Mercredi 25 mai 2022

- Présidence de M. Michel Canévet, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Michel Peltier, délégué mer de l'Office français de la biodiversité (OFB)

M. Michel Canévet, président. - Notre mission d'information sur le thème « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » a commencé ses travaux en janvier dernier, et elle compte formuler un certain nombre de recommandations le mois prochain.

Nous accueillons ce matin M. Michel Peltier, qui est le délégué mer de l'Office français de la biodiversité (OFB), après d'autres représentants des institutions qui ont à voir avec cette question des grands fonds marins. Merci, monsieur Peltier, d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - C'est effectivement l'une de nos dernières journées d'audition. Nous espérons pouvoir rendre notre rapport fin juin.

Quel est le rôle de l'OFB dans la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins ? Quelles sont les actions particulières de l'OFB sur les grands fonds marins ? Les impacts environnementaux d'une éventuelle exploitation sont au coeur des réflexions actuelles, au-delà des défis technologiques sous-jacents. Nous souhaitons aussi aborder avec vous la question de la vulgarisation des enjeux et de l'information du grand public, comme des populations directement concernées.

Je pense en particulier à nos territoires ultramarins, mobilisés dans cette course aux grands fonds marins qui rappelle la course aux étoiles d'il y a quelques décennies. Les auditions que nous avons pu mener confirment qu'il existe une vraie compétition internationale sur ce sujet, qui n'est pas encore présent dans l'esprit de tous, mais qui mobilise de nombreux agents dans les administrations spécialisées.

M. Michel Peltier, délégué mer de l'Office français de la biodiversité (OFB). - Merci de m'avoir invité. À travers moi, c'est à l'OFB que vous donnez la parole. Il s'agit d'une agence de l'État, créée tout récemment, le 1er janvier 2020, par la fusion de l'Agence française de la biodiversité, qui était elle-même une agence assez récente, puisqu'elle datait de 2017, avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) - sachant que l'Agence française de la biodiversité avait intégré elle-même, en 2017, l'Agence des aires marines protégées, qui est le coeur maritime battant de l'OFB.

Cette Agence des aires marines protégées avait été créée en 2007, à la suite de la loi de 2006. Elle avait pour mission principale de mettre en place un réseau d'aires marines protégées dans les eaux françaises. Cette mission s'est élargie au fil du temps, notamment avec la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM), qui demande aux États de l'Union européenne de mettre tout en oeuvre pour assurer le bon état écologique des mers.

Cette DCSMM se fonde sur un certain nombre de descripteurs de biodiversité et d'environnement. Elle parle de l'impact sur les fonds marins, de l'eutrophisation, de la pollution... En tout, elle énumère onze descripteurs. Et les États doivent s'assurer que, pour tous ces descripteurs, les paramètres sont bons. Les premières évaluations datent de 2018, et elles sont défavorables ! Comme la directive-cadre sur l'eau, la DCSMM instaure un mécanisme de surveillance et de suivi scientifique, qui permet d'établir la qualité du milieu et de définir des remèdes. Toutes les actions réalisées, y compris la délivrance d'autorisations, comme les permis miniers, doivent se faire au regard de cet objectif final de bon état. Cela impose de procéder à l'appréciation de l'impact de chaque activité. Dans les eaux internationales, ce dispositif d'évaluation et de suivi pourrait être généralisé, sous réserve d'identifier des opérateurs internationaux susceptibles de s'en occuper.

L'OFB a-t-il été associé aux travaux récemment menés dans le cadre de la stratégie nationale et du programme France 2030 ? Honnêtement, non. C'est assez étonnant, d'ailleurs. M. Jean-Louis Levet n'a pas jugé bon de recevoir l'OFB, peut-être pour des raisons conjoncturelles, puisque son rapport a été rendu fin 2019, alors que nous étions en pleine fusion. Ce rapport, qui est resté longtemps assez confidentiel, développe une approche assez classique : on demande à un service de l'État quelles seraient les conditions de développement d'une activité industrielle en mer. Cela fait penser aux grandes stratégies lancées par le général de Gaulle pour développer telle ou telle industrie. Résultat : la biodiversité se trouve en quelque sorte en queue de peloton, elle est considérée comme un frein, comme le grain de sable qui enraye la belle mécanique. À cet égard, il aurait été bon que nous soyons associés à ces travaux, car la biodiversité est au coeur du débat : la mer n'est pas en bon état, et l'océan est agressé par un grand nombre de menaces, dont la première est le changement climatique.

Les grands fonds sont des milieux très stables, où la température et la densité sont remarquablement constantes, ce qui favorise considérablement le développement de la vie. La moindre évolution des conditions va probablement engendrer d'importantes conséquences sur l'océan. Un changement de la température, même de quelques centièmes de degrés, peut, dans les grands fonds, avoir des conséquences énormes sur des espèces conçues pour vivre à une température très stable. Un autre facteur déterminant est l'acidification, induite par le fait que l'océan absorbe de plus en plus de CO2. À cette menace, on ne peut apporter qu'une réponse globale, mais l'inertie du système est forte.

J'ai alerté à plusieurs reprises notre ministère de tutelle en rappelant que nous nous tenions à disposition pour contribuer à l'élaboration et à l'évaluation des politiques publiques, en particulier des politiques naissantes. C'est le cas puisque nous parlons du développement d'une activité prometteuse, mais qui appelle un encadrement public qui incombe à l'État. Or, étrangement, nous travaillons davantage avec des collectivités locales qu'avec l'État. Je suis donc enchanté que vous m'ayez invité !

Non seulement nous n'avons pas été associés aux travaux de préparation de cette stratégie, mais nous ne faisons pas partie de sa gouvernance : nous ne participons pas aux différents groupes de travail qui ont été mis en place. C'est dommage, car nous aurions une riche expérience à partager, notamment celle de l'ancienne Agence des aires marines protégées, qui avait commencé à cartographier la biodiversité marine afin de faire un état des lieux des enjeux. Il est vrai qu'elle avait commencé par les bandes côtières, où sont situées la plupart des zones protégées - et, dès 2012, l'Europe nous a demandé d'aller voir un peu plus au large.

Nous avons donc lancé des campagnes d'exploration en Méditerranée, dans les canyons profonds qui vont du plateau continental vers la plaine abyssale. Celles-ci ont fait intervenir de nombreux instituts de recherche, et ont montré la richesse spécifique de ces canyons. Elles ont aussi montré qu'on y trouvait, parfois à plus de 1 000 mètres de profondeur, des macrodéchets en quantité assez importante. Comme des rivières, ces canyons constituent des zones d'accumulation des déchets. L'activité anthropique y est en tous cas bien visible. Ces campagnes ont bien mis en évidence l'étroite relation entre la partie terrestre et les grands fonds, qui peut sembler contre-intuitive : les grands fonds ne sont pas un monde à part. Leur objectif était de créer des aires marines protégées, et d'étendre le réseau Natura 2000, ce qui a été fait en Méditerranée.

Nous avons aussi essayé de renforcer notre connaissance des enjeux de biodiversité dans les aires marines protégées. L'OFB est gestionnaire, de par la loi, des parcs naturels marins. La France n'en compte plus que huit, puisque celui des Glorieuses a été transformé en réserve naturelle nationale. Certains de ces parcs sont immenses. Celui de la Martinique, ou celui de Mayotte, couvrent l'ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) de ces territoires. Le plan de gestion de ces parcs fait toujours référence à la nécessité de mieux connaître les habitats profonds, et à l'importance de confier cette exploration à des instituts installés sur le territoire. À Mayotte, il n'y a pas d'institut de recherche. Le plan prévoit donc de faire de Mayotte un pôle d'excellence en matière de connaissance et de suivi des écosystèmes marins, ce qui implique d'y faire venir un certain nombre d'établissements susceptibles de participer à la vie du territoire et de renforcer la connaissance des enjeux de biodiversité chez les habitants. Il est vrai que l'apparition du volcan devrait accélérer les choses...

En Corse, nous menons beaucoup de travaux sur les grands fonds. Nous y travaillons avec l'entreprise Abyssa, que vous connaissez, pour explorer des monts sous-marins près du cap Corse et des Agriates, tout en testant de nouvelles technologies et méthodologies d'exploration. L'objectif est de produire des cartes assez fines, en utilisant des instruments à haute résolution, et en réalisant des prélèvements pour mesurer la biodiversité. Nous cherchons également à évaluer les pressions qui pèsent sur la biodiversité. Vous connaissez peut-être l'acronyme DPSIR : le D, pour driver, désigne l'activité dont on évalue les effets ; le P, pour pressure, désigne la pression exercée sur le milieu, voire la pollution ; le S désigne l'état (state) de biodiversité envisagé ; le I désigne l'impact lui-même du stress généré par l'activité ; le R, enfin, désigne la réaction (response) que l'industriel ou les pouvoirs publics peuvent mettre en place pour réduire l'impact.

Le parc marin est un outil de protection assez efficace. Certes, il n'édicte pas de réglementations, et son conseil de gestion n'a que la capacité de faire des propositions : c'est toujours le préfet qui décide de prendre un arrêté, ou de délivrer une autorisation d'exploiter. Le parc marin, de ce point de vue, est relativement passif. En revanche, à chaque fois qu'un projet a « un effet notable sur le parc », selon les termes du code de l'environnement, le conseil d'administration de l'OFB - et, parfois, par délégation, le conseil de gestion du parc marin - doit rendre un avis, qui a valeur d'avis conforme : s'il est négatif, parce que le parc considère qu'il y a bien un effet notable et que cet effet notable est incompatible avec les objectifs de conservation qu'il poursuit, le projet ne peut pas se faire : le préfet ne peut pas donner une autorisation.

C'est ainsi que le parc naturel marin des Glorieuses, avant sa disparition, a rendu un avis sur un projet d'exploration non pas minier, mais pétrolier. Il s'agissait d'exploration sismique. Le projet n'a pas été autorisé. Il est vrai qu'il était particulièrement mauvais, puisqu'il s'agissait d'émettre de puissants sons dans un endroit très fréquenté par les mammifères marins... En principe, un bon pétitionnaire intègre à son projet les enjeux de biodiversité ! Il existe en effet un certain nombre de moyens pour réduire la pression ou l'impact sur le vivant, en tenant compte des saisons par exemple.

Vous m'interrogez sur notre rôle dans les outre-mer. Ce sont les collectivités territoriales qui ont la compétence. À Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie l'OFB est en appui et ne fait rien sans être sollicité par les gouvernements de chaque pays. Nous sommes d'ailleurs souvent appelés, car nos sujets intéressent ces gouvernements, notamment ceux qui ont trait à la protection et à la gestion d'aires marines. Toutes les eaux de Nouvelle-Calédonie, par exemple, sont sous statut d'aire marine protégée, avec le parc naturel de la mer de Corail, qui impose un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds. En Polynésie, la situation est plus complexe mais, globalement, toutes les eaux de la zone économique exclusive (ZEE) sont couvertes par une aire marine gérée - ce qui n'est pas tout à fait le même statut qu'une aire marine protégée - et le Gouvernement polynésien, comme le Président Fritch l'a dit récemment à Brest lors du One Ocean Summit, a pour projet de créer une aire marine protégée au sein de cette aire marine gérée, d'établir une protection réglementaire de l'ensemble des récifs coralliens et de cartographier les quelque 500 monts sous-marins de la zone avec l'aide de l'OFB. Pour ce type de travaux, l'OFB mobilise l'expertise de divers instituts de recherche, par la commande publique ou le conventionnement. Par exemple, sur les monts sous-marins de Polynésie, nous travaillons avec le Muséum national d'Histoire naturelle.

Les principaux instruments de protection de la biodiversité en mer sont les aires marines protégées. Il est donc important d'avoir un certain nombre de garanties sur leur multiplication. L'objectif de couvrir 30 % de l'océan a été validé par les scientifiques. Est-ce à dire que tout est permis dans les 70 % restants ? Non, évidemment. Mais on peut y conduire un certain nombre d'activités, pourvu que ce soit fait de manière raisonnable, qu'il s'agisse d'exploiter une ressource naturelle renouvelable, comme la ressource halieutique, ou une ressource finie, pétrolière ou minière. Un moratoire interdit toute exploration pétrolière depuis 2017 dans la ZEE française. Sans doute faudrait-il trouver un moyen d'exploiter ces ressources sans impacter trop la biodiversité. À cet égard, il importe de bien identifier les enjeux. Sans forcément classer toute une zone en aire marine protégée, on peut savoir que, à tel ou tel endroit, il y a des enjeux majeurs. Pour identifier les impacts, un travail conséquent s'impose.

Actuellement, faute d'activité, nous n'avons pas beaucoup de recul - un peu comme sur l'éolien en mer. Or la transition énergétique provoque une forte demande, notamment pour les minerais et les terres rares. Il faut donc se lancer, tout en essayant de définir un cadre pour éviter des dommages irréparables. Cela implique de commencer par des projets pilotes, dont on peut mesurer concrètement l'impact sur site, et de définir des dispositifs de suivi solides, imposés par l'autorité compétente, pour mesurer, par des caméras ou des moyens de surveillance, les panaches, les quantités, etc. En amont, l'évaluation d'impact est fondamentale également. Les bureaux d'études ont trop souvent tendance à déclarer abruptement qu'il n'y aura pas d'impact.

La mer, l'océan et les espèces qui y vivent sont confrontés à un ensemble d'éléments de stress. Il n'y a pas qu'un facteur, que ce soit un parc d'éoliennes ou l'exploitation des fonds. Lors d'une conférence sur les éoliennes, un électricien disait que son projet serait la goutte d'eau qui ferait déborder le vase. Mais le vase est déjà bien plein ! La pollution, le bruit, le réchauffement climatique, la surpêche constituent déjà un cumul de stress. Il faut donc raisonner en tenant compte du cumul de leurs effets, notamment en dosant finement le nombre de projets acceptables, en fonction des capacités de chaque zone. Pour cela, l'activité économique et industrielle doit être accompagnée et suivie de façon très étroite par un dispositif scientifique capable de mesurer ses impacts sur la biodiversité.

Il n'est pas toujours simple, en effet, d'identifier la responsabilité de tel ou tel facteur sur l'évolution de telle ou telle ressource. Si l'on constate qu'une capacité trophique commence à faiblir, il faut remonter toute la chaîne pour savoir quelle en est la cause. Évidemment, le principe de précaution pourrait nous commander de ne pas en ajouter, vu le niveau de stress déjà imposé à la mer. Tant que nous ne sommes pas revenus à un bon état de la mer, c'est-à-dire un état où elle est résiliente et capable de faire face aux chocs et aux pressions qu'on lui inflige, nous ne devrions pas lancer de nouveaux projets. Les eaux européennes sont suivies et évaluées. Clairement, y ajouter du stress est une mauvaise idée, car elles ne sont pas en bon état.

En haute mer, rien n'est suivi. Peut-être que l'état est meilleur, peut-être qu'il est moins bon : franchement, on n'en sait rien. En tous cas, l'évaluation de l'état initial me semble assez indispensable. C'est souvent le problème pour les éoliennes : cette évaluation d'état nécessite des moyens importants et du temps long, qui se compte en décennies. Les enjeux économiques et stratégiques s'accommodent mal d'une telle temporalité. Il faut donc gérer cette incertitude. L'OFB peut y aider, notamment en développant une centralisation de la connaissance sur ce sujet. Des organismes de recherche, des universités, des agences, des entreprises privées, partout dans le monde, concourent à développer cette connaissance, souvent par des études d'impact. Mais tous n'ont pas le même protocole, ce qui réduit la valeur comparative de chaque démarche. La connaissance est donc éparpillée dans le monde. Il est bien difficile d'y avoir accès, y compris en ce qui concerne les données générées par la recherche publique.

Le CNRS réfléchit à la question, et appelle tous les chercheurs qui travaillent sur ces sujets à publier leurs travaux sur des plateformes communes. Pour avoir une vision globale, la seule méthode actuelle est de procéder à des évaluations collectives, qui durent deux ans et mobilisent un grand nombre de chercheurs. Nous en avons lancé une, par exemple, sur les impacts des éoliennes. Cette étude associera l'OFB à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et à l'Observatoire national de l'éolien en mer. Elle s'appuiera également sur le CNRS et, peut-être, le Muséum, pour procéder à une recherche bibliographique étendue à l'ensemble du monde. Nous pourrions étudier aussi l'impact des activités minières, ce qui serait peut-être plus facile. Comme pour toute activité émergente, il est intéressant de mettre en place un modèle numérique.

En septembre 2021, le Premier ministre a confié à l'OFB et à l'Ifremer le soin de monter un observatoire national de l'éolien en mer, avec deux missions. La première était de recenser la connaissance, y compris à l'étranger, et d'en tirer profit. La seconde était de mettre en place des protocoles destinés à homogénéiser la production de nouvelles connaissances. Nous devions aussi faire le rapprochement entre les zones propices et celles qui présentent des enjeux de biodiversité. De fait, pour l'industrie minière, il y a un problème, car les sulfures se trouvent dans des lieux qui sont très riches en biodiversité : ils créent un substrat qui offre un support à la vie. Il y aura donc sans doute un arbitrage à faire. Que conserver ? Une part de 30 % ? Une telle décision n'a de sens que si on comprend l'écosystème dans son ensemble. Il ne s'agit pas de casser un maillon de la chaîne.

Il faut aussi améliorer la technique de l'exploitation minière. Si l'on fait passer un bulldozer dans une forêt tropicale, on fait des dégâts. De même, si vous passez un chalut de fond dans des coraux profonds...

M. Michel Canévet, président. - Quels sont les moyens humains de l'OFB qui sont affectés à l'examen des grands fonds marins ? Qui commande la campagne de recherche en Méditerranée ?

M. Michel Peltier. - En ce qui concerne la connaissance, l'OFB ne fait que commander des études, pour savoir ce qu'il faut protéger. Nous avons toute une direction générale déléguée qui s'occupe de connaissance et d'acquisition de données, et de bancarisation des données acquises. En effet, l'OFB a une mission de fédération des systèmes d'information : nous intégrons toutes ces données dans des systèmes d'information et des banques de données.

Pour valoriser cette connaissance, il faut la transmettre au grand public. Sur cette étape, nous ne sommes pas encore au point. Sur l'éolien, nous lançons un marché avec des bureaux d'études spécialisés dans la vulgarisation.

Ensuite, nos troupes agissent sur le terrain, essentiellement dans les aires marines protégées gérées directement par l'OFB, donc les parcs naturels marins, ainsi que dans les sites Natura 2000 en mer. Nous assurons la maîtrise d'ouvrage d'un certain nombre d'actions répondant aux objectifs du plan de gestion de l'aire marine.

Dans ce cadre, nous pouvons réaliser des études, des travaux et des tests. Ainsi, en Corse, nous testons in situ un certain nombre de méthodes en lien avec les industriels avant de les valider.

L'OFB conclut et finance des marchés, que ce soit avec ses crédits propres, avec l'aide des fonds européens ou via les dispositifs de financement de la recherche. Les aires marines protégées ont aussi bénéficié de 19 millions d'euros au titre du plan de relance.

En parallèle, nos inspecteurs de l'environnement assurent des missions de suivi en participant à la surveillance. Pour les grands fonds, nous disposons de quelques plongeurs. Les agents font aussi des relevés de température et mettent en place des systèmes d'observation photographique, mais ces actions sont restreintes aux aires marines protégées : elles n'ont pas vocation à se déployer partout. Cela étant, il s'agit là d'un véritable sujet : quel est le système de suivi scientifique à retenir ? Quel est l'opérateur compétent ?

Nous faisons aussi un peu de police. C'est surtout le travail de l'ex-Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), qui lui-même avait succédé à l'Institut des pêches. Ces 1 700 à 1 800 agents, devenus inspecteurs de l'environnement, sont à la fois gardes-pêche et gardes-chasse. Mais, aujourd'hui, ils sont essentiellement tournés vers les enjeux terrestres. Pour ce qui concerne le milieu marin, ils participent à la lutte contre le braconnage sur le littoral - je pense, par exemple, à des espèces menacées comme la civelle.

Enfin, nous assumons des missions d'expertise, en particulier en appui. À ce titre, nous disposons de physiciens et, surtout, de biologistes. Nos antennes en Polynésie et dans le reste du Pacifique sont à même de définir des protocoles et de conclure des marchés tout en mobilisant la science : les services de l'État, en particulier les directions d'administration centrale, ne comptent plus tant d'experts en la matière.

Cette expertise reste circonscrite et concentrée sur l'éolien, mission qui vient de nous être confiée, en lien avec une priorité majeure des pouvoirs publics : développer l'industrie éolienne en mer. Mais j'insiste sur le fait qu'elle est d'ores et déjà mobilisée : ainsi, pour le marché conclu avec le Muséum national d'histoire naturelle pour le recensement des monts sous-marins en Polynésie, il faut commencer par écrire le cahier des charges. En quelque sorte, les experts prescrivent le besoin et les scientifiques essayent d'y répondre.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Un démonstrateur permettrait de mieux mesurer les impacts d'une exploitation minière, dès le stade de l'exploration. Êtes-vous partie prenante de ce projet pilote ? Pensez-vous devoir l'être, et à quel niveau ?

On sent bien que la compétition va s'exercer dans les zones internationales, notamment autour de Clipperton. À ce titre, nous attendons le règlement de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). La haute mer entre-t-elle également dans le champ de compétence de l'OFB ? Se limite-t-il à la ZEE nationale ? Pensez-vous que l'OFB doit étendre son domaine d'intervention, compte tenu du manque de connaissances criant que l'on déplore aujourd'hui au sujet des fonds marins ? Comment la France peut-elle se placer, eu égard au manque d'acteurs que l'on constate ?

Enfin, en quelques mots, comment définiriez-vous la différence entre l'Ifremer et vous ? Vous êtes réunis au sein de l'Observatoire de l'éolien en mer : cette formule est intéressante. Est-elle envisageable pour les grands fonds marins ?

M. Michel Peltier. - Nous ne sommes pas associés au projet de démonstrateur et je le déplore, car l'Office pourrait jouer un rôle intéressant à ce titre. Ce n'est pas un organisme de recherche, mais une agence d'appui. Or, en matière de recherche, on ne peut pas à la fois prescrire et répondre aux besoins.

Il est bon que les organismes de recherche, publics ou privés, soient mis en compétition. Mais en l'occurrence on est en train de construire une politique publique : dès lors, la puissance publique doit s'appuyer sur les agences mises à sa disposition. Il s'agit même de la raison d'être de l'OFB.

L'Ifremer est antérieur à l'OFB et à l'Agence des aires marines protégées. J'ajoute que son nom est assez révélateur : dans une logique gaullienne, il avait vocation à être, pour la mer, l'équivalent du Centre national d'études spatiales (CNES).

À l'origine, il s'agissait de déployer des moyens publics pour faire face à une carence du privé ; aujourd'hui, nous n'en sommes plus du tout là. L'Ifremer s'inscrit dans un monde concurrentiel et semble avoir un peu de mal à s'y mouvoir, ne serait-ce que du fait de sa flotte océanographique, qui coûte très cher. De son côté, l'OFB rencontre de nombreux représentants de jeunes entreprises agiles, capables de proposer diverses batteries de capteurs.

L'enjeu est donc l'environnement global de la recherche. Or l'Ifremer est toujours pris entre deux feux : il s'agit à la fois d'explorer pour exploiter - son but a été de développer des techniques de pêche intensives, puis, dans les années quatre-vingt, l'aquaculture - et de veiller au développement durable. Cela étant, l'écologie apparaît souvent comme la cinquième roue du carrosse.

De plus, la construction des plans est un peu compliquée : elle consiste à donner des crédits à l'Ifremer, qui, ensuite, va passer un certain nombre de commandes. De mon point de vue, ce système en cascade est un peu difficile à comprendre, même si, bien sûr, l'Ifremer est un très bel institut.

Est-ce un institut de recherche, un institut d'appui ou un institut d'expertise ? J'ai été reçu lundi dernier par le comité des parties prenantes de l'Ifremer, qui se pose lui-même la question. À mon sens, la clarification des rôles en matière de recherche entre le prescripteur et l'acteur me semble assez saine. C'est d'ailleurs ce que nous faisons avec la DCSMM.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - L'autre volet de France 2030, à savoir le développement de nos capacités d'exploitation, ne risque-t-il pas d'entrer en contradiction avec le rôle de l'OFB en matière de recherche ?

M. Michel Peltier. - Non. Pour l'éolien, l'objectif est le développement des parcs ; mais, ce que l'on nous demande, c'est d'examiner l'impact sur la biodiversité. À cet égard, nous sommes parfaitement dans notre rôle et nous nous efforçons de ne pas être instrumentalisés. Nous prenons soin d'être on ne peut plus neutres et objectifs, en nous appuyant sur la science, pour définir les zones de moindre impact ou de fort impact.

Nous sommes bel et bien présents à l'international, toujours en appui du ministère, qui lui-même est souvent en appui de Bruxelles. Ainsi, nous prenons part aux diverses négociations, au titre desquelles la notion d'océan comme bien commun me paraît tout à fait structurante. À cet égard, nous devons suivre un dispositif de rapportage, c'est-à-dire rapporter ce que l'on fait à l'ensemble de l'humanité.

Enfin, l'Office est précisément entre la science et la société. Son rôle est de faire comprendre des enjeux parfois très complexes, pour que les citoyens soient éclairés, influent sur leurs élus et changent eux-mêmes de comportement.

Au titre des campagnes scientifiques, nous travaillons en lien étroit avec le Muséum national d'histoire naturelle. Nous disposons même d'une unité mixte avec lui. En Martinique, les équipes du Muséum ont mené une grande campagne dédiée à la faune des grands fonds, à la demande du parc marin, à l'époque où j'étais directeur de la mer. Elles ont associé la population locale - les jeunes ont participé à l'échantillonnage - et ont installé une base d'étude totalement ouverte à Fort-de-France, dans des locaux gracieusement alloués par la Marine nationale. Cette opération a créé un véritable engouement et une amorce de culture scientifique de la mer.

M. Jean-Michel Houllegatte. - La stratégie nationale pour les aires protégées 2030 détaille un certain nombre d'objectifs et de mesures. Je pense à la consolidation du financement des aires protégées et surtout à l'accompagnement d'un changement de paradigme via la valorisation des services rendus par les aires protégées et la mobilisation de la société tout entière pour leur financement.

Au total, 77 % des ressources de l'OFB viennent des agences de l'eau ; le reste est constitué de dotations de l'État. Quelles sont les pistes d'évolution du financement de l'Office, notamment des aires protégées ?

M. Michel Peltier. - Je ne sais pas si c'est à moi de répondre à cette vaste question. En tout cas, le sujet fait actuellement l'objet d'une réflexion.

Les ressources de l'OFB dépendent effectivement de la redevance sur l'eau, qui transite par les agences de l'eau, mais ce sont les Français qui, en ouvrant leur robinet, financent la biodiversité.

À l'évidence, le modèle économique n'est pas encore tout à fait abouti. Certaines aires marines protégées sont assez bien financées, par exemple les parcs naturels marins et les parcs nationaux, établissements publics disposant de moyens propres. En revanche, les sites Natura 2000 en mer n'ont pas de ressources propres et les préfets doivent solliciter une multitude d'acteurs.

Il existe notamment des solutions fiscales. Pour l'éolien, on a opté pour des redevances d'occupation du domaine public et pour des taxes d'exploitation. De plus, quand vous remportez un appel d'offres, vous devez alimenter un fonds « Biodiversité ». Les montants peuvent atteindre 30 millions d'euros par champ éolien. Ce fonds est destiné au financement des aires marines protégées présentes à proximité.

Peut-être pourrait-on s'inspirer de ce modèle pour financer la protection par les revenus tirés de l'activité. Le concept est un peu nouveau, mais il obéit à une certaine logique.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je signale au passage que, lorsque les éoliennes sont au-delà de la limite des 12 milles, les collectivités territoriales n'ont plus droit à aucune retombée fiscale.

M. Michel Canévet, président. - Merci, monsieur Peltier, des propos que vous nous avez livrés.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Stéphane Pochic, président de la SAS Loctudy World Nodule Company (LWNC)

M. Michel Canévet, président. - Nous accueillons à présent M. Stéphane Pochic, président de la SAS Loctudy World Nodule Company (LWNC), accompagné de M. Charles Bridelance et de M. Pascal Reymondet. Stéphane Pochic est également armateur à Loctudy, et j'ai plaisir à recevoir un Finistérien au palais du France.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous sommes très intéressés par le système de drague des nodules polymétalliques que vous avez développé : nous souhaitons en savoir un peu plus sur son opérationnalité et sa disponibilité. Nous pourrons également revenir sur son impact sur l'environnement marin et sur la manière dont vous avez pris en compte cet enjeu lors de la conception de l'outil.

Nous nous intéressons globalement à la faisabilité industrielle d'une telle exploitation à l'échelle française, qui suppose un marché et un modèle économique permettant un certain niveau de rentabilité. C'est, in fine, le nerf de la guerre.

En parallèle, quel regard portez-vous sur la structuration de cette filière économique française ? A-t-on besoin d'un accompagnement public supplémentaire ? L'État doit-il jouer un rôle plus important ou différent, qu'il s'agisse de l'aide financière, du soutien technique ou encore de la mise en relation ?

Enfin, quel est votre avis sur la place de la France dans l'environnement mondial, face au Japon, au Canada, mais aussi à la Norvège ? La compétition internationale est désormais lancée, en particulier en haute mer : doit-on nouer des partenariats internationaux privés ou même diplomatiques afin de rattraper notre retard et d'aller plus vite ?

M. Stéphane Pochic, président de la SAS LWNC. - J'ai commencé la pêche à l'âge de quinze ans et je suis armateur depuis les années soixante-dix. J'ai eu la chance de sillonner presque tous les océans, notamment le Pacifique. Je suis ainsi passé par Clipperton et par la Polynésie, où j'ai appris ce que sont les nodules polymétalliques.

Depuis quarante ans, je lisais les différents rapports consacrés à cette question et je constatais que les Français restaient absents.

C'est alors que j'ai eu l'idée de mobiliser mon expérience de pêcheur et ma connaissance des fonds marins - j'ai commencé par travailler à 100 mètres de profondeur, pour finir à 1 200 mètres. J'ai, de plus, l'habitude de travailler sur les fonds vaseux pour pêcher la langoustine vivante.

J'ai donc été conduit à réfléchir de plus en plus précisément à la conception d'une drague permettant de récolter ces nodules tout en ayant le minimum d'impact sur le fond.

Telle est l'origine de ma start-up. Mon idée de départ s'inspire à la fois de l'agriculture et de la pêche, car elle prend pour base, tout simplement, le ramassage de la pomme de terre. Mon objectif, c'était de mariniser le savoir-faire agricole français ; de mariniser une drague, ou plutôt une récolteuse, pour récupérer les nodules polymétalliques au fond de l'océan - j'y insiste, avec le moindre impact possible.

Les coûts de la drague LWNC ne sont pas du même ordre que ceux de nos concurrents, notamment canadiens : c'est une drague purement mécanique, tractée par un navire.

Pendant mes trente ans de chalutage, j'ai aussi appris à respecter la ressource. Dans le monde entier, les autres acteurs passent par le offshore ; on n'aurait sans doute jamais pensé qu'un patron pêcheur en viendrait à s'intéresser aux nodules polymétalliques.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Où en êtes-vous de la conception du prototype ?

M. Stéphane Pochic. - Le Pôle mer Bretagne Atlantique et le Cluster maritime français sont associés à l'élaboration du dessin de cette récolteuse maritime. L'état de l'art que nous avons réalisé montre que mon projet est assez proche de ce que Ted Brockett a élaboré dans les années 1970. Contrairement aux technologies développées actuellement, mon système mise sur la simplicité, la robustesse et la préservation de l'environnement.

M. Charles Bridelance, partenaire de Stéphane Pochic. - Nous avons avancé dans la conception de la récolteuse et nous disposons d'un plan de développement complet, depuis le démonstrateur à petite échelle jusqu'à l'échelle 1.

M. Stéphane Pochic. - L'idée est de faire un essai très rapidement avec le démonstrateur à 100 mètres de profondeur afin d'en mesurer l'impact sur les fonds vaseux. Une fois ce démonstrateur validé, nous pourrons passer à l'échelle 1, c'est-à-dire à un essai au large de la Bretagne jusqu'à 3 000 mètres de profondeur.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Une fois récoltés, comment faites-vous remonter les nodules à la surface ?

M. Stéphane Pochic. - La récolteuse permet de récupérer les nodules de taille commerciale tout en évitant l'aspiration des fonds marins, et donc la récolte de sédiments et la destruction d'éléments vivants. Notre spécificité est d'avoir fusionné des techniques de pêche et des techniques agricoles pour parvenir à ce résultat. Ensuite, dans le cas de la récolteuse comme dans celui des robots aspirateurs, la remontée des nodules en surface suppose l'utilisation d'un système de riser.

M. Michel Canévet, président. - Quels sont aujourd'hui les freins à la poursuite du projet ?

M. Pascal Reymondet, partenaire de Stéphane Pochic. - Permettez-moi tout d'abord de me présenter, je suis un ancien cadre dirigeant d'une entreprise de chimie fine et de métallurgie.

Aujourd'hui, nous sommes à la recherche de financements. Nous nous sommes rapprochés d'une grande entreprise minière et d'une grande entreprise pétrolière françaises pour leur demander un appui technique et financier. L'une d'elles nous a signifié son manque d'intérêt pour le projet, et l'autre a indiqué que le projet n'était pas assez avancé pour qu'elle s'engage.

À notre avis, trois conditions sont nécessaires pour que de grosses entreprises industrielles s'engagent à nos côtés.

La première est que l'État subventionne le développement d'outils d'exploitation. Les appels à projets qui sont en cours portent presque exclusivement sur l'exploration. Or pour que les industriels s'engagent, il faut que les projets relèvent de l'exploitation. Il faut donc à notre avis que l'État subventionne un premier outil d'exploitation pour montrer la faisabilité, et ainsi clarifier les premières incertitudes. Il ne s'agit pas d'un engagement à long terme.

La deuxième condition est la clarification du cadre législatif. Les mines terrestres ont, par exemple, des règles de rejet normées. Tant que l'équivalent n'existera pas pour les mines sous-marines, un industriel privé ne pourra pas se lancer.

La dernière condition est d'utiliser le principe de précaution avec discernement, car des essais d'outils d'exploitation sont nécessaires pour obtenir des réponses à nos questions.

Du reste, la surface des grands fonds le permet. On pourrait par exemple sanctuariser 90 % de la surface et réaliser des essais d'exploitation sur les 10 % restants.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Vous pensez plus particulièrement à la zone Clarion-Clipperton ?

M. Pascal Reymondet. - Tout à fait. La partie française représente 75 000 kilomètres carrés.

M. Stéphane Pochic. - Pour l'instant on peut tout à fait se contenter de la zone Pacifique. Le cadre se met en place, j'espère que l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pourra finaliser les documents attendus dans les deux ans qui viennent.

En tant que petit acteur, je vois bien que d'autres pays avancent plus vite que nous, notamment le Canadien NORI. Les enjeux économiques sont tels que certains n'attendront pas que tous les documents soient prêts.

Si nous voulons tenir les engagements pris dans le cadre de la de la COP 21, nous aurons besoin des métaux critiques et des terres rares disponibles dans les grands fonds.

M. Jean-Michel Houllegatte. - L'innovation que vous proposez s'inscrit dans une chaîne. Les technologies d'extraction des minerais à partir des nodules sont-elles matures, et à moindre impact environnemental ?

M. Pascal Reymondet. - Il se trouve que je suis issu de l'industrie du raffinage. L'extraction de chaque matériau requiert une technologie différente. À ce jour, ce travail n'est pas de l'ordre de la recherche, mais du développement.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - La disponibilité des ressources terrestres ne compromet-elle pas votre modèle économique ?

M. Pascal Reymondet. - Le critère de rentabilité de l'exploitation sous-marine est le même que pour les mines terrestres, c'est-à-dire qu'il faut que le coût de production soit plus faible que le prix du métal. Si on exclut la spéculation et le stockage, qui ne jouent qu'à court terme, le prix d'un métal dépend du coût de production de la mine dont l'exploitation est la plus chère.

Pour que l'exploitation sous-marine soit rentable, il faudra que le coût d'extraction des nodules sous-marins soit moins élevé que le coût d'extraction de la mine terrestre la plus chère.

Or tant que les essais d'exploitation ne sont pas autorisés, nous ne pouvons pas déterminer le coût d'extraction et le comparer à celui des mines terrestres.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - On a l'impression que ce sera forcément plus coûteux.

M. Pascal Reymondet. - J'ai l'intuition inverse, mais cela reste à démontrer.

M. Stéphane Pochic. - Nous disposons de chiffres. Nous estimons que notre récolteuse pourrait récolter l'équivalent de 8 millions d'euros de métaux à l'heure avec un potentiel global de la zone qui se situerait entre 8 et 12 billions de dollars annuels. La fabrication d'une récolteuse coûterait environ 1 million d'euros. À titre de comparaison, le robot Patania de l'entreprise Deme coûte 562 millions d'euros.

Si l'État français était prêt à diriger un consortium, celui-ci pourrait être rentable. Les enjeux nationaux sont considérables, et j'estime qu'il ne faut pas rater le coche. La construction d'une éolienne offshore nécessite une tonne de métaux critiques. Si nous voulons investir dans les énergies renouvelables, nous aurons besoin de ces métaux.

M. Pascal Reymondet. - J'ai écouté l'audition des représentants du groupe Eramet. Leur message était très clair : plutôt que de dépenser de l'argent pour la recherche visant l'exploitation des nodules sous-marins, ils invitent l'État à leur donner de l'argent pour développer les mines terrestres.

J'estime qu'il serait dommage de ne pas essayer de déterminer les coûts de prospection des fonds marins.

M. Michel Canévet, président. - La récente hausse du coût des métaux rares amène à reconsidérer les choses.

M. Stéphane Pochic. - L'ensemble des acteurs de grande qualité avec lesquels nous avons noué des liens font le même constat que nous : il manque un pilote d'État.

M. Charles Bridelance. - Je ne me suis pas présenté tout à l'heure. Je suis issu de l'industrie chimique mondiale en tant que cadre supérieur.

Si l'État s'est beaucoup impliqué dans l'analyse, nous l'attendons encore sur les aspects de réalisation et d'exécution. Maintenant, il faut transformer l'essai, notamment au niveau financier.

M. Michel Canévet, président. - L'Ifremer est-il réceptif à votre projet ?

M. Charles Bridelance. - Nous avons un contact direct avec Jean-Marc Daniel, qui s'est tout de suite proposé d'accompagner notre aventure de start up. Les académiques sont prêts à nous apporter leur aide au travers d'études dont nous pourrions avoir besoin. Nous avons également des contacts très étroits avec le Cluster maritime français, BPI régions et les Pôles mer - nous avons d'ailleurs rencontré M. Jean-Louis Levet.

C'est avec les grands groupes que le bât blesse.

M. Pascal Reymondet. - Nous avons des contacts réguliers, mais la priorité de l'Ifremer reste l'exploration.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Avez-vous néanmoins le sentiment qu'il y a une volonté d'aller vers l'exploitation ?

M. Stéphane Pochic. - Je m'intéresse à cette question depuis quarante ans. Je crois vraiment que nous disposons de toutes les études nécessaires. Il nous faut maintenant passer à la suite, car en réalité nous sommes dépassés par d'autres pays. Les Canadiens ont déjà réalisé des essais au large des Canaries.

M. Pascal Reymondet. - Aujourd'hui, tout se passe comme si l'on s'interdisait de faire un appel à projets portant sur l'exploitation.

M. Stéphane Pochic. - Nous avons pris une année de retard sur notre démonstrateur du fait de problèmes administratifs rencontrés par Bpifrance.

M. Michel Canévet, président. - Quelle serait l'enveloppe budgétaire nécessaire pour mener l'essai du démonstrateur ?

M. Stéphane Pochic. - Le budget du démonstrateur s'élève à 450 000 euros, puis la construction de la drague échelle 1 coûterait 3 millions d'euros. Mais tout peut se faire rapidement, car la conception est simple, si bien que nous sommes en mesure de construire une drague à taille réelle en six mois.

M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et d'avoir exposé ce projet innovant. Nous avons bien compris l'urgence d'avancer.

Mes chers collègues, une délégation de la mission se rendra en Norvège la semaine prochaine. Je serai accompagné par le rapporteur, Angèle Préville et Alain Cadec.

Par ailleurs, nous envisageons de présenter le rapport le mardi 21 juin à 14 heures 30. Je vous remercie de bien vouloir le noter dans vos agendas.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 30.