Allocution d’introduction du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de la remise officielle du rapport sur les relations bilatérales franco-russes
des Commissions des Affaires étrangères du Sénat et du Conseil de la Fédération de Russie
(le 23 juin 2020, en visioconférence)




Madame la Présidente du Conseil de la Fédération de Russie,
Messieurs les Ambassadeurs de Russie en France et de France en Russie,
Monsieur l’Envoyé spécial du Président de la République pour l’architecture de sécurité et de confiance avec la Russie,
Monsieur le Président du Comité des Relations internationales du Conseil de la Fédération de Russie,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat,
Messieurs les Présidents des groupes parlementaires d’amitié entre nos deux pays,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, mes chers collègues, qui avez œuvré à la rédaction de ce rapport,

Je suis particulièrement honoré et heureux de vous retrouver, Madame la Présidente du Conseil de la Fédération, après cette période si singulière pour nos pays. Je forme comme vous des vœux pour que le spectre de l’épidémie se dissipe et que nos concitoyens retrouvent une vie plus habituelle.

Nous sommes réunis pour recevoir ensemble un rapport qui est le fruit de la confiance entre nos deux assemblées, de leurs efforts pour accompagner la densification des relations entre la France et la Russie voulue par nos gouvernements respectifs, Messieurs les Ambassadeurs, mais aussi pour aller plus loin, plus vite, lorsque les circonstances l’exigent.

Telle est la vocation de la diplomatie parlementaire : prévoir, accompagner, compléter, mais aussi anticiper, devancer.

Les restrictions qui perdurent du fait de l’épidémie de Covid 19, mais aussi le régime de sanctions, ne nous autorisent pas, Madame la Présidente, à vous recevoir à Paris. Vous connaissez la position du Sénat de la République française sur ce sujet, qui résulte d’une résolution adoptée à une immense majorité (302 voix pour, 16 contre) le 8 juin 2016 : nous y invitions le gouvernement français, je cite, « à travailler à la levée des sanctions individuelles visant les parlementaires, qui constituent un obstacle au nécessaire et utile dialogue parlementaire et politique ».

Cette résolution demeure pleinement d’actualité.

Le rapport que nous allons recevoir est, à bien des égards, unique.

Unique, parce que le Conseil de la Fédération de Russie est la seule assemblée avec laquelle le Sénat a entrepris de rédiger un rapport conjoint, traduit dans les deux langues, aboutissement du travail assidu de nos commissions des affaires étrangères. Je veux redire notre gratitude à leurs deux Présidents, ainsi qu’à l’ensemble des Sénateurs qui ont bien voulu contribué à cet exercice, dans la diversité de leurs sensibilités politiques.

Unique également, car ce travail résulte d’une initiative que nous avons prise ensemble, en février 2015, lorsque je me suis rendu en Russie, à votre invitation Madame la Présidente, alors que les relations à haut niveau entre nos deux gouvernements étaient devenues quasi-inexistantes. Dans ce contexte difficile, j’avais acquis la conviction qu’il revenait aux Sénats de maintenir le dialogue entre la France et la Russie, pays aux responsabilités mondiales. Nous avons partagé, Madame la Présidente, cette conviction.

Certes, dans le présent rapport comme dans le précédent, chacun conserve sa liberté de ton, et la possibilité d’exprimer en toute souveraineté son point de vue. Aucun sujet n’a été mis de côté, même les plus ardus. Mais la volonté est de dépasser les obstacles, d’envisager des solutions, de s’inscrire dans l’agenda positif de sécurité et de confiance qui anime désormais nos deux gouvernements, de suggérer des pistes pour passer à la vitesse supérieure. La présence des présidents des groupes d’amitié parlementaires entre la France et la Russie témoigne de cet état d’esprit, qui se veut à la fois réaliste et constructif.

Car la vocation d’un tel rapport n’est pas de rester à l’état de feuilles de papier mais bien d’enclencher des actions, de faire bouger les lignes, de provoquer des évolutions grâce à des gestes de bonne volonté et des signaux forts, fondés sur la réciprocité.

Tel fut le cas du 1er rapport, remis en 2018, qui fut pionnier dans la relance de la relation bilatérale.

La remise de notre présent rapport intervient à un moment crucial et hautement symbolique de l’amitié entre nos deux pays. Demain, dans l’ensemble de la Russie et à Moscou, vous célébrerez la « grande victoire » des alliés sur le nazisme.

Et nous célébrons en France tout au long de cette année 2020 celui qui, par son appel du 18 juin 1940, a permis à notre pays d’être dans le camp de la victoire : le Général de Gaulle.

Le Général de Gaulle fit le choix, dès décembre 1944, de se rendre à Moscou, en train depuis Bakou, avec une halte voulue expressément à Stalingrad : il souhaitait rendre hommage au courage de votre peuple, et s’incliner en ces lieux où le destin de l’Europe a basculé.

Le Général de Gaulle mesurait le prix du sacrifice du peuple russe - 27 millions de morts. Le régime soviétique ne se rangeait pas, il faut bien l’admettre, parmi les affinités culturelles du Général de Gaulle, mais au-delà de l’Union soviétique, c’était à la Russie que le Général s’adressait.

Devant Stalingrad, aujourd’hui Volgograd, il déclarait, je cite : « Le monde constate que ce peuple, votre peuple, est digne d’être grand parce qu’il sait combattre, c’est-à-dire souffrir et frapper, qu’il s’est élevé, armé, organisé lui-même et que les pires épreuves n’ébranlent pas sa cohésion. »

Chaque pays a eu sa part d’ombre pendant la guerre, et la France n’échappe pas à ce constat. Mais je tiens à le souligner, comme le fit à de multiples reprises le Général de Gaulle : sans l’alliance avec l’Union soviétique d’alors, la victoire définitive sur le nazisme n’eût pas été acquise. Nous serons donc présents ce 24 juin, par la mémoire et l’esprit, à vos côtés.

Dans les épreuves de la guerre et de la lutte contre le nazisme, la Russie a scellé son appartenance à la grande famille de l’Europe, celle qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural. Car l’Europe existe au-delà de l’Union européenne.

Aujourd’hui, il nous appartient de donner un nouveau sens à cette alliance. Il nous appartient de recomposer une architecture collective de sécurité et de confiance pour le continent européen, avec l’ensemble de ses États, sur la base du respect de la souveraineté et de l’indépendance de chacun d’entre eux.

Cela nécessite des efforts pour clarifier, lorsque nécessaire, les interrogations, voire les malentendus, et je n’en minimise pas la portée.

Je forme des vœux pour que la célébration du 75e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale soit l’occasion, non de remuer des blessures, mais de réfléchir à la destinée collective de notre continent, dans la paix et le développement.

Je suis convaincu que notre rapport contribuera à poser un jalon décisif sur ce chemin complexe, qui nécessite la bonne volonté de tous.

Seul le prononcé fait foi