Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur spécial

PROGRAMME 203
« INFRASTRUCTURES ET SERVICES DE TRANSPORTS »

I. L'ABANDON DE L'ÉCOTAXE, UNE MAUVAISE NOUVELLE POUR LE BUDGET DES TRANSPORTS

Le 30 octobre 2014, lors des questions d'actualité au Gouvernement au Sénat, Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, a annoncé que « le Gouvernement a décidé de résilier le contrat de partenariat conclu avec Ecomouv' le 20 octobre 2011 ».

Faute d'infrastructure pour la recouvrer, l'écotaxe, soit disant « suspendue sine die », est donc bel et bien abandonnée .

Pour autant, le Gouvernement n'a pas encore assumé sa décision jusqu'au bout puisqu'il n'a déposé aucun amendement tendant à supprimer l'écotaxe de notre ordre juridique. Il n'a d'ailleurs jamais officiellement annoncé l'abandon de l'écotaxe. En théorie, l'écotaxe existe toujours bien que l'État ne dispose plus des moyens nécessaires à son recouvrement. Cette attitude traduit un mépris certain à l'égard de la loi votée par le Parlement .

A. DES RESSOURCES DE SUBSTITUTION AFFECTÉES À L'AFITF SEULEMENT POUR 2015

L'écotaxe devait être une ressource pérenne affectée à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) pour un montant net d'un peu moins de 800 millions d'euros par an . En devenant le péage de transit poids lourds, l'écotaxe avait déjà largement été vidée de sa substance 1 ( * ) , puisqu'elle n'aurait plus rapporté à l'AFITF qu'une somme comprise entre 200 et 300 millions d'euros.

Pour 2015, l'article 20 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit que sera affecté à l'AFITF un montant de 1 139 millions d'euros , correspondant à la hausse de 2 centimes des taxes sur le diesel acquittées par les particuliers et à la hausse de 4 centimes de ces mêmes taxes acquittées par les transporteurs routiers.

Cette affectation - d'un montant d'ailleurs supérieur au produit initial de l'écotaxe - permet, en 2015, de maintenir les ressources de l'AFITF au moins au niveau de 2014, soit 1,9 milliard d'euros .

Lors de l'examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » devant l'Assemblée nationale, Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, a annoncé que le budget de l'Agence pourrait atteindre 2,24 milliards d'euros compte de l'évaluation retenue pour les autres taxes qui lui sont affectées.

Si l'article 20 précité pose le principe d'une affectation d'une partie des taxes sur les carburants (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) à l'ATITF, il n'en détermine pas le quantum au-delà de 2015.

Entendu par la commission des finances le 29 octobre 2014, Alain Vidalies a d'ailleurs admis que « la modification fiscale que je vous ai présentée est valable pour 2015. Il n'est pas impossible qu'elle soit pérennisée, car certains transporteurs lui trouvent plusieurs avantages. Cependant, un système de vignettes permettrait de faire payer les poids lourds étrangers. À vrai dire, nous ne savons pas dans quelle mesure ceux-ci font leurs pleins en France. L'inconvénient de la vignette est que le paiement n'est pas proportionnel au nombre de kilomètres parcourus. Nous devons aussi garder à l'esprit que le prix du pétrole peut augmenter à nouveau. Dans ce cas, une action sur la fiscalité sera sans doute nécessaire. Le calendrier des groupes de travail est établi. Ils devront parvenir à leurs conclusions avant le mois de juin 2015, afin qu'un nouveau système puisse entrer en application le 1 er janvier 2016 ».

Votre commission des finances a adopté un amendement, en première partie du projet de loi de finances, tendant à demander au Gouvernement de présenter un rapport qui précise et expertise les différentes mesures envisagées afin de financer durablement l'AFITF .

En tout état de cause, la réflexion sur une fiscalité supplémentaire sur les autoroutes semble, pour l'instant, avoir fait long feu . En effet, l'augmentation ou la création d'une fiscalité ad hoc sur les sociétés concessionnaires d'autoroute conduirait à une hausse, à due concurrence, des péages acquittés par les usagers ( cf. encadré).

Réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteur spécial sur la fiscalité autoroutière

Question : Indiquer les obstacles juridiques et techniques qui entravent le développement d'une fiscalité sur les sociétés autoroutières.

Réponse :

D'une manière générale, il convient de rappeler que les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont régies par des stipulations contractuelles. Les décisions unilatérales que prend l'État, au titre de ses prérogatives de puissance publique, peuvent donc avoir des conséquences contractuelles. Notamment, si les décisions prises peuvent entrer dans le champ de la théorie jurisprudentielle dite du « fait du Prince », l'État est exposé à devoir compenser intégralement le préjudice subi par la société, soit par voie budgétaire, soit par augmentation des péages .

La plupart des contrats contiennent des stipulations contractuelles qui traitent de la question de l'alourdissement de la fiscalité et prévoient un droit à compensation en cas de bouleversement de l'équilibre économique du contrat .

Par ailleurs, le droit européen applicable aux péages (directives « Euro-vignette ») limite très sensiblement les possibilités de taxes spécifiques ayant un effet sur les tarifs de péages.

B. L'INDEMNITÉ DE RÉSILIATION DU CONTRAT ECOMOUV', UNE DÉPENSE NON INSCRITE DANS LE BUDGET

En application du contrat signé le 20 octobre 2011 entre l'État et la société Ecomouv' et du protocole d'accord signé le 20 juin 2014, l'État a prononcé la résiliation du contrat pour motif d'intérêt général avant le 31 octobre 2014 .

La résiliation entraîne le paiement, par l'État, d'une indemnité à Ecomouv'. Celle-ci comprend la couverture des coûts engagés par la société au titre de la suspension en 2014, soit environ 174 millions d'euros, mais aussi l'indemnité de résiliation proprement dite dont le coût exact résultera de l'application des stipulations contractuelles. D'après les informations recueillies par votre rapporteur spécial, l'État pourrait être contraint de débourser une somme totale d'environ 830 millions d'euros .

Entendu par la commission des finances, le 29 octobre 2014, la veille de l'annonce officielle de la résiliation du contrat, Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, avait souligné que « les recettes consacrées au financement des infrastructures sont non seulement fléchées, mais sécurisées pour l'année 2015. Quoi qu'il arrive, ce n'est pas sur ce budget là que l'on viendra ponctionner les sommes nécessaires au paiement d'une indemnité . Notez bien que je ne dis pas que l'État devra faire face à une telle somme. Mais, pour répondre à votre question et à l'hypothèse dans laquelle vous vous placez, je peux vous rassurer : on ne va pas diminuer les ressources disponibles pour les infrastructures au motif qu'il y aurait une indemnité à payer ».

L'application stricte de la convention signée entre l'État et l'AFITF sur le circuit de paiement de l'écotaxe voudrait que cette dernière prenne à sa charge le paiement de l'indemnité de résiliation . A priori , le Gouvernement s'engage à ce que cela ne soit pas le cas. Pour autant, il n'a pas apporté plus de précision sur les modalités de financement de cette résiliation .

En outre, lors de la même audition, Alain Vidalies a rappelé que « la constitutionnalité du contrat a été mise en cause par un professeur lors des auditions de la commission d'enquête, qui se référait à une décision du Conseil constitutionnel de 2003. Nous avons la responsabilité des deniers publics et donc nous avons le devoir d'aller au bout de cette démarche. Si la résiliation doit être prononcée, il y aura une discussion avec la société soit de nature transactionnelle, soit de nature contentieuse ».

La question de la constitutionnalité du contrat fait effectivement débat entre spécialistes. La question avait été soulevée devant le Conseil d'État lors de sa consultation par le Gouvernement, en 2007, sur la possibilité d'externaliser le recouvrement d'une taxe à une société privée. Son avis avait conduit à encadrer précisément l'intervention du prestataire privé et, en particulier, à confier à l'État l'ensemble des tâches liées au recouvrement forcé de la taxe 2 ( * ) .

En tout état de cause, si l'État a signé un contrat contraire à la Constitution, il en est le seul fautif. Son cocontractant demeurerait donc légitime à demander l'application du contrat .

La voie contentieuse, que le Gouvernement semble vouloir faire valoir, apparaît donc hautement préjudiciable aux intérêts de l'État , car il courrait alors le risque d'être condamné à payer bien plus que 830 millions d'euros.

Elle pose également un problème de principe car elle donne l'impression que l'État peut se soustraire à ses engagements contractuels, car « tel est son bon plaisir » . Une telle attitude nuit à la crédibilité de la parole de l'État et contribue à dégrader l'image de la France vis-à-vis des investisseurs internationaux .

Au total, dès lors que la décision de résilier le contrat est prise, le Gouvernement doit l'assumer et modifier le budget pour 2015 en conséquence - ou bien l'inscrire dans le budget rectificatif pour 2014. À défaut, le projet de loi de finances pour 2015 apparaît entaché d'insincérité .


* 1 Article 16 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 2 Conseil d'État, section des finances, avis n° 381.058, 11 décembre 2007.