Table des matières

  • Mercredi 5 mars 2003
    • Audition de M. Bernard Chevassus-au-Louis, président du Muséum national d'histoire naturelle, ancien président du groupe de concertation du Commissariat général du plan
    • Agriculture - Recherche - Organismes génétiquement modifiés - Audition de M. Pierre Pagesse, président de Limagrain et de Biogemma
    • Déplacement aux Etats-Unis de la mission « OGM » -Communication
    • Bureau de la commission - Nomination d'un vice-président et d'un secrétaire

Mercredi 5 mars 2003

- Présidence de M. Gérard Larcher, président, puis de Mme Odette Terrade, vice-présidente-

Audition de M. Bernard Chevassus-au-Louis, président du Muséum national d'histoire naturelle, ancien président du groupe de concertation du Commissariat général du plan

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Bernard Chevassus-au-Louis, président du Muséum national d'histoire naturelle, ancien président du groupe de concertation du Commissariat général du plan, ayant publié le rapport « OGM et agriculture : options pour l'action publique ».

Après avoir remercié M. Gérard Larcher, président, pour son invitation, M. Bernard Chevassus-au-Louis a souhaité aborder la question des organismes génétiquement modifiés (OGM) sous trois angles : d'abord technique, ensuite économique et enfin social.

Abordant le sommaire exposé technique qu'il avait annoncé, M. Bernard Chevassus-au-Louis a rappelé qu'un OGM, selon la définition de la directive communautaire 90/220, était un organisme dont on avait modifié le matériel génétique par l'addition de gènes étrangers, ce qui distinguait donc les OGM des résultats de l'hybridation, de la culture de cellules ou de greffes. Il a noté que, pourtant, l'espace du refus ou de l'adhésion à l'égard des OGM portait sur un objet beaucoup plus large que celui entrant dans la stricte définition rappelée ci-dessus. Il a d'ailleurs précisé que les Etats-Unis parlaient plus largement d'espèces « génétiquement altérées ». Il a relevé qu'il existait donc des OGM « hypocrites » qui n'entraient pas strictement dans le champ de la directive communautaire, citant en exemple le cas d'un maïs résistant à un herbicide total mais n'étant pas proprement un OGM au sens communautaire. A l'égard de ces « vrais-faux OGM », deux options lui ont paru ouvertes : la première serait de considérer que l'opinion accepterait plus facilement ces OGM « hypocrites » parce qu'ils ne sont pas stricto sensu des OGM ; la seconde consisterait en une intégration de ces nouvelles méthodologies dans le même espace de refus ou d'adhésion par rapport aux OGM actuels.

Il a jugé que cette deuxième option était la plus vraisemblable et qu'il convenait donc de se préparer à appréhender des modifications génétiques beaucoup plus larges que celles visées par la définition des OGM, estimant, en sa qualité de membre de la Commission du Génie Biomoléculaire, que les critères techniques de risques éventuels étaient identiques dans les deux cas.

Evoquant ensuite les enjeux économiques des OGM, M. Bernard Chevassus-au-Louis a rappelé le message central qu'avait voulu exprimer le Commissariat général du Plan dans son rapport sur les OGM, à savoir qu'il ne fallait pas surestimer les enjeux économiques de court terme des OGM, mais ne pas sous-estimer non plus leurs enjeux à long terme. A court terme, il a estimé que le différentiel de compétitivité créé par l'adoption ou non d'OGM n'était pas décisif aujourd'hui, la compétitivité actuelle en matière de grande culture (maïs, soja) reposant essentiellement sur d'autres critères que la maîtrise des OGM de première génération. A long terme, en revanche, il a considéré que toutes les semences seraient alors faites par des entreprises qui maîtriseraient les biotechnologies, même s'il resterait un créneau pour les semences « à l'ancienne ». Il a jugé que, dans le cas des semences, il n'y aurait donc pas de « phénomène Microsoft », c'est-à-dire qu'une seule semence polyvalente ne pourrait pas être efficace partout en raison de la nécessaire adaptation de chaque semence aux contextes locaux.

Plus généralement, il a souhaité déconnecter les OGM de la question du modèle agricole intensif. Constatant que les OGM étaient aujourd'hui prioritairement utilisés pour les plantes de grande culture, il a précisé que ce phénomène s'expliquait par le caractère plus rémunérateur et plus large des marchés de grande culture et relevé, à ce propos, que 50 % du chiffre d'affaires des grandes entreprises semencières étaient faits grâce au maïs. S'interrogeant sur le type d'agriculture que l'Europe souhaitait pour demain, il a jugé qu'en tout état de cause, le meilleur moyen pour garantir une agriculture plurielle en Europe était de « ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier » et de permettre à différents modes de production agricole d'être performants pour s'adapter à la diversité des terroirs européens. Il a considéré comme une nécessité que toutes ces agricultures puissent avoir accès aux biotechnologies, relevant que ces technologies n'étaient pas au service d'un modèle agricole par rapport à un autre, mais que l'ensemble des modèles agricoles pouvaient y trouver une chance.

Concernant le débat social sur les OGM, M. Bernard Chevassus-au-Louis a souhaité analyser les blocages de ce débat en Europe. Il a considéré qu'il n'existait pas de solution technique à ce débat. Convenant que certaines améliorations techniques étaient possibles (concernant les marqueurs des OGM, la précision de l'insertion des gènes...), il a estimé que ces améliorations éventuelles ne changeraient pas l'opinion des gens à l'égard des OGM. Il en a pris pour preuve que les approximations techniques en matière de thérapies géniques n'empêchaient pas l'acceptation de ces thérapies par le public. Se référant aux sociologues de l'innovation, il a affirmé que la crédibilité d'une innovation était intrinsèquement liée à la crédibilité de ceux qui la portent et donc du système d'innovation tout entier. Ceci lui a paru particulièrement vrai pour les OGM, lesquels constituent une innovation « incolore, inodore et sans saveur ». Après avoir conclu que l'ouïe restait le seul sens disponible pour se faire une opinion sur les OGM, il a relevé que ce sens n'était pas le plus développé en matière alimentaire... Rapprochant le cas des OGM de celui de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB) et de celui des résidus de pesticides, il a noté que tous ces risques qui ne se voyaient pas amenaient le public à chercher de la « rassurance ». Il lui a donc semblé crucial que l'opinion puisse retrouver une confiance dans le système, qu'il s'agisse de recherche, à la fois publique et privée, d'autorisation, de traçabilité...

M. Gérard Larcher, président, a remercié M. Bernard Chevassus-au-Louis pour son exposé qu'il a jugé très synthétique et ciblant bien les problématiques.

M. Jean Bizet, président de la mission d'information sur les OGM, a remercié le président Gérard Larcher, en son nom ainsi qu'au nom de M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, et des autres membres de la mission, d'avoir imaginé cette rencontre avec M. Bernard Chevassus-au-Louis, afin de préparer les membres de la commission aux conclusions de la mission OGM et à la transposition à venir des directives communautaires en ce domaine. Il a souhaité faire deux remarques :

- il a tout d'abord noté que les surfaces cultivées en OGM représentaient 60 millions d'hectares, soit le double de la surface agricole utile française et en a conclu que la problématique des OGM était loin d'être marginale et appelait une décision politique qui pouvait intervenir rapidement grâce aux débats multiples qui avaient déjà eu lieu ;

- il a également souhaité attirer l'attention de ses collègues sur l'importance du différentiel des budgets de recherche entre les deux rives de l'Atlantique, le programme de recherche français Génoplante bénéficiant de 45 millions d'euros, alors que les organismes de recherche américains disposaient de 300 millions de dollars. Rejoignant les propos de M. Bernard Chevassus-au-Louis qui avait alerté sur les conséquences à long terme de ce différentiel, il a jugé nécessaire que soit posée la question du type d'agriculture que l'Europe voulait pour demain.

M. Gérard Larcher, président, a relevé que, de ce point de vue, le débat sur les OGM s'apparentait à celui sur la politique agricole commune (PAC).

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission d'information sur les OGM, a rappelé que cette mission travaillait depuis un an, quasiment à raison d'une journée par semaine, ce qui lui avait permis d'entendre de nombreuses personnalités, sur un sujet qui pouvait être identifié comme un vrai problème de société.

Tout d'abord, il a souhaité souligner qu'un virage était à prendre : alors que les OGM explosent dans une partie du monde (Inde, Brésil, Chine), il est urgent, a-t-il déclaré, de s'interroger sur la possibilité et l'opportunité pour l'Europe de rester en marge de cette évolution et de persister dans son moratoire. Il a relevé que ce moratoire bloquait toute démarche de recherches et que, simultanément, d'autres pays continuaient à déposer des brevets dans le domaine des biotechnologies. Il a établi un parallèle entre la situation actuelle et celle d'il y a 30 ans où, pendant 5 à 6 ans, la France avait refusé les maïs hybrides, ce qui l'avait ensuite conduite à acheter des semences de sociétés américaines. Il a déploré ce « retour de l'histoire » et cette nouvelle occasion en passe d'être manquée.

Il a ensuite décliné les différentes destinations des cultures OGM :

- il a d'abord évoqué les OGM liés aux grandes cultures (maïs, soja, colza), lesquels présentaient surtout un intérêt pour les grandes surfaces agricoles du type de celles qui se rencontrent aux Etats-Unis. Il a jugé que l'intérêt économique des OGM pour l'agriculture française n'était donc pas une évidence, les exploitations sur le territoire national pouvant aussi bien avoir une surface de 30 hectares que de 1 000 hectares, et que les petites parcelles dégageaient des marges trop faibles pour que la culture des OGM devienne rentable ;

- il a ensuite évoqué les OGM liés à la pharmacie et à la médecine, lesquels dégageaient des plus-values importantes et dont le positionnement n'était pas assimilable aux OGM des grandes cultures ;

- il a enfin cité le cas des productions OGM à des fins purement alimentaires et fait part de son scepticisme à leur égard tant que le consommateur n'y retrouvait pas son intérêt dans l'assiette. En revanche, il a jugé qu'on aurait tort d'ignorer que les deux tiers de la planète ne mangeaient pas à leur faim et que certains OGM susceptibles de contribuer à la résolution de ce problème (riz enrichi en vitamine A, cultures résistantes au stress hydrique...) ne pouvaient être écartés, déplorant que la Zambie ait refusé en 2002 l'aide alimentaire américaine consistant en du maïs OGM.

Il a fait part de deux de ses questionnements : relevant que la culture biologique occupait peu de surfaces agricoles mais avait une importance psychologique considérable, il s'est interrogé sur la manière de préserver son existence ; constatant par ailleurs le développement croissant d'expériences génétiques sur les animaux, il a estimé que ce développement pouvait très justement inquiéter l'opinion en raison de la parenté entre les espèces animale et humaine.

Pour conclure, il a remercié M. Bernard Chevassus-au-Louis des pistes intéressantes qu'il avait tracées, soulignant, à l'instar de son collègue M. Jean Bizet, le très grand danger économique pour l'Europe de se priver de recherches dans le domaine des biotechnologies mais aussi la nécessité de construire des barrières à l'utilisation des OGM.

M. Hilaire Flandre a exprimé sa reconnaissance à l'égard de M. Bernard Chevassus-au-Louis pour la définition précise des OGM qu'il avait exposée. Il a souligné le paradoxe qu'il y avait à être préoccupé par les mutations opérées par la main de l'homme et à ne pas se soucier des mutations génétiques intervenant spontanément dans la nature (sélection conventionnelle, hybridation, greffe...).

M. Jean Boyer, revenant sur la frayeur que ressentaient les consommateurs à l'égard des OGM, a jugé que cette frayeur tenait sans doute à un défaut d'explications et à un silence perçu comme gênant voire suspect. Il a ensuite souhaité savoir si la poursuite de la recherche en matière d'OGM ne risquait pas de fragiliser les plantes, comme la rose s'était trouvée fragilisée par diverses recherches.

M. Bernard Barraux a relevé la très grande clarté de l'exposé de M. Bernard Chevassus-au-Louis. Il a suggéré qu'une prestation télévisuelle de l'orateur pourrait être à même d'apporter au public la « rassurance » attendue.

En réponse, M. Bernard Chevassus-au-Louis a précisé qu'il avait participé à 80 réunions publiques relatives aux OGM en deux ans, ce qui lui avait permis de toucher un public d'environ 4.000 personnes, ce qui était évidemment sans commune mesure avec la télévision, mais il a fait part de la très grande difficulté qu'il y avait à exposer une position nuancée par le biais des médias audiovisuels. Il a en outre déploré que les semenciers n'aient communiqué qu'envers leurs clients agriculteurs et pas à l'égard des citoyens.

Concernant l'agriculture biologique, il a confirmé qu'il était effectivement nécessaire de trouver un compromis raisonnable avec le « bio », lequel représentait une des valeurs de « rassurance », mais que chacun devait y mettre du sien. Il a rappelé, à cet égard, que l'agriculture biologique avait une obligation de moyens et non pas de résultats. Dans le domaine des OGM, il a envisagé que l'agriculture biologique puisse s'engager à ne pas utiliser de semences OGM, ce qui commandait de lui offrir des filières certifiées, mais il a estimé qu'en revanche les pollutions génétiques provenant des cultures voisines ne pouvaient être absolument évitées. Il en a conclu qu'il était nécessaire de faire la part entre ce que l'Etat, comme représentant des citoyens, acceptait de garantir, à savoir les droits d'exercice du métier d'agriculteur biologique, et ce que ces agriculteurs biologiques choisissaient de s'imposer comme contraintes supplémentaires. A cet égard, il a estimé que l'Etat ne pouvait pas garantir le zéro absolu et qu'il revenait aux agriculteurs biologiques de supporter une présence fortuite marginale d'OGM comme ils le font pour d'autres résidus.

Concernant les recherches génétiques sur les animaux, il a appelé à une décision politique en ce domaine. Evoquant la décision prise par une juridiction américaine interdisant ce type de recherches sur les « espèces supérieures », il a considéré qu'une telle décision, même si elle n'avait aucun sens biologique, avait une portée politique susceptible de pacifier le débat.

S'agissant de la fragilisation des plantes, il a estimé que ce risque n'était pas inexistant avec les produits d'aujourd'hui mais qu'il convenait de rechercher des variétés adaptées et solides. Après avoir admis que les OGM de première génération dans le Sud de la France n'étaient en effet pas notoirement intéressants pour les agriculteurs, il a considéré que, sur le long terme, l'écart ne manquerait pas de se creuser et que les variétés n'ayant pas usé de ces technologies seraient certainement dépassées.

Abordant le sujet de l'innovation variétale et de son financement privé ou public, il a rappelé que l'innovation variétale aux Etats-Unis comme en Europe était pendant longtemps ressortie exclusivement à la sphère publique. Il a considéré important que l'innovation publique demeure et que revienne au privé ce qu'il savait faire mieux et moins cher.

M. Jean Bizet, président de la mission d'information sur les OGM, a insisté sur le fait que, au-delà des OGM, la génomique en elle-même était fondamentale. Notant que les OGM étaient susceptibles de n'être qu'un épisode transitoire, il a imaginé que la sélection variétale pourrait s'opérer demain selon un mode très différent d'aujourd'hui par le biais de la génomique.

M. Bernard Chevassus-au-Louis a même affirmé que la génomique était peut-être le meilleur moyen d'éviter les OGM. Rappelant que l'hybridation pouvait déstabiliser le génome et en faire ressortir un virus caché, il a insisté sur l'importance de la génomique de demain, laquelle permettrait de savoir précisément ce que l'on faisait en inventant des variétés, y compris par des méthodes traditionnelles.

M. Gérard Larcher, président, a relevé que ce riche débat apportait la preuve que les OGM représentaient un enjeu de société tout autant qu'un enjeu scientifique.

Agriculture - Recherche - Organismes génétiquement modifiés - Audition de M. Pierre Pagesse, président de Limagrain et de Biogemma

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Pagesse, président de Limagrain et de Biogemma.

M. Pierre Pagesse a insisté, en préambule, sur l'enjeu fondamental que représentait l'innovation, facteur de progrès et donc de croissance et de gains économiques. Il a estimé qu'à l'avenir l'agriculture française dépendrait de deux facteurs, la réglementation internationale et l'innovation. Il a rappelé que Limagrain, quatrième groupe semencier mondial, était le premier semencier indépendant, les trois premiers dépendant tous de l'agro-chimie. Il a précisé que les accords de Marrakech de 1994 avaient ouvert la voie à une concentration sans précédent dans le secteur, évolution profondément liée à la question de la brevetabilité du vivant. Il a jugé que cette concentration menaçait à terme l'indépendance de la France et de l'Europe, dans la mesure où l'indépendance politique ne se concevait pas sans indépendance alimentaire. Il a déclaré partager avec l'ensemble des syndicats agricoles la conviction que cette concentration était menaçante, concluant cependant que deux réactions étaient possibles : soit tourner le dos à l'évolution, soit faire face et devenir acteur de cette innovation, voie dans laquelle s'était engagée Limagrain depuis 1994. Il a indiqué que Biogemma, parfois appelée « le laboratoire des paysans », était bien la propriété des agriculteurs. Il a estimé que les groupes pharmaciens et agrochimistes avaient souhaité s'étendre dans le domaine des semences parce qu'ils prévoyaient qu'elles seraient demain le vecteur des sciences de la vie. Il a rappelé que le métier de semencier sous-tendait l'évolution de la production agricole et que l'augmentation de sa productivité avait permis de répondre globalement aux besoins nés de l'augmentation de la population mondiale. Il a souligné que la transgénèse ne représentait qu'un aspect des biotechnologies, citant en exemple Biogemma qui, après avoir démarré ses travaux sur la transgénèse, s'attachait désormais de façon croissante à l'ensemble des sciences et outils liés à la génomique.

Il a indiqué que le recours au coton Bt et au maïs Bt permettait l'économie, aux Etats-Unis, de 260.000 tonnes d'insecticides. Il a également cité une étude européenne concluant que les OGM ne menaçaient pas plus la biodiversité que la sélection conventionnelle. Il a ajouté enfin que le processus d'homologation des OGM permettait de diminuer très fortement les risques théoriques, ce dont M. Bruno Rebelle, directeur de Greenpeace, avait convenu en février 2002 en reconnaissant que les OGM homologués ne présentaient de danger ni pour la santé ni pour l'environnement. Il en a conclu que, dans ces conditions, le débat n'était pas d'ordre scientifique mais d'ordre politique.

Rappelant que l'écart d'investissement dans ce domaine était de un à deux entre l'Europe et les Etats-Unis et de un à dix entre la France et les Etats-Unis, il a estimé que la question était posée de savoir si la France et l'Europe pourraient rester dans la course à l'innovation. Il a jugé que le principe de précaution ne devait pas être un principe d'inaction et qu'il n'était ni le droit de faire sans savoir, ni celui d'interdire par ignorance. Il a estimé que la France et l'Europe n'avaient pas le droit de rester à l'écart de technologies qui auraient à l'avenir un rôle incontournable dans les économies nationales. Il a souligné que cela expliquait l'engagement de Limagrain dans ce domaine, au-delà du périmètre de l'entreprise, l'enjeu étant l'indépendance des agriculteurs de l'agro-alimentaire, et, in fine, du consommateur, et celle du pays tout entier. Il a précisé que cet engagement s'était traduit par la constitution de Biogemma puis par une participation active dans Génoplante avec le choix délibéré de s'appuyer sur la recherche publique pour que la France dispose d'une masse critique suffisante dans un contexte de compétition scientifique internationale. Il a émis le souhait que des moyens financiers soient redéployés vers ce domaine des sciences de la vie pour les raisons citées ci-dessus. Il a indiqué que Biogemma menait actuellement au total 17 essais d'OGM, quand Monsanto en menait plus de 600 sur une seule thématique, tout en précisant que les équipes scientifiques attachées à ces programmes étaient de niveau international.

Abordant la question des brevets, il a estimé que ceux-ci comportaient des aspects positifs et négatifs, la pratique américaine aboutissant à un détournement du droit des brevets, puisque, normalement, le brevet était une description qui permettait, pour les hommes de l'art, une reproduction à l'identique, ce qui n'était pas le cas en matière végétale. Il a souhaité que « l'exception du sélectionneur », qui avait cours dans le cadre de la convention UPOV, puisse être reconnue plus largement au niveau international. Il a jugé que l'action que menait l'Europe sur la défense de ses appellations d'origine contrôlée (AOC) était importante, mais ne devait pas faire oublier le caractère prioritaire du dossier des biotechnologies.

M. Gérard Larcher, président, a considéré que les enjeux évoqués par M. Pierre Pagesse étaient absolument fondamentaux.

M. Jean Bizet a tenu à saluer l'engagement de Limagrain dans ce dossier. Il a estimé que les biotechnologies pourraient être une solution à l'augmentation des besoins due à la démographie. Il a enfin déploré les destructions de plants OGM et rappelé la demande de la société Méristem thérapeutics que soit mis en place un véritable principe de protection des cultures autorisées conformément aux procédures réglementaires.

M. Jean-Marc Pastor a souhaité savoir si, d'une part, M. Pierre Pagesse pensait que pouvaient coexister une agriculture OGM et une agriculture sans OGM, et si d'autre part Génoplante pourrait durer à l'avenir.

M. Dominique Braye a souhaité obtenir des précisions sur la stratégie des agrochimistes dans leur rachat de semenciers.

M.  Pierre Pagesse a estimé, en réponse à M. Jean-Marc Pastor, que la cohabitation de différents types d'agriculture était possible, à condition de sortir des dogmes. Il a rappelé qu'il avait lui-même été très partisan de l'étiquetage dès lors qu'un seuil de présence fortuite réaliste serait retenu, comme celui pratiqué par les produits de l'agriculture biologique, le label bio demandant 95 % de produits Bio, ce qui sous-tendait un seuil de tolérance de 5 %. Il s'est déclaré persuadé que l'étiquetage et la liberté de choix du consommateur étaient indispensables à l'acceptation des OGM. Il a rappelé que le Japon avait choisi un seuil de présence fortuite de 5 %, et la Suisse un seuil de 3 % et de 1 % dans le cas spécifique des produits bio. Il a insisté sur le fait que dans le cadre des règlements européens, rien n'obligeait les produits bio à imposer un seuil de « 0 % d'OGM ». Il a rappelé, par ailleurs, que dans la nature, la pureté absolue n'existait pas. Il en a conclu à la nécessité d'un seuil raisonnable économiquement et techniquement réaliste, estimant que 1 % était déjà un niveau très exigeant. Il a fait valoir qu'adopter un seuil inférieur, conduirait à réduire le choix des consommateurs car, soit tout serait étiqueté « contient des OGM », soit la culture des variétés OGM en Europe serait impossible. Répondant à la seconde question de M. Jean-Marc Pastor, il a émis l'espoir que Génoplante puisse subsister, tout en exprimant sa préoccupation de voir Bayer se retirer du GIS. Il s'est interrogé sur l'éventualité d'obtenir pour Génoplante une ligne de crédit de l'ADAR (Agence du développement agricole et rural) à l'image de ce qui se faisait en Australie. Il a précisé que si Génoplante devait s'arrêter, les droits de propriété intellectuelle issus de Génoplante reviendraient aux agriculteurs à travers leurs filières, ce qui pourrait fonder la légitimité du soutien financier de la nouvelle Agence.

Répondant à l'interrogation de M. Dominique Braye, il a estimé que les agro-chimistes, s'étant sentis menacés dans le domaine des herbicides et des fongicides, avaient souhaité acquérir les semenciers pour conserver une perspective d'avenir. Il a ajouté que l'apport des biotechnologies à la protection des plantes serait sans doute essentiel, en particulier dans le domaine de la lutte contre les virus. Il a rappelé, pour le déplorer, que l'essentiel de la recherche biotechnologique dans le domaine de la vigne était menée en Californie ou en Australie.

M. Gérard Larcher, président, après avoir rappelé l'importance de ce sujet, a estimé qu'une décision de nature politique était tout à fait indispensable en la matière et s'est félicité que la commission ait prochainement l'occasion d'exprimer une position politique sur le sujet à l'occasion de la présentation, puis de l'adoption, du rapport de sa mission d'information sur les organismes génétiquement modifiés.

Déplacement aux Etats-Unis de la mission « OGM » -Communication

La commission a ensuite entendu la communication de MM. Jean Bizet, président, et Jean-Marc Pastor, rapporteur, sur le déplacement aux Etats-Unis de la mission sur les organismes génétiquement modifiés (OGM).

M. Jean Bizet, président de la mission d'information, a indiqué qu'au terme d'un programme d'auditions particulièrement riche, la mission d'information de la commission sur les OGM avait souhaité effectuer un déplacement aux Etats-Unis. Il a précisé que plusieurs raisons l'expliquaient : d'une part, la place prépondérante des Etats-Unis dans la connaissance et l'utilisation des OGM, la surface cultivée en OGM approchant les 30 millions d'hectares aux Etats-Unis, soit une superficie proche de la surface agricole utile française ; d'autre part, la mission s'était interrogée sur les conditions de l'émergence d'un consensus sur les questions d'OGM, dans la société. Or, ce dossier ne semblant pas soulever de difficultés aux Etats-Unis, il convenait de savoir pourquoi ; enfin, le dossier OGM était un volet de relations transatlantiques qui connaissaient, depuis le 11 septembre 2001, une évolution préoccupante, au point qu'on avait parfois l'impression d'un fossé d'incompréhension, voire d'hostilité de part et d'autre. Il a indiqué que, sur tous ces aspects, le déplacement s'était révélé très fructueux. Il a souhaité insister sur le pragmatisme des interlocuteurs rencontrés et leur volonté de parvenir à rapprocher les points de vue. Il en a conclu que ce déplacement était source d'optimisme, car si certains points séparaient les Européens des Américains, ils avaient aussi des intérêts communs bien compris. Evoquant la question commerciale, notamment dans le cadre d'une éventuelle plainte à l'organisation mondiale du commerce (OMC) contre le moratoire européen sur les OGM, il a indiqué que celui-ci cristallisait la colère des producteurs américains, car ils le vivaient à la fois comme une barrière non tarifaire injustifiée et contraire aux règles de l'OMC, et comme une mise en cause de la qualité des produits américains. Il a déclaré avoir été très frappé de voir la franchise et la lucidité avec laquelle les interlocuteurs américains de la mission convenaient qu'une plainte à l'OMC serait contre-productive quant à l'acceptation des OGM en Europe, là n'étant plus l'essentiel à leurs yeux. En effet, ils étaient désormais très inquiets que la position européenne puisse s'étendre dans le reste du monde, et ruiner leur agriculture. Il s'est déclaré convaincu de la possibilité de trouver une porte de sortie acceptable des deux côtés de l'Atlantique. Il a estimé que certains éléments seraient sans doute incontournables pour dessiner un consensus en Europe : l'étiquetage, la traçabilité et la garantie de la possibilité pour l'agriculture biologique de continuer à survivre, ce qui impliquait aussi un seuil de présence fortuite raisonnable. Il a insisté sur le fait que la contrepartie consisterait à lever assez rapidement un moratoire qui apparaissait comme un rejet catégorique de toute la technologie OGM. Il a fait part de sa conviction que les questions scientifiques occupaient en fin de compte une place relativement marginale dans le dossier, les gens raisonnables reconnaissant qu'il n'y avait pas de risque zéro, dans le domaine du vivant, mais qu'il n'y avait pas non plus de risque identifiable spécifique à la technique de la modification génétique. Il en a conclu qu'il y avait donc un problème d'arbitrage politique et d'expression d'un choix collectif.

Il a enfin souhaité faire part, indépendamment du dossier des OGM, de la forte impression qu'avait produite sur la délégation de la mission l'appareil productif agricole américain. Commentant des cartes de production obtenues par utilisation de la technologie GPS, il a fait valoir la précision du travail de production. Il a indiqué que les agriculteurs américains de l'Illinois recouraient de façon croissante à la culture sans labour, qui permettait de limiter l'érosion des sols et la pénétration des intrants phytosanitaires dans les nappes. Il a insisté sur le fait que, contrairement aux idées reçues, les agriculteurs américains étaient très attentifs à l'environnement, et qu'ils commençaient à recourir au concept de multifonctionnalité. Il a indiqué enfin que les producteurs américains semblaient extrêmement préoccupés de la concurrence du Brésil.

Précisant que les échanges avec ces agriculteurs de l'Illinois avaient été particulièrement intéressants, il s'est félicité de l'audition d'une demi-douzaine de membres d'une délégation du syndicat agricole de l'Illinois, mercredi 12 mars à 15 heures.

M. Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission d'information, a présenté les principales étapes du déplacement aux Etats-Unis, à Washington, Chicago et dans le centre de l'Illinois. Il a estimé que les échanges avec les interlocuteurs institutionnels américains à Washington, parlementaires ou membres de l'administration, avaient été empreints d'une grande fermeté, certes courtoise, à l'image de l'entretien avec M. Thad Cochran, président de la commission Agriculture du Sénat américain. Il a indiqué que le refus par la Zambie d'une aide alimentaire américaine, au motif que celle-ci serait composée de céréales OGM, avait beaucoup choqué les Américains, qui accusaient les Européens de faire pression sur les pays en voie de développement. Il a indiqué la très grande confiance dans le système de sécurité sanitaire et alimentaire qu'avaient à la fois les représentants de l'administration et le public. Il a souligné la mesure des associations de consommateurs, dont la prudence restait constructive.

Abondant dans le sens de M. Jean Bizet quant à l'appréciation positive pour l'environnement que portaient les agriculteurs américains sur les OGM, il a estimé que les échanges menés dans l'Illinois avaient été marqués par une plus grande ouverture, les discussions permettant même d'envisager des seuils de 1 à 2 % pour certaines espèces. Il a souligné que les revenus des exploitants américains n'étaient pas aussi élevés que ce que l'on imaginait souvent en Europe, nombre d'entre eux ne parvenant à l'équilibre économique qu'avec le soutien des aides de l'Etat fédéral. Jugeant, à la lumière de l'entretien avec un des principaux responsables de Monsanto, que cette entreprise était très fragilisée par un retour sur investissements insuffisant, il en a conclu que la poursuite du moratoire pourrait finir de la déstabiliser. Il s'est déclaré très impressionné par l'activité de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign (UIUC), qui menait à la fois des activités de recherche, d'enseignement et de vulgarisation sur le terrain.

M. Jean-Marc Pastor a souligné l'intérêt des entretiens menés avec les chercheurs de cette université, ainsi que de la visite d'une porcherie expérimentale de porcs transgéniques. Il a également fait valoir l'intérêt d'un entretien avec les représentants d'un organisme indépendant d'analyse des enjeux agro-alimentaires, le Pew Initiative on Food and Biotechnology, ceux-ci s'efforçant d'aborder le dossier de façon objective et dénuée de parti pris.

Il a insisté sur le fait que les producteurs de l'Illinois semblaient disposer à accepter étiquetage et traçabilité, dès lors que le surcoût de ces mesures serait intégré au prix du produit. Il a fait valoir la simplicité de la solution américaine en matière de responsabilité, celle-ci reposant sur le semencier dans le cadre de la responsabilité de droit commun.

Il a retenu de ce déplacement l'urgence pour la France et l'Europe à continuer la recherche dans ce domaine. Abordant la question de la contamination fortuite, il a fait valoir le cas du maïs-semence, pour lequel un système fonctionnait depuis trente ans en France, ce qui laissait entrevoir la possibilité de dispositifs équivalents pour les OGM. Il a précisé que les cultures OGM américaines s'accompagnaient de zones-tampons de 800 à 1 600 mètres, pour éviter la contamination et l'apparition de résistances.

M. Hilaire Flandre a précisé que la culture sans labour existait aussi en France, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur de la mission d'information, ajoutant que le recours à cette technique dépendait largement des caractéristiques des sols.

Bureau de la commission - Nomination d'un vice-président et d'un secrétaire

La commission a enfin procédé à une modification de la composition de son Bureau. Elle a élu, aux fonctions de vice-président, M. Bernard Piras, en remplacement de M. Jean-Marc Pastor, qui avait fait part de sa décision d'en démissionner. Elle a parallèlement élu M. Jean-Marc Pastor aux fonctions de secrétaire du Bureau, en remplacement de M. Bernard Piras.