M. François Patriat. Mes chers collègues, il est vrai, comme vous l’avez tous dit avec talent et émotion, que le sujet est douloureux et nous questionne tous. J’ai bien entendu, de part et d’autre, les arguments et les éléments sur le fondement desquels vous entendiez vous prononcer à l’issue de notre débat.

Néanmoins, je comprends moins pourquoi la solution de compromis que nous avons formulée a reçu un accueil aussi méprisant. En effet, à l’issue de nos échanges avec les historiens et les associations, notre groupe a souhaité défendre un amendement de réécriture de l’article 1er. Il vise une réintégration dans la mémoire nationale des 639 fusillés dont nous parlons aujourd’hui, plutôt qu’une réhabilitation collective et générale, qui se heurterait à des obstacles à la fois historiques et juridiques.

Notre amendement, monsieur Temal, tient donc bien compte des 639 fusillés pour l’exemple.

M. Rachid Temal. C’est une avancée !

M. François Patriat. Nous proposons également qu’un monument national soit érigé à leur mémoire. Par cet amendement, nous voulons faire en sorte que ce texte puisse poursuivre son chemin et aboutir à une forme de réhabilitation des soldats injustement fusillés.

Toutefois, force est de constater, mes chers collègues, que cet amendement de compromis a reçu une fin de non-recevoir en commission. Il faudra m’en expliquer les raisons ! Je l’ai pourtant présenté à M. le rapporteur en précisant que le texte proposé était intéressant et devait poursuivre sa route, et que notre initiative permettrait d’aboutir à une solution contournant les obstacles juridiques.

Force est de constater aussi que cet amendement de compromis a été massivement rejeté en commission, sans qu’aucun groupe – aucun, mes chers collègues ! – prenne la peine d’expliquer les raisons de son vote.

Cela étant, j’ai bien compris que cet amendement avait peu de chances d’être adopté. J’ai constaté qu’à la fin de la discussion générale aucune majorité ne se dégageait pour l’adopter. C’est la raison pour laquelle, alors que l’adoption de cet amendement permettrait d’avancer sur cette question, je vais le retirer, tout en regrettant que nous ne puissions pas aller plus loin dans l’examen de cette proposition de loi.

M. Rachid Temal. Pourquoi retirer votre amendement ? Nous avions l’occasion d’en débattre !

M. Yannick Vaugrenard. Oui, c’est dommage !

M. François Patriat. Il est trop tard, mes chers collègues.

Je retire donc l’amendement, madame la présidente.

Mme le président. L’amendement n° 1 est retiré.

Mes chers collègues, je vais mettre aux voix l’article 1er.

Si cet article n’était pas adopté, l’article 2, qui constitue le gage de la proposition de loi, deviendrait sans objet.

Je considérerais, si l’article 1er n’était pas adopté, qu’il n’y aurait plus lieu de mettre aux voix l’article 2 et l’ensemble de la proposition de loi.

Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur cet article et sur l’ensemble.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. Tout d’abord, je me joins aux propos du président de la commission, qui a eu raison tout à l’heure de rappeler que ce sujet est lourd et suscite l’émotion. Mais comment pourrait-il en être autrement après les descriptions qui ont été faites ?

Cette question a donné lieu à un débat à la fois en commission et dans cet hémicycle. Nous avons tous fait preuve de respect les uns envers les autres et de sérénité lorsqu’il s’est agi d’exposer nos points de vue et d’aborder ces événements.

Cela montre justement que l’on peut examiner un tel sujet cent ans après sans rouvrir de polémiques, bien au contraire. Cela montre aussi que l’on a besoin de clore ce débat. C’est d’ailleurs ce qu’il nous reste à faire.

Les 639 fusillés dont nous parlons ne viennent pas de nulle part, mais du travail approfondi qui a été conduit par de nombreux historiens. Ces derniers nous l’ont dit : « Nous avons fait notre travail ; à vous, maintenant, les hommes politiques, de faire le vôtre, d’aboutir à une conclusion, voire de tourner la page. »

Chacun le sait très bien, si ce texte, déposé par notre collègue député Bastien Lachaud et voté par l’Assemblée nationale, ne fait pas l’objet d’un vote conforme aujourd’hui, on en repoussera éternellement l’examen et il ne sera plus jamais discuté. Or l’enjeu, au-delà de ce débat, ce sont les familles de ces 639 soldats qui attendent une réhabilitation.

En tant que rapporteur de ce texte, j’ai pris acte de la position de la commission et écouté les débats qui s’y sont déroulés – ils ont très bien été décrits –, mais je pense tout de même que le moment est venu de mettre un terme à cette histoire importante pour notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote sur l’article.

M. Yannick Vaugrenard. En réaction à l’intervention de notre collègue François Patriat, je précise que son amendement n’a pas été rejeté par tout le monde.

En ce qui nous concerne, nous avons expliqué que nous ne le votions pas parce qu’il constituait, nous le savions bien, un artifice de procédure.

M. André Gattolin. Pas du tout !

M. Yannick Vaugrenard. En effet, si l’amendement était adopté, le texte modifié repartait à l’Assemblée nationale et ne serait probablement plus examiné avant plusieurs années. Voilà le fond du problème et la raison pour laquelle mon groupe était défavorable à cet amendement en commission.

S’agissant de la réhabilitation des 639 fusillés pour l’exemple, je tente d’imaginer ce que peut penser notre jeunesse de nos échanges et de nos débats… Je me félicite, comme le président de la commission, que le débat ait été de haute tenue et extrêmement intéressant. Chacun aura pu en tirer profit.

Chaque année, les gerbes déposées le 11 novembre, notamment dans l’ouest de la France, le sont par les responsables du Souvenir français, mais aussi, pour certaines, par des associations défendant la réhabilitation de ces fusillés pour l’exemple. Voilà ce qui se passe concrètement aujourd’hui sur le terrain !

M. Roger Karoutchi. Pas chez moi…

M. Yannick Vaugrenard. J’essaie de me représenter les enseignements que notre jeunesse – ceux qui ont 18 ans, 20 ans ou 25 ans aujourd’hui – pourrait tirer aujourd’hui de tout cela.

Comme cela a été rappelé, les historiens ont fait leur travail, et ils l’ont bien fait. Ils sont parfois en désaccord, et pas seulement par rapport aux propos qui ont été tenus tout à l’heure. Mais ils disent eux-mêmes que la réhabilitation au cas par cas n’est plus possible juridiquement, parce que nous ne disposons pas d’éléments de preuve.

Il s’agit donc manifestement d’une décision politique concernant notre histoire. Notre pays, comme d’autres, a parfois commis des erreurs. Nous proposons, en toute humilité, de prendre la responsabilité politique de le reconnaître. Je prends le pari, mes chers collègues que, dans quelques années, dans cinq ans, dix ans ou vingt ans,…

Mme le président. Merci, mon cher collègue !

M. Yannick Vaugrenard. … la réhabilitation de ces fusillés pour l’exemple aura bien lieu !

Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote sur l’article.

Mme Michelle Gréaume. Nous, sénatrices et sénateurs, avons aujourd’hui l’occasion unique de clore un chapitre douloureux de notre histoire.

Au-delà de nos différences et de nos sensibilités, unissons-nous aux côtés de ces fusillés pour l’exemple, d’autant que vous savez tout comme moi qu’il n’y a plus aucun témoin vivant plus de cent ans après la fin de la guerre et que 20 % environ des dossiers sont manquants.

Pensons à tous ces soldats qui ont vécu des situations extrêmes, qui les ont poussés à aller jusqu’au bout d’eux-mêmes. Il faut les réhabiliter ! Si nous décidons d’une réhabilitation au cas par cas, vous le savez très bien : on ne réhabilitera personne, et ce sera de notre responsabilité !

Mme le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote sur l’article.

M. Rachid Temal. Je viens d’entendre le président Patriat se plaindre que le rejet de son amendement en commission était une preuve de mépris. Non, c’est un vote !

Autre remarque, cette proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale contre l’avis du Gouvernement. On aurait tout à fait pu s’attendre, même après l’inscription du texte à l’ordre de jour de notre assemblée, à ce que le Gouvernement nous demande de ne pas le voter tel qu’il nous a été transmis et qu’il fasse une contre-proposition.

Or on assiste à un tour de passe-passe, qui consiste à détourner notre attention avec un amendement, qui joue un peu le même rôle que le lièvre dans une course de demi-fond, à savoir qu’il n’a pas vocation à aller jusqu’au bout. Le résultat des courses, c’est que l’on va oublier les 639 fusillés…

Nous aurions préféré, madame la secrétaire d’État, que vous formuliez une véritable proposition, prouvant que vous nous aviez écoutés, et que vous nous expliquiez ce qu’il était possible de faire sur le sujet.

Nous le savons tous, la réhabilitation individuelle des fusillés pour l’exemple est impossible, parce que les dossiers ont disparu. Ce n’est qu’en nous appuyant sur le travail réalisé par le Service historique de la défense que nous disposons d’une chance d’avancer. Nous prenons acte de votre refus, mais ne rejetez pas la faute sur les autres ! (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote sur l’article.

M. André Gattolin. Je ne veux pas alimenter la polémique, mais j’ai du mal à accepter que l’on parle « d’artifice de procédure » s’agissant de notre amendement. Notre texte diffère tout de même sensiblement de ces tonnes d’amendements qui ont pour seul objet de modifier une virgule ou un mot…

Cette proposition de loi soulève un problème juridique, et vous le savez.

M. André Gattolin. Je l’ai déjà expliqué en commission : vous n’aviez qu’à écouter mes arguments. (M. Rachid Temal proteste.)

Le Royaume-Uni a adopté un texte tendant à la réhabilitation de plus de 300 fusillés pour l’exemple. Il ne l’a pas fait en légiférant, mais en instituant une juridiction spéciale dont les travaux ont abouti à un acte. En effet, au Royaume-Uni comme en France, il convient de distinguer le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Si vous ne voulez pas d’une réhabilitation au cas par cas, faites une proposition en ce sens. J’ai été l’auteur de propositions de loi qui ont parfois été modifiées à la marge lors de leur examen à l’Assemblée nationale : eh bien, je suis parvenu à les faire adopter conformes au Sénat. C’est le jeu parlementaire !

Cessez donc de parler d’artifice de procédure : ce n’est pas le cas ici. Notre proposition repose sur des arguments précis, et je constate que personne, lorsque je l’ai défendue en commission, n’a expliqué les raisons pour lesquelles il votait contre.

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote sur l’article.

M. Guy Benarroche. Revenons-en au fond du débat d’aujourd’hui, qui n’est pas de savoir si l’amendement de nos collègues était ou non un artifice de procédure.

Après tout, un amendement similaire a été rejeté par la commission, point ! Tous les amendements rejetés au préalable par les commissions saisies au fond ne sont pas nécessairement des artifices de procédure et, pour autant, leurs auteurs ne se plaignent pas d’être les victimes d’une sorte d’injustice. Les commissions jouent leur rôle en votant ou non ces amendements.

J’en viens au fond de cette proposition de loi. Les textes autour desquels nous parvenons à nous unir au sein de cette assemblée, de manière transpartisane, et qui nous paraissent essentiels au rétablissement d’une certaine mémoire de notre pays sont extrêmement rares. Or nous sommes devant un texte de cet acabit.

Aujourd’hui, nous, sénateurs, sommes en mesure de dire que notre pays peut réhabiliter la mémoire d’un certain nombre de condamnés, dont on sait parfaitement qu’ils l’ont été pour faire régner l’exemplarité dans une situation difficile et un contexte de guerre, et non pour des actes réels qu’ils auraient commis.

Le véritable artifice est celui qui consiste à proposer d’étudier les situations au cas par cas. Comme cela a été rappelé, une telle étude a déjà été engagée, et il a été démontré qu’il était impossible de la pousser plus loin, car les dossiers manquent.

Procéder au cas par cas revient donc à ne réhabiliter aucun des 639 soldats. Jamais ! C’est l’honneur de l’armée et de la France que de réhabiliter ces fusillés dont on sait qu’ils ont été condamnés pour l’exemple.

Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Patricia Mirallès, secrétaire dÉtat. On le voit, ce sujet suscite beaucoup d’émotion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis tout à l’heure, vous parlez de 639 fusillés. Or plus de 40 d’entre eux ont été réhabilités : le chiffre n’est plus exact, mais peu importe.

Sur le fond, je veux vous dire que, en l’état, cette proposition de loi me paraît très dangereuse, car elle modifie des décisions de justice, ce qui est problématique en soi. Et elle le fait de manière indistincte, en méconnaissant la réalité concrète des décisions de justice.

En l’état, elle permettrait de réhabiliter François M, fusillé le 22 octobre 1915 pour désertion et abandon de poste devant l’ennemi. Il appartient à la liste des 639 fusillés dont nous parlons depuis ce matin. Mais qu’allons-nous dire aux descendants, aux trois orphelins de Léon Schlier, le soldat français que François M a aussi tué ?

Ce texte est inutile, car la réhabilitation collective, je le dis depuis le début, n’est pas possible.

En conclusion, puisque vous avez beaucoup parlé du rapport d’Antoine Prost, je souhaiterais rappeler que, pour ce dernier, la meilleure des solutions en la matière est de ne rien faire sur le plan législatif.

Vous êtes le législateur et nous ne sommes pas un tribunal. Nous devons absolument continuer à respecter la séparation des deux assemblées et de la justice. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 122 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l’adoption 113
Contre 218

Le Sénat n’a pas adopté.

En conséquence, l’article 2 n’a plus d’objet.

Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

Mme le président. La séance est reprise.

Article 1er (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale
 

9

Article 1er A (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Article 1er A

Protéger les logements contre l’occupation illicite

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (proposition n° 174, texte de la commission n° 279, rapport n° 278, avis n° 269).

Dans la suite de l’examen du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre Ier, l’examen de l’article 1er A.

Chapitre Ier (suite)

Mieux réprimer le squat du logement

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite
Article 1er B (nouveau)

Article 1er A (suite)

Le titre Ier du livre III du code pénal est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

« CHAPITRE V

« De loccupation frauduleuse dun local à usage dhabitation ou à usage économique

« Art. 315-1. – L’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage économique à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

« Le maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.

« Art. 315-2. – Le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

« Le présent article n’est pas applicable lorsque l’occupant bénéficie des dispositions prévues à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, lorsque le juge de l’exécution est saisi sur le fondement de l’article L. 412-3 du même code, jusqu’à la décision rejetant la demande ou jusqu’à l’expiration des délais accordés par le juge à l’occupant, ou lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public. »

Mme le président. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 78, présenté par M. Bouad, Mme Artigalas, M. Montaugé, Mme Meunier, MM. Fichet et Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Kanner, Mme Harribey, MM. Marie, Leconte, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéas 6 et 7

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Denis Bouad.

M. Denis Bouad. Cet article crée un nouveau délit, parfaitement inutile, afin de lutter contre les squats, mais qui n’aura aucun effet dissuasif et dont la répression est déjà prévue par les dispositions claires et équilibrées de l’article 226-4 du code pénal.

Cet article contient une disposition choquante. Il est particulièrement inquiétant que soit envisagée la criminalisation des personnes qui, ayant occupé légitimement un lieu d’habitation, connaîtraient des difficultés de paiement de leur loyer. L’introduction d’une peine d’emprisonnement en pareille situation est véritablement scandaleuse.

Engager des poursuites judiciaires, faire condamner les plus démunis d’entre nous, en particulier, à une amende de 7 500 euros est complètement immoral et n’aidera certainement pas à améliorer la situation des plus démunis.

Permettez-moi d’ajouter que je vois mal comment un propriétaire bailleur, qui réclame des impayés, sera aidé par l’accroissement de la dette.

Mme le président. L’amendement n° 59, présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet article contient plusieurs dispositions, concernant notamment l’entrée par effraction dans certains lieux.

Ces situations peuvent exister, mais demeurent très minoritaires parmi les 17 000 expulsions exécutées en moyenne chaque année.

On dénombrerait trois millions de logements vacants et 300 000 personnes sans domicile fixe, soit dix logements vides pour une personne SDF.

Certes, cela ne légitime ni le recours à la force ni même l’atteinte au droit de propriété.

Toutefois, lorsque 300 000 personnes sont à la rue, n’est-ce pas aussi problématique, voire plus grave, de laisser trois millions de logements vides ?

Chaque année, entre 500 et 600 personnes meurent du sans-abrisme. Ce sont parfois des enfants : le plus jeune était âgé de 1 mois lorsqu’il est décédé en 2021.

J’entends que vous faites référence aux petits propriétaires. Or ils sont minoritaires parmi les propriétaires de logement, puisque 3 % des propriétaires possèdent 50 % du parc locatif. Ceux-ci détiennent chacun au moins cinq logements. Ce ne sont donc pas de petits propriétaires, mais ils profitent de quelques faits divers médiatisés pour vous inciter à défendre des lois rétrogrades et à mieux protéger leur rente.

Nous vous avons entendus : vous ne voulez pas de squatteurs. Moi non plus ! Mais ne condamnons pas les locataires ayant des impayés de loyer à de la prison. La prison ne leur apportera rien et ne sortira personne de la précarité, bien au contraire !

Ne faisons pas l’amalgame entre la pauvreté et la criminalité. Ne créons pas un nouveau délit de vagabondage, si anachronique et dramatique pour notre modèle social.

Cet amendement vise donc à supprimer la peine de prison pour les personnes qui n’auraient pas payé leur loyer et qui ne quitteraient pas le logement de leur plein gré.

Mme le président. Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 34 est présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

L’amendement n° 82 rectifié bis est présenté par Mme Létard, M. Henno, Mmes Morin-Desailly, Gatel, N. Goulet, Dindar et Billon, M. Longeot, Mme Herzog, M. Canévet, Mmes Gacquerre et Guidez, MM. Moga, Duffourg et de Belenet, Mmes Doineau et Perrot, MM. J.M. Arnaud et Cigolotti et Mme Férat.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 6

Supprimer les mots :

de six mois d’emprisonnement et

La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 34.

M. Guy Benarroche. Nous nous étions prononcés en faveur de la suppression de cet article 1er A, qui pénalise et criminalise les locataires touchés par une décision de justice d’expulsion, dès lors qu’ils ne trouvent pas à se reloger et qu’ils se maintiennent dans le logement.

Notre amendement n’a pas été adopté. Par conséquent, l’article 1er A, tel qu’il est rédigé, prévoit non seulement une peine d’amende augmentée, mais également une peine d’emprisonnement pour le délit d’occupation frauduleuse de local à usage d’habitation, à destination des locataires évoqués précédemment.

Par cet amendement, nous affirmons très clairement que nous ne souhaitons pas que la prison pour dette, sanction bannie de la République depuis des années et renvoyée dans les oubliettes de notre justice, soit rétablie uniquement pour cette dette.

En dépit de notre désaccord sur le fond, y compris s’agissant de l’augmentation des amendes, cet amendement vise donc uniquement à supprimer la peine d’emprisonnement.

Mme le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour présenter l’amendement n° 82 rectifié bis.

Mme Valérie Létard. Cet amendement est identique à celui que vient de défendre M. Benarroche.

En cas d’occupation ou de squat, il me semble justifié de pouvoir aller jusqu’à une peine d’emprisonnement.

Toutefois, si un locataire défaillant doit être lourdement sanctionné lorsque, au terme de nombreuses années de procédure, il ne peut toujours pas honorer sa dette, je ne suis pas sûre que six mois d’emprisonnement changent la situation.

Dans le cas de locataires défaillants, de mauvaise foi ou ayant accumulé des difficultés ou encore parfois ayant dégradé leur logement, il est possible de s’interroger sur la nature de la sanction et d’envisager l’emprisonnement. Toutefois, dans ce cas particulier, je rappellerai que le code pénal prévoit déjà un arsenal de sanctions. (Mme Éliane Assassi approuve.)

Par conséquent, il me semble complètement inutile et contre-productif d’aller jusqu’à une peine d’emprisonnement. En revanche, maintenons la sanction financière de 7 500 euros. En effet, bien qu’il s’agisse de familles en difficulté, une sanction minimum doit être signifiée à un moment donné.

Il me semble que ce serait un compromis acceptable.

Un locataire défaillant est dans une situation bien différente de celui qui s’est emparé du bien d’autrui de façon totalement illicite. Aussi cette solution paraît-elle juste et équilibrée : elle n’ignore pas la réalité non plus qu’elle ne prévoit l’impunité.

Mme le président. L’amendement n° 60, présenté par Mme Cukierman, M. Gay et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 6

1° Après le mot :

emprisonnement

insérer les mots :

avec sursis

2° Compléter cet alinéa par les mots :

avec sursis

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Cet article prévoit une peine de prison ferme pour les locataires auxquels aurait été signifié un jugement d’expulsion et qui n’auraient pas libéré les lieux.

Sachez que pour être reconnu prioritaire à un relogement au titre du droit au logement opposable (Dalo), il faut notamment justifier d’un jugement d’expulsion.

Or, une fois que le jugement d’expulsion est rendu, plusieurs mois sont nécessaires – cela est connu de tous, et partout, notamment en Seine-Saint-Denis, monsieur le ministre – pour que la commission de médiation reconnaisse les personnes concernées comme prioritaires.

Si elle est adoptée, cette loi posera alors problème : certaines personnes pourront être mises en prison avant même d’avoir pu faire valoir leur droit, si elles restent encore plus de deux mois dans le logement. C’est un problème.

Une condamnation pour expulsion constitue déjà un frein puissant – cela a été dit – pour retrouver un logement auprès d’un bailleur. C’est aussi, paradoxalement, une nécessité pour être reconnu prioritaire au titre du Dalo.

Nous proposons donc d’introduire un sursis pour les personnes qui risqueraient d’aller en prison pour être restées dans un logement, en considérant notamment que l’absence de proposition et la longueur des démarches conduisent à cette situation.

Il n’est pas logique – je le répète – d’enfermer en prison ces ménages en difficulté ; les prisons sont déjà bien remplies. En outre, ce n’est pas en étant derrière les barreaux que les locataires pourront mieux rembourser leur bailleur !

Le sursis pourra apparaître comme un avertissement adressé aux mauvais payeurs récidivistes.

Pour la très grande majorité des personnes concernées, ne pas payer son loyer est non pas un principe de vie, mais avant tout la conséquence d’une importante perte de revenus.

Considérons-le comme tel et proposons du sursis plutôt que de la prison ferme.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Par l’amendement n° 78, nos collègues du groupe socialiste proposent de supprimer l’infraction prévue pour sanctionner le maintien sans droit ni titre dans un logement.

Il nous semble que le dispositif adopté par l’Assemblée nationale est bien encadré : l’infraction s’appliquerait seulement après un jugement définitif d’expulsion, à l’expiration de tous les délais accordés par le juge, en dehors de la période de la trêve hivernale, et elle ne concernerait pas les locataires du parc social – vous l’avez certainement lu comme moi.

Par ailleurs, nous faisons confiance au discernement des parquets, qui, naturellement, n’engageront des poursuites que si les circonstances le justifient.

Compte tenu de toutes ces garanties, je pense que nous pouvons conserver le dispositif voté par l’Assemblée nationale et donc rejeter l’amendement de suppression.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.

L’amendement n° 59, présenté par nos collègues du groupe CRCE, a le même objet que l’amendement précédent. Il appelle donc le même avis défavorable de la commission.

Les amendements identiques nos 34 et 82 rectifié bis sont différents, car ils tendent à supprimer la peine d’emprisonnement encourue en cas de maintien sans droit ni titre dans un logement après une décision définitive d’expulsion, pour ne maintenir qu’une peine d’amende.

Je voudrais rappeler à nos collègues que les peines d’emprisonnement d’une durée égale ou inférieure à six mois sont par principe toujours aménagées.