Mardi 13 avril 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous commençons par examiner les amendements de séance sur la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, présentée par M. Daniel Gremillet et plusieurs de ses collègues.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - J'émets un avis défavorable à tous les amendements, car ils sont tous contraires à la position de la commission.

Certains amendements rendent obligatoires des exonérations. Nous avons supprimé l'article 12 pour cette raison, et ce que nous avons supprimé pour la taxe sur le foncier bâti, nous n'allons pas l'autoriser pour la cotisation foncière des entreprises

D'autres amendements réduisent l'autonomie des collectivités territoriales. Aux articles 15 et 16, les exonérations sont facultatives, et limitées à deux ans. Notre droit fiscal étant déjà compliqué, inutile d'y ajouter encore des nuances. Mieux vaut respecter l'équilibre trouvé entre le texte initial et celui de la commission. Enfin, si je souscris à l'argument selon lequel il aurait fallu aller au-delà du suramortissement, le droit européen imposerait pour cela de revoir les dispositifs de soutien, ce qui n'était pas l'objet de ce texte.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article additionnel avant l'article 12 (supprimé)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  20.

Article additionnel avant Article 12 (Supprimé)

Auteur

Avis de la commission

M. PARIGI

20

Défavorable

Article 14

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  9.

Article 14

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

9

Défavorable

Article 15

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  18, 47, 48 et 10.

Article 15

Auteur

Avis de la commission

M. MONTAUGÉ

18

Défavorable

M. BONHOMME

47

Défavorable

M. BONHOMME

48

Défavorable

Mme BRIQUET

10

Défavorable

Article additionnel après l'article 15

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  39.

Article additionnel après Article 15

Auteur

Avis de la commission

M. SAVIN

39 rect. ter

Défavorable

Article 16

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 17, 11, 12 et 13.

Article 16

Auteur

Avis de la commission

M. MONTAUGÉ

17

Défavorable

Mme BRIQUET

11

Défavorable

Mme BRIQUET

12

Défavorable

Mme BRIQUET

13

Défavorable

Proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues. Notre rapporteur Philippe Dallier, ne pouvant être présent aujourd'hui, a demandé au rapporteur général de le suppléer.

M. Jean-François Husson, rapporteur général, en remplacement de M. Philippe Dallier, rapporteur. - Comme pour le texte précédent, nous avons eu le débat en commission il y a deux semaines. Aucune des propositions ne peut être retenue, même si l'on peut partager certains objectifs. Il aurait probablement fallu davantage de temps et un vrai travail de fond pour trouver des modalités susceptibles de faire droit à une partie des objectifs poursuivis. Tous les avis seront donc défavorables. Je sais que ce ne sera pas satisfaisant pour les auteurs des amendements, mais ce n'est pas une surprise compte tenu du rejet du texte par la commission...

Par ailleurs, notre commission les ayant déjà déclarés irrecevables au moment de l'examen des amendements de commission, je vous propose de confirmer l'irrecevabilité au titre de l'application de l'article 45 de la Constitution des trois amendements portant articles additionnels après l'article 4.

M. Patrice Joly. - Ce texte soulève un vrai sujet, mais les propositions qu'il formule ne sont pas une vraie réponse, faute de préserver des possibilités de financement, notamment dans le domaine du logement social. Je crois d'ailleurs que l'auteur de la proposition de loi le reconnaît : ce texte n'est pas complètement abouti. Aussi nous abstiendrons-nous.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  8 rectifié bis, 4 rectifié bis, 10 rectifié et 6 rectifié bis.

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. BILHAC

8 rect.bis

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

4 rect.bis

Défavorable

M. BILHAC

10 rect.

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

6 rect.bis

Défavorable

Article additionnel après l'article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  7 rectifié bis.

Article additionnel après Article 1er

Auteur

Avis de la commission

Mme PAOLI-GAGIN

7 rect.bis

Défavorable

Article 4

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos  9 rectifié ter et 5 rectifié bis.

Article 4

Auteur

Avis de la commission

M. BILHAC

9 rect. ter

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

5 rect. bis

Défavorable

Articles additionnels après l'article 4 

Les amendements nos  2, 3 et 1 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

Article additionnel après Article 4

Auteur

Avis de la commission

M. CANEVET

2

Irrecevable

M. CANEVET

3

Irrecevable

M. CANEVET

1

Irrecevable

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport pour avis de notre commission sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Notre commission s'est en effet saisie pour avis des articles portant des dispositions de nature budgétaire ou financière dans ce projet de loi.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Nous examinons en effet l'avis sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont l'examen au fond revient à la commission des affaires étrangères. Notre commission s'est saisie pour avis des dispositions relevant de son champ de compétences, à savoir les articles 1er, 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13, qui traitent des enjeux budgétaires de l'aide publique au développement (APD), de l'évaluation et du contrôle de cette politique, des opérateurs de la mission « Aide publique au développement », ou encore des demandes de rapports en lien avec les sujets traités par notre commission.

Annoncé depuis 2018, ce projet de loi constitue un rendez-vous législatif attendu. Il vise, d'une part, à actualiser les dispositions de la précédente loi de 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, et d'autre part, à traduire sur le plan législatif la montée en charge des moyens consacrés à l'aide publique au développement depuis le début du quinquennat.

Comme vous le savez, le Président de la République, Emmanuel Macron, a fixé dès 2017 un objectif ambitieux : atteindre une part d'aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du revenu national brut (RNB) en 2022. J'ai déjà eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen des projets de lois de finances successifs, cet objectif doit permettre à la France de rattraper la contraction de son aide publique au développement au début des années 2010. Celle-ci n'a cessé de décroître pour atteindre en 2014 son niveau le plus bas, un ratio de 0,37 % du RNB.

Les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de février 2018 ont certes donné une feuille de route pour la politique de développement, mais sans pour autant définir une trajectoire budgétaire de la mission « Aide publique au développement », rendant nécessaire une loi de programmation.

En outre, le projet de loi vise à répondre à une demande pressante de l'amélioration du pilotage de la politique de développement, dont notre commission s'est fait l'écho à plusieurs reprises. Je ne reviendrai pas sur les clarifications apportées par le projet de loi, qui seront détaillées par la commission des affaires étrangères. En revanche, je souhaiterais insister sur un apport essentiel pour la coordination des moyens de l'État à l'étranger. Au niveau local, l'article 7 du projet de loi prévoit que l'action de l'AFD s'exerce sous l'autorité du chef de la mission diplomatique, c'est-à-dire l'ambassadeur. Cette disposition devrait permettre de mieux coordonner les services et d'éviter une concurrence dommageable entre l'AFD et les ministères de tutelle.

Cela étant dit, j'insisterai sur quatre points qui intéressent notre commission.

Premièrement, je regrette que l'intérêt budgétaire de ce texte soit aussi limité. En effet, la trajectoire financière proposée à l'article 1er se contente essentiellement d'entériner les moyens déjà validés par le Parlement. Ainsi, l'évolution pluriannuelle des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » prévue par le texte commence en 2020 et s'achèvera en 2022. Cette disposition s'apparente à une transmission avec quelques mois d'avance du projet de loi de finances pour 2022...

Au cours des auditions menées, plusieurs arguments ont été invoqués pour tenter de justifier cette trajectoire bancale, tels que le retard pris dans le calendrier d'examen du texte, ou encore l'échéance électorale de l'année prochaine. Toutefois, ces motifs ne suffisent pas à justifier cette lacune du texte, d'autant que nous avons adopté récemment la loi de programmation pour la recherche, qui prévoit une trajectoire jusqu'en 2030 - sans parler de la loi de programmation militaire.

Afin que nous examinions une réelle loi de programmation, je vous proposerai un amendement visant à prolonger la trajectoire des crédits de paiement de la mission jusqu'en 2025, en partant du montant proposé par le Gouvernement pour 2022, soit 4,8 milliards d'euros. Compte tenu des travaux menés, j'ai acquis la conviction que cette trajectoire devait satisfaire un double objectif. D'une part, il faut consolider la progression de notre aide publique au développement, pour éviter un nouveau décrochage avec les autres pays développés. D'autre part, cette trajectoire doit être crédible, compte tenu du contexte actuel de fortes tensions sur les finances publiques.

Dès lors, comment définir cette trajectoire ? Je souhaiterais ici insister sur le caractère acrobatique d'un pilotage des crédits de la mission fondé sur un pourcentage du RNB, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'exercice 2020 témoigne du caractère relatif de cet indicateur. Quand le RNB s'effondre, à niveau stable, notre part d'aide publique au développement gonfle ! Deuxièmement, les crédits de la mission n'ont qu'un lien indirect avec le volume total de l'aide publique au développement de la France. En effet, d'autres canaux génèrent aussi des dépenses d'aide au développement, et peuvent connaître des évolutions incertaines. C'est le cas, par exemple, des allégements de dettes, dont l'évolution annuelle est difficilement prévisible.

Sous ces réserves, il reste possible de bâtir une trajectoire budgétaire en faisant porter aux seuls crédits de la mission l'évolution de l'aide publique au développement, c'est-à-dire toutes choses égales par ailleurs.

D'après les dernières prévisions macroéconomiques du Fonds monétaire international (FMI), pour atteindre la cible de 0,7 % du RNB en 2025, comme le propose l'Assemblée nationale, il faudrait une hausse annuelle moyenne de 1,9 milliard d'euros, répartie sur les exercices 2023, 2024, et 2025. Une telle hausse me semble difficilement tenable, à un moment où, par exemple, le Royaume-Uni opte pour une réduction de son aide à 0,5 % de son RNB en raison de la crise actuelle.

Selon ces mêmes hypothèses, maintenir l'objectif de 0,55 % de notre RNB en 2025 se traduirait par une hausse annuelle moyenne de 500 millions d'euros environ.

Une telle augmentation me semble cohérente avec l'effort consenti depuis le début du quinquennat et permettrait de sanctuariser les moyens dédiés à cette politique. Compte tenu des nombreuses incertitudes pesant sur la trajectoire, je propose une actualisation de celle-ci à mi-parcours, soit en 2023. Cette révision constituera un rendez-vous nous permettant de faire le point sur nos ambitions en la matière.

Mes chers collègues, je sais que plusieurs autres amendements proposant des hausses plus importantes ont été déposés, notamment par les rapporteurs de la commission des affaires étrangères. De mon côté, je reste très attaché à une préservation des moyens de l'aide publique au développement, mais aussi à la sincérité de la programmation de nos finances publiques.

Ce premier constat se double d'un autre regret : l'absence d'information sur les besoins en fonds propres de l'AFD. Alors qu'il semblerait que la recapitalisation opérée en loi de finances pour 2021 ne permette pas de couvrir ses besoins plus d'une année, il est dommageable que cette question reste sous les radars de nos débats. Je vous proposerai un amendement sur ce point.

Enfin, l'article 1er réaffirme plusieurs objectifs en matière de rééquilibrage de notre aide publique au développement qui sont bienvenus, tels que le renforcement de notre aide bilatérale et de la part des dons. Il contient également des dispositions visant à accroître la part de l'aide publique au développement transitant par les organisations de la société civile, et le soutien de l'État à l'action extérieure des collectivités territoriales. Ces objectifs concrétisent sur le plan législatif des engagements déjà pris par le Gouvernement en 2018.

Le deuxième point saillant du texte repose sur les dispositions relatives au contrôle et à l'évaluation de la politique de développement qu'il contient.

Tout d'abord, l'article 2 du projet de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport au Parlement visant à dresser un examen de la stratégie globale de l'aide publique au développement. Le contenu de ce rapport a été largement enrichi à l'Assemblée nationale. Je vous proposerai un amendement visant à le compléter. Pour la suite de nos débats, il nous faudra toutefois être vigilants dans l'articulation de ce rapport avec les documents budgétaires qui existent déjà, et ainsi éviter une dilution de l'information entre plusieurs supports.

Par ailleurs, ces informations seront utilement complétées par une base de données publique prévue par l'article 1er. En outre, l'article 9 du projet de loi institue une commission indépendante d'évaluation de la politique de développement. Cette disposition concrétise une proposition ancienne, notamment portée par la commission des affaires étrangères de notre assemblée. L'objectif d'une montée en gamme de l'évaluation me semble indispensable, compte tenu de la hausse continue des moyens budgétaires qui y sont consacrés.

L'Assemblée nationale a précisé le texte, notamment en rattachant cette commission à la Cour des comptes. Sa mission est désormais de conduire des évaluations sur la politique de développement, son efficacité et son impact.

Toutefois, cette nouvelle instance soulève plusieurs questions : la Cour des comptes est-elle la mieux outillée pour conduire ces missions ? Comment s'articulera le rôle de cet organisme avec la mission d'évaluation des politiques publiques attribuée au Parlement par la Constitution et les dispositions déjà prévues dans le code des juridictions financières permettant aux présidents des assemblées de saisir la Cour des comptes de demandes d'évaluation de politiques publiques ? En outre, le dispositif est peu clair sur l'organisation de la commission : conduira-t-elle ses travaux elle-même ? À ce stade, il semblerait que la piste d'une sous-traitance à des cabinets extérieurs soit privilégiée.

En tout état de cause, je vous proposerai un amendement visant à recentrer le rôle de cette commission, et à l'articuler plus clairement avec l'évaluation menée par le Parlement.

Le troisième point intéressant notre commission est celui de l'intégration d'Expertise France au sein de l'AFD, prévue par les articles 7 et 8 du projet de loi.

Annoncé depuis 2018, ce rapprochement est motivé par la volonté de rationaliser le paysage des opérateurs français en charge du développement et de l'expertise internationale. L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de permettre de présenter une offre plus complète à nos partenaires à l'étranger, intégrant une offre de prêts, de dons, et d'expertise technique pour leur mise en oeuvre. En outre, un tel rapprochement permettra d'étendre le champ géographique de l'intervention d'Expertise France.

Enfin, les deux opérateurs travaillent déjà de concert : Expertise France bénéficie du réseau de l'AFD comme relais de terrain, des échanges de personnels ont lieu depuis plusieurs années, et l'AFD passe des commandes à Expertise France.

Concrètement, cette intégration repose sur un schéma législatif complexe.

L'article 7 autorise l'AFD à détenir tout ou partie du capital d'Expertise France. Par ailleurs, cet article procède à un toilettage bienvenu des dispositions définissant les missions de l'AFD en les basculant au niveau législatif.

L'article 8 transforme Expertise France, qui est actuellement un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), en une société par actions simplifiée (SAS). Le texte prévoit que son capital est public et qu'il est intégralement détenu par l'État au moment de sa transformation. Le but est de permettre d'intégrer Expertise France sous forme de filiale de l'AFD. D'après la direction générale du Trésor, le choix du statut de SAS permet de prévoir des dispositions dérogatoires en matière de gouvernance, tout en maintenant un lien fort avec la tutelle.

Dans cette perspective, plusieurs dispositions du texte visent à préserver l'autonomie d'Expertise France et le rôle de l'État. Ainsi, le conseil d'administration comprendra quatre représentants de l'État, à parité avec l'AFD. Les statuts de la société sont approuvés par décret. Enfin, deux commissaires du Gouvernement sont nommés et peuvent s'opposer aux décisions du conseil d'administration. Par ailleurs, en ce qui concerne son activité, le poids de l'AFD reste minoritaire dans les commandes adressées à Expertise France, par rapport à celui de l'Union européenne, qui représente 50 % de son chiffre d'affaires.

Ce schéma d'intégration complexe s'explique par les nombreuses difficultés juridiques à surmonter pour permettre la création d'une filiale bénéficiant d'une autonomie fonctionnelle. En l'état, la rédaction du texte laisse ouverte la possibilité que l'AFD ne détienne pas tout le capital d'Expertise France. D'après les informations transmises, cette disposition visait initialement à ménager la possibilité pour l'État de détenir une fraction du capital d'Expertise France, si cela s'avérait nécessaire pour conserver ses prérogatives au sein du conseil d'administration. Cette piste semble aujourd'hui écartée par les services de l'État, qui mènent une réflexion en vue de simplifier le processus d'intégration.

J'en arrive à mon dernier point, qui regroupe diverses dispositions relevant de la compétence de notre commission.

L'article 4 prévoit la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de financer des actions de coopération dans le domaine de la mobilité, dans la limite de 1 % de leurs ressources affectées aux services de mobilité. Ce plafond exclut le versement « transport » des entreprises. Il s'agit d'un dispositif facultatif, inspiré d'autres dispositifs similaires existants, tels que le « 1 % déchets » et le « 1 % énergie ». Ce dispositif devrait permettre de financer près de 100 millions d'euros d'actions de coopération, même si le contexte actuel des finances publiques locales n'est peut-être pas très porteur.

De plus, l'article 1er a été complété en première lecture à l'Assemblée nationale afin d'intégrer des dispositions relatives à la restitution des biens mal acquis. Ces dispositions s'inspirent directement de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur, que notre commission avait examinée au fond en 2019. Cependant, la mise en oeuvre effective de ces dispositions nécessitera une traduction dans le prochain projet de loi de finances. En effet, il est prévu qu'un nouveau programme de la mission « Aide publique au développement » permette de retracer les recettes issues de la confiscation de ces biens. Les personnes auditionnées ont toutes salué ces dispositions, et le rôle d'avant-garde du Sénat en la matière. Néanmoins, le texte proposé ne permet pas réellement de répondre à une interrogation déjà soulevée lors de nos débats en 2019 : comment pouvons-nous nous assurer que ces avoirs restitués ne soient pas réinjectés dans des circuits de corruption ? Je vous proposerai un amendement sur ce point pour tenter d'apporter une réponse.

Enfin, les articles 11 et 13 prévoient que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur les sujets suivants.

Premièrement, il s'agit d'un rapport sur les transferts de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement. L'article 11 prévoit ainsi deux demandes de rapports. La première porte sur le dispositif de bibancarisation, c'est-à-dire la possibilité pour les banques des pays en voie de développement de commercialiser certains de leurs services en France au bénéfice des personnes expatriées. La seconde porte sur les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds vers les pays bénéficiaires de l'aide publique au développement de la France. Ces rapports permettront de dresser un bilan des dispositifs en vigueur.

Deuxièmement, l'article 13 prévoit la remise d'un rapport au Parlement évaluant les possibilités de dispense de criblage des bénéficiaires finaux de l'aide publique au développement qui participent à la stabilisation de zones de crise. Il s'agit ici de relayer une demande de certaines ONG, qui souhaitent être exemptées des procédures de vérification visant à s'assurer qu'elles ne participent pas au financement d'activités terroristes ou de blanchiment d'argent par exemple. C'est un sujet délicat, pour lequel il conviendrait de disposer d'éléments objectifs, que le rapport pourrait apporter.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour la qualité de ce rapport, sur un sujet qui peut parfois susciter des réactions épidermiques et qui concerne une politique publique à laquelle la France est depuis longtemps attachée. La trajectoire pour l'aide publique au développement aurait dû faire l'objet d'une définition au début de ce quinquennat, pour la période 2017-2022. L'absence de cette définition met en difficulté les assemblées et le Gouvernement : dans le texte qui est sorti de l'Assemblée, la trajectoire est prévue jusqu'à 2022... Atypique pour une loi de programmation ! Les assemblées se prononcent sur des trajectoires telles qu'elles les imaginent.

Je partage pour l'essentiel les orientations du président Requier. Il faut être attentif à l'ambition de fixer un pourcentage du RNB, car l'évolution de celui-ci peut avoir des conséquences fortes sur les montants en question. Merci, en tout cas, pour l'attention que vous portez aux rapports d'évaluation et de contrôle confiés à des organismes extérieurs. Vous avez, avec des mots bien choisis, et avec beaucoup de précautions, expliqué comment l'on passe de l'idée d'un contrôle par un organisme indépendant, confié à la Cour des comptes, à la sous-traitance à un organisme privé. Arrêtons la plaisanterie : le contrôle fait partie des fonctions originelles du Parlement, et nous gagnerions à ce que les assemblées puissent faire sereinement ce travail. Le Gouvernement a suffisamment d'outils et d'éléments à fournir, dans une démocratie en bonne santé, pour que cela se fasse sans problème. Cela fait partie de l'équilibre des pouvoirs, tel que la Constitution de la Ve République l'a prévu - les modifications proposées constituent la voix de la sagesse.

M. Michel Canevet, rapporteur spécial de la mission « Aide au développement ». - Je salue la qualité du rapport, auquel je souscris totalement. Une programmation pluri-pluriannuelle déterminée doit être établie. C'est l'objet des amendements que le président Requier va proposer. Il est bienvenu d'orienter l'action en priorité vers un certain nombre de pays. Les événements à Haïti ce week-end montrent aussi qu'il n'est pas toujours facile de mener des actions de développement dans des pays instables ou connaissant des problèmes d'insécurité. Le déploiement de moyens supplémentaires est nécessaire, mais doit rester raisonnable, vu la situation de nos finances publiques. Je déposerai en séance un amendement sur le rôle et la place du Parlement dans l'évaluation de la politique d'aide au développement, dans le sens de ce qu'a indiqué le rapporteur général.

M. Rachid Temal, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Ce texte était attendu depuis bien longtemps. Il est enfin arrivé, et chacun pourra noter qu'il permet de nombreuses avancées, notamment sur le ciblage de dix-neuf pays. Il n'en reste pas moins qu'il y a encore quelques zones à améliorer. L'article 1er calibre la politique d'aide au développement. La spécificité de ce texte est que la programmation s'arrête en 2022, alors que nous avons des objectifs jusqu'en 2025. Nous souhaitons une programmation, mais aussi de l'honnêteté intellectuelle - et financière, ce qui est du ressort de votre commission. On peut toujours annoncer qu'on fera 0,7 %, les montants correspondants constitueraient de hautes marches. Nous proposons plutôt de faire en sorte d'atteindre 0,6 % en 2025, avec des propositions concrètes, tout en conservant un objectif à 0,7 %. Il faut être réaliste. La taxe sur les transactions financières a été créée uniquement pour l'aide au développement. Or seuls 30 % de son produit y est aujourd'hui consacré, en raison du dynamisme de son rendement. Nous souhaitons faire croître cette part.

Nos amendements sont assez proches des vôtres sur la programmation. Vous proposez 0,55 %, nous proposons 0,6 %. Le Gouvernement nous dira comment il entend atteindre 0,7 %. L'idée serait de mettre les chiffres sur la table et de conserver une clause de revoyure en 2023.

M. Hugues Saury, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Une commission indépendante d'évaluation était attendue et réclamée depuis longtemps. La formule retenue, auprès de la Cour des comptes, lui garantit une certaine autonomie. Nous souhaitons en préciser la composition. Le texte ne mentionne que sa création, et l'existence d'une sorte de droit de tirage du Parlement, sans autre précision. Nos amendements prévoient notamment la présence des parlementaires : deux sénateurs et deux députés siégeront dans cette commission. Nous précisons aussi que les rapports devront être rendus au Parlement sous huit mois, comme c'est le cas pour ceux de la Cour des comptes.

M. Claude Raynal, président. - On voit se multiplier les projets de loi programmation sectoriels - défense, recherche, développement solidaire - qui risquent de ne pas coïncider avec le projet de loi de programmation des finances publiques...

M. Roger Karoutchi. - Cela fait déjà trois ou quatre ans que l'AFD est sous le feu des critiques et que nous appelons à une redéfinition de la politique d'aide publique au développement.

Augmenter les crédits de 50 % en deux ans n'a pas de sens : l'aide publique au développement, ce n'est pas seulement distribuer des enveloppes, ce sont des projets qui doivent être montés avant d'être financés ; cela demande du temps.

Je note cependant deux points positifs dans ce texte : le renforcement de l'aide bilatérale et la réaffirmation de l'autorité de l'ambassadeur sur les agences de l'AFD à l'étranger.

Notre politique de développement a besoin d'être redéfinie au regard de ce que font nos grands concurrents, or cela n'a pas été fait depuis la suppression du ministère de la coopération. Depuis cette même suppression, l'AFD n'a plus vraiment de tutelle : c'est un État dans l'État. Certes, le ministre des affaires étrangères en a pris conscience et essaye de faire évoluer le contrôle de son ministère sur l'AFD, mais cela demeure léger. Le politique a-t-il réellement repris la main ? Je n'en suis pas certain.

Je suis réticent sur ce texte qui est un tissu de généralités - protection des populations, droits de l'eau, assainissement, etc. - dont aucune ne constitue un véritable choix de politique de développement.

M. Éric Bocquet. - Je m'interroge aussi sur l'évolution de la part de notre aide publique au développement dans le PIB qui est passée de 0,43 % en 2018 à 0,55 % en 2022 ; l'atteinte de l'objectif de 0,7 % du PIB en 2030 nécessiterait une hausse supplémentaire de 0,15 point. Mais les calculs établissant cette cible ont été réalisés à une époque où le PIB mondial atteignait les 12 000 milliards d'euros. Or, depuis 2018, le PIB mondial a été multiplié par sept pour dépasser les 85 000 milliards et la pandémie coûterait à elle seule 22 000 milliards. Le Gouvernement a-t-il confirmé qu'il s'engageait à atteindre l'objectif de 0,7 % en 2030 ? Cet objectif demeure-t-il pertinent dans le contexte de la pandémie ? Est-il crédible au regard de notre situation budgétaire et des recherches d'économies qui nous sont annoncées ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Le texte du projet de loi prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur les coopérations entre l'AFD et la Caisse des dépôts et consignations : quel rôle cette dernière joue-t-elle en matière d'aide publique au développement ?

M. Patrice Joly. - Merci à notre rapporteur. Cette loi aurait dû être l'occasion de refonder notre accompagnement et de passer enfin d'une logique de la condescendance à une véritable logique de co-développement, fondée sur la reconnaissance d'une égale dignité humaine. Car, pays aidés et pays aidants, nous sommes confrontés aux mêmes défis : drame sanitaire, pauvreté, insécurité alimentaire, questions environnementales, parité, etc.

L'objectif de 0,7 % du PIB revient comme une « Arlésienne » et les annonces ne sont jamais tenues. Quel serait le niveau satisfaisant ?

Mme Christine Lavarde. - Présidente d'un groupe interparlementaire d'amitié, j'entends souvent dire que l'AFD négligerait les projets de petite taille ; or son directeur général le conteste vivement. Avez-vous des informations sur ce point ?

M. Pascal Savoldelli. - Je préside une fondation qui intervient au Mali et dans les Comores. La France doit organiser un co-développement sur les enjeux de l'eau et de l'assainissement, les questions énergétiques, ou encore celles de la formation et de la qualification, en lien avec les collectivités territoriales et le secteur marchand.

Je rejoins Roger Karoutchi : monter un projet, cela prend plusieurs années ; par exemple, quand on amène l'eau dans un village, il faut aussi réfléchir à la place sociale nouvelle des femmes, au réemploi des porteurs d'eau, etc. Dans certains pays, nous nous heurtons au pouvoir central et aux pouvoirs locaux. Et l'on constate que les collectivités territoriales travaillent de moins en moins avec les villes-centres, afin d'éviter les pesanteurs administratives et politiques.

Si l'on veut vraiment aborder les questions sanitaires de co-développement, il faut lever les brevets sur les vaccins. Nous sommes dans une pandémie, pas dans une épidémie : produisons des vaccins et vaccinons tout le monde !

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Monsieur Témal, atteindre 0,6 % du RNB en 2025, ça coûterait environ 900 millions d'euros supplémentaires par an entre 2023 et 2025... Cela peut sembler faible en pourcentage, mais ce sont des sommes importantes.

Pour Roger Karoutchi, je n'ai pas l'assurance que cette loi de programmation sera respectée. S'agissant du portage politique de la politique de développement, le directeur général de l'AFD nous a dit préférer un ministre de tutelle qui gagne ses arbitrages à un secrétaire d'État qui les perd.

Éric Bocquet et Patrice Joly, nous reparlerons des chiffres au moment de l'examen de mes amendements.

Vincent Capo-Canellas, depuis 2017, la Caisse des dépôts et consignations et l'AFD disposent d'un fonds d'investissement commun, STOA, doté de 600 millions d'euros environ, mais le rapprochement des deux entités n'est plus à l'ordre du jour.

Christine Lavarde, depuis deux ans, avec les fonds solidaires pour les projets innovants (FSPI), le ministère a décidé d'augmenter les enveloppes dont bénéficient les ambassadeurs pour financer de petits projets locaux qui sont très appréciés sur le terrain : en quelque sorte, ils ont recréé ce qui nous avait été supprimé avec la réserve parlementaire...

Pascal Savoldelli a fait essentiellement un dégagement politique. Votre position sur les vaccins est généreuse.

M. Michel Canevet, rapporteur spécial. - La semaine dernière, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, le ministre a clairement affirmé que la politique de développement faisait partie intégrante de la politique étrangère de la France, et c'est une très bonne chose.

L'AFD demeure un sujet d'interrogation : il faut cadrer son action et la stabiliser à hauteur de ses 12 milliards d'euros d'engagements annuels. Ce texte a le mérite de clarifier le « qui fait quoi » : l'ambassadeur coordonne l'action des intervenants au sein du comité local de développement et valide les projets.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Les relations entre ambassadeur et agence de l'AFD sont variables selon les pays : c'est souvent une question de personnes.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement  COM-141 supprime la disposition selon laquelle le projet de loi fixerait les conditions du contrôle et de l'évaluation de la politique de développement par le Parlement. En effet, il s'agit d'une des missions constitutionnelles du Parlement qui relève de l'article 24 de la Constitution, qui n'a pas à être encadrée par une loi de programmation.

L'amendement COM-141 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-142 établit une trajectoire financière pour les crédits de la mission « Aide publique au développement » de 2022 à 2025 : avec une augmentation de 500 millions d'euros par an après 2022, nous atteindrions l'objectif de 0,55 % du PIB en 2025, toutes autres composantes de l'aide publique au développement égales par ailleurs. Certes, les rapporteurs de la commission des affaires étrangères voudraient plus, mais cela coûterait plus cher... Je propose également une évaluation à mi-parcours, en 2023, afin d'actualiser cette trajectoire.

L'amendement COM-142 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-143 supprime un alinéa qui agrège plusieurs composantes budgétaires de l'aide publique au développement pour les années 2020 à 2022. La portée de cette disposition est nulle : elle se borne à additionner les montants des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement », ceux de la mission « Plan de relance » et les ressources du fonds de solidarité pour le développement. C'est du pur affichage, et non de la programmation budgétaire.

L'amendement COM-143 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-144 supprime la disposition selon laquelle les services de l'État disposent de moyens cohérents avec les ressources prévues par le projet de loi. L'aide publique au développement transite par de multiples canaux, qui ne requièrent pas tous une hausse des moyens humains en contrepartie de l'augmentation des moyens budgétaires. En outre, l'AFD et Expertise France ont déjà vu leurs effectifs croître de façon importante au cours des dernières années.

M. Claude Raynal, président. - Ne poussons pas au crime...

L'amendement COM-144 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-145 traite de la restitution des recettes issues de la cession des biens mal acquis. Le ministère des affaires étrangères disposera désormais d'une ligne budgétaire dédiée, mais je propose qu'il définisse au cas par cas les modalités de cette restitution, afin que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions, compte tenu des contextes locaux propres à chaque zone.

L'amendement COM-145 est adopté.

Article 2

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - La date limite de remise du rapport annuel du Gouvernement au Parlement avait été initialement fixée au 15 septembre ; l'Assemblée nationale l'avait avancée au 15 juin. Mon amendement COM-146 la fixe au 1er juin, afin de la faire correspondre avec la date limite de dépôt du projet de loi de règlement.

L'amendement COM-146 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-147 précise que le rapport annuel du Gouvernement au Parlement indiquera le volume des engagements annuels de l'AFD dans chacun des pays où elle intervient. Nous disposerons ainsi de la liste des projets et de leurs montants.

L'amendement COM-147 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-148 reformule et précise la disposition selon laquelle le rapport transmis au Parlement doit intégrer une évaluation de la communication mise en oeuvre pour promouvoir la politique d'aide au développement de la France.

L'amendement COM-148 est adopté.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-149 supprime la disposition selon laquelle un débat en séance publique se tient à l'Assemblée nationale et au Sénat sur le rapport annuel du Gouvernement au Parlement. L'article 48 de la Constitution prévoit en effet que chaque assemblée fixe son ordre du jour : ce n'est pas à la loi de programmation de le faire !

M. Claude Raynal, président. - Cela relève en effet du Règlement de chaque assemblée.

L'amendement COM-149 est adopté.

Article 5

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Avec mon amendement COM-150, je propose, par coordination avec les amendements que je vous présenterai sur les articles 7 et 8 dont nous nous sommes saisis pour avis, que les députés et sénateurs membres du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) ne soient pas désignés par les commissions des affaires étrangères, mais, respectivement, par le président de l'Assemblée nationale et celui du Sénat.

L'amendement COM-150 est adopté.

Article 7

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Même chose s'agissant des députés et sénateurs membres du conseil d'administration de l'AFD.

L'amendement COM-151 est adopté.

Article 8

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Même chose s'agissant des députés et sénateurs membres du conseil d'administration d'Expertise France.

L'amendement COM-152 est adopté.

Article 9

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-153 précise le rôle de la commission indépendante placée auprès de la Cour des comptes, afin d'écarter toute confusion avec l'évaluation conduite par le Parlement.

L'amendement COM-153 est adopté.

Article additionnel après l'article 10

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-154 complète le document de politique transversale sur la politique française en faveur du développement afin d'y inclure une évaluation pluriannuelle des besoins en fonds propres de l'AFD. Celle-ci avait en effet fait l'objet d'une recapitalisation additionnelle à hauteur de 500 millions d'euros par un amendement gouvernemental au projet de loi de finances pour 2021 adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale : c'est regrettable, car le Sénat n'avait pas pu en débattre. Il convient d'assurer l'information du Parlement sur l'évolution prévisionnelle des besoins en fonds propres de l'AFD.

L'amendement COM-154 est adopté.

Article 13 (rapport annexé)

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - Mon amendement COM-155 est de coordination.

L'amendement COM-155 est adopté.

M. Claude Raynal, président. - La commission des affaires étrangères, qui se réunira demain matin, examinera les amendements que nous venons d'adopter. S'ils n'étaient pas repris, je vous propose que nous donnions mandat à notre rapporteur pour les déposer en vue de leur examen en séance publique.

La commission donne un avis favorable à l'adoption des articles 1er, 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13 du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-141

Adopté

M. REQUIER

COM-142

Adopté

M. REQUIER

COM-143

Adopté

M. REQUIER

COM-144

Adopté

M. REQUIER

COM-145

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-146

Adopté

M. REQUIER

COM-147

Adopté

M. REQUIER

COM-148

Adopté

M. REQUIER

COM-149

Adopté

Article 4

Article 5

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-150

Adopté

Article 7

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-151

Adopté

Article 8

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-152

Adopté

Article 9

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-153

Adopté

Article additionnel après l'article 10

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-154

Adopté

     

Article 11

Article 13

Rapport annexé

Auteur

Sort de l'amendement

M. REQUIER

COM-155

Adopté

La réunion est close à 15h50.

Mercredi 14 avril 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Audition de M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Comme il est d'usage de le rappeler, la CDC est placée sous la « surveillance spéciale » du Parlement. C'est la raison pour laquelle nous nous réjouissons de vous accueillir, monsieur Lombard, aux côtés de nos collègues de la commission des affaires économiques, dans ce format proposé par la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) dont nous avons désormais pris l'habitude.

Cette audition annuelle constitue pour vous l'occasion de nous exposer les actions menées par la CDC au cours de l'année écoulée. L'année 2019, on s'en souvient, avait été marquée par l'entrée dans le périmètre de la CDC de La Poste et de CNP Assurances. L'année 2020 a notamment été marquée par la mise en oeuvre du plan de relance, avec la mobilisation de 26 milliards d'euros de fonds propres sur cinq ans. Vous pourrez ainsi, monsieur le directeur général, nous expliquer en quoi la CDC représente un « filet de sécurité » pour l'économie, et nous préciser également les limites de son intervention.

Vous reviendrez également sur les résultats de l'année 2020, qui ont nécessairement pâti des conséquences économiques de la crise sanitaire ; je pense, notamment, à l'activité de vos filiales. Ces résultats se sont traduits par une baisse de votre contribution au budget de l'État ; en 2020, celle-ci s'élève à 514 millions d'euros, soit un montant trois fois moins important que celui de l'année précédente.

Je tiens également à vous signaler un point sur lequel il me semblerait utile pour notre commission des finances d'avoir votre éclairage. En 2017, lors de votre audition - dite « article 13 » - devant notre commission, vous aviez fait part de votre volonté de procéder à une revue stratégique des prises de participation de la CDC, en les analysant au regard de trois critères : l'intérêt patrimonial de la CDC, l'intérêt pour l'entreprise en question, et l'intérêt général. Aujourd'hui, les conséquences économiques de la crise sanitaire ont frappé durement certaines de ces entreprises, notamment la Compagnie des Alpes. Cette « rationalisation » des prises de participation de la CDC est-elle toujours à l'ordre du jour ?

Je cède maintenant la parole à la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas.

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le directeur général, je partage avec le président Raynal le plaisir de vous accueillir pour cette troisième audition en commun avec la commission des finances depuis la loi PACTE. C'est l'occasion pour moi de vous remercier de votre disponibilité, que nous constatons à la fois au Sénat et dans les territoires.

Institution financière historique, « au service de l'intérêt général et du développement économique du pays » comme le précise son statut, la CDC compte 125 000 collaborateurs. Elle joue un rôle prépondérant dans les secteurs du logement et du tourisme et, depuis 2020, elle est aussi à la tête d'un grand pôle financier public avec La Poste et CNP Assurances. Nos rapporteurs du groupe de travail consacré à l'avenir de La Poste ne manqueront pas de revenir sur leurs propositions.

Dans la large gamme des missions de la CDC, il faut mentionner aussi son rôle de gestionnaire de la plateforme « Mon compte formation » ; peut-être nous en direz-vous quelques mots. Enfin, avec la Banque des territoires, la CDC joue un rôle actif dans le financement de l'économie locale - vous savez combien cela est fondamental pour nous au Sénat. Tout cela vous dessine, monsieur Lombard, un vaste programme.

Nous vous interrogions l'an dernier sur le plan Tourisme qui venait alors d'être annoncé. D'un montant de 3,6 milliards d'euros, il est porté par la CDC via Bpifrance et la Banque des territoires. Malgré l'éclaircie de la saison estivale l'an passé, le secteur est encore durement affecté par la limitation des déplacements. Quel bilan pouvez-vous tirer de cette première année de soutien à la filière ? Quelles ont été les premières contributions de ce fonds au financement du « tourisme de demain », que ce plan a pour ambition d'appuyer ?

Concernant le logement, le rôle essentiel de la CDC dans le financement et la construction de logements sociaux est connu et reconnu. Le secteur de la construction a subi un coup d'arrêt en 2020 en raison de la crise économique liée au covid, provoquant l'arrêt momentané des chantiers. Les besoins, pourtant, restent importants. De quels leviers dispose votre filiale CDC Habitat pour relancer l'effort de la construction, avec en parallèle les impératifs écologiques ?

Plus globalement, la CDC contribue, par la mobilisation de l'épargne des Français, à la transformation de notre économie et, plus particulièrement, avec la « banque du climat », à la transition écologique. Il y a deux semaines, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, nous disait : « Je ne pense pas que l'on ait besoin des 200 milliards de l'épargne des Français pour financer l'économie française. En revanche, les projets nous manquent, et en particulier dans le domaine du climat. » Ce diagnostic a de quoi étonner tant les besoins semblent importants pour la relance et la transformation de notre économie. Ma question est simple : partagez-vous l'opinion de M. Dufourcq, directeur général de votre filiale ? Si tel est le cas, comment pouvons-nous, au Sénat, vous aider à faire émerger des territoires ces projets aujourd'hui manquants ?

Monsieur le directeur général, avant que nos collègues ne vous adressent à leur tour leurs questions, je vous cède la parole pour un propos liminaire.

M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Merci de m'avoir convié dans le cadre de ces auditions prévues par la loi PACTE. C'est toujours un plaisir de partager avec vous le bilan de l'année puisque, si la CDC est effectivement au service des territoires, vous les représentez, dans cette assemblée, mieux que personne.

Je vais vous présenter de façon synthétique les résultats de l'année 2020, marquée par cette crise dévastatrice et par l'engagement très fort et énergique de l'ensemble des équipes au service de la relance. Dès le mois de mars, au début de la crise, des mesures d'urgence ont été prises à destination de nos partenaires, clients et parties prenantes. Je citerai d'abord l'une de nos premières initiatives : une participation à hauteur de 143 millions d'euros au fonds de solidarité créé avec les présidentes et les présidents de régions, afin de soutenir notamment les petits acteurs économiques.

Nous avons également mis à disposition, immédiatement, une enveloppe de 2 milliards d'euros à destination des organismes de logement social et, comme vient de le rappeler la présidente Primas, nous avons engagé des investissements dans les plans Tourisme et Commerce.

Ce soutien au tourisme - par les fonds lancés avec les régions, par le fonds de solidarité mis en place par l'État ou nos diverses initiatives - a permis de maintenir à flot la plupart des acteurs. Ce qui va être compliqué maintenant, c'est la gestion de la sortie de crise, quand les soutiens vont commencer à se réduire. Hier, j'ai été auditionné par une formation de la Cour des comptes présidée par Pierre Moscovici, et j'ai insisté pour que les mesures de soutien mises en place par le Gouvernement soient maintenues jusqu'à la reprise effective de l'économie. Nous ne devons pas, comme après la crise de 2008, retirer trop tôt les soutiens.

D'autres outils vont être utiles, notamment un auquel je crois beaucoup, mis en place pour la première fois dans la région Pays de la Loire et dont je souhaite l'extension à l'ensemble des régions ; il s'agit de proposer aux acteurs du tourisme en difficulté de vendre les murs de leur exploitation à une foncière, avec évidemment l'option de les racheter quand les temps seront plus favorables. Ce portage assure aux acteurs du tourisme une source de liquidités. Nous dialoguons également avec de grands opérateurs du secteur associatif ou du secteur privé, en complément du Comité interministériel de la restructuration industrielle (CIRI) qui échange avec ceux qui sont en difficulté, pour ceux qui le sont moins. Le suivi est très attentif et le maillage très fin.

Concernant les mesures d'urgence, nous avons aussi effectué des reports de prêts d'échéance pour les professions juridiques. Nous avons mobilisé la somme immense de 21 milliards d'euros pour financer l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), dont nous sommes le banquier. Cette liste, qui n'est pas exhaustive, témoigne de la façon dont nous sommes intervenus dans l'urgence.

Dans le même temps, nous avons commencé à préparer la relance, avec ce plan, cité par le président Raynal, de 26 milliards d'euros - des engagements en capital - auxquels s'ajoutent 70 milliards d'euros de fonds d'épargne que nous allons pouvoir mobiliser, sans parler des enveloppes que Bpifrance mobilisera de son côté.

L'année 2020 a été marquée effectivement par le rapprochement avec le groupe La Poste, juridiquement effectif depuis le 4 mars 2020. Du fait de ce rapprochement, le total des engagements du groupe s'élève aujourd'hui à 1 242 milliards d'euros. Le vote de la loi PACTE a donc permis de construire un groupe public d'une ampleur tout à fait massive. Le bilan de la CDC a été multiplié par trois avec ce rapprochement.

Malgré cette opération de croissance, le résultat net agrégé qui ressort du résultat consolidé de la « section générale », auquel s'ajoute le résultat des fonds d'épargne, a fortement baissé. Les effets de la crise, naturellement, ont pesé sur l'ensemble des activités de la maison. Ce résultat agrégé s'élève à 777 millions d'euros, dont 210 millions d'euros au titre des fonds d'épargne. Les comptes consolidés de la « section générale » s'établissent donc à 566 millions d'euros, contre plus de 2 milliards d'euros en 2019, soit une baisse de plus de deux tiers.

Cette baisse de notre résultat, tout à fait logique compte tenu des circonstances, s'explique par la réduction de l'activité opérationnelle des filiales les plus touchées par la crise - vous avez cité monsieur le président Raynal la Compagnie des Alpes, on peut également parler de Transdev.

La réduction des dividendes est également un facteur de baisse. À la CDC, nos gestionnaires d'actifs gèrent 200 milliards d'euros ; la réduction des dividendes de notre portefeuille d'actions - plus de 90 milliards d'euros au total - pèse sur notre résultat.

Ce résultat tient enfin à l'évolution défavorable de certaines participations en raison de la baisse - même moindre en fin d'année - des marchés.

Le résultat net agrégé de 777 millions d'euros prend en compte les effets négatifs des difficultés rencontrées par La Poste. La livraison du courrier, comme vous le savez, s'est brutalement affaissée en 2020, avec 1,6 milliard de lettres en moins ; cet affaissement a un impact négatif de 1,3 milliard d'euros sur les comptes de La Poste. En 2020, les pertes de La Poste s'élèvent à 1,8 milliard d'euros.

Cet impact négatif sur les comptes de la CDC - de l'ordre de 750 millions d'euros - a été largement compensé par l'effet comptable de l'opération de rapprochement avec La Poste. Cet effet comptable correspond aussi à un effet économique, car ce sont des plus-values que nous avons intégrées dans nos résultats.

Si nous n'avions pas fait, l'année dernière, le rapprochement avec La Poste, le résultat du groupe CDC aurait été à peu près au même niveau que l'année précédente, à une cinquantaine de millions d'euros près. Il est important d'avoir cette information en tête.

L'année 2020 a vu aussi le rapprochement avec la Société de financement local (SFIL), grand acteur du financement des collectivités locales, du secteur hospitalier et de l'exportation. L'impact sur nos comptes a été assez marginal et plutôt positif.

Nous avons dû piloter notre bilan avec beaucoup de précautions pour protéger nos actifs. Mais, in fine, notre capacité d'intervention a été très peu touchée par cette année difficile. Nos fonds propres comptables ont baissé de 3 milliards d'euros, mais, si l'on ajoute les fonds d'épargne à la « section générale », ils sont de 51 milliards d'euros, ce qui correspond à une baisse de fonds propres de 6 %. L'effet est non négligeable, mais ne change en rien notre trajectoire financière et, surtout, notre capacité à intervenir au service du pays. C'est pourquoi nous avons pu mettre en place ce plan de 26 milliards d'euros d'investissement - c'est-à-dire un niveau d'investissements supérieur à ce que nous avons pu faire ces dernières années.

En 2020, notre contribution au budget de l'État s'élève à 514 millions d'euros, répartie entre, d'une part, 228 millions d'euros versés au titre de la contribution représentative de l'impôt sur les sociétés, et d'autre part, 286 millions d'euros correspondant au versement de la moitié des résultats consolidés de la CDC, comme le prévoit la règle depuis quelques années.

L'apport de CNP Assurances s'élève à près de 4 milliards d'euros et se traduit dans les résultats comptables de La Poste ; celle-ci présente un résultat net de 2 milliards d'euros, alors que, sans l'opération de rapprochement, elle aurait affiché une perte de 1,8 milliard d'euros. À cela s'ajoutent les 6 milliards d'euros de fonds propres apportés par CNP Assurances. Ainsi, le groupe public se retrouve avec, au total, plus de 18 milliards d'euros de fonds propres, au lieu de 10 milliards d'euros si l'opération « Mandarine » n'avait pas eu lieu. Ce rapprochement a donc permis, malgré une année très difficile, de donner à La Poste des moyens importants.

Nous avons joué notre rôle d'actionnaire en permettant à La Poste de ne pas verser de dividendes au titre de 2019 et, malgré le résultat comptable positif de 2 milliards d'euros, nous ne demanderons pas non plus de dividendes à La Poste au titre de 2020.

J'en profite pour féliciter et remercier les postières et les postiers qui se sont mobilisés tout au long de l'année 2020 pour maintenir les bureaux ouverts, alors que les difficultés opérationnelles étaient réellement importantes. Grâce à eux, les prestations sociales ont pu être versées ; c'était un des grands enjeux du confinement.

Lors de ma précédente audition, j'avais évoqué les grands axes du plan de relance. Ce plan, qui représente 26 milliards d'euros d'investissements, s'articule autour de quatre priorités : le financement de la transition écologique et énergétique (TEE) ; le soutien à l'économie ; la cohésion sociale ; la cohésion territoriale et l'habitat. Nous avons été très attentifs au déploiement de ce plan au plus près des territoires. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur le réseau de la Banque des territoires, fort de 36 implantations territoriales - nous avons, la semaine dernière, inauguré l'antenne de Tours - et de 850 collaborateurs sur le terrain. Nous avons des moyens financiers accrus car le ministre des finances nous a autorisé de nouveaux emplois des fonds d'épargne. .

Sur les 26 milliards d'euros du plan de relance approuvés par la commission de surveillance, nous avons déjà déployé 7,7 milliards d'euros en 2020, soit deux fois le niveau d'investissement d'une année normale. Après les équipes de La Poste, je tiens également à féliciter les équipes de la Banque des territoires et de la CDC, qui ont vraiment été très présentes sur le terrain pour lancer tous ces investissements.

Concernant la TEE, nous avons déployé 1,4 milliard d'euros sur les 6,3 milliards d'euros annoncés. Les financements concernent les bus électriques, les nouvelles énergies renouvelables, ainsi que les bornes électriques pour les véhicules rechargeables.

Madame la présidente Primas, pour répondre à votre question, je suis en accord avec mon ami Nicolas Dufourcq. Les financements sont disponibles, nous pourrions étudier davantage de projets. En matière de TEE, beaucoup de projets viennent des territoires. Une des plus importantes sociétés énergétiques françaises est une société d'économie mixte (SEM) implantée dans le département de la Vienne. Récemment, je me suis déplacé dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, où Proviridis - une entreprise dans laquelle nous participons au capital - est en train d'installer les stations de distribution d'énergie du XXIe siècle. Toutes ces initiatives existent ; s'il y en avait davantage, nous pourrions les financer. Nous gérons l'épargne de notre pays. Le fait que cette épargne soit abondante est une bonne nouvelle, et nous sommes en mesure de la déployer.

Vous avez évoqué la « banque du climat ». Il s'agit d'un projet mené conjointement avec Bpifrance. Plus de 30 milliards d'euros sont disponibles pour ces financements.

Au-delà de la TEE, nous soutenons les entreprises, notamment les commerces dans les villes petites et moyennes. Plus de 40 foncières sont déjà établies, 20 ne vont pas tarder à se mettre en place ; nous visons la centaine de foncières pour soutenir le commerce local. Ce dispositif très précieux permet de racheter des murs, soit pour les donner à bail à des conditions avantageuses, soit pour soutenir un commerçant propriétaire.

Nous avons abondé beaucoup de fonds gérés par Bpifrance, dont la restructuration financière a permis de doter l'organisme de 3 milliards d'euros de fonds nouveaux. Je peux évoquer également l'initiative portée avec les assureurs en matière de santé et de tourisme : 2 milliards d'euros d'investissement, dont 150 millions d'euros apportés par la CDC. Le soutien à l'économie nous mobilise donc largement.

Nous disposons d'une enveloppe de 500 millions d'euros pour la cohésion sociale. Le secteur est moins « consommateur » de fonds propres. Les investissements concernent notamment la rénovation d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les établissements médicalisés pour les seniors et les services innovants numériques, notamment la télémédecine, notamment dans les zones rurales où les médecins sont moins nombreux.

Nous avons changé le nom de la direction des retraites et de la solidarité, qui s'appelle désormais la direction des politiques sociales. Il ne s'agit pas seulement de changer les mots, mais de montrer, à travers cela, combien le champ de cette direction s'est élargi.

Vous avez cité « Mon compte formation », dont le succès doit se poursuivre. Dans l'industrie, 500 000 postes ne sont pas pourvus. Le problème, c'est la formation des jeunes ; « Mon compte formation » peut contribuer à y répondre. Par ailleurs, dans le cadre du plan engagé par le Premier ministre, des soutiens nouveaux sont accordés aux jeunes cherchant des formations.

Enfin, nous avons engagé 3,6 milliards d'euros en faveur du logement. Avec CDC Habitat, nous pouvons faire beaucoup. L'an dernier, nous avons lancé un programme de 40 000 ventes en l'état futur d'achèvement (VEFA), dont 5 000 dans les départements d'outre-mer.

Nous avons également participé au plan lancé par Emmanuelle Wargon en nous engageant à développer 30 000 logements sociaux. Le coût financier, naturellement, est massif.

Une difficulté est apparue. En effet, les programmes de construction ont connu un véritable coup d'arrêt. Beaucoup de municipalités ont peut-être été impressionnées par la demande des électeurs de réduire le rythme de construction, ainsi que par la lutte - légitime - contre l'artificialisation des sols. Il n'en demeure pas moins que notre pays a besoin de construire 400 000 logements par an pour loger les Françaises et les Français. Nous en avons également besoin pour soutenir l'activité des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics. L'an dernier, nous sommes passés à moins de 350 000 logements construits, dont 90 000 logements sociaux et sans doute moins cette année.

C'est un véritable sujet pour les élus locaux. Les financements sont disponibles, et l'abondante collecte nette des fonds d'épargne - 35 milliards d'euros - nous permet de financer et la rénovation thermique, qui se fait bien, et la construction, pour laquelle je suis un peu plus inquiet.

J'ai rappelé au début de mon propos que la Banque des territoires s'appuyait sur 850 collaborateurs répartis sur l'ensemble des 36 implantations sur le terrain. Dans le plan de relance, nous avons souhaité augmenter les délégations données à nos directeurs régionaux. Nous avons mis en place, pour chacune des collectivités territoriales, des collaborateurs référents dans nos équipes afin d'avoir un référent unique. Tout cela est complexe à mettre en oeuvre en raison de la diversité des outils, qu'il s'agisse de l'ingénierie, de l'investissement en capital et du prêt. Ces référents présentent toute l'offre de la Caisse des dépôts et consignations à destination des élus. Ainsi neuf prêts sur dix et la moitié de nos investissements sont maintenant décidés localement, au plus près des territoires.

Nous sommes donc maintenant en capacité de décider vite, c'est pourquoi nous avons pu engager près de 8 milliards d'euros l'année dernière. Je suis très attentif à ce que le mandat donné à nos directions régionales soit un mandat en montant d'investissement, mais aussi en nombre d'opérations. Plutôt que quinze très gros dossiers, e préfère qu'il y ait des dizaines et des centaines de dossiers plus petits, mais qui soutiennent l'ensemble des territoires. Nos offres sont très équitables dans leur fonctionnement, notamment les prêts des fonds d'épargne dont les conditions sont les mêmes, quelle que soit la taille de l'acteur.

L'épargne accumulée - soit 36 milliards d'euros - a largement été réinvestie. Nous sommes au contact des acteurs territoriaux pour mobiliser cette épargne des Français et la gérer de la façon la plus efficace possible.

Je reviens sur une question du président Claude Raynal sur la revue de nos participations. Toutes les participations de la CDC ont bougé depuis le début de mon mandat, il y a un peu plus de trois ans. Je vous remercie d'avoir rappelé les trois critères que nous utilisons dans nos décisions et dans le dialogue avec la commission de surveillance : l'intérêt des entreprises concernées, l'intérêt général et l'intérêt patrimonial de la caisse.

Dans cette situation où certaines filiales sont en difficulté économique - je pense à la Compagnie des Alpes ou à Transdev -, la Caisse des dépôts et consignations jouera son rôle d'actionnaire pour accompagner ces sociétés dans leur adaptation.

En conclusion, nous poursuivrons le déploiement de notre plan de relance en 2021 sur un rythme voisin de celui de 2020. En une demi-année nous sommes parvenus à investir près de 8 milliards d'euros. Certes, nous n'allons pas investir 16 milliards en 2021, mais j'espère que nous pourrons tabler au moins sur 8 milliards de crédits. Nous allons continuer à nous appuyer sur les grands programmes nationaux, qui sont extrêmement efficaces. C'est une nouvelle façon pour l'État et les acteurs publics d'agir au plus près des territoires. Je pense aux programmes Action coeur de ville, Territoires d'industrie, Territoires d'innovation, Petites villes de demain et, bien entendu, au plan d'investissement d'avenir, qui fonctionne bien.

L'action de la CDC n'a jamais été aussi nécessaire qu'en temps de crise et nous comptons bien jouer notre rôle contracyclique, avec enthousiasme et énergie, au maximum de nos capacités, au service de notre pays et de la relance.

M. Claude Raynal, président. - Merci de cette présentation. Il est effectivement compliqué d'être synthétique lorsque l'on pèse plus de 1 200 milliards d'euros !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - L'invitation conjointe par nos deux commissions est prévue par la loi PACTE, dont j'étais l'un des rapporteurs. Mon seul regret sur cette loi - mais j'étais minoritaire -, est de ne pas avoir privatisé Aéroports de Paris (ADP) : l'État aurait fait une opération intéressante !

Vous avez évoqué le plan de relance, soit 26 milliards d'euros mis sur la table et pour cinq ans. À ce jour, un tiers de cette somme serait décaissée. Quatre priorités ont été définies : le développement économique ; la cohésion sociale ; la cohésion territoriale et l'habitat ; la transition écologique. Par ailleurs, la Banque des territoires lance avec Bpifrance un plan Climat de 40 milliards d'euros jusqu'en 2024, dont une quinzaine de milliards d'euros sur les sujets d'enjeux thermiques et écologiques des bâtiments pour les collectivités locales et les logements sociaux. Monsieur le directeur général, de quelle manière ces deux plans s'articulent-ils ? En outre, quid de l'ambition de la CDC de décarboner son portefeuille d'actifs ? C'est un objectif que vous poursuivez depuis quelques années déjà. Où en êtes-vous concrètement ? Comment mesurez-vous cette réduction de l'empreinte carbone ? Dans quelle mesure s'agit-il aujourd'hui d'un critère à la fois prioritaire et incontournable de votre gestion d'actifs ?

M. Éric Lombard. - Lors du plan de relance, nous avons augmenté notre volume d'investissements et nous l'avons recentré sur la relance. Or il se trouve que ce qui était prévu au titre du plan Climat a pu être intégré dans le plan de relance. Les 40 milliards du plan Climat présenté avec Bpifrance comprennent donc 6,3 milliards de la CDC au titre du plan de relance.

Sur la décarbonation de notre portefeuille, nous avons pris des engagements très forts de nous mettre en trajectoire de neutralité carbone en 2050. Nous souhaitons les tenir. Comment les mesurons-nous ? Tout un tas d'outils permettent de mesurer les émissions carbone d'une entreprise. Par exemple, sur notre marge de manoeuvre la plus importante, les 200 milliards d'euros au titre de notre gestion d'actifs - les liquidités des fonds d'épargne et de la section générale -, nous avons baissé de 44 % l'empreinte carbone entre 2014 et 2020. Nous allons continuer au même rythme, selon nos engagements annuels. Cela peut certes compliquer la vie de tel ou tel acteur, mais cette réduction de notre bilan carbone n'est pas négociable.

Nous défendons la même ambition sur nos portefeuilles de crédit. Nicolas Dufourcq en parlerait plus savamment que moi. Quoi qu'il en soit, c'est plus compliqué avec les entreprises, notamment les PME. Nous devons donc réaliser un important travail de formation. Nous avons décidé, à ce stade, de ne pas couper les crédits d'une entreprise qui serait insuffisamment rapide à s'adapter à la trajectoire de l'accord de Paris. Nous faisons de la pédagogie, mais elle deviendra plus insistante au fil du temps.

Dernier point, ces méthodes seront naturellement appliquées à la CDC elle-même et à ses filiales. La Poste, par exemple, sera le premier acteur européen de logistique totalement décarboné, avec déjà la plus large flotte de véhicules électriques d'Europe, et nous sommes en train de changer tous les véhicules du réseau de la Banque des territoires.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comme mes collègues sont très nombreux à vouloir vous interroger, je vais leur demander de faire preuve de discipline et de se montrer concis.

Mme Viviane Artigalas. - La loi PACTE a affecté le fonctionnement de la Caisse des dépôts et consignations, notamment en matière de représentation au sein de la commission de surveillance. L'étendue des interventions directes de la CDC, mais aussi via ses filiales, est extrêmement importante, dans des domaines aussi larges que le logement, le tourisme, le numérique, l'économie des territoires. Vous nous avez parlé de votre implication dans le plan de relance, mais aussi dans les cycles plus normaux de notre économie.

Le rapport d'information sur l'avenir de La Poste recommande un renforcement du rôle de la commission de surveillance en matière de suivi du financement des missions de service public confiées à La Poste. Que pensez-vous de cette proposition et comment envisagez-vous le renforcement des prérogatives de la commission de surveillance en la matière ?

M. Hervé Maurey. - La CDC gère le droit individuel à la formation des élus. En janvier 2020, l'Inspection générale de l'administration (IGA) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont remis un rapport assez critique. Il y était notamment reproché à la CDC des délais trop longs, des réponses tardives et parfois incohérentes, des appréciations d'éligibilité différentes, des remboursements tardifs, etc. Où en êtes-vous aujourd'hui ? Combien de dossiers gérez-vous ? Vous avez démarré avec 600 demandes, vous en avez traité 1 500 en 2019 et vous escomptiez 10 000 demandes en 2020, j'imagine que vos prévisions n'ont pas été réalisées compte tenu de la pandémie ?

Par ailleurs, qu'en est-il de la gestion des contrats d'assurance-vie non réclamés ? Depuis la loi Eckert de 2014, vous récupérez au bout de dix ans les contrats pour lesquels les recherches ont été infructueuses, soit environ 5 milliards d'euros selon la Cour des comptes. Où en êtes-vous aujourd'hui en termes de stock, de flux et de demande des particuliers pour pouvoir récupérer ces fonds ? De manière complémentaire, le spectre est-il bien couvert ? Il me semble que vous ne pouvez pas gérer certains avoirs. Se profile aussi la question des contrats de retraite supplémentaire en déshérence. Aux termes de la loi PACTE, ces contrats seraient en déshérence au bout de la cent vingtième année de l'assuré. N'existe-t-il pas des marges de progression ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Dans son récent rapport sur la massification de la réhabilitation thermique des logements privés, Olivier Sichel a proposé de financer le reste à charge des ménages modestes ou des ménages qui ne peuvent pas accéder au crédit en raison de leur âge par un prêt avance mutation, qui est une formule de prêt viager hypothécaire remboursable lors du décès ou au moment de la vente du bien immobilier, augmenté des intérêts cumulés sur très longue durée. Il envisage que ce prêt avance mutation soit distribué par la Caisse des dépôts et consignations via la Banque postale. Comment voyez-vous le déploiement de ce prêt avance mutation avec ses risques spécifiques et à quel horizon ? Pourquoi le développement des dispositifs tels que le tiers financement ou les contrats de performance énergétique n'ont-ils pas été privilégiés ? Ne risquons-nous pas de créer des « gilets jaunes climatiques » ? Je pense plus particulièrement aux propriétaires de pavillon en province ou en banlieue : pour eux, la valeur verte sera synonyme d'appauvrissement, car ils verront leur seul patrimoine, qu'ils souhaitent transmettre à leurs enfants, hypothéqué et amputé.

M. Philippe Dallier. - Toujours sur le sujet du logement, vous nous avez dit être inquiet sur les objectifs de construction. Nous le sommes également. Seule la ministre du logement répète urbi et orbi que l'on atteindra l'objectif de 250 000 logements sociaux en deux ans, mais personne n'y croit !

Parmi les raisons pour justifier les mauvais chiffres de l'an dernier, vous avez évoqué la difficulté de construire pour les maires. C'est peut-être un peu court ! J'aimerais vous interroger sur la réduction de loyer de solidarité (RLS) et ses conséquences. Le Gouvernement nous a vendu un certain nombre de dispositifs qui devaient aider les bailleurs sociaux à compenser les pertes de recettes de loyer : où en êtes-vous ? Un rapport de la Cour des comptes montre que les bailleurs ont levé le pied en matière de rénovation de leurs parcs, ce qui est une mauvaise nouvelle. Par ailleurs, ils devaient vendre des logements sociaux pour en construire d'autres. Or l'objectif n'est pas atteint. Quel est votre avis sur la mise en place de ces dispositions post-RLS ?

M. Patrick Chaize. - Comme l'a rappelé ma collègue Viviane Artigalas, le rapport d'information sur l'avenir des services publics de La Poste a été adopté à l'unanimité par la commission des affaires économiques le 31 mars dernier. Dans le cadre de ce groupe de travail, nous vous avions auditionné. Je souhaiterais que vous reveniez sur deux points devant les sénateurs des commissions des affaires économiques et des finances. Tout d'abord, pouvez-vous nous rappeler la position d'actionnaire majoritaire de la Caisse des dépôts et consignations concernant le financement du déficit des missions de service public de La Poste ? Enfin, pouvez-vous nous décrire les moyens permettant à la CDC de jouer son rôle d'actionnaire de contrôle par rapport à La Poste depuis le rapprochement avec CNP Assurances ?

M. Michel Canevet. - Dans la perspective de l'examen de la loi de programmation pluri-pluriannuelle sur l'aide publique au développement, pourriez-vous nous rappeler les actions menées par la Caisse des dépôts et consignations sur des questions de solidarité avec les pays étrangers ?

Philippe Dallier vient d'évoquer le logement. Il est clair que nous sommes bien en deçà des perspectives que nous devions atteindre. Cette situation n'est-elle pas le résultat de la fusion entre les différents opérateurs prévue par la loi Élan ? Pour ce qui concerne le logement privé, malgré des taux d'intérêt extrêmement bas, la production n'est pas assez élevée. Ne faudrait-il pas booster le prêt à taux zéro ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Nous vous avions entendu le mois dernier dans le cadre du comité de suivi sur les conséquences économiques et environnementales de la fusion entre Veolia et Suez. Nous avions notamment émis des doutes sur l'intérêt de l'opération pour les collectivités territoriales, qui sont les premières clientes de Suez et de Véolia en France. Ces dernières craignent une hausse des prix résultant de l'affaiblissement de la concurrence. Le périmètre de l'accord de dimanche est plus satisfaisant que celui envisagé initialement puisqu'il garantit l'intégrité des activités de Suez en France. La CDC figure parmi les repreneurs potentiels. Cependant, Suez sera ramenée à 40 % de son activité antérieure. En se privant, notamment, d'actifs à l'international, Suez ne se prive-t-elle pas par la même occasion de son potentiel innovant ? Ne risque-t-elle pas de vivre un destin « à la Saur » ? La concurrence est formellement respectée aujourd'hui, mais, cantonnée au marché français, Suez peut-elle vraiment espérer concurrencer Veolia sur le long terme ? Pensez-vous que cet accord puisse réellement engager une dynamique positive pour les clients et usagers, notamment nos collectivités, et préserver les intérêts des salariés ?

M. Marc Laménie. - Vous avez évoqué l'implication de la CDC dans la Banque des territoires. Une mairesse d'un petit village des Ardennes a dû récemment renoncer à un prêt parce qu'on lui demandait un diagnostic du réseau d'eau potable alors qu'il s'agit d'un projet basique. Ce n'est déjà pas simple pour les petites communes, si elles doivent en plus renoncer aux possibilités de prêts à long terme, comment feront-elles pour réaliser les travaux indispensables ? On dit qu'il faut simplifier : avez-vous des mesures de bon sens à nous proposer ?

M. Éric Lombard. - Sur les quatre missions de service public de La Poste, trois missions historiques sont insuffisamment compensées par l'État : l'aménagement du territoire, la distribution du courrier et l'accessibilité bancaire. Une meilleure compensation me paraîtrait logique. Quant au service universel postal, qui est devenu déficitaire dès 2018, sa compensation n'était pas jusqu'à ce jour envisagée. Le coût de cette mission de service public depuis l'effondrement du courrier en 2020 est considérable, de l'ordre de 1,3 milliard d'euros. La Poste va s'engager à faire des efforts de productivité accrue, mais le déficit résiduel devra être compensé par l'État. La commission de surveillance a pour mission de suivre ces éléments chiffrés et de veiller à ce que cette compensation soit assurée pour ne pas diminuer les moyens de La Poste et ceux de la CDC.

Patrick Chaize m'a questionné sur les moyens d'exercer le contrôle sur La Poste. Il existe des moyens techniques habituels, notamment ceux votés dans le cadre de la loi PACTE. La CDC est majoritaire au sein du conseil d'administration de La Poste et nous avons des représentants au conseil d'administration de la Banque postale. J'ai également des entretiens réguliers avec Philippe Wahl.

En ce qui concerne les fonctions « régaliennes » - la finance, le contrôle des risques, l'audit, la conformité - les filières établies sont très solides. Elles nous permettent d'avoir toute l'information et de donner les directives que nous jugeons utiles. Sur les filières non régaliennes, les coordinations établies nous permettent d'être efficaces ensemble - je pense à l'opération France services ou à la logistique urbaine. Les équipes de La Poste jouent le jeu avec une totale transparence. La commission de surveillance suit d'ailleurs les choses de près, en plénière ou dans le cadre de son comité stratégique.

Effectivement, le rapport sur le financement de la formation des élus a été critique. Le droit individuel à la formation des élus locaux (DIF élus) peut être puissamment transformé, mais des ordonnances ont été prises la semaine dernière. Le DIF élus sera confondu avec « Mon compte formation » dont vous avez salué le succès. Nous disposerons donc d'un outil plus efficace, plus moderne, plus homogène et qui permettra de répondre rapidement à l'ensemble des demandes.

En fin d'année, nous avions dans nos livres 6,5 milliards au titre de ces contrats non réclamés ; 9,9 millions de comptes ont été transférés pour un montant moyen de 650 euros. En 2020, nous avons enregistré 1,2 million de vues sur le site et 780 000 visiteurs uniques. L'année dernière, nous avons restitué 405 millions d'euros à des bénéficiaires directs pour un total de 186 000 demandes, 87 % par le site et le reste par courrier. C'est un système qui fonctionne bien puisque je reçois beaucoup moins personnellement de lettres de réclamation qu'il y a deux ou trois ans.

Les contrats d'assurance-vie dits de retraite ne sont pas aujourd'hui concernés, mais la question est en train d'être étudiée. Nous avons simplement émis une réserve, qui a été entendue : la Caisse des dépôts et consignations n'est pas une compagnie d'assurance, elle peut reprendre ces contrats non réclamés, mais en versant un capital et non une rente, qui demanderait la mise en place d'outils onéreux.

Madame Dominique Estrosi Sassone, la Banque postale s'est portée volontaire rapidement, mais nous souhaitons vivement que l'ensemble des réseaux bancaires puissent financer la rénovation thermique des bâtiments. Cette proposition, issue du rapport d'Olivier Sichel, ne vise pas à se substituer à des dispositifs existants. Il a néanmoins la vertu de permettre notamment à des ménages modestes d'avoir accès à la fois à l'expertise et au financement. Je ne partage pas votre point de vue sur le risque de nouveaux « gilets jaunes ». La rénovation thermique d'un logement en augmente sa valeur, c'est une façon de protéger le patrimoine. Ces travaux diminuent également les dépenses énergétiques, à tel point que nous avions envisagé de financer ces travaux grâce aux économies réalisées. Quoi qu'il en soit, on peut faire le pari que, dans la plupart des cas, au moment de la cession ou de la transmission du logement, l'amélioration de la valeur du bien couvrira les frais des travaux.

Où en sommes-nous sur la RLS ? Grâce aux efforts considérables des acteurs du logement social, cette baisse de revenus a été surmontée. Nous suivons très attentivement les comptes de 750 organismes de logement social, avec lesquels nous avons un encours de crédit de 170 milliards d'euros. Leur situation d'ensemble est rétablie, nous n'avons pas d'inquiétude à ce sujet. Par ailleurs, les rapprochements prévus par la loi Élan ont bien eu lieu. La baisse du rythme de construction, que j'ai évoquée dès mon propos introductif, n'est pas liée à une faiblesse des organismes, mais au fait que nous manquons de projets dans les collectivités. Pour conclure sur ce point, CDC Habitat, au-delà des 40 000 VEFA et des 30 000 logements sociaux est aussi intervenue en soutien d'organismes qui faisaient appel à nous. Dans mon propos liminaire, j'ai oublié d'évoquer les prêts participatifs mis en place par la CDC. Merci de m'avoir donné l'occasion de le faire, monsieur Dallier, car il s'agit d'un soutien important. Ces prêts sont très avantageux : les organismes ne s'y sont pas trompés puisque nous en sommes déjà à 750 millions d'euros de crédits utilisés.

Les dispositifs pour le logement sont innombrables. C'est une décision des élus de maintenir le rythme de construction tout en modifiant le mode de construction. Nous devons construire des logements qui soient au meilleur niveau sur le plan écologique, à la fois dans la construction et dans l'exploitation.

Vous avez évoqué le rapprochement entre Suez et Veolia : mon week-end fut moins familial que prévu ! Les responsables des deux maisons ont conclu un accord dimanche dans la soirée ; il a été validé dans la nuit par le conseil d'administration, qui savait ce qu'il faisait. Nous avons suivi cela de très près, et nous pensons que le nouveau Suez, avec 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et des équipes talentueuses, et en s'appuyant sur des actionnaires qui se sont d'ores et déjà engagés à financer des développements futurs, aura les moyens d'assurer la qualité de service en France, avec un niveau de concurrence déjà très élevé - au-delà de Suez et de la Saur, de nombreuses collectivités passent en régie. En tout cas, l'avenir de Suez dépendra évidemment des choix qui seront faits par sa direction. Cette société peut se réinventer un nouvel avenir. Les accords passés assurent une protection de la situation de l'ensemble des salariés de Suez pendant quatre ans, ce qui laissera le temps à la société de retrouver un bon niveau de développement. Nous serons nous-mêmes attentifs - j'ai proposé que nous soyons actionnaires du nouvel ensemble, et nous jouerons notre rôle d'actionnaire responsable, à côté de fonds qui seront sûrement intéressés aussi par la situation des salariés, mais peut-être un petit peu moins que nous !

M. Laménie a évoqué une collectivité des Ardennes, mais sans en donner le nom. D'une manière générale, avant d'entamer des travaux, il n'est jamais mauvais de prévoir un peu d'ingénierie. Vous avez parlé d'un diagnostic ; c'est un peu différent, certes. D'ailleurs, nous finançons souvent l'ingénierie préalable par des subventions. Le plus simple serait que vous m'adressiez les informations utiles par courriel, et je demanderai à M. Patrick François, notre directeur régional, de prendre contact avec cette maire pour trouver une solution appropriée : nous sommes au service des élus.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - J'ai justement, moi aussi, une petite liste de dossiers en suspens...

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je ne peux m'empêcher de réagir à vos propos sur la construction. Vous dites qu'il n'y a pas assez de projets. Je pense qu'il faut que vous entriez, avec le Gouvernement, dans une réflexion sur les ressources des maires, qui savent compter, et qui ne perçoivent plus de taxes d'habitation, et ne sont pas compensés sur la taxe foncière sur les logements sociaux. C'est un sujet qui est oublié, en règle générale, par Mme la ministre du logement et par son entourage, alors que c'est le levier le plus important.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Vous avez fait part de vos craintes pour cette année, notamment pour le secteur du logement. Ces craintes sont partagées ! Vous avez encouragé les collectivités à maintenir le rythme des constructions de logements sociaux. Dans un contexte où les élus manquent de visibilité sur leurs finances, ils se montrent soucieux de répondre aux enjeux démographiques et économiques sans sacrifier pour autant l'aspect environnemental, et dans le respect de nouvelles contraintes à venir, comme le zéro artificialisation nette. Il faut donner aux élus les moyens de mettre en oeuvre leur projet d'urbanisme, même si ces constructions ne concernent pas que les métropoles : l'essentiel des 40 000 logements sociaux précommandés par la CDC Habitat fin 2020 se trouveront dans des zones tendues. Pourtant, les territoires ruraux sont en demande. Il ne faut pas les oublier, et il faut favoriser également le logement intermédiaire. Ne craignez-vous pas que le budget prévu pour le plan de relance ne puisse pas être engagé en 2021 sur des projets, faute de visibilité et d'une reprise suffisamment dynamique ?

Je souhaite aussi vous interroger sur la centaine de foncières dont vous avez parlé, destinées à racheter un certain nombre de petits commerces - 6 000, avez-vous dit - dans le programme Action coeur de ville. Pouvez-vous nous détailler leurs modalités de collaboration avec les collectivités locales ?

M. Jean-Pierre Moga. - Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, la CDC participe pleinement à l'effort national en mobilisant 26 milliards d'euros de fonds propres. Il y a les mesures d'urgence, et les mesures de transformation. Pouvez-vous nous détailler, parmi les fonds propres qui seront investis, ceux qui seront consacrés au soutien à court terme de l'économie, et ceux qui seront alloués à des mesures de plus long terme de transformation structurelle ? Prévoyez-vous des retards dans la mise en oeuvre de certaines mesures du plan de relance ? Au cours des six premiers mois de l'année passée, l'investissement des entreprises a baissé de 22 %, une chute sans précédent en temps de paix. La reprise prévue en 2021 ne suffira certainement pas à combler l'énorme déficit d'investissement causé par la crise de la covid, qui semble malheureusement se prolonger. Comment peut-on encourager et accélérer l'investissement dans ces conditions ?

La question du remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) est cruciale, avec les premières tranches prévues pour ce mois d'avril. Quelque 600 000 entreprises ont bénéficié d'un montant total de 132 milliards d'euros. Environ 95 % de ces bénéficiaires étaient des PME. Or, 6 à 8 milliards d'euros pourraient ne pas être remboursés. Si le Gouvernement a accordé des reports de remboursement, à moyen terme l'épée de Damoclès de la solvabilité menace la soutenabilité du système bancaire et la dynamique de notre écosystème entrepreneurial. Face au risque d'une baisse prolongée de l'activité, quelles mesures proposez-vous ? Pour renforcer les fonds propres des PME et des TPE, ne faudrait-il pas transformer une partie des PGE en subventions d'exploitation, ou en avances, conditionnées, pour les secteurs les plus sinistrés ?

Mme Anne Chain-Larché. - Dans le plan de relance, environ 8 milliards d'euros sont consacrés aux entreprises fragilisées. Au cours des deux premières années, 80 % de cette somme devait être mobilisée. Au bout de sept mois, où en êtes-vous ? Compte tenu des fermetures administratives, beaucoup trop longues, de certaines entreprises, une augmentation des crédits consacrés à leur soutien est-elle envisagée ?

M. Vincent Segouin. - Ce matin, le ministre des finances a annoncé que l'annulation d'une partie de la dette des entreprises serait sûrement nécessaire, parce que celles-ci n'auraient pas la capacité de rembourser leurs prêts garantis par l'État (PGE). Vos prévisions de contentieux sont-elles encore fiables ? La CDC pourra-t-elle supporter les conséquences de ces défauts ? Ou bien sera-ce à l'État de vous les rembourser ? Vous avez dit qu'il fallait continuer le soutien financier jusqu'à une relance totale. À combien estimez-vous la réserve financière mobilisable de la CDC ?

M. Serge Babary. - Comme ancien maire de Tours, je tenais à vous remercier d'avoir signalé l'intérêt de votre installation dans cette ville ! L'année dernière, nous avons eu l'honneur de vous accueillir devant notre commission des affaires économiques. Vous aviez évoqué les fonds résilience, et fait part de votre satisfaction quant à leur mise en place dans la plupart des régions. Quelle est la situation un an plus tard ? Vous évoquiez aussi l'espoir de bénéficier de fonds européens en complément. Avez-vous pu aboutir dans cette démarche ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous avez évoqué le dispositif « Mon compte formation ». Quelle dynamique constatez-vous ? Est-il suffisant pour répondre au défi de la relance et aux besoins des entreprises ? La Banque des territoires est un acteur majeur, dont les pratiques sont particulièrement observées, et exemplaires. Quelle est la stratégie de la société forestière, votre filiale ? Traduit-elle votre ambition de décarbonation ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le tourisme emploie une personne sur dix dans le monde, et c'est le secteur le plus fragilisé par l'épidémie. M. Jean-Baptiste Lemoyne a annoncé que la perte du secteur en France représentait 60 milliards d'euros en 2020. Comment la CDC permettra-t-elle aux entreprises du secteur du tourisme non plus de tenir bon, mais de rebondir après la crise ?

La France fait partie des grands pays industrialisés qui ont perdu beaucoup d'industries depuis une décennie. Celles-ci ont été remplacées par les activités de l'économie des services. Ce choix, ajouté à un coût particulièrement bas de la main-d'oeuvre dans les pays étrangers, a permis à certaines entreprises de se délocaliser et créé une situation de dépendance industrielle, notamment mise en exergue par la pénurie de masques, de respirateurs et de médicaments. Actuellement, 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont fabriqués en Chine. Quelles actions concrètes sont engagées par la CDC pour promouvoir la réindustrialisation du pays ? Comment s'assurer que cette réindustrialisation restera en concordance avec les objectifs environnementaux ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Oui, comment le volontarisme de la réindustrialisation et de la relocalisation peut-il être accompagné, voire promu par la CDC ? C'est un enjeu très important, notamment pour la transition énergétique.

Je ne suis pas d'accord avec votre analyse selon laquelle la RLS serait indolore parce que la situation des organismes serait bonne ; elle est bonne puisqu'ils ont moins investi pour la rénovation et la construction. Toutes les études de la Cour des comptes montrent que la dégradation n'est pas immédiate, mais intervient sur la longue durée, puisque c'est un système qui endette les organismes sur le long terme.

Vous avez parlé à juste titre des efforts de la CDC dans le plan de relance, avec CDC Habitat et les prêts participatifs. Les prêts participatifs ont eu un grand succès parce qu'ils étaient attractifs et utiles, mais il semble que la deuxième génération de prêts participatifs soit moins intéressante, et essentiellement prévue pour la rénovation, alors qu'on a besoin de ces prêts pour la construction. En effet, la baisse de la construction n'est pas uniquement due à un désintérêt des maires : il y a la question de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et, s'il y a besoin de beaucoup de fonds propres pour réussir les opérations, les organismes hésitent - à cet égard, la RLS a un impact considérable. Êtes-vous disponible pour négocier des prêts participatifs se situant dans la continuité de ce qui a été fait précédemment, et en ouvrant leur champ à la construction ?

Le débat mérite d'être approfondi sur ce qu'a dit Mme Estrosi Sassone. Vous faites le pari que les prix de l'immobilier resteront toujours en hausse. Dès qu'ils baisseront, gare aux systèmes de subprime à l'américaine, aux dépréciations et à la hausse des taux ! Cela pourrait déstabiliser considérablement des ménages très modestes.

Mme Valérie Létard. - Je souhaite vous interroger sur l'accompagnement, par la filiale de la CDC qu'est la Banque des territoires, du canal Seine-Nord. Il est prévu dans la convention de financement que la CDC sera également aux côtés de la région dans la réfection et le financement du canal, dès lors que la société aura été mise en place et qu'elle étudiera avec attention les projets d'investissement et les plateformes. Dans ce cadre, le financement du canal Seine-Nord s'élève à 5,1 milliards d'euros, selon un plan de financement réparti entre 1 milliard d'euros de contribution de l'État, 1 milliard d'euros des collectivités, 2 milliards d'euros de l'Union européenne et 841 millions d'euros d'une contribution d'équilibre, sur la partie des collectivités, sous forme de subventions ou par des emprunts levés via la Société du canal.

La région des Hauts-de-France et les quatre départements concernés s'orientent, comme le prévoit la convention, vers le financement par la Société, via un ou plusieurs emprunts, de leur contribution. Dans ce cadre, la Société a organisé en février dernier, en lien étroit avec les collectivités, une consultation bancaire pour une enveloppe de 60 millions d'euros sur une durée de vingt ans. La Banque des territoires, qui constitue un partenaire financier privilégié sur ce type de projets, a été consultée comme les autres établissements. Elle a fait savoir qu'elle estimait la durée de financement trop courte par rapport à ses critères d'intervention. On ne peut que regretter l'absence de participation de la Banque des territoires au financement de ce projet d'infrastructure pourtant majeur pour cet unique motif technique ; et on ne peut qu'espérer sa participation aux consultations à venir, monsieur le directeur général. Évidemment, elle sera aussi attendue sur la question des ports intérieurs, puisque ceux-ci seront du ressort des collectivités.

Des contrats territoriaux de développement seront consacrés à tout l'accompagnement de la stratégie de développement, notamment pour les abords des ports intérieurs et tous les travaux d'investissement qui porteront sur les collectivités. Là aussi, monsieur le directeur général, vous êtes attendu. En clair, comment et dans quelles proportions la Banque des territoires se mobilisera-t-elle de façon concrète pour ce grand investissement stratégique ?

M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué votre action contracyclique, quand le pays en a besoin. La CDC pourrait-elle s'engager dans la réassurance agricole par gros temps ? Nous subissons en ce moment un épisode de gel, et vous connaissez le succès tout relatif de la pénétration de l'assurance dans l'agriculture. On pourrait souhaiter que tous les agriculteurs soient assurés, d'une manière ou d'une autre, sur l'ensemble du territoire, les assurances n'étant pas exclusives d'autres dispositifs - je pense notamment au fonds de mutualisation, à l'épargne de précaution, etc.

Mme Sylviane Noël. - Le Sénat examinera bientôt le projet de loi climat et résilience, qui compte parmi ses dispositions la trajectoire du zéro artificialisation nette. Cette trajectoire va inévitablement aboutir à une flambée du coût de la construction, puisque les opérations de renaturation, de déconstruction, de réversibilité des bâtiments, de dépollution des sols ne seront pas neutres financièrement pour les collectivités. Comment la CDC envisage-t-elle d'accompagner les élus dans ces nouveaux enjeux ?

M. Yves Bouloux. - Ma question portera sur les fonds souverains régionaux. Le 22 mars 2021, la région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé son fonds souverain pour aider les entreprises régionales en difficulté face à la crise sanitaire et leur permettre de grandir par la suite. Doté aujourd'hui de 70 millions d'euros, le fonds devrait atteindre à terme 100 millions d'euros. De nombreuses régions devraient suivre. Quelle est votre position sur ces fonds souverains régionaux ? Faudrait-il poser un cadre juridique ?

M. Éric Lombard. - J'ai entendu votre remarque sur l'impact de la taxe foncière sur les logements sociaux, et j'en prends acte, mais le pouvoir fiscal n'a pas encore été attribué par le Parlement à la CDC !

Les 40 000 logements sociaux précommandés ne sont pas forcément en zone tendue : j'étais il y a quelques mois dans la belle ville de Brive-la-Gaillarde, où CDC Habitat va construire des logements. Nous essayons d'utiliser ce programme pour compléter ce que nous faisons dans le cadre d'Action coeur de ville. Nous sommes attentifs à développer un maillage le plus large possible. Il y a beaucoup de logements intermédiaires dans les 40 000 prévus.

J'ai beaucoup insisté pour que les foncières soient construites sur des ressorts relevant de la décision des élus. En Bretagne, les élus ont souhaité que ce soit régional - ce qui n'empêchera pas les foncières dans certaines grandes villes bretonnes. En Vendée, une foncière couvre Fontenay-le-Comte et La Roche-sur-Yon. C'est la liberté des élus de choisir le ressort territorial de ces foncières. Ce sont le plus souvent des sociétés d'économie mixte : nous sommes co-actionnaires avec les collectivités locales. Nous avons une équipe, nous mettons du capital, un peu de dette, et on publie un numéro de téléphone ou une adresse e-mail pour que les commerçants puissent se signaler. Dans plusieurs villes, auprès des adjoints chargés de l'activité économique ou du commerce, des fonctionnaires municipaux chargés des commerces ont une bonne vision de ce qui se passe. Le maire de Saumur, par exemple, avait acheté un terrain derrière la mairie, où il permettait à des projets, tous les mois, de s'expérimenter.

Dans ce plan de relance, nous ne faisons pas de soutien à court terme. Ce n'est pas notre rôle, c'est celui des PGE. Mais nous avons mis 2 milliards d'euros à disposition des acteurs du logement social en mars dernier. Tout ce que nous faisons vise à assurer une transition vers une économie plus durable, plus inclusive et à inscrire vraiment notre économie dans ce mouvement profond. Vous évoquez un risque de retard. J'espère avoir réussi à vous convaincre. L'État, évidemment, a dû attendre que le budget soit voté. La CDC est pleinement sur le terrain. Et l'action européenne se déploie selon une temporalité plus lente - c'est la force, mais parfois la faiblesse, de l'Europe - puisque le plan européen n'a pas encore été voté par tous les pays qui composent l'Union européenne.

Je ne pense pas qu'on puisse transformer les PGE en subventions, car ils sont déjà largement garantis par l'État - à hauteur de 90 %, pour un total de 130 milliards d'euros. Mais je suis bien d'accord, pour les entreprises fragiles, il faut un relais en fonds propres. Beaucoup d'idées ont été proposées. Souvent, les chefs d'entreprise ne veulent pas ouvrir leur capital, même à des acteurs publics ou à des fonds ayant une préoccupation d'intérêt général. En effet, quand on est un entrepreneur, avoir un actionnaire minoritaire, même si cela apporte des fonds, cela change la vie. Nous devons trouver des solutions pour qu'ils l'acceptent, notamment dans les entreprises moyennes, et pour mettre en place les outils idoines. Avec les assureurs et le ministère, au-delà de la nouvelle initiative sur les prêts participatifs, nous allons mettre en place une enveloppe de 14 milliards d'euros de prêts participatifs avec une vision plus longue, notamment pour remplacer le PGE pour des entreprises qui en auraient besoin. Nous pensons qu'il faut aussi une enveloppe en capital, pour assurer un soutien selon un maillage fin.

Nous ne sommes pas sûrs d'avoir une bonne vision de la situation réelle des entreprises fragilisées, car elles sont très soutenues par le chômage partiel et les reports de charges. Comme vous, je souhaite que nous veillions, dans les mois qui viennent, à ne pas laisser tomber une entreprise qui, par ailleurs, aurait des perspectives.

Vous m'interrogez sur la charge des PGE non remboursés : elle incombera à l'État. Bpifrance et la Banque postale participent au PGE. S'il y a de la casse, comme on dit entre banquiers, ils prendront leur 10 % de perte, mais pas plus. Quelles sont les réserves financières de la CDC ? Dans le plan d'investissement, nous avons 26 milliards d'euros ; pour commencer, nous allons utiliser largement ; mais nous avons des moyens supplémentaires pour faire plus ou en cas de choc financier.

Pour les fonds régionaux, 470 millions d'euros ont été engagés, dont 143 millions d'euros par la Banque des territoires. En 2020, nous avions déjà versé 310 millions d'euros aux opérateurs, qui avaient pu en plus bénéficier de 115 millions d'euros de prêts, au bénéfice de 17 200 entreprises.

Les questions de capital pour les entreprises sont des questions complexes. On peut distribuer 130 milliards d'euros de PGE à 660 000 entreprises en trois mois, en s'appuyant sur la capillarité de nos réseaux bancaires. Mais pour le capital, ce sont des sujets individuels, entreprise par entreprise. On ne peut pas avoir une grande machine nationale pour s'en occuper : il faut des fonds nationaux pour les grandes entreprises ou certains secteurs techniques, ou bien s'appuyer sur des initiatives régionales. En fait, tous les types de structures sont bienvenus. S'il n'y avait pas les élections régionales bientôt, j'aurais déjà entrepris de réfléchir à cette question avec les présidents de régions. Je prendrai contact avec les élus renouvelés ou nouveaux pour voir comment établir au niveau régional les modalités d'intervention en capital. Évidemment, nous serons très attentifs à la qualité de ce qui est fait.

Les fonds européens, eux, arriveront quand leur base juridique entrera en vigueur. Certains fonds d'InvestEU ou de la Banque européenne d'investissement sont déjà disponibles, pour le logement social ou la transition écologique. Pour les 700 milliards d'euros, il faudra attendre plus longtemps.

Le dispositif « Mon compte formation » touche 33 millions de Français, qui ont un compte : c'est un grand succès populaire. Le Gouvernement constate qu'il coûte un peu plus cher que prévu. Nous réfléchissons à la modulation des dépenses de formation.

La société forestière a une charte de développement durable. Nous sommes fondateurs d'un club qui s'appelle « Carbone, forêt, bois » et nous travaillons avec des forêts gérées de façon durable. Pour gérer durablement la forêt et maintenir ce puits de carbone, il faut faire des coupes régulières. Sinon, les arbres tombent et, quand un arbre pourrit, il renvoie dans l'atmosphère le carbone accumulé au cours de sa vie.

Pour les entreprises de tourisme, nous mettons en place de nombreux outils. Là aussi, il faut un maillage fin. Nous avons un fonds sur le tourisme social, sur les sociétés de tourisme de petite taille...

Sur la réindustrialisation, dans la pharma ou d'autres secteurs, je partage votre avis. Territoires d'industrie est un projet vraiment utile : l'idée est d'éviter que les usines Tesla aillent s'installer à Berlin, pour se rendre compte ensuite que l'État allemand est moins réactif que nos collectivités locales. Mieux vaut organiser, comme nous le faisons à Chalon-sur-Saône, par exemple, ou ailleurs, des friches clés en main, où les projets peuvent s'implanter, avant de chercher les financements pour le développement de l'usine.

Vous avez raison, madame Lienemann, la nouvelle tranche de prêts participatifs se fait à des conditions plus onéreuses. Dans le cadre du deuxième plan logement, j'avais négocié avec les acteurs du logement social, ce qui s'était conclu par la signature d'un accord à l'Hôtel de Matignon, avec Édouard Philippe, par lequel nous engagions 800 millions d'euros de prêts participatifs, à des conditions saluées par les acteurs du logement social - moins par la commission de surveillance, car coûteuses pour l'établissement public ! Mais nous avons dû mettre une limite à ce projet, car notre budget est mobilisé sur de nombreux fronts en même temps. C'est pourquoi les nouvelles tranches sont un peu plus coûteuses. Je pense tout de même qu'elles financent la construction, car c'est notre priorité. Pour la rénovation, il y a les éco-prêts, qui sont très abondants et offrent des conditions intéressantes.

Je ne pense pas que le manque de fonds propres soit le facteur bloquant. CDC Habitat et Action Logement, ainsi que d'autres grands acteurs, ont injecté des fonds propres à la suite de la loi Élan, pour renforcer les acteurs.

Pour le canal Seine-Nord, ce sont les conditions du cahier des charges qui ont rendu difficile pour la Banque des territoires de se positionner dans un premier temps. Cela dit, ce genre de projet s'étale dans le temps - parfois trop - et nous espérons être plus présents dans les phases suivantes. Nous travaillons évidemment avec la région pour nous positionner sur le financement des zones d'aménagement, des plateformes multimodales, des zones d'activités... Les ports sont des infrastructures dont le financement fait vraiment partie du mandat de la CDC. Tout ce qui les environne, sur le plan du développement industriel et économique, nous concerne aussi.

Je connais bien l'assurance. C'est un magnifique métier, mais ce n'est vraiment pas celui de la CDC. Si nous le développions, cela utiliserait des fonds propres et des talents.

M. Franck Montaugé. - Je pensais surtout à la réassurance...

M. Éric Lombard. - C'est un métier très proche - même, les deux métiers sont en train de converger, à mon avis. Certes, nous avons un grand assureur dans le groupe, CNP Assurances, mais il fait peu d'assurance de risques. Vous ne pourrez donc pas compter sur nous pour de la réassurance agricole.

Mme Noël m'interroge sur l'accompagnement de la CDC pour les conséquences de l'artificialisation des sols. Oui, tout coûtera plus cher. C'est pourquoi nous avons été très attentifs à ce que la loi Élan prévoie la possibilité de faire des offices fonciers solidaires, qui permettent aux organismes de construire des logements sans être propriétaires de leur sol. Tous les éléments d'aménagement urbain qui permettront de construire davantage « la ville sur la ville » sont bienvenus. Démolir des bâtiments anciens peut être utile aussi, pour reconstruire des bâtiments plus écologiques et plus durables. Certains de nos prêts peuvent y aider, comme les prêts Gaïa. Il faudrait sans doute renforcer notre boîte à outils.

J'ai évoqué les fonds souverains régionaux en parlant de la diversité d'outils dont nous avons besoin. Nous avons tout l'arsenal juridique nécessaire pour monter toutes sortes de fonds : il suffit de déterminer, à chaque fois, l'enveloppe, les partenaires, les risques et le mandat. En début de confinement, nous avons avancé sur des fonds régionaux, avec un mandat très particulier, comprenant la distribution de prêts, dont certains vont se transformer assez vite en subventions : nous n'allons pas récupérer l'intégralité du capital qu'on y aura mis, mais ce fut très précieux en début de crise !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Merci. C'est toujours un plaisir de vous entendre. Le bilan de la CDC représentant quasiment la moitié du PIB français, il n'est pas étonnant que vous soyez questionné sur l'ensemble des questions économiques du pays...

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Merci d'avoir répondu aux très nombreuses questions de notre commission et de celle des finances. Beaucoup de sujets rapprochent nos deux commissions. Ce que vous avez dit sur la part de l'Europe dans le plan de relance - 30 % - nous inquiète un peu : si les décisions ne viennent pas, l'argent manquera ! L'arrêt rendu par la cour allemande la semaine dernière n'est pas très rassurant à cet égard...

La réunion est close à 13 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 18 h 50.

Programme de stabilité - Audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, pour une audition sur le programme de stabilité pour les années 2021 à 2027.

Nous regrettons qu'une contrainte d'agenda ait empêché M. Bruno Le Maire de s'exprimer au Sénat - après l'avoir fait à l'Assemblée nationale cet après-midi même -, mais nous savons compter sur la disponibilité d'Olivier Dussopt.

En application de l'article 14 de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, le Gouvernement doit adresser au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, le projet de programme de stabilité.

Si cette année, ses principaux éléments ont d'abord été communiqués à la presse jeudi dernier, le programme de stabilité n'a été présenté en Conseil des ministres que ce matin même et communiqué aux parlementaires à l'heure du déjeuner, ce qui ne permettait pas de préparer et d'organiser dans de bonnes conditions un débat en séance publique. Aussi cette réunion de commission retransmise en direct s'y substitue-t-elle. Elle est ouverte à tous les sénateurs, dans cette salle ou par visioconférence. Je les remercie de leur présence.

L'an passé, le programme de stabilité, présenté en pleine crise sanitaire, n'en était pas vraiment un, il se limitait pour l'essentiel - et à juste titre - aux années 2020 et 2021, et se concentrait sur la réponse à donner à la crise, selon les lignes directrices de la Commission européenne. Cette année, il en est tout autrement puisqu'il porte sur une période de huit années, nous amenant jusqu'en 2027.

Vous nous présenterez donc les principales hypothèses qu'il comporte et les moyens que vous comptez mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs que vous vous fixez.

Au-delà de ce programme de stabilité, vous nous indiquerez comment le Gouvernement entend informer le Parlement, avant sa transmission à la Commission européenne, du plan national pour la reprise et la résilience (PNRR), qui doit détailler la stratégie d'investissements et de réformes en France, qui conditionne les versements au titre du plan de relance européen. Contrairement à d'autres pays, qui ont déjà mis en ligne des projets de PNRR, voire ouvrent des consultations publiques, en associant leurs parlements nationaux, la France semble faire preuve d'une grande discrétion sur ce sujet, et nous serions heureux que le Parlement puisse être sinon consulté, tout au moins informé, sur ce PNRR.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Quelques mots d'abord pour vous remercier d'avoir pu organiser cette audition en commission, dans un format élargi. Il s'agit d'une double occasion, même si l'essentiel de nos échanges a vocation à porter sur le programme de stabilité, car ce matin, en Conseil des ministres, nous avons aussi présenté le projet de loi de règlement quinze jours plus tôt que l'année dernière et quinze jours plus tôt que ce qui se pratiquait traditionnellement. C'est une volonté que nous avions annoncée de faire coïncider en Conseil des ministres le passage du programme de stabilité et du projet de loi de règlement pour que, au-delà des dates d'examen de ce second texte, le Parlement puisse être saisi à la fois de l'état constaté des comptes l'année précédente et des prévisions pour les années à venir, permettant ainsi d'avoir un débat plus riche et éclairé par le résultat d'un exercice récent.

Ce projet de loi de règlement marque et vient constater la conséquence des réponses que nous avons apportées à la crise sanitaire sur le plan des finances publiques, singulièrement sur le plan des finances de l'État, avec un déficit budgétaire qui passe de 93 milliards d'euros en loi de finances initiale (LFI) 2020 à 178 milliards d'euros en résultat constaté. La dégradation est moindre que celle que nous avions imaginée puisque nous craignions un déficit budgétaire de 223 milliards d'euros. Si le déficit est moindre de 45 milliards d'euros, il n'en demeure pas moins tout à fait historique et abyssal.

Cet écart par rapport à la prévision s'explique à la fois par une diminution des recettes fiscales perçues par l'État à hauteur de 37,1 milliards d'euros et par 44,1 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à la LFI 2020, pour l'essentiel, portées par la mission d'urgence et pour une part portées par les budgets dits « ordinaires » de l'État, même si ces dépenses supplémentaires par rapport à la norme sont, pour l'immense majorité d'entre elles, justifiées par la crise. Je pense, par exemple, à l'évolution à la hausse des aides au logement du fait de la dégradation de la situation de certains ménages. Je pense au versement de 2,1 milliards d'euros de primes aux ménages les plus défavorisés avant l'été et lors du mois de novembre, ou encore à l'achat de masques et de matériels de protection pour 800 millions d'euros. Je pourrais détailler davantage ces dépenses si vous le souhaitez.

Cet écart se justifie donc essentiellement par des mesures prises au titre de la réponse à la crise avec, en particulier, 17,8 milliards d'euros de dépenses liées à l'activité partielle, 11,8 milliards d'euros pour le fonds de solidarité, 3,9 milliards d'euros pour les exonérations de cotisations compensées à la sécurité sociale et 8,3 milliards d'euros pour le compte spécial dédié aux participations de l'État, afin d'effectuer des interventions en capital ou des prêts de long terme à des entreprises considérées comme stratégiques, comme Air France, la SNCF et EDF.

Ce déficit budgétaire dégradé explique en grande partie l'évolution du déficit public dont les chiffres ont été rendus publics par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Le déficit public est passé de 2,2 % du PIB dans la prévision de la loi de finances pour 2021 à 9,2 % du PIB, à la fois sous l'effet de la dégradation de la situation budgétaire de l'État et sous l'effet de la dégradation des comptes de la sécurité sociale, dont le déficit a atteint 38,6 milliards d'euros. C'est dans ce contexte que nous avons construit le programme de stabilité.

Plusieurs convictions expliquent le programme que nous vous présentons. La première conviction est qu'un des enjeux majeurs, en termes de redressement des finances publiques, est de pouvoir maîtriser le poids de la dette par rapport au produit intérieur brut. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes fixé comme horizon le retour à un niveau de déficit proche de 3 %, non pas par fétichisme ou par pure référence à un indicateur communautaire d'ailleurs suspendu par la Commission européenne, mais parce que nous savons que, dans les conditions de croissance et d'inflation que nous prévoyons, c'est le point d'inflexion qui permet de diminuer le poids de la dette par rapport au PIB.

Nous avons donc fait le choix de vous proposer une trajectoire de retour à ce niveau de déficit, avec un point d'arrivée en 2027. Nous avons considéré que l'hypothèse parfois présentée d'un retour aux alentours de 3 % en 2025 n'était pas suffisamment réaliste et aurait exigé des efforts trop importants. Nous avons aussi considéré que l'hypothèse d'un retour à 3 % en 2030 était trop lointaine, avec un risque de décrochage de notre pays en termes d'équilibre des comptes publics par rapport à nos partenaires européens et un risque sur l'évolution des taux. Notre pays y aurait également perdu en crédibilité.

Pour atteindre cet objectif de 3 % de déficit en 2027, la dépense publique en volume devra être limitée dans son augmentation à 0,7 % par an. Cet effort important mérite d'être comparé. L'évolution de la dépense en volume se situe en moyenne à 0,6 % ou à 0,7 % sur les années 2018-2019. Nous avons connu collectivement une évolution de la dépense en volume autour de 1 % entre 2012 et 2017. Entre 2007 et 2012, elle se situait à 1,2 % et à 2,1 % de 2002 à 2007. C'est donc un effort qui devra être consenti, non pour diminuer la dépense publique, mais pour faire en sorte qu'elle augmente moins vite que la croissance et reste limitée à 0,7 % en volume.

Au-delà de la perspective d'un retour autour de 3 % du PIB en 2027, cette trajectoire, présente à nos yeux d'autres avantages. Premièrement, avec cette trajectoire, nous retrouvons à horizon de 2026-2027 un poids de la dépense publique à peu près comparable à celui que nous avions atteint en 2019, c'est-à-dire 53,8 % du PIB, en baisse d'un point et demi par rapport au début du quinquennat. Nous retrouvons aussi un niveau de prélèvements obligatoires par rapport au PIB autour 43,7 % ou de 43,8 %, taux que nous avions atteint également en 2019, avec une baisse d'un peu plus d'un point du poids des prélèvements obligatoires par rapport au PIB lors des trois premières années du quinquennat. C'est aussi cette trajectoire qui nous permet de stabiliser la dette autour de 117 % ou de 118 % du PIB jusqu'en 2026-2027, avant de connaître une inflexion légère certes, mais une diminution tout de même, du poids de la dette par rapport au PIB.

Je précise, par ailleurs, que lorsque nous disons qu'il nous faudra limiter la progression de la dépense publique à 0,7 % par an, c'est évidemment hors dépenses de soutien et de relance puisque nous raisonnons sur le périmètre des dépenses que je qualifie parfois d'ordinaires. Même si ce terme n'a pas de portée juridique, il s'agit simplement de les isoler par rapport aux missions d'urgence et de relance, que le Parlement a créées à l'occasion de l'adoption des projets de loi de finances rectificatives (PLFR).

La trajectoire que nous vous proposons s'appuie sur un certain nombre d'hypothèses. Certaines relèvent de choix politiques, d'autres sont des hypothèses conventionnelles.

Parmi les choix politiques que nous avons retenus, il n'y a pas d'augmentation des prélèvements obligatoires, ainsi que nous l'avons toujours affirmé depuis le début de cette crise. Nous avons même intégré la poursuite de la diminution de certains prélèvements jusqu'à fin 2023, comme nous nous y étions engagés.

Les hypothèses plus conventionnelles concernent le taux d'inflation, le taux de croissance et les taux d'intérêt. Sur la question du taux de croissance, nous prévoyons une hausse du PIB à hauteur de 5 % en 2021, c'est-à-dire légèrement à la baisse par rapport à nos hypothèses en 2021. Nous prévoyions 6 %, mais la prise en compte des contraintes sanitaires que nous connaissons nous a conduits à ramener ce taux à 5 % en 2021, à 4 % en 2022 et à prévoir ensuite un retour progressif autour de 1,4 %, soit un niveau très légèrement supérieur à l'hypothèse de croissance classique - il y a là les effets à la fois de la reprise et du plan de relance.

Pour ce qui concerne les taux d'intérêt, nous sommes assez convaincus de l'hypothèse de leur stabilité relative, même si des tensions inflationnistes sont apparues. Cependant, nous avons retenu un retour à des taux positifs conduisant à intégrer à horizon 2027 une augmentation du poids de la charge de la dette de 0,5 point, qui passerait de 1,3 % à 1,8 % du PIB. La volatilité des taux nous oblige à cette prudence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Dans leurs rapports respectifs, la commission Arthuis et le Haut Conseil du financement de la protection sociale se sont prononcés contre un cantonnement de la « dette Covid ». Pourtant, le programme de stabilité confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre dans cette voie. Pouvez-vous nous indiquer les raisons de que l'on pourrait qualifier d'entêtement, alors qu'une simple identification de la dette Covid paraît suffisante ?

Le Gouvernement prévoit un redressement rapide des finances publiques au cours du prochain quinquennat, qui supposerait d'après nos calculs de réaliser une soixantaine de milliards d'euros d'économies sur l'ensemble de la période. En dehors d'une réforme des retraites, vous restez pourtant bien discret sur les « voies et moyens » de cette maîtrise de la dépense. Permettez-nous d'avoir quelques doutes en la matière - on se souvient, par exemple, de ce qu'il est advenu des 50 000 suppressions de postes promises au niveau de l'État. Ma question est donc simple : où comptez-vous trouver ces économies ? Car 2023, c'est déjà demain !

Dans une étude publiée hier, l'institut Rexecode indique que le scénario macroéconomique du programme de stabilité conduirait à un dépassement de nos objectifs d'émissions de gaz à effet de serre de 28 millions de tonnes de CO2 d'ici à 2030. Résorber un tel écart nécessiterait d'augmenter les investissements verts de 12 milliards d'euros par an d'ici à 2030. Cela montre bien qu'il existe un dilemme entre dette publique et dette climatique. Pourtant, le programme de stabilité ne dit rien de vos intentions en la matière. Pouvez-vous nous les préciser ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales. - J'irai à l'essentiel concernant les administrations de sécurité sociale (ASSO). Le programme du Gouvernement montre une trajectoire financière des ASSO qui, après le trou d'air des années 2020-2021, revient progressivement à l'équilibre pour retrouver son rythme de croisière à l'horizon de 2025.

Les ASSO seraient alors en excédent de 0,7 point de PIB, ce qui correspond aux recettes de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Ces prévisions me conduisent tout d'abord, monsieur le ministre, à vous demander si cette trajectoire est compatible avec l'absorption par la Cades des déficits cumulés prévus par la loi. En d'autres termes, le remboursement de cette dette sociale à la fin de 2033 reste-t-il une perspective crédible ?

De plus, monsieur ministre, vous demandez aux ASSO, dans le rapport que vous nous avez remis, de « participer à la modération des dépenses », alors que nous savons parfaitement que celles-ci augmenteront significativement avec le Ségur de la santé et la future loi autonomie et dépendance. Pourriez-vous nous préciser comment, hors Cades, les autres secteurs des ASSO pourraient être à l'équilibre dès 2025, alors que la dernière loi de financement de la sécurité sociale prévoyait pour 2024 un déficit de plus de 20 milliards d'euros sur le périmètre des ASSO ?

S'agissant de l'exercice 2021, le programme de stabilité prévoit d'ores et déjà un dérapage spectaculaire des dépenses de crise de l'assurance maladie, de plus de 13,4 milliards d'euros par rapport à 2020, au lieu des 4,3 milliards d'euros prévus en 2021 en loi de financement. Pourriez-vous détailler les postes de dépenses qui conduisent à ce glissement de quelque 9 milliards d'euros en quatre mois ?

D'autre part, prévoyez-vous de déposer un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale en 2021 ? C'est une question récurrente depuis l'année dernière. La commission des affaires sociales considère, pour sa part, que les dépenses arbitrables, même financées par la sécurité sociale, devraient présenter un caractère limitatif.

J'ai noté que le programme de stabilité propose d'isoler à hauteur de 140 milliards d'euros la dette Covid de l'État afin de pouvoir tracer son remboursement. Une telle approche vous semble-t-elle compatible avec le traitement de la dette de la sécurité sociale, qui comprend aussi une part exceptionnelle liée à la réponse sanitaire, voire à la réponse économique au travers des baisses de recettes dues à l'activité partielle ? En d'autres termes, monsieur le ministre, est-il logique et optimal de rembourser cette fraction de dettes en douze ans, au regard de la norme que s'applique l'État ?

Pour conclure de manière plus institutionnelle, la proposition de loi organique que j'ai récemment déposée avec Catherine Deroche et Alain Milon, ainsi qu'avec le président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) et les rapporteurs de notre commission, prévoit notamment de faire coïncider le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale et celui des ASSO, en particulier pour faciliter le suivi de la trajectoire votée par le programme des finances publiques présenté aujourd'hui. Le Gouvernement soutient-il une telle évolution ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Monsieur le président Raynal, je n'ai pas répondu à votre interpellation sur le programme national de résilience évoqué dans votre propos liminaire. Le Gouvernement, qui doit transmettre ce programme normalement avant la fin du mois d'avril, est évidemment à la disposition du Parlement pour l'évoquer. De la même manière, nous transmettrons à la toute fin du mois d'avril le programme de stabilité, c'est-à-dire dans les quinze jours précédant sa communication à la Commission européenne, afin d'assurer l'information du Parlement.

Pour ce qui concerne les trois questions posées par le rapporteur général de la commission des finances, nous avons proposé au Parlement, qui l'a voté, d'aller plus loin en matière de cantonnement de la dette sociale avec le texte organique adopté l'été dernier, qui a prévu de transférer à la Cades, comme cela a été dit, les déficits constatés en 2020, mais aussi jusqu'en 2023 par la sécurité sociale.

Nous proposons avec Bruno Le Maire que, pour ce qui concerne la dette de l'État liée à la crise du Covid - autour de 140 milliards d'euros -, nous puissions procéder un peu différemment. Nous disposons d'un outil, la Caisse de la dette publique (CDP), qui, contrairement à la Cades, ne nécessite pas de manière organique le fléchage d'une ressource pérenne et récurrente pour assurer le financement de l'amortissement de la dette qui lui est confiée. Ce fléchage de ressources peut être l'objet d'une subvention annuelle votée en loi de finances. Nous proposons que la dynamique des recettes fiscales liées à la croissance, et donc à la reprise, soit mobilisée pour subventionner la Caisse de la dette publique, et participe ainsi à un cantonnement qui ne serait pas identique à celui de la dette Covid. Pour reprendre les termes que vous avez évoqués, monsieur le rapporteur général, il s'agit plutôt d'une forme d'isolement, mais avec la lisibilité que nous recherchons et la possibilité de flécher des ressources spécifiques afin d'amortir cette dette.

Nous avons fait le choix de retenir une trajectoire de retour du déficit autour de 3 % du PIB. D'ailleurs, nous entendons parfois parler de retour à l'équilibre : il n'en est rien, c'est un retour à un déficit de 3 % du PIB à horizon de 2027. Certes, c'est un retour rapide, mais il nous semble que c'est la bonne temporalité : 2025 aurait été trop rapide et 2030 trop lointain.

En revanche, monsieur le rapporteur général, je suis en désaccord avec vous sur le quantum d'économies en tendance à réaliser pour atteindre cet objectif. Vous avez cité le chiffre d'une soixantaine de milliards d'euros, il nous semble que nous sommes plutôt entre 40 et 45 milliards d'euros. Nous aurons l'occasion de documenter un certain nombre de réformes structurelles, notamment lors des prochaines loi de finances et loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, dont nous avons dit que l'examen serait inopportun avant la fin du quinquennat, considérant que ce serait prendre des engagements trop tardivement par rapport à l'échéance présidentielle.

Je ne reviens pas sur celles qui sont le plus souvent évoquées, mais il existe d'autres réformes, parfois plus techniques, qui permettent aussi de dégager un certain nombre d'économies. Nous travaillons actuellement à la réorganisation et à la rénovation du plan des achats de l'État, avec un objectif d'économies sur trois ans situé entre 800 millions d'euros et 1 milliard d'euros. C'est une réforme beaucoup plus discrète que la réforme des retraites, souvent citée, mais elle génère aussi des économies que nous allons pouvoir mobiliser.

Il n'est pas prévu à l'occasion du programme de stabilité de tracer un programme d'investissement, y compris vers la décarbonation et le verdissement. J'ai pris connaissance comme vous, monsieur le rapporteur, de l'étude à laquelle vous avez fait référence et qui interpelle. Un certain nombre de réponses peuvent être trouvées via le budget vert et les moyens consacrés à la transition écologique. Mais le programme de stabilité, tel que nous devons le présenter, n'a pas vocation à intégrer de telles trajectoires d'investissement. J'ajoute que les programmations pluriannuelles ont aussi le défaut de la rigidification, laquelle est assez peu compatible avec la recherche de marges de manoeuvre pour atteindre des objectifs, notamment en matière de désendettement.

Pour répondre au rapporteur général de la commission des affaires sociales, nous considérons que l'objectif qui a été fixé lors de la loi organique d'apurement de la dette confiée à la Cades est tenable. Et ce d'autant plus que, finalement, le déficit constaté de la sécurité sociale pour le régime général et la branche vieillesse s'est certes élevé à un niveau important, voire historique, de 38,6 milliards d'euros, mais moindre de 10 milliards d'euros à ce que nous craignions lors de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ce moindre déficit - je le dis avec précaution dans la mesure où il s'agit d'un déficit historique - nous encourage plutôt à considérer comme tenable l'objectif que nous avons fixé.

Un certain nombre de dépenses sont d'ores et déjà intégrées. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales a parlé du Ségur à juste titre. Tout cela est évidemment pris en compte dans le socle auquel s'appliquera ensuite la règle des 0,7 % en volume. Il n'est pas prévu, à ce stade, c'est l'objet de débats assez récurrents entre les membres de la commission des affaires sociales du Sénat et le Gouvernement, de déposer un projet de loi de finances rectificative pour la sécurité sociale. Nous considérons que la norme telle qu'elle existe aujourd'hui permet au Gouvernement d'abonder, de manière parfois importante, comme cela a été décidé en 2020, le PLFSS et les ressources de la sécurité sociale, sans nécessairement soumettre cet abondement au Parlement.

Je souscris, cependant, à l'idée générale exposée par le rapporteur général de la commission des affaires sociales et je pense que les propositions de loi organique qui seront prochainement examinées permettront d'apporter des réponses, voire peut-être d'instaurer une forme d'obligation. À ce stade, permettez-moi, monsieur le rapporteur général, de ne pas me prononcer spécifiquement sur la PPL organique que vous avez déposée. Non seulement je ne l'ai pas suffisamment étudiée, mais je sais aussi qu'un certain nombre de députés, autour du rapporteur de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, déposeront aussi des propositions sur ce sujet ; il m'incombera alors de me positionner pour le Gouvernement.

En ce qui concerne l'augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) au cours de l'année 2021, je souscris évidemment à vos propos. L'augmentation prévue de 13,4 milliards d'euros, soit un écart de 9 milliards d'euros par rapport à la norme, s'explique par un coût plus important de la campagne de vaccination que ce que nous avions imaginé en PLFSS. Je rappelle que nous avons inscrit 1,5 milliard d'euros pour la campagne de vaccination à une époque où nous ne savions pas encore à quelle date seraient disponibles les vaccins, dans quelle quantité et à quel coût. Il s'agissait d'une provision et nous avions bien précisé alors que ces montants seraient certainement réévalués.

Par ailleurs, le fait que l'épidémie soit virulente plus longtemps que ce nous avions espéré entraîne aussi des surcoûts pour le système de santé, qui se traduisent par cette augmentation de l'Ondam.

M. Jean-François Rapin. - Comment le programme de stabilité s'articule-t-il avec le programme de reprise et de résilience qui nous a été proposé par le Gouvernement ? Les 41 milliards d'euros de financements européens sont-ils intégrés dans le programme de stabilité ? Avons-nous plus de précisions sur la décomposition des crédits ? Selon un article paru dans Le Monde, le Président de la République propose de revoir le critère de déficit de 3 % du PIB. Pensez-vous que la France soit crédible, au regard de nos finances publiques, pour engager un débat de ce type ?

M. Vincent Delahaye. - Je regrette que nous ne puissions débattre dans l'hémicycle de ce programme de stabilité. Il ne nous a été communiqué qu'à 13 heures : comment en discuter sérieusement, surtout avec la valse des milliards à laquelle on a assisté et qui se retrouve dans le document ? Je ne sais plus à combien s'élèvent les prêts garantis par l'État mais quel est le scénario retenu dans le programme de stabilité pour prendre en compte les appels de garantie ? La Cour des comptes a émis des critiques sur la sincérité des estimations du Gouvernement dans les différents PLFR pour 2020. J'aimerais donc connaître votre stratégie, car le programme de stabilité reste muet sur ces questions.

Mme Sophie Taillé-Polian. - Je partage les interrogations du président Raynal sur le plan de relance et de résilience, ainsi que les inquiétudes du rapporteur général sur notre capacité à respecter nos engagements climatiques. À en croire les articles de presse, puisque les journalistes ont eu écho avant nous de ce programme de stabilité, nos inquiétudes sont justifiées. D'après un article du journal Le Monde, l'un des objectifs de la présidence française de l'Union européenne est de militer pour que la règle des 3 % de déficit soit revue. Pourtant, ce seuil est repris dans le programme de stabilité : cela manque, à mon sens, de cohérence et vient brouiller la lisibilité de votre politique. Comment éviter que le programme de stabilité ne reconduise les erreurs du passé ? Lors du projet de loi de finances (PLF) ou des différents PLFR, nous nous sommes inquiétés de la décision d'isoler les crédits relatifs à l'urgence et à relance. N'est-ce pas un moyen d'un retour rapide à une politique austéritaire ? Business as usual, le Gouvernement continue de programmer la baisse des dépenses publiques, notamment celles qui sont consacrées à la protection des Françaises et des Français, et au soutien des services publics ! Tout cela nous interroge : pour contenir la dépense à 0,7 % en volume, où allez-vous couper ? La réponse est claire, vous allez vous attaquer à l'assurance chômage. Alors que le Gouvernement n'est pas au niveau de l'urgence sociale, vous nous annoncerez demain de nouvelles coupes drastiques des budgets sociaux !

M. Charles Guené. - J'ai raccourci mon déjeuner pour lire le document qui nous a été transmis par le Gouvernement. Je me suis particulièrement attaché aux propositions relatives aux collectivités locales. Page 38 on peut lire que, « à moyen terme, l'association des collectivités locales au retour progressif à l'équilibre des comptes publics impliquerait la poursuite des objectifs de maîtrise des dépenses de fonctionnement ». On pense immédiatement aux contrats de Cahors. Comme il s'agit d'une contractualisation un peu léonine, j'ai été étonné de lire à la page 71 qu' « une réforme de la gouvernance des finances publiques proposée par le Parlement, et soutenue par le Gouvernement, sera présentée pour traduire ces orientations » ! Nous n'avons guère l'habitude de ce type de formulation (Sourires). Pourriez-vous nous préciser votre méthode et votre timing ? Certes, vous attendez du Parlement qu'il vous propose une réforme, mais je pense que vous avez bien derrière la tête une idée à lui souffler...

M. Rémi Féraud. - Je partage les interrogations de Sophie Taillé-Polian. En quoi, monsieur le ministre, l'engagement de maîtrise de la croissance de la dépense à 0,7 % serait-il plus crédible après qu'avant ? Lors d'une précédente audition, Gérald Darmanin m'avait répondu : pourquoi vous inquiétez-vous du déficit structurel et de l'augmentation des dépenses publiques puisque vous êtes opposés à leur réduction ? Là n'est pas la question. Ce qui est en jeu, c'est le rapport entre la parole du Gouvernement et ses actes. Certes, avant le déclenchement de la crise, le niveau du déficit structurel était à peu près conforme à la loi de programmation des finances publiques mais l'effort structurel très loin cependant de l'objectif fixé !

Pour ma part, je suis convaincu qu'il ne faut pas se lancer dans une maîtrise des dépenses publiques. En présentant ce programme de stabilité et en fixant un seuil de déficit de 3 % à l'horizon de 2027, ne pensez-vous pas que vous êtes en train de louper un moment politique ? Je pense, notamment, à la mise en place de la nouvelle politique aux États-Unis.

M. Michel Canevet. - Contrairement à mes collègues qui viennent de s'exprimer, je suis préoccupé par l'évolution de la dépense publique. Je souhaite qu'après la forte croissance de notre déficit en raison de la pandémie, nous puissions rapidement retrouver le chemin de la maîtrise de nos finances publiques. J'aurais aimé que le document qui nous a été transmis contienne plus d'informations sur les moyens d'y parvenir. Un certain nombre de réformes sont évoquées, mais ce programme aurait gagné à être enrichi de quelques autres orientations en ce sens. Je pense, en particulier, aux dépenses de personnel, qui sont récurrentes et sur lesquelles il existe des marges de manoeuvre. Charles Guené a évoqué les contrats de Cahors. S'ils ne posent pas de problème pour les communes, en revanche il n'en va pas de même pour les départements en raison du poids de leurs dépenses sociales. Une nouvelle contrainte risquerait d'altérer leur capacité à intervenir et à répondre aux problèmes sociaux de proximité.

M. Jérôme Bascher. - Je suis inquiet, monsieur le ministre, de vos hypothèses d'inflation. Entre le déflateur du PIB, celui de la consommation des ménages et le salaire moyen par tête, rien n'est cohérent ! Par ailleurs, quid du chômage ? Est-ce à dire qu'il n'y aurait pas de crise économique et sociale ni d'explosion du chômage dans notre pays ?

Jamais la France n'a respecté le pacte de stabilité et de croissance. Dans ce document, vous faites mieux puisque vous illustrez cette attitude. Comment tenir un tel engagement de maîtrise alors que vous tablez sur une hausse de 0,7 % des dépenses publiques par an entre 2022 et 2027, alors qu'en moyenne annuelle nous avons fait 1,4 % ces dix dernières années ? Qui nous garantit, par ailleurs, que les taux d'intérêt vont continuer à baisser ? Idem pour le Ségur et l'Ondam. Où allez-vous faire des économies ? Vous avez évoqué la Caisse de la dette publique : c'est une bonne idée, mais ce n'est pas un cantonnement. Il s'agit uniquement ici d'affecter des recettes supplémentaires et de rouler la dette !

Mme Christine Lavarde. - Comme Michel Canevet et Charles Guené, je crains que la réduction de la dépense ne soit portée que par les collectivités. Dans votre propos liminaire, comme seul outil de réduction, vous faites référence à un nouveau plan d'achat de l'État. Ce n'est pas très novateur comme politique ! Vous avez mis en avant le coût pour l'État de l'activité partielle. L'État, qui est son propre assureur, a-t-il chiffré le coût des fonctionnaires en autorisation spéciale d'absence ou en arrêt covid ? Nous aimerions avoir un pendant entre l'activité privée et l'activité publique.

M. Bernard Delcros. - Votre objectif est de limiter la progression de la dépense publique à 0,7 % par an sur la période. Sur quels leviers comptez-vous agir ? Ce chiffre inclut les collectivités locales. Quelles sont vos intentions à cet égard ? Vous avez engagé une politique de réduction des prélèvements obligatoires : taxe d'habitation, impôts de production, etc. Maintenez-vous votre intention de baisser à nouveau de 10 milliards les impôts de production en 2022, après la baisse de 2021 ? De même, le taux de l'impôt sur les sociétés sera-t-il ramené à 25 % en 2022 ?

M. Claude Raynal, président. - Je n'ai pas vu dans votre rapport de renforcement des mesures de soutien et de relance. Rien non plus sur les dépenses d'avenir - même le rapport Arthuis en prévoyait ! Vous faites l'hypothèse que la crise pourrait occasionner une perte durable de richesse de 60 milliards d'euros : cela ne justifierait-il pas davantage de mesures de relance ?

Vos prévisions sur la remontée des taux sont très pessimistes, ce qui a un effet sur les économies nécessaires. Je regrette aussi qu'avant de parler de diminution de la dépense publique, vous ne cherchiez pas à percevoir l'impôt déjà existant : est-il opportun de baisser les impôts de production de 10 milliards d'euros, alors que le PIB a décru de 8,2 % cette année ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Monsieur Rapin, nous avons veillé à la cohérence entre le programme de stabilité et le PNRR, même si ce dernier sera plus précis sur les réformes que nous nous engagerons à mettre en oeuvre, afin d'obtenir sa validation auprès de nos partenaires européens et le déblocage de l'enveloppe de 40 milliards d'euros. Ces crédits sont intégrés dans la trajectoire financière du programme de stabilité : 17,3 milliards d'euros pour 2021, et 22,7 milliards d'euros en 2022. Notre objectif est de concentrer les dépenses du PNRR et de notre plan de relance sur le début de la période.

M. Jean-François Rapin. - Les échéances de paiement seront donc respectées ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Notre objectif est que les échéances soient respectées. Nous espérons que le processus d'adoption du plan de relance européen se poursuivra rapidement : la France a été le premier pays à l'adopter ; d'autres parlements doivent se prononcer prochainement ; et nous espérons que les blocages rencontrés dans certains pays, comme l'Allemagne, seront vite levés.

En ce qui concerne les indicateurs budgétaires européens, il semble difficile de continuer à les considérer comme pertinents dans une période où ils sont suspendus. L'objectif d'une dette publique limitée à 60 % du PIB semble quelque peu obsolète : aucun pays ne le respecte et les écarts entre États membres sont considérables. Mais la France ne considère pas ce débat comme prioritaire. La Commission aura l'occasion de faire des propositions pour revoir ces indicateurs et nous nous positionnerons en fonction de celles-ci. Pour ce qui concerne notre travail gouvernemental, nous entendons donner la priorité à la sortie de crise et à la relance.

Monsieur Delahaye, le système bancaire français a octroyé 135 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE), à hauteur de 90 %. Notre hypothèse sur le taux de sinistralité n'a pas changé : nous l'estimons à 5 %. La partie du programme de stabilité consacrée aux engagements contingents détaille les provisions passées en 2021 pour faire face aux défaillances des entreprises ayant souscrit des PGE : elles s'élèvent à 2,2 milliards d'euros en 2021. Je rappelle aussi que l'État avait déjà garanti, à des titres divers, avant même la crise, plus de 200 milliards d'euros de prêts.

En ce qui concerne la sincérité des lois de finances rectificatives, je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques a chaque fois considéré nos hypothèses comme « réalistes », « cohérentes » et « prudentes ». En novembre, nous avions indiqué que nous nous basions, sur le plan budgétaire, sur l'hypothèse d'un confinement susceptible de durer en novembre et en décembre. Nous craignions une perte d'activité de 20 points par mois de confinement. Finalement, la perte d'activité a été limitée à 11 points en novembre - grâce au maintien de l'ouverture des écoles, et à l'adaptation des entreprises - et à 7 ou 8 points en décembre, parce que le couvre-feu avait remplacé le confinement. Cet écart avec les prévisions explique grandement la sous-consommation des crédits liés aux mesures d'urgence. Le maintien de l'activité a aussi entraîné de meilleures recettes fiscales : la moindre dégradation du solde public en fin d'exercice pour un montant de 45 milliards d'euros s'explique, pour 29 milliards d'euros, par la non-consommation de mesures d'urgence en raison de maintien de l'activité à un niveau élevé, et, pour 7 milliards, par des recettes fiscales d'IS et de TVA plus dynamiques qu'escompté. Nous préférons avoir été trop prudents, en reportant en 2021 une trentaine de milliards d'euros non consommés en 2020, plutôt que d'avoir pris le risque de ne pas pouvoir répondre, faute de trésorerie, aux besoins de financement du fonds de solidarité et de l'activité partielle.

Madame Taillé-Polian, notre souhait de revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB en 2027 n'est pas dû à un fétichisme à l'égard d'un indicateur européen ; simplement, ce niveau est celui qui permet, au vu des hypothèses d'inflation et de croissance, de faire baisser le poids de la dette par rapport au PIB. Par un hasard de l'histoire, c'était déjà la justification de ce seuil lorsque les traités européens ont été signés, mais le contexte économique était tout autre...

Le programme de stabilité n'a pas pour but de porter la programmation des investissements mais le passé doit nous instruire : il ne faut pas vouloir revenir à tout prix à l'équilibre trop rapidement pour ne pas étouffer la croissance. C'est pour cela que nous maintenons notre trajectoire de réduction des prélèvements obligatoires de 50 milliards d'euros à la fin du quinquennat, répartis à parts égales entre les ménages et les entreprises.

Monsieur Guené, je n'ai pas parlé des collectivités territoriales dans mon propos introductif lorsque j'ai abordé la question de déficit public. Le déficit de la sécurité sociale est passé de 6 milliards à 38,6 milliards d'euros, et celui de l'État de 93 à 178 milliards d'euros. Les collectivités locales ont vu leurs recettes de fonctionnement diminuer de 1,4 % et leurs dépenses augmenter de 0,2 %. Dans la mesure où elles avaient affiché un excédent de 1,2 milliard en 2019, le compte des collectivités territoriales n'est pas en déficit mais à l'équilibre.

Il me semble que le contrat de Cahors a fait ses preuves et constitue un bon outil de maîtrise de l'évolution des dépenses. Nous gagnerions à nous en inspirer à nouveau, en aménageant ses modalités, dans le cadre d'une nouvelle loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. Le Gouvernement est attaché à une norme d'évolution de la dépense pluriannuelle globale, avec une déclinaison par secteur.

Monsieur Féraud, au cours des trois premières années du quinquennat, les engagements pris ont été tenus : les prélèvements obligatoires ont baissé, tout comme le poids de la dépense publique dans le PIB, tandis que le déficit restait inférieur à 3 % du PIB. On doit pouvoir le refaire, avec peut-être un effort plus important. En revanche, le recours au déficit structurel ne me paraît guère opérant dans la période que nous traversons. Il est d'ailleurs difficile à évaluer, comme en témoigne le traitement par la Commission européenne ou par l'Insee des dépenses d'urgence et de relance.

En ce qui concerne le poids de la fiscalité, nous ne partons pas du même niveau que les États-Unis : les prélèvements obligatoires s'élèvent outre-Atlantique à 25 % du PIB, contre plus de 45 % chez nous. Si des convergences ont lieu, tant mieux. Si l'administration américaine entend lancer une initiative pour instaurer un taux d'impôt sur les sociétés minimal, nous la soutiendrons.

Monsieur Canevet, notre objectif pour 2021 et 2022 est la stabilité du schéma d'emplois : c'est un élément de souplesse, car notre programmation pluriannuelle initiale prévoyait un schéma d'emplois négatif. Notre attention à cette stabilité sera d'autant plus grande que nous avons connu en 2020 une augmentation du nombre d'emplois de l'État. C'est ainsi qu'avant même la crise sanitaire, nous avions décidé la création de 1 500 ETP pour le maintien des écoles en zone rurale, ou encore de 450 ETP dans le cadre du plan BTS. La crise sanitaire nous a en outre conduits à créer plus de 2 300 emplois à Pôle Emploi, quelques centaines à l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes et 450 au ministère de la santé.

S'agissant des conseils départementaux, j'attends beaucoup des résultats des expérimentations de recentralisation du financement du revenu de solidarité active qui sont actuellement menées dans des départements aux caractéristiques différentes.

Monsieur Bascher, effectivement, nous n'avons pas intégré de chronique d'évolution du taux de chômage, compte tenu des incertitudes trop fortes qui pèsent en la matière. Les prestations chômage seront toutefois orientées à la hausse en 2021 et 2022, mais nous comptons sur une stabilisation au cours de l'année 2022, dès le retour à un niveau d'activité conforme à celui de 2019.

Toutes les hypothèses - et notamment les hypothèses d'inflation - que nous avons retenues sont conventionnelles : il s'agit de celles qui sont communément admises pour ce type d'exercice.

Madame Lavarde, les collectivités territoriales ne sont pas les seules à payer le coût de la crise. Elles constituent même le secteur de l'action publique le plus préservé des effets de la crise. La contractualisation de Cahors est une bonne méthode pour permettre l'augmentation des dépenses quand cela est nécessaire, tout en évitant les dérapages.

Je ne dispose pas de l'évaluation du coût pour l'État-employeur de l'autorisation spéciale d'absence (ASA) mais je vous le transmettrai si je l'obtiens.

Monsieur Delcros, nous allons renouveler la baisse des impôts de production en 2021 et 2022. Il s'agit toujours de la même baisse de 10 milliards d'euros au profit des entreprises, financée en 2020 dans le cadre du plan de relance. Notre trajectoire de réduction de l'impôt sur les sociétés reste inchangée.

S'agissant des questions de gouvernance, MM. les députés Saint-Martin et Woerth ont déposé une proposition de loi organique qui introduit une norme de croissance des dépenses publiques, qui renforce les prérogatives du Haut Conseil des finances publiques et qui confère plus de temps au Parlement sur les questions de dette. Cette piste pourrait constituer un bon levier, à condition qu'il soit le plus consensuel possible.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Nous déplorons la réception tardive des documents, mais cet échange fut fort utile. Le rapporteur général fera part aux membres de la commission des finances de son analyse du programme de stabilité pendant la suspension des travaux parlementaires et nous aurons un échange en commission sur ce sujet le mercredi 5 mai.

La réunion est close à 20 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 15 avril 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur le budget de l'État en 2020 (résultats et gestion), sur la certification des comptes de l'État - exercice 2020, et sur l'avis du Haut Conseil des finances publiques

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin M. Pierre Moscovici, à la fois en tant que Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), pour nous présenter trois documents : le rapport sur le budget de l'État en 2020, l'acte de certification des comptes de l'État en 2020, et l'avis du HCFP sur le projet de loi de règlement 2020.

Ces trois documents portent sur un exercice exceptionnel à tous égards. Le rapport sur le budget de l'État analyse les recettes et les dépenses budgétaires de l'État, sans se limiter aux dépenses liées à la crise sanitaire ; le rapport sur la certification des comptes nous alerte sur la fiabilité des comptes de l'État ; l'avis du HCFP porte sur l'évolution du solde structurel des administrations publiques, qui s'est nettement amélioré en 2020 - ce qui est assez contre-intuitif...

Après l'audition du ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, en janvier et hier, cette audition s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur le contrôle de l'exécution 2020, dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement. Nous nous réjouissons que les travaux de la Cour et ce projet de loi soient présentés cette année avec plus de deux semaines d'avance sur le calendrier de l'an dernier.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques. - Cette audition va me permettre de vous présenter trois travaux de la Cour des comptes qui visent à éclairer le Parlement : l'acte de certification des comptes de l'État, le rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2020, et l'avis rendu hier par le HCFP sur le projet de loi de règlement.

Je suis accompagné de MM. Christian Charpy, président de la première chambre, Emmanuel Belluteau, président de section, Louis-Paul Pelé, conseiller maître et Éric Dubois, rapporteur général du HCFP.

Permettez-moi de dire quelques mots sur le contexte exceptionnel dans lequel ces travaux ont été réalisés. Leur calendrier de publication a été accéléré puisque l'acte de certification et le rapport sur le budget d'État vous sont remis deux semaines plus tôt que l'an dernier, un mois plus tôt qu'en 2019 et un mois et demi plus tôt qu'en 2017. La Cour a donc consenti d'importants efforts pour réduire ses délais de production tout en maintenant l'intégralité de ses contrôles grâce à la mise en oeuvre de différentes mesures de simplification. La réduction des délais de production de nos rapports est au coeur de la réforme stratégique que je porte pour les juridictions financières. Ce changement de calendrier vous permet de consacrer plus de temps à l'évaluation des résultats.

Les documents que je vous présente aujourd'hui sont le fruit d'un travail accompli dans des conditions nettement plus difficiles en raison de la pandémie, pour nous comme pour les administrations. Les équipes de la Cour se sont attachées à étudier les effets de la crise, immédiats ou décalés, sur les recettes, les dépenses et le déficit de l'État, mais aussi sur sa situation patrimoniale ; celles du HCFP ont dû faire face à un niveau très élevé d'incertitude pour rédiger leur avis, dans des délais extraordinairement limités.

Depuis le premier exercice exécuté dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Cour en est à sa quinzième certification des comptes de l'État. La première certification, remise en 2007 sur l'exercice 2006, comportait treize réserves ; celle-ci n'en comporte que quatre, comme l'an dernier. Cette évolution témoigne des efforts consentis par l'administration pour améliorer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'État. Plusieurs réserves sont levées par rapport aux exercices précédents, dont certaines figuraient dans l'acte de certification depuis l'origine. Quatre réserves substantielles et vingt-deux constats d'audit significatifs demeurent cependant.

La première réserve est systémique : elle concerne des limites au regard de nos vérifications qui tiennent, d'une part, aux conditions de tenue de la comptabilité générale dans Chorus et, d'autre part, à l'efficacité du contrôle interne. Les trois autres réserves concernent différentes anomalies significatives dans les comptes, qui portent respectivement sur les stocks militaires et les immobilisations, sur les participations financières de l'État et sur les charges de personnels et d'intervention ainsi que sur les produits régaliens.

La Cour fait ressortir trois principaux constats au 31 décembre 2020. Le premier a trait à la poursuite des efforts de fiabilisation des comptes, malgré la crise. Je salue à cet égard le travail partenarial très constructif qui s'est noué entre la Cour et la direction générale des finances publiques (DGFiP), notamment dans le cadre du plan d'action que nous avons signé en 2019. Ce travail a permis d'avancer le calendrier de mise à disposition des comptes sans incident sur leur fiabilité et d'anticiper la formalisation de notre opinion. Cette démarche de fiabilisation doit être encore poursuivie : des comptes fiables sont pour l'administration une source très précieuse d'informations, pour sa gestion courante et ses prévisions budgétaires.

Notre deuxième constat concerne les progrès qui restent à accomplir dans la démarche de maîtrise des risques. Certes, les dispositifs de contrôle interne de l'État continuent de se professionnaliser, mais nous constatons qu'ils n'ont pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour garantir la maîtrise des principaux risques susceptibles d'avoir une incidence sur ses comptes. Cette exigence est pourtant d'autant plus forte que le Gouvernement souhaite alléger ou supprimer de nouveaux contrôles a priori : une telle évolution n'est envisageable que si elle est précédée d'importants efforts pour analyser les risques auxquels est exposée la gestion publique et mettre en place les mécanismes pour les prévenir et les maîtriser.

Le troisième constat a trait à l'insuffisante utilisation de la comptabilité générale pour appréhender la situation des finances publiques. Dans les années qui viennent, l'État aura plus que jamais besoin de disposer d'une vision à moyen et long termes de ses engagements : l'analyse du solde budgétaire de l'État doit être complétée par celle de sa situation patrimoniale. La comptabilité budgétaire et la comptabilité générale ne s'opposent pas, elles sont complémentaires pour analyser la situation des finances de l'État. La Cour est prête à prendre toute sa part à ce chantier et va, pour la première fois, à titre expérimental, joindre au rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques qui vous sera remis en juin prochain une analyse financière de la situation de l'État, à partir de sa comptabilité générale. Cette analyse pourra notamment alimenter le débat annuel sur la dette publique que nous appelons tous de nos voeux.

Notre rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2020 met en évidence l'impact massif de la crise, mais aussi des évolutions plus structurelles qui ne lui sont pas imputables. La crise sanitaire a eu une incidence majeure sur le budget de l'État. À partir du mois de mars, le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures pour ralentir la diffusion de la pandémie, puis pour soutenir les entreprises et les ménages. Ces interventions de l'État ont été portées par quatre lois de finances rectificatives (LFR) qui ont modifié significativement la programmation budgétaire initiale. En partant de la dépense effective, la Cour a réalisé un travail très important pour chiffrer l'importance et l'incidence de la crise sur le budget de l'État. Cette dernière s'élèverait à 92,7 milliards d'euros, avec toutefois une inévitable marge d'incertitude. Plus de la moitié de ce coût résulte de dépenses supplémentaires liées à la crise, à hauteur de près de 50 milliards d'euros. La plupart d'entre elles, soit presque 42 milliards d'euros, ont été portées par une nouvelle mission budgétaire intitulée « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et qui rassemble quatre interventions de l'État : la prise en charge de l'activité partielle ; les aides du fonds de solidarité ; les prises de participations de l'État dans des entreprises en difficulté ; et la compensation à la sécurité sociale du dispositif d'exonération et d'aide au paiement des prélèvements sociaux. Les autres dépenses budgétaires imputables à la crise relèvent d'autres missions : « Solidarité », « Travail » ou « Économie ».

La crise a aussi pesé sur les recettes de l'État, en provoquant une baisse de quelque 32,3 milliards d'euros de recettes. L'effet est toutefois inégal selon les impôts : il est très marqué par exemple pour l'impôt sur les sociétés, dans une moindre mesure pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; en revanche, l'impôt sur le revenu a été assez peu affecté, tout comme les impôts assis sur le capital.

Conséquence logique de cet effet de ciseau entre dépenses et recettes, le solde budgétaire de l'État a connu une très forte dégradation : le déficit s'élève à 178 milliards d'euros fin 2020, en hausse de près de 85 milliards d'euros par rapport à la prévision en loi de finances, soit un quasi-doublement. La Cour relève que toutes les composantes du solde budgétaire contribuent à cet écart : le solde du budget général à hauteur de près de 80 milliards d'euros et celui des comptes spéciaux de plus de 5 milliards d'euros. Cette dégradation est bien plus significative qu'en 2009, après la crise financière de 2008 : à cette date, le déficit s'élevait à 138 milliards d'euros. Le niveau de déficit atteint est donc sans précédent.

La dette de l'État s'est par conséquent fortement accrue en 2020 et elle a franchi la barre symbolique des 2 000 milliards d'euros. L'encours de la dette de l'État a progressé de 63 % depuis 2010 et le besoin de financement de l'État a augmenté de 89 milliards d'euros par rapport à 2019, à près de 310 milliards d'euros.

Près de la moitié des dépenses - nettes des remboursements et dégrèvements - du budget général ont ainsi été financées en 2020 par l'endettement et non par des recettes publiques. Le besoin de refinancement de l'État au cours des dix prochaines années augmente de 180 milliards d'euros. L'État a toutefois bénéficié de la poursuite des baisses de taux d'intérêt et de l'inflation en 2020. Ces facteurs conjoncturels n'enlèvent toutefois rien à la vigilance que nous devons apporter à la question de soutenabilité de la dette publique.

La dégradation du solde budgétaire de l'État en 2020 est donc significative et a des conséquences directes sur son niveau d'endettement, déjà élevé. Elle est toutefois largement inférieure à ce qui était anticipé dans la quatrième loi de finances rectificative qui prévoyait un déficit de 223,3 milliards d'euros, donc supérieur de plus de 45 milliards d'euros à ce qui a finalement été constaté.

Cet écart entre la prévision et l'exécution résulte d'un volume très important de crédits qui n'ont pas été dépensés en fin d'année, à hauteur de 31,6 milliards d'euros, principalement ceux qui avaient été ouverts par la quatrième loi de finances rectificative, dont plus de 90 % concernent les crédits de la seule mission « Plan d'urgence » qui a bénéficié, sur l'ensemble de l'année, de 69,6 milliards d'euros.

Cette sous-consommation reflète un manque de réalisme des prévisions budgétaires : les montants de crédits ouverts dans la quatrième loi de finances rectificative ont dépassé les prévisions de dépenses qui pouvaient raisonnablement découler des informations disponibles en novembre. La prudence ne peut, à elle seule, justifier l'ampleur de cette budgétisation.

Les crédits non consommés ont donné lieu à des reports massifs de plus de 30 milliards d'euros sur l'exercice suivant, alors qu'ils s'élèvent en moyenne à 1,4 milliard d'euros sur les dix dernières années. La Cour considère que cela conduit à une certaine confusion des exercices et porte atteinte au principe de l'annualité budgétaire : il aurait été plus conforme aux règles posées par la LOLF d'ouvrir les crédits supplémentaires dans la loi de finances pour 2021. Notre rapport contient donc une recommandation visant à n'ouvrir en loi de finances que des crédits nécessaires à l'exercice en cours et à mieux se conformer à la règle de plafonnement des reports de crédits à 3 % des crédits ouverts, pour respecter la volonté du législateur organique.

Les prévisions de recettes fiscales n'ont pas non plus échappé à ces aléas. L'écart est particulièrement élevé - 29 milliards d'euros - entre l'exécution et la troisième loi de finances rectificative. Ces aléas dans les prévisions de recettes mettent clairement en évidence l'intérêt d'une expertise complémentaire à celles du Gouvernement pour examiner ex ante le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses publiques dans les projets de lois financières.

Nous avons donc ici une illustration très concrète de ce que l'extension du mandat du HCFP - que j'appelle de mes voeux depuis ma nomination - pourrait apporter à la décision publique : ce mandat pourrait être étendu à l'appréciation du réalisme des prévisions de recettes et dépenses, comme le font nombre d'institutions budgétaires indépendantes en Europe. Il en va de la clarté du débat sur les finances publiques dans notre pays.

L'impact de la crise économique née de la pandémie a entraîné une très forte hausse des dépenses du budget de l'État : à périmètre constant, les dépenses nettes des remboursements et dégrèvements du budget général ont augmenté de 15,5 % par rapport à 2019 pour atteindre un niveau inégalé de près de 390 milliards d'euros. Une partie de ces dépenses est imputable à la crise ; mais la crise n'explique pas tout, et les autres dépenses du budget général ont également nettement progressé en 2020, de 6,7 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros en 2018.

Le plafond de dépenses pilotables prévu par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 a été dépassé de plus de 15 milliards d'euros, preuve supplémentaire de la caducité de ce texte. Ce déplacement traduit une hausse structurelle de certaines dépenses, notamment de fonctionnement. Si cette dynamique se poursuivait, en tenant compte des dépenses de crise et des crédits reportés sur 2021, l'augmentation des dépenses du budget de l'État entre 2018 et 2021 pourrait s'établir à 90,5 milliards d'euros, soit une hausse de presque 30 %.

Il est à craindre que ce dynamisme ne produise un effet de cliquet, avec le maintien des dépenses de l'État à un niveau durablement plus élevé qu'avant la crise. Cette situation aurait des conséquences et des effets directs sur la trajectoire de solde et de dette publics présentée dans le programme de stabilité.

Comme l'an dernier, la Cour a étendu son avis à l'ensemble des moyens financiers que l'État consacre aux politiques publiques : les dépenses des deux budgets annexes et des 28 comptes spéciaux ont en effet représenté - hors double compte avec le budget général - 19,6 milliards d'euros en 2020. La Cour souligne le caractère très hétéroclite de l'ensemble formé par les budgets annexes et les comptes spéciaux et regrette le pilotage partiel de leurs dépenses. L'exécution 2020 prolonge les progrès qui ont été réalisés en 2019, puisque les deux tiers des dépenses sont compris dans la norme de dépenses de l'État et que les trois quarts d'entre elles sont couverts par l'objectif de dépenses totales de l'État. Par ailleurs, deux comptes d'affectation spéciale ont été supprimés et leurs moyens rebudgétisés par la loi de finances initiale pour 2020. Cependant, une part significative des dépenses des comptes spéciaux et des budgets annexes demeure en dehors de toute norme et les recommandations antérieures de la Cour pour rationaliser cet ensemble n'ont pas encore toutes été suivies d'effet. La revue du bien-fondé de chacun de ces dispositifs doit aujourd'hui être systématisée, pour améliorer la lisibilité des moyens budgétaires de l'État, faciliter leur pilotage et approfondir le contrôle parlementaire.

Notre rapport aborde aussi les dépenses fiscales, les taxes affectées et les fonds sans personnalité juridique. Il s'agit de sommes très significatives puisque les dépenses fiscales s'élèvent fin 2020 à 89,1 milliards d'euros et que l'État a affecté l'an dernier 40,3 milliards d'euros d'impôts et taxes à des opérateurs ou à d'autres organismes - hors collectivités territoriales et sécurité sociale - sans qu'une information suffisante ait été donnée au Parlement sur les actions que ces moyens viennent financer. Nous recommandons donc d'accélérer la mise en oeuvre du programme d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience des dépenses fiscales et de revoir le périmètre du plafonnement de ces dépenses en loi de programmation. La Cour regrette à nouveau que les fonds sans personnalité juridique ne fassent l'objet ni d'un suivi précis, ni d'une stratégie de remise en ordre, alors même qu'ils échappent à presque tout contrôle.

Au terme de son analyse sur l'exécution 2020 du budget de l'État, la Cour formule donc cinq recommandations.

Le HCFP vient de formuler son avis sur le projet de loi de règlement pour 2020. Les délais contraints dans lesquels nous avons travaillé limitent toutefois notre capacité d'analyse et d'expertise. En outre, le solde structurel sur lequel le HCFP était chargé de se prononcer est dépourvu de signification : d'une part, parce qu'il est calculé à partir de l'estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel de la loi de programmation des finances publiques de 2018 et que cette estimation a été rendue obsolète par la crise économique - nous avons besoin d'une nouvelle loi de programmation ! - et d'autre part, parce que le solde structurel repose sur les modalités de calcul des mesures exceptionnelles et temporaires retenues par le Gouvernement qui viennent brouiller la lecture de la décomposition du solde : la totalité des mesures dites d'urgence et de soutien sont considérées comme des mesures appelées à ne pas se renouveler et ne comptent donc pas dans le calcul du solde structurel ; pourtant, la plupart d'entre elles se prolongent en 2021...

Par conséquent, en contradiction avec la très forte dégradation qui s'annonce persistante des finances publiques, le solde structurel présenté par le Gouvernement apparaît en nette amélioration en 2020 : après - 2,3 points en 2019, le solde structurel s'établirait à - 0,9 point en 2020. Le HCFP estime que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de déclencher le mécanisme de correction, alors que la crise sanitaire avait conduit le Conseil à estimer, dans son avis sur le premier projet de loi de finances rectificative, que les circonstances exceptionnelles étaient réunies. Ces mêmes conditions avaient conduit le Conseil de l'Union européenne à déclencher la clause dérogatoire du pacte de stabilité et de croissance en mars dernier.

Enfin, à votre demande, notre avis sur le projet de loi de règlement comprend un encadré sur le coût net des six principales mesures d'urgence de soutien aux revenus. Celui-ci serait compris entre 67 et 82 % de leur montant brut, en raison d'un effet direct et indirect favorable sur les prélèvements obligatoires.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

Nous avions bien constaté, lors de l'examen du quatrième projet de loi de finances rectificative, que les demandes de crédits étaient très surévaluées. Le Gouvernement nous avait répondu à l'époque qu'il souhaitait disposer de marges de manoeuvre. Quelle est la marge de manoeuvre acceptable ? Mais nous étions inquiets à l'époque d'un éventuel confinement en décembre et dans l'attente d'un potentiel projet de loi de finances rectificative dès le mois de février 2021... Prudence ou sincérité budgétaire : c'est une véritable question.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage vos observations sur la surbudgétisation très importante de la quatrième loi de finances rectificative, que nous avions soulignée et regrettée. Certes, il était, pour partie, difficile à ce moment-là de bien connaître la situation sanitaire et les mesures accompagnatrices. Le Gouvernement nous annonce un projet de loi de finances rectificative en juin, mais j'aurais préféré qu'il le dépose dès maintenant pour des raisons de sincérité budgétaire. Les décrets d'avance, les reports de crédits, la valse des milliards jetés aux yeux de l'opinion font perdre leurs repères à tous.

Les ministres nous affirment que les reports de crédits ne sont décidés qu'en début d'année suivante. Mais j'ai constaté que trois arrêtés de reports, pour un montant cumulé de 14 milliards d'euros, ont été pris entre le 21 et le 24 décembre 2020, avant même la promulgation de la loi de finances pour 2021 ! Cela pose un vrai problème de sincérité. Une telle pratique a-t-elle déjà été constatée par le passé ?

La Cour des comptes a remis l'acte de certification des comptes de l'État. Il ressort du compte général de l'État que sa situation nette a été négative de 1 536 milliards d'euros en 2020, soit l'équivalent de cinq années de produits fiscaux : ce n'est pas rien ! En 2006, ce rapport était de deux années de produits fiscaux. La Cour certifie les comptes de l'État comme réguliers et sincères, mais formule des réserves portant, par exemple, sur la fiabilité des données relatives aux rémunérations de personnel dans de nombreux ministères, ainsi que sur les droits et obligations en matière fiscale. Ces réserves, qui renvoient aux insuffisances déjà constatées par la Cour dans la gestion des projets informatiques de l'État, sont assez inquiétantes : avez-vous une estimation des montants financiers qui pourraient être en jeu ?

Pour la première fois, le Gouvernement a présenté le projet de loi de finances pour 2021 assorti d'une évaluation des dépenses environnementales, dite « budget vert ». Comptez-vous, dans le rapport que vous rendrez l'an prochain, commenter l'exécution « verte » du budget 2021 afin d'en apprécier l'exactitude et la sincérité ?

M. Pierre Moscovici. - La période est extraordinairement difficile et la Cour ne méconnaît pas les incertitudes politiques et les difficultés que peut connaître l'administration. Nous ne remettons pas en cause la nécessaire prudence : mieux vaut être prudent que trop audacieux en matière de finances publiques. Mais les montants sont excessifs.

Il était évident que tous les crédits ouverts en quatrième loi de finances rectificative ne pourraient pas être dépensés, notamment sur le fonds de solidarité. Au mieux, les dépenses liées au confinement de novembre pouvaient être consommées en décembre, ce qui représentait une dizaine de milliards d'euros... Cette excessive prudence a contribué à une forme de brouillage.

La question des reports de crédits est un point d'attention de la Cour, qui appelle à des dépenses réalistes. Une partie des reports a même eu lieu avant la fin de 2020 afin de financer le nouveau dispositif prévu en loi de finances pour 2021, ce qui participe de la confusion des exercices et remet en cause tant le principe d'annualité budgétaire - je manie le concept de sincérité budgétaire avec une très grande prudence, car il porte une part d'intentionnalité - que la portée de l'autorisation parlementaire.

Il aurait été plus conforme au principe d'annualité budgétaire de prévoir ces crédits en loi de finances pour 2021. Cela était possible, même tardivement, comme l'a montré l'adoption le 12 décembre 2020 d'un amendement gouvernemental qui ouvrait 5,6 milliards d'euros de crédits au profit du fonds de solidarité.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Les reports de crédits ont traditionnellement lieu en janvier. Les reports de la fin 2020 ont probablement été anticipés pour des raisons de trésorerie. Je vous adresserai une réponse plus complète sur ce point.

M. Pierre Moscovici. - Sur les problèmes de certification, il y a des anomalies, mais aussi des incertitudes. Les anomalies sont le plus souvent chiffrables, mais il n'est pas possible de faire une estimation financière globale en raison des incertitudes. Cette année, celles-ci résultent de trois facteurs : un système d'information ancien, notamment pour gérer les recettes fiscales - beaucoup d'opérations sont encore faites manuellement ou transitent par de nombreux comptes intermédiaires - ; des dispositifs de maîtrise des risques qui progressent, mais pas assez rapidement ; des pièces justificatives parfois indisponibles, incomplètes ou imprécises - par exemple celles qui se rapportent aux participations financières de l'État. Nous avons également des difficultés à évaluer l'immobilier de l'État situé en France ; des travaux sont en cours avec la direction générale des finances publiques.

Le Gouvernement a publié en annexe au projet de loi de finances pour 2021 un rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État. La Cour a naturellement intégré cette nouvelle préoccupation dans ses travaux. Elle constate que, sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 32 milliards sont au moins une fois favorables à un objectif environnemental : c'est significatif. La Cour approfondira ses travaux sur cette question qui prendra une place croissante dans nos publications.

M. Pascal Savoldelli. - Votre travail est extrêmement important.

Sur la question du respect de l'annualité budgétaire et de la règle de plafonnement des reports des crédits, nous devons tous vous appuyer. Ce que vous nous avez dit sur le quatrième projet de loi de finances rectificative est affolant et je m'interroge sur ce qui relève de la pure communication politique. Avec 30,8 milliards d'euros, les reports de crédits atteignent des sommets inégalés depuis 1958. Les montants non dépensés représentent 36 fois le montant réellement alloué aux personnes précaires bénéficiaires des allocations sociales... On peut ensuite faire de grandes déclarations sur la pauvreté ! Vos travaux sont bien au coeur des préoccupations des Français. Il s'agit certes d'une situation exceptionnelle, mais nous devons obtenir des garanties démocratiques sur ces sujets.

Vous évoquez également la comptabilisation des remboursements et dégrèvements d'impôts, et vous avez raison. En tant que rapporteur spécial, je suis d'avis qu'il faut les comptabiliser. Quelque 11 milliards d'euros supplémentaires sont attendus, en provenance essentiellement des affaires contentieuses : sachons reconnaître le travail qui a été réalisé sur cette question.

Mme Isabelle Briquet. - Merci de cette présentation très complète.

Sur les sept recommandations que la Cour a formulées en 2019 sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État », six n'ont pas été mises en oeuvre et une ne l'a été que partiellement. Certes, l'année 2020 a été particulière, mais quelle est la part des recommandations suivies par les administrations ? Quels sont les retours dont dispose la Cour de la part des administrations concernées ?

M. Marc Laménie. - Je vous remercie pour cette analyse étayée et complète.

Vous avez émis une réserve substantielle concernant les stocks militaires et les immobilisations. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Quid de la situation patrimoniale de l'État ? Ce dernier utilise-t-il correctement son patrimoine ?

Nous connaissons l'importance des dépenses fiscales. Comment mieux les identifier ?

L'État est le premier financeur des collectivités territoriales : quelle est votre appréciation de l'évolution de leur autonomie financière dans le contexte notamment de la suppression de la taxe d'habitation ?

Je m'interroge également sur le prélèvement sur recettes - plus de 20 milliards d'euros - qui alimente le budget de l'Union européenne.

M. Rémi Féraud. - Votre rapport est très intéressant et nous sera extrêmement utile.

La situation est certes exceptionnelle, mais l'enchaînement entre la quatrième loi de finances rectificative et la loi de finances initiale pour 2021 nous interroge. Les 30 milliards d'euros de crédits non consommés, c'est dix fois l'extension des minima sociaux aux 18-25 ans et même cent fois le prolongement du dispositif exceptionnel d'hébergement d'urgence des sans-abri...

Comment les 6,7 milliards d'euros de dépenses supplémentaires hors covid - sur les budgets de l'écologie, de l'éducation nationale ou de la défense - s'articulent-ils avec l'engagement du Gouvernement de limiter l'évolution des dépenses publiques à 0,7 % ? Je ne vois pas le lien entre les annonces du Gouvernement et la politique réellement menée...

M. Philippe Dallier. - On parle beaucoup de ce déficit pour 2020, bien moindre que ce qui était attendu, et de la sous-exécution des crédits. Mais il y a des contre-exemples comme l'hébergement d'urgence, car tous les programmes n'ont pas été traités de la même manière. Avec la crise sanitaire, le Gouvernement a fait des efforts significatifs et ouvert des crédits pour créer des places et des centres covid. En dépit d'une marge de 30 milliards d'euros sur le budget général en fin d'année, certains grands organismes, tels que le Samu social de Paris et la Croix-Rouge, étaient encore au mois de mars 2021 en attente de crédits, qui auraient dû être payés à la fin de l'année de 2020. Il est incompréhensible qu'ils assurent la trésorerie de l'État, mais c'est assez classique. Enfin, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), que nous avons rencontrée, évoque la nécessité d'un rebasage, déjà réalisé voilà trois ans, de 600 millions d'euros sur l'hébergement d'urgence.

Mme Christine Lavarde. - Vous nous donnez un avis sur la certification des comptes de l'État. En quatorze ans, il reste toujours quatre réserves. Quel est votre regard sur le processus de certification des collectivités locales qui est mis en place sous l'égide de la Cour des comptes ? À partir du moment où elles entrent dans le processus, on leur demande un inventaire fiabilisé, un patrimoine connu et des comptes entièrement apurés. N'y aurait-il pas deux poids, deux mesures ? Ou bien l'État ne serait-il pas assez préparé aux nouvelles procédures comptables ?

M. Éric Bocquet. - Le débat est un peu surréaliste, mais cela résulte des circonstances inédites et dramatiques à bien des égards. Toutes les règles habituelles ont volé en éclat, à commencer par les 3 % de déficit et les 60 % d'endettement. J'ai le sentiment que l'on continue de raisonner comme s'il ne s'était rien passé, en mettant en avant la règle d'or, alors que le président Arthuis a rendu son rapport sur la dette et l'avenir des finances publiques avec une programmation sur cinq ans. Certes, la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques doivent se limiter à des recommandations, mais l'administration Biden a opté pour des mesures iconoclastes qui ne sont pas inintéressantes. J'invite mes collègues à réfléchir à tous ces aspects, et si j'entends bien que vous êtes soumis à une obligation de réserve en tant que Premier président de la Cour des comptes, peut-être l'ancien ministre de l'économie que vous êtes pourrait-il s'exprimer sur ce sujet.

M. Philippe Dominati. - Éric Bocquet m'a ôté la moitié des mots de la bouche. Nous traversons en effet une année exceptionnelle, même si nous sommes confrontés à une crise financière tous les dix ans, la dernière datant de 2010 et après laquelle de nouveaux mécanismes ont été mis en place. Ce matin, nous ne débattons pas du bilan du budget réel, puisqu'il a été fortement dénaturé par la mission « Plan de relance » qui a financé de nombreuses dépenses courantes, telles que l'achat des armes de la gendarmerie. Je m'attendais à ce que la Cour signale ces dysfonctionnements qui ont affecté l'ensemble des missions budgétaires sans qu'aucun bilan comptable et pédagogique ne soit dressé, à tel point que nos concitoyens peuvent avoir le sentiment que l'on peut s'affranchir de toutes les barrières. La Cour des comptes ou le Haut Conseil a un rôle d'alerte à jouer. Sinon, des libertés seront prises jusqu'à l'élection présidentielle sur les normes adoptées il y a une dizaine d'années concernant la règle d'or, les 3 % de déficit et les objectifs à tenir.

M. Pierre Moscovici. - Monsieur le rapporteur général, l'effet cliquet est alimenté par des reports de crédits liés au plan d'urgence, mais aussi par les efforts supplémentaires pour faire face au rebond de la crise sanitaire au premier trimestre. Les dépenses importantes du plan de relance auront également des conséquences pour 2022 et 2023.

Monsieur Dominati, à la demande de la commission des finances du Sénat, nous publierons un rapport qui devrait être très intéressant sur le plan de relance, en application de l'article 58-2 de la LOLF. Je serai très heureux de vous le présenter le moment venu, et les délais seront tenus. Enfin, face au rythme élevé des dépenses ordinaires en 2019 et 2020, nous appelons à la maîtrise.

Je remercie tous les sénateurs pour la qualité de leurs travaux. Nous voulons contribuer au débat démocratique. Or en matière de gouvernance des finances publiques, des réformes, ou à tout le moins des rappels, gagneraient à être soutenus par la représentation nationale. Il y va de la qualité du contrôle parlementaire, des prévisions des finances publiques et de la bonne information du citoyen-contribuable, qui est souverain.

J'entends bien les arguments de MM. Bocquet et Dominati, et la Cour ne se dérobera pas à la réalité du contexte international. Mais nous sommes sollicités par le Gouvernement pour produire un audit complet sur les finances. Nous le présenterons le moment venu sans esquiver la nécessaire reformulation des règles européennes. Le contexte extraordinaire n'empêche pas que les règles qui président à l'élaboration des lois de finances soient respectées. Je n'y vois aucune contradiction. Certes le contexte exceptionnel peut remettre en cause certains critères tels le niveau de dette publique à 60 % du PIB que nous ne reverrons pas de sitôt...

Oui, la prudence est de mise pour l'annualité budgétaire. S'il y avait eu imprudence, nous l'aurions tous souligné. Mais eu égard à la politique d'affichage, il n'est pas inutile que la Cour fasse un rappel à l'ordre sur les principes budgétaires.

Concernant la comptabilisation des remboursements et dégrèvements des impôts locaux, nous affirmons depuis des années qu'il s'agit de vraies dépenses pour l'État. Nous ne visons que les impôts locaux et non les contentieux fiscaux de l'État, mais ces remboursements et dégrèvements ont beaucoup augmenté à cause de la suppression de la taxe d'habitation.

Je dresserai deux constats sur la réserve relative aux stocks militaires et aux immobilisations : d'une part, une insuffisance persistante dans l'inventaire des stocks, liée à de fortes disparités dans les méthodes et à des délais non tenus, et, d'autre part, des incertitudes très fortes sur la valorisation des équipements et le maintien en condition opérationnelle. L'administration a formulé des propositions, mais nous ne disposons pas de chiffres suffisamment fiables en la matière.

Le suivi des recommandations atteint les 70 %, ce qui n'est pas négligeable, même si nous souhaitons que les choses s'améliorent. Cette année, du fait de la crise, nous n'avons pas estimé réaliste de procéder à ce suivi. Nous le reprendrons dans le rapport public annuel de 2022, avec un effet de rattrapage sur 2021.

Monsieur Féraud, sur les 6,7 milliards d'euros d'augmentation des dépenses courantes, la moitié correspond à la hausse de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et des crédits de défense, et l'autre à l'ensemble des autres missions. Je ne vous ai pas présenté ce matin l'avis du Haut Conseil sur le programme de stabilité, mais il sera intégré à notre présentation du mois de mai. À un moment, il faudra examiner les moyens de revenir à une trajectoire de dette soutenable et bien mesurer les résultats des différentes hypothèses envisageables. C'est pourquoi votre question s'adressait plus au Gouvernement qu'à la Cour.

La certification des comptes des collectivités locales fait l'objet d'une expérimentation à la demande du Parlement et seulement auprès des collectivités volontaires. Nous allons poursuivre nos travaux, sachant que notre rôle est d'aider à la certification des comptes, mais nous manquons de moyens pour le pilotage avec un effectif restreint. Les 25 collectivités volontaires ont, elles, significativement progressé, même si les systèmes d'information et les contrôles internes doivent être réexaminés.

S'agissant des réserves, vous avez souligné à juste titre qu'il en restait 4, mais il y en avait 13 au départ. Surtout, les constats d'audit ont diminué de 70 à 22. Il est normal que le rythme se ralentisse, mais ces réserves présentent une grande utilité. L'État devrait faire un usage plus étendu de cette comptabilité. Concernant la quatrième loi de finances rectificative, selon vous, nous aurions trop prévu et non trop dépensé. J'en prends bonne note, tout en rappelant que la Cour et le monde associatif se sont fortement mobilisés à ce sujet.

Messieurs Bocquet et Dominati, nous reviendrons sur les règles européennes, la gouvernance de nos finances publiques et les trajectoires souhaitables. La crise sanitaire et économique n'est pas finie, et les incertitudes sont encore très fortes. La Cour ne proposera pas d'interrompre prématurément et brutalement des mesures d'urgence, au risque de ralentir l'économie. Il faut attendre d'avoir retrouvé le taux de PIB de la fin de 2019, ce qui devrait se produire au cours de l'année 2022 en fonction des évolutions de la crise.

Il faut traiter de manière sérieuse les problèmes concernant la dette publique et ses conséquences pour la gestion des finances publiques. Une trentaine de personnes travaillent actuellement d'arrache-pied sur ce sujet mobilisateur. Nous avons à coeur de montrer que la Cour peut mener des travaux approfondis sur des sujets ambitieux en très peu de temps. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ferons tout pour ne pas vous décevoir.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Premier président, c'est la troisième fois que vous venez devant notre commission depuis le début de la session parlementaire. Vos analyses sont toujours attendues, surtout en ces temps de crise. Nous vous reverrons dans le courant du mois de mai afin d'évoquer les résultats de la mission que vous a confié le Premier ministre sur la situation des finances publiques et les priorités de l'action publique pour l'après-crise, sujet sur lequel nous travaillons depuis plusieurs mois.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Claude Raynal, président. - Le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances a été présenté hier en conseil des ministres. Ce texte a été renvoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mais comporte un volet financier, comme le titre du projet de loi l'indique, correspondant aux articles 33 à 42, dont l'examen devrait nous être délégué au fond. Il vous est donc proposé que la commission se saisisse pour avis et désigne un rapporteur.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 535 (2020-2021) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, et désigne M. Hervé Maurey rapporteur pour avis.

La réunion est close à 10 h 20.