Table des matières


Mercredi 16 décembre 1998

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président, puis de M. Jacques Legendre, vice-président -

Audition de M. Antoine Prost, professeur émérite à l'université de Paris I

La commission a d'abord procédé à l'audition de M. Antoine Prost, professeur émérite à l'université de Paris I.

Après avoir prêté serment, M. Antoine Prost a estimé que les problèmes essentiels des enseignants n'étaient pas d'ordre financier. Il a rappelé que leur traitement avait été revalorisé de manière importante par le Gouvernement de M. Michel Rocard et que les revenus des professeurs agrégés par exemple, étaient supérieurs, à qualification équivalente, aux revenus du secteur privé. Dans le même sens, la création du corps de professeur des écoles a permis d'améliorer la situation financière des personnels enseignants du premier degré et d'influer sur les choix de carrière de nombreux étudiants.

Il a indiqué que le malaise des enseignants n'était pas un phénomène nouveau et résultait pour une large part d'une inadéquation entre les contenus des programmes et les méthodes d'enseignement.

Il a ajouté que la crise économique, le chômage des jeunes et le caractère inadapté de la " culture scolaire " avaient aggravé cette situation de crise que l'école n'a pas su surmonter. Il a estimé à cet égard que le discours " utilitariste " tenu vis-à-vis des élèves s'était révélé inadapté et peu crédible au regard de l'important taux de chômage des jeunes, le système scolaire devenant, au même moment, le facteur principal de sélection des jeunes.

Cette évolution a conduit, selon lui, à majorer les enjeux scolaires dans une société à vocation égalitaire qui continue de légitimer la supériorité sociale conférée par les diplômes.

M. Antoine Prost a ensuite fait observer que le développement de la violence, qui concerne désormais 35 à 40 % des collèges, était particulièrement préoccupant et que cette violence se déplaçait aujourd'hui des cours de récréation et des abords des établissements vers les salles de classe.

Constatant que les petits établissements connaissaient généralement moins de tensions et enregistraient de meilleurs résultats, il a rappelé que la politique de construction de cités scolaires avait connu un coup d'arrêt à partir de 1968, mais que l'éducation nationale avait aujourd'hui à nouveau tendance à regrouper les établissements pour bénéficier d'économies d'échelle, notamment concernant le personnel d'encadrement.

Il a ensuite estimé nécessaire de moderniser le " management " du corps enseignant en développant la constitution d'équipes pédagogiques animées notamment par les chefs d'établissement et les conseillers d'éducation. Il a indiqué à cet égard qu'une réaction de solidarité active des personnels permettrait seule de résoudre les problèmes de violence, alors qu'une gestion bureaucratique conduit au contraire à l'enfermement de chaque enseignant dans ses difficultés.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Jean-Léonce Dupont a souligné la faible marge de manoeuvre dont disposent les chefs d'établissement et s'est interrogé sur les modalités de mise en oeuvre des équipes pédagogiques évoquées.

M. Gérard Braun s'est étonné que les professeurs puissent enseigner " des choses qui n'intéressent pas les élèves ".

Mme Hélène Luc a souligné l'importance des diplômes dans le contexte actuel de crise économique. Elle a fait observer que les élèves n'étaient pas favorables à un allégement des programmes qui pourrait nuire à la qualité de l'enseignement. Soulignant que la violence n'était pas de même nature dans les divers types d'établissement, elle a rappelé que la vocation du système scolaire était de permettre à un maximum de jeunes de se trouver en situation de réussite. Elle a enfin estimé que les intervenants adultes des établissements devraient bénéficier d'une formation spécifique.

S'appuyant sur son expérience personnelle, M. Jean Bernadaux a rappelé le rôle essentiel joué par les enseignants auprès des parents en matière d'orientation des élèves.

Soulignant les grandes différences existant entre les lycées, M. Jacques Mahéas s'est demandé si les personnels devaient être gérés de la même façon et si leur formation ne devait pas être adaptée en conséquence.

Il a regretté notamment que la gestion actuelle des personnels enseignants ne permette pas de nommer des enseignants aguerris dans les établissements les plus sensibles.

M. Jacques Valade s'est interrogé sur la possibilité de regrouper certaines disciplines et a regretté que les allégements de programmes ne suscitent pas de réelle réaction des enseignants. Il a enfin rappelé que des motivations utilitaristes et des comportements corporatistes avaient entraîné, par exemple, la disparition de disciplines comme le grec et le latin.

S'interrogeant sur les modalités de mise en oeuvre d'un nouveau style de " management " par les chefs d'établissement, M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint, a remarqué que les candidats à ces postes étaient insuffisants et s'est enquis des mesures qui permettraient de remédier à cette situation.

M. Jean Arthuis s'est demandé si une gestion centralisée du corps enseignant était compatible avec un " management " fondé sur la constitution d'équipes pédagogiques. Il s'est par ailleurs inquiété de l'objectivité et de l'utilité des inspections et des évaluations des enseignants.

Mme Hélène Luc a dénoncé la surcharge des classes qui ne permet pas d'offrir des conditions d'enseignement satisfaisantes.

Répondant à ces interventions, M. Antoine Prost a notamment apporté les précisions suivantes :

- les chefs d'établissement disposent en fait déjà de pouvoirs importants et ont la possibilité de constituer des équipes pédagogiques. Le développement d'un style nouveau de management apparaît à cet égard plus important qu'un accroissement de leurs prérogatives ;

- les professeurs sont aujourd'hui très spécialisés et cette opération est à l'origine d'une forte conscience identitaire ; ils se voient ainsi moins comme des éducateurs ou des pédagogues que comme des historiens ou des anglicistes ; le développement d'une certaine bivalence disciplinaire qui ne porterait pas atteinte à leur motivation apparaît souhaitable ;

- la montée du phénomène de la violence tend à détériorer le rapport pédagogique avec les élèves, tandis que le développement du chômage des jeunes a pour effet de décrédibiliser l'école ;

- le niveau de l'enseignement ne résulte pas de l'extension du nombre des disciplines proposées et la multiplication des matières peut aussi conduire à une dilution des savoirs ;

- les interventions de personnes " expérimentées " dans le cadre du temps scolaire ne doivent pas se multiplier au détriment de l'apprentissage des matières essentielles ;

- le rôle des parents dans l'orientation de leurs enfants était autrefois essentiel, mais il est aujourd'hui de plus en plus réduit dans certaines catégories socio-professionnelles ;

- si les établissements présentent en effet des caractéristiques extrêmement variées, il n'apparaît pas opportun d'envisager des formations spécifiques des enseignants en fonction de leur affectation dans tel ou tel type de collège ou de lycée ;

- le rôle des chefs d'établissement est essentiel dans les zones sensibles, pour éviter le développement de la violence ; il serait envisageable que les affectations d'enseignants ne deviennent définitives qu'après acceptation de l'équipe pédagogique de l'établissement, la nomination de jeunes enseignants motivés dans des établissements difficiles ne devant, par ailleurs, pas être systématiquement exclue ;

- la régression du latin a résulté d'un changement de mode de sélection qui est désormais fondé sur les mathématiques ;

- le contenu des manuels doit être le reflet des programmes scolaires, car une certaine conception " maximaliste " des programmes proposée par les éditeurs est de nature à placer les enseignants en position de faiblesse par rapport aux parents ;

- les deux tiers des évaluations, telles qu'elles sont pratiquées, sont inutiles et il conviendrait d'en réduire le nombre et de les approfondir dans le cadre d'une évaluation collective des établissements ;

- le système scolaire est suffisamment déconcentré pour permettre de mettre en oeuvre un nouveau style de management : le projet d'établissement prévu par la loi d'orientation du 10 juillet 1989 sur l'éducation était en fait conçu pour fédérer les équipes autour de grandes orientations, mais il a été détourné de son objet et utilisé en fait trop souvent pour obtenir des crédits ;

- si les classes surchargées sont de moins en moins nombreuses, les problèmes de violence et de discipline se posent désormais avec acuité, y compris dans certaines classes d'école maternelle.

Audition de M. Michel Dellacasagrande, directeur des affaires financières au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Michel Dellacasagrande, directeur des affaires financières au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Après avoir prêté serment, M. Michel Dellacasagrande a précisé que la direction des affaires financières avait en charge, outre les problèmes budgétaires proprement dits, la coordination statutaire et l'enseignement privé, et exerçait la tutelle du service des pensions.

S'agissant de la gestion des personnels et des emplois, la direction des affaires financières exerce une double compétence : d'une part, elle contrôle l'adéquation entre les effectifs inscrits en loi de finances et les personnels effectivement recrutés, et, d'autre part, elle veille à ce que les crédits soient " calibrés " de manière satisfaisante.

Il a ainsi précisé que, dans un premier temps, était déterminée une enveloppe destinée à chaque direction gestionnaire d'emplois qui sont affectés dans les inspections académiques : les directions concernées sont celle de l'enseignement scolaire et celle des personnels administratifs, techniques et d'encadrement. Les enveloppes sont calculées à partir des crédits inscrits en loi de finances, puis établies au niveau du chapitre budgétaire. Ce mode de calcul autorise toutefois l'existence d'emplois en surnombre : dans le premier degré, on peut dénombrer ainsi 350 emplois en surnombre, et 1.130 dans le second degré.

Il a ensuite indiqué que, dans un second temps, la consommation réelle des emplois implantés sur le terrain faisait l'objet d'une vérification budgétaire, dite " contrôle national des emplois ", au niveau du chapitre.

M. Michel Dellacasagrande a ainsi précisé que, sur les six dernières années, 126.000 emplois d'ATOS étaient inscrits sur le chapitre 31-90 et 33.000 sur le chapitre 36-60. Ces emplois budgétaires sont plus importants que les emplois effectivement pourvus sur le terrain, sauf pour l'année scolaire 1993-1994, au cours de laquelle a été constaté un surnombre de 22 emplois sur le chapitre 31-90, mais une sous-consommation de 100 emplois sur le chapitre 36-60. Dans le premier degré, 321.000 emplois d'enseignants sont inscrits sur le chapitre 31-92. Les emplois effectifs correspondent à l'enveloppe budgétaire, sauf pour l'année 1997-1998, qui présentait un surnombre de 383 emplois. Dans le second degré, la situation est plus complexe, le chapitre 31-93 supportant la rémunération de 458.000 emplois mais concernant tout aussi bien des emplois d'enseignants que de personnels de direction, d'éducation et d'orientation ou encore les rémunérations des maîtres d'internat-surveillants d'externat (MI-SE). Les emplois en surnombre sont plus nombreux pour cette catégorie de personnels : 2.738 emplois en 1994-1995, 4.754 emplois en 1995-1996, 9.000 emplois en 1996-1997.

M. Michel Dellacasagrande a ensuite apporté des éléments d'explication à ces surnombres. Des maîtres-auxiliaires, rémunérés sur le chapitre 31-93, ont d'abord été recrutés pour pallier l'insuffisance d'enseignants titulaires. En outre, les postes mis aux concours ont souvent été trop nombreux : ainsi, en 1990, 33.000 postes ont été mis au concours, puis ce nombre a été progressivement réduit, 21.450 postes étant mis au concours en 1999, soit une baisse de 35 % par rapport à 1995. Le taux de rendement des concours, c'est-à-dire le taux permettant de pourvoir les postes vacants, s'est constamment amélioré : tous concours confondus, il était de 62 % en 1991 et de 87 % lors de la dernière session. Par ailleurs, la répartition des postes mis aux concours entre les disciplines n'a pas toujours été optimale : des recrutements ont été ainsi poursuivis dans des disciplines pourtant excédentaires comme la géographie ou les sciences économiques et sociales, alors que des disciplines déficitaires, comme l'anglais, les sciences de la vie et de la terre, l'espagnol ou les disciplines professionnelles, auraient pu bénéficier de recrutements supplémentaires. Enfin, la gestion du chapitre 31-93 a souffert d'une dilution des responsabilités : les décisions relatives au recrutement et à l'affectation des personnels titulaires sont prises par l'administration centrale, tandis que les rectorats gèrent le recrutement et l'affectation des maîtres-auxiliaires, de telle sorte que ces derniers étaient encore recrutés alors même que le nombre d'enseignants titulaires augmentait.

L'année scolaire 1997-1998 s'est traduite par un changement important de la nomenclature budgétaire, tous les titulaires étant rémunérés sur le chapitre 31-93, et tous les maîtres-auxiliaires l'étant sur le chapitre 31-97. Cependant, le chapitre 31-93 témoigne d'une sous-consommation des crédits représentant environ 3.000 emplois vacants, tandis que le chapitre 31-97 supporte encore la rémunération de 26.000 maîtres-auxiliaires.

Abordant la question de la fiabilité des contrôles ainsi effectués, M. Michel Dellacasagrande a estimé que celle-ci était satisfaisante pour les personnels du second degré et les personnels ATOS, car le contrôle repose sur les bases de données académiques. En revanche, cette fiabilité est moins grande s'agissant des personnels du premier degré, pour lesquels aucun système informatisé de gestion n'a été mis en oeuvre.

Il a également expliqué qu'une autre enquête, dite enquête masse indiciaire, réalisée à partir des fichiers de paye de chaque académie, permettait de faire des recoupements annuels avec le contrôle national des emplois. Les résultats de cette enquête font apparaître un nombre d'emplois inférieur à celui obtenu lors du contrôle national des emplois, et l'enquête permet également de connaître l'indice moyen des personnels, pour chaque grade.

Il a ensuite précisé que les crédits inscrits en loi de finances devaient être correctement " calibrés " afin de satisfaire les besoins exprimés au niveau des académies. Rappelant que le budget de l'enseignement scolaire comportait essentiellement des crédits de rémunération, il a fait observer qu'une erreur de prévision de 1 % risquait de se traduire par un désajustement de 2,5 milliards de francs en fin d'année. Au cours des trois dernières années, il n'a pas été nécessaire de recourir en loi de finances rectificative à des crédits supplémentaires, la gestion 1998 laissant même apparaître un excédent de 100 millions de francs, alors que des besoins à hauteur de 400 millions de francs étaient apparus en 1993-1994.

Un large débat s'est ensuite instauré.

M. Jean Arthuis s'est enquis de la possibilité d'obtenir un état précis des effectifs des différentes catégories de personnels de l'éducation nationale pour chaque niveau d'enseignement. Il a souhaité obtenir des précisions sur les tâches autres que pédagogiques effectuées par les personnels enseignants. Il s'est interrogé sur la fiabilité des méthodes de contrôle des corps d'inspection et a demandé s'il existait des emplois qui n'étaient pas comptabilisés par la direction des affaires financières.

M. Gérard Braun s'est inquiété des conséquences des lois de décentralisation pour les personnels de l'éducation nationale qui, avant 1982, géraient les collèges et les lycées, les premiers étant aujourd'hui à la charge des départements et les seconds à celle des régions. Il a manifesté son étonnement en constatant que l'éducation nationale était l'unique employeur de France à ignorer le nombre exact des personnels qu'elle rémunérait. Il a souhaité connaître le pourcentage des titulaires et des contractuels, ainsi que la façon dont le ministère préparait le départ à la retraite de 40 % du corps enseignant au cours des prochaines années. Enfin, il s'est interrogé sur l'évolution spécifique du glissement-veillesse-technicité (GVT) des fonctionnaires de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint, a souhaité obtenir des précisions sur la manière dont étaient rémunérés les emplois non budgétaires, et s'est interrogé sur la possibilité d'établir des comparaisons pertinentes sur les effectifs, compte tenu du changement de nomenclature intervenu en 1998.

M. Adrien Gouteyron, président, s'est interrogé sur les raisons de cette modification de la nomenclature budgétaire.

M. Jean Bernadaux a souhaité connaître la différence entre les emplois gelés et les emplois gagés.

M. Jean Arthuis s'est enquis de l'existence, dans l'éducation nationale, d'un document similaire au registre du personnel des entreprises. Il a voulu savoir si les emplois en surnombre étaient récapitulés chaque année, et s'est inquiété du poids croissant des charges de retraite des personnels de l'éducation nationale.

M. Michel Dellacasagrande a reconnu qu'il n'était pas en mesure de chiffrer précisément les emplois d'enseignants présents dans les établissements scolaires. Il a toutefois souligné que le contrôle national des emplois faisait l'objet d'améliorations rendues possibles par les systèmes informatisés de gestion qui permettent aux recteurs de connaître la situation des personnels en fonction, notamment celle des enseignants du second degré. Il a précisé que la direction de la comptabilité publique avait connaissance des bulletins de paie établis dans chaque académie, les résultats étant arrêtés au mois de mars de chaque année.

Il a affirmé que tous les personnels de l'éducation nationale étaient, d'une manière ou d'une autre, connus de la direction des affaires financières, même si cette dernière raisonnait en termes de postes en équivalent temps plein. S'agissant des heures supplémentaires, il a précisé que la direction des affaires financières s'assurait que les académies ne dépensaient pas plus que les dotations budgétaires inscrites au chapitre 31-95, mais a expliqué que l'exécution effective des heures supplémentaires ne pouvait pas être contrôlée, leur utilisation étant décidée par le chef d'établissement.

M. Michel Dellacasagrande a précisé que l'enquête masse indiciaire permettait de connaître la répartition des personnels à temps plein et de ceux à temps partiel. Il a ajouté que le GVT des personnels de l'éducation nationale n'était pas fondamentalement différent de celui du reste de la fonction publique, et a précisé que le GVT des personnels de catégorie A était plus élevé que celui des catégories B et C.

Il a indiqué que les départs à la retraite des enseignants auraient constitué un véritable problème pour l'administration centrale au cours des années 1980, les candidats aux concours étant alors moins nombreux que les postes à pourvoir. Il a ajouté que, actuellement, 11.500 départs à la retraite avaient lieu chaque année dans le premier degré, ce chiffre devant s'élever à 13.000 en 2002. Dans le second degré, 10.000 enseignants partent chaque année à la retraite et ils devraient être 15.000 en 2002. Il a ainsi estimé que les postes mis au concours permettraient de remplacer les enseignants partis à la retraite.

Il a par ailleurs réfuté l'affirmation selon laquelle l'éducation nationale serait le seul employeur à ne pas connaître précisément le nombre de ses salariés, indiquant que les systèmes d'information du ministère lui permettaient de connaître la situation des effectifs, y compris ceux du second degré et ceux des personnels ATOS. Il a expliqué que les problèmes susceptibles d'apparaître dans la connaissance précise des effectifs étaient liés au fait que l'éducation nationale employait 1,2 million de fonctionnaires.

Il a estimé que le recours à des emplois en surnombre constituait en fait une technique purement budgétaire indispensable à la réalisation d'ajustements intervenant en cours d'année.

Enfin, il a précisé que le coût des pensions des personnels de l'éducation nationale s'accroissait régulièrement, ajoutant que ce coût avait doublé depuis 10 ans : il s'élevait en 1990 à 29 milliards de francs, et à 58 milliards dans le projet de loi de finances pour 1999, soit une augmentation de 4 milliards de francs par rapport à l'année précédente.

Audition de Mme Marie-France Moraux, directeur des personnels enseignants au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de Mme Marie-France Moraux, directeur des personnels enseignants au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Après avoir prêté serment, Mme Marie-France Moraux a rappelé que la politique de recrutement des personnels enseignants était établie à partir de modèles de prévisions prenant en compte, d'une part, les besoins appréciés à travers l'évolution des horaires, des effectifs, de la taille des classes et des besoins de remplacement et, d'autre part, le nombre potentiel d'enseignants non titulaires, c'est-à-dire le stock de maîtres auxiliaires.

Elle a fait observer que certaines incertitudes pesaient sur cette programmation, en soulignant notamment qu'une heure d'enseignement d'une discipline générale, en plus ou en moins, correspondait à 1.500 emplois équivalents à temps plein.

A titre d'exemple, elle a indiqué que 600 professeurs de physique étaient recrutés chaque année et que le fait d'ajouter une heure d'enseignement hebdomadaire dans cette discipline supposait de multiplier par deux ce recrutement ; à l'inverse, la diminution d'une heure d'enseignement se traduit plutôt par un renforcement des moyens de remplacement, par la mise en place de nouvelles structures ou par un dédoublement de classes. Ces évolutions sont susceptibles de se traduire par une utilisation des enseignants dans des disciplines proches de la leur, ce type d'ajustement étant cependant généralement mal vécu par les intéressés.

Mme Marie-France Moraux a estimé qu'un certain décalage dans l'application des réformes concernant les horaires d'enseignement permettrait de réduire ce type de difficultés et que l'importance prévisible des départs à la retraite, dans quelques années, permettrait de résorber les stocks d'enseignants en surnombre dans certaines disciplines.

Elle a aussi souligné que les prévisions de recrutement ne permettaient pas de prendre en compte l'engouement des parents ou des étudiants pour telle ou telle discipline et de faire face, par exemple, aux besoins exprimés depuis quelques années pour l'espagnol en seconde langue ou pour les filières sportives dans l'enseignement supérieur.

Elle a indiqué que d'autres incertitudes tenaient au rendement des concours qui diffère selon les disciplines : certaines, telle la mécanique, sont sensibles à la conjoncture économique, d'autres, comme l'enseignement musical, sont traditionnellement délaissées et enfin, pour certaines, les formations universitaires ne sont pas adaptées aux besoins de l'éducation nationale.

Plus généralement, et pour répondre aux départs importants d'enseignants dans les années à venir, Mme Marie-France Moraux a souligné que l'éducation nationale avait fait le choix de recruter depuis plusieurs années des enseignants en surnombre, ceux-ci n'occupant pas nécessairement des fonctions d'enseignement, mais étant affectés provisoirement à l'encadrement pédagogique des élèves.

Elle a fait observer qu'une politique de recrutement ne pouvait, à elle seule, résoudre tous les problèmes d'affectation et permettre tous les ajustements. Elle a estimé que le rétablissement, dans certains cas, d'une bivalence des enseignants pouvait être envisagée et que la réforme des collèges permettrait également de moduler les horaires des disciplines au sein des établissements.

S'agissant de la déconcentration du mouvement des enseignants, elle a rappelé que la réforme introduirait un changement important de méthode, en confiant à chaque académie la responsabilité d'un véritable exercice de prévision permettant de mettre en balance leurs besoins et leurs moyens en personnels. Fin janvier, les académies devront transmettre leurs prévisions et fin mars, elles auront connaissance de la répartition des effectifs, ce qui leur laissera le temps de procéder jusqu'à la rentrée aux ajustements nécessaires.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Gérard Braun a souhaité obtenir des précisions supplémentaires sur les activités et sur l'avenir des enseignants recrutés en surnombre. Il s'est par ailleurs interrogé sur le sort futur des 40.000 emplois-jeunes de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint, s'est interrogé sur les moyens permettant de favoriser la bivalence des enseignants pour répondre aux besoins d'ajustement disciplinaire et sur les options à prendre pour adapter la formation des futurs enseignants à leur discipline.

M. Jean Arthuis a demandé si la direction des personnels enseignants avait la responsabilité de la formation initiale et continue des enseignants, et comment celle-ci était en mesure d'ajuster la gestion des recrutements afin de tenir compte de la baisse prévisible des effectifs scolarisés dans le secondaire.

S'agissant de la définition des enseignants en surnombre, il a demandé si, outre les effectifs recrutés au niveau national par concours, les recteurs pouvaient effectuer des recrutements en dehors des crédits budgétaires prévus à cet effet. Il s'est enfin demandé si la titularisation massive des maîtres-auxiliaires n'avait pas contribué à introduire encore plus de rigidité dans la gestion des enseignants.

Évoquant le taux de rendement des concours, qui a évolué au cours des dernières années, M. Jean Bernadaux s'est enquis des méthodes utilisées pour répondre aux besoins.

M. Serge Lagauche s'est demandé si la déconcentration du mouvement des enseignants aurait des conséquences sur la gestion des heures supplémentaires.

Répondant à ces interventions, Mme Marie-France Moraux a indiqué que les enseignants en surnombre étaient notamment affectés au développement des nouvelles technologies et à l'encadrement pédagogique des élèves, mais qu'il convenait de ne pas les laisser trop longtemps dans ce statut précaire.

S'agissant de l'intérêt de la bivalence disciplinaire, elle a reconnu que la disparition des professeurs d'enseignement général des collèges avait conduit certains enseignants à partager leur temps d'enseignement entre plusieurs établissements. Elle a jugé que le développement de la bivalence pouvait constituer une réponse aux problèmes d'ajustement et rappelé que ce problème serait examiné dans le cadre de la mission confiée au recteur Bancel. Elle a estimé que les formations dispensées dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) pouvaient être adaptées pour favoriser la bivalence des enseignants, mais qu'il serait plus difficile de faire évoluer les formations universitaires.

En ce qui concerne le réemploi des maîtres auxiliaires, elle a rappelé les pressions sociales qui s'étaient exercées en ce domaine ainsi que les effets de la loi Perben, qui a permis de résorber la précarité de ces personnels. Elle a reconnu que ce réemploi massif avait compliqué les prévisions de recrutement au niveau national.

Elle a indiqué qu'il existait des travaux sur l'évolution des effectifs enseignants, et a souligné que pour ajuster ces effectifs aux variations du nombre des élèves, il fallait également prendre en compte la pyramide des âges des enseignants qui diffère d'une académie à l'autre. Elle a fait remarquer que les académies du sud de la France seraient plus touchées par les départs en retraite que les académies situées plus au nord et qu'il conviendrait, le moment venu, d'assurer un équilibre entre les enseignants expérimentés et les plus jeunes dans ces académies.

Elle a estimé que la gestion déconcentrée du mouvement des enseignants apporterait des éléments de souplesse indispensables pour assurer une meilleure répartition au sein des académies.

Elle a noté que si, malheureusement, sa direction n'avait pas la responsabilité de la formation initiale et continue des enseignants, elle était en revanche compétente pour l'organisation des concours. Elle a ajouté que les recteurs d'académie pouvaient recruter des auxiliaires ou des contractuels, tout en restant dans le cadre de leur enveloppe budgétaire.

Elle a précisé que, parmi les enseignants titulaires en surnombre, 1.400 équivalents temps plein n'enseignaient pas dans leur discipline et 6.150 effectuaient des remplacements.

Elle a rappelé que le nombre de postes ouverts aux concours étant supérieur aux besoins exprimés, le niveau du taux de rendement de ces concours était globalement suffisant pour répondre à la demande.

Elle a enfin indiqué que la procédure de gestion des heures supplémentaires n'était pas modifiée par la déconcentration du mouvement des personnels enseignants.

Audition de M. Alain Touraine, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Alain Touraine, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales.

Après avoir prêté serment, M. Alain Touraine a indiqué que l'on pouvait attribuer deux rôles essentiels à l'enseignement, correspondant à deux logiques différentes : la première mission de l'institution scolaire consiste à transmettre des connaissances, la seconde vise à apprendre aux élèves à vivre dans la société.

Rappelant que l'acquisition des connaissances doit être appréciée actuellement dans une perspective de dix à quinze ans d'études, il a fait observer que ce modèle favorisait les élèves susceptibles d'envisager un avenir à long terme, et ne pouvait convenir qu'à une faible proportion de la population scolaire et enseignante. Selon lui, un tiers des enseignants peut adhérer à ce modèle, un autre tiers se trouve dans une " position indéfinie ", et un dernier tiers est en situation de crise se traduisant par des arrêts de travail répétés et des demandes de mutation.

Il a estimé que l'unité du système scolaire devait être maintenue et que les enseignants assurant le même travail dans un cycle d'enseignement donné devaient conserver le même statut. Il a par ailleurs souhaité que les professeurs soient véritablement évalués sur leur capacité à enseigner.

Il a ensuite indiqué que la seconde mission des enseignants, laquelle est appelée à se développer, consistait à organiser la vie scolaire et à établir une véritable communication avec les élèves. Cette fonction est, selon lui, essentielle, puisque les deux tiers des inégalités entre les élèves prennent leur origine dans l'établissement même. Il a estimé que cet " effet d'établissement " serait d'autant plus efficace que les enseignants auront la capacité de travailler en groupes, d'établir une réelle communication avec leurs élèves et d'entretenir des relations positives avec l'administration de leur établissement.

M. Alain Touraine a jugé essentiel d'élargir les missions de l'enseignement, en lui assignant un troisième objectif indispensable à la mise en oeuvre effective des deux tâches précédemment définies. Celui-ci consisterait à prendre en charge les jeunes en situation d'échec scolaire en établissant avec eux une communication personnelle, ce rôle devant être défini par l'établissement, et non par l'administration centrale, et être assuré par des enseignants éducateurs.

Si la gestion des statuts doit rester centralisée, il a estimé que l'organisation de la vie scolaire et le soutien individuel apporté aux jeunes devaient en revanche être organisés au niveau de l'établissement, avec, par exemple, des horaires de service moins élevés pour les personnels qui assurent ce rôle d'éducateur. Il conviendrait ainsi, selon lui, de maintenir l'unité statutaire et de diversifier les activités des enseignants, en s'efforçant de distinguer les difficultés des enseignants des problèmes généraux de l'enseignement.

M. Alain Touraine a par ailleurs considéré que les niveaux de gestion intermédiaires ne devraient pas être développés : si le rectorat a vocation à gérer les mouvements d'enseignants, il n'a pas à définir les activités des enseignants dans chaque établissement. Il a ajouté qu'une telle déconcentration pouvait permettre de prendre en compte des éléments de culture locale, les motivations des élus locaux et des professeurs.

Après avoir souligné la complémentarité des diverses missions de l'enseignement, il a estimé que le recrutement des enseignants devrait privilégier l'adaptation des compétences aux besoins locaux et s'effectuer indépendamment de leur statut.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Serge Lagauche a rappelé que ces propositions sur le recrutement des enseignants étaient déjà largement mises en oeuvre dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP). Il a également fait observer que le classement en ZEP avait aussi pour conséquence de stigmatiser les établissements concernés, ce qui avait conduit à mettre en place des réseaux d'éducation prioritaire.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur les moyens de prendre efficacement en charge les jeunes qui ne s'intègrent ni à l'école ni à la vie sociale. Elle a souligné que tous les établissements n'étaient pas classés en ZEP et ne disposaient pas des mêmes possibilités pour faire face à leurs difficultés.

M. Philippe Darniche s'est interrogé sur le coût et le rythme des réformes proposées par M. Alain Touraine.

En réponse à ces interventions, M. Alain Touraine a notamment apporté les précisions suivantes :

- les ZEP constituent une piste de réflexion intéressante pour améliorer la gestion du corps enseignant et il serait envisageable d'organiser la répartition des enseignants selon leurs fonctions au sein de chaque zone qui serait prise comme unité de gestion ;

- afin d'éviter toute stigmatisation, le classement en ZEP devrait permettre de prendre en compte la réalité des situations dans les zones sensibles et de répartir les moyens humains et financiers selon un principe d'équité. Ainsi lorsqu'un établissement connaît des difficultés, son encadrement devrait être renforcé en développant des activités de soutien scolaire ;

- l'hétérogénéité des établissements ou des classes doit être maintenue, la diversification des activités des enseignants devant assurer l'intégration républicaine des élèves dont les chances de réussite originelles sont très inégales ;

- le coût de ces réformes devrait être très réduit puisqu'elles ne nécessiteraient qu'un investissement personnel des enseignants auprès des élèves et ce coût serait largement compensé par une réduction sensible du taux d'échec scolaire.