tout état de cause, je souhaite savoir où en sont les négociations avec les partenaires sociaux sur ce point. La commission se rangera à l’avis du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, je partage votre souci d’équité entre les entreprises, notamment entre celles qui peuvent négocier un accord, parce qu’elles ont un délégué syndical, et les autres, en particulier les plus petites.

Je pense évidemment aux entreprises de moins de onze salariés, mais aussi à beaucoup d’entreprises de moins de cinquante salariés, puisque seuls 4 % d’entre elles ont actuellement un délégué syndical. Quant aux entreprises de 150 salariés, un peu moins de la moitié ont un délégué syndical. Il s’agit donc d’une question clé.

Le Gouvernement souhaite renforcer le dialogue social, mais comment faire concrètement là où, malgré les efforts, il n’y a ni délégué syndical ni salarié mandaté ?

Dans le cadre des ordonnances, nous prendrons plusieurs mesures pour encourager deux évolutions.

Tout d’abord, nous voulons encourager la syndicalisation dans les entreprises puisque c’est le modèle vers lequel nous désirons tendre.

Ensuite, nous voulons permettre aux entreprises dans lesquelles, malgré des mesures fortes, aucune organisation syndicale n’a pour l’instant réussi à s’implanter, de négocier des accords. Je suis d’ailleurs convaincue que prendre l’habitude de négocier dans une entreprise permettra une plus grande ouverture à la syndicalisation.

Oui, l’accord de branche peut prévoir – c’est une option – des modalités spécifiques d’accords types. Renforcer dans le cadre des ordonnances l’impératif pour les branches d’aller vers ces accords types me paraît un point très important, car selon la sociologie des entreprises et des branches, certaines d’entre elles prennent d’emblée cet aspect en compte dans leur réflexion et d’autres moins.

Dans certaines branches, par exemple, il arrive que l’on signe des accords qui ne sont pas toujours applicables. Et même s’ils sont applicables, nous aurions tout à gagner à instaurer des accords types, car ces derniers simplifient grandement la vie dans les petites entreprises.

L’accord type ne doit certes pas être pris au pied de la lettre, mais il énumère les questions qu’il convient de se poser pour pouvoir signer un accord. C’est donc une bonne piste, même s’il en existe d’autres, comme les concertations avec les partenaires sociaux l’ont montré.

Je suis tout à fait favorable à votre proposition, monsieur le sénateur, mais je ne souhaite pas à ce stade fermer les autres options que nous pourrions vouloir ouvrir avec les ordonnances.

C’est la raison pour laquelle, bien qu’étant d’accord avec les intentions qui sous-tendent votre amendement, je vous demande de bien vouloir le retirer. À défaut, je serai obligé d’émettre un avis défavorable, non sur le fond, mais parce que votre proposition introduirait une limitation.

Mme la présidente. Monsieur Mouiller, l'amendement n° 21 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Philippe Mouiller. Au regard des arguments avancés par Mme la ministre, j’en conclus que cet amendement sera bientôt satisfait. J’accepte donc de le retirer.

Mme Nicole Bricq. Très bien ! Mme la ministre est convaincante.

Mme la présidente. L'amendement n° 21 rectifié bis est retiré.

Organisation des travaux

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires sociales.

M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, nous sollicitons une suspension de séance de quarante minutes, afin d’étudier en commission les quatorze nouveaux amendements que le Gouvernement vient de déposer.

Mme la présidente. Nous allons donc interrompre nos travaux.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-neuf heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de l’article 1er.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 92 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 183 rectifié bis est présenté par MM. Assouline, Cabanel et Durain, Mmes Guillemot, Jourda et Lepage, MM. Manable, Mazuir et Montaugé, Mme Monier, M. Labazée, Mme Lienemann et MM. Tourenne, M. Bourquin, Marie et Roger.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 92.

Mme Laurence Cohen. Si l’on suit bien la logique de ce projet de loi, il s’agit de créer pour les entreprises les conditions de la souplesse, de l’adaptation aux situations nouvelles, de la réactivité aux mutations technologiques et économiques.

Il s’agit, notamment, de mettre en évidence le fait que des postes de travail puissent être amenés à disparaître et que les salariés jusqu’ici occupés à ces fonctions ne pourront plus suivre leur parcours professionnel. Et voici que l’on nous propose « d’harmoniser et de simplifier » les conditions de rupture du contrat de travail des salariés dont l’activité est en quelque sorte appelée à s’effacer devant le progrès technologique ou la modernité.

La simple lecture des articles du code du travail évoqués dans cet alinéa se passe de commentaire. Comme cela concerne des situations légèrement différentes, les procédures qui ont pu être prévues dans ce cadre le sont tout autant.

Plutôt que de jouer la mélodie du bonheur ou la cantate du progrès, on nous propose ici d’écrire la partition, en mode mineur et plutôt sinistre d’ailleurs, de la rengaine du licenciement pour motif personnel. Il n’aura échappé à personne que celui-ci s’avère moins protecteur des droits du salarié que le licenciement économique !

C’est sans doute ce que d’aucuns appellent « rendre effectifs des droits sociaux », puisqu’il s’agira probablement de les réduire. Évidemment, quelques fins esprits ne manqueront pas de nous indiquer que de telles procédures ne pourront être mises en œuvre que dans le cadre d’accords négociés, fruits d’un dialogue social sans cesse amélioré et renouvelé, mené au plus près du terrain, jusqu’à l’entreprise elle-même.

Néanmoins, le dialogue nécessite que l’ensemble des tenants et aboutissants de l’affaire soient dans l’esprit de chacune des parties. Or, comme dans les entreprises nous sommes plutôt habitués à une certaine violence des échanges, il est juste à craindre qu’en ce domaine, comme en bien d’autres, l’accord « au plus près du terrain » ne soit pas en faveur des salariés.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons de supprimer cet alinéa.

En conclusion, je remercie M. le rapporteur des réponses qu’il s’évertue à apporter à chacun de nos amendements. Il s’efforce d’étayer ses arguments pour contrer nos propositions, ce qui est appréciable dans le cadre d’un débat parlementaire démocratique. (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon, rapporteur. Je vous remercie, ma chère collègue !

M. Gérard Dériot, vice-président de la commission des affaires sociales. M. Milon en rougit ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 183 rectifié bis.

M. David Assouline. Cet amendement vise également à supprimer l’alinéa 5 de l’article 1er.

Aujourd’hui, si le salarié refuse ses nouvelles conditions de travail, il bénéficie souvent du droit à licenciement économique, assorti des obligations qui incombent à l’employeur en la matière : obligation de reclassement, droit au contrat de sécurisation professionnelle qui permet une meilleure indemnisation du chômage. Il s’agit d’une mesure de justice sociale lors d’un licenciement.

Toutefois, l’ordonnance prévoit ici de modifier le régime juridique de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat issues d’un accord collectif, notamment d’un accord d’aménagement du temps de travail, d’un accord de maintien dans l’emploi ou d’un accord pour le développement de l’emploi, connus sous le nom d’« accords de compétitivité ».

Or notre crainte est que cette simplification ne se fasse au détriment du travailleur : celui-ci pourrait alors subir un licenciement pour cause réelle et sérieuse dès lors qu’il refuse de se plier aux exigences du dirigeant d’entreprise, c'est-à-dire à une baisse de son salaire, à une augmentation du temps de travail ou autre.

C’est la question de l’équilibre du contrat qui est ainsi posée. Il faut rappeler ce que signifie l’abandon du motif économique : l’employeur pourrait se défaire de son obligation de reclassement, priver le salarié de tout contrat de sécurisation professionnelle ou de congé de reclassement et ramener son allocation chômage de 75 % de sa rémunération brute mensuelle, taux applicable en cas de licenciement pour motif économique, à 57 % seulement.

Le contrat est censé représenter un équilibre : il est négocié lors de l’embauche, avec un nombre d’heures prévues, un salaire… Bref, comme tout contrat, il offre une sécurité juridique.

Cet alinéa tend à renforcer l’imprévisibilité dont souffrirait le travailleur, sans lui offrir aucune réparation. Le salarié subirait donc le changement de son contrat et ne pourrait pas faire face aux nouvelles règles décidées.

C’est en cela que cet alinéa est scandaleux. Il ne tend pas vers un équilibre social : il vise à remettre en cause un outil de sécurité juridique, le contrat, sans aucune mesure de compensation pour le salarié.

Mme la présidente. L’amendement n° 242, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

c) Harmonisant et simplifiant le cas échéant les conditions de recours et le contenu des accords mentionnés aux articles L. 1222-8, L. 2242-19, L. 2254-2, L. 3121-43 et L. 5125-1 du code du travail, le régime juridique de la rupture du contrat de travail en cas de refus par le salarié des modifications de son contrat résultant d’un accord collectif, notamment les accords précités, ainsi que les modalités d’accompagnement du salarié ;

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous partageons au moins un constat avec la commission, qui a adopté lors de ses travaux une nouvelle rédaction de l’alinéa 5 : les accords de maintien de l’emploi, ou AME, ne sont pas un franc succès. À peine une dizaine d’accords signés depuis 2013 : nous ne pouvons pas nous en satisfaire.

Le Gouvernement, néanmoins, sollicite du Parlement l’habilitation de légiférer par ordonnances pour réformer les AME, en harmonisant les cinq types d’accords possibles, dont tous ont un impact sur le travail et des modalités de mise en œuvre différentes : autant dire que les salariés comme les entreprises sont un peu perdus.

Notre objectif est donc d’améliorer la lisibilité des modalités de recours au contrat. Néanmoins, avec cette nouvelle rédaction, qui a supprimé la référence à ces accords, la commission nous empêche de faire œuvre utile en procédant à cette harmonisation.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de réintroduire cet alinéa dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 24 rectifié est présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 189 est présenté par Mme Laborde, M. Arnell, Mmes Jouve et Costes, MM. Bertrand, Guérini, Castelli et Collombat, Mme Malherbe et M. Collin.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Remplacer le mot et la référence :

et L. 3121-43

par les références :

, L. 3121-43 et L. 5125-1

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 24 rectifié.

M. Jean-Louis Tourenne. La suppression des accords de maintien dans l’emploi ne se justifie pas. L’objectif est différent, les accords de préservation et de développement de l’emploi, ou APDE, étant déconnectés des difficultés de l’entreprise et liés à de simples ajustements de l’organisation de l’entreprise à des variations d’activités, d’investissement ou de changement de conjoncture.

De plus, les clauses de l’accord de maintien de l’emploi ne se substituent pas de plein droit aux clauses contraires des contrats de travail sans l’accord des salariés. Les licenciements éventuels reposent alors sur un motif économique.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 189.

M. Guillaume Arnell. La commission des affaires sociales a supprimé la référence aux AME, au double motif qu’ils ont été très peu utilisés et que la loi Travail a mis en place, en parallèle, les accords de préservation et de développement de l’emploi, les APDE.

Nous savons que la commission souhaite la disparition de ces accords pour des raisons de simplification juridique. Néanmoins, contrairement à ce qu’avance M. le rapporteur, l’objectif des AME est, nous semble-t-il, différent de celui des APDE. Les premiers ne peuvent être signés que si l’entreprise est confrontée à de graves difficultés économiques conjoncturelles, quand les seconds en sont totalement déconnectés, un objectif de croissance ou de développement de l’emploi étant suffisant pour y avoir recours.

Ainsi, nous souhaitons que la référence aux AME soit réintroduite dans l’article 1er.

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Lienemann, MM. Tourenne et Duran, Mme Jourda, M. Labazée, Mme Yonnet et MM. Mazuir, Montaugé et Courteau, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Après le mot :

collectif

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

issu de l’un de ces accords précédemment cités, ainsi que les modalités d’accompagnement du salarié ;

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis signataire de l’amendement n° 183 rectifié bis, présenté par David Assouline, qui tend à la suppression de l’alinéa 5. Si cet alinéa était néanmoins maintenu, il provoquerait un tel bouleversement, une telle atteinte au contrat de travail, que ses dispositions ne devront pas être utilisées pour n’importe quel accord, car cela affaiblirait plus encore la protection des salariés.

D’où cet amendement de repli.

Mme la présidente. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

en prévoyant notamment que le licenciement du salarié repose sur un motif spécifique auquel ne s’appliquent pas les dispositions de la section IV du chapitre III du titre III du livre II de la première partie du même code

par les mots :

notamment les accords précités

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement est défendu, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Je voudrais avant toutes choses justifier le travail fourni par la commission et expliquer notamment pourquoi elle a profondément remanié l’alinéa 5, que le Gouvernement veut rétablir dans sa version antérieure.

La commission des affaires sociales a adopté une nouvelle rédaction de cet alinéa pour obliger le Gouvernement à retenir un motif spécifique pour les licenciements des salariés qui refusent l’application d’un accord de flexisécurité.

Par ailleurs, notre rédaction écarte l’application des règles relatives à un plan de sauvegarde de l’emploi pour ce type de licenciement, même si plus de dix salariés sont licenciés après avoir refusé l’application d’un tel accord sur une période de trente jours dans une entreprise employant plus de cinquante salariés.

Une telle dérogation est déjà prévue pour les AME et les APDE. Tout refus d’un salarié entraînera donc un licenciement sui generis, comme le législateur l’a prévu pour les APDE. L’employeur devrait donc, selon la commission, suivre une procédure spécifique unique et proposer aux salariés concernés un dispositif d’accompagnement lui aussi unique, présentant les mêmes garanties que le contrat de sécurisation professionnelle, actuellement réservé aux salariés licenciés pour motif économique.

J’en viens aux amendements en discussion commune.

Il est pour nous nécessaire de clarifier l’articulation entre les accords d’entreprise et les contrats de travail. La commission est donc défavorable aux amendements identiques nos 92 et 183 rectifié bis.

La commission est également défavorable à l’amendement n° 242 du Gouvernement, qui vise à revenir sur le texte que nous avions modifié pour les raisons que je viens de vous expliquer.

Les amendements identiques nos 24 rectifié et 189 tendent à supprimer un apport de notre commission. Lors de l’examen du projet de loi Travail, le Sénat avait supprimé les AME, qui figurent à l’article L. 5125-1 du code du travail, compte tenu du faible écho qu’ils ont rencontré – seulement une douzaine ont été conclus depuis leur création en 2013 – et de la création par cette loi des APDE, qui ont les mêmes objectifs, mais sans les contraintes juridiques des premiers.

Conserver une référence aux AME dans la loi d’habilitation pourrait être assimilé à un soutien du Sénat à ces accords, dont nous souhaitons la disparition dans un souci de simplification juridique et d’allègement du code du travail. C’est pourquoi nous avons souhaité supprimé la référence à cet accord, qui n’a jamais convaincu, malgré les aménagements apportés en 2015 dans la loi Croissance et activité. Nous sommes donc défavorables aux amendements identiques nos 24 rectifié et 189.

L’amendement n° 4 rectifié bis vise également à revenir sur les apports de la commission. L’avis de la commission est défavorable.

Pour les auteurs de l’amendement n° 25 rectifié, le Sénat ne doit pas intimer aux partenaires sociaux l’ordre d’aboutir à un résultat.

Je ne partage pas cette conception malthusienne du rôle du Parlement. Comme je l’ai souligné dans mon intervention pendant la discussion générale, nous, sénateurs, avons pu nous forger nos propres convictions ces dernières années ; nous avons le droit, je dirais même le devoir, d’encadrer un projet de loi d’habilitation lorsqu’il s’agit de sujets aussi structurants.

Je vous rassure, même en prévoyant un motif spécifique au licenciement, les partenaires sociaux auront encore beaucoup de grains à moudre. Il leur faudra en effet définir précisément la procédure du licenciement, qui sera distincte de celles applicables pour motif économique ou personnel, et créer un nouveau dispositif d’accompagnement transversal, sur le modèle de la convention de sécurisation professionnelle.

La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 25 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble des amendements en discussion commune, à l’exception de celui qu’il a présenté ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous l’aurez compris, nous ne pouvons qu’être défavorables aux amendements identiques nos 92 et 183 rectifié bis.

En ce qui concerne les amendements identiques nos 24 rectifié et 189, ainsi que les amendements nos 4 rectifié bis et 25 rectifié, nous pensons qu’ils peuvent être satisfaits par l’amendement n° 242 du Gouvernement. Nous en demandons donc le retrait. À défaut, nous y serions défavorables.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 92 et 183 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l’amendement n° 242.

Mme Nicole Bricq. J’ai lu vos travaux, monsieur le rapporteur : en fait, la commission des affaires sociales a supprimé la référence aux AME non pas tant à cause de leur nombre, assez faible depuis 2013, que parce que c’était déjà sa position au moment de la loi Travail. Avouez que l’argument est pauvre !

Cette position est contradictoire avec l’un des objectifs de cette loi d’habilitation : l’harmonisation des régimes, qui se sont multipliés. Aujourd’hui, plus personne, chefs d’entreprise comme salariés, n’y comprend plus rien. Il est donc dommage de ne pas laisser le Gouvernement, dont vous tenez la main pour le reste, libre de prendre, avec les partenaires sociaux, les dispositions pour y remédier.

Certains accords sont intéressants : les accords de compétitivité, notamment. Par exemple, Peugeot, dont Martial Bourquin parlait tout à l’heure, et Renault ont passé de tels accords défensifs quand l’entreprise se portait mal. Les syndicats ont accepté de faire des efforts.

Quand il a fallu renégocier, trois ans après, le contexte s’était amélioré, et les accords sont devenus beaucoup plus offensifs. Les salariés ont donc pu demander que leurs efforts soient récompensés. Ces accords sont un bon moyen de trouver des solutions qui conviennent à tous.

Je regrette par conséquent que la commission ne veuille pas revenir au texte de l’Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. La commission des affaires sociales a dû examiner des amendements de toute urgence, sans avoir le temps de s’y pencher véritablement.

En réalité, nous avons eu à choisir entre deux versions que nous contestions l’une et l’autre, car elles reviennent au même. Accords d’entreprise, accords de compétitivité, AME, APDE : nous ne faisons pas de différence. On nous les présente comme des accords gagnants-gagnants, alors qu’ils impliquent tous des sacrifices de la part des salariés. Lorsque la situation s’améliore – ce n’est pas toujours le cas, certaines des entreprises ayant passé ces accords pouvant aussi fermer –, les salariés n’en touchent aucun bénéfice.

Le président Macron s’est rendu sur les chantiers navals de Saint-Nazaire rencontrer les salariés de l’entreprise STX, qu’il a félicités d’avoir conclu un accord difficile, accepté des mois de chômage technique, des sacrifices en matière de RTT, subi une baisse de certaines indemnités, le tout représentant un effort de 21 millions d’euros. Or quand les commandes sont revenues, ces ouvriers ont dû faire grève pour obtenir une prime et une revalorisation de leur salaire qui aille au-delà des 0,7 % que la direction leur consentait… Il faut le rappeler.

Je reçois également, en tant que sénateur, des documents envoyés par Renault, dans lesquels on peut comparer les résultats financiers des années 2015 et 2016. On y lit des chiffres spectaculaires d’évolution des ventes, du chiffre d’affaires, des dividendes versés aux actionnaires, qui sont passés de 2,40 euros en 2015 contre 3,15 euros en 2016. En revanche, quand j’appelle Renault pour connaître l’évolution des chiffres de l’emploi, je n’obtiens aucune réponse !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Milon, rapporteur. Je veux répondre à Mme Bricq, qui, de toute évidence, connaît mieux le code du travail que moi. Je voudrais lui rappeler que le système des APDE est plus large et beaucoup plus souple que celui des AME, ce qui explique pourquoi il n’y a eu qu’une douzaine d’accords dans ce cadre depuis 2013.

Les accords passés par Peugeot et Renault se sont faits en dehors du droit commun.

M. Alain Milon, rapporteur. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut aller, plutôt que dans le sens des AME.

Mme Nicole Bricq. Nous sommes d’accord !

M. Alain Milon, rapporteur. Il est néanmoins évident que la position du Sénat, constante depuis plusieurs années, ne favorise pas le travail d’harmonisation du Gouvernement, mais je suis sûr que ce dernier trouvera un moyen d’y arriver !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 242.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 24 rectifié et 189.

M. Jean-Louis Tourenne. Lorsqu’un salarié refuse l’accord collectif, il peut être licencié ; telle est la réalité. Il existe néanmoins cinq ou six façons de traiter l’affaire : les indemnités prévues par la loi Warsmann, les indemnités pour licenciement économique, les indemnités sui generis, par exemple. En l’absence de critères de sélection, il est difficile de savoir laquelle choisir.

L’intention de la commission quand elle a rédigé cet alinéa 5 était donc bonne : elle voulait aligner les régimes et ne créer qu’une catégorie de licenciement, qui offre un même traitement à ceux qui en sont victimes. Hélas, la meilleure formule n’a pas été retenue, puisque c’est le licenciement sui generis qui a été préféré, lequel prévoit des indemnités inférieures à celles versées dans le cas d’un licenciement économique.

L’indemnisation ne couvre pas tous les besoins, mais elle aide à supporter la situation extrêmement douloureuse qu’est le chômage. Il faudra y être très attentif lors de la rédaction des ordonnances, madame la ministre.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 rectifié et 189.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Madame Lienemann, l’amendement n° 4 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 4 rectifié bis est retiré.

Monsieur Tourenne, l’amendement n° 25 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Louis Tourenne. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 25 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par Mme Lienemann, M. Labazée, Mme Jourda, M. Duran, Mme Yonnet, MM. Mazuir et Montaugé et Mme Monier, est ainsi libellé :

Alinéas 6 à 10

Supprimer ces alinéas.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Avec les alinéas 6 à 10, le droit du travail change complètement de logique. Il s’agit ici de contourner le juge, de n’autoriser l’accès à la justice qu’en dernier recours.

C’est très grave : cela revient à inverser la charge de la preuve, qui pèserait sur le salarié, quand l’accord serait présumé licite. Or un accord d’entreprise peut concerner des sujets très sensibles, comme le travail de nuit ou l’annualisation des horaires de travail ; il ne doit pas jouir d’une telle présomption.

Je donnerai quelques exemples à l’appui de mon propos. De nombreux accords signés par le patronat et les syndicats, et portant sur les forfaits jour ont été annulés par le juge, car ils ne respectaient ni la durée journalière maximale ni les temps de repos obligatoires. Or on sait à quel point ces éléments sont importants pour la sécurité des salariés, au-delà même de leurs conditions de vie.

Avec ces alinéas, ces accords seraient présumés licites : il faudrait qu’un syndicat ou un salarié aille devant le tribunal pour les contester. Vous voyez à quel point cela peut être délicat dans certaines entreprises : il faudra notamment pour ce salarié être bien soutenu, ce qui ne sera pas possible partout, notamment dans les PME.

Avec ces alinéas, je le répète, nous changeons de système. Je les mets d’ailleurs en relation avec de nombreuses orientations du présent texte, qui prévoient le contournement systématique de la justice, la dispense de l’arbitrage du juge. Dans le pays des droits de l’homme, la justice doit être le premier recours, et non le dernier ; elle doit être l’apanage de tous, et non des plus puissants seulement.

C’est pourquoi cet amendement tend à supprimer les alinéas 6 à 10.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 71 rectifié est présenté par M. Antiste et Mmes Jourda et Monier.

L’amendement n° 93 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéas 6 à 8

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 71 rectifié.

M. Maurice Antiste. Les alinéas 6 à 8 de l’article 1er tendent à rendre plus difficile la contestation des accords collectifs en agissant à la fois sur la charge de la preuve, les délais de contestation et les conséquences de l’annulation d’un accord. Le respect des droits fondamentaux des travailleurs se trouvera donc moins bien garanti qu’aujourd’hui.

Comme le projet de loi entend renvoyer à la négociation d’entreprise une large partie des normes sociales, ces dispositions vont déséquilibrer les relations entre employeurs et salariés, en entravant la mise en cause d’accords qui seraient contraires à la loi.

Nous proposons donc de supprimer les alinéas 6 à 8.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour présenter l’amendement n° 93.

Mme Annie David. Plus de soixante-dix conseils de prud’hommes ont déjà été supprimés avec la réforme de la carte judiciaire. De fait, nos concitoyens voient la décision de justice de plus en plus s’éloigner d’eux.

Or les alinéas 6 à 8 visent à limiter le contrôle du juge sur les accords collectifs en inversant la charge de la preuve, en réduisant les délais de contestation d’un accord. Preuve en est, s’il en était besoin, que vous ne faites pas confiance au juge prud’homal, madame la ministre.

Alors que ce projet de loi entend renvoyer à la négociation d’entreprise l’édiction de règles essentielles des normes sociales, ces dispositions visent uniquement à rassurer les employeurs, en rendant de plus en plus difficile la contestation d’accords qui seraient contraires à la loi. Sous prétexte de sécuriser l’application des accords collectifs, il faudrait réduire le délai pour dénoncer une disposition conventionnelle défavorable ou encore permettre au juge de moduler dans le temps les effets de ces décisions.

Ces raisons s’ajoutent à celles qui ont déjà été mobilisées par les précédents orateurs pour appeler à la suppression des alinéas 6 à 8.

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mmes Lienemann et Jourda, MM. Labazée et Duran, Mme Yonnet et MM. Mazuir, Montaugé et Courteau, est ainsi libellé :

Alinéa 7

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’objet de cet amendement est en réalité de mettre l’accent sur la gravité de la disposition qui prévoit de réduire ou d’aménager le délai de contestation d’un accord collectif.

Cela n’a aucun sens : la logique de la prescription en matière d’accord collectif ne peut s’appliquer de la même manière qu’en d’autres domaines du droit ! L’accord collectif est un acte à exécution successive, qui s’applique jour après jour. La prescription n’a donc pas à courir au jour de la conclusion de l’accord. On ne peut pas priver quelqu’un qui s’estimerait lésé d’un délai de contestation.

Tous les juristes tendent d’ailleurs à penser que la réduction ou l’aménagement des délais de contestation d’un accord collectif représenterait une fragilisation considérable du droit. C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer l’alinéa 7 de l’article 1er.

Mme la présidente. L’amendement n° 187 rectifié, présenté par Mme Lamure, MM. Gabouty, Nougein et Vaspart, Mmes Morhet-Richaud et Primas, M. Reichardt, Mme Billon, MM. Cadic et Kennel, Mme Deromedi, MM. P. Dominati et Canevet et Mme Loisier, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Compléter cet alinéa par les mots :

en vertu du principe de sécurité juridique, en tenant compte des conséquences économiques ou financières sur les entreprises

La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. Reprenant la formule adoptée par le Sénat lors de l’examen de la loi Travail, le dispositif du présent amendement tend à préciser l’objectif de la modulation : la sécurité juridique pour les entreprises et donc pour les salariés. Les revirements de jurisprudence et la rétroactivité des décisions du juge ont eu des conséquences lourdes pour les entreprises, comme lors de l’annulation de l’accord Syntec en 2013, qui permettait à 544 000 cadres de réclamer une revalorisation de leurs salaires.

Jusqu’à maintenant, les droits des salariés ont toujours été pris en compte par le juge, contrairement à l’impact économique pour les entreprises. Or les décisions du juge peuvent placer ces dernières dans des situations financièrement dramatiques, qui dégradent leur trésorerie, dissuadent toute embauche et, finalement, se retournent contre l’ensemble des salariés.

Il est donc essentiel de rappeler l’objectif de sécurité juridique visé par cette possibilité, pour le juge, de moduler dans le temps les effets de ses décisions.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 94 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L’amendement n° 184 rectifié bis est présenté par MM. Assouline, Cabanel et Durain, Mmes Guillemot et Jourda, M. Labazée, Mme Lepage, M. Roger, Mme Monier, MM. Courteau et M. Bourquin et Mme Blondin.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 94.

Mme Laurence Cohen. Nous persévérons dans notre analyse plus détaillée de ce projet de loi – il est vrai que le principe d’un texte d’habilitation à légiférer par ordonnances est par nature d’être vague et flou – en vous proposant de supprimer l’alinéa 9 de l’article 1er.

En effet, le Gouvernement entend permettre à chaque entreprise, et donc à chaque employeur, de décider, ni plus ni moins, de la périodicité des négociations obligatoires.

Jusqu’ici la loi prévoyait deux négociations annuelles obligatoires, ou NAO : la NAO sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée ; la NAO sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. Elle prévoyait également une négociation triennale portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Madame la ministre, vous entendez aller encore plus loin que la loi El Khomri, qui constituait déjà un recul important dans ce domaine, en mettant fin à l’obligation de négociation annuelle ou triennale. Désormais, chacun fera comme il voudra ! Il y a fort à parier que certains employeurs ne s’embarrasseront pas avec ce qu’ils considéraient comme des contraintes inutiles et évidemment intolérables…

Il est vrai que les négociations sur les salaires et l’égalité professionnelle ne semblent pas si importantes pour le MEDEF. À la lecture du présent projet de loi, je ne suis pas certaine que l’égalité salariale ne soit pas, pour vous aussi, madame la ministre, un coût supplémentaire, qui empêche la bonne santé des entreprises et entrave votre volonté toujours plus poussée de « libérer la dynamique de création d’emplois », pour reprendre des termes entendus lors de votre audition en commission.

Alors que les femmes gagnent encore en moyenne 27 % de moins que les hommes, alors que de petites avancées avaient été permises dans les lois Roudy et Génisson, par exemple, grâce notamment à la mobilisation des féministes, vous mettez fin aux dispositions permettant d’espérer atteindre un jour l’égalité professionnelle.

On le sait bien, sans obligation, sans contrainte, sans objectif à respecter, l’égalité n’avance pas. Il ne faut donc pas adopter les dispositions contenues dans cet alinéa. Ou alors, si c’est votre choix, il faut l’assumer publiquement, car je ne crois pas vous avoir entendue sur ce sujet.

Je ne fais évidemment pas de procès d’intention aux employeurs, aux chefs d’entreprise, majoritairement des hommes, d’ailleurs ; j’ai seulement une conscience lucide de la réalité en la matière. En 2017, malgré toutes les mesures adoptées, l’égalité salariale n’existe toujours pas.

Cet alinéa 9 est un nouvel exemple de recul social ; c’est pourquoi nous demandons sa suppression.

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 184 rectifié bis.

M. David Assouline. Cet amendement me donne l’occasion de féliciter les députés socialistes, qui ont contribué à faire préciser le projet de loi – c’est l’une des rares fois où nous avons obtenu satisfaction – concernant les pénalités financières prévues en cas d’absence d’accord ou à défaut de plan d’action.

C’est la preuve que la discussion des textes au Parlement n’est pas inutile ; elle est même nécessaire. Si nous en avions le temps, bien d’autres points évolueraient, car nous n’avons jamais perdu l’espoir de convaincre nos collègues, ainsi que le Gouvernement.

L’examen de ces dispositions, il y a deux ans à peine, avait permis de trouver un équilibre entre la nécessaire dynamisation du dialogue social et la préservation des prérogatives des instances de dialogue, lesquelles assurent une expression collective des salariés.

À titre d’exemple, la périodicité des négociations annuelles obligatoires sur les salaires ou l’égalité professionnelle peut être adaptée par accord, la seule restriction étant que ces négociations doivent avoir lieu au moins tous les trois ans.

Rouvrir ce chantier, alors que la réforme vient à peine d’entrer en vigueur, ne nous paraît pas opportun. Ce serait même une source d’instabilité juridique pour les entreprises. Or cette instabilité, que le Gouvernement déclare pourtant vouloir combattre, empêche les entrepreneurs de prendre des risques et parfois d’embaucher.

Cet alinéa, dont la formulation est vague, pourrait permettre à chaque entreprise d’adapter par accord la périodicité et le contenu des négociations annuelles obligatoires et des consultations, au-delà des limites actuelles.

Il paraît nécessaire que, pendant ce débat, des garanties soient apportées sur la périodicité et le contenu des négociations obligatoires.

Mme la présidente. L’amendement n° 188 rectifié, présenté par Mme Lamure, MM. Gabouty et Vaspart, Mmes Morhet-Richaud et Primas, M. Reichardt, Mme Billon, MM. Cadic et Kennel, Mme Deromedi, MM. P. Dominati et Canevet et Mme Loisier, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Après le mot :

déterminer

insérer les mots :

et de rationaliser

La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. S’inscrivant dans la logique de simplification de la loi du 17 août 2015, l’alinéa 9 pourra permettre à l’accord collectif de déterminer la périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires, qui peuvent aujourd’hui peser sur les entreprises du fait qu’elles sont insuffisamment coordonnées ou adaptées à la réalité de la progression du dialogue social.

Il est utile que l’objectif de rationalisation soit clairement affiché pour garantir l’efficacité d’une telle mesure.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Pour ce qui concerne l’amendement n° 5 rectifié bis, il est nécessaire de renforcer la sécurité juridique des accords collectifs, surtout en cas d’annulation par le juge, compte tenu des effets rétroactifs de cette décision sur les salariés et les employeurs.

On ne peut pas encourager le développement des accords d’entreprise sans se soucier de leur sécurité juridique. Il est en effet essentiel de permettre au juge judiciaire, sur le modèle du juge administratif, de moduler les effets de ses décisions dans le temps, afin de permettre aux partenaires sociaux de conclure un nouvel accord ou un avenant qui purge les irrégularités décelées par le juge.

L’avis de la commission est donc défavorable.

En ce qui concerne les amendements identiques nos 71 rectifié et 93, la commission n’est pas opposée à un aménagement de la charge de la preuve en matière de contestation des accords collectifs.

Le Conseil d’État a, dans son avis, validé le principe de cette réforme, qui consiste à revenir au droit commun : c’est celui qui conteste un acte juridique qui doit apporter la preuve qu’il n’est pas conforme au cadre légal. Il s’agit ainsi de tirer les conséquences d’une nouvelle jurisprudence de la Cour de la cassation, qui donne plus de poids aux accords collectifs.

Afin d’éviter les conséquences rétroactives de l’annulation d’un accord, il est nécessaire de donner une base légale aux juges pour moduler les effets de leurs décisions dans le temps. L’avis de la commission est donc défavorable.

L’amendement n° 6 rectifié bis tend à supprimer l’alinéa 7 de l’article. Même si l’étude d’impact ne prévoit pas à ce stade de pistes de réflexion aboutie, il est nécessaire de lutter contre l’insécurité juridique liée à l’annulation d’un accord collectif.

Un délai de cinq ans pour attaquer directement un accord collectif en action en nullité paraît en effet excessif, surtout quand l’on sait qu’une annulation a des effets rétroactifs ! L’avis de la commission est donc défavorable.

L’amendement n° 187 rectifié vise à compléter l’habilitation sur la modulation des décisions du juge, en reprenant la rédaction d’un amendement que le Sénat avait adopté l’an dernier lors de l’examen de la loi Travail ; je rappelle à cet égard que c’est sans doute l’adoption de cet amendement qui a permis d’inscrire à l’ordre du jour du Gouvernement la question de la modulation des décisions du juge.

La commission est donc favorable à cet amendement, par cohérence avec les travaux du Sénat.

Pour ce qui concerne les amendements identiques nos 94 et 184 rectifié bis, je partage avec leurs auteurs le souhait de ne pas contribuer à l’inflation législative. Nombre d’employeurs et de salariés peinent d’ailleurs à suivre le rythme des réformes.

Le sujet des négociations collectives a été revu en profondeur par la loi Rebsamen de 2015, tandis que la base de données unique existe effectivement depuis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.

Je n’ai pas souhaité supprimer cette habilitation en commission, en espérant que les modifications proposées par ordonnance seront partagées par les partenaires sociaux et ne remettront pas en cause l’équilibre des dispositions actuelles. L’avis de la commission est donc défavorable.

J’en viens à l’amendement n° 188 rectifié. S’agissant des négociations obligatoires dans les entreprises, la loi Rebsamen du 17 août 2015 a opéré une rationalisation autour de trois blocs.

De fait, en application de l’article L. 2242-1 du code du travail, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur doit engager chaque année deux négociations : l’une sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ; l’autre sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.

Par ailleurs, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, l’employeur doit engager tous les trois ans une négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels.

La loi a en outre offert aux partenaires sociaux la possibilité d’adapter, par accord majoritaire, la périodicité des négociations obligatoires, dans la limite de trois ans pour les deux négociations annuelles et de cinq ans pour la négociation triennale.

Par conséquent, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Sur l’amendement n° 5 rectifié bis, l’avis du Gouvernement est défavorable, pour les raisons qu’a développées M. le rapporteur.

Pour ce qui concerne les amendements identiques nos 71 rectifié et 93, compte tenu de l’avis défavorable de la commission, de l’avis du Conseil d’État et de la jurisprudence de la Cour de cassation, j’émets également un avis défavorable.

Sur l’amendement n° 6 rectifié bis, l’avis du Gouvernement est aussi défavorable.

J’en viens à l’amendement n° 187 rectifié. Le juge peut actuellement décider de moduler les effets de sa décision dans le temps. Cette possibilité est pourtant rarement appliquée. La codification de ce principe serait donc utile, dans un souci de bonne intelligibilité de la norme, et pour laisser des marges d’appréciation au juge.

Pour autant, je ne suis pas certaine qu’il faille encadrer davantage cette faculté laissée au juge, lequel ne pourrait prendre en compte que les seules conséquences économiques et financières pour les entreprises. Or le juge doit pouvoir, bien évidemment, également tenir compte de la situation des salariés. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.

S'agissant des amendements identiques nos 94 et 184 rectifié bis, l’avis du Gouvernement est défavorable, pour les raisons exposées par M. le rapporteur. Je tiens simplement à préciser un point : le « supplétif » – c’est-à-dire la négociation annuelle obligatoire, la NAO, les négociations relatives à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC, à la qualité de vie au travail, à l’égalité entre les femmes et les hommes, entre autres – ne change pas.

Le souhait a été exprimé, en revanche, que certains accords d’entreprise aient un cadre pluriannuel, dans un souci de plus grande efficacité. On a ainsi constaté que toutes les entreprises qui sont parvenues à conclure des accords en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes ont prévu une durée de deux ou trois ans pour ces contrats, car le rattrapage est pratiquement impossible à faire en une seule année.

Ouvrir cette possibilité en garantissant le supplétif annuel permettra de donner du grain à moudre « positif » aux partenaires sociaux. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Enfin, je demande le retrait de l’amendement n° 188 rectifié ; à défaut, l’avis du Gouvernement sera défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 71 rectifié et 93.

M. Jean-Louis Tourenne. Je voterai ces amendements, car ils touchent au cœur même de la vie de l’entreprise.

Je considère que le fait d’attacher une présomption de légalité à l’accord d’entreprise en tant que tel est excessif. Cela revient à faire de la confiance un outil juridique. S’en rapporter à la seule volonté de passer des accords collectifs à l’exclusion de toute présence syndicale ou mandatement syndical peut en effet conduire à des pratiques excessives.

Par ailleurs, le fait que le juge ne soit pas obligé de se pencher sur le caractère légal ou non de l’accord collectif constitue une restriction insupportable.

De la même façon, l’ « aménagement » – qu’en termes galants ces choses-là sont dites ! – des délais de contestation d’un accord collectif n’est pas un réel aménagement : il s’agit en réalité de réduire ce délai.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 71 rectifié et 93.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 187 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 94 et 184 rectifié bis.

Mme Catherine Génisson. Je tiens à remercier Laurence Cohen d’avoir cité la loi qui porte mon nom, non pas en tant que telle, mais pour ce que ce texte prévoit, et qui est très simple : d’une part, l’introduction dans toutes les négociations annuelles du sujet de l’égalité professionnelle ; d’autre part, l’instauration tous les trois ans d’une négociation spécifique sur l’égalité professionnelle, avec la possibilité de s’appuyer sur des critères pertinents.

Je rappelle que la loi Rebsamen avait suscité l’émoi des délégations parlementaires aux droits des femmes, des associations concernées et de nombreuses salariées, auxquelles il avait semblé que ces critères pertinents passaient à la moulinette, si j’ose dire, et que, dès lors, le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes était quelque peu malmené.

Vous avez dit, madame la ministre, que le supplétif ne changeait pas et que, s’agissant d’un accord portant sur l’égalité salariale, deux ou trois ans étaient nécessaires pour faire le rattrapage. Je ne le conteste absolument pas, mais la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes le prévoyait déjà.

Sincèrement, l’alinéa 9 de l’article 1er me pose problème.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 94 et 184 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Madame Lamure, l’amendement n° 188 rectifié est-il maintenu ?

Mme Élisabeth Lamure. Nous avons souvent constaté lors de nos travaux que la rationalisation et la simplification n’allaient pas forcément de soi. Il faut régulièrement le rappeler, et c’est ce que j’ai voulu faire en déposant cet amendement.

Quoi qu'il en soit, je vais suivre l’avis de M. le rapporteur et retirer l’amendement.

Mme Nicole Bricq. Très bien.

Mme la présidente. L’amendement n° 188 rectifié est retiré.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 1er (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Discussion générale

6

Demande d’avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. Conformément aux articles 56 et 13 de la Constitution, M. le président du Sénat a saisi la commission des lois pour qu’elle procède à l’audition et émette un avis sur la nomination de M. Michel Mercier, qu’il envisage de nommer aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel, en remplacement de Mme Nicole Belloubet.

Mme Nicole Bricq. Bravo ! C’est un bon choix.

Mme la présidente. Acte est donné de cette communication.

7

Dépôt de documents

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport du Conseil supérieur de l’Agence France-Presse au Parlement et le rapport de contre-expertise du dossier d’évaluation socio-économique du projet d’opération de construction d’un établissement pénitentiaire à Loos, accompagné de l’avis du Commissariat général à l’investissement.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis aux commissions permanentes compétentes.

8

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 1er

Renforcement du dialogue social

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons l’examen de l’article 1er.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Articles additionnels après l'article 1er

Article 1er (suite)

Mme la présidente. L’amendement n° 227, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) Simplifiant les modalités permettant d’attester de l’engagement des négociations dans le cadre des négociations obligatoires ;

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Cet amendement tend à envisager des pistes de simplification des modalités de conclusion ou, plus particulièrement, d’absence de conclusion des accords.

Dans certains cas, par exemple, l’établissement d’un procès-verbal de désaccord est compliqué. En effet, les parties qui n’ont pas fait aboutir la négociation doivent s’entendre sur le procès-verbal de désaccord, qui doit être déposé à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE. Faire signer par toutes les parties qu’il n’y a pas eu d’accord prend quelquefois beaucoup de temps, sans apporter aucune plus-value sur le fond.

Cet amendement vise donc à simplifier les modalités attestant l’engagement de négociations et l’échec de celles-ci.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. La commission émet un avis favorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Vous l’avez compris, nous sommes opposés à ce texte en général et nous voterons contre cet amendement en particulier. En effet, non seulement il ne reste que peu d’obligations à négocier, mais vous allez en plus simplifier et alléger les modalités permettant d’attester de l’engagement des négociations.

Quand des négociations sont engagées, nous ne sommes déjà pas certains qu’elles aboutiront. Avec cet amendement, l’engagement même de ces négociations sera encore un peu plus flou.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Je suis également opposé à cet amendement. Le procès-verbal qui constate le désaccord et en explique les causes et les attendus sert la plupart du temps de fondement en cas de recours juridique. En l’absence de procès-verbal détaillé, les plaignants n’auront plus la possibilité de faire valoir les points de désaccord qui sont imputables à leur employeur.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 227.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 26 rectifié est présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 95 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 12

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 26 rectifié.

M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement a pour objet l’un des alinéas les plus importants du projet de loi, dont il traduit parfaitement la philosophie. En l’absence de délégué syndical, le texte prévoit qu’il est possible de négocier avec le délégué du personnel ou le personnel directement. C’est inimaginable ! Comme il existe un rapport de subordination, les pressions sont très faciles à opérer.

Même en l’absence de telles pressions, on peut imaginer que les personnels salariés chargés de négocier aient des craintes, des réticences, voire des appréhensions sur les représailles éventuelles, même si l’employeur n’a pas de mauvaises intentions.

Il faut, pour négocier, une personne totalement indépendante et protégée, qui ait la certitude que rien de négatif ne pourra s’exercer contre elle.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Rivollier, pour présenter l’amendement n° 95.

Mme Évelyne Rivollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous demandons la suppression de l’alinéa 12 de l’article 1er pour une raison très simple, que notre collègue vient d’expliquer : le rapport de subordination des salariés envers les employeurs.

Quiconque a déjà été salarié ou employeur sait pertinemment qu’il y a un rapport de domination de l’un sur l’autre. C’est dans ce cadre d’ailleurs qu’ont émergé les organisations syndicales qui, par leurs droits collectifs d’expression et d’action, peuvent pour partie rétablir l’équilibre des rapports de force dans une négociation.

L’alinéa 12 permet à un employeur d’organiser la signature d’un accord sans les organisations syndicales, mais par le biais d’élus du personnel sans mandat syndical. Il remet en cause ce principe de négociations peu ou prou équilibrées.

Vous le savez, les syndicats se forment pour connaître les textes qui régissent le droit du travail et ce n’est pas le cas pour des personnels sans appartenance syndicale. Ainsi, des salariés sans appui syndical, potentiellement soumis à des pressions patronales sur l’emploi, pourront négocier des accords au risque de se faire imposer des décisions contraires à leur intérêt.

Vous ne faites donc que renforcer le pouvoir de domination de l’employeur sur l’employé en permettant le contournement des organisations syndicales qui sont pourtant les garantes d’une force collective de négociation.

Finalement, la mesure proposée à l’alinéa 12 de cet article permet la généralisation du chantage à l’emploi et l’affaiblissement des droits collectifs d’organisation des salariés. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons, mes chers collègues, de le rejeter.

Mme la présidente. L’amendement n° 190, présenté par M. Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Costes, MM. Arnell, Bertrand, Castelli et Collombat, Mme Malherbe et M. Collin, n’est pas soutenu.

L’amendement n° 239, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 12

Remplacer les mots :

en permettant notamment aux employeurs, dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec le personnel

par les mots :

notamment dans les entreprises dépourvues de délégué syndical sous un certain seuil d’effectif

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Nous devons nous interroger sur les dispositions relatives à la négociation en l’absence de délégué syndical. Je rappelle que 4 % des entreprises de moins de 50 salariés ont un délégué syndical, contre 27 % des entreprises employant de 50 à 99 salariés.

Le sujet de fond que nous abordons avec les partenaires sociaux et le Parlement est le suivant : doit-on priver de possibilité d’accord les entreprises n’ayant pas de délégué syndical, ainsi que leurs salariés ?

Nous souhaitons absolument conserver le monopole syndical et donner la priorité au développement du syndicalisme, mais nous devons tenir compte du fait que 55 % des salariés du secteur privé dans notre pays travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés. Les priver d’une représentation leur permettant de signer des accords revient aussi à les priver, ainsi que leurs employeurs, d’une capacité à développer la culture de la négociation collective.

Le Gouvernement souhaite mener à bien la refonte du droit du travail en s’appuyant sur les concertations avec les partenaires sociaux qui viennent tout juste de s’achever. Sur certaines questions, elles ont été très convergentes ; sur ce sujet, elles ne l’ont pas été. En effet, il faut, à la fois, prendre en compte la réalité – le nombre de délégués syndicaux ou de salariés mandatés est très faible dans les petites entreprises – et le souhait que cette situation change. Pour autant, nous ne pouvons pas agir par incantation…

Dans ces conditions, quelle est la dynamique permettant d’aller en ce sens ? Nous partageons le constat dressé par votre commission, selon lequel cette question concerne principalement les entreprises en deçà d’un certain seuil de salariés. Nous ne pouvons porter la même appréciation sur les petites entreprises et les grandes.

Nous proposons donc un ajustement rédactionnel pour tenir compte de ce constat, en gardant toutes les options ouvertes, puisque, à ce stade, plusieurs solutions sont envisageables.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les amendements identiques nos 26 rectifié et 95 visent à supprimer l’alinéa 12, donc les apports de la commission.

Je rappelle une évidence : personne ne peut obliger un salarié à devenir délégué syndical ou à être mandaté. Or, comme la conclusion d’un accord est aujourd’hui par principe un monopole du délégué syndical, les petites entreprises et leurs salariés se retrouvent à l’écart de la négociation collective. Doit-on accepter cette situation ? Doit-on fermer les yeux et ne s’occuper que des entreprises dotées de délégués syndicaux ? La réponse est évidemment non.

C’est pourquoi nous avons voulu trouver une solution pragmatique pour encourager le dialogue social dans les petites entreprises sans délégué syndical.

Je tiens à apporter une précision : nous ne supprimons pas le mandatement, nous en faisons une option au même niveau que la conclusion d’un accord avec les instances représentatives du personnel ou avec le personnel, sans faire du mandatement un préalable obligatoire.

L’avis de la commission est donc défavorable.

S’agissant de l’amendement n° 239, qui vise le mandatement, il nous semble moins précis que la rédaction de la commission. J’ai dit néanmoins, lors de la réunion de la commission, que j’étais prêt à donner un avis de sagesse si le Gouvernement clarifiait le seuil d’effectif mentionné dans son amendement – 300 salariés, ou moins ?

En répondant cet après-midi à notre collègue Philippe Mouiller, vous avez montré, madame la ministre, votre volonté de développer le dialogue dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Nous vous faisons donc confiance pour avancer sur ce sujet et émettons un avis favorable sur votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 26 rectifié et 95 ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je ferai la même remarque que M. le rapporteur : nul ne peut obliger un tiers à devenir délégué syndical. L’avis du Gouvernement est donc défavorable.

Je reviens à l’amendement n° 239 : doit-il viser les entreprises de 11 à 50 salariés, voire celles de 50 à 300 salariés ? Je ne puis prendre aujourd’hui d’engagement devant vous, car notre réflexion n’est pas achevée. Le problème est forcément plus évident dans les petites entreprises, et les questions sont de nature différente dans les grandes entreprises. Ce sont là les « bornes » de cet amendement. Quelle que soit la solution retenue, il faudra s’assurer qu’elle encourage le fait syndical.

Notre réflexion doit aboutir pour les ordonnances. Pour l’instant, je ne suis pas en mesure de donner la conclusion définitive du Gouvernement sur ce sujet.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 26 rectifié et 95.

M. Jean-Louis Tourenne. Je souhaite revenir sur la logique qui a présidé au dépôt de mon amendement, que je voterai bien entendu !

Vous regrettez, madame la ministre, qu’il n’y ait pas de délégués syndicaux dans certaines entreprises, notamment dans la quasi-totalité celles de moins de 50 salariés. Par conséquent, vous allez faire sans… Une autre attitude envisageable aurait été de chercher à pallier cette difficulté. Le mandatement était une solution. Vous estimez que ce dispositif ne marche pas, mais il vient à peine d’être mis en place ; de quelles possibilités disposons-nous pour le développer ?

Par ailleurs, l’adoption de votre amendement doit permettre, selon vous, de développer le syndicalisme. Je pense le contraire : dès l’instant où les entreprises n’ont plus besoin des syndicats, je ne vois pas pourquoi elles feraient appel à eux. Sur le fond, les négociations ne seront jamais équilibrées. Les risques seront grands alors d’aboutir à une véritable régression des conditions de travail et de salaire dans les entreprises.

Vous dites que les entreprises n’ayant pas de délégué syndical ne peuvent pas conclure d’accord collectif. Mais jusqu’à présent, un certain nombre de règles régissent les rapports entre l’employeur et le salarié : il s’agit de l’accord de branche. Pourquoi ne pas continuer à le mettre en œuvre tant qu’il n’y a pas de possibilité de négocier un accord collectif ? Cela constituerait une bonne incitation à la mise en place de représentations syndicales locales.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Les amendements identiques nos 26 rectifié et 95 et l'amendement n° 239 doivent être examinés ensemble. Le mandatement ne disparaît pas dans la formule du Gouvernement : il fait partie des solutions. Ce dispositif ne date pas d’hier, et n’a connu qu’une réussite, dans le cadre de la loi Aubry de 1998 sur les 35 heures : il fallait absolument signer un accord pour toucher le soutien financier prévu par le gouvernement. Depuis lors, le mandatement n’a pas fonctionné.

Je remercie notre rapporteur d’avoir annoncé en commission, comme il vient de le répéter, qu’il émettait un avis de sagesse. En effet, l’adoption de l’amendement du Gouvernement, qui ne précise pas de seuil, permet de trouver au Sénat une solution de compromis entre les deux positions. Nous avons résolu une difficulté, car nous n’aurions pas voté le texte de la commission sans l’amendement du Gouvernement.

En effet, nous savons très bien ce que signifie le seuil de 50 salariés. Cela doit marcher partout, il ne faut pas exclure les petites entreprises. Mme la ministre a rappelé les chiffres ; sans cette solution, nous n’y parviendrons jamais, et les petites entreprises seront laissées de côté une fois encore.

C’est ainsi qu’il faut concevoir le problème. Nous voterons donc l’amendement du Gouvernement. Le Sénat aura ainsi adopté une bonne rédaction, qui, je le souhaite, sera conservée par l’Assemblée nationale. Sinon, nos efforts auront été inutiles.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. J’évoquerai également, comme Mme Bricq, l’ensemble des amendements, car on ne peut pas dissocier les deux amendements identiques de l’amendement du Gouvernement.

Dans les entreprises, en particulier dans les petites entreprises – TPE et PME –, des accords d’entreprise sont conclus de façon informelle, sans sécurité ni valeur juridique. Autant les formaliser en ne perdant pas de vue que l’objectif premier est de multiplier le nombre d’accords sécurisés, dans l’intérêt des entreprises et des salariés. Il faut trouver le moyen d’aller en ce sens.

J’aurais préféré la rédaction de la commission, mais la proposition du Gouvernement me paraît acceptable, puisqu’elle vise le même objectif, tout en laissant les choses ouvertes.

S’agissant du mandatement, Mme Bricq a rappelé qu’il avait fonctionné au moment de la loi Aubry. Certes, mais de manière purement faciale ! À l’époque, des accords de réduction du temps de travail ont été conclus dans les entreprises ; puis, on a fait appel aux syndicats, afin qu’ils mandatent des salariés pour la signature. C’était, en quelque sorte, un mandatement à l’envers ! Voilà comment les choses se sont réellement passées dans la plupart des TPE et des PME.

Aujourd’hui, la possibilité d’un mandatement demeure en l’absence de délégué syndical. Les délégués du personnel sont élus pour trois ans et souvent renouvelés ; il faut donc éviter de les disqualifier par rapport aux délégués syndicaux. Si on veut améliorer leurs capacités, il faudrait éventuellement leur proposer des dispositifs de formation.

Je connais de nombreux délégués du personnel qui adhèrent à un syndicat, sont élus au premier tour des élections de délégués du personnel, mais ne veulent pas être délégués syndicaux. C’est une réalité quotidienne. Les délégués du personnel me paraissent tout à fait aptes à négocier.

Le dernier cas est celui de la consultation de l’ensemble du personnel. Il faut conserver l’ensemble de ces possibilités, afin d’obtenir le maximum d’accords sécurisés aussi bien pour les salariés que pour les entreprises.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.

M. Philippe Mouiller. Je souhaite vous faire part, madame la ministre, d’une inquiétude concernant votre amendement, dont nous avons bien compris les motivations, mais qui vous oblige à un résultat au moment de l’écriture des ordonnances.

Remettre à plus tard la fixation des seuils permettra de négocier et de discuter avec les syndicats, notamment de la question du développement de la représentation syndicale dans les plus petites entreprises.

Néanmoins, il faut trouver rapidement une solution, sinon nous risquons de nous retrouver dans une situation de blocage. Nous avons une réelle occasion de faire évoluer les choses. Vous renvoyez le débat à une autre négociation extrêmement compliquée : comment augmenter le taux de 4 % des entreprises de moins de 50 salariés disposant d’une représentation syndicale ?

Le sujet est complexe et, je le répète, vous avez la responsabilité d’éviter qu’une situation de blocage ne s’instaure. C’est la raison pour laquelle la rédaction de la commission me paraissait plus intéressante : elle permettait de clarifier la situation pour les entreprises de moins de 50 salariés, quitte à laisser la liberté aux entreprises de 50 à 300 salariés de continuer à négocier avec les différents syndicats.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.

M. Yves Daudigny. J’ai cosigné l’amendement n° 26 rectifié, que je soutiens bien évidemment. Je rappelle qu’il prévoit la suppression de l’alinéa 12 dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires sociales.

Nous mesurons tous la difficulté de susciter une présence syndicale dans les petites entreprises, mais, je l’ai déjà dit, le renforcement du dialogue syndical ne peut aller sans le renforcement de la présence syndicale, avec des syndicats dotés de moyens et bénéficiant de formations.

Madame la ministre, pour développer ce dialogue le plus rapidement possible, il importe de trouver des solutions. J’insiste sur le fait qu’elles doivent être impérativement trouvées lors d’une négociation étroite avec les organisations syndicales, et avec leur accord. Il n’est pas impossible d’imaginer que ces solutions soient mises en place pour une durée limitée ou qu’elles soient expérimentales.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vos propos signalent un sujet important. En souhaitant obtenir une convergence pour la rédaction des ordonnances, nous avons un double objectif : d’une part, mener des actions en faveur de la syndicalisation dans les petites et moyennes entreprises ; d’autre part, développer notre vision d’un dialogue social renforcé avec des organisations syndicales.

Nous agirons de façon pragmatique, afin de ne pas priver les employeurs et les salariés de la possibilité de formaliser leurs accords – vous avez raison, monsieur Gabouty, il existe de nombreux accords informels et non sécurisés – ou de favoriser une plus grande culture de la négociation.

L’expérience prouve que la syndicalisation constitue souvent une première marche, mais d’autres actions peuvent être menées en même temps que cette ouverture.

Je veux apporter une précision sur le mandatement. Il est de notre responsabilité collective – Parlement et Gouvernement – d’élaborer un droit opérationnel et accessible aux entreprises, quelle que soit la taille de ces dernières, ainsi qu'aux salariés. Sinon, le droit reste formel, ce qui ne fait pas progresser les choses.

S’agissant du mandatement, le délégué syndical restera bien évidemment prioritaire. Le mandatement restera possible. Ce dispositif, qui date de 1996, est aujourd’hui très peu utilisé. En revanche, on constate une dynamique en ce qui concerne les délégués du personnel : ils sont présents dans 27 % des entreprises de moins de 50 salariés et dans 80 % de celles qui comptent de 50 à 99 salariés.

Si l’on considère les choses de façon statique, on oppose le raisonnement exigeant un délégué syndical et des règles syndicales – tant pis si, en leur absence, il n’y a pas de négociation – à celui qui promeut une ouverture totale et un contournement des syndicats. Ces deux voies sont des écueils.

Pour notre part, nous cherchons les moyens d’accompagner cette culture de la négociation et de la syndicalisation de façon dynamique. Nous n’avons pas encore trouvé la solution, mais je tenais à vous faire partager l’état d’esprit qui est le nôtre dans la discussion avec les partenaires sociaux : trouver la meilleure voie pour une culture dynamique de la négociation et donc de la syndicalisation. Nous voulons non pas procéder par oukases, mais tenir compte de la réalité de la situation des petites entreprises.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 rectifié et 95.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 239.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L’amendement n° 27 rectifié est présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 96 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 13

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l'amendement n° 27 rectifié.

M. Jean-Louis Tourenne. Il s’agit de revenir à la disposition consistant à exiger un seuil de 50 % pour qu’un accord collectif soit validé. On souhaite ici définir un seuil de 30 %, ce qui est largement insuffisant et ne traduit pas une véritable majorité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 96.

Mme Laurence Cohen. Dans la continuité de nos précédents amendements, qui visaient à dénoncer, alinéa par alinéa, les dangers de ce texte, nous proposons cette fois-ci de supprimer l’habilitation donnée au Gouvernement de faciliter le recours à la consultation des salariés pour valider un accord.

Certes, la formulation « consultation des salariés […] pour valider un accord » pourrait paraître positive et représenter un véritable signe de dialogue social tel que nous le concevons, mais, en y regardant de plus près, la dimension de cette consultation est quelque peu particulière, pour ne pas dire partisane. En effet, l’objectif réel de cette disposition est de contourner les syndicats.

Bien évidemment, pour qu’un accord dérogatoire d’entreprise soit valable, il faut qu’il soit adopté. La loi El Khomri a déjà permis de contourner le refus d’un syndicat majoritaire de signer un accord en autorisant les syndicats minoritaires à avoir recours à un référendum.

Votre projet de loi va encore plus loin, madame la ministre, en offrant à présent à l’employeur la possibilité d’être lui-même à l’initiative d’un référendum pour faire passer un accord, avec la liberté de choisir les conditions, le contenu, le périmètre et, bien sûr, celle de faire voter des salariés sur des mesures qui ne les concernent pas obligatoirement ou sur lesquelles ils pourraient même avoir des intérêts contradictoires à ceux d’autres salariés. On connaît d’avance les chantages ou les pressions qui pourraient être exercés – nous avons déjà dénoncé cela ici –, surtout si l’on considère le chômage important qui sévit actuellement.

Je précise par ailleurs, non sans malice, mais avec gravité, que ce référendum à l’initiative de l’employeur est une grande revendication du MEDEF. Cela n’est pas pour nous étonner et, si certains se faisaient des illusions sur le but du Gouvernement ou sur la proximité de vue entre le Président de la République et les organisations patronales, ils trouveront ici une preuve concrète de leur naïveté…

Derrière un argument démocratique et populaire – le référendum –, c’est l’existence et la légitimité mêmes des syndicats représentatifs qui sont attaquées. Finalement, on pourrait faire une analogie entre ce référendum à l’initiative de l’employeur visant à dire aux syndicats « circulez, il n’y a rien à voir » et ces ordonnances qui disent la même chose aux parlementaires, tout cela bien sûr sous couvert de dialogue social et de modernité.

Les pouvoirs jupitériens du Président de la République s’accompagnent de pouvoirs tout aussi jupitériens des employeurs. Dans les deux cas, les représentants du peuple, des collectivités ou des salariés sont contournés, et ce, nous n’en doutons pas, dans l’intérêt du plus fort !

Pour résumer, cet alinéa 13, qui se pare d’une belle apparence démocratique, constitue un véritable danger et un chèque en blanc donné aux employeurs, c’est pourquoi nous en demandons la suppression. (M. Alain Néri applaudit.)

Mme la présidente. L’amendement n° 97, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Remplacer le mot :

Facilitant

par le mot :

Encadrant

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Ce projet de loi élargit tant le champ de la primauté de l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche que les possibilités de négociation en l’absence de délégué syndical. Dans ce cadre, l’alinéa 13 de cet article propose de favoriser les conditions de mise en œuvre de la négociation collective en « facilitant le recours à la consultation des salariés, notamment à l’initiative de l’employeur, pour valider un accord ».

À l’image de l’ensemble du texte qui nous est soumis, cette proposition nous semble pour le moins floue. Selon nous, toute consultation devrait au minimum respecter certaines règles.

Tout d’abord, en matière d’information : les tenants et les aboutissants de l’accord doivent être notifiés clairement et de manière intelligible.

Ensuite, le périmètre de cette consultation doit être raisonnable et réfléchi. En effet, pour qu’une consultation soit juste, elle doit faire appel à l’avis des employés mêmes qu’elle concerne. Si un accord impose, par exemple, le travail de nuit aux ouvriers d’une entreprise, les cadres de cette même entreprise non concernés par la mesure ne peuvent être invités à s’exprimer sur cet accord. Cela relève du bon sens, mais mérite d’être précisé, afin d’éviter tout détournement du processus.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il s’agit là d’un amendement de repli par rapport à l’amendement précédent, mais, comme les mots ont un sens, alors que le Gouvernement s’octroie déjà de larges pouvoirs dans la rédaction des ordonnances, essayons d’encadrer autant que possible les larges dispositions proposées, en remplaçant le terme « facilitant » par « encadrant ».

Mme la présidente. L’amendement n° 191, présenté par M. Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Costes, MM. Arnell, Bertrand, Castelli et Collombat, Mme Malherbe et M. Collin, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Supprimer les mots :

, notamment à l’initiative de l’employeur,

La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Le présent amendement procède de la même logique que notre amendement précédent, l’amendement n° 190, que je n’ai pas eu la chance de pouvoir défendre.

Il s’agit de maintenir la présence syndicale au sein des petites entreprises. La commission des affaires sociales a souhaité permettre à l’employeur d’organiser un référendum pour valider un projet d’accord afin de surmonter l’opposition des syndicats majoritaires. Cet amendement, qui se justifie par son texte même, vise à supprimer cette possibilité.

Mme la présidente. L’amendement n° 185 rectifié bis, présenté par MM. Assouline, Cabanel et Durain, Mmes Guillemot et Lepage, M. Roger, Mmes Monier et Blondin et M. M. Bourquin, est ainsi libellé :

Alinéa 13

Compléter cet alinéa par les mots :

, dans le cadre des dispositions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 2232-12 du code du travail

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Cet amendement vise un sujet dont nous avons eu l’occasion de débattre l’an dernier. En effet, depuis la loi El Khomri, un accord peut être validé par seulement 30 % des organisations syndicales s’il est approuvé par référendum, c’est-à-dire même si 70 % des organisations syndicales et 49 % des salariés y sont opposés.

Pourtant, l’alinéa dont je propose la modification semble réviser ce mode de fonctionnement, avec une formulation particulièrement vague laissant craindre – on l’évoque même ouvertement –, que la procédure de consultation des salariés puisse être déclenchée sur la seule initiative de l’employeur.

Cela paraît d’autant plus regrettable que le Gouvernement doit rendre au Parlement un rapport d’évaluation sur l’application des nouvelles règles de majorité relatives aux accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés, ainsi qu’aux accords de préservation ou de développement de l’emploi. Sans attendre, on légifère à nouveau ! Une méthode permettant de renforcer le dialogue social consisterait à attendre ce rapport, ce qui nous permettrait d’évaluer utilement l’opportunité de généraliser, par un acte législatif, de nouvelles règles de validité pour l’ensemble des accords collectifs.

En effet, il faut le rappeler, le risque de court-circuiter les organisations syndicales existe, des exemples récents ayant montré que le recours au référendum d’entreprise est trop souvent utilisé comme un outil de contournement des syndicats.

M. David Assouline. S’il existe des blocages, ce n’est pas par défiance envers le dirigeant d’entreprise, mais parce que les solutions proposées ne conviennent pas à plus de 50 % des salariés et à plus de 30 % des organisations syndicales.

Ce sont bien ces seuils qui garantissent que les syndicats représentants et élus du personnel peuvent jouer leur rôle au sein de l’entreprise. Ils apportent une garantie au maintien des corps intermédiaires dont, pourtant, l’article 2 du présent texte loue l’utilité – vous indiquiez vous-même, madame la ministre, que l’objectif de ce projet de loi était d’encourager à la confiance au travers de ce que vous avez appelé la culture de la négociation.

Cet alinéa témoigne d’une défiance envers les organisations syndicales et laisse la porte ouverte à l’arbitraire d’un chef d’entreprise…

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.

M. David Assouline. … qui déciderait d’imposer ses choix par référendum, avec le rapport de force que cela implique vis-à-vis du salarié.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. En ce qui concerne les amendements identiques nos 27 rectifié et 96, contrairement à ce que pensent nombre de nos collègues, il est déjà possible pour un employeur d’organiser un référendum en vue d’entériner un accord, par exemple en matière d’intéressement et de participation – sur le fondement des articles L. 3312-5 et L. 3322-6 du code du travail – ou de dérogation préfectorale au repos dominical – sur le fondement de l’article L. 3132-25-3 du même code.

Le Gouvernement a la volonté de développer les référendums décisionnels. Nous partageons cette ambition et avons seulement rappelé que ces référendums doivent aussi pouvoir être déclenchés par l’employeur et non seulement par les syndicats, par parallélisme des formes. Je l’avais dit en commission, nous avons précisé « notamment à l’initiative de l’employeur » et non « exclusivement à l’initiative de l’employeur ». Les deux sont donc possibles.

J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Pour ce qui concerne l’amendement n° 97, je crois qu’il ne faut pas, mon cher collègue, être méfiant à l’excès à l’égard des outils de démocratie directe, qu’il s’agisse de la démocratie politique ou de la démocratie sociale. (M. Jean Desessard s’exclame.) Vouloir développer un peu le référendum décisionnel dans les entreprises n’est pas incompatible avec le dialogue avec les syndicats. Le dialogue social peut avoir plusieurs facettes, sans créer de monopoles d’aucune sorte.

Cet amendement vise à encadrer, plutôt qu’à faciliter, le développement des consultations des salariés. Les auteurs de cet amendement sont donc à l’opposé de la philosophie du Gouvernement et de la commission sur ce point, c’est pourquoi celle-ci a émis un avis défavorable sur cet amendement.

L’amendement n° 191 n’est pas acceptable, car il tend précisément à revenir sur les travaux de la commission des affaires sociales.

Je tiens à préciser un point : la commission et moi-même sommes opposés à la généralisation des accords majoritaires, mais si celle-ci doit être maintenue, il convient de donner à l’employeur, et non seulement aux syndicats minoritaires, la possibilité d’organiser un référendum pour faire valider un accord. C’est une question d’équité entre employeur et syndicats dans l’entreprise.

Enfin, en ce qui concerne l’amendement n° 185 rectifié bis, la commission des affaires sociales a adopté la semaine dernière un amendement visant à supprimer l’accélération de la généralisation de l’accord majoritaire. Je ne souhaite donc pas faire référence, dans la loi d’habilitation, à l’article L. 2232-12 du code du travail, qui consacre justement cet accord majoritaire, généralisé à partir de 2019. Ce serait envoyer un signal contradictoire de la part du Sénat.

La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Sur les amendements identiques nos 27 rectifié et 96, nous émettons un avis défavorable.

Je veux revenir un instant sur nos intentions dans ce domaine. Ces amendements identiques tendent à supprimer un alinéa qui couvre deux sujets. Il s’agit d’abord de la consultation des salariés visant à valider un accord recueillant l’approbation d’au moins 30 % des syndicats, pour toute taille d’entreprise.

Cette disposition existe déjà (Mme Anne Émery-Dumas opine.), puisque, je le rappelle, quand la loi parle d’accord majoritaire, cela désigne soit un accord recueillant l’approbation d’au moins 50 % des syndicats, soit un accord recueillant l’approbation d’au moins 30 % des organisations syndicales et d’au moins 50 % des salariés consultés par référendum. Cette disposition figure déjà dans la loi, il n’y a pas de raison de la supprimer et elle s’applique peu à peu. Nous verrons tout à l’heure ce qui touche à l’accélération, mais, sur le fond, il n’y a pas de modification profonde à apporter.

Ces amendements identiques visent ensuite à supprimer la faculté de consultation par référendum pour valider un accord dans les petites entreprises. Or cela est déjà utilisé ; par exemple, bien des accords d’intéressement et participation existent grâce à cela, dans des entreprises n’ayant pas de délégués syndicaux.

Là où je pense que nous serons tous d’accord, c’est pour dire que le référendum ne doit pas devenir un outil permanent de gestion courante et encore moins un contournement des organisations syndicales ; il n’y a en tout cas aucune ambiguïté de notre part à ce sujet.

Néanmoins, en complément, que ce soit d’ailleurs sur l’initiative de syndicats qui représentent 30 % ou 35 % des voix – ils aiment bien voir leur position confortée par un référendum – ou dans d’autres situations, pour les entreprises de petite taille, voire de très petite taille, nous voulons laisser cette possibilité ouverte, dans le respect, bien sûr, des règles fixées par l’OIT et par la convention de Genève. C’est ce calibrage fin que nous sommes en train de ciseler avec les partenaires sociaux.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’en faire un outil permanent de gestion ; toutefois, l’expérience prouve que, avec ce qui est déjà possible sur le fondement du code du travail, cela permet tout de même d’encourager ou de conforter une dynamique de négociation. (Mme Annie David s’exclame.) C’est donc un bon outil que nous souhaitons pouvoir étendre.

Notre avis est également défavorable sur l’amendement n° 97. Effectivement, je pense que le changement sémantique n’apporte pas grand-chose.

Nous estimons par ailleurs que l’amendement n° 191 est déjà couvert par les autres sujets discutés. Nous proposons donc le retrait de cet amendement, dont nous ne voyons pas l’apport.

Enfin, j’ai le même avis défavorable que M. le rapporteur sur l’amendement n° 185 rectifié bis.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 27 rectifié et 96.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote sur l’amendement n° 97.

M. Dominique Watrin. Je veux simplement dialoguer avec M. le rapporteur, dont je respecte tout à fait le point de vue. Il affiche là son soutien à la logique d’ensemble du texte (M. le rapporteur opine.) ; ce n’est d’ailleurs pas une surprise, tant c’est clair depuis le début.

Simplement, lorsqu’il affirme que nous ne faisons pas confiance au dialogue social, cela me semble un peu exagéré.

M. Alain Milon, rapporteur. Ce n’était pas très gentil, je le concède.

M. Dominique Watrin. En effet, on peut discuter du référendum organisé dans une entreprise ; ce n’est pas si simple.

Je veux prendre l’exemple de la société Smart, qui est emblématique. On y a demandé aux salariés s’ils voulaient travailler plus sans gagner plus, pour aller vite, ou plutôt sans gagner tout ce qu’ils pourraient revendiquer. C’est dans ce contexte de chantage à l’emploi, soyons clairs, qu’il y a eu un vote des salariés.

Ce contexte pose déjà en soi un problème. Par ailleurs, on a remarqué que les ouvriers concernés par l’augmentation du nombre d’heures de travail à la chaîne ont voté contre, mais que le périmètre de ce référendum incluait des cadres qui, eux, ont voté pour. Finalement, l’ensemble a donné, de justesse, un résultat positif à cette consultation et le référendum a permis de valider la demande de la direction.

Je pense donc que ce n’est pas faire preuve de méfiance vis-à-vis du dialogue social que de demander que les référendums soient encadrés ; les points que j’ai soulevés dans mon intervention visaient précisément cet exemple. Ainsi, je regrette que le verbe « faciliter » laisse trop de pouvoir à l’employeur pour faire passer, dans un contexte de chômage massif, des reculs sociaux.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 97.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 191.

M. Guillaume Arnell. Je le retire, madame la présidente !

Mme la présidente. L’amendement n° 191 est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 185 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 243, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

c) Modifiant les modalités d’appréciation du caractère majoritaire des accords ainsi que le calendrier et les modalités de généralisation de ce caractère majoritaire ;

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit, au travers de cet amendement, de rétablir l’alinéa concernant l’accélération de la généralisation de l’accord majoritaire, qu’une loi précédente avait prévue.

Toute l’économie de la loi d’habilitation vise à renforcer le dialogue social. Il est donc assez logique d’accélérer, en même temps, la mise en œuvre de l’accord majoritaire dans l’entreprise, c’est-à-dire de l’accord signé, je le rappelle, par 50 % des syndicats ou par 30 % des syndicats et approuvé par référendum. En effet, comme on donne plus de grain à moudre, plus de possibilité de négociation à l’entreprise, en contrepartie, il faut accélérer le calendrier sur l’accord majoritaire.

Tel est le sens de cet amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 201 rectifié, présenté par Mme Lamure, MM. G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault et Delattre, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Joyandet, Karoutchi, Kennel, Laménie, Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Retailleau, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 14

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…) Supprimant la généralisation des accords majoritaires pour rétablir la signature des accords par les organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel ;

La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. En commission, M. le rapporteur a supprimé l’habilitation créée par le projet de loi visant à accélérer la généralisation des accords majoritaires.

Dans le même esprit, le présent amendement vise à supprimer la généralisation elle-même des accords majoritaires, qui risque de bloquer le dialogue social. C’est ce que précise l’alinéa à insérer.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Au travers de l’amendement n° 243, le Gouvernement souhaite accélérer la généralisation de l’accord majoritaire. Or, l’an dernier, le Sénat s’était opposé, madame la ministre, aux accords majoritaires qui seront généralisés en 2019. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Personne ne connaît, madame Bricq, la typologie actuelle des accords, y compris au ministère. On ne sait pas s’ils sont approuvés à 60 %, à 55 %, à 70 % ou à 80 %. (Mmes Annie David et Laurence Cohen s’exclament.) Personne ne le sait. On risque donc d’empêcher la conclusion d’accords exigeant la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50 % des suffrages. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Quant à l’amendement n° 201 rectifié, il s’agit du pendant des travaux de notre commission de la semaine dernière, Mme Lamure l’a dit. Nous nous sommes opposés à l’accélération de la généralisation des accords majoritaires en supprimant l’habilitation demandée par le Gouvernement.

Cet amendement en tire les conséquences en tendant à rétablir les règles de validité des accords antérieures à la loi Travail et en remplaçant l’obligation de recueillir 50 % des suffrages par celle de recueillir une approbation de 30 %. La commission a émis un avis de sagesse sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 201 rectifié ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Logiquement, mon avis est défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. L’amendement du Gouvernement me semble important. Il s’agit tout de même de rappeler une règle de base (Protestations sur les travées du groupe CRC.), que l’on a développée pendant l’examen de la loi dite « El Khomri ». M. le rapporteur a l’honnêteté de nous dire qu’il était déjà contre, il maintient donc sa position. Je pense toutefois que l’on peut aussi changer d’avis en fonction de l’évolution des concertations.

Franchement, soyez bien conscients, mes chers collègues, qu’il est très difficile de ne plus parler de l’accord majoritaire, dans la mesure où il s’agit d’une revendication portée par certaines organisations syndicales, notamment par les réformistes. (Mme Laurence Cohen s’esclaffe.)

Nous en avons parlé pendant des jours et des nuits lors de l’examen de la loi El Khomri, c’est la contrepartie évidente de certaines avancées réalisées par les organisations syndicales et qui vont plutôt dans le sens d’une conciliation avec l’autre partenaire social. Si vous ne l’acceptez pas, mes chers collègues, il deviendra difficile pour le Gouvernement de trouver une voie de passage. L’Assemblée nationale reviendra, je l’espère, aux accords majoritaires, mais, j’y insiste, il ne s’agit pas d’un problème d’appréciation.

Monsieur le rapporteur, vous indiquez que l’on ne sait pas si les accords seront approuvés à 50 %, à 30 % ou à 40 % et que l’on n’a pas le recul nécessaire, mais il est tout de même basique de considérer qu’il vaut mieux que ce soit majoritaire, sans quoi les salariés seront vraiment lésés.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je veux juste expliquer le sens de notre vote, et je pense que Mme la ministre ne nous en voudra pas, même si elle fait preuve de beaucoup de pédagogie dans ses explications et ses argumentaires. (Mmes Laurence Cohen et Évelyne Rivollier s’esclaffent.)

Il ne s’agit pas d’un débat nouveau, pour nous. Nous avions adopté, sur ces questions-là, des positions très précises ; M. le rapporteur l’a rappelé et il vient, encore une fois, de les exposer.

Dans la proposition initiale du Gouvernement, qui n’a pas, me semble-t-il, été amendée par l’Assemblée nationale, le projet de loi d’habilitation prévoyait, pour préciser cette question, que l’ordonnance modifierait tant les modalités d’appréciation que le calendrier de la généralisation. Dans un second temps, la commission des affaires sociales a adopté un amendement de suppression de cette disposition.

Le groupe Les Républicains tire tout simplement les conséquences de ce que nous avons dit pendant la discussion de la loi El Khomri et de ce qu’a fait la commission des affaires sociales en supprimant cette généralisation.

Mme Nicole Bricq. On peut changer d’avis…

M. Bruno Retailleau. Pourquoi faisons-nous ce choix ? Ce n’est pas du tout parce que nous serions opposés au dialogue social ; au contraire, nous pensons justement que la précipitation, c'est-à-dire l’accélération de cette généralisation du passage de 30 % à 50 %, que cela concerne la durée du travail, le repos ou les congés, va bloquer, dans certaines entreprises, le dialogue social. C’est cela qui nous fait peur, en réalité.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle – j’imagine, puisque je n’y siège pas moi-même – la commission des affaires sociales avait fait cette proposition. Et c’est en tout cas la raison pour laquelle nous avons présenté l’amendement défendu à l’instant par Élisabeth Lamure.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas l’amendement du Gouvernement, mais soutiendrons l’amendement qu’Élisabeth Lamure a présenté.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 243.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 201 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 240, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 15

Remplacer le mot :

Facilitant

par les mots :

Fixant à vingt-quatre mois les délais mentionnés aux IV et V de l’article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels relatifs à

La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Il s’agit également d’un amendement de cohérence ; puisse-t-il avoir plus de chance que le précédent.

Dès lors que nous renforçons le pouvoir de négociation dans les branches, comme nous l’avons fait précédemment pour les entreprises, il nous paraît logique d’en accélérer aussi le processus de restructuration.

Je rappelle qu’il existait 750 branches, qu’il y en a actuellement 650 et que nous visons un total d’environ 200 branches. Il y en a encore beaucoup qui n’ont pas négocié depuis 5 ans, 7 ans, voire 10 ans, qui n’ont donc aucune activité conventionnelle ou qui sont de très petite taille. Nombre de branches ont entamé les discussions ; pour d’autres, c’est plus long à démarrer, voire c’est inexistant. Il nous semble donc cohérent, dès lors que l’on dit qu’il y a plus de matière à négocier dans la branche, que l’on accélère cette restructuration.

Nous proposons de fixer le délai de cette restructuration à 24 mois. Je rappelle que ce délai court à partir de la promulgation de la loi du 8 août 2016, ce qui nous amène au mois d’août 2018, dans un an.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement tend à réduire à 24 mois le délai pour la restructuration des branches professionnelles. Il s’agit d’un compromis entre le droit en vigueur – 36 mois – et la version adoptée par l’Assemblée nationale – 18 mois.

J’ajoute, madame la ministre, que notre rédaction ne se focalisait pas sur le calendrier de la restructuration ; elle donnait la possibilité au Gouvernement de modifier les règles d’opposition des partenaires sociaux à un projet de fusion.

Après avoir analysé votre amendement, la commission a émis un avis de sagesse positive.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 240.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 99 est présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 186 rectifié bis est présenté par MM. Assouline, Cabanel, Courteau et Durain, Mme Jourda, MM. Labazée et Roger, Mmes Guillemot et Blondin, MM. Leconte et M. Bourquin et Mme Lepage.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Annie David, pour présenter l’amendement n° 99.

Mme Annie David. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 16, qui prévoit de supprimer l’article 1er de la loi El Khomri, censé refonder la partie législative du code du travail.

La suppression de la commission de refondation du code du travail démontre le refus de refonder celui-ci dans un sens d’amélioration des droits et de simplification des règles, au profit d’une méthode visant à supprimer les protections collectives des salariés.

Comme vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues, la création de cette commission avait fait ici même l’objet de longues discussions. Nous avions obtenu que les organisations syndicales soient consultées.

En décidant de supprimer cette commission, madame la ministre, vous montrez finalement, vous qui prétendiez être une praticienne du droit devant la commission des affaires sociales, que vous vous êtes transformée en experte et que vous vous passeriez volontiers des praticiens que sont les organisations syndicales…

C'est la raison pour laquelle nous nous opposons à la suppression de cet article, peut-être l’un des seuls de la « loi El Khomri » que nous avions soutenus.

Mme Laurence Cohen. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 186 rectifié bis.

M. David Assouline. Comme l’a fort justement déclaré ma collègue, on nous sert souvent comme argument, pour toucher au code au travail, que celui-ci est très volumineux, qu’il est le fruit d’un empilement de droits obtenus à l’issue de luttes sociales de plusieurs décennies, qu’il peut parfois devenir difficilement lisible pour ceux qui doivent l’utiliser pour se défendre, qu’il se résume à de la paperasserie incompréhensible, etc.

Ce qui est paradoxal, madame la ministre, c’est que vous voulez supprimer, au détour d’un alinéa, ce qui a été intégré à la loi El Khomri comme méthode pour réécrire le code du travail de manière simplifiée, avec un ordonnancement et un chapitrage qui permettent la clarté.

Je rappelle que cette méthode de réécriture claire et rigoureuse, devant permettre d’améliorer l’articulation entre les niveaux de négociations sans jamais remettre en cause les principes fondamentaux garantis par notre code du travail, avait été arrêtée à l’issue d’un très large débat, notamment dans cet hémicycle.

À l’Assemblée nationale, vous avez rappelé que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel seraient saisis. Or le Conseil constitutionnel ne vérifiera pas que la comptabilité entre les lois d’habilitation et de validation et le texte de l’ordonnance ! Vous devrez saisir le Conseil d'État, mais celui-ci ne rendra qu’un avis et, une fois la validation votée, il ne pourra plus juger des mesures qui se trouvent dans l’ordonnance, la loi faisant écran.

Cette commission remodelée aurait pu apporter des garanties supplémentaires, dont cet alinéa nous prive. C’est d'autant plus regrettable que la vocation de votre réforme est de changer en profondeur un droit qui est essentiel à la vie des salariés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Je comprends parfaitement les observations des auteurs de ces deux amendements de suppression de l’alinéa 16.

Le Gouvernement nous assure qu’il sera en mesure de publier rapidement l’ordonnance pour clarifier l’articulation entre les accords de branche et les accords d’entreprise et remplir ainsi les objectifs de la feuille de route fixée par la commission de refondation.

J’avoue avoir été longtemps perplexe, madame la ministre, car le rapport Combrexelle prévoyait qu’il faudrait quatre ans pour refondre le code du travail. Cependant, nous vous faisons confiance. Nous espérons que vous pourrez honorer vos engagements.

Dans ces conditions, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. D’une certaine manière, la mise en place de la commission de refondation est rendue sans objet par la loi et les ordonnances qui seront prises sur son fondement. En effet, le but de cette commission était d’attribuer une place centrale à la négociation collective, en élargissant ses domaines de compétence et de son champ d’action, et de réécrire, sur cette base, toute la partie du code du travail concernée.

La loi d’habilitation et les ordonnances reposent précisément sur l’élargissement du champ de la négociation collective dans différents domaines clés qui sont concernés par la commission de la refondation. Nous allons donc en quelque sorte faire ce qui était prévu sous une autre forme, plus rapide – je crois que, pour tous ces sujets, la notion d’urgence est importante –, en concertation avec les partenaires sociaux, mais aussi en tentant compte de l’avis du Conseil d'État et de toutes les instances nécessaires. Cela fait donc partie de notre méthode.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Pour ma part, j’émets un avis favorable sur ces deux amendements. (Sourires.)

Il est parfois désagréable d’avoir eu raison trop tôt. Je revois Mme El Khomri me dire, il y a un an, dans ce même hémicycle, avec à peu près les mêmes personnes et le même débat : « Ayez confiance, monsieur Desessard, nous avons tout prévu, tout va bien se passer… »

M. Jean Desessard. Nous lui avions fait remarquer qu’elle était en train de mettre en place un cadre qui éclaterait au prochain changement politique. Nous l’avions prévenue que le prochain gouvernement s’y engouffrerait, sans respecter les prétendus garde-fous.

La loi El Khomri est un exemple bien précis de ces garde-fous qui sautent tranquillement, alors qu’on nous avait donné la garantie que l’on prendrait le temps de revenir sur ces sujets à l’issue du débat législatif.

Je suis donc quelque peu déçu d’avoir eu raison lorsque nous avons montré à Mme El Khomri qu’elle mettait la dynamite dans le code du travail et qu’il suffisait qu’un nouveau gouvernement entre en fonction et allume la mèche… J’avais pourtant soutenu le Gouvernement auquel elle appartenait. Nous aurions pu faire des choses ensemble ! Mais je ne suis pas ici pour me lamenter.

Pour ce qui concerne le présent texte, nous n’en sommes qu’au début ; l’explosion aura lieu par ordonnance. Et bien sûr, vous irez un peu plus loin, nous engageant dans une dynamique incontrôlée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

Je me souviens, chers collègues du groupe CRC, que, quand nous avons discuté de la loi El Khomri, vous aviez voté contre l’article 1er, qui créait la commission de refondation.

Or, aujourd'hui, vous votez contre la suppression de l’article 1er de la loi El Khomri, alors que vous étiez absolument opposés à cette commission d’experts.

Mme Nicole Bricq. Si ! Je me souviens très bien des échanges que nous avions eus avant l’article 2. Le débat avait eu lieu aussi à l’Assemblée nationale. Je suis donc quelque peu étonnée que vous défendiez aujourd'hui son maintien.

Aujourd'hui, la méthode n’est pas du tout la même. Je ferai tout de même remarquer que le précédent gouvernement n’a explicitement pas voulu mettre en place cette commission avant les élections du printemps. Il faudrait peut-être se demander pourquoi !

Quant à l’argument qui touche à la compréhension du code du travail, lorsque Mme la ministre a été entendue par la commission, elle a pris l’engagement de réaliser un code du travail numérique qui serait rédigé dans le langage courant, de manière qu’il soit compréhensible par tout le monde, y compris par les parlementaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je veux répéter que, dans cette commission, la seule chose qui était intéressante était la possibilité de consulter les organisations syndicales. Il avait d'ailleurs fallu batailler pour l’obtenir, parce que cela ne figurait pas dans le texte initial.

Nous avions finalement obtenu que les organisations syndicales soient sinon complètement intégrées dans cette commission d’experts, du moins consultées.

Mme Nicole Bricq. Nous ne faisons que ça !

Mme Annie David. Sauf que, là, vous supprimez purement et simplement cette commission.

Oui, madame la ministre, les organisations syndicales sont reçues par le ministère, mais on ne peut pas dire qu’elles sont consultées ! Je ne suis pas certaine qu’elles soient entendues, et encore moins qu’elles soient réellement écoutées.

D'ailleurs, il en va de même pour nous dans cet hémicycle : nous sommes entendus – encore qu’il y ait parfois trop de brouhaha pour que nous le soyons… –, mais, pour que nos propos soient pris en considération, c’est une autre paire de manches ! Toutefois, tel n’est pas le débat de ce soir.

Pour ce qui concerne la commission, les organisations syndicales étaient associées à la réflexion et consultées par ces experts, ce qui leur permettait de donner leur point de vue sur la refondation du code du travail.

Quand Mme Pénicaud est venue devant nous dans le cadre de la mission dont Jean-Pierre Godefroy était le président, elle était encore DRH de Danone. Elle était accompagnée de M. Lachmann ; M. Larose n’avait pas pu venir et s’était excusé.

Vous nous aviez alors bien dit, madame la ministre, que vous parliez en tant que praticienne du droit du travail. À ce titre, vous nous aviez d'ailleurs dit des choses très intéressantes.

Le défaut d’une commission d’experts, c’est justement que ses membres ne sont pas forcément des praticiens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Ce débat est extrêmement important. Si nous insistons sur des points qui peuvent paraître redondants à certains membres de cet hémicycle, je crois tout de même que l’intervention de Mme Bricq ne peut pas nous laisser indifférents.

Chère collègue, nous sommes en désaccord profond avec ce que vous défendez. Il ne faut pas prendre les citoyens ni les parlementaires pour des imbéciles.

Dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, il ne s’agit pas, pour le Gouvernement et pour la ministre qui le représente sur ce banc, de traduire le code du travail en langage que tout le monde peut comprendre. Je trouve cette argumentation inadmissible. En effet, il s’agit d’une refonte complète du droit du travail, par laquelle vous êtes en train de revenir sur les protections des salariés.

Assumez-le, défendez-le, mais ne nous racontez pas de balivernes. Il ne s’agit pas de traduire le code du travail pour des gens trop simplets pour le comprendre. Il s'agit de revenir sur les dispositions de celui-ci, avec des reculs extrêmement importants pour l’ensemble des salariés !

Que chacun assume ses positions ! La clarté est préférable aux élucubrations.

Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. La situation est complexe. Ces amendements ne sont pas dénués de légitimité. On peut comprendre les attentes de leurs auteurs.

L’attachement aux droits des représentants des salariés est naturel. Tout le monde ici respecte et défend les salariés.

M. Marc Laménie. Cependant, les droits vont de pair avec les devoirs.

Pour ce qui concerne la commission dont il est ici question, il faut garder les pieds sur terre. Je salue M. le rapporteur et Mme la ministre, qui font preuve de beaucoup de pédagogie.

Il faut procéder aux simplifications nécessaires. Il y va de la lisibilité et de la bonne compréhension du droit. Dès lors, je suivrai l’avis de la commission. (M. Loïc Hervé applaudit.)

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 99 et 186 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L'amendement n° 67 rectifié bis, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat, Gruny et Joissains et MM. Capo-Canellas, Chasseing, D. Dubois, Kern, Longeot, Vanlerenberghe et Mouiller, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

…° De supprimer l’instance de dialogue du réseau de franchise instituée par l’article 64 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 précitée.

La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Je vais essayer de donner raison au raisonnement de M. Desessard… En effet, cet amendement vise lui aussi à revenir sur une disposition de la loi El Khomri, dont le décret d’application a d'ailleurs été pris très tardivement, le 4 mai dernier, lors du passage de la « voiture-balai », en quelque sorte.

Il s’agit de supprimer l’instance de dialogue du réseau de franchise instituée par cette loi. Je rappelle que le Sénat avait voté contre ce dispositif, introduit dans la loi non sur l’initiative du Gouvernement, mais par voie d’amendement à l’Assemblée nationale.

Il n'y a aucun lien de subordination entre le franchiseur et les salariés des franchisés. Les franchisés disposent eux-mêmes de leurs propres structures, très diverses sur le plan de l’activité professionnelle ou de la taille. La franchise, c’est, je le rappelle, aussi bien le magasin de mode que le supermarché ou le garage automobile. Compte tenu de la déconnexion complète entre les partenaires, il n'y a pas lieu de créer une telle instance de dialogue.

D'ailleurs, j’aimerais bien savoir quel serait, aujourd'hui, sur ce sujet, l’avis de l’Assemblée nationale, dont le profil me semble un peu plus entrepreneurial qu’hier…

Au demeurant, je sais que les dispositions de mon amendement posent un problème de constitutionnalité. S’il ne s’agit que d’un problème de forme, je ne suis pas opposé à ce que l’on déplace le dispositif proposé à un autre endroit du texte, en article additionnel, si cela permet de le maintenir dans le texte du Sénat.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Selon la commission, cet amendement est manifestement contraire à l’article 38 de la Constitution, qui interdit aux amendements parlementaires de créer une habilitation à légiférer par ordonnance.

Je partage néanmoins le souci de notre collègue Jean-Marc Gabouty de supprimer cette instance, conformément à la position exprimée l’an dernier par le Sénat, lors de l’examen de la loi Travail.

Mme la ministre pourra peut-être nous dresser le bilan de la mise en place de cette instance et des difficultés rencontrées.

Pour ce qui est de l’amendement à proprement parler, du fait de son inconstitutionnalité, la commission avait émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Sur le plan juridique, je suis d’accord avec M. le rapporteur.

Je veux simplement ajouter que, à notre connaissance, aucune instance de ce type n’a encore été mise en place depuis le décret que vous avez évoqué, et qui est en effet récent puisqu’il date du 4 mai dernier.

Je dirais qu’il est urgent d’attendre, c'est-à-dire de voir si les partenaires réclament réellement cette instance et de suivre avec attention ce dossier. Il n’y a pas d’urgence extrême sur ce sujet, l’instance n’étant pas opérationnelle pour le moment et n’étant saisie par personne.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Gabouty, l'amendement n° 67 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Jean-Marc Gabouty. Oui, je maintiens cet amendement, madame la présidente, c’est un test de simplification : puisque, de toute évidence, l’instance de dialogue social n’est pas opérationnelle et n’est réclamée par personne, autant la supprimer !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je veux faire une brève suggestion à l’auteur de l’amendement : cher collègue, si vous voulez légiférer sur un point du code du travail qui ne figure pas, aujourd'hui, dans l’habilitation, vous pourrez le faire lors de l’examen du projet de loi de ratification dans quelques mois. Vous feriez mieux de garder votre amendement pour ce rendez-vous.

M. Jean Desessard. Ou pour le prochain gouvernement, dans cinq ans… (Sourires.)

Mme la présidente. Qu’en est-il de cet amendement, monsieur le rapporteur ?

M. Alain Milon, rapporteur. J’invoque l’irrecevabilité, madame la présidente.

Mme la présidente. Je consulte le Sénat sur cette exception d’irrecevabilité.

(L’exception d’irrecevabilité est adoptée.)

Mme la présidente. L’amendement n° 67 rectifié bis est irrecevable.

L'amendement n° 138 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – L’article L. 3231-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er janvier 2018, le montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l’indexation prévue au présent article ne peut être inférieur à 1 800 euros bruts mensuels. »

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Cet amendement vise à revaloriser le SMIC brut à 1 800 euros à compter du 1er janvier 2018, soit un peu moins de 1 400 euros nets mensuels. Un quart des Français gagnent moins que cette somme chaque mois.

Depuis des années, les gouvernements successifs nous annoncent systématiquement un coup de pouce du SMIC. Toutefois, que change un coup de pouce pour les intéressés quand on sait que, depuis une dizaine d’années, la hausse annuelle moyenne a été d’environ dix centimes ?

Cependant, les rémunérations moyennes des responsables exécutifs des entreprises du CAC 40 sont passées, elles, de plus de 3 millions d’euros à presque 5 millions d’euros en 2015, soit une hausse de 63 % en six ans.

La quasi-stagnation des salaires limite la demande, donc la production de biens manufacturés et de services. Ce mécanisme entretient en fait une spirale déflationniste, une course aux prix bas dangereuse pour les emplois, les conditions de travail et l’environnement.

C’est pourquoi il nous semble que la question de la rémunération du travail doit être au cœur de nos travaux, sur ce texte comme sur d’autres. Tel est le sens de cet amendement d’appel.

Mme la ministre a dit hier qu’il fallait s’attaquer à tous les problèmes en même temps. Les très bas salaires en sont un ! Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement n’a bien évidemment pas de lien direct avec l’objet du texte. (M. Dominique Watrin le concède.)

Cependant, ses dispositions présentent tout de même un petit lien indirect avec lui, puisque, fort intelligemment, nos collègues l’ont relié à l’article L. 3231-4 du code du travail. Nous sommes donc obligés de nous exprimer sur le sujet !

Mon cher collègue, l’évolution du SMIC doit découler d’une analyse économique complexe, car la hausse du pouvoir d’achat de certains travailleurs entraîne comme effet pervers des trappes à pauvreté. Certaines personnes restent au chômage, car leur productivité n’est plus suffisante pour un salaire donné.

Conservons les règles actuelles d’indexation du SMIC pour l’instant. La loi d’habilitation touche déjà énormément de sujets… N’en ajoutons pas !

L’avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Vous proposez une revalorisation du SMIC mensuel.

Outre que ce point est hors champ du projet de loi, je souhaite rappeler que les mécanismes de revalorisation existent dans le code du travail. Ils sont prévus après consultation des organisations syndicales et professionnelles. Je ne puis donc qu’être défavorable à cet amendement. Ce n’est pas le bon lieu ni la bonne méthode.

En revanche, je rappelle ce que j’ai dit hier, à savoir que la suppression des cotisations d’assurance chômage pour les cotisations salariales au 1er janvier prochain entraînera une augmentation du pouvoir d’achat de 2,4 % pour tous les salariés, y compris, bien entendu, pour ceux qui touchent le SMIC.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Madame la ministre, je suis favorable à cet amendement de revalorisation du SMIC.

Vous nous avez fourni un argument supplémentaire en ce sens. En effet, cela contribuerait à compenser la baisse de cinq euros de l’aide personnalisée au logement, l’APL, pour les plus modestes ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. J’ai entendu notre rapporteur dire que la hausse du SMIC crée des trappes à pauvreté.

Je vais vous livrer un scoop, mes chers collègues : la France est la championne d’Europe des dividendes versés aux actionnaires. (Tout à fait ! sur les travées du groupe CRC.) Tenez-vous bien : 35 milliards d’euros ont été distribués par les grandes entreprises au deuxième trimestre 2016, soit une hausse de 11 % sur un an.

Je reconnais que j’ai cité de manière erronée une étude de la délégation aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure ; quand on commet des erreurs, il faut le reconnaître. En réalité, selon cette étude, un dirigeant de PME sur trois identifie le risque financier, notamment l’accès au crédit et les délais de paiement, comme son principal problème. Pour les PME-TPE, les autres problèmes me semblent tenir à la réputation de l’entreprise, à la qualité des produits et au non-respect des réglementations.

J’ai l’impression que, depuis un certain temps, il y a deux poids deux mesures. Quand on parle de hausse du SMIC, on nous répond : « Attention, trappe à pauvreté ! » Cependant, on ne parle jamais des actionnaires, ni des 60 à 80 milliards d’euros qui quittent la France parce que des personnes ont appris à faire de l’optimisation fiscale. Jamais ce sujet n’est abordé par le Gouvernement !

Or il faudra bien l’aborder un jour, parce que c’est le mal de nos sociétés. Si l’on s’attaque à ce problème, on pourra conserver notre protection sociale, et il n’y aura plus de politique d’austérité. C’est parce que l’on est incapable d’aborder ce problème que l’on est en train de faire payer des personnes qui n’ont pas le sou, que l’on prive d’APL, et des retraités, à qui l’on inflige une ponction de pension inadmissible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, je voterai aussi cet amendement tendant à augmenter le SMIC.

Je trouve que la question du SMIC est tout à fait révélatrice des modes qui peuvent exister dans la recherche de solutions. Pendant des années et des années, on nous a seriné l’idée que le salaire minimum était un handicap à l’embauche. De nombreuses études attribuaient au SMIC la responsabilité du chômage en France.

Toutefois, récemment, un mouvement inverse s’est opéré. L’Allemagne, que l’on nous cite sans cesse en exemple, a été amenée à accepter, enfin, un salaire minimum. De fait, il y avait dans ce pays du dumping social, et la simple négociation dans l’entreprise amenait les entreprises à ne pas augmenter les salaires. On en arrivait à des systèmes extrêmement négatifs à la fois pour la vie sociale et pour la qualité du travail dans ces entreprises.

L’Allemagne a instauré un SMIC. Nous étions de vieux archaïques, mais force est de constater que l’archaïsme français du salaire minimum a été suivi.

Tony Blair, pour lequel je n’ai pas beaucoup de sympathie, avait déjà accepté de mettre progressivement en place un salaire minimum.

Aujourd’hui, les débats portent partout sur la hausse des salaires minimum. On s’est enfin rendu compte qu’il y avait un problème de demande. La fameuse « offre » est sympathique à la condition que les gens soient en mesure de consommer. À partir du moment où, à longueur de journée, prime est donnée à la baisse des salaires, on réduit les capacités de consommation et donc les débouchés de nos entreprises.

La demande européenne doit se renforcer par l’amélioration générale des salaires. On m’opposera que ce ne sera pas possible en France tant que le SMIC européen n’aura pas été instauré. Ce n’est pas exact : dans les secteurs de forte compétition internationale, en particulier dans l’industrie, ce ne sont pas les salaires qui nous plombent. Les salaires allemands, cotisations comprises, y sont plutôt supérieurs à ceux qui sont pratiqués en France. C’est dans le secteur des services, où il y a peu de concurrence, que les bas salaires pèsent le plus.

Nous avons besoin, pour la relance de notre économie, pour les carnets de commandes de nos entreprises, d’avoir une juste rémunération des salariés.

Mme la présidente. Merci, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Comme l’a souligné M. Bourquin, le rapport entre capital et travail s’est tellement détérioré qu’il est temps de le rétablir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 138 rectifié.

(L'amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :

Nombre de votants 334
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 228
Contre 105

Le Sénat a adopté.

M. Alain Néri. On progresse !

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 2 (début)

Articles additionnels après l'article 1er

Mme la présidente. L'amendement n° 100, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 3° de l’article L. 1233-3 du code du travail est abrogé.

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Au travers de cet amendement, nous revenons de nouveau sur la loi El Khomri.

Il s’agit cette fois, cher David Assouline, d’abroger l’article L. 1233-3 du code du travail qui permet d’élargir le champ du licenciement économique au refus des salariés de modifier substantiellement leur contrat dans le cadre d’une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité.

La loi El Khomri a donc autorisé un employeur à procéder à un licenciement économique dans le cas où un salarié aurait refusé le passage à un temps partiel subi ou la suppression d’une prime.

Ce périmètre bien trop large de la définition du licenciement économique a fait l’objet de fortes contestations lors des débats sur la loi El Khomri. Nous profitons du débat de ce soir pour demander l’abrogation de cette disposition. (M. Jean Desessard s’exclame.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la notion de « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » qui autorise un employeur à procéder à un licenciement pour motif économique.

Si cette notion a seulement été introduite l’an dernier dans le code du travail par la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, elle est reconnue par la Cour de cassation depuis son arrêt Vidéocolor du 5 avril 1995.

La commission émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Même avis défavorable, pour les mêmes raisons.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 100.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 180 rectifié, présenté par Mme Meunier, M. Tourenne, Mme Lienemann, M. Labazée, Mmes Jourda et Yonnet, MM. Mazuir, Duran, Montaugé, Assouline, Durain et Cabanel et Mme Monier, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le quatrième alinéa de l’article L. 2232-22 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« La validité des accords ou des avenants de révision conclus en application du présent article est soumise à l’approbation par la commission paritaire de branche. La commission paritaire de branche contrôle que l’accord collectif n’enfreint pas les dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles applicables.

« Si cette condition n’est pas remplie, l’accord est réputé non écrit. »

La parole est à Mme Michelle Meunier.

Mme Michelle Meunier. Cet amendement vise à réintroduire la validation obligatoire de la commission de validation des accords collectifs pour les accords conclus par des élus non mandatés.

Cela permettra de répondre à une double inquiétude exprimée lors de la présentation de notre amendement de suppression, à savoir, d’une part, le renforcement du rôle régulateur de la branche et, d’autre part, la remontée effective des informations de terrain au niveau de la branche.

Cet amendement s’inscrit pleinement dans ce qui est précisé dans l’exposé des motifs du projet de loi et va dans le sens de ce qui est exprimé dans ledit projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une souplesse procédurale introduite par la loi Travail.

En outre, je souhaite une refonte globale des règles de négociation dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, comme y invite l’alinéa 12 de l’article 1er tel que réécrit par la commission.

L’article L. 2232-22 du code du travail prévoit actuellement que les accords conclus par des élus du personnel non mandatés doivent seulement être transmis pour information à la commission paritaire de branche. L’accomplissement de cette formalité n’est pas un préalable au dépôt et à l’entrée en vigueur des accords.

Le Sénat plaidait depuis 2015 pour cet assouplissement, car toutes les branches n’ont pas mis en place cette commission paritaire. Et lorsqu’elles existent, ces commissions tardent à rendre leur décision, voire exercent un contrôle d’opportunité et non de légalité des accords.

L’alinéa 12 de l’article 1er, que nous venons d’adopter, doit lancer le chantier d’une refonte des règles de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux.

On ne peut, d’un côté, donner au Gouvernement une habilitation et, de l’autre, traiter directement ce sujet dans le code du travail. Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Même avis que M. le rapporteur.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 180 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 116 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2242-20 du code du travail est abrogé.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Au travers de cet amendement, nous souhaitons supprimer une disposition introduite par la première loi Travail dans ses articles 16 et 21.

En effet, l’article L. 2242-20 du code du travail, issu des débats de l’été dernier, permet l’adaptation des règles de négociation par voie d’accord d’entreprise et ainsi de déroger au droit commun défini par l’article L. 2242-1 du code du travail.

Vous le savez, nous ne sommes pas tellement favorables à ces possibilités de dérogation qui engendrent, si elles ne sont pas encadrées par le principe de faveur, une fragilisation des droits des salariés.

Ainsi, par ces dispositions nouvelles, la périodicité de l’obligation de négociation peut être modifiée pour passer d’une obligation annuelle à une obligation triennale, et ce sur tous les sujets des négociations prévues à l’article L. 2242-1 : non seulement la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, mais aussi l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes – point sur lequel je vous avais déjà alertée, madame la ministre – et la qualité de vie au travail. Il ne s’agit donc pas de sujets mineurs.

En supprimant l’article L. 2242-20, nous faisons disparaître toute possibilité de revenir, dans l’accord d’entreprise, sur la périodicité de ce type de négociations dont nous estimons qu’elles doivent se dérouler chaque année, dans l’intérêt des salariés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Cette faculté, ouverte par la loi Travail du 8 août 2016, est bien encadrée : elle suppose l’accord des partenaires sociaux dans l’entreprise et la signature d’un accord sur l’égalité professionnelle ou, à défaut, d’un plan d’action. Par ailleurs, toute organisation signataire d’un accord modifiant la périodicité de la négociation sur les salaires peut revenir sur cette décision et demander qu’elle soit engagée selon la périodicité traditionnelle.

Placé entre les mains et de l’employeur et des organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, cet outil permettra de mettre l’accent sur les problématiques essentielles qui doivent être traitées annuellement, tandis que les thématiques secondaires, ou plus consensuelles, pourront voir leur périodicité décalée.

Mais surtout, madame Cohen, cette question est déjà traitée à l’article 1er : notre commission a donné son accord à ce que les ordonnances puissent adapter la périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Même avis que M. le rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. J’ai un peu de mal à comprendre votre réponse, madame la ministre. J’ai aussi un peu de mal à comprendre celle du rapporteur, que j’aime beaucoup (Sourires.), mais qui s’en remet aux ordonnances pour un dispositif qu’il semble trouver intéressant. Je croyais pourtant qu’il était opposé aux ordonnances, comme il l’a écrit dans son rapport…

Ce que j’ai compris de leur amendement, c’est que nos collègues communistes veulent que la négociation ait lieu chaque année et non tous les trois ans. C’est net !

En revanche, je ne comprends pas votre position, madame la ministre. Vous me direz que ne pas être compris des écologistes, ce n’est pas si grave. Certes, mais ce que vous dites est contradictoire : vous réclamez davantage de dialogue social dans l’entreprise – les branches c’est bien, mais les entreprises, plus proches des gens et de leur quotidien, c’est mieux ! – et demandez que l’on accélère les choses pour passer de 36 à 24 mois. C’est donc que trois ans, c’est très long !

M. Alain Néri. Exactement !

M. Jean Desessard. Comment peut-on vouloir favoriser le dialogue dans l’entreprise et considérer que ce dernier pourra s’épanouir en ayant seulement lieu tous les trois ans ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Martial Bourquin applaudissent également.) Voilà qui me semble incohérent, madame la ministre !

Mais vous pouvez changer d’avis et, après un temps de réflexion, décider d’émettre un avis favorable sur cet amendement qui vise justement à renforcer la négociation dans l’entreprise. (M. Maurice Antiste applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. J’abonde dans le sens de Jean Desessard : quand on veut favoriser le dialogue social, on ne dit pas que les négociations, notamment celles qui portent sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou sur la rémunération, doivent être triennales.

Vous disiez, monsieur le rapporteur, que les thèmes importants vont pouvoir être débattus selon la volonté des organisations syndicales et de l’entreprise. Mais je ne suis pas certaine que les thèmes importants soient les mêmes selon que l’on se trouve du côté de l’entrepreneur ou de celui du salarié.

Si chacun lutte, in fine, pour le maintien de l’emploi, certains cherchent à maintenir un emploi de qualité sur le même territoire, quand d’autres veulent maintenir un emploi, ici ou ailleurs, qui leur rapporte un peu plus.

Nous vivons tous cette situation, mes chers collègues. Je suis persuadée que chacun d’entre vous est aux côtés des salariés quand une entreprise ferme un site dans son territoire pour en ouvrir un nouveau dans un autre pays ou même dans une autre région de France.

On ne peut tout à la fois vouloir favoriser le dialogue social dans les entreprises et déclarer que des négociations triennales sont bien suffisantes.

Au travers de cet amendement, madame la ministre, nous ne faisons que réclamer un peu de cohérence dans vos propos, comme l’a si bien souligné Jean Desessard.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard. Oh là là, qu’est-ce que je vais prendre ! (Sourires.)

M. Alain Milon, rapporteur. Je n’ai pas dit, cher collègue et ami Desessard, que j’étais contre les ordonnances. J’ai dit que le recours aux ordonnances n’était pas une procédure démocratique.

M. Alain Néri. Très bien !

M. Alain Milon, rapporteur. En revanche, il s’agit d’une procédure républicaine, que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont utilisée, je pense notamment aux lois Auroux.

Par ailleurs, je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d’une loi d’habilitation. Notre rôle consiste donc à habiliter ou non le Gouvernement à adapter la périodicité et le contenu des consultations et des négociations. Nous n’avons pas à décider que les négociations auront lieu tous les mois, tous les six mois ou tous les ans. C’est l’ordonnance qui le dira.

Nous pourrons rediscuter de ces questions dans le cadre de la loi de ratification.

M. Alain Néri. Les ordonnances, c’est votre métier, docteur Milon !

M. Alain Milon, rapporteur. J’en ai délivré beaucoup dans ma carrière, monsieur Néri. Si vous le souhaitez, je vous en fais une pour laisser parler les autres ?

Je le répète, dans le cadre d’un projet de loi d’habilitation, le Parlement n’est pas là pour écrire les ordonnances, mais pour tracer des frontières à l’action du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Ma réponse un peu courte manquait manifestement de pédagogie.

La loi Rebsamen du 17 août 2015 a mis en place la possibilité, par accord des parties et non unilatéralement, d’adapter le délai de négociation selon les sujets, avec des garde-fous. Il ne s’agit donc pas d’une nouveauté.

En deux ans, il ne semble pas que cela ait diminué les droits des salariés. Ce sont surtout les entreprises pratiquant un dialogue social renforcé qui souhaitent pouvoir traiter certains thèmes chaque année et d’autres de manière pluriannuelle, mais avec des engagements. En général, ces sujets font plutôt l’objet de plans d’action pluriannuels.

La position du Gouvernement est donc cohérente : nous faisons de nouveau confiance au dialogue social. Tout ce qui relève du supplétif demeure dans le cadre d’une négociation annuelle. Le garde-fou instauré par la loi joue donc bien son rôle.

En revanche, quand les parties s’accordent pour dire qu’un sujet peut être négocié sur deux ou trois ans, avec une mise en perspective, pourquoi pas. Il faut leur faire confiance !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. Je voudrais abonder dans le sens de Mme la ministre. On ne négocie pas mieux parce qu’on négocie beaucoup.

En Europe du Nord, modèle de dialogue social, il est fréquent que l’on revoie les accords tous les trois ans. Dans certains cas, cela donne plus de visibilité pour l’entreprise et pour les salariés. Cela fonctionne très bien.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 116 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 28 rectifié, présenté par MM. Tourenne et Jeansannetas, Mmes Féret, Génisson et Campion, MM. Daudigny, Durain, Godefroy et Labazée, Mmes Meunier, Yonnet et Jourda, MM. Assouline, Botrel, M. Bourquin, Courteau et Magner, Mme Monier, M. Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au quatrième alinéa du III de l’article L. 2254-2 du code du travail, les mots : « L’accord peut prévoir » sont remplacés par les mots : « L’accord prévoit ».

La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.

M. Jean-Louis Tourenne. Martial Bourquin a évoqué il y a quelques instants les profits scandaleux et, surtout, l’augmentation des revenus d’un certain nombre des plus riches de nos concitoyens qui n’en avaient sans doute nul besoin.

Cette situation est d’autant plus scandaleuse qu’un certain nombre d’entre eux bénéficient d’augmentations ou s’accordent des augmentations, alors que leurs entreprises sont en difficulté, certains lorsque l’entreprise commence à licencier, d’autres lorsqu’ils demandent à leurs salariés de baisser leur salaire pour essayer de sauver l’entreprise, en se gardant bien, eux, de s’appliquer les mêmes règles.

L’article L. 2254-2 du code du travail dispose que « Lorsqu'un accord d'entreprise est conclu en vue de la préservation ou du développement de l’emploi, ses stipulations se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail. […]

L’accord peut prévoir les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux autres salariés : les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l'accord ; les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d'administration et de surveillance. »

Cet amendement vise à ce que les dirigeants, les mandataires sociaux et les actionnaires des entreprises concernées fassent un effort proportionnel à ceux qui sont consentis par les salariés, ce qui est bien le moins. Cela aura un effet d’entraînement.

Nos concitoyens n’acceptent plus ces indécentes augmentations, alors que leur pouvoir d’achat est tout juste maintenu, sinon diminué.

Je souhaite donc que cet amendement soit adopté afin que ce soit désormais une obligation qui figure dans la loi.

M. Martial Bourquin. Très bien !

M. Jean Desessard. Excellent !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. J’entends bien le discours de nos collègues du groupe CRC sur les profits scandaleux. Ils peuvent en parler en toute sérénité puisque, n’ayant pas été au pouvoir depuis des années, ils n’ont pas eu l’occasion de revenir sur cette situation.

Vous, chers collègues socialistes, avez été au pouvoir de 2012 à 2017 – vous en sortez d’ailleurs avec peu de lustre et peu de réussite au niveau de la population. (M. Alain Néri s’exclame.) Les profits scandaleux existaient déjà. Ne venez pas reprocher à ceux qui sont au pouvoir depuis un mois de ne pas avoir fait ce que vous n’avez pas fait durant cinq ans ! (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et Union Centriste.)

M. Philippe Mouiller. Très bien !

M. Alain Néri. Il me semble que vous étiez au pouvoir avant nous !

M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait, mon cher collègue, mais la baisse des profits ne figurait pas dans notre programme !

Mme la présidente. Monsieur Néri, je vous en prie, un peu de sérénité.

M. Alain Milon, rapporteur. Je comprends la motivation des auteurs de cet amendement qui souhaitent s’inspirer d’un mécanisme déjà prévu pour les accords de maintien de l’emploi que nous avons évoqué voilà quelques instants.

Je voudrais toutefois souligner que les syndicats qui négocient un accord de préservation et de développement de l’emploi, ou APDE, peuvent très bien obtenir des efforts de la part des dirigeants et des actionnaires avec les règles actuelles.

Ensuite, si l’on prévoit trop de contraintes juridiques pour les APDE, ils risquent justement de connaître le même destin funeste que les accords de maintien de l’emploi, les AME.

Il convient de trouver un équilibre dans le régime juridique de l’APDE afin de donner de la souplesse à l’entreprise, sans apparaître comme un repoussoir pour les syndicats et les salariés.

Je crois que les règles actuelles sont équilibrées, restons-en là. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je n’ai rien à ajouter sur le fond.

Quant au processus, j’ai dit il y a quelques instants que nous souhaitions harmoniser les différents accords. Il me semble donc prématuré de vouloir projeter un élément d’un accord dans les autres.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. L’argumentation du rapporteur me surprend. Il nous dit que nous n’avons rien pu faire quand nous étions au pouvoir.

M. Jean Desessard. M. Macron était aussi au pouvoir !

M. Martial Bourquin. Le Président de la République a longtemps été…

M. Jean Desessard. … ministre de l’économie !

M. Martial Bourquin. J’allais le dire ! Monsieur Desessard me sert de souffleur. (Sourires.)

Tout de même, monsieur le rapporteur, nous opposer de tels arguments quand on a créé le bouclier fiscal et que l’on s’apprête à supprimer en partie l’ISF…

Mme Sophie Primas. Le rapporteur n’y est pour rien !

M. Martial Bourquin. Ne pensez-vous pas qu’il y a une certaine indécence à diminuer l’APL, à ponctionner les retraités, à mettre en place une politique complètement antisociale, alors que les inégalités sont la cause de la croissance molle ?

Bien sûr, aujourd’hui, les temps sont durs, notre continent a ses règles ; malgré tout, n’est-il pas indécent de demander des sacrifices à ceux qui ont le moins ? Alphonse Allais, certes, disait qu’« il faut prendre l’argent là où il se trouve : chez les pauvres. D’accord, ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux ! »

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Martial Bourquin. Ça rapporte plus !

M. Martial Bourquin. Là est notre désaccord fondamental, madame la ministre. C’est cette logique qu’il faut changer ! Ce projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances est fait pour que vous puissiez travailler pendant le mois d’août à des révisions terribles qui risquent de remettre en cause le code du travail, tout ça parce qu’on ne veut pas s’attaquer à l’évasion fiscale et aux vrais privilèges !

M. Bruno Retailleau. Quelle caricature !

M. Martial Bourquin. Essayons, au moins ! Ayons le courage de nous attaquer à ces privilèges ! Mais, madame la ministre, c’est précisément la raison pour laquelle vous souhaitez procéder par ordonnances : pour ne pas passer devant le Parlement et ne pas avoir le débat que nous avons aujourd’hui ! (Mmes Gisèle Jourda et Anne-Lise Dufour-Tonini applaudissent.)

Mme Nicole Bricq. Que sommes-nous en train de faire ?

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Tourenne. Je veux dire tout à fait amicalement à notre président-rapporteur qu’il nous a habitués à de meilleurs raisonnements. Il est vrai que, pendant cinq ans, aucun remède n’a été apporté à une situation qui était difficile à accepter. Mais nombreuses sont les choses qui n’ont pas été faites, que ce soit pendant les cinq ans ou pendant les dix ans qui viennent de s’écouler ! Pour autant, le fait de n’avoir pas fait nous condamne-t-il éternellement à ne faire jamais ? (Mme Françoise Gatel s’exclame.)

M. Martial Bourquin. Très bien !

M. Alain Milon, rapporteur. Certes !

M. Jean-Louis Tourenne. D’ailleurs, si nous avions réalisé tout ce qui doit l’être, que nous resterait-il à faire ? Les assemblées deviendraient inutiles ; on pourrait se contenter de gérer de façon administrative ! Nous aurons toujours des choses à faire : c’est inévitable !

S’agissant du caractère dissuasif d’une telle mesure, j’en doute un peu. Quel encouragement pour l’ensemble des salariés de savoir que tout le monde participe à l’effort nécessaire au redémarrage de l’entreprise ! C’est sans doute en partie parce que tel n’est pas le cas – les efforts ne sont pas partagés – qu’un certain nombre de nos concitoyens salariés répugnent à accepter les conditions qui leur sont proposées.

Dans le cas des accords Smart, je n’ai pas le souvenir que les actionnaires aient fait, eux, des efforts analogues à ceux que les salariés devaient consentir. Quant à Peugeot, si les salariés ont accepté de voir stagner leur pouvoir d’achat, les dirigeants, eux, n’ont fait aucun effort.

Les Français ne comprennent plus ce déséquilibre ;…

M. Roland Courteau. Bien sûr !

M. Jean-Louis Tourenne. … il nous faut donc changer cette vision des choses, en cessant de craindre en permanence le départ des entreprises. Pour un certain nombre d’entre elles, elles restent sur le territoire, pour d’autres raisons. Ce pays dont on dit tant de mal, avec ses 35 heures et ses charges sociales, reste un pays d’implantation des entreprises parmi les premiers dans le monde.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Louis Tourenne. Il faut arrêter de pleurnicher sur notre situation ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Tout va bien, alors !

Mme Sophie Primas. Oui, et il n’y a pas de chômage !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je compléterai l’intervention de mon collègue Tourenne en disant que je ne comprends pas l’argument selon lequel l’application de notre proposition aurait un effet dissuasif sur la signature d’accords.

Mes chers collègues, comme moi, vous entendez les chefs d’entreprise vous expliquer que ce qui compte pour eux, c’est l’avenir de leur entreprise. Ils seraient même, disent-ils, les seuls vrais défenseurs de l’intérêt de l’entreprise, cette préoccupation étant, poursuivent-ils, totalement absente chez les salariés. En réalité, la plupart du temps, les salariés sont bien plus menacés que les chefs d’entreprise eux-mêmes lorsque leur entreprise disparaît. (Exclamations sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

Quoi qu’il en soit, puisque ces derniers prétendent – pour une part d’entre eux, de bonne foi – que seule compte pour eux leur entreprise, la moindre des choses, lorsque l’entreprise a besoin d’efforts, est bien qu’ils en prennent leur part ! Ou alors, c’est qu’ils font passer leur intérêt personnel…

Mme Annie David. … avant celui de l’entreprise !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … au-dessus de celui de l’entreprise ! C’est légitime, mais qu’ils le disent ! Qu’ils ne s’appellent plus « représentants de l’entreprise », mais « représentants de la défense des patrons », (Nouvelles exclamations sur quelques travées du groupe Les Républicains.) ce qui n’est pas du tout la même chose !

De ce point de vue, il me semble tout à fait légitime que les dirigeants, comme les actionnaires, lorsqu’il s’agit d’assurer l’avenir de leur entreprise, de la sauver ou de la développer, prennent leur part des efforts nécessaires.

Mme Sophie Primas. Qu’est-ce que vous croyez ? C’est ce qu’ils font !

Mme Annie David. S’ils le font déjà, inscrivons-le dans la loi !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui ! S’ils font déjà des efforts, quel mal à le faire figurer dans la loi ?

Les salariés aussi font des efforts. Et, madame la ministre, vous avez inscrit dans la loi l’obligation pour eux d’accepter certains de ces efforts. Inscrivez alors dans la loi, de manière symétrique, l’obligation pour les patrons, pour les propriétaires du capital, de prendre eux aussi leur part des efforts ! C’est cela, la négociation sociale !

Vous nous parlez de confiance ? Que les patrons montrent aux salariés qu’ils peuvent avoir confiance, en faisant les mêmes efforts que ceux qu’ils leur demandent d’accepter ! (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.

M. Alain Néri. Cet article s’inscrit parfaitement dans la pratique républicaine, apanage de notre pays, telle qu’en particulier l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en fixe les termes. Il y est expressément dit, en effet, que chaque citoyen doit contribuer aux dépenses de la Nation à raison de ses capacités.

M. Bruno Retailleau. C’est l’article XIII !

M. Alain Néri. Lorsqu’il s’agit de sauver l’entreprise, il faut donc que chaque membre de l’entreprise, qu’il soit ouvrier, salarié ou actionnaire, participe en fonction de ses capacités audit sauvetage ! C’est pourquoi, en outre, l’actionnaire doit produire un effort plus important. Je ne suis pas favorable, en effet, à un effort proportionnel, mais à un effort progressif ! Il existe un impôt qui n’est pas très juste, mais qui est certainement le moins injuste : l’impôt sur le revenu, créé par Caillaux, fondé sur l’idée que chacun doit contribuer aux dépenses de la Nation par un effort non pas proportionnel mais progressif. Parce qu’il est progressif, il est progressiste !

Si j’ai bien compris, madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous souhaitez promouvoir un dialogue progressiste dans l’entreprise. Vous êtes donc avec nous pour voter cet amendement ! (Mme Gisèle Jourda applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Madame la ministre, nous vivons un moment important. Je suis désolé, mes chers collègues, mais votre amendement est timide : « L’accord peut prévoir » serait remplacé par « L’accord prévoit ». Quelle audace ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Évidemment, nos collègues de la majorité sénatoriale défendent les intérêts du patronat ; nous le savons bien. (Exclamations amusées sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Mais vous, madame la ministre ? Vous appartenez à un gouvernement dont nous voudrions connaître les objectifs. J’ai entendu M. Macron, et d’autres à sa suite, dire qu’il y a deux France : nous l’avons vu au moment des élections législatives, disait-il ; il faut les rassembler ; il est hors de question de laisser sur le carreau des gens sans emploi, abandonnés à la pauvreté, dans des territoires délaissés. Nous devons faire quelque chose, concluait-il !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et en même temps… (Sourires.)

M. Jean Desessard. Et en même temps, nous attendons des gestes en ce sens !

Madame la ministre, vous nous parlez du dialogue social dans l’entreprise, mais vous ne semblez pas gênée par l’augmentation de 11 % des versements de dividendes aux actionnaires et des plus hauts salaires ! Personnellement, je pense qu’une telle augmentation appauvrit les gens ! Les inégalités n’enrichissent ni les territoires ni la majorité de la population. Au contraire, elles aggravent leur situation ! Certains peuvent se permettre d’acheter des appartements, et beaucoup d’autres choses, facilement ; les autres ont la vie plus difficile.

M. Alain Néri. Et les APL !

M. Jean Desessard. On attendrait donc, dans le cadre du dialogue social, que l’effort soit partagé. Nous attendons, madame la ministre, que vous définissiez les objectifs sociaux de ce gouvernement. Nous n’en avons pas connaissance !

Jusqu’à maintenant, les citoyens français vous ont accordé leur confiance, sur le mode suivant : « Que les choses changent, c’est bien ; allez-y, faites ce qui n’a pas été fait et aurait dû l’être ! » Promouvoir le dialogue social au niveau de l’entreprise, pourquoi pas. Mais pour quelle raison refuser que les actionnaires, dont, je le rappelle, les dividendes ont augmenté de 11 % cette année, consentent à participer aux efforts lorsque l’entreprise va mal ? Ce refus de la contribution des plus hauts salaires me paraît quand même incompréhensible ! (M. Bruno Retailleau s’exclame.).

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 28 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 1er
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Article 2 (interruption de la discussion)

Article 2

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin de mettre en place une nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise et de favoriser les conditions d’implantation syndicale et d’exercice de responsabilités syndicales, applicables aux salariés de droit privé, en :

1° Fusionnant en une seule instance les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et en définissant les conditions de mise en place, les seuils d’effectifs à prendre en compte, la composition, les attributions et le fonctionnement de cette instance, y compris les délais d’information-consultation, la formation de ses membres, les moyens, et les modalités de contrôle de ses comptes et de choix de ses prestataires et fournisseurs, et en fixant à trois le nombre maximal de mandats électifs successifs des membres de l’instance ainsi que les conditions et modalités de recours aux expertises, notamment la sollicitation obligatoire de devis auprès de plusieurs prestataires ;

2° Déterminant les conditions dans lesquelles l’instance mentionnée au 1° exerce, sauf accord majoritaire contraire, les compétences en matière de négociation des conventions et accords de groupe, d’entreprise ou d’établissement, en disposant des moyens nécessaires à l’exercice de ces prérogatives ;

3° et 4° (Supprimés)

5° Renforçant le dialogue social par la possibilité pour le salarié d’apporter au syndicat de son choix des ressources financées en tout ou partie par l’employeur, par le renforcement de la formation des représentants des salariés, par l’encouragement à l’évolution des conditions d’exercice de responsabilités syndicales ou d’un mandat de représentation et la reconnaissance de ceux-ci dans le déroulement de carrière et les compétences acquises en raison de ces responsabilités, ainsi que par l’amélioration des outils de lutte contre les discriminations syndicales ;

6° Définissant, pour certaines entreprises dont l’effectif est inférieur à un seuil, les conditions et modalités selon lesquelles les employeurs peuvent être exonérés pour tout ou partie de leur contribution au fonds paritaire prévue à l’article L. 2135-10 du code du travail ;

7° (Supprimé)

8° Modernisant les dispositions du chapitre Ier du titre VIII du livre II de la deuxième partie du code du travail afin de favoriser le droit d’expression des salariés, notamment par le développement du recours aux outils numériques.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet article 2 est important : il prévoit la fusion des instances représentatives du personnel. Ses auteurs y vont d’ailleurs à haute dose, et même à marche forcée : le Conseil d’État lui-même note que ce projet de loi d’habilitation « ne réserve pas la possibilité qu’un accord puisse maintenir plusieurs institutions représentatives au sein de l’entreprise ». On peut négocier sur tout, sauf sur l’obligation de regrouper les instances représentatives !

Or les dispositions que nous examinons sont extrêmement dangereuses, en particulier lorsqu’on met bout à bout, d’une part, le principe du référendum, lequel peut être à l’instigation du chef d’entreprise, et, d’autre part, la réduction du champ d’action des institutions représentatives du personnel : de fait, madame la ministre, vous réduisez la capacité d’intervention du monde syndical dans l’entreprise.

Contrairement à ce qui nous est raconté, nous n’assistons pas à un renforcement de la présence des syndicats dans l’entreprise, mais plutôt à une forme de leur contournement. Les syndicats connaissent une double pression : d’un côté, moins de représentants ; de l’autre, en cas de mécontentement affiché de leur part, la menace d’un référendum organisé dans l’entreprise.

La philosophie de votre proposition, madame la ministre, me semble donc extrêmement dangereuse ; il s’agit d’une véritable marche arrière : c’est seulement à partir de 1981 que la question de la négociation et de la présence syndicale dans l’entreprise a été inscrite dans la loi.

Mais votre proposition n’est pas seulement dangereuse dans sa philosophie, madame la ministre ; elle l’est tout autant dans son application. Toute une série de sujets, notamment ce qui touche aux compétences des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, cesseront de constituer des priorités.

Mes chers collègues, regardez dans la longue durée : à défaut d’instances s’occupant exclusivement des conditions de travail, de la sécurité et de l’hygiène, ces sujets sont progressivement négligés et les risques s’accroissent.

M. Roland Courteau. Parfaitement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Un danger existe donc aussi s’agissant de l’efficacité du suivi de la négociation sociale sur les sujets relatifs aux conditions de travail. Ces sujets sont pourtant d’autant plus importants que – toutes les enquêtes le montrent – les Français souffrent d’un manque de reconnaissance dans leur travail, et considèrent que leurs conditions de travail sont pénibles. La fusion que vous proposez, madame la ministre, aurait donc des effets négatifs concernant à la fois le rapport au travail et l’efficacité des salariés dans leurs entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, sur l’article.

Mme Évelyne Yonnet. Cet article souhaité par le Gouvernement, durci par les amendements de M. le rapporteur – ce dernier a notamment supprimé les alinéas 4 et 5, qui étaient importants en termes d’information et de représentation des salariés dans les conseils d’administration – ne me paraît pas renforcer le dialogue social. Tel est pourtant l’intitulé du projet de loi !

J’entends bien la volonté de simplification du Gouvernement, qui est peut-être de bonne foi, notamment pour les TPE et les PME, dont les patrons sont bien, eux, pour une majorité d’entre eux, de bonne foi. Lesdits patrons ont rarement pour ambition principale de s’enrichir au détriment des droits sociaux de leurs employés, qu’ils connaissent et respectent. Ils n’ont pas l’immoralité de certains grands patrons dont le seul objectif est parfois d’amasser des milliards au détriment des droits sociaux et de l’environnement. Songez à la Françafrique !

Madame la ministre, j’ai entendu vos intentions, beaucoup plus claires qu’elles ne l’étaient au départ, s’agissant notamment de la compétence d’ester en justice pour l’institution représentative du personnel unique. Vous m’en voyez quelque peu rassurée, même si ce ne sont là, pour le moment, que des intentions.

M’échappe cependant le lien entre le projet de loi que vous présentez et le constat qui est censé le motiver. En effet, la fusion des IRP, les instances représentatives du personnel, ou la mise en place de seuils concernant la possibilité de mettre en place une DUP, une délégation unique du personnel, auront certes pour effet de simplifier, mais reviendront surtout à atténuer le rôle des syndicats dans les négociations avec la direction.

Au sein de l’usine à gaz que deviendrait une telle IRP, quid des formations des représentants des salariés, alors que ces derniers sont aujourd’hui formés et spécialisés selon qu’ils siègent au CHSCT, au CE, le comité d’entreprise, au CCE, le comité central d’entreprise, ou comme DP, délégués du personnel ? Quid de l’expertise concernant les conditions de travail, celles qui sont liées notamment à la santé, alors que la médecine du travail n’a pas les moyens de suivre tous les salariés, dans un contexte où les maladies professionnelles reconnues sont de plus en plus nombreuses ? Je pense en particulier au burn-out, dont personne aujourd’hui ne connaît l’origine.

Si nous déplorons tous, syndicats eux-mêmes y compris, le manque d’engagement et d’investissement des salariés et des Français dans les organisations syndicales, ce n’est pas en réduisant leur poids dans le dialogue social, donc leur intérêt, que vous les rendrez attractives, madame la ministre. Comme l’a dit notre président de groupe, oui à la flexibilité, mais oui à la sécurité ! De la sécurité, je n’en vois pas ; des dangers, j’en vois.

Pour ces raisons et pour d’autres, nous défendrons différents amendements dont l’ambition commune consistera à ouvrir le dialogue social…

Mme la présidente. Merci, madame Yonnet !

Mme Évelyne Yonnet. Merci, madame la présidente !...

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous invite à respecter votre temps de parole. Vous êtes très nombreux à intervenir.

Mme Annie David. Bienvenue en démocratie ! C’est ainsi que fonctionne le Parlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. La fusion prévue par cet article des délégués du personnel, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et du comité d’entreprise aura pour effet de relativiser les questions de santé au travail.

J’ajoute que chacune de ces instances a une histoire et surtout une raison d’exister, permettant aux salariés d’une entreprise d’intervenir et de s’exprimer.

Par exemple, les CHSCT ont un rôle irremplaçable pour vérifier que les lois et règlements qui ont un rapport avec la sécurité au travail et la santé sont bien respectés. Ils sont également, grâce à la loi de 2013, des lanceurs d’alerte dans le domaine de l’environnement. Leur droit d’enquêter en cas de risque grave avéré ou d’atteinte à la santé est aussi d’importance. Enfin, ils analysent les propositions de l’employeur en matière d’aménagement important concernant par exemple les grilles horaires, dès lors qu’elles ont une incidence sur la santé et la sécurité des salariés.

Comme l’écrivait Louis-Marie Barnier, sociologue du travail, « Les élus du CHSCT constituent d’une certaine manière la mauvaise conscience de l’employeur, lui rappelant sans cesse les conséquences de ses décisions sur les salariés. »

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Roland Courteau. Les lois Auroux de 1982 mettaient en avant le projet d’un salarié-citoyen. Quant au droit européen, il impose à l’employeur, par la directive de 1989, de prendre toute mesure pour préserver la santé physique et mentale des salariés.

Et pourtant, je constate que certaines organisations patronales considèrent bon nombre de ces prérogatives comme exorbitantes. Ce contre-pouvoir que constituent les CHSCT dans le domaine de la santé, de la sécurité, de l’organisation du travail semble en effet les gêner. Comme le dit le sociologue que je viens de citer, « Cachons ces conditions de travail que nous ne saurions voir ! »

Bref, madame la ministre, monsieur le rapporteur, il n’est pas bon de fusionner toutes ces instances en une seule. Le faire, c’est enlever à chacune d’elles, à commencer par le CHSCT, de la force et de l’efficacité, et cela sans en analyser toutes les conséquences. Je m’opposerai à cette fusion, et donc à cet article tel que rédigé. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, sur l'article.

M. Olivier Cadic. L’article 2 que nous allons examiner vise à instaurer la mise en place d’une instance unique dans les entreprises dotées de délégués syndicaux, de comités d’entreprise et de CHSCT.

Une telle réforme serait une excellente avancée, qu’il ne faut pas dénaturer en prévoyant des exceptions ou expérimentations. À l’évidence, madame la ministre, si vous n’imposez pas cette création, elle ne se fera pas. Les débats en commission l’ont bien montré au sujet du CHSCT, et je ne doute pas que nos discussions en séance le confirmeront, comme nous venons d’en avoir un aperçu.

L’enjeu est de relancer le dialogue social ; il n’est pas utile de multiplier les instances ou d’en faire vivre de nouvelles telles que les CPRI, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Il faut simplifier pour que les interlocuteurs soient moins nombreux, mais dotés de compétences élargies et renforcées.

La deuxième partie de l’article 2 prévoit la mise en œuvre du chèque syndical et la valorisation des carrières des représentants du personnel. Pourquoi pas ? Mais cela me semble bien modeste pour qu’il soit possible de parler de « mesures renforçant le dialogue social ».

Il faut revoir en profondeur le rôle et le fonctionnement des organisations syndicales. Il faut notamment revoir leur financement pour le clarifier. Il faut réévaluer l’opportunité de la contribution patronale au dialogue social : prélever une cotisation obligatoire pour financer les syndicats est perçu par certains comme un véritable racket. (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.) Un tel prélèvement n’incite pas les syndicats à faire des efforts pour trouver de nouveaux adhérents. La cotisation doit être volontaire : si, comme on le voit dans d’autres pays, les syndicats développent de vrais services aux salariés, ces derniers seront incités à y adhérer et les syndicats gagneront en représentativité.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.

M. Dominique Watrin. Madame la ministre, vous semblez regretter le faible taux de syndicalisation, et par conséquent le faible nombre de délégués syndicaux dans les TPE et PME. Votre texte s’intitule « Renforcement du dialogue social » ; il soulève donc, nous semble-t-il, une question importante : pour quelle raison le nombre de salariés syndiqués ou exerçant un mandat électif est-il si faible ?

La réalité est qu’en 2017 être syndiqué est encore mal vu par certains patrons ; le risque de répression syndicale, s’agissant de l’avancement de carrière, est bien réel. Le 13 juillet dernier, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un rapport intitulé « Repérer, prévenir, lutter contre les discriminations syndicales ». Y sont recensés les tentatives de licenciement abusif, les sanctions disciplinaires injustifiées, les chantages à l’emploi, les harcèlements ou encore les humiliations que subissent certains salariés syndiqués au sein de leur entreprise.

Selon le baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail cité dans ce même rapport, 11 % des salariés du privé et 11 % des agents du secteur public estiment en avoir été victimes ; 14 % d’entre eux pensent avoir été les témoins de discriminations syndicales. Cela est grave : ces actes discriminatoires ont également « valeur d’avertissement pour les autres salariés que l’on cherche à dissuader de s’engager syndicalement », précise le rapport.

De son côté, la CGT a recensé en 2015, en son sein, 165 cas de médiations et actions en justice liées à la discrimination et à la répression syndicales.

Madame la ministre, ce n’est pas en autorisant les employeurs à passer outre les délégués syndicaux que vous renforcerez la protection des syndicalistes, mais en vous attaquant aux racines du mal.

MM. Roland Courteau et Alain Néri. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.

Mme Annie David. Comme je le disais précédemment, madame la ministre, vous êtes venue devant la commission des affaires sociales, il y a déjà quelque temps, pour nous présenter votre rapport sur le bien-être au travail.

Vous écriviez, dans ce rapport, que « le sujet de la santé au travail réconcilie le social et l’économique. Investir dans la santé au travail est d’abord une obligation sur le plan humain ; de plus, ce n’est pas une charge, c’est un atout pour la performance. » Vous écriviez également qu’il s’agissait d’un rapport de « praticiens » et non pas d’un rapport d’experts.

Vous aviez alors ciblé de grandes causes de stress : la peur du chômage ; la financiarisation accrue de l’économie, retenant pour seule valeur la performance financière ; l’utilisation à mauvais escient des nouvelles technologies ; les difficultés dans les relations de travail, notamment avec le supérieur hiérarchique, lorsque l’isolement réduit les temps d’échange aux seules consignes. Votre conclusion était alors sans appel sur le rôle fondamental des CHSCT et la nécessité de leur renforcement.

Aujourd’hui encore, quant à moi, je partage votre vision d’alors : le premier des droits des salariés est l’obligation faite à l’employeur d’assurer la sécurité au travail des personnels de son entreprise. Et la fusion des instances représentatives ne peut conduire à autre chose qu’à l’affaiblissement des missions des CHSCT.

M. Roland Courteau. Absolument !

Mme Annie David. Aussi, sauf à décider sciemment de mettre en danger la vie des salariés et de les priver ensuite de leur droit à réparation, cette fusion n’est-elle pas acceptable. Où donc est passée la praticienne de 2010, madame la ministre ? Je conçois qu’il soit pénible, pour les employeurs, d’être déclarés responsables par les tribunaux pour n’avoir pas pris en compte la santé et la sécurité des salariés. Mais quand pensez-vous aux salariés blessés ou malades ?

Les salariés ont des devoirs et des obligations ; les employeurs aussi ! Nous rejoignons ainsi le débat que nous avons eu il y a quelques instants sur le fait que les employeurs doivent eux aussi contribuer à la santé financière de leur entreprise.

Je connais bien ce sujet : en Isère, dans la vallée de la chimie, les salariés des plateformes classées Seveso se battent avec de trop maigres moyens pour prévenir et faire reconnaître le danger auquel ils et elles ont été exposés, leurs maladies professionnelles, les conséquences pour leurs familles. Je pense également, dans le secteur de l’énergie,…

Mme la présidente. Merci, ma chère collègue.

Mme Annie David. … aux agents d’EDF qui interviennent sur la haute tension ou les barrages hydroélectriques.

Pouvez-vous vraiment imaginer, madame la ministre, restreindre plus encore les effectifs et les moyens des CHSCT dans de telles entreprises ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, à lire votre projet de loi, on constate que le dialogue social que vous appelez de vos vœux est totalement asymétrique. Comment justifier que court-circuiter les syndicats, réduire le nombre d’instances et, de fait, le nombre d’élus, vivifierait la démocratie ?

Au lieu de proposer des mesures contradictoires avec les objectifs annoncés, il conviendrait plutôt de s’interroger sur les raisons de la faible syndicalisation. Si les organisations syndicales doivent s’interroger sur leur modèle d’organisation, il faut aussi explorer d’autres pistes. D’une part – je ne ferai qu’évoquer ce point –, madame la ministre, vous vous doutez bien qu’il est plus difficile de s’engager lorsque la précarité et le risque de déclassement sont forts.

D’autre part – j’insiste sur ce point –, la peur du chômage et le comportement trop souvent impuni d’employeurs peu amènes avec leurs salariés syndiqués ne peuvent que freiner l’engouement pour le syndicalisme.

Poursuites judiciaires répétées jusqu’au dernier recours pour épuiser les salariés concernés, avancements freinés, brimades, délégitimation devant les collègues : tous les moyens sont bons, aux yeux de certains employeurs, pour affaiblir les contre-pouvoirs dans l’entreprise.

On pourrait citer la SNCF, condamnée quatorze fois en 2015 après plusieurs années de procédures ; Ford, qui poursuit et fait condamner pour « dégradation en réunion » quatre syndicalistes qui avaient jeté… des confettis ; la SEPUR, qui tente de licencier pour faute grave un salarié protégé et qui, face à l’opposition de la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, décide de poursuivre les fonctionnaires en charge du dossier ; Ikea, qui baisse d’année en année l’évaluation et donc les primes d’un salarié devenu représentant du personnel alors que sa productivité augmente, puis qui, une fois condamnée pour discrimination, épuise tous les recours sans succès.

Et ces exemples ne constituent pas un microphénomène, comme le note le Défenseur des droits, Jacques Toubon, et comme le montre l’avis assorti de vingt-trois recommandations du CESE du 13 juillet dernier. Dans plus du tiers des entreprises interrogées par le ministère du travail, 45 % des représentants du personnel syndiqués déclarent que leur mandat a été un frein pour leur carrière, contre 4 % des représentants non syndiqués, alors même que le salaire de ces travailleurs est plus faible. Ces pratiques répressives et discriminatoires ont forcément des conséquences sur l’engagement des salariés : entre 36 % et 40 % des salariés déclarent que le premier frein à la syndicalisation est la peur des représailles émanant de la direction de l’entreprise.

Si le Gouvernement veut inciter à la syndicalisation, qu’il renforce la législation, qu’il fasse appliquer les lois existantes et qu’il lutte contre ces pratiques d’un autre temps ! À ce titre, le soutien quasiment sans faille des DIRECCTE à des licenciements bien souvent condamnés par la justice ne peut qu’interroger ! Entre 2010 et 2014, l’administration a accepté plus des trois quarts, près de 77 %, des demandes de licenciement, et la quasi-totalité, 95 %, des demandes de rupture conventionnelle de salariés protégés.

Madame la ministre, il y a en effet matière à modifier la loi !

Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose de prolonger notre séance au-delà de minuit et jusqu’à zéro heure trente afin de poursuivre l’examen de ce texte, et surtout de pouvoir discuter des amendements de suppression qui se situent dans la continuité des prises de parole qui viennent d’avoir lieu.

M. Martial Bourquin. Je suis pour.

M. Alain Néri. Le Parlement, c’est un lieu où l’on parle la nuit !

Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l’article.

Mme Dominique Gillot. Les personnes en situation de handicap ont trois fois moins de chances d’occuper un emploi et deux fois plus de risques de connaître le chômage.

Seulement 43 % des personnes reconnues en situation de handicap sont actives, et 35 % sont en emploi. Le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur à celui de la population générale.

Les personnes en situation de handicap sont souvent moins qualifiées, moins formées et plus âgées que la population générale.

Le nombre de personnes en situation de handicap qui travaillent augmente. Aujourd’hui, près de 1 million de personnes handicapées travaillent, dont 80 % en milieu ordinaire de travail.

Quand elles travaillent, les personnes en situation de handicap occupent plus souvent un emploi peu ou pas qualifié, plus souvent que d’autres à temps partiel ou en situation de sous-emploi.

Le handicap est la deuxième cause de discrimination recensée par le Défenseur des droits, et ce principalement dans l’emploi.

Les personnes en situation de handicap ont des qualités, des capacités et des compétences qui doivent pouvoir s’exprimer sur le marché du travail.

Dans le soutien à la politique inclusive des personnes handicapées voulue par le Président de la République, au regard de cette situation, la commission travail-emploi-formation du Conseil national consultatif des personnes handicapées, que j’ai l’honneur de présider, recommande, d’une part, de ne pas dissocier les questions relatives à l’emploi des personnes en situation de handicap de celles qui sont liées à la rénovation de notre modèle social et, d’autre part, d’assurer une sécurisation des parcours vers et dans l’emploi pour tous.

Par conséquent, je demande que le Gouvernement mène systématiquement des études d’impact des réformes envisagées sur l’emploi des personnes en situation de handicap et des proches aidants en matière tant d’accès, d’évolution professionnelle que de maintien dans l’emploi, afin de généraliser et de rendre habituelle l’obligation de recrutement de 6 % de personnes handicapées dans les effectifs salariés des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Pour ma part, je suis prêt à accepter l’idée que la fusion des instances d’information et de consultation ne doit pas être écartée dans l’optique du renforcement du dialogue social. (M. Martial Bourquin s’exclame.)

Le sujet n’est d’ailleurs pas nouveau, puisque la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, ou loi Rebsamen, offre une telle faculté aux entreprises de moins de 300 salariés.

La fusion doit permettre de simplifier le dialogue social, mais aussi d’en renforcer le contenu stratégique.

La représentation des salariés est aujourd’hui morcelée en quatre instances différentes au sein de l’entreprise : délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et délégués syndicaux. Les témoignages des effets négatifs, tant pour l’employeur que pour les salariés, d’une telle situation abondent. Le système est chronophage, complexe et, en partie, inefficace. Il aboutit à un dialogue social éclaté et à des complications du travail supplémentaires. La quasi-totalité des pays qui entretiennent un dialogue social très développé ont moins d’instances que nous.

Cependant, dans le cadre d’une telle fusion, le champ des responsabilités et des attributions ne doit à l’évidence pas être diminué ou réduit. L’ensemble des compétences du comité d’entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT doivent être transférées au nouveau comité. Il ne doit surtout pas être question de baisser la garde sur la santé et la sécurité au travail. À cet égard, je suis favorable à la constitution d’une commission spécifique. La présence d’une instance bénéficiant de la vision stratégique globale ne fait pas obstacle à la création d’une commission spécialisée travaillant sur les métiers dangereux. Un amendement a été déposé en ce sens.

Enfin, et c’est essentiel, la compétence d’ester en justice doit être transférée à cette nouvelle instance.

J’insiste sur un dernier point de vigilance. Puisqu’il est également prévu de limiter le nombre de mandats des représentants du personnel, il est important d’envisager un encadrement du retour à l’emploi des salariés protégés, afin d’éviter la chasse aux sorcières qui a parfois lieu et est source d’un nombre non négligeable de contentieux prud’homaux.

Ces différentes conditions réunies, la fusion pourrait alors peut-être se révéler bénéfique pour tous, c’est-à-dire pour les salariés, les représentants du personnel et les employeurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, sur l'article.

Mme Catherine Génisson. À l’instar de plusieurs de mes collègues, je centrerai mon propos sur l’alinéa 2 de l’article 2. Je ne reviens pas sur les arguments qui ont été avancés, notamment par mon collègue Yves Daudigny, sur la fusion.

En revanche, j’insiste sur la nécessité de réserver un statut particulier au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Le rapport que Mme la ministre a remis en 2010 a été largement évoqué. Je ferai pour ma part référence à celui que Gérard Dériot avait rédigé dans le cadre de la mission d’information présidée par Jean-Pierre Godefroy sur le mal-être au travail. Notre collègue insistait sur la nécessité d’approfondir très largement la formation sur les sujets de santé, en particulier de santé psychologique, et de donner une nouvelle légitimité au CHSCT en clarifiant la répartition de ses compétences avec les autres institutions représentatives du personnel. Il proposait également que le regroupement à moyens constants des compétences du comité d’entreprise et du CHSCT au sein d’une instance unique puisse dans certains cas, en fonction des secteurs d’activité ou des effectifs, être envisagé, sous réserve de l’accord des partenaires sociaux.

Cela rejoint ce que vous indiquiez dans votre rapport, madame la ministre : « […] l’articulation entre le comité d’entreprise et le CHSCT demeure insuffisante, alors même que les sujets économiques et les conditions de travail sont fortement connectés. Une redéfinition des modes d’articulation entre ses instances devrait être recherchée […]. Dans certains cas, en fonction des secteurs d’activité ou des effectifs, il pourrait être envisagé de regrouper à moyens constants les compétences du comité d’entreprise et du CHSCT dans une instance unique, sous réserve de l’accord des partenaires sociaux. »

J’espère que nous aurons une discussion approfondie sur le sujet et qu’elle sera positive. Je me doute bien que la majorité sénatoriale ne votera probablement pas les amendements de suppression de l’alinéa 2 et que la fusion sera donc actée. Mais j’insiste sur la nécessité d’avoir une commission ad hoc ou une instance spécifique permettant de reconnaître les compétences particulières du CHSCT ; nous avons déposé un amendement en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.

M. Jean Desessard. Madame la ministre, si vous connaissez la réponse à la question posée – comment peut-on simplifier la santé ? –, il faut la communiquer tout de suite aux médecins, qui nous prescrivent de multiples examens ou nous renvoient vers les spécialistes. Nous savons combien il est aujourd'hui difficile de détecter toutes les causes, qui sont multiples, des problèmes liés à la santé.

Mais le travail et l’environnement professionnel en font partie. Comme cela a été évoqué tout à l’heure, il y a deux conceptions de l’entreprise : d’un côté, l’entreprise citoyenne ; de l’autre, l’entreprise où l’on veut avant tout que ça « marche ».

Dans ce dernier cas, il faut aller le plus vite possible. Et la santé doit alors relever de la compétence du conseil d’administration ou de gestion, car, s’il y a trop de malades, l’entreprise n’est plus rentable.

À l’inverse, l’entreprise citoyenne a un rôle à jouer dans la protection des salariés en général. Et, comme les maladies ne se déclarent pas tout de suite – parfois, cela peut prendre plusieurs années –, l’action du comité doit être centrée sur la prévention, l’alerte.

L’alternative est donc entre la gestion du risque et la prévention. Or la prévention, cela implique de déterminer quelles sont les conditions de travail porteuses de maladies, de stress, voire quelles sont les causes de suicides.

Aujourd'hui, on fait comme s’il n’y avait pas aggravation des conditions de travail dans l’entreprise… Pourtant, c’est le cas, qu’il s’agisse du burn-out, des relations avec la hiérarchie, voire de maladies que l’on a du mal à détecter aujourd'hui et que l’on détectera plus tard.

Le CHSCT doit être le garant de l’ensemble de la santé des travailleurs de l’entreprise, de la branche et même de l’ensemble des entreprises. Les gens doivent s’y intéresser particulièrement. Cela ne doit pas être vécu comme un aléa de gestion.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l'article.

M. Martial Bourquin. Il arrive que nous ne nous présentions pas suffisamment. Certains collègues mettent en avant leur diplôme de Sciences-Po ou de l’ENA ; d’autres évoquent leur expérience de chef d’entreprise…

Pour ma part, j’ai été pendant très longtemps délégué syndical en production. Je sais donc de quoi je parle : je crois connaître le monde du travail !

Le monde du travail, ce sont souvent les conditions de travail. Pour représenter une organisation syndicale au sein d’un CHSCT, il faut avoir suivi des mois de formation, afin de pouvoir traiter des questions de santé au travail.

On nous parle aujourd'hui de « burn-out » ; on emploie également d’autres termes. Mais se souvient-on du « syndrome France Télécom » ? Des suicides ?

Mme Catherine Génisson. Il n’y en a pas qu’à France Télécom !

M. Jean Desessard. Il y en a aussi à Renault !

M. Martial Bourquin. Se souvient-on de ce qui se passe à La Poste ? Des procès de l’amiante ? (M. Roland Courteau acquiesce.)

Et là, je découvre que l’on veut imposer une fusion pour empêcher le CHSCT de fonctionner ! Pire : le représentant ayant exercé deux mandats dans un CHSCT devrait s’en aller, alors qu’il commence à peine à être formé !

Plus important encore : savez-vous que des délégués syndicaux ont engagé des procès contre des directions pour faire reconnaître qu’ils avaient été sanctionnés dans leur vie professionnelle – cela concerne aussi bien des ouvriers que des cadres – et qu’ils les ont gagnés ?

On nous dit aujourd'hui qu’il va y avoir un dialogue, que tout va bien se passer… Mais savez-vous qu’il y a un lien de subordination fondamental dans une entreprise ? C’est le pot de terre contre le pot de fer !

M. Martial Bourquin. Vous faites semblant de l’ignorer, alors que vous savez très bien que les choses se passent ainsi !

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Alain Néri. C’est de l’hypocrisie !

M. Martial Bourquin. Ce texte sur le dialogue social, j’ai l’impression que vous voulez le faire passer au forceps. D’ailleurs, M. Cadic a été très clair tout à l’heure lorsqu’il vous a exhortée à imposer votre loi, considérant qu’elle n’aboutirait pas autrement.

Bref, c’est marche ou crève ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. Alain Néri. Voilà quelqu’un qui connaît l’entreprise !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l'article.

M. Daniel Chasseing. Pour ma part, je suis favorable à la fusion des trois instances dans une structure ayant des compétences pour négocier les accords d’entreprise. Cette solution pragmatique et efficace pour les salariés permet l’information de tous, des gains de temps et une rationalisation. D’ailleurs, elle s’applique déjà.

Il ne s’agit nullement d’une réduction de la représentation syndicale. Mieux associer le personnel aux décisions ? Je trouve que c’est un plus ! Favoriser les implantations de syndicats ? Nous en avons vraiment besoin.

Pour certains, l’entreprise du XXIe siècle serait un lieu d’affrontements, de subordination (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.), où l’enrichissement serait l’unique objectif et où les conditions de travail seraient défectueuses. Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que cette vision est totalement fausse ! Je connais beaucoup d’entreprises, notamment des TPE et des PME. Dans ces entreprises, le souhait des employeurs comme des employés, c’est de travailler ensemble. Je n’ai dû voir que des entreprises citoyennes, monsieur Desessard !

Il est vrai que certains patrons ont des salaires exorbitants. Mais faites attention aux amalgames ! Les patrons de TPE ou de PME font le maximum pour sauver ou développer leur entreprise. Ils assument aussi leurs devoirs auprès de leurs employés.

Leur problème, ce n’est pas le dialogue ; ils le pratiquent tous les jours.

M. Alain Néri. Il ne faut pas que ce soit un dialogue de sourds ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et Union Centriste.)

M. Daniel Chasseing. Mon cher collègue, acceptez que je m’exprime – je ne suis pas beaucoup intervenu jusqu’à présent – et que je dise ce que j’ai vu ! (Très bien ! sur certaines travées du groupe Les Républicains.)

Le problème des patrons de TPE ou de PME, c’est souvent de trouver des gens formés ! (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Olivier Cadic applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, sur l'article.

M. Michel Canevet. Dans son édition du 6 juillet, le journal Les Échos titrait : « La France moins compétitive qu’il y a cinq ans ». Quand j’entends certains de nos collègues, qui voudraient encore accroître les contraintes pesant sur les entreprises, je comprends pourquoi !

Nous devons faire le chemin inverse. Je me réjouis que le Gouvernement se soit saisi à bras-le-corps de la problématique de la compétitivité et qu’il ait décidé de s’attaquer à ce fameux code du travail. Pour résoudre le chômage, il est nécessaire de lever un grand nombre des contraintes qui pèsent sur nos entreprises, au lieu d’en rajouter.

Les conditions de travail, qui ont été évoquées lors de l’examen de l’article 1er, doivent, me semble-t-il, être singulièrement rénovées et confortées au sein de l’entreprise.

Je suis particulièrement heureux que l’article 2 tende à la simplification du droit pour les entreprises. Enfin ! Il était temps, car cela ne peut plus continuer ainsi.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, les entreprises souffrent de l’excès de contraintes de toutes natures qui pèsent sur elles, alors qu’elles devraient s’atteler à résoudre le problème du chômage. Il n’est tout de même pas acceptable que plus de 6 millions de personnes soient toujours inscrites à Pôle emploi.

M. Martial Bourquin. Ce n’est pas du fait de l’existence des CHSCT !

M. Michel Canevet. Pourtant, à en juger par certains des propos que j’ai entendus ici, je n’ai pas le sentiment que l’on prenne bien en compte la réalité de l’emploi en France. Le problème, ce sont bien ces plus de 6 millions de personnes qui souffrent de ne pas avoir d’emploi. Nous devons donc tout faire pour leur permettre d’en retrouver un ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les prises de parole sur l’article.

Nous examinerons les trois amendements tendant à supprimer l’article 2 ce jour, à quatorze heures trente, et Mme la ministre répondra à cette occasion aux différents orateurs qui se sont exprimés.

Nous avons examiné 57 amendements au cours de la journée ; il en reste 165.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 2 (début)
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Discussion générale

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 26 juillet 2017, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 637, 2016-2017) ;

Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 663, 2016-2017) ;

Texte de la commission (n° 664, 2016-2017) ;

Avis de M. Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances (n° 642, 2016-2017).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 26 juillet 2017, à zéro heure quinze.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD