Mardi 29 septembre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente et de Mme Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture -

Financement de l'audiovisuel public - Conclusions des travaux de MM. André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, rapporteurs

Au cours d'une première séance tenue le matin, la commission entend une communication de MM. André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, rapporteurs, sur le financement de l'audiovisuel public (conjointement avec la commission de la culture).

La réunion est ouverte à 9 h05.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Bienvenue à la présidente de la commission des finances, à son rapporteur général et à ses membres, qui ont bien voulu examiner avec nous un sujet de premier plan : France Télévisions, France Médias Monde, Radio France, Arte, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) occupent une place considérable dans le paysage audiovisuel français (PAF). Le budget correspondant est suffisamment important pour mériter toute notre attention - et il fait régulièrement l'objet de débats parmi nous.

Un rapport récent de la Cour des comptes a mis en évidence de nombreuses insuffisances dans la gestion de Radio France. Un groupe de travail sur l'avenir de France Télévisions, piloté par Marc Schwartz, a émis des recommandations afin d'en améliorer la gestion. En conclusion d'un colloque organisé au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) il y a un an, le Président de la République avait souhaité un débat sur la modernisation de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) pour tenir compte du développement des nouveaux usages qui menacent son rendement - débat que nous avons souvent eu au Sénat. Et, à l'automne dernier, la ministre de la culture et de la communication se prononçait pour la suppression des dotations budgétaires à France Télévisions.

Dans ces conditions, il est apparu indispensable à notre commission de la culture, de l'éducation et de la communication d'entreprendre un travail de fond sur le financement de l'audiovisuel public. Je remercie Michèle André d'avoir accepté que ces travaux soient menés conjointement avec la commission des finances. Nos deux commissions n'avaient pas collaboré ainsi sur ce sujet depuis 2011.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Merci pour votre accueil. Ce rapport est le dernier d'une série de travaux commun de nos deux commissions : rapports de Philippe Adnot rédigé avec Jean-Léonce Dupont puis avec Dominique Gillot, de Dominique Bailly avec Jean-Marc Todeschini sur le financement des stades, et de vous-même, Madame la présidente, avec Claude Belot, sur les comptes de France Télévisions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - La parole est à nos deux rapporteurs : Jean-Pierre Leleux, membre de notre commission, et André Gattolin, ancien membre de notre commission !

M. André Gattolin, co-rapporteur. - Les travaux que nous vous présentons nous ont occupés un peu plus de six mois. Ils s'inscrivent dans un cadre particulier, non parce qu'ils ont été conduits par deux sénateurs de sensibilité politique différente - ce qui est habituel dans notre assemblée - mais parce qu'ils concernent un sujet politiquement très sensible : le financement, et plus généralement l'organisation, de l'audiovisuel public. Nous aurions pu, sur ce sujet souvent polémique, rester prisonniers de nos engagements respectifs et de nos préjugés, mais la gravité de la situation de notre audiovisuel public nous a invités à ne pas céder à cette tentation.

Notre constat est en effet sans appel : nos sociétés de l'audiovisuel public sont dans une situation difficile et leur modèle économique traverse une grave crise qui appelle une véritable refondation. Les ressources de ces sociétés ont tendance à devenir plus fragiles et incertaines quand leurs charges ne cessent de s'alourdir, faute de réformes satisfaisantes.

Certaines dépenses ont été particulièrement commentées dans les médias ou au sein du monde politique. Le chantier de Radio France a souffert d'une augmentation continue de ses coûts, qui ont atteint 575,5 millions d'euros, près du double de leur estimation initiale. L'absence de pilotage du chantier, dénoncée par la Cour des comptes, explique en grande partie cet « accident » financier. La négociation d'accords collectifs très favorables pour les salariés constitue une autre tendance coûteuse : l'accord collectif de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) prévoit une hausse annuelle de la rémunération moyenne comprise entre 1,65 % et 1,85 %, tandis que le coût de l'accord négocié à Radio France est estimé à 4,5 millions d'euros pour le personnel non journaliste et à 800 000 euros pour les journalistes. Les plans de départs volontaires ne sont pas exempts de tout reproche : les syndicats de France Télévisions nous ont indiqué qu'une part très importante des indemnités était consacrée aux très hauts cadres de l'entreprise, proches de l'âge légal de la retraite. Que dire de la pratique consistant pour ces hauts cadres à quitter l'entreprise pour créer des sociétés de production qui deviennent des prestataires de France Télévisions ? Au-delà, nous avons été frappés par le fait que la plupart des dirigeants des entreprises que nous avons rencontrés ne nous ont pas déclaré avoir pour objectif de réduire les dépenses.

Tous les indicateurs sont au rouge. Les coûts de grille de France Télévisions n'ont pas baissé depuis 2010, parallèlement, les charges de personnel ont augmenté de 93 millions d'euros. De 2010 à 2014, les dépenses de Radio France sont passées de 624 millions à 691 millions d'euros, voire 733 millions  si l'on considère les estimations pour 2015. Les dépenses d'Arte France ont augmenté de 20 millions d'euros sur la même période, mais au moins cette hausse s'explique-t-elle par un accroissement des investissements dans les programmes. La hausse des charges atteint 8 millions d'euros à l'INA, où elle correspond entièrement à des hausses de la masse salariale. Seule exception à ce tableau, France Médias Monde a vu ses charges globales baisser de 12 millions d'euros depuis 2011. Grâce au seul rapprochement des structures de France 24 et de RFI, près de 14 millions d'euros ont été économisés et redéployés depuis cette date, ce qui peut donner une idée de la marche à suivre à l'avenir.

Si cette hausse globale des dépenses pose aujourd'hui problème, c'est aussi parce que les ressources ne peuvent plus suivre. Le montant de la CAP - l'ancienne redevance - est passé de 121 euros en 2010 à 136 euros en 2015, soit une augmentation de 15 euros par foyer. La CAP constitue l'essentiel des ressources des sociétés de l'audiovisuel public, mais elle est assise sur la détention d'un poste de télévision, selon une interprétation restrictive des services fiscaux. Son évolution, stratégique, suscite donc beaucoup d'interrogations. Le décrochage menace, car les jeunes générations renoncent de plus en plus à acquérir un téléviseur et préfèrent accéder aux programmes via des objets connectés. Le taux d'équipement des ménages en télévision, qui a atteint un point haut en 2010 à 97,8 %, est retombé à 97,1 % en 2012 et ne devrait pas cesser de baisser : nous ne disposons pas encore des chiffres de l'INSEE pour 2013, mais les enquêtes de Médiamétrie confirment cette tendance. Le rendement de la CAP n'est pas encore affecté par cette évolution, du fait du dynamisme démographique, de la hausse des décohabitations et de l'inflation : la direction du budget considère qu'à droit constant, il devrait progresser jusqu'à quatre milliards d'euros en 2020, mais qu'une accélération de la baisse du taux d'équipement pourrait être perceptible dès 2018. Se pose aussi une question d'acceptabilité de la CAP, puisque des personnes peuvent aujourd'hui accéder aux programmes télévisés de l'audiovisuel public à travers des objets connectés, sans s'en acquitter.

Ainsi, une extension de l'assiette de la CAP est indispensable pour préserver son rendement et assurer l'équité fiscale, mais il reste un peu de temps pour concevoir le dispositif le mieux adapté. Le problème à régler dans l'immédiat tient à l'avenir des dotations budgétaires qui avaient été prévues pour compenser la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions. Nous avions tous salué comme une garantie d'indépendance la décision du Gouvernement de mettre un terme d'ici 2017 à ces dotations, qui s'élevaient encore à 160 millions d'euros en 2015, grâce à une réforme de la CAP. Or, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement s'oriente vers une hausse du taux de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, ce qui semble augurer de la pérennisation des dotations budgétaires, ainsi que des mécanismes de régulation qui les accompagnent et qui nuisent à la prévisibilité des ressources des sociétés. Avec un tel système, les directions des entreprises peinent à inscrire leurs décisions d'investissement dans la durée.

Concernant la question des ressources propres, c'est-à-dire hors dotations de l'Etat et redevance, je présenterai en deux mots les principaux problèmes liés à la production pour les diffuseurs publics. D'une part, le cadre légal a pour conséquence de limiter drastiquement leurs retours sur investissements, alors que la loi impose à France Télévisions d'investir chaque année 400 millions d'euros dans la création audiovisuelle. D'autre part, l'opacité des relations avec les producteurs - les devis n'ont pas fait l'objet, comme dans le cadre de la production cinématographique, d'un formatage précis - ne permet ni des remontées de recettes satisfaisantes, ni un contrôle efficace des dépenses de production.

Ce sujet doit être traité en priorité, car les coûts d'achat des programmes de France Télévisions aux producteurs indépendants sont supérieurs à ceux de la masse salariale de l'entreprise !

M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - La publicité, qui est un véritable serpent de mer, pose à France Télévisions un double défi : continuer à vendre des messages en journée alors que les annonceurs privilégient de plus en plus le prime time, et affronter un marché de la publicité dont la baisse structurelle a fait diminuer le chiffre d'affaires de plus de 100 millions d'euros entre 2010 et 2015. La situation est différente pour les autres sociétés. Radio France, qui maintient son chiffre d'affaires autour de 40 millions d'euros, se heurte surtout à un problème de diversification des annonceurs, tandis que France Médias Monde a réussi à augmenter son chiffre d'affaires d'un million d'euros. La publicité peut-elle constituer l'avenir du financement de France Télévisions ? Notre constat est sans appel : le marché publicitaire ne retrouvera pas ses niveaux historiques, en raison du basculement d'une partie croissante des annonceurs sur Internet. Dans ces conditions, le retour de la publicité après vingt heures ne constituerait pas une solution réaliste. De plus, il réduirait encore la spécificité du service public par rapport aux chaînes privées, et fragiliserait ces dernières, qui ne sont pas non plus en très bonne santé.

Si le service public de l'audiovisuel connaît aujourd'hui une crise financière et voit ses audiences - sur longue période - s'effriter et vieillir, c'est d'abord parce qu'il manque d'un projet clair appliqué dans la durée par des équipes ayant la légitimité et l'autorité nécessaires. L'un de nos principaux constats, qui confirme et prolonge l'analyse du rapport Schwartz, tient au fait que les faiblesses de la gouvernance et les relations compliquées avec la tutelle ne permettent pas aux dirigeants de diriger leurs entreprises sereinement. Depuis de nombreuses années, nous nous sommes focalisés sur le mode de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public, en pensant qu'il s'agissait du critère déterminant pour améliorer la gouvernance. Nous sommes désormais convaincus qu'il ne pourra pas y avoir d'indépendance de l'audiovisuel public tant que les conseils d'administration ne pourront pas jouer leur rôle, tant qu'ils seront précédés de pré-conseils d'administration entre la direction et les tutelles où se prennent toutes les décisions importantes, et tant que le calendrier politique de l'actionnaire l'emportera sur l'intérêt des sociétés, ce qui a pour conséquence de reporter systématiquement les décisions difficiles indispensables.

Ainsi, la question du financement de l'audiovisuel public ne peut être traitée séparément de celle de la gouvernance. Mathieu Gallet nous a révélé qu'il a dû concevoir le projet stratégique qu'il a présenté devant le CSA et lui a permis d'être désigné sans avoir le moindre accès aux données financières de Radio France, ce qui, compte tenu de leur forte dégradation à ce moment-là, rendait son projet, dès l'origine, irréalisable. Or, c'est bien ce projet qui est censé servir de base au contrat d'objectifs et de moyens (COM), ce dernier étant lui-même la base de référence pour déterminer le montant annuel de CAP attribué aux différentes sociétés, corrigé au regard des priorités budgétaires de l'État. Finalement, dix-huit mois après sa nomination, le président de Radio France ne dispose toujours pas d'un COM et il fait peu de doute que le document qui devrait nous être transmis d'ici peu sera assez différent des orientations du candidat. Cela pose la question de la pertinence de la désignation des présidents des sociétés de l'audiovisuel public par le CSA, puisque ce dernier ne peut vérifier le réalisme des projets stratégiques des candidats au regard de la situation financière des sociétés.

La désignation de la nouvelle présidente de France Télévisions n'a fait que confirmer ce constat en jetant, de plus, le doute sur les pratiques du collège. Les arbitrages de la ministre de la culture rendus publics le 13 septembre dernier par voie de presse ont également acté le désaccord entre la société et l'État sur les moyens dont elle devrait bénéficier. Une fois de plus, le calendrier politique a pris le pas sur l'intérêt de la société. La situation des entreprises semble gelée jusqu'à la prochaine élection présidentielle, puisque le Gouvernement ne paraît pas souhaiter assumer une réforme de la CAP, compte tenu de ses annonces en matière de baisses d'impôts. Cela rendra certainement très difficile le retour à l'équilibre de France Télévisions et Radio France d'ici 2017.

Notre constat, je le souligne, ne vise pas à mettre en cause spécifiquement le gouvernement actuel : l'année dernière, j'avais apporté mon soutien à la ministre de la culture lorsqu'elle avait annoncé son intention de supprimer les dotations d'ici 2017. Les précédentes majorités n'ont pas été plus vertueuses dans le respect de leurs engagements, concernant par exemple la compensation de la suppression de la publicité décidée en 2009. Quant au mode de nomination des présidents, nous ne proposerons pas non plus de revenir à un choix par le Président de la République compte tenu de l'absence de consensus sur ce sujet.

Nous sommes convaincus qu'il est devenu indispensable de refonder l'audiovisuel public pour en assurer la pérennité, en dépassant les clivages et en privilégiant l'intérêt des citoyens. Cette refondation doit être progressive, respectueuse des salariés et cohérente avec l'état de nos finances publiques. Les propositions que nous allons vous présenter ne sont ni de droite, ni de gauche, elles s'inspirent des meilleures pratiques européennes.

M. André Gattolin, co-rapporteur. - Oui, nous avons voulu présenter un projet global, systémique, afin de répondre dans la durée aux enjeux auxquels doivent faire face les sociétés de l'audiovisuel public. Nos propositions forment donc un tout et nous vous invitons à replacer chacune d'entre elles dans cette cohérence globale pour en apprécier la pertinence. Afin de tenir compte des réalités politiques, nous avons pris en compte le contexte, qui fait qu'une réforme d'ampleur ne semble pas possible avant la prochaine élection présidentielle. C'est pourquoi notre scénario prévoit trois étapes d'ici 2020.

La première étape pourrait être qualifiée d'étape de transition. En 2016 et 2017, nous proposons d'abord de stabiliser les ressources de l'audiovisuel public et de redonner de la prévisibilité aux entreprises, pour favoriser le retour à une situation financière plus saine. Nous actons le fait que la réforme de la CAP pourra intervenir dans un deuxième temps, en 2018, compte tenu du fait que son rendement est garanti dans les deux années qui viennent. Ainsi, pour faire face immédiatement à la dégradation de la situation financière de France Télévisions et de Radio France, et pour éviter de faire appel à l'endettement, nous proposons d'augmenter de 2 euros au-delà de l'inflation le montant de la CAP dans son format actuel en 2016 et en 2017, en contrepartie d'objectifs de réduction des dépenses, chiffrés année après année, définis dans les nouveaux COM. Certaines pistes sont évoquées dans notre rapport. Parallèlement, la suppression des dotations budgétaires à l'horizon de 2017 serait confirmée.

Afin d'apporter plus de stabilité financière aux entreprises de l'audiovisuel public et de cesser de « déshabiller Pierre pour habiller Paul », nous proposons la création d'une réserve de 150 millions d'euros qui serait constituée en début d'année sur la CAP et viendrait en minoration des sommes réparties annuellement entre les entreprises, pour répondre aux aléas et inciter aux mutualisations, en encourageant financièrement les initiatives communes. Les crédits non consommés seraient reversés en fin d'année sur des critères de performance.

La deuxième étape interviendrait en 2018 et 2019, afin de jeter les bases d'un nouveau modèle de financement fondé sur une double réforme : celle de la CAP et celle de la publicité. La réforme de la CAP la transformerait en une contribution forfaitaire universelle, sur le modèle de l'Allemagne, qui a effectué cette réforme depuis deux ans, et de la Suisse, qui l'a adoptée par référendum, afin de rétablir la justice fiscale et la neutralité technologique. Cette réforme pourrait être prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018. Elle aurait pour conséquence d'intégrer parmi les redevables plus d'un million de foyers qui ne payent pas aujourd'hui la CAP et de garantir son rendement, qui ne serait plus dépendant du taux d'équipement en téléviseurs. Cette réforme permettrait mécaniquement d'augmenter son produit de l'ordre de 150 millions d'euros, étant précisé que nous estimons par ailleurs que celle-ci nécessite préalablement une remise à plat des conditions actuelles des dégrèvements et exonérations qui pèsent sur le budget général, notamment en ce qui concerne la limite d'âge. Nous proposons que ces ressources supplémentaires soient utilisées pour repenser la place de la publicité sur le service public. Une baisse du montant de la CAP pourrait aussi être envisagée, sur le modèle de ce que souhaite faire la Suisse.

M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - Là encore, nous avons voulu sortir du débat qui oppose les tenants de la suppression de la publicité sur le service public - dont je fais partie - à ceux de son maintien, voire de son extension. Nous reconnaissons que la suppression totale de la publicité, qui serait souhaitable, n'est sans doute pas possible financièrement, puisqu'elle nécessiterait de trouver environ 380 millions d'euros de recettes de substitution ou d'économies dans les dépenses des sociétés. Nous proposons donc une suppression partielle, qui ne serait plus fondée sur un critère quantitatif, distinguant avant vingt heures et après, mais sur un critère qualitatif. Seraient ainsi évités les messages publicitaires pour des produits ou des services qui ne seraient pas compatibles avec la protection de la santé et de l'environnement. Il s'agirait par exemple de favoriser les publicités en faveur des voitures hybrides et électriques plutôt qu'en faveur du diesel et de l'essence, des légumes et des fruits plutôt qu'en faveur des produits transformés industriels, et des investissements dans les économies d'énergie plutôt que dans la climatisation.

La France accueillera dans quelques semaines la 21e conférence des parties (COP 21) à la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique avec un message essentiel : il faut changer nos modes de vie et nos habitudes de consommation. Nous proposons d'intégrer cette priorité politique dans les valeurs du service public de l'audiovisuel et, plus généralement, de réduire le temps global de la publicité. Une publicité raisonnable pourrait subsister et même être rétablie en soirée après vingt heures, mais le nombre de minutes serait globalement réduit et l'on pourrait également prévoir une interdiction totale lors des émissions destinées à la jeunesse - c'est l'objet d'une proposition de loi déposée par André Gattolin. Selon nos estimations, ce nouveau régime de la publicité pourrait se traduire par une baisse de chiffre d'affaires d'environ 100 millions d'euros, qui serait compensée par la hausse du produit de la CAP réformée. Les annonceurs de Radio France seraient choisis selon les mêmes critères, sans conséquence sur le chiffre d'affaires compte tenu de son régime restrictif actuel.

Enfin, nous sommes convaincus qu'il faut engager un rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public qui doit commencer par une meilleure coordination de leurs projets. Aujourd'hui par exemple, les contrats d'objectifs et de moyens (COM) ne sont pas synchronisés, ce qui signifie qu'ils ne prévoient aucune mutualisation des dépenses, chaque entreprise étant considérée individuellement. Nous proposons qu'ils le soient. Les COM étant liés aux mandats des présidents, nous proposons également de faire converger ces mandats. Ceux qui arriveraient à terme d'ici là ne seraient renouvelés ou prolongés que pour la durée restant à courir jusqu'à la mise en oeuvre de la troisième étape.

Celle-ci interviendrait en 2020, avec le rapprochement des sociétés de l'audiovisuel public au sein d'un même groupe, que nous proposons d'appeler « France Médias ». Ce rapprochement favoriserait les mutualisations, la polyvalence du personnel, le développement d'une marque commune et les investissements dans le numérique. Il dégagerait aussi des économies, à travers la mise en commun des fonctions support. Nous proposons qu'une mission de préfiguration étudie l'ensemble des questions liées à la mise en place de « France Médias », en particulier sa forme juridique.

La création de ce nouveau groupe est indispensable pour rénover profondément la gouvernance de l'audiovisuel public. Nous proposons que le nouveau président de « France Médias » soit nommé par l'organe délibérant du nouveau groupe, où ne siègeraient plus les représentants des ministères de tutelle. L'État ne serait représenté que par l'Agence des participations de l'État (APE) au nom de l'État actionnaire. Le conseil délibérant serait composé de personnalités issues du secteur public et choisies pour leur expertise, ou de personnalités issues du secteur privé ayant une véritable culture de l'entreprise, tout en veillant à leur indépendance et en proscrivant les conflits d'intérêts.

Bref, nous proposons de couper le lien de dépendance et de subordination qui fait que les présidents des sociétés de l'audiovisuel public ne sont pas responsabilisés et se cantonnent souvent à demander en permanence des moyens nouveaux et à retarder les réformes. Dans ce nouveau modèle, c'est l'organe délibérant de « France Médias » qui répartirait la CAP entre ses filiales et non l'État. C'est également lui qui nommerait les dirigeants des filiales. Au terme de ces trois étapes, c'est un nouveau modèle de l'audiovisuel public qui serait ainsi refondé sur des bases solides. Nous avons souhaité vous présenter une approche globale et systémique afin de garantir la solidité du projet. J'ajoute que le rapprochement que nous proposons reflète des évolutions observées dans de nombreux pays européens, l'Espagne et la Suisse l'ayant réalisé ces dernières années. Le rôle de notre assemblée est aussi de proposer des idées ambitieuses pour aider notre pays à avancer et à ne pas rester prisonnier des schémas du passé. Il ne s'agit pas de rejouer le débat sur l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), qui appartient bien au passé. Aujourd'hui, le service public ne compte que pour un quart de l'audience face aux médias privés et Internet menace de réduire encore cette influence. Il y a donc urgence à envisager des solutions nouvelles et surtout à donner une fois pour toutes son indépendance à notre audiovisuel public.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. - Merci pour cette présentation exhaustive de propositions fortes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Merci pour cette présentation très complète. Vous proposez des solutions globales. Certains de vos constats font écho à ceux que nos rapporteurs spéciaux ont pu formuler : nécessité de procéder à des mutualisations entre les chaînes, et parfois même en leur sein, évolution de leur masse salariale, érosion prévisible de la base de la CAP. Vous n'avez pas évoqué, en revanche, la question des salaires de certains cadres qui sont pourtant sans emploi. Que pensez-vous du nombre de chaînes ? L'audience moyenne de France 4, par exemple, est de 1,4 %. Selon Médiamétrie, certaines de ses émissions ont une audience de zéro, c'est-à-dire qu'elles touchent moins de cinq mille foyers ! Vous n'avez pas évoqué les chaînes d'Outre-mer, ou la multiplicité des journaux télévisés de France 3. La France n'a-t-elle pas trop de chaînes publiques ? Pour obtenir une rationalisation des dépenses, le meilleur moyen est-il d'augmenter la CAP ? Nous voyons bien, dans les collectivités territoriales, comment le fait d'être mis au pied du mur, comme nous le sommes avec la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF), contraint à réaliser des économies réelles. Pourquoi France Télévisions serait-elle exonérée de tels efforts de réforme ? Le meilleur moyen pour y parvenir ne consiste-t-il pas à devoir s'adapter à une diminution des ressources ?

M. David Assouline. - Voilà un débat d'actualité. Merci aux rapporteurs pour leur travail. Les propositions qu'ils formulent, toutefois, sont de nature politique et dépassent le cadre de la mission de contrôle financier qui leur était confiée. En préconisant une fusion, sur le modèle de la BBC, ils souhaitent transformer complètement le paysage audiovisuel français. Je laisserai de côté cet aspect de leur présentation, qui me semble insuffisamment étayé, pour me concentrer sur les résultats de leur contrôle financier.

Ils nous présentent la grande difficulté financière de l'audiovisuel public sans la dater. Or, notre dernier débat animé sur le sujet remonte à la loi qui a supprimé la publicité après vingt heures. Y avait-il alors un problème financier ? Au contraire ! Après des difficultés au début des années 2000, la situation s'était stabilisée autour de deux sources de financement, la publicité et la redevance, qui assuraient l'indépendance vis-à-vis du monde commercial comme de l'État. La situation était saine. La suppression de la publicité a ôté plusieurs centaines de millions d'euros à France Télévisions, suscitant une violente déstabilisation. Jean-François Copé avait alors déclaré que, « lui vivant », la redevance n'augmenterait pas d'un euro. L'État devait remplacer les ressources publicitaires par des taxes sur la publicité, qui allait fuir vers les chaînes privées. Celles-ci ont protesté, en partie à juste titre, car si elles ont bénéficié de cette manne, une partie des recettes a migré vers Internet. Bref, l'on n'a pas trouvé l'argent. Une taxe sur les télécoms fut créée, qui a été contestée à Bruxelles avant d'être pérennisée car déclarée conforme au droit communautaire. Mais l'État pouvait toujours décider de ne pas reverser cet argent à France Télévisions. Sans la publicité, le seul canal direct de financement demeure la CAP. Ne pas l'augmenter, tout en supprimant la publicité, a créé un chaos dont nous gérons encore les conséquences.

Je soutiens votre proposition d'augmenter la CAP de deux euros en plus de l'inflation. Il ne s'agit que de quelques centimes par mois, et cette hausse est indolore, comme l'a montré l'absence de protestation lors des dernières hausses. Les cinquante millions d'euros supplémentaires de produit règleront en partie les problèmes de déficit structurel.

Le service public devrait pouvoir diffuser du sport, notamment lorsque l'équipe de France joue. Or France Télévisions ne peut plus acheter un seul match après vingt heures. Pourtant, les publicités sont visibles sur les terrains : on accepte donc que les sponsors gagnent de l'argent, mais pas la chaîne qui diffuse le match ! Douze matches de l'Euro ont échappé à l'audiovisuel public, ce qui est un scandale ! L'Euro se joue en France, et le sport gratuit ne se trouve que sur France Télévisions. Nous pourrions autoriser la publicité pendant les mi-temps, ce qui règlerait ce problème.

Bref, l'origine des difficultés actuelles est la réforme de 2009. Or, en face du secteur privé contrôlé par les Bouygues et autres Bolloré, il faut un pôle public stable.

M. Éric Bocquet. - Il a raison !

M. Bruno Retailleau. - Je salue le travail des deux rapporteurs. Ils envisagent une réforme systémique en plusieurs étapes. Je ne puis approuver cependant l'augmentation de la CAP qu'ils proposent. Mieux vaut réfléchir à son universalisation, puisque chaque foyer compte désormais cinq, six ou sept écrans... C'est prendre les choses à l'envers que de proposer une augmentation de la redevance sans s'interroger au préalable sur le périmètre du service public, au moment où Delphine Ernotte propose la création d'une nouvelle chaîne d'information, alors que de nombreuses chaînes ne trouvent pas leur audience, et que les sources d'économies sont nombreuses.

Nous devons comparer le coût d'une heure d'antenne dans le public et dans le privé, par exemple, avant de recourir à la facilité que représente l'augmentation d'une taxe. La création d'un groupe unifié, « France Médias », peut constituer une source importante d'économies. Au moment où chaque organisation publique, notamment les collectivités territoriales, doit faire des économies, nous devons commencer par nous interroger sur des réformes structurelles : nombre de chaînes, système de production, types de contrats... Je n'avais pas voté la taxe dite Copé, et je m'oppose à son relèvement de 0,9 % à 1,2 %. On ne peut à la fois demander aux opérateurs de mener le grand chantier de la fibre et du haut débit pour réduire la fracture numérique et les lester de semelles de plomb !

M. Roger Karoutchi. - La hausse de la redevance est une absurdité ! En ce moment, les Français sont saturés d'impôts et de taxes. France 2, France 3, France 4, France 5, Arte, l'Outre-mer, bientôt une chaîne d'information en continu, le tout pour un public réduit, n'est-ce pas trop ? Surtout, où est la mission de service public ? Certains jeux, certaines émissions de téléréalité, certaines séries ou certains films diffusés sur les chaînes publiques sont strictement identiques à ceux que l'on trouve sur les chaînes privées. La mission de service public, cela a un sens. Peut-être faudrait-il recentrer nos chaînes publiques sur ce sens, et les sortir d'un certain mimétisme avec les chaînes privées. La diversification à tout-va est trop coûteuse. Avant de se demander comment financer, il faudrait se demander ce qu'on veut financer.

Mme Corinne Bouchoux. - La proposition n° 4.2 visant à interdire la publicité dans les plages horaires consacrées aux programmes destinés à la jeunesse a-t-elle fait l'objet d'un consensus entre les deux rapporteurs ? La proposition n° 9 qui a pour objectif de renforcer la transparence et le contrôle des prestations réalisées par les producteurs indépendants pour les chaînes publiques vise-t-elle les situations incestueuses où des anciens d'une chaîne deviennent producteurs, ou les relations familiales liant certains producteurs et certaines directions de chaînes ? Avez-vous réfléchi à ce qu'est la qualité du service public, qui devrait se rapprocher davantage de celle d'Arte que de celle de TF1 ?

M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - L'augmentation temporaire de la CAP, que nous proposons, n'est certes pas politiquement correcte dans le contexte actuel de nos finances publiques. Nous n'y étions d'ailleurs pas favorables, puisque nous considérons qu'il faut mieux maîtriser les dépenses de l'audiovisuel public et contraindre les sociétés concernées, en diminuant leurs ressources, à participer à l'effort de maîtrise des comptes publics. Nous proposons toutefois une hausse temporaire, à contrecoeur, car cela nous paraît indispensable au vu de la gravité de leur situation financière, qu'il serait sans cela impossible de redresser à court terme. Il s'agit d'une mesure réaliste et responsable, qui donnera à court terme un peu d'oxygène à ces sociétés. Actuellement, étant donné leur inertie, elles sont incapables de réagir assez rapidement à la situation. En deux ans, France Télévisions a accumulé un déficit de 200 millions d'euros, et le besoin de financement de Radio France pour la période 2015-2019 se monte à 170 millions d'euros. Aussi avons-nous inscrit nos propositions de réforme dans un calendrier à moyen terme, comprenant trois étapes. Autrement, il faudrait envisager une réduction des périmètres et des licenciements dès 2016 !

France Télévisions et Radio France ont lancé des plans de départs volontaires pour réduire leurs effectifs. Ils doivent sans doute être amplifiés. Quoi qu'il en soit, ces plans représenteront d'abord un coût net. Sauf à réduire les investissements dans la création, la seule source d'économies véritables réside dans le rapprochement des structures, qui sera long à mettre en oeuvre. Les économies les plus faciles ont déjà été faites par France Télévisions dans le cadre du plan lancé en 2012. Nous devons donc poser la question du périmètre des chaînes, ainsi que celle du réseau de France 3. La hausse provisoire de la CAP serait conditionnée à des efforts importants de réduction des dépenses définis dans les nouveaux COM. L'augmentation du taux de la taxe sur les télécoms envisagée par le Gouvernement pourrait rapporter de l'ordre de 150 millions d'euros sur deux ans, soit un montant proche de ce que dégagerait la hausse de la CAP. Pour autant, nous n'y sommes pas favorables, car elle renouerait avec une budgétisation de l'aide à France Télévisions : cette ressource serait probablement inscrite au budget général avant de faire l'objet d'une dotation à l'audiovisuel, ce qui fragiliserait sa pérennité. De plus, elle serait répercutée aux consommateurs. Enfin, elle obérerait les capacités d'investissement des opérateurs.

Dans une deuxième étape, nous proposons une réforme de la CAP pour stabiliser enfin son produit. Son extension à un million de foyers compensera la baisse probable des recettes publicitaires. La troisième étape consiste à refonder un grand groupe audiovisuel public, nommé « France Médias » pour mutualiser les ressources et les talents. Enfin, monsieur le rapporteur général, c'est moins France 4 que France Ô qui souffre d'un audimat presque nul.

M. André Gattolin, rapporteur. - France 4 représente 1,6 % d'audience.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Il y a des émissions à 0 % pour cent d'audience.

M. André Gattolin, rapporteur. - Nous n'avons pas procédé à un audit complet des sociétés et ne pouvons donc guère en dire plus sur le salaire des cadres. Les plans de départs volontaires mis en place à France Télévisions ont des conséquences parfois paradoxales et pas toujours rationnelles : aujourd'hui, ceux qui partent sont des salariés plutôt jeunes, aux compétences utiles, qu'il faut ensuite remplacer en réembauchant ! À TF1, la réduction de 12 % de la masse salariale s'est faite sans plan social, mais au cas par cas, en étudiant, pour chaque salarié, les conditions de départ et les possibilités de requalification.

France Télévisions connaît un problème de gestion des ressources humaines : elle répond aux sollicitations des politiques en organisant de grands plans de départ. Mais avec la mise en place de l'entreprise unique, des gens ont touché rétroactivement des chèques considérables sans même l'avoir demandé ! La question des cadres relève de cette problématique plus vaste de gestion des personnes. Il faudrait être plus précis sur les incompatibilités : il n'est pas acceptable de voir un directeur des programmes devenir aussitôt après son départ directeur d'une entreprise privée de production prestataire de la chaîne, avec des contrats parfois signés ou décidés par la même personne des deux côtés.

De façon générale, les COM sont trop développés ; nous proposons de suivre le rapport Schwartz sur cette question. Sur 70 pages, seules deux pages et demie concernent les relations avec les producteurs privés. Or, cela représente un poste de dépenses supérieur à celui de la masse salariale de France Télévisions. Il faudrait au minimum établir des normes comparables à celles établies par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour les devis de production cinématographique.

Madame Bouchoux, nous avons voté dans la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public du 15 novembre 2013 une disposition visant à permettre aux chaînes du public de détenir des parts de coproduction, pour favoriser un meilleur intéressement aux droits audiovisuels, mais le décret d'application, venu plus d'un an et demi après le vote de la loi, après moult négociations avec les producteurs, en a donné une interprétation si restrictive que cela la vide de son sens. Il y a d'autres modèles que le modèle français fondé sur la redevance et la publicité, Monsieur Assouline : certains s'appuient sur des ressources propres bien supérieures grâce à la revente des productions. Lorsque le public finance une production, il doit avoir un retour sur investissement. Or aujourd'hui, des coproducteurs ayant financé 4 % ou 5 % des coûts touchent 90 % ou 95 % des droits d'exploitation !

Quant au périmètre, la proposition de Delphine Ernotte de créer une nouvelle chaîne d'information continue, même sur Internet, a-t-elle un sens ?

M. David Assouline. - Oui !

M. André Gattolin, rapporteur. - Je n'ai pas d'avis définitif sur cette question. Mais je crois plus dans le développement d'applications qu'en une chaîne linéaire. La délinéarisation sera le principal vecteur d'attraction des jeunes envers le service public. Le coût de France 4 et ce qu'elle rapporte sont en décalage, voyons ce que proposera la nouvelle direction. La suppression de France Ô, qui a eu 0,6 % d'audience moyenne en 2014, représenterait une économie de 10 millions d'euros : ce n'est pas la panacée, même s'il faut sans doute vérifier ces chiffres, donnés par France Télévisions.

Enfin, notre proposition d'interdire la publicité autour des émissions pour les enfants a pour but de protéger les publics les plus fragiles. Le service public doit montrer l'exemple. David Assouline a raison à propos des écrans de mi-temps lors de la diffusion de matchs.

M. Alain Vasselle. - Votre rapport contient-il un bilan chiffré d'ici 2020 avec une présentation annuelle ? Qu'entendez-vous par « publicité raisonnable » ? Ne nous faisons pas d'illusion sur ce que cela peut rapporter ; je crois plus à la mutualisation. La hausse de la redevance et des taxes est une fuite en avant. Si nous cherchons une solution de transition, je préfère passer par une dotation du budget général, pour donner un peu d'oxygène aux chaînes publiques, que par une augmentation de la redevance.

M. Éric Doligé. - Merci aux rapporteurs pour les informations et les propositions qu'ils nous fournissent. Combien est-on payé pour faire 200 millions d'euros de déficit ? Lorsqu'un nouveau président arrive, la première chose qu'il fait est de constater le déficit et de demander plus d'argent, puis, plutôt que de faire des économies, de créer une nouvelle chaîne... C'est étonnant. Nous allons dans le mur, avez-vous dit. Avez-vous analysé la possibilité de supprimer une chaîne : combien cela coûte-t-il ? Est-ce une option ?

M. Philippe Dominati. - Ce rapport permet de relancer un débat bienvenu. Cela me rappelle la discussion de la loi Copé, que je n'avais pas votée, car elle n'abordait pas le coeur du problème : le périmètre. À la lecture de vos propositions, reste le sentiment que si vous allumez votre poste, vous avez plus de chaînes qu'il n'y a de boulangeries artisanales à Paris. Or nous ne donnons pas 4 milliards d'euros pour en augmenter ce nombre... Si la première étape est d'augmenter la taxe et la deuxième de stabiliser, vous savez que cette deuxième étape n'arrivera jamais. Il faut réduire drastiquement le périmètre.

M. Georges Patient. - Vous déclarez que supprimer France Ô représenterait une économie de 10 millions d'euros. Voulez-vous supprimer tout le système audiovisuel ultramarin ? Je vous rappelle que nous avions mis en place cette chaîne pour compenser l'absence totale de l'Outre-mer sur les chaînes nationales, et que les chaînes régionales sont très importantes.

M. Louis Duvernois. - Je suis sur la même longueur d'ondes que nos rapporteurs. C'est la première fois que l'on envisage de rapprocher toutes les sociétés de l'audiovisuel public, y compris extérieur - France Médias Monde, dont vous proposez de vous inspirer pour créer « France Médias ». C'est une nécessité urgente. Oui, l'heure est venue de redéfinir la notion d'audiovisuel public, et par conséquent son périmètre.

En tant que Français établi hors de France et administrateur de France Médias Monde, je me réjouis que, pour la première fois, la globalisation soit prise en compte de manière à internationaliser le national sans le diluer. Au conseil d'administration, je constate les problèmes que rencontre l'entreprise avec les ministères de tutelle. Je ne porte pas de jugement sur la qualité des personnes qui les représentent, mais ils ont une vision sectorielle et non transversale. Votre proposition de ne nommer qu'un seul représentant pour l'actionnaire unique qu'est l'État est bienvenue. Cela n'empêcherait naturellement pas les ministères de s'exprimer en amont.

France 24, que peu de Français connaissent, souhaite être diffusée sur le territoire national, mais est bloquée par le CSA. Les Français, qui la financent, ont le droit de la regarder. A la proposition de Delphine Ernotte de créer une nouvelle chaîne, je préférerais réorienter l'action de France 24 vers le national.

M. Patrick Abate. - Roger Karoutchi évoque l'exemple de la téléréalité sur les chaînes publiques ; il pose une question de fond : que voulons-nous voir à la télévision publique ? Or ce rapport ne s'en préoccupe pas ; il entre dans le sujet par la petite porte, celle du financement. Prudence ! Nous ne pouvons pas analyser la situation sans connaître l'histoire. Je partage la théorie du chaos de David Assouline. L'audiovisuel public a besoin de ses deux jambes pour marcher, redevance et publicité, mais nous ne devons pas nous interdire de recourir à une dotation de l'État, la question de l'indépendance restant entière. Certes, nous ne consacrons pas 4 milliards d'euros à augmenter le nombre de boulangeries artisanales, mais sans doute plus à aider, au titre de la solidarité nationale, nos concitoyens éprouvant des difficultés à subvenir à leurs besoins quotidiens. Si nous voulons un service public, il nous faut de l'argent public.

L'éthique de la publicité ne concerne pas que le service public. Si nous prenons au sérieux nos ambitions pour la COP 21, nous devons l'imposer aussi aux chaînes privées. Ce serait à l'honneur de la télévision française dans son ensemble. Il ne faudrait pas plomber encore plus les recettes des chaînes publiques. Nous sommes par ailleurs en faveur de la publicité sur les chaînes publiques, dont elle constitue, que l'on s'en plaigne ou non, l'un des modes de financement.

M. Michel Canevet. - Merci aux rapporteurs pour la diversité de leurs propositions. Il faudrait néanmoins approfondir la réflexion sur le périmètre. Les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 10 %. Avez-vous observé des différences statutaires qui rendraient une fusion des sociétés plus difficile, et dès lors plus coûteuse ? Avez-vous envisagé de faire entrer dans le périmètre les deux chaînes parlementaires ?

Mme Michèle André, présidente. - Avez-vous utilisé le rapport Brucy, auquel Jean-Pierre Leleux et moi-même avions été associés ? Il y aurait plus de cent personnes chargées de contrôler si les contribuables ont ou non une télévision : est-ce une légende ?

M. André Gattolin, rapporteur. - Nous avons en effet utilisé le rapport Brucy, qui présente des pistes excellentes. Ce sont 181 personnes qui sont actuellement affectées au contrôle. Pour la CAP, nous optons pour le système universel à l'allemande, car le rapprochement de sa perception avec celle de la taxe d'habitation ne suffit pas.

Je suis d'accord avec Louis Duvernois sur France Médias Monde : nous avons une chaîne d'information continue d'une grande dimension internationale et créant une plus-value importante grâce à ses reportages ; nous pourrions imaginer d'en réaliser une déclinaison plus nationale. France Télévisions a plus de dépenses que prévu. La négociation se poursuit sur la fusion entre RFI, cette vieille dame de soixante-dix ans, et France 24, cette start-up de l'information. Nous en avons discuté avec Marie-Christine Saragosse et Victor Rocaries, le directeur général délégué de France Médias Monde : la réduction des coûts qu'ils ont réussi à obtenir depuis 2011 est intéressante.

Le montant des économies qu'une suppression de France Ô permettrait, n'est pas considérable. À aucun moment il n'a été question de remettre en cause les antennes locales ultramarines. France Ô devait valoriser la présence sur le territoire national de nos concitoyens d'Outre-mer, mais son audience est faible ; peut-être serait-il plus efficace de poursuivre le même objectif sur des canaux qui ont une audience supérieure. La vraie économie est à rechercher du côté de France 3, dont les seules antennes régionales regroupent 3 400 équivalents temps plein. Nous proposons de les réorganiser selon les nouvelles régions, avec une possibilité de décrochages et d'antennes locales. C'est déjà le cas en Rhône-Alpes-Auvergne. Dans un petit territoire ultramarin de moins de 6 500 habitants, l'antenne de France 3 compte 87 salariés dont 20 journalistes, soit un journaliste pour 320 habitants ! De même, France 3 Corse a des effectifs comparables à ceux de France 3 Île-de-France. Certaines équipes ont été constituées avec un objectif annuel de production ; l'objectif a été abandonné, mais les équipes restent...

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. - Nous avons cherché des solutions pérennes, capables de traverser les alternances et de ne pas susciter de débats frontaux comme par le passé. La structure des ressources de l'audiovisuel public français est différente de la moyenne européenne, où les recettes propres sont plus importantes. Le niveau intellectuel parfois faible de certaines émissions pose la question de la publicité, car c'est bien la recherche de l'audimat, en vue de la publicité, qui conduit les chaînes publiques à diffuser de tels programmes. Je partage la proposition 4.2. Nous avons voulu être réalistes et responsables.

Mme Michèle André, présidente. - Nos deux rapporteurs ont enrichi nos deux commissions par leur remarquable travail. Je ne doute pas que nous en autoriserons la publication.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Oui, grâce à un travail très approfondi et sans complaisance, les rapporteurs confortent le bien-fondé de l'audiovisuel public tout en soulignant les dysfonctionnements d'un système qui repose encore trop sur la culture de la dépense. Le mode de financement ne peut toutefois pas être détaché des autres questions : votre approche globale permet une mise en perspective bienvenue ; nous avons trop pris l'habitude de légiférer au coup par coup. Ainsi, dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, des collègues proposaient de supprimer certaines publicités, alors qu'une proposition de loi l'interdisant pour les programmes jeunesse nous sera bientôt présentée... Votre excellent rapport éclairera nos débats sur la loi de finances.

Je tiens à rappeler que la taxe sur les opérateurs, bien qu'affectée au budget général, devait être intégralement reversée à l'audiovisuel public, afin de compenser la fin de la publicité le soir ; si elle l'a été au début, ce n'est plus le cas ces dernières années. Il conviendrait d'en tenir compte, pour statuer sur les modalités à retenir pour la période transitoire avant la réforme de la CAP prévue pour 2018.

En 2009, la réforme de l'audiovisuel public a fusionné les 49 sociétés de France Télévisions ! Bruno Retailleau parle d'une source d'économies ; c'est aussi une source de lisibilité et d'efficacité, dans un monde globalisé. En effet, sans champion européen, sans société puissante, nous aurons du mal à répondre aux défis du monde numérique contemporain.

Les commissions de la culture et des finances autorisent la publication de la communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 10 h 40.

Coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement - Rapport pour avis de M. Dominique de Legge

La réunion est ouverte à 14 h 05

Puis la commission entend M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 695 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Les bâtiments de projection et de commandement (BPC) servent à la fois de porte-hélicoptères, d'hôpital, de transport de troupes, de mise en oeuvre de moyens d'assaut amphibie et enfin de commandement.

La marine nationale dispose de trois BPC de classe Mistral, produits par la société française DCNS et entrés en service entre 2006 et 2012.

En 2009, la Russie s'est déclarée désireuse d'acquérir de tels bâtiments.

Le 25 janvier 2011, un accord entre la France et la Russie est signé.

En conséquence, un contrat prévoyant la fourniture par DCNS de deux BPC est signé le 10 juin 2011 entre DCNS et une société russe. La livraison d'un premier BPC devait intervenir en novembre 2014 et celle d'un second BPC en novembre 2015. Une coopération avec les industriels russes était prévue ainsi que des transferts de technologie.

Le contrat comportait également une option pour la fourniture de deux autres BPC, qui auraient alors été construits en Russie mais auraient comporté pour environ 400 millions d'euros de matériel français.

Pour compléter ce contrat, la Russie a passé commande de la batellerie destinée à être emportée par les BPC, soit quatre chalands de débarquement et de deux engins de débarquement amphibie.

Au total, le prix devant être réglé par la Russie s'élevait à 1,2 milliard d'euros, dont 893 millions d'euros ont versés à titre d'avance à DCNS.

En raison de la crise ukrainienne, le Gouvernement français n'a pas délivré à DCNS l'autorisation d'exportation que celle-ci sollicitait pour pouvoir livrer les BPC.

La France et la Russie ayant décidé en février 2015 d'engager des négociations pour aboutir à un règlement négocié, deux accords intergouvernementaux ont été signés concomitamment le 5 août 2015 : un accord classique qui abroge l'accord de 2011, affirme la renonciation mutuelle à toute forme de recours entre les deux Gouvernements et reconnaît la pleine propriété des bâtiments à la « Partie française » ; l'accord sous forme d'échange de lettres sur le règlement, qui fait l'objet du présent projet de loi.

Ce dernier accord prévoit le versement par le Gouvernement français au Gouvernement russe de la somme de 949,7 millions d'euros à titre d'indemnité. Cette somme correspond pour 893 millions d'euros aux avances versées par la Russie au titre du contrat et pour le solde, soit 56,7 millions d'euros, à des frais exposés par la Russie. Il s'agit notamment de la formation des équipages et du développement de matériels spécifiques destinés aux BPC.

En contrepartie, la France se voit reconnaître la possibilité de revendre ces deux bâtiments, à condition que les matériels militaires russes qui y avaient été intégrés aient bien été restitués à la Russie et sous réserve d'en informer préalablement cette dernière. Selon l'annonce du Président de la République du 23 septembre dernier, les deux BPC devraient ainsi être rachetés par l'Égypte.

Par ailleurs, l'accord interdit la cession des technologies partagées dans le cadre de l'accord de 2011.

Enfin, il comporte une clause d'exonération de responsabilité à l'égard des tiers, privant ceux-ci de tout droit à indemnisation.

Je ne reviendrai pas sur l'opportunité du choix du Gouvernement de ne pas autoriser l'exportation des BPC, nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie au fond, ont étudié cette question et se sont prononcés sur le texte. Je note simplement que l'accord trouvé cet été avec la Russie a le grand mérite de mettre fin à une affaire au coût diplomatique certain et qui présentait des risques financiers très importants.

Il n'en demeure pas moins que le Gouvernement tend à enjoliver le bilan financier pour l'État et les industriels français, et que la procédure suivie est très contestable.

La totalité de l'indemnité prévue par l'accord passé avec la Russie, soit 949,7 millions d'euros, a été réglée à partir du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ».

Ce programme a ensuite bénéficié du rattachement de 893 millions d'euros par fonds de concours à la suite du reversement à l'État des sommes que DCNS avait reçues de son client.

Le Gouvernement indique que le solde, soit 56,7 millions d'euros, sera rendu au programme lors de la fin de gestion 2015.

J'en profite pour vous rappeler le débat que nous avons eu au début de l'été dernier sur les mesures budgétaires de fin de gestion qui touchent la mission « Défense » et le fait que nous vivons encore sous le régime des recettes exceptionnelles prévues par le projet de loi de finances pour 2015.

L'imputation budgétaire décidée par le Gouvernement est assez curieuse au regard de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : le versement d'une indemnité à un État étranger n'a rien à voir l'objet de la mission « Défense » et du programme 146. L'État n'a pas racheté les BPC, qui restent la propriété de DCNS, et ne les a pas affectés à la Marine nationale.

Outre les indemnités versées à la Russie, l'État doit également dédommager les industriels français, à travers la Coface.

La Coface, entreprise privée cotée, propose, pour le compte et avec la garantie de l'État, des polices d'assurance couvrant les risques à l'exportation des entreprises françaises. Elle perçoit à ce titre une rémunération de la part de l'État.

Dans ce cadre, DCNS et CNIM avaient souscrit une police d'assurance Coface afin de se prémunir le risque d'interruption du contrat, y compris du fait d'une décision étatique. La police couvre les coûts de construction et les frais occasionnés par la rupture du contrat, mais pas la marge perdue.

Ces préjudices ne sont en principe indemnisés qu'à raison de la quotité définie dans la police d'assurance, soit 95 %. L'État a décidé de porter cette garantie à 100 % pour les coûts de construction, la quotité garantie restant pour l'instant à 95 % s'agissant des frais exposés du fait de la non livraison des BPC.

Ces frais correspondent essentiellement à l'entretien et au gardiennage des BPC. Ils s'élèvent à environ deux millions d'euros par mois. S'y ajoutent les frais correspondant au démontage et à la restitution des matériels russes installés sur les bateaux.

En raison de l'absence de prise charge du bénéfice perdu, l'assureur et l'industriel doivent s'accorder sur le montant des coûts de construction et donc sur celui de la marge.

Aux dernières nouvelles, la différence d'appréciation entre la Coface et DCNS s'élève encore à environ 56 millions d'euros. Suivant l'issue des négociations, la marge non indemnisée, et donc la perte pour DCNS, pourrait varier entre 90 millions d'euros et 146 millions d'euros.

On notera que l'étude d'impact annexée au présent projet de loi explique laconiquement que l'accord avec la Russie « n'a pas de conséquence économique pour les industriels français, qui bénéficient d'une couverture de la Coface ».

Je voudrais dire à cet instant que nous avons eu beaucoup de mal à récupérer des informations auprès du Gouvernement. J'en veux pour preuve la lettre que j'ai reçue ce matin du secrétaire d'État en charge du budget et à qui j'avais demandé, au début du mois, quelques précisions. Il me répond qu'il a bien reçu ma correspondance, qu'il a prescrit un examen attentif du dossier et qu'il m'apportera une réponse dans les meilleurs délais. J'aurais apprécié d'avoir cette réponse avant demain.

Nous sommes en tout cas loin de la « perte zéro » annoncée par le Gouvernement.

L'autre point sur lequel le Gouvernement a fait une présentation tronquée de la réalité, ce sont les conséquences financières et budgétaires de l'indemnisation des industriels.

En effet, cette indemnisation pèsera sur l'État, ce que le Gouvernement s'est bien gardé de préciser dans sa communication et dans l'étude d'impact transmise au Parlement.

Pour bénéficier des garanties publiques gérées par la Coface, les entreprises concernées versent des primes venant abonder le compte « État » de la Coface, strictement séparé de l'actif propre de cette dernière. Les indemnités dues en cas de sinistre sont prélevées sur ce même compte qui doit conserver un encours suffisant pour couvrir les engagements souscrits par la Coface pour le compte de l'État.

L'encours du compte « État » de la Coface s'élevait au 31 décembre 2014 à 4,3 milliards d'euros. En cas de déficit ramenant cet encours à un niveau trop bas, l'État est appelé en garantie à travers le programme 114 de la mission « Engagements financiers de l'État » et abonde le compte du montant nécessaire. En cas d'excédent, un reversement peut être effectué au profit du budget général, constituant une recette non fiscale de l'État.

Ce compte fait partie du patrimoine de l'État et est retracé dans le compte général de l'État. Les indemnités versées aux industriels constituent donc bien une dépense pour l'État, d'un point de vue économique et financier.

Mais cette dépense n'est pas retracée dans le budget général qui, lui, ne prend en compte que le reversement d'un excédent du compte ou un appel en garantie en cas de déficit. Le compte sert en quelque sorte de tampon entre le régime des garanties publiques géré par la Coface et le budget général.

Sur le plan financier, l'indemnisation des industriels français devrait, selon des estimations encore provisoires, coûter environ 1 milliard d'euro à l'État en 2015.

Sur le plan budgétaire, la loi de finances pour 2015 prévoit dans les recettes non fiscales de l'État un reversement de la Coface de 500 millions d'euros.

Du fait de la rupture du contrat avec la Russie, la gestion 2015 des garanties publiques devrait être déficitaire d'environ 200 millions d'euros. Il n'y aura pas d'appel en garantie car l'encours sur le compte reste suffisant, en revanche aucun reversement ne sera réalisé au profit de l'État. Par rapport aux prévisions, l'indemnisation des industriels contribuera donc à aggraver le déficit budgétaire de l'État en 2015 de 500 millions d'euros, qui s'ajoute à la part de l'indemnité versée à la Russie qui reste à la charge l'État. L'effet négatif sur le solde budgétaire 2015 devrait donc être de l'ordre de 556,7 millions d'euros.

Il faut se réjouir de la vente rapide des BPC à l'Égypte, qui s'effectue à un prix raisonnable. En revanche, on ne souscrire à l'idée que cette revente permettrait de réaliser une « opération blanche », contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement.

Le jour de l'annonce de la vente, le porte-parole du Gouvernement a indiqué : « je vais réfuter totalement ce qui a été annoncé par certains, qui consisterait à dire qu'il y aurait là une perte qui serait liée à cet accord ».

Je vous rappelle que la France a tout de même échangé un contrat de 1,2 milliard d'euros contre un contrat de 950 millions d'euros. Nous supportons en outre 56 millions d'euros d'indemnité versés à la Russie, le coût d'entretien et de « dérussification » des bateaux.

L'État ne récupérera via Coface qu'au maximum 850 millions d'euro grâce à la revente des BPC car le prix de la formation des marins et des quatre années de maintenance prévues au contrat revient à DCNS. La perte totale pour l'État pourrait donc être de l'ordre de 250 millions d'euros.

L'issue de cette affaire est suffisamment favorable par rapport aux risques encourus pour que le Gouvernement ne cherche pas à occulter les coûts réels pour l'État et le préjudice effectivement subi par les industriels français.

Sur le plan de la procédure, je voudrai appeler votre attention sur l'article 53 de la Constitution, qui dispose notamment que les engagements internationaux qui « engagent les finances de l'État [...] ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ».

L'accord sur lequel porte le présent projet de loi engage bien les finances de l'État en prévoyant le versement par la France de 949,7 millions d'euros à la Russie. L'exposé des motifs du présent projet de loi précise d'ailleurs que « cet accord est soumis au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution ».

Le même article 53 de la Constitution dispose que les accords devant être soumis au Parlement « ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés ». Or l'accord dont on nous demande d'autoriser l'approbation prévoit une entrée en vigueur à la date de signature, c'est-à-dire le 5 août.

Cette entrée en vigueur immédiate est confirmée par l'étude d'impact qui indique que « le présent accord a été signé à Moscou le 5 août 2015 et est entré en vigueur à la date de sa signature », sans que le Gouvernement ne relève de contradiction dans le fait de soumettre au Parlement un accord censé avoir déjà pris effet.

La question de savoir si le Parlement peut régulièrement approuver un tel accord reste ouverte. Qu'aurait décidé le Conseil constitutionnel s'il avait été saisi préalablement au titre de l'article 54 de la Constitution ? Que déciderait-il, si, le présent projet de loi ayant été adopté, il était saisi a posteriori au titre de l'article 61 de la Constitution ? L'adoption du présent projet de loi aurait-il pour effet de valider rétroactivement cette entrée en vigueur prématurée ?

Je rappelle que nous avons réglé à la Russie la somme convenue le jour même de la signature des accords. En cas de vote défavorable du Parlement, je vois mal la Russie nous restituer les 949,7 millions d'euros qu'elle a perçus.

Je m'interroge sur le fait qu'un comptable public ait accepté de procéder à ce paiement sur le fondement d'un accord international qui ne pouvait constitutionnellement pas produire d'effets de droit.

On ne peut que regretter que le Gouvernement ait choisi de régler une affaire aussi sensible par des moyens dont la sécurité juridique est aussi douteuse et de placer le Parlement devant le fait accompli.

C'est pourquoi je ne vous proposerai pas de donner un avis favorable à ce projet de loi car cela créerait un précédent et reviendrait à entériner une procédure qui viole l'article 53 de la Constitution et amoindrit les pouvoirs du Parlement.

En revanche, le sens des responsabilités et de l'intérêt national qui nous anime tous m'empêche de recommander un avis défavorable. Je vous propose donc que la commission des finances s'en remette à la sagesse du Sénat.

À titre personnel, je m'abstiendrai en séance publique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son analyse, qui démontre que le sujet est plus complexe que ne laisse penser son traitement dans la presse. Le comptable public a bien procédé au paiement ?

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Je vous le confirme.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Pouvez-vous préciser sur quel compte et sur quel exercice la perte sera constatée ?

M. Jacques Genest. - Je ne suis pas aussi angélique que le Gouvernement. Je pense que cette affaire laissera des traces. La parole de la France a été mise en doute, ce qui risque de fragiliser nos industriels.

La méthode employée témoigne par ailleurs d'un profond mépris du Parlement.

S'agissant de la perte, votre évaluation tient-elle compte des coûts éventuels d'une mise aux normes des bateaux ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son analyse et son appel à la sagesse. S'agissant d'un accord qui nous est soumis a posteriori, le rôle du législateur est nécessairement limité. On peut s'interroger sur la procédure qui a été utilisée.

Pour autant, il s'agit certainement d'un moindre mal même si l'aspect financier n'est pas forcément aussi bénéfique que certains ont pu le dire.

Je suivrai donc l'appel à la sagesse de notre rapporteur pour avis.

M. Richard Yung. - Je ne partage pas l'approche de notre rapporteur pour avis. Je soutiens pleinement cet accord.

Mes chers collègues, je vous trouve très pointilleux concernant la méthode. Hier soir, lors du débat concernant les recettes propres de l'Union européenne, il s'agissait bien de valider une décision prise il y a plus d'un an pour un montant qui représente plusieurs milliards d'euros - et personne ne s'en est offusqué. C'est la logique de la Cinquième République.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - On s'en va alors ?

M. Richard Yung. - Il fallait trouver une solution. Pour la France, tenir sa parole, c'était avant tout respecter la décision du Conseil européen.

Cela étant dit, je pense que l'ordre de grandeur du rapporteur spécial concernant la perte - une centaine de millions d'euros - est le bon.

La principale incertitude réside dans la discussion tendue qui se poursuit entre la Coface et le groupe DCNS concernant l'indemnisation d'une partie de la marge.

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler qu'au produit de la vente à l'Égypte s'ajoutera sans doute un contrat de maintenance en condition opérationnelle, pour un gain supplémentaire compris entre 70 et 90 millions d'euros.

Je voterai donc en faveur du projet de loi.

M. Maurice Vincent. - Je remercie le rapporteur pour la clarté de ses explications. J'invite nos collègues de l'opposition à aller au-delà de l'abstention.

Sur le plan économique, compte tenu des circonstances et de l'ampleur des enjeux, la solution trouvée est en effet satisfaisante. Le Gouvernement a très bien travaillé.

M. Michel Bouvard. - Tout d'abord, je regrette la décision de ne pas respecter le contrat tel qu'il était initialement prévu, ce qui aura sans doute des conséquences sur la passation de futurs contrats.

Le dénouement est toutefois satisfaisant, à défaut d'être totalement heureux. La solution consistant à vendre à l'Égypte était sans doute la meilleure car elle ne nécessite que des adaptations mineures, dont le coût est limité.

Après avoir dénoncé le contrat, il n'aurait pas été opportun de refuser un accord avec la Russie qui permet de renouer des relations normales avec ce pays dont l'Europe - et plus particulièrement la France - a besoin. En comparaison avec nos voisins européens, il faut rappeler que le secteur financier français est très impliqué en Russie.

Il faudra toutefois être vigilant concernant le dénouement des négociations avec la Coface, dont une partie des activités doit être transférée à la Banque publique d'investissement.

Je ne peux donc que souscrire à l'analyse de sagesse de notre rapporteur spécial.

M. Bernard Lalande. - Je suis très satisfait du rapport qui vient de nous être présenté. Quand on ne respecte pas un contrat, des pénalités sont toujours prévues. En l'espèce, l'intérêt supérieur de la France était de ne pas respecter ce contrat compte tenu de la situation en Crimée et en Syrie. Les choix diplomatiques et militaires d'un pays ne peuvent être subordonnés à des considérations économiques. Dans cette affaire, le dénouement semble heureux pour tout le monde.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - On revient de loin. Tout le monde le reconnait. Certains avaient chiffré la perte à plus de 2,4 milliards d'euros.

La situation des industriels est relativement préservée, ce qui constitue un point important dans la situation actuelle. Il faut également se féliciter de la rapidité des négociations pour trouver un nouvel acquéreur.

Toutefois, notre relation avec la Russie est fragilisée. Par ailleurs, l'accord trouvé n'est pas si confortable qu'on veut bien le dire sur le plan financier.

Aussi, il faut se rallier à la proposition d'abstention de notre rapporteur.

M. Jean-Claude Requier. - Je continue de m'interroger : fallait-il vendre les bateaux à la Russie ? La réponse est complexe, compte tenu tant de l'impact négatif de l'embargo sur notre économie que du risque que la Russie se détourne de notre continent.

S'agissant du projet de loi, je pense que la majorité du groupe RDSE s'abstiendra.

M. Dominique de Legge. - Pour répondre à la question du rapporteur général, il faut distinguer l'impact financier et l'impact budgétaire.

S'agissant de l'impact financier, il peut être estimé à 1,1 milliard d'euros en 2015. En 2016, l'État bénéficiera toutefois du produit de la vente à l'Égypte, soit entre 850 et 900 millions d'euros. Au total, le coût pour l'État est donc compris entre 200 et 250 millions d'euros.

S'agissant de l'impact budgétaire, il peut être estimé au total à 556 millions d'euros pour l'exercice 2015.

Concernant la mise aux normes, le coût financier devrait être assez faible. Les normes électriques égyptiennes et russes sont très proches.

Nous resterons vigilants sur les discussions en cours entre la COFACE et le groupe DCNS.

Plus généralement, si cet accord a le mérite d'exister, il faut rappeler qu'il ne s'agit pas d'une bonne opération financière pour le budget de la France - même en prenant en compte la vente à l'Égypte.

L'abstention se justifie par la volonté de ne pas créer un précédent.

À l'issue de ce débat, la commission émet un avis de sagesse sur l'adoption du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.

Politique des territoires - Nomination d'un rapporteur spécial

La commission nomme M. Bernard Delcros rapporteur spécial sur la mission « Politique des territoires ».

Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire - Désignation d'un sénateur

La commission soumet au Président du Sénat la candidature de M. Bernard Delcros comme membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire.

La réunion est levée à 14 h 47

Nomination du Gouverneur de la Banque de France - Audition de Mme Jézabel Couppey-Soubeyran et de MM Jean-Claude Magendie, Jean Maïa et Jean-Claude Trichet

La séance est ouverte à 16 h 07.

Mme Michèle André, présidente. - En application de l'article 13 de la Constitution, les commissions des finances des deux assemblées sont aujourd'hui appelées à rendre un avis sur le candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de Gouverneur de la Banque de France. Eu égard à l'importance d'une telle nomination, tant pour la vie économique française qu'européenne, il nous a semblé utile de consulter différentes personnalités susceptibles d'apporter à notre commission un éclairage sur les enjeux juridiques voire économiques se rattachant à cette fonction : Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris et ancien membre de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Jean Maïa, directeur des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, et Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), Gouverneur honoraire de la Banque de France, président du Comité d'éthique professionnelle de la Banque centrale européenne.

Jézabel Couppey-Soubeyran nous exposera les objections qui peuvent être soulevées à l'encontre de la nomination d'une personnalité issue du secteur bancaire au poste de Gouverneur de la Banque de France.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran, maître de conférences à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. - Merci de donner suite à la lettre ouverte que nous vous avons adressée, avec Laurence Scialom et Anne-Laure Delatte, soutenus par 150 collègues économistes et personnalités de la société civile. Nous y appelions l'attention sur le caractère très inquiétant de la proposition de nommer un ancien banquier au poste de Gouverneur de la Banque de France et sur la nécessité de préserver, autant que possible, l'indépendance des banques centrales et des autorités de supervision vis-à-vis du secteur bancaire et financier.

Nous dénonçons le risque de conflit d'intérêts - notion mal comprise -, non en raison de liens personnels ou financiers que M. Villeroy de Galhau a coupés, c'était un minimum, mais d'une imprégnation des valeurs du secteur bancaire qui laisse penser qu'il sera enclin à en préserver les intérêts. Sans instruire un procès d'intention, on peut supposer que sa façon de penser et d'agir est influencée par son expérience récente de douze années dans le secteur bancaire, où réside une partie de son identité sociale. Les liens sociaux et affectifs qu'il y a noués le rendront plus conciliant, même inconsciemment, à l'égard de ce secteur, qu'une personne sans cette expérience. Sans prédire l'avenir, je m'appuie sur des enseignements élémentaires de psychologie sociale. Un ancien dirigeant de la première banque française aura-t-il, dans le cadre de son travail de supervision, le réflexe de dénoncer la taille excessive des quatre premiers groupes bancaires, qui pèsent près de trois fois la dette publique, et le risque systémique encouru ? Dénoncera-t-il le risque dû aux produits dérivés de ces banques, dont le montant représente quarante fois la dette publique ?

Les fonctions et pouvoirs du Gouverneur de la Banque de France seraient-ils honorifiques, tout se décidant à Bruxelles ou à Francfort ? Ceux qui le prétendent se trompent. Le Gouverneur siège au Conseil des gouverneurs de la BCE et participe à l'orientation de la politique monétaire européenne. La Banque de France appartient au Système européen de banques centrales. Le Gouverneur préside l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et ses deux collèges, de supervision et de résolution. Il participe à ce titre au système de supervision bancaire européen. Tous les pouvoirs n'ont pas été transférés à Francfort en vertu de l'union bancaire. Depuis novembre 2014, la Banque centrale européenne supervise directement les 123 groupes bancaires dits importants, représentant 1 200 banques ; pour ce faire, elle coopère étroitement avec les autorités nationales comme l'ACPR. Les contrôles sont effectués par des équipes jointes de superviseurs ; les autorités nationales fournissent des informations importantes, notamment pour les stress tests, et supervisent les établissements de moindre importance. Bref, elles sont pleinement engagées dans la supervision. En tant que président de l'ACPR, le Gouverneur de la Banque de France est donc, ainsi, fortement impliqué dans la supervision bancaire.

En outre, la supervision d'ordre public demeure purement nationale. Elle porte par exemple sur la lutte contre le blanchiment et la protection des consommateurs, domaine dans lequel BNP Paribas fait l'objet d'une enquête judiciaire. L'ACPR mettra-t-elle en cause la gestion passée du nouveau Gouverneur ? Celui-ci sera impliqué dans les dispositifs de résolution, avec une voix prépondérante en fait, sinon en droit. Le président de l'ACPR est le représentant de la France dans les instances internationales, au Comité de Bâle ou au Conseil de stabilité financière. Quel intérêt y défendra-t-il ? Celui des champions nationaux du secteur bancaire, que l'on encouragera à croître encore et encore au mépris du risque pour la stabilité financière, ou celui de la collectivité qui souffre encore des conséquences de la crise financière ?

L'expertise acquise dans le secteur bancaire est-elle d'une grande utilité pour conduire la politique monétaire et de supervision ? Non. Elle ne confère aucune compétence en matière monétaire, ni en matière de surveillance globale du système financier. L'on m'opposera sans doute que la meilleure des expertises est celle qui s'acquiert une fois passé aux commandes de la banque centrale ou du superviseur, que l'on peut être passé par le secteur bancaire et faire un bon banquier central ou, à l'inverse, être issu de la haute fonction publique et devenir un excellent lobbyiste ; cela n'est pas faux, chacun pourra présenter son exemple. Pour autant, une expertise acquise dans le secteur bancaire ne confère pas, a priori, un avantage en ce qui concerne la stabilité monétaire et financière et qu'elle présente aussi, de prime abord, l'inconvénient du risque de conflit d'intérêts et de manque d'indépendance vis-à-vis du secteur bancaire.

Mme Michèle André, présidente. - Jean-Claude Magendie va rappeler la définition de la notion de conflit d'intérêts et les enjeux qui s'y rapportent.

M. Jean-Claude Magendie, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris, ancien membre de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. - Les analyses et conclusions de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique ont fait l'objet d'un rapport à l'origine de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Si la tradition française de service public et l'attachement aux valeurs sous-jacentes constituent un rempart contre le risque de conflits d'intérêts, les acquis ne suffisent plus. Les attentes des citoyens sont plus élevées. Par ailleurs, les passages du secteur privé au secteur public sont plus fréquents, d'où un risque de conflits d'intérêts plus important. La législation française en matière de conflit d'intérêts, ancienne, est surtout répressive, avec le délit de prise illégale d'intérêts. Le volet préventif est insuffisant.

Une définition opérationnelle, raisonnable et effective du conflit d'intérêts est nécessaire à l'articulation cohérente de dispositifs de prévention. La notion n'a guère fait l'objet de tentatives de définition, sauf très récemment, par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Conseil de l'Europe ou le Canada, pays souvent précurseur. Aucune définition n'est universelle, mais dépend des attentes collectives. Toutefois, celle de l'OCDE offre un socle commun de réflexion : « Un conflit d'intérêts implique un conflit entre la mission publique et les intérêts privés d'un agent public, dans lequel l'agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s'acquitte de ses obligations et de ses responsabilités. » On y retrouve les notions de présent et de passé, de conflit potentiel, à la suite d'une nomination notamment, et d'apparence. Cette définition se place en partie sur le terrain extra-juridique, celui des comportements individuels et des pratiques organisationnelles.

Les différentes définitions du conflit d'intérêts présentent des caractéristiques communes fondamentales, dont l'importance des apparences : la personne investie de fonctions publiques possède des intérêts personnels susceptibles d'influer ou de paraître influer sur l'exercice de ces fonctions. Il s'agit de s'assurer de l'impartialité tant subjective qu'objective. Autre caractéristique, l'existence d'un conflit, opposition ou convergence de nature à susciter un doute objectivement justifié. L'OCDE a invité les États à identifier les situations de conflits d'intérêts inacceptables en posant la question suivante : « Une personne raisonnable ayant connaissance de l'ensemble des faits pertinents risque-t-elle de penser que l'intégrité de l'administration est menacée par des conflits d'intérêts non résolus ? » Afin d'éviter la paralysie de l'action des décideurs publics, tout est question de degré.

Les intérêts personnels, outre moraux, sont aussi matériels : patrimoniaux, financiers et professionnels - contrats de travail en cours ou passés, commerciaux ou civils. La temporalité, multiple, porte sur les intérêts détenus avant, pendant et après l'exercice des fonctions. Les risques de conflit d'intérêts sont moins élevés quand les intérêts sont antérieurs ou postérieurs plutôt que simultanés à la période, mais les frontières sont poreuses. L'avantage personnel n'est pas nécessairement immédiat ni direct. Il s'agit d'apprécier la péremption des intérêts concernés, au-delà d'une durée raisonnable et pertinente.

La définition de la Commission de réflexion a été reprise dans la loi. Dans l'esprit de ses membres, la relation professionnelle susceptible d'être regardée comme problématique doit s'entendre de relations ayant donné lieu à un contrat de travail, une rémunération ou un mandat éventuellement social quelconque.

Ces considérations objectives tirées du rapport de la Commission de réflexion excluent toute interprétation personnelle qui m'exposerait au risque de partialité et d'immixtion dans votre mission constitutionnelle.

Mme Michèle André, présidente. - Jean Maïa, quelles analyses juridiques ont été retenues par le Gouvernement le conduisant à constater l'absence de conflit d'intérêts ? Que disent le droit français et le droit européen sur la nomination d'une personnalité issue du secteur bancaire au poste de Gouverneur de la Banque de France ?

M. Jean Maïa, directeur des affaires juridiques des ministères économiques et financiers. - Il faut distinguer les notions d'intérêts actuels et d'intérêts passés et postérieurs, ainsi que les règles générales valables pour l'ensemble des agents de la fonction publique et celles, spécifiques, qui s'attachent à la fonction de Gouverneur de la Banque de France. La jurisprudence administrative et constitutionnelle consacre le devoir d'impartialité des agents publics, devoir d'autant plus fort que les responsabilités sont grandes. Longtemps, l'approche a été de nature pénale. La répression de la prise illégale d'intérêt est abordée aux articles 432-12 et 432-13 du code pénal, le premier interdisant que le contrôleur ait des intérêts chez le contrôlé, le second régissant le passage du secteur public au secteur privé - il n'existe pas d'interdiction en sens inverse. Le président Magendie a expliqué comment ces règles avaient mûri au sein de la commission Sauvé. La loi du 11 octobre 2013 est venue inscrire dans la loi la définition même du conflit d'intérêts.

Des règles spécifiques s'appliquent aux prérogatives dévolues au Gouverneur de la Banque de France. En tant que membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, il est soumis au code de déontologie de 2002 et doit indiquer l'ensemble des mandats qu'il exerce. Le Gouverneur de la Banque de France a interdiction formelle, selon le code monétaire et financier, d'exercer toute autre activité professionnelle, publique ou privée, durant son mandat ou au cours des trois années suivant son terme. En tant que président de droit de l'ACPR, il a l'obligation de déclarer l'ensemble des fonctions occupées dans les deux années précédant sa nomination et l'interdiction formelle de détenir tout intérêt, mandat ou fonction durant l'exercice de ses fonctions. Il doit s'abstenir dans les affaires liées à des intérêts passés, dans les deux ans précédant la délibération, selon l'article L. 612-10 du code monétaire et financier.

Le Gouverneur de la Banque de France est soumis à l'ensemble du régime imposé par la loi de 2013, dont les déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En qualité de membre du Haut Conseil de stabilité financière, cette déclaration est publique. La prohibition de la détention d'intérêts actuels est donc particulièrement stricte - François Villeroy de Galhau a dit qu'il s'en déferait. Les intérêts passés font l'objet d'une obligation de déclaration et d'une règle conduisant à l'abstention au cas par cas - François Villeroy de Galhau a choisi d'aller au-delà en indiquant qu'il se déporterait dans les affaires concernant son ancien employeur. Enfin, en raison de ses attributions de Gouverneur de la Banque de France, en tant que président de l'ACPR, il est soumis au contrôle permanent de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Mme Michèle André, présidente. - Jean-Claude Trichet, pouvez-vous préciser le rôle du Gouverneur de la Banque de France dans le Système européen de banques centrales et dans le mécanisme de supervision unique ?

M. Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, Gouverneur honoraire de la Banque de France, président du Comité d'éthique professionnelle de la BCE. - Je retrouve avec plaisir le Sénat, que j'ai fréquenté pendant dix ans lorsque j'étais Gouverneur de la Banque de France.

Pour cette nomination, la procédure est démocratique : décision du Président de la République, appréciation du Parlement. Certains ont toutefois dénoncé une anomalie dans le choix du candidat retenu. Avec mes collègues Michel Camdessus et Jacques de Larosière, issus comme moi de la fonction publique, n'ayant exercé aucune fonction privée, nous avons envoyé une lettre à François Villeroy de Galhau pour ne pas donner crédit à la thèse rejetant un candidat issu du secteur privé. Nous avons pensé qu'il fallait regarder l'état actuel, non du droit - qui présente une asymétrie entre les préventions a posteriori et non a priori - mais des faits. Il existe beaucoup d'exemples, dans les grands pays avancés, de gouverneurs ayant eu une expérience privée : le gouverneur de la Banque centrale canadienne, devenu gouverneur de la Banque d'Angleterre et président du Conseil de stabilité financière ; le gouverneur de la Banque d'Italie, devenu président de la BCE, ou encore Stanley Fischer, numéro deux de la banque centrale américaine, qui était auparavant gouverneur de la Banque d'Israël. Il eut été très dommageable pour notre pays d'ériger une règle de non-éligibilité pour les personnes ayant eu une expérience bancaire privée, qui ne correspondrait pas aux possibilités offertes sur le plan international. L'icône des banquiers centraux, Paul Volcker, a eu une expérience dans le secteur privé avant de présider la banque centrale américaine. A contrario, il ne faut pas non plus en faire un critère d'éligibilité, si l'on pense aux bons exemples de Janet Yellen, actuelle présidente de la Réserve fédérale américaine, ou de Jens Weidmann, président de la Bundesbank.

La procédure de nomination française, où l'implication parlementaire est très importante, est proche de la procédure américaine, même si les majorités qualifiées sont différentes. Elles ne sont pas généralisées pour le moment. Citons l'exemple singulier de la Banque d'Angleterre, qui demandait, dans le cahier des charges de la succession de Mervyn King, une expérience significative au sein d'une banque centrale ou bien à un haut niveau de responsabilité dans une banque majeure ou dans une autre institution financière. Le gouvernement britannique juge les deux critères également pertinents.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Merci d'avoir répondu à notre invitation : cette procédure inédite est à la hauteur de nos interrogations. Jean-Claude Trichet citait plusieurs exemples de banquiers centraux, dont Mario Draghi. Madame Couppey-Soubeyran, estimez-vous qu'ils sont en situation de conflit d'intérêts potentiel ? Monsieur Magendie, la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique avait-elle évoqué le passage du privé au public ? Faut-il étendre les pouvoirs de la commission de déontologie, qui est compétente sur la situation inverse ? Monsieur Maïa, avez-vous eu des échanges avec la BCE ou la Commission européenne sur cette nomination ? Vous a-t-on fait part de difficultés ?

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Jean-Claude Trichet, avec tout le respect que je lui dois, a omis un point fondamental en citant ces exemples : le délai de carence. Mario Draghi a été nommé à la BCE six ans après avoir quitté Goldman Sachs.

M. Michel Bouvard. - Mais à la tête de la Banque d'Italie tout de suite après !

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Neuf ans se sont écoulés entre le départ de Mark Carney de Goldman Sachs et son arrivée à la tête d'une banque centrale. Paul Volcker a quitté la Chase Manhattan Bank - où il était économiste de banque, non banquier d'affaires - dix ans avant d'être nommé à la Réserve fédérale en 1979. Dans le cas que vous aurez à examiner aujourd'hui, le délai de carence serait de six mois, ce qui est tout à fait inédit. Est-ce suffisant pour constituer un sas de désimprégnation ? À mon humble avis, non !

M. Jean-Claude Magendie. - Le passage du secteur public au secteur privé est soumis à une autorisation préalable. La vision est asymétrique, mais, intellectuellement, les principes jouent dans un sens comme dans l'autre : la temporalité des intérêts existe toujours, dans le passage du secteur privé au secteur public. Aucune saisine n'a été prévue dans ce sens. J'avoue ne pas savoir pourquoi.

M. Jean Maïa. - Il n'existe pas d'autres règles que celles que j'ai citées, dans le droit européen, et donc aucune interdiction de ce mouvement du secteur bancaire vers le Conseil des gouverneurs. Pendant deux ans, la personne issue du secteur privé doit s'abstenir sur les sujets liés à des intérêts passés. Par ailleurs, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique exerce un contrôle sur d'éventuels conflits d'intérêts tout au long du mandat.

M. Jean-Claude Trichet. - Mario Draghi - qui a été un excellent successeur à la Banque centrale européenne - a d'abord été à la banque centrale italienne, immédiatement après avoir été banquier commercial chez Goldman Sachs.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Il travaillait au Trésor avant.

M. Jean-Claude Trichet. - Avant ! Notre candidat a également été au Trésor : je l'ai moi-même recruté quand j'étais directeur.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Mario Draghi a effectué un mouvement inverse de celui de François Villeroy de Galhau.

M. Jean-Claude Trichet. - Non, pas du tout. Mario Draghi est passé directement de la banque commerciale à la Banque d'Italie.

M. Marc Laménie. - J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les différents points de vue. La question de la réelle incompatibilité de quelqu'un qui a assumé des responsabilités importantes dans le domaine financier se pose. Je reste très prudent.

M. Richard Yung. - La définition des conflits d'intérêts exposée par le président Magendie est essentiellement matérielle, ou porte éventuellement sur des responsabilités. N'y a-t-il pas, de façon plus grave, des conflits d'intérêts moraux ou intellectuels ? On reproche souvent à l'Inspection générale des finances d'être présente partout, au Trésor, à la Banque de France et à la tête des grandes banques commerciales. Ce petit monde se connaît et se protège. Jézabel Couppey-Soubeyran, dans sa pétition, donne sa préférence à un profil universitaire. Des universitaires sont-ils équipés pour diriger une institution de 15 000 personnes et siéger au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne ?

M. André Gattolin. - En matière de conflits d'intérêts, des traitements différenciés s'appliquent selon les secteurs. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) interdit à ses membres d'exercer des fonctions dans les médias pendant une période d'un an à compter de la cessation de leurs fonctions, comme si l'influence d'un membre du collège était déterminante. C'est aberrant ! Dans nombre d'autres domaines, rien n'est prévu. Le service public, la haute fonction publique impliquent un parcours et des concours, qui fondent l'esprit même de l'élite républicaine. Le pantouflage des énarques me gêne beaucoup. Il entraîne une confusion des élites qui ne s'inscrivent plus dans le service de la République. Si François Villeroy de Galhau avait fait un doctorat ou deux ans de professorat, le sens de son parcours serait différent. Jean Maïa a reconnu une situation de conflit d'intérêts flagrante, en précisant que François Villeroy de Galhau ne s'engagera pas dans les dossiers ayant trait à BNP Paribas pendant deux ans.

M. Éric Doligé. - Le plus important, c'est la compétence. Les arguments de Jézabel Couppey-Soubeyran sont intéressants. Mais ceux qui sortent d'une fonction ne la défendent pas forcément pour autant. Qui aime bien châtie bien ! Un Président de la République venu directement de la présidence d'un conseil général n'a-t-il pas eu envie de les supprimer ? Et sans délai de carence !

Ayant quitté le secteur privé il y a vingt-cinq ans et fourni une déclaration de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, je peux donc être Gouverneur de la Banque de France ? L'important, c'est la compétence. De hautes personnalités de l'actuel gouvernement sont venues du secteur bancaire, et retourneront probablement dans le privé. Peut-on parler de conflit d'intérêts dans ce cas-là ? Nous nous sommes focalisés sur le Gouverneur de la Banque de France, mais il faut regarder au-delà.

M. Vincent Capo-Canellas. - La question est double. François Villeroy de Galhau a-t-il les qualités et les compétences requises ? Existe-t-il des raisons juridiques d'écarter sa candidature ? L'obligation d'abstention sur les questions portant sur des fonctions précédentes est classique. Y a-t-il d'autres dispositions juridiques traduisant des incompatibilités ? Nous avons tous à coeur que la fonction publique bénéficie des talents de ceux qui ont eu un parcours dans d'autres domaines de la sphère économique. Devoir écarter tout candidat issu du secteur privé représenterait une contrainte dans beaucoup de domaines.

M. Michel Bouvard. - J'ai entendu les précisions sur la participation du futur Gouverneur aux travaux du collège de l'ACPR. L'intéressé a déclaré qu'il se déportera sur les questions relatives à ses anciennes fonctions. C'est une règle habituelle, et de bon sens. En matière d'intérêts personnels, tout est strictement réglementé.

Les fonctions exercées antérieurement peuvent-elles entraîner des comportements divergents de ce qui est attendu peuvent ? C'est la vraie question. Jean-Claude Trichet a rappelé que plusieurs gouverneurs de banques centrales avaient travaillé dans le secteur privé, comme Mario Draghi, nommé à la Banque d'Italie juste après avoir quitté Goldman Sachs. N'ayons pas la suffisance de penser que la Banque d'Italie est une petite banque ! Jean-Claude Trichet a-t-il eu le sentiment que les positions défendues par ses collègues étaient influencées par leurs parcours antérieurs ? Cela a-t-il nui aux décisions à prendre au nom de l'intérêt général ? Les allers et retours entre secteurs public et privé sont souhaitables pour irriguer le système. Ces expériences utiles, voire recommandées, servent la collectivité ; d'autres pays les encouragent d'ailleurs. La faiblesse ne résiderait-elle pas dans les missions de la commission de déontologie ? Ne devrait-elle pas émettre un avis en cas de passage du secteur privé vers le secteur public ? Nous sortirions enfin de ces débats si franco-français...

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Nous avons tous en tête la crise financière débutée en 2007-2008, dont nous subissons encore les conséquences. La zone euro peine à se rétablir.

M. Michel Bouvard. - La crise est venue des États-Unis !

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Dans un tel contexte nous avons besoin de banquiers centraux et de superviseurs extrêmement sensibles à la question de la stabilité financière afin que cela ne se reproduise pas. On est d'autant plus soucieux des risques d'instabilité financière, d'autant plus promoteur de la régulation financière que l'on n'est pas lié au secteur bancaire. Il faut donc impérativement des banquiers centraux et des superviseurs indépendants à l'égard de ce secteur. Dans les années 1990, quand Jean-Claude Trichet occupait cette fonction, l'indépendance par rapport au pouvoir politique a été inscrite dans les statuts des banques centrales, au nom de la stabilité monétaire. Il s'agit désormais de stabilité financière : pour la garantir, il est indispensable de mettre en oeuvre un principe d'indépendance vis-à-vis du secteur bancaire et financier. Je ne défends pas un candidat universitaire, mais il faut privilégier celui qui présente les meilleurs gages d'indépendance et d'expertise ; or l'expertise acquise dans le secteur bancaire et financier n'est pas la plus appropriée pour cette fonction.

Le principe de l'abstention du Gouverneur sur les affaires concernant un établissement où il a travaillé a été présenté comme un garde-fou. Mais BNP Paribas représente le quart du secteur bancaire français ! Est-ce à dire que lorsqu'il présidera l'ACPR, le futur Gouverneur n'assumera que 75 % de sa mission ?

M. Jean-Claude Magendie. - La Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts a écarté la prise en compte des intérêts moraux, philosophiques, syndicaux et religieux parce que trop intrusive et susceptible d'attenter à la liberté d'expression. Nous le justifions ainsi dans notre rapport : « le principe en la matière doit rester celui de la confiance et de la responsabilité de la personne concernée, qui est réputée ne pas être influencée par ses convictions dans l'exercice de ses missions, sauf pour certains types de fonctions, d'actes ou de mesures pour lesquels l'existence de telles convictions, dès lors qu'elles se traduiraient par un engagement concret, pourrait être regardée comme structurellement problématique. » Ces cas restent marginaux ; la principale préoccupation porte bien sur les intérêts matériels.

Sur ce point, un parallèle avec la magistrature s'impose : la règle d'impartialité est certes très importante, mais un magistrat indépendant et incompétent ne serait guère utile. La compétence est presque aussi importante que l'indépendance. Nous balançons entre les règles de protection et la nécessaire compétence du décideur. J'estime pour ma part que plus on est compétent, plus on est indépendant.

M. Jean Maïa. - Il y a en effet une tension fondamentale entre compétence et impartialité. Des règles d'abstention s'appliquent déjà au Gouverneur de la Banque de France ; pour le reste, l'important est de saisir l'intensité du conflit. Dans ce cas précis, un contrôle permanent est exercé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

M. Jean-Claude Trichet. - Je partage entièrement le sentiment de Jézabel Couppey-Soubeyran sur l'indépendance de la banque centrale, qui a nécessité une modification de la Constitution. Sur le plan français comme sur le plan européen, il est explicitement indiqué que les banques centrales ne sauraient solliciter ni recevoir d'instructions de quelque gouvernant ou lobby que ce soit. C'est fondamental.

Richard Yung a suggéré que les inspecteurs des finances étaient partout. Je tiens à signaler que Michel Camdessus, Christian Noyer ou encore le précédent directeur du Trésor, ne l'étaient pas. La France n'est pas aussi étroite que vous ne semblez le croire dans le recrutement de ses élites ! Je rappelle également que François Villeroy de Galhau a enseigné la politique économique à Sciences Po pendant dix ans - une expérience significative, même si elle n'est pas universitaire à proprement parler - après avoir été directeur de cabinet du ministre de l'économie et des finances, ce qui lui donne certaines compétences en la matière.

Mais le problème crucial est l'élimination de tout conflit d'intérêt. Lorsque je présidais la BCE et le Comité de Bâle, je n'ai pas constaté de différence, au point de vue de l'indépendance, entre ceux qui étaient passés par un établissement bancaire et les autres. La double expérience est-elle possible ? Je le crois.

Mme Jézabel Couppey-Soubeyran. - Les missions des banques centrales n'étaient pas les mêmes à cette époque ! Aujourd'hui, elles sont impliquées dans la stabilité financière.

M. Jean-Claude Trichet. - J'en sais quelque chose, pour avoir contribué à cette évolution. La politique monétaire joue un rôle très important dans la stabilité financière. D'autres gouverneurs de banque centrale se sont montrés plus bienveillants que moi à l'égard des marchés financiers, ce qui a conduit à des catastrophes. Dans notre pays même, j'ai vu le balancier partir dans l'autre sens. On se dit aujourd'hui que je n'avais peut-être pas tort...

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie.

La réunion, suspendue à 17 h 15, reprend à 17 h 30.

Audition de M. François Villeroy de Galhau, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de Gouverneur de la Banque de France

Mme Michèle André, présidente. - Aux termes de l'article L. 142-8 du code des marchés financiers, le Gouverneur de la Banque de France est nommé par décret en conseil des ministres pour une durée de six ans, renouvelable une fois. En application de la loi du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les candidats proposés par le Président de la République sont entendus par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cela s'explique par l'importance de la fonction de Gouverneur de la Banque de France « pour la vie économique et sociale de la Nation ». Pour cette même raison, la commission a procédé à l'audition de quatre personnalités pour l'éclairer sur les enjeux juridiques, voire économiques, de cette nomination. Je rappelle également à mes collègues qu'ils ont reçu, le 10 septembre dernier, un curriculum vitae de François Villeroy de Galhau, ainsi qu'une copie de la lettre qu'il m'a adressée, ainsi qu'au président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, et précisant les dispositions prises afin de garantir son indépendance et son impartialité au regard de ses responsabilités passées.

La nomination ne sera effective que si l'addition des votes négatifs dans chacune des commissions ne dépasse pas les trois cinquièmes des suffrages. Les délégations de vote ne sont pas autorisées.

M. François Villeroy de Galhau. - Merci de votre accueil. Il vous revient aujourd'hui d'apprécier si je peux remplir une mission dont je mesure toute la responsabilité au service de notre pays. Cette procédure, exercée pour la première fois s'agissant de la Banque de France, donne des garanties de transparence et de contrôle qui confèrent à un mandat davantage de légitimité et d'impartialité. Je crois à la démocratie et au respect de nos institutions. Voilà pourquoi j'ai décidé, depuis la proposition du Président de la République, de réserver aux parlementaires - et à eux seuls - mon intervention ainsi que les réponses à vos questions légitimes, sereinement. Cette règle n'a pas toujours été facile, mais elle s'imposait. Je suis donc heureux que le temps de cette audition soit venu.

Pour apprécier mon aptitude à cette fonction, vous avez à juger d'une personne, de sa compétence, et de son indépendance. Sur la personne, pour aller au-delà de certaines étiquettes parfois hâtivement collées, deux ou trois éclairages sur mon histoire : je suis un homme de l'Est, né à Strasbourg et dont les racines familiales sont depuis longtemps en Lorraine, et même en Sarre, autrefois terre française et aujourd'hui de l'autre côté de la frontière. Nous avons choisi de rester français, ce qui crée un lien encore plus profond avec mon pays. Et je suis en même temps un Européen de conviction et de pratique, en Allemagne ou plus récemment en Italie.

Je suis avant tout un homme de service public. J'y ai passé déjà vingt ans de ma vie professionnelle, marqués notamment par deux grands engagements : la construction de l'Union économique et monétaire, à Paris et à Bruxelles ; la réforme de la direction générale des impôts que j'ai eu l'honneur de diriger. En 2003, quand je suis allé en entreprise, j'ai dit que c'était pour moi une autre façon de servir notre pays et la force de son économie. L'expression a, paraît-il, surpris, de part et d'autre, mais je crois qu'il ne faut pas opposer à l'excès ces deux mondes. J'ai appris à bien connaître les entrepreneurs ; mais l'intérêt pour la chose publique ne m'a jamais quitté.

J'espère enfin être un homme de convictions. Sans prétendre donner de leçons, avec humilité, je crois à la responsabilité sociale - de chacun mais d'abord des dirigeants, y compris économiques. Je crois à l'éthique, y compris en matière financière : j'ai toujours dit ce que je pensais des excès de la finance et de certaines rémunérations ; je me suis engagé pour le développement du microcrédit et de l'entrepreneuriat social. Je crois au débat d'idées et au dialogue entre personnes respectueuses de leurs différences : ce dialogue est pour notre pays aujourd'hui, avec toutes ses peurs et le drame du chômage, le défi le plus difficile ; vous le ressentez plus quotidiennement encore que moi.

Sur mes compétences, la question n'est évidemment pas d'inventer une querelle entre les inspecteurs et les docteurs. C'est plutôt la variété de mon parcours professionnel, construit cependant autour d'une continuité d'engagement, qui m'a - je l'espère -bien préparé pour cette mission. Outre les connaissances européennes et en économie - que j'ai enseigné dix ans - il y a trois savoir-faire spécifiques que j'ai davantage développés, y compris par mon expérience bancaire : le management de grandes équipes et d'un réseau ; la connaissance du terrain, des entreprises, notamment des PME, et de leur financement ; le sens, ou le goût, de la pédagogie sur des sujets rapidement trop techniques. Le rapport que j'ai remis fin août sur le financement de l'investissement montre, je l'espère, cette valeur ajoutée. Ce plus de compétence risque-t-il d'entraîner un moins d'indépendance ?

Cette question de l'indépendance est légitime, et je l'ai prise très au sérieux. J'ai d'abord voulu garantir qu'il n'y aurait jamais de situation de conflit d'intérêts, telle que vous l'avez définie à l'article 2 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique : que jamais ne puisse exister un intérêt privé « de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif » de mes responsabilités. Après avoir examiné rigoureusement l'ensemble des dispositions existant en droit français, j'ai indiqué dans la lettre que j'ai fait parvenir à votre présidente dès le 9 septembre que je n'aurai plus aucun intérêt présent ni différé dans BNP Paribas ni dans aucune banque ou institution financière, et que j'ai renoncé pour cela définitivement à tous mes droits financiers. Par ailleurs, les décisions individuelles concernant les grandes banques ont été significativement réduites par le transfert de leur surveillance à Francfort depuis le 1er novembre dernier ; je m'engage cependant, à titre de précaution supplémentaire, à ne participer à aucune décision individuelle d'aucune sorte concernant BNP Paribas dans les deux ans suivant mon départ.

Mais l'indépendance, c'est davantage que cette absence de tout conflit d'intérêts. C'est veiller à ce que la réglementation collective du secteur des banques et assurances soit toujours prise en fonction de l'intérêt général. J'ai lu parfois que, si j'étais nommé, je risquais d'être prisonnier de la finance. C'est extrêmement mal me connaître : j'ai mes limites, comme chacun ; mais je suis un homme libre, et je suis un homme droit. Et je déciderai en fonction seulement de ce que je crois être bon pour notre pays et son économie. Je m'appuierai pour cela sur l'expertise forte des équipes de la Banque de France, et sur ce que je connais du secteur - et je crois que c'est un atout. L'exemple des pays étrangers montre combien cette expérience peut apporter pour des banquiers centraux. L'indépendance, ce sont des règles le plus rigoureuses possibles, mais aussi un caractère, et une éthique. C'est sur ces trois composantes que vous apprécierez la confiance à m'accorder ; et si vous le faites, ce sont ces trois composantes - des règles, un caractère, une éthique - que j'aurai ensuite à appliquer chaque jour, pour défendre le bien commun qu'est la monnaie.

Ces missions s'exercent bien sûr dans le contexte nouveau créé par l'euro, depuis seize ans, et l'union bancaire depuis l'an dernier, mais la Banque de France joue toujours un rôle essentiel pour l'économie française et européenne. Je ne prétendrai pas aujourd'hui vous en donner déjà une lecture achevée, et je serais heureux dans l'avenir d'avoir sur ces sujets un dialogue aussi fréquent et complet que possible avec votre commission. Je résumerai ma vision des missions de la Banque de France autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire ; le service économique, pour la collectivité nationale ; la stabilité financière, afin d'assurer une meilleure prévention des crises.

L'euro repose sur un système fédéral efficace, composé de la BCE et des banques centrales nationales. De cet eurosystème, la Banque de France est le pilier français. Elle a donc tout son rôle à jouer en amont, dans les débats et décisions de politique monétaire qui appartiennent au Conseil des Gouverneurs, comme en aval dans la réalisation des opérations qui lui incombent pour notre territoire, ainsi que la monnaie fiduciaire. Je crois que la politique monétaire active menée avec Mario Draghi est la bonne pour tendre vers une inflation proche de 2 %. Elle est nécessaire pour soutenir la croissance, même si elle ne peut y suffire : il y faut des réformes dans chaque pays, dont le nôtre ; il faut un renforcement de la zone euro, et il ne faut pas renoncer à l'ambition d'un meilleur ordre monétaire mondial. Notre monnaie, ce sont bien sûr les règles des traités, mais c'est à mes yeux beaucoup plus qu'un outil technique : une bonne monnaie comme l'euro doit porter pour nos concitoyens des valeurs essentielles de confiance et de justice. Au titre de cette stratégie monétaire, je veux poursuivre l'ambition incarnée par Christian Noyer d'une Banque de France en position de leadership européen, en particulier sur les opérations de marché ou les moyens de paiement.

Le service économique à la collectivité nationale, ensuite. À ce titre, la Banque de France doit d'abord apporter, notamment aux élus, le meilleur diagnostic possible sur la conjoncture, la situation des entreprises, les financements en soutien du développement. Elle doit rendre des services concrets aux particuliers, à commencer par les plus défavorisés, dans le traitement du surendettement, l'accès aux comptes bancaires, la protection et l'éducation financière des consommateurs. Et elle est également au service des PME, à travers la cotation et la médiation du crédit. Ces missions de service économique s'ancrent très heureusement sur le terrain : je compte aller dans chacune des nouvelles régions dans la première année de mes fonctions pour rencontrer les équipes de la Banque mais aussi les acteurs publics et privés dans les territoires. Cet ancrage éclaire en retour la stratégie monétaire : la Banque de France a cette grande chance d'avoir la tête dans l'Europe et les pieds sur le terrain ; je compte développer encore ce lien.

La stabilité financière, enfin. Cette mission s'est évidemment renforcée depuis la crise financière et ses ravages. Elle a son volet individuel, pour garantir la sécurité de l'épargne : la supervision des assurances et des banques, avec le grand progrès de l'union bancaire. Un système financier sain sert notre pays. Mais la stabilité financière exige surtout un volet collectif : le renforcement de la réglementation financière et la surveillance des risques d'enchaînement dits macroprudentiels. Un travail complexe, considérable, indispensable, a été mené depuis 2009 à Bâle, à Bruxelles, à Paris. Ce travail est souvent critiqué, excessivement. Les règles du jeu n'ont plus rien à voir avec celles de l'avant-crise : les banques ont dû considérablement renforcer leurs protections. À l'inverse, Bâle III ne pèse pas à mon sens sur la croissance. Pour autant, nous devons rester très vigilants pour l'avenir, ce qui suppose notamment une présence active, dans les discussions de Bâle, de la France comme de la zone euro - qui partage en général le même modèle de financement par des banques intégrées.

Stratégie, service, stabilité : voici le triangle fondateur des missions de la Banque de France. Triangle dynamique, car chacune des missions nourrit les deux autres. Encore faut-il pour cela deux conditions transversales du succès. La première est de contribuer davantage encore au débat économique rigoureux dans notre pays. Nos défis sont immenses ; notre culture économique collective passe pour être faible ; nos affrontements sont souvent stéréotypés ; nos cloisons sont trop étanches entre responsables publics, entrepreneurs, recherche économique. Notre pays a pourtant une communauté d'économistes parmi les plus reconnues au monde ; la Banque de France a en son sein beaucoup de talents et de données pour nourrir avec cette communauté extérieure l'éclairage des problèmes, et la recherche de leurs solutions. Je m'engagerai en ce sens.

La seconde clé du succès, ce sont les équipes de la Banque de France et leur management : 12 000 hommes et femmes très attachés à leur métier et reconnus pour leur fiabilité et leur professionnalisme. La moitié est hors des services centraux, dans le réseau ou la fabrication des billets. La Banque est engagée dans un plan résolu d'adaptation de ce réseau qui combine efficacité et visibilité dans chaque département. Au-delà, il y a un bel horizon de management : la Banque de France peut être exemplaire dans la transition des générations, la modernisation de ses méthodes de travail, l'ouverture de sa culture.

La Banque de France peut regarder l'avenir avec ambition, parce qu'elle est forte de son nom et de son histoire, mais plus encore parce que ses missions en font un instrument exceptionnel au service d'une monnaie fiable, et plus largement d'une croissance saine et d'un emploi durable. Telles sont les finalités qui m'animeront, si vous me confiez cette responsabilité pour notre pays.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie. L'union bancaire repose sur trois piliers. Les deux premiers, déjà engagés, sont les mécanismes de supervision et de résolution communs. Le troisième est une garantie des dépôts mutualisée, qui semble au point mort, notamment en raison de l'opposition de l'Allemagne. Considérez-vous que l'union bancaire réduit véritablement le lien entre le risque souverain et le risque bancaire tant qu'un épargnant n'est couvert que par son système de garantie des dépôts national ? Faut-il attendre l'achèvement de la mise en place des règles de résolution, notamment le renflouement interne, avant d'envisager de mutualiser les fonds de garantie ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les banques françaises ont été impliquées, au cours des dernières années, dans des contentieux liés à leurs opérations avec des pays sous embargo ainsi qu'à des affaires de blanchiment. À vos yeux, le Gouverneur de la Banque de France doit-il proposer des mesures pour renforcer les règles en la matière ? Je précise que ma question n'est pas liée à vos fonctions passées au sein de BNP Paribas, où vous étiez chargé des marchés domestiques.

Notre commission a beaucoup travaillé sur la sécurité financière et la solvabilité des banques. Les règles prudentielles telles que Bâle III ou Solvabilité II ne risquent-elles pas de contraindre à l'excès le financement de notre économie ? Quid d'un éventuel Bâle IV ?

Enfin, comment appréciez-vous le risque de remontée des taux d'intérêt américains ? Quelle devrait-être la politique des banques centrales en la matière ?

M. François Villeroy de Galhau. - Je salue le progrès que constitue la construction des deux premiers piliers de l'union bancaire, inimaginable il y a deux ans. La supervision, assurée à Francfort par la BCE, est une réalité depuis le 1er novembre ; quant au mécanisme de résolution, il sera mis en place le 1er janvier 2016. En cas de résolution d'une grande banque française, la décision serait prise par le Conseil de résolution qui siège à Bruxelles, la Banque de France étant chargée de la seule mise en oeuvre.

La résolution concerne les dépôts au-delà de 100 000 euros, les créanciers étant désormais sollicités, plutôt que les contribuables, pour combler les besoins - ce qui est une bonne chose ; en deçà de 100 000 euros, c'est la garantie des dépôts qui s'applique. La Commission européenne a formulé des propositions en la matière et Jean-Claude Juncker s'est prononcé en faveur de la garantie des dépôts. Je ne préjuge pas de l'issue des discussions, qui seront difficiles en raison de la position de l'Allemagne mais aussi d'autres pays. J'observe simplement qu'il existe un lien entre le deuxième pilier et le besoin d'une garantie harmonisée des dépôts. Une fois la résolution achevée - elle ne l'est pas tout à fait - nous aurons une souplesse supplémentaire pour la mise en oeuvre du troisième pilier.

Je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur les affaires à l'international, n'ayant jamais eu à connaître du contentieux entre BNP Paribas et les autorités américaines lors de mon passage dans cette banque. Les affaires que vous évoquez nous renvoient à la problématique de la conformité, sujet de préoccupation pour tous les établissements occidentaux. Les banques - y compris américaines - se voient en effet infliger des pénalités de plus en plus importantes, ce qui les a conduites à mettre en place des procédures internes de prévention. Chaque banque française a ainsi renforcé ses équipes dédiées à la conformité. Il n'y a plus de zone grise : ce qui n'est pas explicitement autorisé par la législation internationale et l'ensemble des législations nationales doit désormais être considéré comme prohibé. Nous ne pouvons nous permettre la moindre faiblesse.

Contrairement aux craintes affichées par les banques - dont, comme vous le voyez, je ne partage pas toujours les vues - les effets positifs de la politique monétaire sont bien plus importants que les effets négatifs potentiels de Bâle III sur la disponibilité et le coût du crédit. Quant à ce que l'on appelle « Bâle IV », des règles comme le TLAC (Total Loss Absorbing Capacity) - sorte de coussin amortisseur -, le ratio de levier sur les risques non pondérés et la révision des risques opérationnels qui sont en discussion pénaliseraient davantage les banques européennes que leurs homologues américaines, la réglementation existante aux États-Unis étant plus proche des règles envisagées. Cette situation appelle une vigilance particulière, afin de maintenir l'équilibre entre le renforcement de la sécurité financière et les effets économiques potentiellement négatifs. Le rapport sur l'investissement des entreprises que j'ai remis au Gouvernement propose de réactiver l'instance internationale d'évaluation des effets économiques des réglementations, réunie en 2010 mais jamais reconvoquée depuis. Vis-à-vis des responsables publics que vous êtes, on ne peut se permettre de dire « circulez, il n'y a rien à voir » ; une évaluation ex ante est nécessaire.

Les taux américains sont appelés à augmenter - je me garderai de faire des pronostics de calendrier - mais une éventuelle inflexion de la politique américaine ne modifiera pas la politique monétaire européenne, Mario Draghi et le Conseil des Gouverneurs des banques centrales ayant indiqué leur intention de maintenir durablement les taux à un niveau bas. Les taux de long terme européens sont inférieurs aux taux américains, une situation très rare : ils sont de 0,6 % en Allemagne et de 1 % en France, contre 2 % aux États-Unis. Au demeurant, ce n'est pas un motif de satisfaction, puisque cette déconnexion montre que les États-Unis sont plus avancés que l'Europe sur le chemin de la croissance.

M. Michel Bouvard. - Vous estimiez dans votre propos liminaire que Bâle III ne pèse pas sur la croissance, mais votre dernière réponse est plus nuancée. L'une des questions fondamentales tient à l'encadrement bancaire et aux normes prudentielles, car les modes de financement des économies européenne et nord-américaine sont très différents. Quelle attitude faut-il adopter face aux exigences de nos partenaires d'outre-Atlantique, sachant qu'une grande partie du système bancaire américain échappe à toute régulation ?

Le continent africain semble appelé à connaître une croissance soutenue. Le franc CFA a conservé sa parité fixe avec l'euro ; est-ce un atout ou un handicap, et ce système doit-il évoluer ?

En tant que président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), vous serez amené à exercer un contrôle prudentiel sur le secteur assurantiel. Les taux d'intérêt bas vous semblent-ils durablement supportables par ce secteur ?

M. Richard Yung. - Le Gouverneur de la Banque de France siège au Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne, il a son mot à dire dans la politique de la BCE. Vous avez déclaré approuver les orientations et l'action de Mario Draghi, en particulier sa politique monétaire. Or quels en sont les effets ? L'objectif d'inflation a été fixé à 2 %, or elle stagne aujourd'hui à 0,1 ou 0,2 % en France. Les effets tardent à se faire sentir. Quelles propositions formulerez-vous à ce sujet au sein du Conseil des Gouverneurs ?

Vous avez récemment publié un ouvrage intitulé L'Espérance d'un Européen. Pouvez-vous nous en présenter les principales idées ?

M. François Marc. - À travers le shadow banking, que l'Agefi a qualifié de « cas de conscience des régulateurs », au moins la moitié des activités financières échappent à toute régulation. On en sait les raisons : une régulation bancaire trop stricte, entraînant le développement, alentours, d'activité plus risquées, offrant un taux de rendement plus intéressant. L'Institute of International Finance parle d'un risque systémique. Le Gouverneur de la Banque de France s'est exprimé hier, de manière mesurée, sur les possibilités de régulation. Quelle est votre doctrine personnelle au sujet de ces acteurs qui permettent de générer plus de profits en contournant la régulation ? Quelle régulation pour cette sphère parallèle ?

M. François Villeroy de Galhau. - La différence entre les modes de financement de l'économie en Europe et aux États-Unis est incontestable. Si l'on considère le financement par la dette, 20 % des entreprises européennes se financent sur les marchés, 80 % auprès des banques ; aux États-Unis, la proportion est presque inversée, à 25 % contre 75 %. De plus, le financement par fonds propres sous la forme d'actions, qui est la marque d'une économie de l'innovation, est bien plus important aux États-Unis.

Concernant le financement par la dette, je me méfie du discours sur la désintermédiation. Il y a eu quelques discours excessifs autour du paquet Barnier, alors même que l'intention de son auteur n'était aucunement d'aligner l'Europe sur le modèle américain. Pour ma part, je crois à la diversification tirée par la demande, adaptée aux besoins des entreprises - surtout les ETI, mais aussi les PME - qui devraient pouvoir faire appel aux marchés, aux placements privés ou encore aux plateformes de financement participatif, une solution encore marginale mais très en vue. Nous avons besoin d'une réglementation cohérente sur ce point, mais pas d'une désintermédiation forcée. J'ai pu constater, lors de mes rencontres avec les ETI et PME, à quel point cette liberté était demandée.

Tout cela pose deux questions. En premier lieu, il faut éviter que le modèle américain ne s'impose dans les discussions autour de « Bâle IV ». Il n'y a aucune raison de transposer la réglementation américaine.

En second lieu, ce modèle de financement diversifié ne doit pas comporter de trous dans la régulation. L'appellation « shadow banking » est parlante, mais elle a perdu en précision ce qu'elle a gagné en notoriété. Pour certains, cela recouvrirait tout ce qui n'est pas banque : c'est excessif. Il est vrai, cela dit, que des masses considérables de financements se déplacent du secteur régulé vers le secteur non régulé. Il existe quatre grandes catégories d'intermédiaires financiers : les banques, les assurances, les gestionnaires d'actifs et les fonds de pension - ces derniers ne concernent pas la France. Pour les deux premiers, le gros du travail a été fait. Reste à réguler les gestionnaires d'actifs. Yves Perrier, qui dirige Amundi, plus gros gestionnaire d'actifs français et seul acteur européen d'importance mondiale, a courageusement pris parti pour un renforcement de la réglementation. C'est aussi la priorité du Conseil de stabilité financière de Bâle. Certes, les intérêts en la matière diffèrent de part et d'autre de l'Atlantique. Mais Mark Carney, Gouverneur de la Banque d'Angleterre, et Stefan Ingves, président du Comité de Bâle, semblent décidés à progresser sur ce dossier. Il est souhaitable qu'un accord soit trouvé d'ici 2016, qui ne devra évidemment pas consister en une transposition pure et simple de la réglementation bancaire : imposer des obligations de capital à des gestionnaires d'actifs n'a guère de sens. Mais instaurer des règles de liquidité, surveiller les effets de levier et imposer des stress tests aussi puissants que ceux appliqués aux banques permettra de diminuer l'ampleur des arbitrages réglementaires.

Votre question sur le franc CFA m'a touché, car mon premier poste à la direction du Trésor a été au bureau de la zone franc. J'y ai cru, j'y crois toujours. La dévaluation de 1994 a consolidé la zone franc CFA en rendant la croissance compatible avec la stabilité monétaire. Cette zone est un atout pour le développement des pays d'Afrique francophone et constitue un lien important entre ces pays et la France.

La faiblesse des taux d'intérêt est en effet préoccupante pour le secteur assurantiel. Lors de sa réunion de début septembre, le Haut Conseil de stabilité financière - l'un des grands progrès issus de la loi de 2013 - a souligné la nécessité d'une baisse ordonnée des rendements servis sur l'assurance-vie. Sujet sensible, mais il est nécessaire d'anticiper la baisse à venir sur le stock. Tout est affaire de pilotage en finesse. Le plus grand risque serait, du reste, une remontée brutale des taux, qui diminuerait la valeur du portefeuille obligataire. Ce risque semble toutefois lointain : ce n'est pas l'orientation actuelle de la politique monétaire.

La politique du Conseil des Gouverneurs n'a pas eu d'effet immédiat sur l'inflation dans la zone euro, en effet. Notons toutefois que celle-ci est sortie du territoire négatif, où elle était au début de l'année, pour s'établir en août à 0,1 %. Pour autant, nous sommes loin du compte. Une partie de l'explication réside dans la faiblesse du prix du pétrole, des matières premières et des produits alimentaires. Hors énergie et alimentation, l'inflation dans la zone euro est d'ailleurs comprise entre 0,6 % et 0,9 % selon les pays. Cela dit, les anticipations ont remonté : on attend désormais 1,5 % ou plus pour la fin de l'année 2017. De plus, le coût de financement des États, des entreprises et des ménages a baissé, ce qui est bon pour la croissance européenne. Cette politique a enfin eu un effet sensible sur les taux de change : 1 euro vaut 1,12 dollars, contre 1,30 à 1,40 début 2014, ce qui est bon pour notre compétitivité. Mario Draghi et les membres du Conseil des Gouverneurs se sont dits prêts à adapter leur politique s'il fallait en faire plus et à intensifier ou prolonger le programme de rachat d'actifs si besoin, faisant preuve d'un grand pragmatisme.

L'Espérance d'un Européen est un titre délibérément un peu provocateur...

Mme Michèle André, présidente. - Grande ambition !

M. François Villeroy De Galhau. - J'ai voulu raconter l'Europe du terrain, telle que je la vis dans mon village sarrois, ou telle que je l'ai vue en Italie. Trop souvent abstraite, assimilée à des querelles institutionnelles qui n'intéressent guère, l'Europe gagnerait à être présentée différemment : il s'y passe beaucoup de choses passionnantes chez nos voisins, dont nous gagnerions parfois à nous inspirer. Ma conviction est que l'identité européenne s'exprime essentiellement à travers un modèle social, caractérisé par un service public plus fort et des inégalités plus faibles que le monde américain ou émergent. Ce modèle social européen, loin d'être synonyme de conservatisme, est compatible avec le succès dans la mondialisation économique, au prix d'une réforme permanente. Nous ne sommes pas condamnés à choisir : l'Allemagne, entre autres, montre qu'une trajectoire de réformes, dans la durée, est gage de réussite. Nous sommes nombreux, je crois, à souhaiter que notre pays poursuive et avance sur le chemin qu'il s'est tracé.

M. Éric Bocquet. - Une nomination à ces fonctions prestigieuses et importantes n'est ni banale, ni technique. Votre candidature a suscité des commentaires, et même des polémiques. En particulier, un risque de conflit d'intérêts a été évoqué. Pouvez-vous présider l'ACPR alors qu'elle a infligé à la banque dont vous fûtes responsable une amende de 10 millions d'euros, pour une affaire de dossiers de contrats d'assurance-vie en déshérence ? Vous avez tenté de couper court à toute polémique en adressant un courrier aux présidents des deux commissions des finances, dont la presse s'est fait l'écho. Vous y prenez l'engagement de ne percevoir aucune rémunération différée de BNP Paribas de ne plus détenir aucune action de cette banque, même si vous ne pouvez pas céder les actions dites de performance avant mars 2016, et de ne participer à aucune décision individuelle concernant BNP Paribas dans un délai de deux ans. Tous ces engagements vont de soi mais montrent bien que se pose une vraie question éthique. Nous avons à nous prononcer non pas sur votre personne, j'insiste sur ce point, mais sur des principes qui doivent prévaloir dans une République qui se veut exemplaire.

Dans une récente décision relative au cas de François Pérol - qui n'a rien à voir avec le vôtre - le tribunal a souligné que la « singulière porosité entre secteur privé et secteur public et l'apparente familiarité avec laquelle les plus proches collaborateurs d'un ministre sont traités » - vous avez été directeur de cabinet d'un ministre de l'économie - « donnent l'apparence d'une connivence pour des affaires privées, particulièrement regrettable au titre du respect dû aux institutions de la République. » Nous ne sommes pas au tribunal, mais que pensez-vous de ces attendus ?

Nous constatons que les candidatures à ce type de fonctions sont très souvent issues de la banque privée : ainsi, celles de Mathilde Lemoine ou de Valérie Plagnol au Haut Conseil des finances publiques. Les critères mis en avant sont l'expertise et la compétence. Soit, mais n'y aurait-il de compétences que chez les personnalités issues de la finance privée ?

M. Philippe Dominati. - Nous avions auditionné Jean-Pierre Jouyet avant sa nomination à la tête de la Caisse des dépôts et consignations. Il s'était engagé à ne pas prendre de poste dans les filiales de cet établissement et je m'étais étonné de cette restriction. D'ailleurs, peu de temps après, il avait été nommé administrateur de la CNP, et heureusement ! Pour des postes aussi importants, on ne peut prédire l'avenir et il est dangereux de prévoir de telles limitations. D'ailleurs, il n'y a eu aucune réaction. Je souhaite donc que vous soyez délié des engagements que vous avez pris par lettre, dès lors que vous aurez reçu l'approbation de la commission des finances : en cas de crise, vous devez pouvoir intervenir en toute indépendance. Voulons-nous aller vers des nominations parcellaires ou conditionnelles ?

M. Maurice Vincent. - Ne pensez-vous pas qu'une impulsion plus forte sur la demande est nécessaire à l'économie française et européenne ? Vous formulez dans votre rapport sur le financement de l'investissement certaines propositions qui ne vont guère dans cette direction, hormis votre soutien à certaines mesures du plan Junker. Après les efforts consentis par notre pays pour restaurer la situation financière des entreprises, nous devons nous interroger sur les instruments dont nous disposons pour renforcer la demande.

M. François Villeroy De Galhau. - N'y a-t-il de compétences que chez les personnalités issues de la finance privée ? Non, évidemment. Il se trouve que trois anciens Gouverneurs de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, Michel Camdessus et Jacques de Larosière, sont issus du service public. Ils ont affirmé que mon parcours mixte leur paraissait compatible avec l'indépendance requise par l'exercice de ces fonctions. D'ailleurs, j'ai effectué les deux tiers de ma vie professionnelle dans le service public. Ceux qui me connaissent savent que la fibre du service public est bien ancrée en moi, et je ne crois pas, en travaillant dans la banque de détail en France et en Europe, m'en être tellement éloigné. Je ne ferai aucun commentaire sur la décision du tribunal relative à François Pérol, mais je souligne qu'il s'agit du cas d'une personne passant du public à une responsabilité bancaire. Pour moi, il s'agit de quitter la banque et tous les liens que je pouvais y avoir pour me remettre au service de mon pays. Cela représente un certain nombre de renoncements : c'est normal, mais pas si fréquent.

La lettre d'engagement que je vous ai envoyée résulte d'une étude assez précise que j'ai faite, avec des juristes, de l'ensemble des dispositions en droit français relatives à ma situation. J'en ai fait la réunion, au sens mathématique du terme. Personne ne m'a proposé d'engagement supplémentaire que je puisse prendre. Ces engagements gêneront-ils l'exercice de mes fonctions ? Je ne le crois pas. Le collège de l'ACPR est certes présidé par le Gouverneur, mais il ne traite que de questions transversales. Les décisions individuelles relèvent de trois collèges : un collège bancaire, présidé par un sous-gouverneur nommé pour six ans par décret en conseil des ministres ; le collège des assurances, présidé par un vice-président ad hoc de l'ACPR ; et une commission des sanctions, présidée par un conseiller d'État, et dans laquelle le Gouverneur ne siège pas. Celui-ci n'est donc pas, sauf circonstances exceptionnelles, en situation de prendre des décisions individuelles concernant une banque. Je me suis appliqué la règle des deux ans à titre de précaution supplémentaire car l'article L. 612-10 du code monétaire et financier la prévoit pour l'ACPR.

Quid si une crise grave devait frapper BNP Paribas d'ici au 1er mai 2017 ? Il s'agirait de circonstances absolument exceptionnelles : même lors de la pire crise financière que nous avons connue depuis des décennies, cela ne s'est pas produit. Si nous en étions à une situation de résolution de BNP Paribas, il y aurait des problèmes beaucoup plus graves que mon éventuel conflit d'intérêts ! Dans ce cas, je reviendrais, si vous le souhaitez, devant chacune des deux commissions pour prendre vos instructions. S'il devait se produire un contentieux américain similaire à celui que vous avez évoqué, je ne m'en occuperais pas.

Je me méfie des débats trop simplifiés opposant l'offre et la demande. Le bon sens indique qu'il faut à la fois une politique d'offre et une politique de demande. Actuellement, la demande est soutenue par la faiblesse du prix du pétrole et par celle de l'inflation, qui favorise le pouvoir d'achat - qui augmente à un rythme annuel de 1 % en France -, tout comme les taux d'intérêts très bas. Ces circonstances favorables entraînent une amélioration conjoncturelle mais ne suffisent pas à enclencher une franche reprise. Comment transformer l'essai ? Par l'investissement, qui a le mérite de réunir les partisans de l'offre et de la demande ! Ce qui stimule l'investissement, outre la demande anticipée, c'est la confiance des entrepreneurs, qui nécessite un travail de simplification et de stabilisation des règles et des normes, et les perspectives de rentabilité, surtout pour les PME. À cet égard, le pacte de responsabilité et le CICE vont dans le bon sens, pour le financement des PME et donc la consolidation de la croissance.

M. André Gattolin. - Plus qu'au risque de conflit d'intérêts, je m'intéresse au risque de conformisme. Lors de la crise des subprimes, la presse américaine était unanime à minimiser la situation. Actuellement, il faut être lucide sur les risques que le ralentissement de l'économie chinoise fait peser sur la nôtre. Le fond de résolution unique doit être abondé pendant huit ans pour atteindre son volume de cinquante milliards d'euros. Quid si une crise survient avant ? Certes, un responsable n'a pas pour rôle de semer la panique. Pour autant, il ne doit pas ignorer les dangers. Le Sénat a souhaité que les contributions des banques à ce fonds, qui atteignent une quinzaine de milliards d'euros, ne soient pas déductibles, comme c'est le cas en Allemagne. Pensez-vous qu'il s'agisse d'une décision juste ?

M. Marc Laménie. - Comment voyez-vous l'évolution de la présence de la Banque de France dans nos territoires ? Le directeur de la Banque de France, dans un petit département comme mon département des Ardennes, assure une présence humaine fondamentale, notamment pour les entreprises en difficulté.

Mme Michèle André, présidente. - Les chambres de compensation peuvent constituer aussi un facteur de risque systémique. Comment garantir qu'elles restent des facteurs de stabilité ? La BCE ne risque-t-elle pas d'avoir à en secourir en cas de crise majeure ? Que pensez-vous de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne qui, en mars dernier, a débouté la BCE qui souhaitait qu'une chambre de compensation ayant une activité significative en euros soit obligatoirement située dans la zone euro ?

J'ai beaucoup apprécié votre rapport sur le financement de l'investissement des entreprises. Vous y préconisez, pour favoriser le développement des nouveaux contrats d'assurance-vie Euro-croissance, d'autoriser des transferts de richesse entre fonds en euros et supports Euro-croissance. L'ACPR peut-elle accueillir favorablement une telle proposition ?

M. François Villeroy De Galhau. - J'y ai insisté : je suis un homme libre. La diversité de mon expérience professionnelle m'a ouvert à une certaine diversité d'opinions. Personne n'est à l'abri du conformisme, cependant. Vous verrez toutefois que dans certaines de ses parties, mon rapport aborde la question du coût du capital d'une manière assez originale. J'ai bien conscience que le fonds de résolution n'est pas achevé, sa montée en puissance devant être progressive. L'accélérer simplifierait les discussions sur le troisième pilier que doit constituer la garantie des dépôts. Il est juste que l'Europe ait défini des règles protégeant mieux les contribuables et mettant à contribution les créanciers - ce qui n'a nullement déclenché un écroulement du marché des créances bancaires, comme certains l'annonçaient. Rendre les contributions non déductibles est une décision de politique fiscale, qui appartient très légitimement au Parlement, et sur laquelle je n'ai pas à faire de commentaire. Je puis toutefois vous dire que cette décision n'a pas mis à mal la compétitivité des banques françaises. Il convient toutefois de veiller à préserver celle-ci.

Avec ses missions de service économique, la Banque de France a la chance, comme je l'ai dit, d'avoir à la fois les pieds sur le terrain et la tête en Europe. Nous devons adapter le réseau à l'évolution des missions : par exemple, la mise en circulation des billets ne se fait plus comme il y a quinze ans. La Banque de France a adopté un plan Réseau 2020, que je ne saurais encore vous décrire en détail, mais qui me semble trouver un équilibre entre la nécessité d'accroître l'efficacité, pour contribuer au budget national, et celle de maintenir une présence active et visible dans chaque département. Vous avez évoqué le rôle du directeur de la Banque de France dans chaque département : je souhaite le conforter, et même le développer. La Banque de France peut beaucoup aider à l'information économique dans notre pays. La cotation a parfois mauvaise presse, mais il s'agit d'un atout unique de la France au sein de l'eurosystème, qui facilitera le financement non bancaire de nos PME. La médiation, notamment pour les TPE, peut aussi être développée.

Je ne puis vous répondre sur les chambres de compensation comme facteur de stabilité, car je ne connais pas encore suffisamment ce sujet pour vous faire une réponse étayée. Nous avons tous regretté la décision de la Cour de justice de l'Union européenne : l'enjeu était d'obtenir que les chambres de compensation ne soient plus situées à Londres. L'arrêt se fondant sur des motifs de procédure, peut-être pourrons-nous relancer cette question, même si c'est devenu plus délicat à la veille du référendum britannique.

L'assurance-vie, qui est aujourd'hui le premier placement des Français - 1 600 milliards d'euros - doit servir davantage à financer les entreprises et l'investissement productif. Le produit Euro-croissance, imaginé en 2014 par le Parlement en liaison avec les professionnels, me paraît une bonne solution : en échange du renoncement à la liquidité immédiate, une garantie sur le capital est offerte pendant huit ans. Ainsi, l'assureur peut investir dans des actions, et l'assuré bénéficie d'un rendement supérieur. Malheureusement, le démarrage du produit est trop lent, car le taux du fonds Euro est plus favorable. Pour l'aider à décoller, nous devrions autoriser l'assuré qui souhaite transférer une part de ses avoirs sur un fonds Euro-croissance à y transférer aussi la part de ses plus-values à laquelle il a droit. La discussion avec l'ACPR est en cours, elle avance avec prudence.

Mme Michèle André, présidente. - Je vous remercie.

Vote sur la proposition de nomination du Gouverneur de la Banque de France

La commission procède au vote sur la proposition de nomination du Gouverneur de la Banque de France et au dépouillement simultané du scrutin au sein des commissions des finances des deux assemblées.

MM. François Marc et Philippe Dallier, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs.

Mme Michèle André, présidente. - Voici le résultat du vote :

Nombre de votants : 32 ; Blancs : 2 ; Pour : 25 ; Contre : 5.

Ce vote sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

La commission émet un avis favorable à la nomination de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de Gouverneur de la Banque de France

La réunion est levée à 18 h 50.

Mercredi 30 septembre 2015

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés - Contrôle budgétaire - Communication

La séance est ouverte à 9 h 05

La commission entend une communication de Mme Fabienne Keller relative aux travaux menés avec M. Yvon Collin, en tant que rapporteurs spéciaux, sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés.

Mme Michèle André, présidente. - Je rappelle que ce rapport s'inscrit dans le cadre des travaux du Sénat sur la COP 21 et que des réunions de l'Union interparlementaire se tiendront à l'Assemblée nationale et au Sénat sur cette question.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - La France a fait depuis plusieurs années de la lutte contre le changement climatique une des priorités de sa diplomatie, qui s'illustre dans l'organisation - d'ici quelques semaines - de la vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, la « COP21 ». De nombreuses associations se sont mobilisées sur cette question, mais aussi des collectivités territoriales - je pense au sommet des villes qui s'est tenu en juillet - et, comme vous le savez, plusieurs commissions du Sénat travaillent sur le sujet.

Ce volet de notre diplomatie se retrouve naturellement dans la politique d'aide publique au développement (APD) française, qui comporte des objectifs relatifs au changement climatique. Déjà en 2011, le document cadre de la politique d'APD française distinguait quatre « enjeux stratégiques pour la coopération », dont celui de « préserver les biens publics mondiaux », parmi lesquels était mentionné le climat.

De même, la loi de programmation relative à l'aide publique au développement, adoptée à l'été 2014 prévoit dès son premier article 1er que l'APD vise également à lutter contre le changement climatique.

Dans le prolongement de ces objectifs généraux, l'Agence française de développement (AFD), s'est dotée de sa propre stratégie « climat - développement ».

L'AFD a mis en place une procédure d'évaluation systématique de l'empreinte carbone des projets qu'elle finance dans les pays en développement et peut être amenée à écarter certains projets à travers l'application d'une grille de sélectivité en termes d'émissions de gaz à effet de serre.

Elle s'est surtout assignée des objectifs quantitatifs : au moins la moitié de l'activité de l'agence dans les pays en développement doit avoir des co-bénéfices climat ; ce pourcentage est de 30 % pour sa filiale Proparco, consacrée au secteur privé. Les objectifs de l'agence sont déclinés géographiquement : la part des financements climat doit ainsi s'élever à 70 % en Asie et en Amérique latine, à 50 % en Méditerranée et à 30 % en Afrique subsaharienne.

Ces objectifs français s'inscrivent dans le cadre global de l'engagement pris par les pays développés à Copenhague en 2009 de consacrer 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 pour financer des projets climat dans les pays en développement. Ils s'inscrivent également dans le prolongement des « objectifs de développement durable », qui viennent d'être adoptés à New York et qui remplaceront les « objectifs du millénaire pour le développement ». Le treizième objectif prévoit ainsi de « prendre des mesures urgentes pour lutter contre le changement climatique et ses impacts ».

Les financements climat de la France passent par différents outils, aussi bien multilatéraux que bilatéraux.

On peut notamment retenir le Fonds pour les technologies propres, auquel la France a contribué à hauteur de 500 millions de dollars sur 2010-2012, la « Réserve pays émergents », qui a permis de financer 450 millions d'euros, entre 2005 et 2014, de projets intégrant un objectif de lutte contre le changement climatique, ou encore le Fonds français pour l'environnement mondial qui a versé 59 millions d'euros de dons depuis 2007.

C'est cependant l'AFD qui porte la majeure partie des financements climat de la France : ses engagements climat comptabilisables en APD se sont élevés à 13,2 milliards d'euros entre 2007 et 2014. En 2007 les engagements annuels s'élevaient à 670 millions d'euros avant d'atteindre 2,4 milliards d'euros en 2010 et de stabiliser depuis lors autour de 2 milliards d'euros par an. La croissance est donc importante.

Au total, en 2013, les engagements climat de la France se sont élevés à 2,15 milliards d'euros, soit un montant équivalent à celui de l'Allemagne. Cette dernière accorde cependant exclusivement des dons, quand la France a accordé plus de 90 % de prêts.

La lutte contre le changement climatique est souvent abordée sous l'angle des pays industrialisés ou des grands émergents. Certes, les « pays les moins avancés » (PMA) ne sont pas des émetteurs importants, mais il est fondamental qu'ils adoptent dès aujourd'hui une stratégie de croissance « bas carbone » ; d'autre part, ils sont les premiers à ressentir les effets du changement climatique.

Les effets du changement climatique sont très variables, tout comme l'exposition des populations, mais ils toucheront plus durement les pays en développement, du fait de leur position géographique, de leur plus grande dépendance aux ressources naturelles et d'une plus faible capacité à s'adapter à l'évolution climatique. Le risque est donc que les inégalités entre le monde développé et le monde en développement se creusent encore.

Les principaux effets du changement climatique pour les pays en développement se feront sentir en matière de pluviométrie, ce qui signifie à la fois des inondations et des sécheresses, qui auront des conséquences considérables en matière de production agricole et de santé. La montée du niveau des mers risque également de toucher un nombre de villes très important. Il résultera de ces différents effets des déplacements forcés, l'exacerbation de conflits, et des migrations importantes.

Nous rejoignons ici l'actualité : le changement climatique augmentera sensiblement les pressions à la migration économique. En 2008, l'ONU estimait que « près de 250 millions de personnes seront déplacées au milieu de ce siècle à cause de conditions météorologiques extrêmes, de la baisse des réserves d'eau et d'une dégradation des terres agricoles ». Plus récemment, le Conseil norvégien des réfugiés estimait qu'entre 2008 et 2013, en moyenne annuelle, 27,5 millions de personnes s'étaient déplacées du fait de catastrophes naturelles, notamment liées au climat.

Afin d'étudier le cas spécifique des PMA, nous nous sommes rendus au Sénégal, Yvon Collin et moi, en mai dernier. Ce pays fait partie des PMA, bien qu'il espère accéder au statut d'émergent d'ici 2035. Il est aussi particulièrement exposé aux conséquences du changement climatique.

Récemment, le cabinet britannique Maplecroft classait le Sénégal comme dixième pays d'Afrique le plus vulnérable et quatorzième pays au niveau mondial. Il est notamment exposé au changement de pluviométrie : la sécheresse, l'élévation des températures mais aussi les mauvaises pratiques culturales, ont d'ores et déjà affecté la végétation, la salinisation des terres et la fertilité des sols, ce qui se traduit par une baisse de la production agricole. Par ailleurs, l'élévation du niveau des mers affecte la majeure partie des villes côtières sénégalaises, à commencer par Saint-Louis, impliquant des déplacements de population importants.

Les conséquences du changement climatique sont déjà visibles. Du fait notamment de la montée du niveau des mers, Saint-Louis est menacée par l'érosion de la « langue de barbarie », vaste bande de sable qui la protégeait de l'océan Atlantique. Dans la région de Dakar, c'est la hausse des précipitations qui provoque des inondations à répétition, notamment dans la ville nouvelle de Pikine.

Nous avons mené plusieurs visites de terrains et notamment d'un important projet d'irrigation de cultures rizicoles, afin de pallier la plus grande variation de la pluviométrie, qui nous a permis à Yvon Collin et moi-même d'animer une réunion avec des agriculteurs locaux et de constater qu'il y avait un véritable partage des connaissances et des technologies. Nous avons également pu rencontrer de nombreux interlocuteurs sur le sujet du changement climatique, et notamment le ministre de l'environnement ou le maire de Dakar.

Nous avons eu le sentiment qu'il y avait une véritable prise de conscience des autorités sénégalaises sur la question, bien qu'il soit naturellement parfois difficile de protéger l'environnement quand les besoins de développement sont si importants.

Ces entretiens nous ont permis de mieux cerner les besoins des PMA, sans le soutien desquels, j'insiste sur ce point, la COP 21 ne pourra être un succès.

Tout d'abord, les PMA sont prêts à fournir des efforts sur leurs propres émissions ; dans leur cas, il ne s'agit pas, bien entendu, de les diminuer, mais de modifier leur trajectoire. Ils attendent cependant que les pays développés s'engagement à diminuer les leur, afin que les effets qu'ils subissent soient moins importants.

Ils souhaitent également que les pays industrialisés, conformément à leurs engagements passés, mettent des financements sur la table pour les aider face au changement climatique, si possible avec un accès direct à ces financements et non à travers des structures multilatérales ou bilatérales. Surtout, leur préférence va à des financements concernant « l'adaptation au changement climatique », c'est-à-dire la lutte contre ses effets, plutôt qu'au financement de « l'atténuation » des émissions de gaz à effet de serre. Les financements en matière d'adaptation sont d'ailleurs intimement liés au développement : comme nous l'avons constaté au Sénégal, lutter par exemple contre les remontées salines permet également d'améliorer la sécurité alimentaire.

En effet, l'état des réseaux énergétiques est tel dans les PMA que les financements en atténuation sont compliqués à mettre en oeuvre.

Enfin, les pays en développement et notamment les PMA considèrent que les financements annoncés en matière de lutte contre le changement climatique doivent venir s'additionner aux financements classiques annoncés dans le cadre de l'aide publique au développement.

Si nous examinons la politique française d'APD en matière de changement climatique à la lumière des besoins des PMA, nous pouvons en tirer plusieurs enseignements.

Les chiffres des financements climat de la France montrent que cette politique n'est pas assez adaptée aux PMA. Certes, comme on l'a vu précédemment, les engagements de l'AFD sont nettement en hausse. Mais les financements en matière d'adaptation ne représentent qu'à peine plus de 200 millions d'euros par an moyenne, soit seulement 12 % du total. Et ce sont les financements en matière d'atténuation qui ont connu la hausse la plus importante.

Ce déséquilibre se retrouve dans les outils utilisés. Si l'on étudie les engagements de l'AFD, sur les sept dernières années, moins de 5 % des engagements sont constitués par des dons.

Dans ces conditions, il est logique que les PMA ne bénéficient que d'une faible part de nos financements climat : 9 % environ entre 2007 et 2014.

Le délaissement des pays les plus pauvres est une critique récurrente de notre politique d'aide publique au développement. Ainsi, les 16 « pays pauvres prioritaires » ne bénéficiaient que de 12 % des engagements de l'AFD et de 39 % des subventions en 2013, contre un objectif des deux tiers.

Cette situation existe alors même que nos documents cadre prévoient des objectifs spécifiques à ces pays, qui permettent probablement de limiter « la casse ».

Or, force est de constater qu'aucun objectif propre aux PMA ou aux « pays pauvres prioritaires » n'existe en matière de changement climatique. Certes, le rapport annexé à la loi de 2014 prévoit qu'il est crucial « d'accompagner les pays les plus pauvres et les plus fragiles pour qu'ils puissent adapter leurs modes de vie et leurs économies aux effets inéluctables et déjà présents de ce changement climatique ». Mais cette déclaration ne s'accompagne d'aucun objectif quantitatif.

C'est pourquoi nous proposons de compléter les objectifs que s'est fixés la France en matière de financement climat en prévoyant un double objectif : d'une part, un objectif d'aide destinée aux PMA ; d'autre part un objectif de financements en matière d'adaptation aux conséquences du changement climatique. Il semble raisonnable de fixer chacun de ces objectifs à 20 %, à l'horizon 2020.

Le « Fonds vert pour le climat », dont le principe a été acté à la conférence de Copenhague en 2009, est l'outil le mieux adapté aux besoins des PMA. Il doit permettre de financer, dans les pays en développement, des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, qu'il s'agisse d'atténuation ou d'adaptation.

L'objectif est de parvenir à 100 milliards de dollars par an d'ici 2020. Il comporte un objectif de répartition à parité entre atténuation et adaptation (en équivalent dons) et un objectif de 50 % des ressources pour les États les plus vulnérables, dont les petits états insulaires, les PMA et les États africains.

À ce jour, 10,2 milliards de dollars de promesses de dons ont été faites pour la période 2015-2018. La France s'est engagée pour sa part à hauteur d'un milliard de dollars, dont près des deux tiers sous forme de don. En avril dernier, 42 % des promesses avaient effectivement été transformées en engagements.

Il est donc nécessaire que la France fasse son possible, notamment dans le cadre de la COP 21, pour que ses partenaires des pays industrialisés contribuent à ce fonds et que l'objectif de 100 milliards de dollars par an soit atteint.

Les premiers projets pourraient être présentés au conseil d'octobre. L'AFD a été accréditée cet été et pourra donc porter des projets financés par le fonds.

Les financements annoncés pour lutter contre le changement climatique devraient en principe venir s'additionner à ceux prévus dans le cadre de l'aide publique au développement « classique », d'autant plus que notre APD est considérablement inférieure à celle nos voisins : l'aide de la France représente 0,36 % du revenu national brut (RNB), quand l'Allemagne est à 0,41 % et le Royaume Uni à 0,71 %.

Cependant, le contexte budgétaire et économique rend cette perspective difficile. Cette difficulté pourrait être dépassée en ayant recours aux « financements innovants », selon l'expression consacrée, c'est-à-dire par des taxes affectées, mises en place idéalement au niveau international, comme l'a été la taxe sur les billets d'avions dite « taxe Chirac ».

Pascal Canfin et Alain Grandjean ont récemment rendu un rapport sur le sujet, à la demande du Président de la République, qui explore plusieurs voies.

Pour notre part, nous avons plaidé à plusieurs reprises pour la mise en place d'une taxe sur les transactions financières (TTF) au niveau communautaire, dont le produit soit au moins partiellement affecté à l'aide publique au développement.

Cependant, comme vous le savez, la mise en place de cette TTF est laborieuse et a récemment été à nouveau reportée.

De plus, il faudra veiller, lorsqu'elle sera mise en place, à ce que son produit soit effectivement - pour une part conséquente - affecté au développement et à la lutte contre le changement climatique. Nous avons débattu de ce sujet avec Richard Yung et François Marc, lors de l'examen du projet de loi relatif au système des ressources propres de l'Union européenne. Je rappelle qu'en 2014, seulement 12 % du produit de la TTF française a effectivement bénéficié au développement.

Le marché européen de quotas carbone pourrait être une autre source de financements. Les autorités européennes cherchent à faire « repartir » ce marché : l'objectif est d'arriver à 20 euros la tonne en 2020 et 30 euros en 2030, pour pouvoir avoir un vrai caractère incitatif pour les entreprises. Je rappelle qu'actuellement la tonne de CO2 est à 7 euros environ. Pascal Canfin et Alain Grandjean estiment que 3,5 à 5 milliards d'euros par an, à l'horizon 2030, pourraient ainsi être trouvés, grâce aux quotas mis aux enchères.

Enfin, nous pensons que les secteurs des transports aériens et maritimes, qui représentent à eux deux plus de 5 % des émissions de gaz à effet de serre, pourraient être mis à contribution de façon plus importante. Il pourrait être envisagé de les intégrer dans le système européen de quotas, ce qui dégagerait des ressources supplémentaires pour les pays en développement.

La taxation de ces deux secteurs est une piste particulièrement intéressante, sous la forme par exemple d'une taxe sur les carburants. Certes, la mise en place d'une telle taxe pourrait s'avérer complexe d'un point de vue juridique et nécessiterait de discuter avec l'Organisation internationale de l'aviation civile et l'Organisation maritime internationale. Concernant le secteur aérien, il serait par exemple nécessaire de modifier la convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale ainsi que plusieurs milliers de conventions bilatérales. Mais la COP 21 offre justement un cadre aux États pour évoquer un tel sujet. Je rappelle que les carburants des navires sont les plus polluants et ne supportent aucune fiscalité.

Sans inflexion forte en termes de ressources, nous n'aurons pas les moyens d'aider les pays les moins avancés et la pression migratoire ne fera que s'accentuer. En conclusion, nous estimons que la COP 21 doit être l'occasion de donner un signal fort aux PMA, qui garantisse leur adhésion au nouveau système international de lutte contre le changement climatique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais remercier Fabienne Keller pour cette communication qui, à la veille de la COP 21, est d'une actualité brûlante. Je lisais ce matin l'interview d'un chef d'État africain qui rappelait que, tant que l'Afrique n'aurait pas un accès suffisant à l'eau et à l'électricité, la question des flux migratoires ne pourrait pas être résolue.

J'ai une interrogation sur les taxes aériennes. En effet, la taxe sur les billets d'avion fonctionne mais, lorsque ce type de taxe n'est pas appliqué au niveau mondial, cela nuit à la compétitivité de certaines compagnies aériennes comme cela est le cas, par exemple, d'Air France par rapport à certaines compagnies du Golfe. L'application unilatérale de ce type de taxe risque donc d'avoir des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises.

Vous avez parlé des conséquences du changement climatique, notamment sur les pays les moins avancés, qui sont dramatiques, on peut penser par exemple à la disparition des îles, à l'ensablement de certaines villes, ou encore aux inondations, mais existe-t-il des analyses précises et sérieuses sur la contribution de ces pays au changement climatique ? Je pense notamment à l'augmentation de leur consommation d'énergies fossiles, à la déforestation liée aux besoins de chauffage, ou au développement du parc automobile. En effet, certains pays, à l'instar de l'Inde ou de la Chine, ont connu une augmentation fulgurante de leur parc automobile, parfois au détriment de l'offre de transports publics.

M. André Gattolin. - Je partage de nombreuses observations formulées par Fabienne Keller. La question des transports maritimes et des carburants utilisés dans ce secteur est essentielle. On s'est beaucoup focalisé ces dernières années sur le transport aérien alors que les carburants utilisés dans le cadre des transports maritimes sont non seulement polluants pour les océans et émetteurs de gaz à effet de serre mais, dans les zones arctiques, le carbone-suie qui se dégage tend aussi à recouvrir la neige et à réduire l'effet d'Albédo, ce qui contribue au réchauffement climatique. Or cette question est rarement évoquée. Elle est par exemple absente des réflexions en cours sur les codes de la navigation au niveau international.

Il me semble intéressant que, dans le cadre de la préparation de la COP 21, 90 pays, représentant 80 % des émetteurs de gaz à effet de serre, aient déjà déposé une contribution, parmi lesquels certains pays d'Afrique, tels que le Gabon ou l'Éthiopie.

Je voudrais préciser les propos de Fabienne Keller : le sommet qui s'est tenu en juillet n'était pas le sommet des villes mais le sommet des acteurs non-étatiques. Il me semble important qu'au-delà des villes, des régions, des provinces, des collectivités territoriales s'engagent, notamment dans les pays en développement. Il est essentiel, qu'à côté des contributions nationales, ces collectivités participent à la réflexion, je pense par exemple à des villes comme Lagos au Nigéria. La participation de tous ces acteurs est importante pour arriver à un accord qui aura une vraie validité.

M. François Marc. - Je remercie Fabienne Keller d'avoir abordé la question du financement de la transition vers une économie bas carbone. Pour trouver les 100 milliards de dollars nécessaires au financement de ce fonds, alors que les finances publiques des États ne sont pas en capacité de l'alimenter, il est nécessaire d'imaginer, comme cela a été rappelé par la rapporteure, des financements innovants. Dans un ouvrage écrit sous la direction de Jacques Mistral, « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Anton Brender propose le recours à des partenariats public-privé. Il aborde notamment le cas de l'Afrique, présentée comme le continent qui connaîtra le développement économique le plus fort dans les années à venir, où de nombreuses entreprises vont s'implanter et réaliser des bénéfices. Il estime par conséquent nécessaire d'associer ces entreprises en amont afin de réfléchir aux moyens de les faire contribuer à l'adaptation du modèle économique des pays les moins avancés. Cette proposition me semble intéressante car elle permettrait d'orienter une partie de la ressource vers ce fonds international. La rapporteure peut-elle nous indiquer s'il s'agit d'une option évoquée dans le rapport de Pascal Canfin et Alain Grandjean ?

Mme Marie-France Beaufils. - Je voudrais revenir sur la taxe sur les transactions financières, qui me semble être une vraie piste sur laquelle on devrait travailler. Bien souvent, ces transactions profitent à ceux qui ont été à l'origine de l'épuisement des ressources et qui sont responsables de la dégradation de la situation dans ces pays. Pourriez-vous nous dire quels sont les freins que vous avez identifiés à la mise en place d'une telle mesure ? Je souhaiterais également évoquer la question des partenariats public-privé. Malheureusement, ces dispositifs profitent généralement, pour l'essentiel, au privé, qui alimente sa caisse alors qu'il n'y a pas de retour positif sur le terrain. Je suis donc sceptique. Il me semble que l'on devrait être davantage exigeant vis-à-vis de ceux qui interviennent dans ces pays afin qu'ils soient plus respectueux de règles. Je suis convaincue nous avons tous à gagner à ce que ces pays permettent à leurs habitants de continuer à vivre sur leur territoire et ne deviennent pas des exilés climatiques.

M. Jérôme Bignon, président du groupe de travail relatif aux négociations internationales sur le climat et l'environnement. - Nous avons eu une réunion sous la présidence de Gérard Larcher pour fixer le calendrier des travaux de notre groupe de travail. Une réunion devrait ainsi se tenir le 22 octobre pour adopter une proposition de résolution qui serait examinée en séance le 16 novembre prochain. Je tenais d'ailleurs à saluer le travail des rapporteurs. Nous attendons les contributions de chacun pour les intégrer dans le rapport et pour que la résolution que nous proposerons soit le fruit d'un travail collectif.

Les pays en développement ou les moins avancés rencontrent une difficulté majeure pour régler des problématiques dont les principaux facteurs leur échappent : sécheresse, montée des océans etc. On ne peut qu'être frappé de la diminution de la taille du lac Tchad, dont la circonférence ne représente plus que 10 % de celle d'il y a quarante ans. On comprend dès lors que la crise humanitaire en Afrique sub-saharienne n'a pas une origine politique mais climatique. Cela crée des conflits entre les pays, entre les confessions, entre les catégories d'agriculteurs. Les questions climatiques sont souvent à l'origine de difficultés plus larges. La Syrie a ainsi été victime de crises de sécheresse qui se sont traduites par des difficultés majeures en termes d'alimentation.

J'étais en Chine la semaine dernière et j'ai pu mesurer la complexité de son positionnement sur ces questions. La Chine prétend en effet rester dans le champ des pays en développement, ce qui se justifie mais, dans le même temps, elle entend jouer un rôle politique mondial, d'influence. C'est pourquoi elle est a créé un fonds « sud-sud » qu'elle alimentera. Cette ambiguïté se retrouve dans son modèle de développement : d'un côté la Chine compte 20 millions de voitures supplémentaires chaque année mais, dans le même temps, la ville dans laquelle je me suis rendu, Wuhan, crée une nouvelle ligne de métro par an.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Pour répondre au rapporteur général, nous nous sommes concentrés sur la question des pays les moins avancés, dont les niveaux d'émission sont moins importants qu'en Inde ou en Chine - qui est le premier émetteur en niveau absolu désormais - dont les émissions par habitant augmentent mais qui demeurent inférieures aux standards européens, américains ou plus encore saoudiens. Les pays les moins avancés émettent peu et ce qu'ils émettent a essentiellement un impact sur eux-mêmes. Brûler des pneus ou des déchets pour cuisiner, ce qui est souvent le cas en Afrique, dégage des particules. Cela est néfaste pour les poumons et la santé de ces personnes plus que pour la planète car l'effet volume est très faible. À cet égard, l'initiative de Jean-Louis Borloo pour développer l'électrification est intéressante.

S'agissant de la question de la déforestation, qui recoupe généralement, dans ces pays, celle de l'accès à l'énergie, des projections montrent que la croissance démographique risque d'aggraver ce phénomène.

Vous avez rappelé à juste titre que la mise en place d'une taxe aérienne peut être problématique si elle n'est pas appliquée au niveau mondial. On constate par exemple que les vols vers l'Asie font escale au Moyen-Orient car il n'y a pas de taxe d'aéroport. Si ces pays ne mettent pas en place de taxe, cela améliorera leur positionnement concurrentiel. Il me semble que la COP 21 constitue une opportunité pour discuter de ce sujet.

S'agissant des bateaux, l'amélioration des caractéristiques des moteurs, qui mobilise l'Organisation maritime internationale, sera applicable l'année prochaine. Pour autant, la durée de renouvellement des flottes est de trente ans. L'initiative est louable, mais son impact sur les émissions ne sera effectif qu'à long terme. La COP 21 peut être une occasion de marquer une volonté planétaire dans des secteurs qui présentent l'avantage, par rapport au champ d'application d'une taxe sur les transactions financières, d'être relativement concentrés : le nombre d'armateurs ou de brokers en bitumes et gasoils pour les bateaux n'est pas infini. Dès lors que nous afficherons la volonté de taxer - même légèrement - l'ensemble des volumes, nous pourrons disposer d'un dispositif novateur et d'une source de financement pérenne.

André Gattolin a rappelé que, dans le cadre de la préparation de la COP 21, de nombreux pays, dont l'Éthiopie, ont déposé une contribution. On ne peut que se féliciter que tous les pays se sentent concernés : les pays émergents, compte tenu de l'ampleur de leurs émissions, et les pays les moins avancés, en raison des conséquences qu'ils subissent, mais aussi parce qu'ils veulent être dans le jeu international.

François Marc a souligné l'importance d'organiser le financement de la transition vers une économie bas carbone. S'agissant des partenariats public-privé, le fonds vert permet d'intégrer des financements privés, mais certains pays du sud considèrent qu'on leur propose des projets relevant de l'activité économique ordinaire, qui seraient financés par ailleurs. Si l'on met tous les investissements des pays du Nord dans le fonds vert, les 100 milliards de dollars sont déjà atteints. On leur a promis ce levier, il faut donc être vigilant et lui donner un contenu. Les partenariats public-privé ne doivent pas constituer un substitut à l'aide publique.

Marie-France Beaufils a rappelé son attachement à la taxe sur les transactions financières. J'ai écrit un rapport sur ce sujet en 2012 et, comme vous le savez, nous « pataugeons » sur les questions liées aux assiettes, au siège des parties à la transaction, aux chambres de compensation, etc. Par ailleurs, si le projet est porté dans le cadre d'une coopération renforcée à onze, dans l'Union européenne, il n'existe que des structures à vingt-huit. Les États membres opposés à la taxe sur les transactions financières participent donc à la discussion, ce qui gêne les négociations... À partir d'une proposition très ambitieuse de la Commission européenne, de nombreux critères ont été restreints à la demande de certains pays et les discussions se sont arrêtées. Un nouveau projet devrait être proposé par la Commission. Pour autant, si l'objectif d'un tel dispositif me semble louable, compte tenu de la désorganisation des marchés financiers et de la disparition de toute obligation déclarative des transactions ou de passer par une chambre de compensation, la réalité de son application semble très difficile. Cela tient à la dimension immatérielle des transactions financières, c'est-à-dire à la possibilité de faire transiter l'intégralité des transactions via un « caillou » au milieu du pacifique. Imposer les carburants des bateaux a l'avantage de porter sur une assiette physique, plus mesurable. Les risques de fuite de l'assiette sont moins forts.

Je partage l'analyse de Marie-France Beaufils sur la gravité de la situation des réfugiés climatiques. Je ne crois pas que nous ayons encore pleinement pris conscience que la question climatique, aggravée par le facteur démographique, constituera bientôt une deuxième poussée à l'exil, aussi forte que les difficultés économiques.

Jérôme Bignon a souligné le rôle des pays du Sud et de la Chine en particulier. 20 millions de véhicules supplémentaires peut sembler élevé, mais à l'échelle de la population chinoise, cela ne représente qu'un véhicule pour 500 habitants. Ce phénomène est inquiétant car il peut encore se poursuivre et s'amplifier. Or, s'il est indispensable d'inciter ces pays à passer à un modèle plus sobre, je me suis rendue compte en Tunisie, à Dakar et dans d'autres pays, qu'il était souvent plus facile de construire en six mois une autoroute qui permet un désenclavement, en particulier quand elle est financée par la péninsule arabe ou la Chine, que de mettre en place un réseau de transports en commun qui, pour être intelligent, doit passer en milieu urbain et nécessite d'importants investissements et de longues études techniques. Malheureusement, le modèle automobile continue d'être dominant parce qu'il est plus facile à mettre en place.

La Chine s'intéresse à la COP 21 parce que sa population se sent très concernée par les effets de la pollution de l'air. Or ces deux sujets sont distincts : la pollution de l'air renvoie à la question des particules et non aux gaz à effet de serre. Pour autant, il s'agit de sujets corrélés. On ne peut que se féliciter que la COP 21 mobilise les États parce que ces problématiques recoupent des sujets de préoccupation nationale. Cela laisse entrevoir de belles perspectives de résultats pour cette conférence. Le Sénat est d'ailleurs très actif dans sa préparation.

Mme Michèle André, présidente. - En tant que présidente exécutive du groupe français de l'union interparlementaire, je mesure notre apport. On ne peut qu'être frappé par le rétrécissement du lac Tchad ou par les catastrophes au Bangladesh. Ces évolutions devraient nous mobiliser pour des raisons climatiques et humanitaires.

La commission donne acte de sa communication à Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

- Présidence de Mme Michèle André, présidente -

Financement et pilotage du projet de constitution d'un pôle scientifique et technologique « cluster » sur le plateau de Paris-Saclay - Contrôle budgétaire - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Michel Berson, rapporteur spécial, sur le financement et le pilotage du projet de constitution d'un pôle scientifique et technologique « cluster » sur le plateau de Paris-Saclay.

M. Michel Berson, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - J'ai souhaité procéder à un premier bilan du projet de constitution, sur le plateau de Saclay, d'un pôle scientifique et technologique qui pourrait devenir le plus important d'Europe. Je poursuivrai ces travaux en 2016 ; mais j'ai pensé utile de vous présenter, d'ores et déjà, mes premières observations. Il ne s'agit pas, évidemment, de conclure à la réussite ou à l'échec du projet ; ce serait prématuré à ce stade. Il s'agit seulement, aujourd'hui de porter un premier regard sur les financements et le pilotage du projet, de relever d'éventuels points de blocage, et de formuler quelques recommandations.

Je voudrais d'abord préciser que le projet de pôle scientifique et technologique de Saclay est un projet emblématique pour la France, un projet de longue haleine, fondé sur une grande ambition. L'objectif consiste à donner naissance à un écosystème cohérent de recherche et d'enseignement supérieur, doté d'infrastructures modernes et adaptées. Ce projet, très ambitieux, comporte donc un double défi : il s'agit à la fois d'une vaste opération d'aménagement du territoire et d'un projet d'excellence scientifique et technologique.

À terme, le « cluster » devra pouvoir concurrencer les plus grands pôles scientifiques actuels, comme la « Silicon Valley ». Avec 65 000 étudiants et 9 000 chercheurs et enseignants chercheurs, le plateau de Saclay devrait in fine concentrer 15 % de la recherche française et faire partie du « Top 8 » mondial des « clusters » de recherche et de développement.

Il faut rappeler que la constitution d'un tel pôle scientifique n'est pas un projet ex nihilo : le plateau accueille depuis l'après-guerre des grandes écoles et des centres de recherche aussi bien privés que publics. Le site de Paris-Saclay est un lieu de vie scientifique intense depuis les années 1960. Mais les collaborations entre les établissements de formation et les organismes de recherche, disposant tous d'une forte identité et relevant de tutelles parfois différentes, sont longtemps restées essentiellement bilatérales. Les relations scientifiques à l'intérieur du site se sont organisées autour de grands équipements scientifiques, comme le Synchrotron Soleil ou Imagif.

La cristallisation autour d'un projet collectif n'a été initiée qu'à partir de 2005 avec la mise en place d'instruments décidés au niveau de l'État. C'est avec le plan « Campus », lancé en 2008, que le projet a pris une nouvelle ampleur : les fonds issus de ce plan et du premier programme d'investissements d'avenir (PIA) ont contribué tout à la fois à accélérer le mouvement de relocalisation d'établissements et à enrichir l'organisation scientifique et technologique du site. C'est ainsi qu'ont vu le jour onze « laboratoires d'excellence » (Labex), trois instituts de la transition énergétique (ITE), un institut de recherche technologique (IRT) et une société d'accélération du transfert technologique (SATT). Toutes ces structures s'ajoutent aux six instituts Carnot liés à des acteurs du campus.

Enfin, en avril 2012, dans le cadre du deuxième programme d'investissements d'avenir (PIA 2), le projet de constitution d'une université de rang mondial sur le plateau de Paris-Saclay a été retenu et doté de 950 millions d'euros sous forme de dotation non consomptible. L'université a vu le jour fin décembre 2014 sous la forme juridique d'une Communauté d'universités et établissements (Comue) et la première rentrée universitaire se tient en ce moment même. Au total, l'université regroupe dix-neuf établissements : dix « grandes écoles », deux universités et sept organismes de recherche. C'est là un modèle particulièrement original, qui n'a pas son pareil dans notre pays.

Je voudrais ensuite souligner que le pilotage de ce projet est complexe et que ses financements sont largement assurés par le PIA.

Le caractère transversal du projet complexifie en effet sa gouvernance. Ainsi, le comité de pilotage réunit des représentants du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur, du ministère du logement, du ministère du budget, mais aussi de la défense, de l'urbanisme, de l'agriculture et de l'économie... Et je ne suis pas certain de ne pas en avoir oublié ! Du point de vue immobilier, c'est l'établissement public de Paris-Saclay qui supervise l'ensemble des opérations, mais le déménagement des grandes écoles ou des instituts de recherche se fait sous le contrôle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Du point de vue scientifique, c'est la fondation de coopération scientifique qui est chargée d'assurer la gestion financière des diverses structures (« Idex » et « Labex ») financées par les fonds issus du programme d'investissements d'avenir (PIA). C'est notamment à travers la fondation que transitent les intérêts liés à la dotation non consomptible de 950 millions d'euros attribuée à l'Université de Paris-Saclay. Concernant les transports, c'est la société du grand Paris qui est compétente, en particulier pour construire la ligne 18 du métro du « Grand Paris » dont la première tranche Orly-CEA-Saint-Aubin devrait être livrée en 2024, pour un achèvement complet en 2030 jusqu'à Versailles-Chantiers. On pourrait ajouter un dernier volet, celui du développement économique, mais il est encore peu présent et ne bénéficie pas d'un porteur clairement identifié, ce qui constitue une faiblesse du projet. Les collectivités territoriales du plateau (agglomérations, départements, région) sont elles aussi concernées par le projet, ainsi que plusieurs acteurs privés, en particulier les entreprises déjà présentes sur le plateau. L'ensemble de ces entités doit dialoguer et trouver des points de consensus, ce qui pose d'évidentes difficultés du fait du nombre et de la diversité des acteurs concernés.

A la pluralité des acteurs répond une certaine complexité des divers fonds mobilisés. Le projet de Paris Saclay est principalement porté par les programmes d'investissements d'avenir (PIA). En effet, les deux PIA successifs (PIA 1 et PIA 2) ont été fortement mobilisés.

Deux remarques doivent être faites. D'une part, les fonds sont alloués directement aux établissements, projet par projet, conformément au fonctionnement du PIA - et non pas, par exemple, à l'université. D'autre part, il faut préciser que le financement affiché par le Gouvernement et repris dans les media, à hauteur de 3,8 milliards d'euros, intègre une importante dotation non consomptible de 1,8 milliard d'euros qui ne correspond pas à des fonds réellement disponibles pour les gestionnaires des différents projets. En effet, seuls les intérêts de ces fonds peuvent être dépensés. Au total, les fonds du PIA réellement disponibles pour les gestionnaires s'élèvent à 2,2 milliards d'euros, dont 1,5 milliard d'euros sont destinés aux projets immobiliers et d'aménagement. Le reliquat, soit 700 millions d'euros, contribue à financer des initiatives scientifiques (Idex, Labex, Equipex...).

Par ailleurs, les produits de cession constituent une part non négligeable du financement des projets immobiliers, de l'ordre de 350 millions d'euros : le déménagement des établissements est en effet partiellement autofinancé par la revente de leurs bâtiments actuels, le plus souvent situés à Paris, ce qui n'est pas sans créer quelques difficultés. Enfin, plusieurs autres types de ressources, de moindre ampleur, sont également mobilisés : subventions du fonds européen de développement régional (FEDER), contrats de projet État Région (CPER) et enfin apports des collectivités territoriales, qui sont de moins en moins importants.

Au vu de ces différents éléments, le premier constat que je souhaite formuler est positif : moins de dix ans après le lancement du « Plan Campus », de nombreux outils ont été mis en place pour favoriser l'émergence d'un véritable écosystème de recherche et d'enseignement supérieur, sans équivalent. Le programme d'investissements d'avenir a trouvé là un emploi tout à fait conforme à son objet. Il a permis que se concrétise un projet ambitieux, malgré le contexte budgétaire contraint que nous connaissons depuis plusieurs années.

Cependant, sur certains points, force est de constater que des incertitudes, relatives au financement de certaines infrastructures et à l'organisation de l'université de Paris-Saclay, demeurent.

Certains aspects du projet immobilier et de l'aménagement du territoire ne sont pas encore tout à fait stabilisés. Ainsi, le déménagement de certaines écoles pourrait s'avérer plus difficile à financer que prévu, car les recettes de cession pourraient être inférieures aux prévisions. Le financement d'équipements sportifs n'est pas non plus sécurisé : 78 millions d'euros restent à financer pour construire une piscine et un gymnase. Les installations sportives sont pourtant essentielles au développement du campus à deux titres : elles sont nécessaires à l'accueil des étudiants en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Elles contribueront à assurer l'attractivité du campus auprès des étudiants comme des salariés. Enfin, les transports constituent un autre sujet de grande préoccupation : la ligne 18 du métro du « Grand Paris » ne fonctionnera qu'après l'arrivée sur le plateau de plusieurs établissements et les routes ne sont pas actuellement adaptées à l'ampleur du trafic prévu. Sur ce dernier point, il faut noter qu'un accord a été dégagé lors du dernier conseil d'administration de l'établissement public de Paris Saclay, pour allouer 65 millions d'euros nécessaires aux études et aux travaux préalables à la construction de routes. Cependant, 73 millions d'euros restent encore à financer.

Au-delà des questions de financement, c'est la nature même du projet universitaire et scientifique qui paraît aujourd'hui encore imprécise : la constitution d'une université de recherche Paris-Saclay de plein exercice, conforme au standard international, constitue un enjeu important. Le « cluster » n'aura, en effet, pas le même visage selon que l'université n'est qu'un rassemblement d'établissements autonomes, sur un mode confédéral, ou que l'intégration des différents établissements est plus importante. Certains signes positifs sont cependant à relever : ainsi, quarante-neuf mentions de master mutualisées sont proposées par les établissements partenaires de l'Université, de nombreux accords de doubles diplômes ont été conclus et un diplôme unique de doctorat, labellisé « université de Paris-Saclay », sera délivré.

Mais la question essentielle, celle du modèle à retenir, ne semble pas encore définitivement tranchée. Les très vives réactions qui ont suivi le rapport de Bernard Attali sur l'avenir de l'École polytechnique témoignent que le débat sur ces sujets est, sinon conflictuel, à tout le moins tendu. En outre, le très faible taux de participation aux dernières élections des instances représentatives de l'université de Paris-Saclay laisse à penser que l'adhésion des étudiants, des professeurs et des chercheurs n'est pas encore acquise.

Pour renforcer la lisibilité et la cohérence du projet, je formulerai deux recommandations.

Tout d'abord, le financement devrait être plus transparent : si le suivi des fonds du PIA est satisfaisant, ce n'est en revanche pas le cas des crédits accordés sur le budget de l'État. Éclatés dans plusieurs missions et dans différents programmes, il est difficile d'en avoir une vue consolidée. Malgré l'envoi de questionnaires, tant au ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur qu'à celui du logement, malgré plusieurs auditions, aucun interlocuteur n'a été en mesure de m'indiquer, avec précision, le montant total des crédits d'ores et déjà engagés et de l'investissement prévisionnel sur l'ensemble des projets. Je suis convaincu que la publication tous les ans d'un tableau de financement complet, actualisé et public, résumant les différentes contributions de tous les acteurs aux différents projets, permettrait d'identifier le plus en amont possible d'éventuelles difficultés et de mettre chacun des acteurs en face de ses responsabilités. Si la large diffusion de telles données pourrait sembler excessive, il me semble qu'une information des commissions des finances de chaque assemblée joindrait l'impératif de discrétion à celui du contrôle démocratique.

Il me paraît également nécessaire - c'est ma seconde recommandation - qu'émerge un véritable « chef de projet », capable d'articuler la vision stratégique du Gouvernement aux problèmes concrets remontant du terrain, de renforcer le volet attractivité économique et implantation de nouvelles entreprises, de faciliter les compromis entre les établissements et, le cas échéant, d'arbitrer dans un sens ou dans l'autre. On ne peut en effet déléguer aux acteurs locaux le pilotage intégral du projet.

Il semblerait qu'un accord ait été trouvé afin qu'un délégué interministériel soit nommé prochainement, ce dont je me réjouis. À mon sens, il devra remplir trois missions principales : définir des orientations claires et mobilisatrices, aussi bien pour les acteurs du projet que pour le grand public, assurer le dialogue entre toutes les parties prenantes, mais aussi exprimer la voix de l'État au sein de l'université de Paris-Saclay. Aujourd'hui, l'État doit reprendre la main, réaffirmer le cap et favoriser un processus d'intégration progressive qui avec la confiance et le temps permette de faire évoluer les structures de la Comue. Afin d'atteindre l'excellence et gagner en visibilité sur le plan international, il est indispensable que l'État - stratège et volontaire - porte un projet fort et fédérateur, autour d'une université qui soit beaucoup plus qu'une simple juxtaposition d'établissements autonomes.

Je vous remercie.

- Présidence de M. Charles Guené, vice-président -

M. Roger Karoutchi. - J'ai toujours été très favorable à ce projet, mais il a du plomb dans l'aile, car la région Île-de-France n'a pas - et n'aura pas - les moyens d'assurer ce qu'elle a envisagé de faire sur ce plateau.

De plus, la construction de la ligne 18 a pris un retard considérable : dire que le plateau de Saclay sera desservi par la ligne 18 à partir de 2024 relève au mieux de l'incantation, au pire du mensonge. Elle ne sera pas terminée avant 2028 ou 2030, si tant est que la ligne 18 soit réalisée un jour.

Par conséquent, on demande à des établissements parisiens de s'installer à Saclay, alors que pendant dix ans, ils ne seront pas desservis par les transports en commun. Alors qu'il aurait fallu commencer par l'accessibilité, avant d'imaginer regrouper les établissements c'est, comme d'habitude, l'inverse qui a été retenu ! Ensuite, on cherche des financements, mais pour quoi faire ? Même les étudiants ne voudront pas y aller !

Peut-être faut-il réduire la voilure du projet afin de le sauver, car je crains que l'absence de financement comme de desserte ne mette ce projet à mort dans les dix prochaines années.

M. Claude Raynal. - Je vais essayer d'être plus positif que Roger Karoutchi.

Le rapporteur a indiqué que le projet représenterait 15 % de la recherche française : est-ce un objectif ? Est-ce souhaitable pour l'organisation de l'université sur le territoire national ? Est-ce le volume nécessaire pour entrer dans la compétition internationale ? Autrement dit, est-ce une chance ou une faiblesse ?

Le « cluster », c'est le dépassement de la question des établissements, c'est l'idée selon laquelle la proximité doit permettre une « fertilisation croisée ». Par conséquent, un « cluster » qui fonctionne, c'est un « cluster » dans lequel les initiatives sont prises par les uns et par les autres permettent de créer de la richesse, d'innover.

Aujourd'hui, il me semble qu'on n'en est pas encore là. Je crois qu'il ne faut pas seulement organiser cela « par le haut », mais aussi créer les conditions d'un dialogue « par le bas » : comment les universitaires se parlent entre eux, entre établissements et créent des projets ?

Et je n'ai pas vu, dans ce projet, la place du monde économique et industriel. Comment l'université, à travers ce « cluster » peut-elle répondre à leurs attentes ?

M. François Patriat. - Les problèmes de financement et de desserte soulignés par Roger Karoutchi sont réels, mais je crois qu'ils peuvent être surpassés s'il y a une volonté réelle des pouvoirs publics et des acteurs du projet. Je connais la difficulté à créer une Comue : ce projet, commencé il y a sept ans entre Dijon et Besançon, avec seulement deux établissements n'avance pas car chacun veut conserver ses prérogatives. Alors je m'interroge : y a-t-il une réelle adhésion au projet ? De plus, un délégué interministériel comme chef de projet ne suffira pas : il faut une autorité morale, avec une voix qui porte à la fois en France et dans le monde, un prix Nobel par exemple.

M. Michel Bouvard. - Je suis heureux d'entendre que les crédits du PIA ont été utiles et je partage la préoccupation de François Patriat : il faut une volonté politique au plus haut sommet. Valérie Pécresse avait porté ce projet à bout de bras, alors ministre de l'enseignement supérieur, et je peux en témoigner car j'étais, à l'époque, rapporteur de ce budget.

Par ailleurs, j'observe que le projet est révélateur de l'opacité qui entoure la consolidation du financement des projets d'enseignement supérieur. Cette opacité n'est pas admissible pour la représentation nationale - la Cour des comptes le dit déjà depuis six ou sept ans.

Enfin, je souhaiterais savoir quels sont les retours financiers liés aux cessions immobilières des établissements concernés par le projet. J'ai moi-même, à l'époque, porté un amendement pour que les établissements déménageant sur le site de Saclay puissent déroger à la règle selon laquelle le produit des cessions revient à l'État.

M. Maurice Vincent. - Je m'interroge sur la capacité à avancer sur un projet aussi lourd, compte tenu de l'ensemble des difficultés précédemment soulignées. Je crois que ce projet est particulièrement difficile car nous faisons face à un problème de culture : entre universités et grandes écoles ou entre des laboratoires prestigieux au sein des universités. Il s'agit de cultures d'autonomie à un niveau de granularité assez fin ; on retrouve la même situation à Lyon. Je crois que plus les communautés scientifiques sont fortes, disparates et plus il serait intéressant de les fédérer, plus c'est difficile. Ne faut-il pas faire une pause, et considérer ce qu'il est possible de réaliser dans les quatre ou cinq prochaines années ?

M. André Gattolin. - Je partage les propos de Claude Raynal : j'ai l'impression qu'en politique, on se paie de mots ! Avant, un « cluster » était appelé un technopôle. Si vous êtes allé en Californie ou en Israël, vous savez qu'un « cluster » repose généralement sur une initiative privée, qui développe ses propres campus et qui innove avec, le cas échéant, des soutiens publics. Là, il s'agit d'un groupement scientifique - on a d'ailleurs encore l'illusion que le développement économique de demain ne repose que sur la recherche scientifique, ce qui explique qu'on donne autant d'importance au crédit d'impôt recherche - et on oublie l'aval, c'est-à-dire la façon dont s'intègre cette innovation dans un environnement économique. Par conséquent, il s'agit d'une forme de planification « new look » - et non pas d'un « cluster ».

M. Marc Laménie. - La concentration sur un site unique ne pose-t-elle pas un problème en matière d'équilibre du territoire ?

M. Vincent Eblé. - Notre réflexion doit prendre en compte deux réalités : l'une thématique, l'autre territoriale.

S'agissant des enjeux territoriaux d'abord, arrêtons les geignardises, le pessimisme latent ou explicite ! Certaines difficultés sont réelles mais il n'est de difficulté qui ne puisse et ne doive être surmontée. La véritable question est de savoir comment et sous quelles conditions. En la matière, nous faisons face à une exigence impérative : une structuration de l'Île-de-France qui prenne en compte les problématiques de la grande couronne à l'heure de la métropolisation. Les pôles de développement doivent être soutenus et abondés par l'action publique. En Seine-et-Marne, le taux d'accès des bacheliers aux études supérieures est de 66 % alors que la moyenne francilienne s'élève à 80 %. Il faut ouvrir ces formations, même si dans le même temps, les exigences de compétition internationale nécessitent des regroupements.

Il faut traiter la question des transports, mais je pense qu'il est faux de dire que les étudiants n'iront pas car ils sont captifs de ce genre d'établissement. C'est d'ailleurs ce que montre l'exemple de l'installation de l'école Polytechnique à Palaiseau.

M. Roger Karoutchi. - Mais Palaiseau est desservi !

M. Vincent Eblé. - Le plateau de Saclay le sera, il suffit qu'on en décide ainsi ! Il faut laisser un espace aux dynamiques d'entreprises, dans un lien étroit avec les établissements d'enseignement et de recherche.

M. Michel Berson. - Cher Roger Karoutchi, sur un dossier aussi important, qui soulève autant de débats passionnels, il faut se garder de tenir un discours d'un optimisme béat ou d'un pessimisme catastrophiste. Il faut au contraire s'efforcer d'être à la fois volontariste et lucide - ce vers quoi tend aujourd'hui l'ensemble des acteurs de ce plateau, y compris les élus locaux.

Vous avez souligné deux problèmes : celui de la mobilisation des crédits et celui du transport. Malgré l'opacité des financements, les engagements - pris par la précédente majorité, amplifiés par l'actuelle - semblent tenus. Le transport est le seul véritable problème qui nécessite, pour être réglé, une forte volonté. Des moyens de transport existent déjà, dans l'attente de l'arrivée du métro express.

15 % de la recherche française sur le plateau de Saclay est l'objectif minimum pour que le « cluster » existe et soit véritablement compétitif par rapport aux autres dans le monde : c'est un objectif et cette concentration représente bien un atout.

J'ai peu parlé de la place du monde économique car le développement économique concerne davantage le département des Yvelines que celui de l'Essonne qui concentre plutôt l'innovation. C'est une vraie limite au projet et la région, avec ses nouvelles compétences, pourra peut-être combler ce vide.

François Patriat a dit l'essentiel : en l'absence de volonté politique forte, au sommet, sans un État stratège qui impulse et arbitre, sans une autorité morale qui s'exprime, le projet n'avancera pas.

Je suis d'accord avec Vincent Éblé : je vous rappelle que Gilles Bloch a été élu quasiment à l'unanimité président de l'université de Paris Saclay, c'est une grande voix qui devrait contribuer à aller dans ce sens.

Je partage l'observation de Michel Bouvard quant à l'opacité du financement et nous souhaiterions que soit communiqué aux commissions des finances un bilan annuel précis afin de pouvoir mettre les acteurs face à leurs responsabilités.

Le produit des cessions est inférieur à ce qui était espéré. L'attitude de la Ville de Paris, qui ne souhaite pas que les établissements quittent son territoire, ne facilite pas les choses. Par conséquent, les recettes des cessions sont évaluées entre 300 et 350 millions d'euros, contre une estimation initiale de l'ordre de 400 à 450 millions d'euros.

Enfin, André Gattolin souhaiterait un « cluster » conforme au standard international et c'est ce à quoi les différents acteurs du projet travaillent : ils cherchent des synergies dans la formation, dans la recherche et avec les démarches d'innovation des entreprises. Ce sont les trois piliers de ce qu'on appelle aujourd'hui la « fertilisation croisée », pour que naisse véritablement ce « cluster » dans les dix prochaines années.

Bilan de l'autonomie financière des universités - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

- Présidence de M. Charles Guené, vice-président -

M. Charles Guené, président. - Je vous souhaite à toutes et tous la bienvenue dans la salle de la commission des finances. Après les enjeux et les leviers de la maîtrise de la masse salariale de l'État et les aides personnelles au logement, nous sommes, de nouveau, réunis pendant la session extraordinaire pour une audition organisée à la suite de la remise par la Cour des comptes d'une enquête que nous lui avions confiée, et qui concerne le bilan de l'autonomie financière des universités.

La commission des finances a demandé cette enquête en application du paragraphe 2 de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), huit ans après l'adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités.

La présente audition vise ainsi à restituer les résultats de cette enquête, en entendant la Cour des comptes sur ses observations et recommandations ainsi que les réactions des représentants du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la Conférence des présidents d'université.

Nous accueillons Jacques Grosperrin, en sa qualité de rapporteur pour avis de la mission « Recherche et enseignement supérieur », pour la partie enseignement supérieur, au nom de la commission de la culture.

Pour cette réunion ouverte à la presse, Philippe Adnot, rapporteur spécial de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ouvrira la discussion, en rappelant les raisons ayant guidé la commande de cette enquête et en présentant ses premiers constats. La parole sera ensuite donnée à Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui nous développera les principaux enseignements de cette enquête et réagira peut-être aux remarques de Philippe Adnot. Puis, après que le rapporteur spécial aura posé ses questions, seront invités à s'exprimer à leur tour Simone Bonnafous, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, et Brice Lannaud, chef du service des personnels enseignants de l'enseignement supérieur et de la recherche, adjoint à la directrice générale des ressources humaines, ainsi que Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d'université.

Bien entendu, la présidente Sophie Moati pourra également intervenir si elle le souhaite. Le débat s'ouvrira alors avec l'ensemble des commissaires. Enfin, à l'issue de l'audition, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. - En préambule, je souhaite souligner l'excellent travail réalisé par la Cour des comptes, le rapport regorgeant d'enseignements. Je regrette d'ailleurs les « fuites » dans la presse qui privent nos collègues d'une primauté de l'information qui leur était pourtant, en principe, réservée. Ceux qui ont choisi d'anticiper la publication de l'enquête se privent toutefois de l'intérêt de cette audition au cours de laquelle les différents points de vue auront l'occasion de s'exprimer.

Dans ce rapport de la Cour des comptes, chacun pourra trouver ce qu'il souhaite, soit pour se réjouir soit pour critiquer le passage à l'autonomie. À mon sens, cette réforme n'a pas été jusqu'au bout, comme nous le verrons dans les domaines des ressources humaines et dans l'affectation des moyens. Les universités n'ont actuellement que deux variables d'ajustement possibles : utiliser les emplois non pourvus pour équilibrer leurs budgets et réduire leurs moyens dans le domaine de l'investissement immobilier, au risque de créer des situations plus difficiles pour l'avenir.

Huit ans après l'adoption de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (loi « LRU »), toutes les universités sont désormais passées aux responsabilités et compétences élargies (RCE).

Entretemps, la loi du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur et la recherche a été adoptée et de nombreux travaux ont également été réalisés au sujet de l'autonomie des universités. Ainsi en est-il notamment de ceux que j'ai rédigés avec des collègues de la commission de la culture, Jean-Léonce Dupont, sur la dévolution du patrimoine immobilier et Dominique Gillot, sur les sources de financement des universités, ainsi que du rapport de mars 2013 sur la mise en oeuvre de la loi LRU de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

L'objectif de cette commande de la commission des finances était d'obtenir une analyse complète des conséquences de la mise en oeuvre des nouvelles responsabilités et compétences financières dont disposent les universités. L'enquête réalisée par la Cour des comptes se situe dans la continuité des nombreux travaux qu'elle a déjà réalisés au cours des dernières années, en particulier dans le cadre de ses contrôles des comptes et de la gestion des universités. J'en tire pour ma part cinq constats principaux.

Premièrement, la situation financière des universités est « globalement satisfaisante ». Toutefois, de fortes disparités entre les établissements existent et « la question d'un bon niveau de financement de leurs investissement se trouve être posée ». La Cour des comptes révèle notamment qu'un « éventuel sous-investissement, notamment dans l'entretien du parc immobilier, ne peut [...] se résumer à celle du financement ».

Deuxièmement, les dépenses de personnel constituent une part toujours plus importante du budget des universités. Parallèlement, leur dépendance au financement public, et plus spécifiquement à la subvention pour charges de service public, reste très élevée. En conséquence, la marge de manoeuvre financière des universités paraît limitée.

Troisièmement, l'autonomie a permis de moderniser la gestion des universités mais elle reste imparfaite et mérite d'être renforcée, tant s'agissant des ressources humaines que de l'immobilier.

Quatrièmement, les méthodes d'allocation des moyens aux universités ne sont plus adaptées et les universités ne disposent pas d'une vision suffisante à moyen et long terme de leurs ressources et de leurs dépenses.

Enfin, l'État n'a que très tardivement pris la mesure du suivi du passage à l'autonomie des établissements et rénové ses méthodes de pilotage pour en tenir compte.

Pour cette enquête, la Cour des comptes a d'ailleurs réalisé un très important travail de collecte et de centralisation des données financières et comptables de l'ensemble des universités sur les sept dernières années. Je me félicite également des progrès du ministère chargé de l'enseignement supérieur qui est désormais capable de fournir des tableaux retraçant les versements de subventions pour charges de service public opérés pour chaque université. Toutefois, les modalités de financement des établissements restent complexes dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche, comme nous avons pu le voir, juste avant cette audition, à l'occasion de l'examen du contrôle de Michel Berson sur le financement et le pilotage du projet de constitution d'un pôle scientifique et technologique « cluster » sur le plateau de Paris-Saclay.

Mme Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Je suis heureuse de venir vous présenter ce rapport et je voudrais remercier la commission des finances, et particulièrement le rapporteur spécial, Philippe Adnot, de nous avoir confié cette enquête. Il était important que nous puissions dresser un bilan de cette réforme, à l'issue du passage de l'ensemble des établissements à l'autonomie.

Lors du cadrage du périmètre des travaux, il a été convenu de ne pas établir un bilan exhaustif de l'ensemble des dispositions contenues dans la loi LRU mais de se concentrer sur l'analyse de la situation financière des universités et des mutations engendrées par leurs nouvelles responsabilités en termes de pilotage des établissements, de gestion des ressources humaines et du patrimoine immobilier.

Du point de vue de la méthode retenue pour réaliser cette enquête, la Cour des comptes a organisé une vaste remontée des données financières en interrogeant directement les comptables, les ministères de tutelle ne disposant pas d'informations fiables sur la situation des universités. Cet exercice a concerné plus de 80 établissements pour les années 2008 à 2014, correspondant à plus de 500 comptes financiers analysés. En parallèle, la Cour des comptes a mené une instruction spécifique auprès d'un échantillon de neuf universités, ainsi qu'auprès de trois universités ayant bénéficié de la dévolution du patrimoine immobilier. Nous avons également utilisé nos contrôles organiques et interrogé les administrations centrales.

Premier constat de la Cour des comptes, l'autonomie a été un facteur décisif de modernisation de la gestion des universités, dans tous les domaines : organisation du pilotage général de l'établissement, professionnalisation de la gestion des ressources humaines, meilleure connaissance du parc et prise de conscience des enjeux de gestion du patrimoine immobilier. Bien sûr, la situation n'est pas homogène entre établissements et certains ont encore devant eux d'importantes marges de progression. Sur ce sujet, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations : l'amélioration du fonctionnement des conseils d'administration, notamment par l'institution de comités spécialisés d'audit créés en leur sein, la mise en place de contrats d'objectifs et de moyens entre les universités et chacune de leurs composantes, et l'érection en priorité de la mise à niveau des systèmes d'information. Ce sont les recommandations n°s 7, 8 et 12 de l'enquête.

Deuxième constat de la Cour des comptes, la situation financière des établissements apparaît globalement satisfaisante à l'issue de l'exercice 2014.

Je voudrais tout d'abord faire deux remarques. Premièrement, l'État a accompagné budgétairement cette réforme avec les crédits du programme 150 qui ont augmenté de 12,7 % entre 2008 et 2013, contre 7,3 % pour le budget général de l'État. Deuxièmement, l'analyse financière effectuée à partir des comptes des universités ne prend pas en compte l'ensemble des flux financiers du secteur, certains d'entre eux étant attribués à des structures périphériques des universités.

De façon générale, après une phase de dégradation des principaux indicateurs à partir de 2010, la situation financière du secteur s'est redressée depuis 2013. Les universités dégagent ensemble un excédent de l'ordre de 200 millions d'euros par an et disposent aujourd'hui de fonds de roulement (1,5 milliard d'euros) et de niveaux de trésorerie (2,2 milliards d'euros) qui excèdent les règles de prudence et les nécessités de la gestion. La Cour des comptes recommande donc de fixer des règles prudentielles de gestion adaptées aux contraintes réelles des universités (recommandation n° 11).

En outre, depuis 2008, les universités n'ont pas mobilisé significativement leurs fonds de roulement pour financer leurs dépenses d'investissement, la subvention et la capacité d'autofinancement (CAF), qui s'est reconstituée au cours de la période, ayant quasiment couvert la totalité de leurs besoins. Elles doivent donc encore améliorer leur gestion financière, afin de mieux identifier leurs marges de manoeuvre et bâtir de véritables plans de financements de leurs investissements (recommandation n° 6).

Il existe pour autant des disparités fortes entre les établissements. Certains d'entre eux présentent des fragilités structurelles, même si le nombre d'universités en difficulté financière a diminué car elles ont pris les mesures de redressement nécessaires, souvent par une rationalisation de l'organisation de la formation, la définition de seuils d'ouverture de groupe, un meilleur suivi du service des enseignants, une limitation des heures complémentaires... Pour autant, le poids des dépenses de personnel croît régulièrement et atteint un niveau élevé, correspondant à 83 % des charges, ce qui pose la question de sa soutenabilité à moyen terme.

Troisième constat de la Cour des comptes, l'autonomie des universités reste encore limitée.

Sur le plan de la gestion des ressources humaines, l'autonomie se heurtant à la gestion centrale et complexe de corps à statuts nationaux, la Cour des comptes appelle à la poursuite d'une simplification des cadres statutaires des personnels administratifs et techniques, et à l'harmonisation des modalités de gestion des différents corps (recommandation n° 3), à la clarification et la simplification des régimes indemnitaires (recommandation n° 4), ainsi qu'à la mise en oeuvre plus aisée des dispositifs d'intéressement (recommandation n° 5).

Les universités connaissent également d'autres difficultés en matière de ressources humaines. Tout d'abord, compte tenu de la priorité accordée à la gestion de la masse salariale, elles n'ont pas été en mesure de définir des politiques prévisionnelles de ressources humaines. Ensuite, en matière de régime indemnitaire, elles n'ont pas utilisé l'ensemble des nouveaux outils de la loi LRU. En revanche, paradoxalement, la Cour des comptes constate de nombreuses dérives en matière de rémunération.

Enfin, la modulation individuelle, qui ouvrait la possibilité d'augmenter le service d'enseignement des enseignants-chercheurs, n'a pas été mise en oeuvre. Le temps de travail des personnels administratifs et techniques est, par ailleurs, toujours inférieur à la durée légale de 1 607 heures. Ainsi, la recommandation n° 2 concerne la mise en conformité des obligations de service des personnels de bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé (BIATSS) avec le décret relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail (ARTT) prévalant pour la fonction publique, et la recommandation n° 9, le contrôle par les universités du respect des obligations de service des enseignants chercheurs et la mise en oeuvre du suivi de carrière.

L'autonomie reste également limitée sur le plan de la gestion immobilière puisque l'expérience de dévolution du patrimoine n'a pas été étendue au-delà de trois universités. Cette expérience montre que des crédits immobiliers garantis sur plusieurs années fiabilisent la programmation des travaux et le bon entretien du parc immobilier.

Pour les établissements qui n'ont pas bénéficié de la dévolution, la définition d'une stratégie immobilière est restée un exercice largement virtuel, notamment en l'absence de maîtrise des conditions de financement à long terme. Cependant, le coût pour l'État d'une généralisation de la dévolution, dans les conditions de l'expérimentation actuelle, serait élevé. Dans ses recommandations n°s 10 et 13, la Cour des comptes préconise de renforcer la dimension stratégique de la politique immobilière et de la définir désormais dans le cadre de la politique de site.

Sur le plan financier, les marges de manoeuvre des universités apparaissent limitées. En effet, ces dernières sont soumises à l'obligation d'accueil et à l'objectif de réussite de tous les étudiants et n'ont donc pas la maîtrise complète de leur niveau d'activité.

En outre, les charges de personnel, en constante augmentation, représentent plus de 83 % des charges.

Enfin, la dépendance financière des universités à la subvention pour charges de service public reste très forte et leurs « ressources propres » ne dégagent pas de marges de manoeuvre significatives, les droits d'inscription représentant 2,4 % des recettes et la formation continue 2 %.

Dans ce contexte, la Cour des comptes considère, et c'est l'objet de sa première recommandation, que l'allocation des moyens aux universités doit se faire dans le cadre du contrat pluriannuel de site, appelé à devenir le cadre de référence des relations entre l'État, les regroupements et les universités. Le calcul de la dotation des établissements doit prendre en compte plusieurs éléments : l'activité et la performance en matière de formation, de recherche, d'insertion professionnelle et d'organisation, l'identification d'objectifs que le ministère souhaite soutenir et la situation financière de l'établissement.

Compte tenu de la situation des finances publiques, les universités ne peuvent pas compter uniquement sur une augmentation des dotations de l'État. Elles doivent donc utiliser l'ensemble de leurs marges de manoeuvre : amélioration de la gestion financière, mise en place de la comptabilité analytique pour améliorer la connaissance des coûts, rationalisation de l'offre de formation avec un bon formatage de leurs potentiels, et augmentation de leurs ressources propres, notamment en matière de recherche et de formation continue.

Une première étape de l'autonomie a donc été franchie. Mais elle pourrait encore être approfondie dans les domaines de la gestion des ressources humaines et du patrimoine immobilier, comme l'a déjà souligné le rapporteur spécial. À plus long terme, la dévolution des dotations des initiatives d'excellence, à l'issue des périodes probatoires, pourrait conforter les fonds propres des universités ou de leurs regroupements.

Pour conclure, concernant les « fuites » de l'enquête dans la presse, la Cour des comptes n'en est bien évidemment pas à l'origine et je crois me faire la fidèle interprète du Premier président en considérant qu'elles portent atteinte au débat public, surtout lorsqu'il s'agit des observations provisoires, et que nous les déplorons comme vous.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. - Les universités connaissent des différences importantes en termes de situations financières et de contraintes budgétaires. Comment expliquer ces disparités ? Les raisons sont-elles historiques et les écarts n'ont pu être réduits au cours des années ? Les modalités d'allocation des moyens sont-elles en cause ? Le modèle de répartition des moyens, c'est-à-dire le Système de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité (dit « modèle SYMPA ») n'est pas appliqué et ne comprend qu'un faible montant de la subvention publique versée puisqu'il ne répartit que très peu de masse salariale.

La Cour des comptes a également souligné le montant important des fonds de roulement des universités. Il convient d'ailleurs de se réjouir du fait qu'en 2016, le Gouvernement ne devrait pas les ponctionner, une nouvelle fois, comme l'année dernière.

Selon la Cour des comptes, le rythme trimestriel de versement de la subvention pour charges de service public explique en partie les besoins en fonds de roulement négatifs. Je trouverais, pour ma part, intéressant de réfléchir dès lors à un autre rythme de versement, par exemple mensuel, les universités devant alors disposer, en échange, d'une bonne visibilité de leurs ressources à venir. Qu'en pensez-vous ? Cette suggestion vous paraît-elle pertinente ? Est-elle à l'étude ?

L'enquête de la Cour des comptes met également en évidence la faiblesse des ressources propres dont disposent les universités. Je suis, pour ma part, très favorable à leur développement alors qu'au contraire, s'agissant de la taxe d'apprentissage, elles risquent de se réduire en raison de la récente réforme opérée. En effet, Thierry Mandon lui-même, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, a confirmé cette crainte il y a quelques jours, devant la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (Cdefi), en indiquant, selon la presse, avoir été « surpris par la violence de l'impact de la réforme » de cette taxe. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les conséquences de cette réforme pour les établissements d'enseignement supérieur ? À combien sont estimées les pertes de recettes pour les universités ? Des pistes sont-elles à l'étude pour « compenser » cette situation ?

Selon moi, il ne fait pas de doute, depuis longtemps, qu'il soit nécessaire de revoir notre mode d'allocation des moyens. Le récent travail de réforme de l'allocation des moyens mené par le Gouvernement a échoué. Comment sortir de cette impasse et permettre un rééquilibrage des dotations allouées ? L'augmentation de la subvention de l'État, qui permet de compenser, pour partie, les écarts par la répartition de crédits supplémentaires et sans que les dotations des universités manifestement sur-dotées soient réduites, n'est pas une solution éternelle. Que pensez-vous de la proposition de la Cour des comptes de fondre l'ensemble des dotations dans une allocation de moyens unique, le contrat pluriannuel de site étant alors retenu comme « cadre de référence » ?

En matière de gestion des ressources humaines, la Cour des comptes met en évidence un certain nombre de dérives et d'irrégularités constatées au cours de ses contrôles, notamment s'agissant du respect du temps de travail. Quelles sont vos réactions face à ces constats ? Les recommandations présentées par la Cour des comptes vous paraissent-elles aller dans le bon sens ?

S'agissant de la circulaire qui ne respecterait pas les dispositions applicables en termes de temps de travail pour les personnels non enseignants des universités, quelle est plus précisément votre analyse ? Quelles dispositions comptez-vous prendre ?

Pourquoi le dispositif d'intéressement ne fonctionne-t-il pas ? Ne constituerait-il pas un formidable outil d'attractivité pour les universités, fondé sur la performance ?

Enfin, dans le domaine immobilier, s'il convient de se réjouir pour les établissements qui disposent de la dévolution immobilière, sa généralisation aurait un coût de dotation annuelle estimé à 850 millions d'euros pour l'État. Comment avancer sur ce sujet et poursuivre ainsi l'autonomie des universités dans le domaine du patrimoine immobilier ?

Mme Simone Bonnafous, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP. - En propos liminaire, je tiens à souligner que je me réjouis de la publication de ce rapport. La formule du titre de l'enquête, « une réforme à poursuivre », me convient tout à fait. La réforme de l'autonomie des universités a été entamée il y a sept ans et a été approfondie par les ministres et secrétaires d'État successifs. Nous sommes d'accord avec l'idée selon laquelle le bilan de la réforme est globalement positif et qu'il convient désormais de l'approfondir et de l'améliorer.

Je confirme que la situation des établissements s'améliore. En 2008, l'État n'avait sans doute pas pris immédiatement la mesure de l'accompagnement nécessaire vers l'autonomie. Vous rendez justice à l'effort que nous fournissons depuis 2012 pour organiser un système d'accompagnement, de suivi et d'alerte, avec les recteurs. Ces derniers ne sont pas beaucoup cités dans le rapport. Or les recteurs et les contrôleurs budgétaires académiques sont des acteurs essentiels de cette amélioration.

L'État continue à accompagner les établissements. Dans cette période budgétaire difficile, l'enseignement supérieur figure parmi les secteurs préservés. Vous avez d'ailleurs mentionné, monsieur le sénateur, l'annonce par le Premier ministre de l'absence de mobilisation des fonds de roulement des établissements. Je rappelle que 800 millions d'euros ont été décaissés l'année dernière au titre du programme d'investissement d'avenir (PIA), qui ont abondé l'ensemble des sites. Environ 20 millions d'euros par an sont alloués dans les grands sites dans le cadre de l'opération « Campus ». Vous l'avez dit, madame la présidente, il y a d'un côté les moyens récurrents - qui, j'insiste, sont constants - accompagnés de 1 000 créations d'emplois par an, avec la masse salariale correspondante, et, d'un autre côté, tous les moyens apportés par le PIA et l'opération « Campus ». Cette dernière est un soutien important en matière d'immobilier.

Pour répondre au premier point sur lequel vous m'avez interrogée, la différence de moyens alloués entre établissements est d'abord une différence historique. Les plus anciens ont très souvent une dotation totale plus favorable que celle des établissements récemment créés. Vous avez également raison d'indiquer qu'il n'y a pas eu de redéploiement massif entre les établissements car le Gouvernement considère qu'il faut soutenir les universités intensives de recherche qui, certes, apparaissent mieux dotées que d'autres dans le modèle d'allocation des moyens mais qui, dans la compétition internationale, ont plutôt moins de moyens que les universités de même type. Le souci du Gouvernement est de ne pas pénaliser les universités qui sont en compétition avec les universités les mieux dotées au monde, tout en soutenant celles qui n'occupent pas la même place dans les classements mais qui, pour autant, ont besoin de moyens pour assurer leurs missions de service public. Cette question est posée depuis que le modèle d'allocation des moyens existe. Je souligne d'ailleurs que le modèle SYMPA a fonctionné : il a permis en particulier, entre 2008 et 2012, d'affecter les moyens de fonctionnement de façon très différenciée. L'augmentation des moyens de fonctionnement est allée de + 5 % à + 50 % selon les établissements. Depuis 2012, ce modèle sert essentiellement à distribuer les emplois selon les besoins des universités. Pour le reste, les dotations sont effectivement reconduites d'année en année, avec tout de même quelques augmentations tenant compte de certaines mesures liées au CAS « Pensions » ou d'autres mesures relatives aux ressources humaines. Je ne peux donc pas laisser dire qu'il n'y a absolument pas de différenciation selon les établissements.

Nous avons également regardé s'il y avait un lien entre la situation financière des établissements et leur place dans le modèle d'allocation des moyens. Il n'y a pas de corrélation. Il est possible d'être sous-doté dans le modèle tout en ayant une situation financière saine et inversement.

Concernant les versements, je souhaiterais rassurer la Cour des comptes sur la notification des moyens alloués, qui est aussi complète que possible. 97 % des moyens sont notifiés dès le début d'année. En revanche nous ne pouvons pas notifier une petite partie des moyens car ils sont attribués à la suite d'une enquête ou d'un appel d'offres, par exemple les contrats doctoraux spécifiques aux élèves des écoles normales supérieures et de l'école polytechnique. L'essentiel est de notifier les moyens le plus tôt possible et, ensuite, que le ministère des finances ne menace pas de remettre en cause les versements en fin d'exercice.

Actuellement, les versements sont effectués par trimestre. Serait-il préférable d'effectuer des versements mensuels ? Ce sera à la conférence des présidents d'université (CPU) de le dire. Je ne suis a priori pas convaincue de l'intérêt du versement mensuel car, outre la multiplicité des actes techniques pour le ministère, il n'y aurait plus de marge de trésorerie laissée aux universités. Il conviendrait d'examiner attentivement cette question avant de se lancer dans une opération qui pourrait être risquée.

S'agissant des ressources propres, on ne peut qu'être d'accord avec les constats dressés. Ces ressources ont tout de même augmenté sur la période 2012-2015. Effectivement, les recettes de taxe d'apprentissage ont baissé mais la formation continue a augmenté de 11 % sur cette période. Les contrats de recherche - en particulier de l'Agence nationale de la recherche (ANR) - ont explosé (+ 256 %) mais aussi les recettes liées à diverses prestations. Il y a des manifestations d'inquiétude très fortes s'agissant de la taxe d'apprentissage. La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale visait en effet à allouer une part plus importante de la taxe au financement de l'apprentissage lui-même par rapport à celui des équipements des formations professionnelles. Nous n'avons à ce jour que des remontées partielles : les écoles d'ingénieurs ont, pour certaines d'entre elles, fait état de chiffres très alarmants mais ce n'est pas le cas pour toutes. La notoriété de certaines grandes écoles les protège-t-elle mieux ? C'est possible mais encore trop tôt pour le dire. Le secrétaire d'État est convaincu qu'il faudra revoir ce sujet au niveau interministériel si le problème se confirme.

Pour les écoles d'ingénieurs, nous utilisons un nouveau modèle de répartition des moyens, qui remplace le modèle SYMPA, baptisé MODAL (modèle d'allocation des moyens). Nous sommes allés au bout de la réforme prônée notamment par le rapport sur le bilan consolidé des sources de financement des universités de Philippe Adnot et Dominique Gillot, au nom de la commission des finances et la commission de la culture, et par la Cour des comptes, en intégrant la masse salariale et en faisant évoluer les critères d'activité et de performance, en tenant notamment compte du fait que le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) ne note plus les équipes de recherche. Nous avons donc désormais l'expérience d'un modèle intégrant la masse salariale - ceci est techniquement faisable. Il s'agit ensuite d'un choix politique qui ne dépend pas de ma direction. Nous ne pensons pas qu'il faille absolument avoir le même modèle pour les écoles d'ingénieurs que pour les universités mais la question reste ouverte. Ensuite reste l'abondement en moyens du système pour qu'il tourne...

Faudrait-il envisager d'attribuer les moyens uniquement à travers le contrat ? Il s'agit sans doute de notre principal point de divergence avec la Cour des comptes. Je suis, à l'heure actuelle, assez réservée sur cette proposition, tout d'abord pour une raison purement technique. Cela supposerait de passer tous les contrats au même moment pour 25 sites et 240 établissements. La France est actuellement organisée en cinq vagues afin de suivre et de traiter l'ensemble des contrats. Cette réforme serait donc tout sauf simple.

Se poserait ensuite la question de notre capacité à nous engager pour allouer l'ensemble des moyens pour cinq ans alors même que le budget de l'enseignement supérieur connaît des « coups de rabot ». Aujourd'hui, les montants votés en loi de finances évoluent considérablement en cours d'année. Il s'agit d'une réalité.

Je souligne que les contrats servent aussi à beaucoup d'autres choses qu'à allouer des moyens financiers. Certains emplois sont, par exemple, alloués au titre du contrat. Le contrat est un outil politique bien autant que financier : il est utilisé par les établissements pour définir des stratégies communes mais aussi pour faire passer des messages en interne.

Hormis ce point relatif à l'allocation de moyens dans le cadre de contrats, je partage complètement les grandes lignes du rapport de la Cour des comptes.

M. Brice Lannaud, chef du service des personnels enseignants de l'enseignement supérieur et de la recherche, adjoint à la directrice générale des ressources humaines. - Vous nous interrogez sur les recommandations faites par la Cour des comptes en matière de gestion des ressources humaines. Une première recommandation nous encourage à poursuivre la simplification des cadres statutaires des personnels administratifs et techniques et des modalités de gestion de ces différents corps. Cette recommandation serait complexe à mettre en oeuvre. Les statuts des différents corps - techniques, administratifs, bibliothèques, médico-sociaux etc. - correspondent à des missions et à des métiers différents et les statuts reflètent les nécessités qui leur sont propres. De plus, plusieurs de ces corps sont interministériels, que nous partageons avec d'autres administrations : il s'agit là d'un facteur positif en termes de mobilité et de perspectives de carrière offertes aux agents, mais en contrepartie la gestion de ces corps et les modalités statutaires doivent tenir compte des besoins propres des autres administrations. C'est la difficulté sur laquelle on buterait pour aller plus loin dans l'harmonisation des cadres statutaires. Néanmoins, pour faciliter les choses pour les universités, il existe depuis deux ans une circulaire unique de gestion des ressources humaines qui s'est substituée à une dizaine de circulaires qui existaient auparavant.

En ce qui concerne la simplification des régimes indemnitaires, la mise en oeuvre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) va progressivement s'étendre à l'ensemble de ces corps. Les corps administratifs sont concernés depuis septembre 2015, les corps des ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation (ITRF) le seront au premier semestre 2016, et les personnels des bibliothèques en janvier 2017.

Vous évoquez également la recommandation relative au temps de travail des personnels BIATSS (bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé). Il s'agit d'une question très sensible socialement. Il faut distinguer entre ce qui relève de la circulaire du ministère elle-même et de l'application qui en est faite dans les universités. Année après année, le ministère encourage les universités à relever le temps de travail des personnels BIATSS lorsque celui-ci est sensiblement inférieur à la norme réglementaire, notamment à l'occasion des discussions contractuelles. En ce qui concerne la circulaire du ministère, vous relevez qu'elle est effectivement en contradiction avec un décret et un arrêté : c'est donc naturellement ces deux derniers qui prévalent. La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) va engager une expertise au niveau interministériel sur le sujet : nous serons donc probablement amenés à évoluer.

Vous évoquez enfin le régime de l'intéressement, aujourd'hui pratiqué par une vingtaine d'université. Le code de l'éducation prévoit que l'État a la possibilité, mais pas l'obligation, de prendre un décret pour encadrer ce régime. Depuis le début, l'État a fait le choix de ne pas prendre ce décret afin de laisser une liberté maximale aux universités. La Cour des comptes ne remet pas en cause ce choix, mais constate toutefois que paradoxalement, l'absence d'encadrement n'a pas facilité le recours à l'intéressement. Nous allons donc, en lien avec les établissements, proposer une circulaire pour faciliter son usage.

M. Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents d'universités. - Le rapport de la Cour des comptes, très intéressant et riche, s'appuie sur des chiffres choc sur le financement des universités : 200 millions d'euros d'excédent annuel, 1,5 milliard d'euros de fonds de roulement, 2 milliards d'euros de trésorerie. Il faut d'emblée préciser deux choses. D'une part, la réglementation nous interdit d'être en déficit : chaque établissement est donc forcément en excédent. D'autre part, cette somme représente l'ensemble des capacités d'autofinancement des établissements ; elle sert à payer les investissements, surtout à un moment où l'État se désengage. Sur les huit dernières années, le montant global des fonds de roulement est resté globalement stable : ces sommes n'ont pas été accumulées mais ont servi à financer les investissements.

Les présidents des universités ont su se saisir des responsabilités et compétences élargies de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités. La Cour des comptes note bien que nous avons géré correctement nos établissements, que nous avons pris la mesure des responsabilités que l'État nous a confiées. Je pense que nous avons fait de notre mieux pour être à la hauteur. Il faut toutefois que nous allions plus loin dans l'autonomie, notamment en matière de ressources humaines, de simplification des procédures budgétaires et d'immobilier - ce dernier point est indispensable, et nous sommes extrêmement favorables à la généralisation de la dévolution du patrimoine immobilier, comme l'a prévu la loi. Il faut aussi aller plus loin dans la simplification de la masse réglementaire qui nous paralyse dans nos formations par rapport à d'autres établissements, pour lesquels les choses sont beaucoup plus simples.

Je suis en accord avec la nécessité de simplifier le système d'allocation des moyens et de lui donner des objectifs clairs. Depuis 2011-2012, ce système a été bloqué et n'a connu ni augmentation, ni diminution. Je me permets de remarquer que si le gouvernement avait pris ses responsabilités, c'est-à-dire s'il avait décidé de préserver le modèle par répartition même en l'absence de moyens supplémentaires, cela aurait été douloureux pour les établissements mais au moins le système ne serait-il pas bloqué aujourd'hui. Cette remarque nous concerne tous car nous aurions été les premiers à nous plaindre. Par ailleurs, le nombre d'étudiants ne cesse d'augmenter : 80 000 étudiants supplémentaires en 2013, 30 000 en 2014, et une prévision de 40 000 en 2015 hors doubles inscriptions. Selon le secrétaire d'État lui-même, cela fait « deux universités de plus chaque année sans financement supplémentaire ».

S'agissant de la gouvernance, celle-ci peut évidemment être améliorée. Une bonne gouvernance n'est pas une fin en soi mais c'est un bien précieux. Nous avons bien évidemment des commissions et comités spécialisés sur un certain nombre de sujets. Faut-il en faire des normes nationales ? Je n'en suis pas persuadé mais c'est à discuter.

S'agissant des contrats d'objectifs et de moyens (COM), ceux des universités comprennent parfois toutes les composantes, parfois seulement certaines. Ils sont très différents selon que les établissements sont organisés de manière « facultaire » ou centralisée.

Nous partageons bien sûr les remarques de la Cour des comptes quant à l'extrême complexité des systèmes d'information. Lorsque j'ai été nommé président d'université, l'une de mes principales frustrations fut de voir que les systèmes d'information ne pouvaient pas s'améliorer rapidement. Alors que les grandes entreprises d'Internet offrent des systèmes performants, faciles et agréables à utiliser, force est de constater que ceux proposés par l'État ne sont pas à la hauteur dans ce domaine.

En ce qui concerne les règles prudentielles et de gestion, nous pouvons certes mobiliser davantage sur nos fonds de roulement. Une récente étude de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et de l'inspection générale des finances (IGF) a montré que globalement seuls 20 % de ces fonds de roulement étaient mobilisables. Ce montant pourrait être augmenté, ne serait-ce qu'en modifiant certaines règles comptables qui nous sont imposées et qui sont de notre point de vue absurdes - par exemple l'obligation de provisionner les congés des fonctionnaires. Un travail de simplification et d'harmonisation doit être mené avec l'État et les commissaires aux comptes au sujet de ces règles budgétaires extrêmement compliquées qui nous enserrent.

Sur la gestion financière, nous sommes bien sûr favorables à un plan d'investissement mais encore faudrait-il pouvoir compter sur les engagements de l'État. Les coups de rabot, les décisions unilatérales ou encore les nouvelles charges imposées mais non financées troublent notre vision pluriannuelle et nous obligent à aller chercher l'argent là où c'est le plus facile, c'est-à-dire dans les investissements.

Vous avez évoqué la possibilité de payer les universités en douze fois par an et non plus en quatre fois comme c'est le cas actuellement. Le paiement en quatre fois a toutefois l'avantage de sécuriser le dernier versement : plus le dernier versement est faible, plus la tentation de certains à Bercy de le faire disparaître est forte... Ce n'est pas une considération technique, mais plutôt un enseignement de l'expérience récente.

Avec 83 % des dépenses, oui, la masse salariale est importante. Il faut toutefois se rappeler que nous sommes une industrie de main d'oeuvre : nous n'avons pas de stocks, seulement de la matière grise pour enseigner à des étudiants désireux d'apprendre : c'est là notre raison d'être.

Sur la question des ressources humaines, je suis en désaccord avec Brice Lannaud : d'énormes marges de manoeuvre subsistent et il est possible de simplifier les choses. D'ailleurs nous l'avons fait pour les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), qui ont leur corps particulier. Et, oui, il est souhaitable de confier des compétences pleines et entières aux universités dans ce domaine. A l'heure actuelle, quand on veut donner un avertissement à un personnel BIATSS, il faut s'adresser, suivant son corps, soit au recteur, soit au ministre : vous voyez l'ampleur des simplifications qui peuvent être envisagées !

Je voudrais d'ailleurs rappeler qu'en matière de ressources humaines, nous ne sommes pas gérés par le ministère de l'enseignement supérieur mais par celui de l'éducation nationale. D'ailleurs, Brice Lannaud travaille dans un service interministériel qui dépend du ministère de l'éducation nationale.

Sur la question du patrimoine immobilier, la dévolution est prévue par la loi et je pense qu'il serait souhaitable qu'indépendamment des sommes importantes en jeu, nous puissions pleinement en disposer, pour développer une vision de long terme et en améliorer constamment la gestion.

L'accession aux responsabilités et compétences élargies dans un certain nombre de domaines nous a permis de gérer au plus près et de la meilleure façon possible l'adéquation de nos ressources et de nos besoins. La dévolution du patrimoine immobilier nous permettrait d'améliorer la fluidité de sa gestion. D'ailleurs, la CPU a fait un certain nombre de propositions à votre assemblée pour qu'en cas de vente du patrimoine immobilier des universités, la somme leur revienne au lieu d'être versée quasiment exclusivement à l'État, ce qui est totalement contreproductif. Nous disposons du troisième patrimoine immobilier de l'État et je crois que les sommes tirées des ventes de ce patrimoine depuis quatre ou cinq ans n'ont pas dépassé le million d'euros.

Concernant les méthodes d'allocation des moyens, le modèle « SYMPA » avait pour avantage d'être un système de répartition des ressources et non un système d'objectifs. Malheureusement, il est plus difficile de répartir la pénurie que des moyens supplémentaires, ce qui explique pourquoi il n'a fonctionné qu'un temps. Un bon système de répartition des moyens pourrait néanmoins être à la fois plus simple et plus incitatif. Le secrétaire d'Etat a annoncé qu'il n'évoluerait pas cette année : nous espérons donc que ce sera le cas l'an prochain.

Les disparités de moyens entre les universités proviennent en effet de l'histoire, du système d'allocation des moyens que je viens d'évoquer mais également de la qualité de la gestion pour chacune d'entre elles. Pour véritablement parvenir à plus d'équité dans l'allocation des ressources, il faudrait disposer d'un modèle qui s'appuie sur une connaissance précise des coûts. Nous y travaillons même si cela prend beaucoup de temps.

Quant au rôle central du contrat, je rappellerai juste que l'incitation financière des contrats de site et d'établissement ne représente que 0,2 % de nos moyens, il s'agit donc d'une incitation politique, d'une mobilisation de nos communautés, mais certainement pas d'un intéressement financier.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - La Cour des comptes constate que le levier des différenciations de régimes indemnitaires n'a quasiment pas été utilisé par les universités. Pourquoi ce blocage et comment le lever ? La Cour des comptes considère également que le système actuel d'allocation des moyens aux universités n'est plus adapté au nouveau contexte. Quel serait selon vous le dispositif idéal et comment le ministère pourrait-il valoriser les gestionnaires rigoureux ? La Cour des comptes souligne les statuts des personnels encore trop nombreux, quels chantiers la direction générale des ressources humaines a-t-elle engagés pour améliorer cette situation et simplifier le dispositif actuel ? Selon quelles modalités une nouvelle étape de responsabilité en matière de ressources humaines, que la Cour des comptes appelle de ses voeux, pourrait-elle être organisée ? Enfin, quelles seraient l'ensemble des conditions nécessaires pour que les universités s'emparent pleinement de la gestion de leur patrimoine immobilier ?

M. Michel Bouvard. - Je tenais tout d'abord à rappeler que les informations qui ont été réunies pour rédiger le présent rapport n'auraient jamais pu l'être sans la réforme des juridictions financières conduite en son temps par Philippe Séguin.

Beaucoup de constats dressés par ce rapport sont connus de longue date et je les avais également relevés dans un rapport d'évaluation et de contrôle que j'avais écrit avec Alain Claeys par le passé : il y était déjà question du problème des systèmes d'information, de la faiblesse de la formation continue dans les ressources des universités... Beaucoup de ces points négatifs ont peu évolué, et c'est relativement accablant.

Se pose toujours également le problème de l'incapacité de reconstituer les financements consacrés à la recherche, et notamment la question des unités mixtes. C'est un sujet récurrent sur lequel le Parlement attire l'attention depuis des années et qui figure dans tous les questionnaires budgétaires sur l'enseignement supérieur depuis maintenant plus d'une décennie.

Je voudrais avoir des informations sur la réforme des dotations. Nous avons bien compris que l'histoire pèse, qu'il y a une nécessité d'équité mais il faut que nous arrivions à faire progresser la culture de la performance. Pour ma part, je souhaiterais faire deux propositions à la Cour des comptes et à la directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. Ne faut-il pas, dans une réforme des dotations, prendre en compte le fait qu'une université effectue des contrôles sur l'activité des enseignants-chercheurs ? Nous ne pouvons pas nous contenter de simples encouragements à atteindre le temps de travail réel, c'est insupportable pour le contribuable ! De même, lorsque les universités vont chercher des ressources propres, par exemple en développant la formation continue, qui représente seulement 2 % de leurs recettes, alors qu'elles pourraient bien davantage en bénéficier, il faut le prendre en compte dans les dotations pour inciter à la performance.

S'il est techniquement impossible de renouveler tous les contrats en même temps, ne peut-on au moins les faire converger avec un lissage dans le temps ?

Sur le patrimoine des universités, je suis partagé, en tant que rapporteur spécial sur l'immobilier de l'État, entre l'idée de faire un nouveau « trou dans la raquette », après celui consenti à la Défense, en favorisant un retour pour les universités des sommes issues des ventes de leur patrimoine immobilier et l'idée de conserver pour l'État les 50 % consacrés à son désendettement. Mais je fais le même constat que le président de la CPU. Aujourd'hui la situation est figée parce qu'il n'y pas de cessions ou très peu de cessions du patrimoine des universités par l'État. Il y a déjà un « trou dans la raquette » qui concerne Saclay : c'est moi qui ai porté l'amendement coupable, par lequel nous avons autorisé le retour des cessions immobilières aux universités concernées pour les opérations qui avaient lieu à Saclay. Désormais, je suis plutôt en faveur de ces retours immobiliers et désireux de sortir du moratoire sur la dévolution, cette sortie étant une obligation en termes de performances, même si l'on ne peut pas la donner à tout le monde.

Ultime question, Madame la directrice : en régime d'autonomie, quelle est l'utilité aujourd'hui des chancelleries des universités ?

M. Éric Doligé. - Le rapport de la Cour des comptes est très pédagogique et montre bien la direction qu'il faut emprunter. J'ai noté que Simone Bonnafous - qui m'a replongé dans la complexité du monde universitaire - évoquait régulièrement l'année 2012 comme une césure. Que s'est-il passé de spécial en 2012 pour qu'on puisse ainsi évoquer un avant et un après ?

Ma question porte sur les investissements. Vous êtes inquiets pour les investissements futurs des universités, compte tenu de la baisse à venir des dotations. Personne n'a évoqué jusqu'ici le rôle des collectivités territoriales dans le financement de certains investissements des universités. Pourtant, il est évident que les universités vont subir à la fois une baisse importante des dotations de l'État mais également des financements des collectivités territoriales. Ce sera un choc et j'ignore dans quelle mesure vous l'avez programmé.

Ma seconde question concerne la hausse du nombre des étudiants ces dernières années, hausse dont il est actuellement beaucoup question dans les médias. Là encore, qu'est-il prévu pour y faire face ? Notre système universitaire va-t-il continuer à se dégrader ?

M. Francis Delattre. - En dehors des questions de gestion des universités, je souhaiterais faire une remarque qui porte sur le Crédit impôt recherche (CIR), auquel une commission d'enquête que j'ai présidée a été récemment consacrée.

Les grands instituts publics - Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la recherche agronomique (INRA) par exemple - se sont engagés dans des partenariats avec les entreprises au titre du CIR et récupèrent de ce fait environ 500 millions d'euros à travers ces projets. Dans le cas des universités, les partenariats demeurent encore très insuffisants et, surtout, très disparates.

À Nice, par exemple, il n'existe quasiment pas de partenariats entre les universités et les entreprises, alors que la région compte pourtant deux grands pôles de recherche. Or, nous avons senti à travers nos échanges qu'il y avait un vrai blocage : pourquoi ? À Grenoble, c'est tout l'inverse, c'est très ouvert !

Lorsque l'on sait que le CIR représente presque 6 milliards d'euros, on ne peut que se dire que les instituts ont bien raison de s'engager dans des partenariats avec les entreprises et que les universités devraient faire la même chose, pour leur plus grand bien et pour le bien de notre économie. Pourquoi existe-t-il des blocages sur ce point ? Il faut vraiment les surmonter.

M. Maurice Vincent. - Il faut se féliciter du choix fait par la Nation depuis dix ans de faire de l'enseignement supérieur et de la recherche une priorité. Dans le contexte budgétaire compliqué que nous connaissons, l'effort réalisé en direction de l'enseignement supérieur et la recherche, que ce soit à travers les investissements immobiliers, le programme d'investissements d'avenir (PIA) ou les créations de postes supplémentaires, doit être souligné. L'objectif contenu dans le récent rapport de la stratégie nationale de l'enseignement supérieur (StraNES) de porter à 60 % d'une classe d'âge la proportion de diplômés de l'enseignement supérieur d'ici 2025 confirme cette orientation. Il est donc important d'utiliser au mieux les moyens en hausse dans ce secteur.

J'aimerais me concentrer sur quelques points saillants. Tout d'abord, l'administration doit avoir conscience du fait que des fonds de roulement excédentaires dans des universités ne sont pas comparables à des fonds de roulement excédentaires dans les chambres de commerce et d'industrie (CCI). Je prends cet exemple car les réserves des CCI ont été ponctionnées à plusieurs reprises du fait de leur hausse constante. Une telle mesure ne doit pas s'appliquer aux universités. À cet égard, la décision prise récemment de ne pas ponctionner à nouveau de 100 millions d'euros les fonds de roulement des universités va dans le bon sens. C'est une solution qu'il convient également d'éviter à l'avenir.

Il me paraît ensuite éminemment souhaitable de trouver de nouvelles ressources propres pour les universités. Cependant, je ne pense pas que la solution puisse venir du développement de la formation continue dans les universités, objectif qui est poursuivi depuis longtemps. La contribution de la formation continue au financement de l'enseignement supérieur et de la recherche est faible et devrait le rester, même si elle peut être améliorée. On ne peut pas demander aux universités d'être à la fois les « championnes d'Europe » de la recherche, d'accueillir chaque année un nombre croissant d'étudiants, de créer de nouvelles formations et de se rapprocher du monde économique, tout en développant la formation continue. De surcroît, la formation continue nécessite des investissements et des compétences particulières qui ne sont pas reconnues dans la carrière des universitaires. Je ne crois donc pas au financement massif des universités par la formation continue.

S'agissant de l'augmentation des droits d'inscription, les sénateurs socialistes de la commission des finances sont en désaccord avec la préconisation du rapporteur spécial, ce qui nous empêchera de souscrire à son rapport. Nous considérons en effet que l'effort financier réalisé par la puissance publique est inégal selon les filières d'enseignement supérieur, avec par exemple un fort soutien apporté aux classes préparatoires ou à certaines grandes écoles d'ingénieurs. Tant qu'une plus grande équité n'aura pas été trouvée en la matière, on ne peut pas demander aux étudiants des universités d'accroître leur contribution financière.

Enfin, la gestion du patrimoine constitue un enjeu considérable. Avant la réforme sur l'autonomie des universités, le budget de l'État n'était pas suffisamment abondé, et ce de manière considérable puisqu'il y avait dix fois moins de crédits que ce qui était nécessaire pour assurer une maintenance correcte du patrimoine universitaire. Avec l'autonomie, le problème financier pèse sur le budget des universités.

M. Antoine Lefèvre. - Je remercie le rapporteur spécial d'avoir sollicité la Cour des comptes pour réaliser un travail en profondeur sur l'autonomie financière des universités. Je retiens en particulier la première préconisation faite par le rapporteur spécial visant à établir des « règles prudentielles adaptées » et à ne pas pénaliser les établissements rigoureux. À ce titre, je souhaite revenir sur la ponction de 100 millions d'euros qui a été opérée en 2015 sur les réserves de certains établissements. Celle-ci a envoyé un très mauvais signal, en pénalisant les établissements les plus vertueux au profit des établissements les moins économes. La nouvelle région Nord-Pas-de-Calais-Picardie a payé le plus lourd tribut, puisque l'université d'Artois a fourni à elle seule un quart de la somme, soit 24 millions d'euros, et que l'université Lille 2 s'est vue amputée de 9 millions d'euros. En Picardie, l'université technologique de Compiègne (UTC) a également été concernée pour 2 millions d'euros. C'est un coup terrible qui a été porté à la formation des jeunes de cette région, dont le taux de chômage est particulièrement élevé. Cette ponction a été perçue comme un retour déguisé du pilotage par l'État du budget des universités. L'autonomie reste un exercice difficile, semble-t-il...

M. Marc Laménie. - J'aimerais revenir sur une critique faite par la Cour des comptes, qui appelle à mettre fin aux « multiples irrégularités » qu'elle a pu constater lors de ses contrôles dans l'usage des régimes indemnitaires. Alors que l'on prône la transparence à tous les niveaux, il s'agit d'une critique grave, car nous sommes en présence d'argent public. En outre, le recollement des données financières et comptables des universités n'a pas été aisé. Je m'interroge donc : comment a-t-on pu en arriver là ?

Mme Simone Bonnafous. - Concernant les systèmes d'information, c'est effectivement un des points qui avance le moins bien. Pour autant, on ne peut pas dire que nous sommes dans l'immobilité : des progrès ont été réalisés. Cela est notamment vrai pour ce qui est de l'articulation entre les organismes de recherche et les universités, à travers le suivi des budgets des unités mixtes de recherche (UMR).

Un travail commun est conduit par les universités, les organismes de recherche, le ministère et l'Agence de mutualisation des universités et établissements d'enseignement supérieur et de recherche (AMUE) afin d'améliorer les systèmes d'information. Récemment, un outil commun de gestion financière des UMR CNRS-Université, « GESLAB », ainsi qu'un logiciel « TEMPO » pour la gestion des feuilles de temps des personnels, essentiels pour les contrats de recherche européens, ont été mis au point. Désormais, les organismes de recherche sont également membres de l'AMUE. En tout état de cause, l'articulation entre la recherche et l'enseignement supérieur est fondamentale.

S'agissant de la performance, le modèle d'allocation des moyens MODAL a évolué afin d'intégrer la masse salariale, ce que préconisent la Cour des comptes et le Sénat depuis longtemps. MODAL contient des indicateurs de performance ; il existe par exemple un indicateur qui mesure l'évolution des ressources de formation continue et un autre indicateur qui tient compte de la façon dont les établissements participent aux programmes européens.

M. Michel Bouvard. - Ne pourrait-on pas y ajouter également un indicateur relatif au temps de travail ?

Mme Simone Bonnafous. - Sur le temps de travail, je crois qu'il existe une certaine hétérogénéité selon les universités. Je peux simplement dire que je m'étais efforcée de faire appliquer les 1 607 heures annuelles dans un établissement que j'ai dirigé.

La relation que le ministère entretient avec les établissements est une relation d'autonomie et de respect. L'État finance l'enseignement supérieur à plus de 90 % et a donc une responsabilité vis-à-vis des établissements. Nous les accompagnons notamment lorsqu'ils sont en situation difficile y compris au niveau des recteurs et des contrôleurs budgétaires. Je prends par exemple le cas de l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), qui était en quasi cessation des paiements il y a quelques années. Nous n'avons pas pénalisé cette université, déjà en difficulté, en lui attribuant moins de dotations. Nous l'avons au contraire accompagnée dans sa restructuration administrative, et je suis assez fière du fait que l'UVSQ ait désormais un compte de résultat positif, qu'elle reconstitue son fonds de roulement et qu'elle soit en train de rembourser à l'État l'aide qui lui a été apportée.

En 2012, nous avons pris conscience du fait qu'un certain nombre d'établissements était en grande difficulté financière, et qu'il était nécessaire de les accompagner par la mise en oeuvre de plusieurs mesures. L'État a par exemple délégué des groupes d'inspecteurs généraux ainsi que des personnels du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche auprès des établissements, afin de réaliser des diagnostics flash ou encore des audits approfondis. Des progrès ont également été réalisés sur la remonté des données, s'agissant notamment des données financières des établissements, qui sont aujourd'hui régulièrement mises à jour.

Concernant la dévolution du patrimoine immobilier aux universités, le secrétaire d'État a estimé qu'il s'agissait d'un sujet majeur dès son arrivée et il a récemment indiqué qu'une hypothèse actuellement à l'étude était de réaliser, dans le cadre du troisième PIA annoncé, un appel à projets sur la dévolution afin qu'elle s'étende à d'autres établissements.

M. Jean-Loup Salzmann. - Je suis président d'université depuis huit ans et j'ai déjà vu passer trois régimes indemnitaires des personnels. Les irrégularités qui ont été mentionnées par la Cour des comptes sont notamment liées à la complexité de la réglementation.

Une piste d'économie envisageable pour l'État serait d'alléger l'obligation qui lui est faite de remettre en état les bâtiments avant de les transférer.

S'agissant de la formation continue, la récente réforme n'a pas facilité son développement car ce sont les partenaires sociaux qui décident qui est éligible. Ainsi, lors des réunions des comités régionaux, la plupart du temps les diplômes universitaires n'ont pas été retenus comme éligibles à la formation continue. De même, alors que les universités ont le monopole de la formation initiale des médecins, elles sont complètement exclues de leur formation continue.

Concernant le rôle des collectivités territoriales en termes d'investissement, les contrats de plan État-région (CPER) vont effectivement souffrir de la baisse des dotations de l'État. C'est un choc auquel il convient de se préparer.

Concernant le CIR, les universités réalisent beaucoup de recherches partenariales avec les entreprises. Nous avons proposé aux deux assemblées de modifier un certain nombre de règles du CIR, afin de favoriser l'embauche des jeunes chercheurs. L'emploi de docteurs dans les entreprises est extrêmement favorable à la quantité et à la qualité des recherches qui y sont effectuées. Je pense par exemple au dispositif de bourses CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche), qui encourage la présence de docteurs en entreprises. C'est une excellente chose que le secrétaire d'État veuille en augmenter le nombre comme je l'ai lu dans la presse.

M. Brice Lannaud. - Concernant les questions relatives à la gestion des ressources humaines, je tiens à rappeler que la priorité des prochains mois est la mise en place du RIFSEEP pour l'ensemble des corps administratifs, techniques, sociaux et de santé. Ce régime va se substituer à plusieurs régimes indemnitaires existants et apporter de la simplification.

Je retiens par ailleurs du rapport de la Cour des comptes le constat qu'il existe des marges d'autonomie qui ne sont pas utilisées en matière de la gestion des ressources humaines, par exemple s'agissant de l'intéressement, pour lequel il nous revient de mieux expliquer comment l'utiliser, ou de la modulation de service.

Pour finir, j'aimerais mentionner des avancées concernant les enseignants chercheurs dans les disciplines du droit et des sciences économiques et de gestion, avec la suppression du recrutement par jury national pour l'agrégation interne ou en décontingentant les obligations de recrutement pour le concours d'agrégation externe.

Mme Sophie Moati. - Je souhaiterais insister sur la première de nos recommandations, qui me paraît inclure l'ensemble des éléments permettant la poursuite de ce processus d'autonomie : il s'agit de fusionner les procédures d'allocation des moyens et de définition des objectifs des universités dans un cadre contractuel unique. Cela permettrait, avant chaque négociation de contrat, d'évaluer la situation financière de chacune des universités.

Pour la Cour des comptes, les fonds de roulement des universités ne doivent pas être sanctuarisés par principe. Il convient de disposer d'un audit financier université par université. Par ailleurs, je souhaiterais nuancer ce que Jean-Loup Salzmann a dit : les fonds de roulement ne constituent pas la source de l'investissement des universités. Notre étude a montré que celui-ci a pu se faire grâce à la subvention publique, et la capacité d'autofinancement sans qu'il y ait de prélèvement sur le fonds de roulement.

En outre, la Cour des comptes a eu plusieurs fois l'occasion d'exprimer son regret s'agissant de la disparition de la prise en compte des indicateurs de performance dans l'allocation des ressources, notamment en matière de recherche.

Afin d'utiliser au mieux l'ensemble des leviers financiers, il nous paraît essentiel de mettre en oeuvre cette procédure fusionnée d'allocation de moyens. Il est nécessaire de réaliser, dans le cadre du processus de contractualisation, des audits de la situation des universités, afin de connaître les moyens devant être mobilisés. J'entends bien les problèmes de faisabilité que cela peut poser, mais il n'est pas nécessaire de conclure l'ensemble des contrats au même moment, cela peut se faire par vagues. Les méthodes employées aujourd'hui ne sont pas complètement efficaces. L'évaluation de l'atteinte des objectifs à mi-parcours me paraît également fondamentale.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. - Pour bien travailler, il faut partir d'un bon constat. Le rapport de la Cour des comptes permet de l'établir et de réfléchir en connaissance de cause.

Comme la Cour des comptes, je considère que l'on ne peut pas parler d'autonomie s'il n'y a pas de visibilité dans le temps. La contractualisation est donc nécessaire, même si elle ne concerne pas la totalité des moyens alloués - car l'État ne peut pas non plus totalement se lier les mains. Sinon, l'université peut voir chaque année remis en cause les engagements qu'elle a pris de manière pluriannuelle par ailleurs.

Si j'ai bien compris, afin de poursuivre la dévolution du patrimoine, vous envisagez une mobilisation du PIA ?

Mme Simone Bonnafous. - Oui, c'est le souhait que le secrétaire d'État a exprimé.

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. - La réunion se termine donc par une annonce concrète ! Cela montre bien que la dévolution ne peut pas se faire dans un cadre ordinaire, mais seulement extraordinaire, car il y a une impasse financière que nous connaissons alors que le coût s'élève à 850 millions d'euros par an.

Les universités devront également savoir se recentrer sur leur coeur de métier et s'adapter en ayant par exemple recours à la location avec d'autres partenaires.

J'aimerais également dire à Maurice Vincent qu'il serait dommage de ne pas soutenir le rapport à cause d'une recommandation qui ne constitue pas l'essentiel de celui-ci. J'aimerais insister sur un point : les boursiers ne paient pas de droits d'inscription, et il y a 30 % de boursiers environ. Le budget par étudiant correspond à un montant d'environ 10 000 euros. Si l'on augmente de 200 euros les droits d'inscription, on double la capacité pour les universités de prendre des initiatives qualitatives, afin que les étudiants travaillent dans de meilleures conditions. Aujourd'hui, les universités sont complètement bloquées car la quasi-totalité de leurs dépenses sont déjà affectées. Je vais d'ailleurs réaliser prochainement un rapport sur les bourses, qui sortira au début de l'année prochaine.

À terme, c'est l'orientation des étudiants qui devra être améliorée afin de mieux maîtriser leur nombre et que les moyens affectés soient adaptés aux besoins.

M. Charles Guené, président. - Je vous remercie.

La commission autorise la publication de l'enquête ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Philippe Adnot.

La réunion est levée à 12h44.

- Présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Charles Guené, vice-président -

Projet de loi de finances pour 2016- Audition de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, et de M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget

La réunion est ouverte à 16h30

Mme Michèle André, présidente. - Nous entendons Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, et Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, sur le projet de loi de finances pour 2016.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de venir vous présenter ce projet de loi de finances. Quelle est la situation de nos finances publiques ? Pour la première fois depuis longtemps, l'hypothèse de croissance retenue en loi de finances initiale sera respectée. Il existe en effet un consensus pour dire que la prévision de croissance de 1 % prévue sera atteinte et sans doute dépassée. Cette situation vient après trois années de croissance extrêmement faible en France comme dans la zone euro, ce dont l'activité économique, l'emploi et les comptes publics ont été affectés.

Cette année, notre objectif de déficit de 3,8 %, dont vous aviez débattu l'an dernier à défaut de le voter, sera atteint. Le rythme des recettes et des dépenses est parfaitement en ligne avec nos prévisions. Depuis de très nombreuses années, c'est la première fois que l'objectif fixé par le Parlement sera respecté.

Cette situation nourrit une relation de confiance avec les autorités européennes, alors que l'an passé, ces relations étaient beaucoup plus complexes. En raison des traités, la Commission européenne examine en effet les budgets de chaque pays, émet des recommandations et peut recourir à des incitations punitives si l'un d'entre eux ne respecte pas ses engagements. Désormais, notre dialogue est serein, nous n'avons pas un glaive au-dessus de notre tête. Au demeurant, la réduction des déficits est d'abord de l'intérêt de la France.

Vous connaissez l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) : dans la langue qui est la sienne, les termes qu'il emploie sont différents de ceux des années passées. Il reconnaît que l'hypothèse de croissance du Gouvernement est « réaliste » et que le chiffre de 1,5 % reste « atteignable », alors qu'il qualifiait d'optimiste celle pour 2015. Or, vous savez qu'optimiste signifie inatteignable ; à l'inverse, atteignable signifie que l'objectif sera atteint, et réaliste qu'il sera dépassé ! Avec cette hypothèse prudente, je crois que nous échapperons au débat classique mettant en cause la sincérité des hypothèses qui fondent le budget.

L'hypothèse de l'inflation a été plus compliquée à fixer. En 2014 et 2015, l'inflation a été particulièrement faible : ni la France, ni l'Europe n'avaient vu venir ce choc, qui a eu des conséquences sur l'exécution de nos budgets en recettes et en dépenses. En outre, nous avions prévu des économies en tablant sur la différence entre l'inflation et l'évolution de la dépense, en particulier dans le domaine social.

Pour l'an prochain, nous prévoyons une inflation de 1 %. Le HCFP se demande si elle ne sera pas plus faible. Son interrogation est compréhensible, mais nous avons essayé d'être cohérents avec la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE). Pourquoi être pessimiste alors que la BCE mène depuis l'été dernier une politique particulièrement bien adaptée, ce qui nous permet aujourd'hui de bénéficier d'un euro qui n'est pas surévalué et de taux d'intérêt qui restent faibles ?

Les taux d'intérêt, qui ont des conséquences sur le coût de la dette mais aussi sur le financement de l'économie, devraient rester bas en 2016 : à la fin de l'année, ils s'élèveraient à 1,4 % à dix ans, contre moins de 1 % aujourd'hui. Fin 2016, nous prévoyons 2,4 %, chiffre qui pourrait ne pas être atteint. Nous gardons ainsi une marge de sécurité. À ceux qui nous disent que ces économies sont volatiles, je réponds qu'il n'en est rien car il s'agit d'économies pérennes : en 2016, l'Agence France Trésor (AFT) empruntera 187 milliards d'euros, dont 127 milliards d'euros pour refinancer des dettes anciennes au taux beaucoup plus élevé que ceux d'aujourd'hui. Or, nous empruntons sur 6 à 10 ans, ce qui permet d'envisager une diminution annuelle du niveau des intérêts payés par la France.

Pour le reste, et comme je le disais ce matin, la surprise de ce budget, c'est qu'il n'y a pas de surprises. Ce budget met en oeuvre des orientations déjà fixées, respecte des engagements déjà pris. Ainsi en est-il pour l'évolution des prélèvements obligatoires, qu'il s'agisse des entreprises ou des ménages. Nous diminuerons de 9 milliards d'euros les cotisations et les impôts des entreprises, conformément à ce qui avait été annoncé dans le cadre du Pacte de responsabilité. Ainsi en sera-t-il de la fin de la surcotisation de l'impôt sur les sociétés prélevée sur les grandes entreprises, soit 2,5 milliards d'euros ; de la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) en faisant en sorte que 80 000 nouvelles entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient de cette mesure ; de la baisse de cotisations des entreprises non plus seulement du SMIC jusqu'à 1,6 SMIC, ce que nous avons fait en 2015, mais de 1,6 à 3,5 SMIC l'année prochaine.

Nous tenons également nos engagements en faveur des ménages avec une réduction de 2 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu des plus modestes. La France compte près de 18 millions de foyers fiscaux qui payent l'impôt sur le revenu. Or, plus de 12 millions de foyers auront bénéficié entre 2015 et 2016 d'une baisse ou même d'une suppression de leur impôt sur le revenu. Certains disent que les hauts salaires ont vu leur impôt sur le revenu augmenter. C'est exact, mais il nous paraît légitime que les impôts de ceux qui ont les revenus les plus importants augmentent, et il nous semble injuste que l'appel à l'effort s'étende à des foyers extrêmement modestes. On nous reproche de concentrer l'impôt sur le revenu sur un nombre limité de ménages, mais l'an prochain 46 % des foyers français payeront l'impôt sur le revenu, comme en 2007 : nous revenons à la situation d'avant la crise. En outre, tout le monde paye la contribution sociale généralisée (CSG) qui pèse sur tous les revenus, y compris les plus modestes.

Nous proposons une réforme des modalités de perception de l'impôt : nous lançons la première étape de l'élaboration du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, qui deviendra effectif le 1er janvier 2018. Il faut que tous les acteurs connaissent au cours de 2017 l'intégralité des mesures. Nous vous proposerons dans la loi de finances pour 2017 les modalités précises de ce prélèvement à la source. En 2016, nous aurons déjà des débats et des choix à opérer.

Deuxième élément de simplification : la dématérialisation la plus large possible des déclarations et du paiement de l'impôt sur le revenu. Quand 40 % des ménages français déclarent leur l'impôt sur le revenu par Internet, en Italie et dans d'autres pays, on est proche des 100 %. L'an prochain, les ménages dont les revenus sont supérieurs à 40 000 euros devront établir leur déclaration par Internet. Il n'y aura pas de pénalisation avant deux exercices et toute personne qui ne pourra pas le faire le signalera et continuera à déclarer sur papier. Les pénalités se monteront à 15 euros pour les récalcitrants, mais il ne s'agit nullement d'un mécanisme coercitif. Nous avons intérêt à aller vers cette dématérialisation, plus simple pour les contribuables et qui dégage des économies structurelles : nos personnels pourront travailler dans de meilleures conditions.

Puisque nous réduisons à la fois les impôts et les déficits, nous maîtrisons les dépenses. Pour 2015, certains s'étaient interrogés mais nous respecterons intégralement le niveau des dépenses que nous avons fixé. De même que nous avons respecté les dépenses en 2014 et en 2015, nous respecterons nos objectifs pour 2016. Si vous voulez que nous en parlions, j'ai ici le détail des gouvernements qui ont le plus augmenté, mais aussi le plus diminué, les impôts sur les entreprises. Évitons les procès d'intention. Ce disant, je réagis aux déclarations de ce matin de celui que l'on peut considérer comme le chef potentiel de l'opposition - il a siégé peu de temps à la commission des finances à l'Assemblée nationale et a été quelques mois ministre des finances, ce qui explique sans doute des approximations...

Nous devons absolument maîtriser les dépenses de l'État et de la sécurité sociale et nous incitons les collectivités territoriales à faire de même, tout particulièrement pour leurs dépenses de fonctionnement, sachant que nous avons mis en place un fonds d'incitation à l'investissement en faveur des collectivités territoriales doté d'un milliard d'euros. En 2014 et 2015, période post-électorale, l'investissement des communes a marqué le pas. L'alternance a été importante, d'où la suspension d'un certain nombre de projets, mais l'année 2016 devrait être marquée par la reprise des investissements locaux.

Tels sont les grands principes qui fondent ce projet de loi de finances pour 2016.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. - Une bonne nouvelle est passée inaperçue : l'Insee a récemment revu le déficit public de 2014 à la baisse, à 3,9 % du PIB. Je regrette que personne n'en parle.

Michel Sapin l'a dit, ce budget maintient le cap : le déficit public se réduit comme prévu, et même plus vite que prévu. Les baisses de prélèvements annoncées pour 2016 sont mises en oeuvre, et pour financer tout cela, nous vous proposons un nouvel ensemble d'économies - comme prévu par le plan d'économies de 50 milliards d'euros qui concerne l'ensemble de la dépense publique.

Les bons résultats obtenus depuis un an confortent notre politique et contribuent à sa crédibilité : en 2014, le déficit public a été moins élevé que prévu, à 3,9 % et la dépense publique a progressé à un rythme extraordinairement bas de 0,9 % en valeur. D'ailleurs, le HCFP indique lui-même dans son avis que « ces dernières années, les efforts de maîtrise de la dépense publique ont été sensibles ».

Pour 2015, la prévision de déficit public était de 4,1 % en loi de finances initiale. Depuis avril, nous avons revu cette prévision à 3,8 % et toutes les informations disponibles confortent cette prévision, y compris l'avis que le HCFP vient de rendre. J'ai lu qu'il manquerait quelques milliards d'euros de TVA, quelques milliards d'euros d'impôt sur le revenu. Tout cela ne tient pas debout. Les prévisions de recettes seront en ligne avec nos prévisions de la loi de finances initiale et celles du programme de stabilité.

Le déficit de l'État pour 2015 est réduit de 1,4 milliard d'euros par rapport à la prévision initiale. Je vous l'avais annoncé au moment du débat d'orientation des finances publiques : les recettes fiscales sont en légère plus-value de 100 millions d'euros par rapport au programme de stabilité et les dépenses sont nettement moins élevées que prévu. C'est la première fois depuis 2011, que le déficit de l'État est inférieur en exécution à la prévision de la loi de finances initiale - il atteignait à l'époque 90,7 milliards d'euros.

Notre politique budgétaire est stable, prévisible et crédible. Cette crédibilité passe par le respect d'un principe : pas de dépense nouvelle sans une économie pour la financer. C'est un principe que nous avons respecté dans la construction du budget et nous le respecterons lors de la discussion parlementaire. Bien qu'exigeant, il n'entrave pas notre action, bien au contraire : au cours des derniers mois, le Gouvernement a dû faire face à des événements imprévus et parfois tragiques, qui appelaient une réponse immédiate de la puissance publique et la mobilisation de ressources nouvelles. À chaque fois, nous avons engagé les dépenses nécessaires et, dans le même temps, nous avons dégagé les économies permettant de les financer. Les événements de janvier nous ont conduits à renforcer les moyens pour la sécurité des Français. Ce sont des dépenses nouvelles qui ont un impact tant sur l'année 2015 que sur l'année 2016. Pour 2015, nous les avons financées par les annulations de crédits du décret d'avance du 9 avril dernier et par des mises en réserve complémentaires de crédits. Pour 2016, ces dépenses, en particulier la hausse de 600 millions d'euros du budget de la défense, suite à la révision de la loi de programmation militaire (LPM), ont été intégrées à la construction du budget et elles sont prises en compte dans la baisse de 1,3 milliard d'euros des dépenses de l'État par rapport à la loi de programmation. Plus récemment, nous avons réagi face à deux crises d'importance : la crise agricole et l'accueil des migrants. Je reviendrai au cours des débats sur la façon dont nous financerons ces deux items. Ces exemples démontrent que la discipline budgétaire n'est pas une entrave à l'action.

Les dépenses des ministères et les ressources affectées aux opérateurs baisseront en valeur par rapport à 2015, d'un milliard d'euros à périmètre constant. Il faut souligner cet effort considérable, parce que la répartition de l'effort est, à juste titre, un sujet de débat. Cet effort est plus marqué que celui des autres collectivités publiques : les dépenses de personnel de l'État resteront maîtrisées, même si notre effort de sécurité conduit à revoir à la hausse la trajectoire des effectifs de la défense et du ministère de l'intérieur. La révision de la LPM conduit, en particulier, à une augmentation nette des effectifs de l'État en 2016 ; mais hors révision de la LPM, l'effort est réel, avec une baisse de 1 495 équivalents temps plein (ETP).

Nous poursuivrons l'effort de réduction des dépenses de fonctionnement des ministères mais aussi des opérateurs, avec une nouvelle baisse des ressources affectées et une extension de 50 % du champ de leur plafonnement, ce qui correspond à une quasi-généralisation de cet excellent principe de gouvernance, auquel le Sénat était particulièrement attaché.

Le projet de loi de finances comporte aussi des réformes structurelles qui soit permettent des économies directes, soit assurent la soutenabilité de l'intervention publique. Sur la politique du logement, nous prévoyons des évolutions des modalités d'attribution et de calcul des aides personnelles au logement, inspirées du rapport de l'Assemblée nationale fait par votre collègue François Pupponi et qui iront dans le sens d'une plus grande équité entre bénéficiaires. Nous réformons également le financement et le volume des aides à la pierre, avec la création d'un fonds autonome, dont la gouvernance et le financement seront partagés entre l'État, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales.

Nous engageons aussi une réforme des modalités d'indexation des prestations sociales, qui font l'objet de deux dispositions en projet de loi de finances et en projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ces dispositions permettront d'harmoniser les dates et les méthodes de revalorisation des prestations, toutes revalorisées à partir de l'an prochain au 1er avril sur la base de l'inflation des douze derniers mois constatée, à l'exception des retraites qui resteront revalorisées le 1er octobre. Nous réformons également le financement de l'aide juridictionnelle et nous affectons une nouvelle ressource fiscale pour garantir le financement de l'audiovisuel public et son indépendance.

La baisse des dotations aux collectivités territoriales sera poursuivie et accompagnée, comme le Premier ministre s'y était engagé, par la création d'un fonds d'aide à l'investissement local, doté d'une capacité d'engagement d'un milliard d'euros. C'est l'objet d'un article du projet de loi de finances. Ainsi, le Gouvernement souhaite assurer que les économies réalisées par les collectivités locales, indispensables dans le cadre de l'effort de l'ensemble des administrations publiques, ne remettent pas en cause l'investissement local.

Ces évolutions seront accompagnées d'une réforme en profondeur de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal, inspirée par le rapport de votre collègue Jean Germain, dans une première étape, et de la députée Christine Pirès-Beaune, et qui sera un moment important du débat parlementaire : une réforme pour une DGF plus juste et plus transparente, qui résorbera progressivement les écarts excessifs et souvent injustifiés entre collectivités, y compris à l'intérieur d'une même strate. Parallèlement, nous développerons la péréquation horizontale dans des proportions que nous évoquerons ensemble.

Compte tenu de la baisse des dotations de l'État, l'objectif d'évolution de la dépense publique locale (Odedel) sera fixé à 1,2 % en 2016 et à 1,6 % pour les dépenses de fonctionnement. Nous anticipons ainsi un ralentissement de la hausse de ces dépenses, en lien avec l'adaptation progressive des collectivités à l'évolution de leurs dotations.

Au total, non seulement les économies proposées financent les dépenses nouvelles mais elles réalisent aussi un effort complémentaire de 1,3 milliard d'euros par rapport à la loi de programmation de décembre 2014, qui constitue notre référence. Elles financent aussi les baisses d'impôts en faveur des ménages.

Nous réformons la décote, ce qui adoucit la pente d'entrée dans l'impôt sur le revenu. Cette réduction ne sera pas la seule baisse d'impôts en 2016 : le projet de loi de financement de la sécurité sociale met en oeuvre la deuxième étape du volet « entreprises » ; de même, la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés disparaît.

Même si certaines mesures ont une incidence sur le budget de la sécurité sociale en recettes, l'État les compense intégralement. Ce sont 11 milliards d'euros de baisses d'impôts qui sont pris en charge par le budget de l'État, sous forme de reversement de part de TVA mais aussi sous forme de reprise de dépenses : l'État reprendra ce qui restait de dépenses d'allocation logement dans le budget de la sécurité sociale. Il ne faut donc pas vous étonner de voir une hausse des dépenses de l'État, puisque nous compensons les exonérations de cotisation du budget de la sécurité sociale. Je sais que beaucoup d'entre vous sont attachés à la bonne compensation des dépenses entre l'État et la sécurité sociale.

Ce projet de loi de finances prend en compte la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), mais à 72 milliards d'euros, le déficit du budget sera à son niveau le plus bas depuis 2008 : voilà bien la preuve que les économies financent les baisses d'impôts mais réduisent aussi le déficit.

La retenue à la source constitue la plus grande modernisation de l'impôt sur le revenu depuis des décennies. Elle représentera un vrai gain pour les contribuables, en particulier pour ceux qui voient leur revenu baisser. Elle ne remettra en cause ni la progressivité, ni la conjugalisation, ni la familialisation de l'impôt sur le revenu. Comme nous l'avons annoncé, elle sera effective à compter du 1er janvier 2018. Cela paraît éloigné, mais étant donnée l'ampleur du chantier, le calendrier est très serré. Nous nous engageons à donner un an à l'ensemble des acteurs pour s'adapter aux nouvelles démarches et obligations, qui doivent encore être précisées, car il ne faut prendre personne par surprise. C'est pourquoi nous présenterons au Parlement avant le 1er octobre 2016 les modalités de mise en oeuvre de cette réforme, ce qui permettra d'avoir un large débat public tout au long de l'année 2016. Une première étape est amorcée dès aujourd'hui avec la généralisation progressive de la télédéclaration et du télépaiement.

Notre politique budgétaire est à la fois stable et réactive. Elle est stable parce que les engagements de baisse du déficit et de baisse des impôts sont tenus. Elle est réactive parce nous pouvons mobiliser rapidement nos ressources pour faire face à l'urgence. Et ces deux qualités, elle les doit aux économies que ce budget vous propose.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je vous remercie de cette présentation, dès après le conseil des ministres. Je commencerai par un motif de satisfaction...

M. Richard Yung. - Ho !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - ... ce qui est assez rare. Notre commission a parfois le tort - ou le mérite - d'avoir raison trop tôt. L'an passé, nous avions voté à la quasi-unanimité l'amortissement exceptionnel des PME. On nous avait dit à l'époque que cette mesure ne pouvait être financée ; nous l'avons toutefois retrouvée dans la loi dite « Macron ». Le groupe de travail sur la fiscalité du numérique, et avant lui Philippe Dallier et moi lors de précédents travaux, n'a eu de cesse de répéter qu'il fallait abaisser le seuil de la déclaration à la TVA sur les achats Internet de 100 000 euros à 35 000 euros, voici la mesure intégrée dans le projet de loi de finances... d'où notre satisfaction.

Comme les ministres, nous estimons que ce projet de loi de finances offre peu de surprises. L'an passé, le projet de loi de finances comportait peu de mesures fiscales, ce qui ne fut pas le cas du projet de loi de finances rectificative avec diverses majorations et créations de taxes (taxe d'habitation, taxe sur les terrains constructibles, taxe sur le risque systémique non déductible, non déductibilité des provisions des entreprises d'assurance, taxe sur les surface commerciales, taxe sur les parkings, taxe spéciale d'équipement en Île-de-France, etc.) pour un total de prélèvements supplémentaires de 1,2 milliard d'euros. Vous engagez-vous à ne pas créer de taxes nouvelles lors de la présentation de cette « voiture-balai » que constitue le projet de loi de finances rectificative ?

Certes, l'impôt sur le revenu diminuera l'an prochain. Cependant en 2011, son produit se montait à 51 milliards d'euros. En 2012, il atteignait 59 milliards d'euros. Il s'élève aujourd'hui à 72 milliards d'euros. La hausse a été tellement élevée que l'on pouvait s'attendre à la modération actuelle. Vous allez renforcer la concentration de l'impôt sur le revenu, puisque le nombre de foyers payant l'impôt sur le revenu va baisser. Il faut s'interroger sur le caractère même de l'impôt sur le revenu, dont le produit est de plus en plus concentré. Une étude d'impact a-t-elle été menée quant à l'effet de la baisse annoncée  sur la concentration de l'impôt ?

Vous avez annoncé un total de 5,1 milliards d'euros d'économies dans le périmètre de l'État, mais nous avons du mal à distinguer ce qui relève d'économies de pure constatation, comme la charge de la dette et les prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne, des économies dues à des réformes structurelles. Pouvez-vous nous éclairer ? J'entends parler de réformes structurelles qui se monteraient à 2,7 milliards d'euros. Je reste un peu sur ma faim à la lecture des documents budgétaires : pourriez-vous préciser le détail de la répartition de ces économies ?

D'après le projet de loi de finances, plus de 8 000 postes seront créés l'année prochaine. Certaines de ces créations ne sont guère contestées sur les rangs de cette assemblée, notamment celles réalisées au profit du ministère de la défense. Cette hausse constitue d'ailleurs une nouveauté : jusqu'à présent, les effectifs de la défense étaient une sorte de variable d'ajustement pour financer des créations de postes, notamment au profit de l'éducation nationale. Sommes-nous toujours dans l'objectif de stabiliser les effectifs de l'État et des opérateurs sur la période 2012-2017 ? Si c'est le cas, combien faudra-t-il supprimer d'emplois en 2017 ?

Un certain nombre de contentieux fiscaux sont en cours, ainsi de ceux concernant des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) ou la contribution sociale généralisée (CSG) des non-résidents. Disposez-vous d'une estimation des coûts des principaux contentieux fiscaux de masse ? À combien s'élèvent les provisions constituées dans ce cadre ?

Mes collègues parleront certainement de la réforme majeure de la DGF. Au Comité des finances locales (CFL), Marylise Lebranchu nous a indiqué le nombre exact de collectivités perdantes et gagnantes, à l'unité près. Pourquoi ne disposons-nous pas de ces simulations ? Enfin, envisagez-vous d'accompagner les baisses des dotations par une simplification des normes qui pèsent sur les collectivités territoriales ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Une question fiscale sera traitée lors du projet de loi de finances rectificative, celle de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui se monte à 5 milliards d'euros mais qui n'est pas conforme au droit européen. Nous devrons prendre des décisions, mais si nous touchons à la CSPE, il nous faudra également regarder la contribution climat-énergie (CCE), dont l'évolution devra être fixée pour 2016. Enfin, certains poseront certainement des questions sur la fiscalité pesant sur les carburants. Nous travaillons sur la CSPE afin de ne pas perdre de recettes ; peut-être faudra-t-il envisager sa répartition sur d'autres sources d'énergie que l'électricité. Nous vous ferons des propositions lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative. En revanche, il n'y aura pas d'alourdissement de la fiscalité.

La rapporteure générale du budget de l'Assemblée nationale, Valérie Rabault, nous demande tous les jours de lui fournir de multiples données et nous les lui transmettons lorsque nous en disposons. Nous ferons de même pour vous.

Vous m'interrogez sur les 5,1 milliards d'euros d'économies : nous ferons 800 millions d'euros d'économies sur la masse salariale, du fait du gel du point d'indice mais aussi de la réduction drastique des mesures catégorielles ; 2,7 milliards d'euros d'économies sur les aides au logement, l'aide juridictionnelle, l'unification des règles de revalorisation. Nous réaliserons également 600 millions d'euros d'économies sur le fonctionnement (gestion des achats et du patrimoine) et 1 milliard d'euros sur les opérateurs.

Le nombre de postes dans l'armée n'a jamais été la variable d'ajustement : la loi de programmation militaire (LPM) fixait une trajectoire à la baisse de 7 500 personnels par an. Nous sommes passés à une hausse : en 2017, 7 500 postes seront créés. Si l'on prend en compte la LPM, la création nette d'emplois s'élève à 8 202 ETP ; sans la LPM, le solde est négatif de - 1 795 ETP. Au ministère de l'économie, il y aura ainsi une diminution de 2 594 ETP.

Oui, les contentieux fiscaux ont été pris en compte à hauteur de 1,75 milliard d'euros pour les OPCVM, 400 millions d'euros pour l'affaire « De Ruyter » et 400 millions d'euros sur le précompte mobilier.

Il existe des simulations pour les collectivités locales qui ne sont pas secrètes : vous pouvez à tout moment venir consulter celles qui sont disponibles. Le 16 juillet, le Comité des finances locales a d'ailleurs reçu une présentation sur laquelle figuraient 43 simulations pour les villes et une trentaine pour les communautés de communes. Elles montrent que les dotations nettes de huit villes étaient positives, et il ne s'agissait pas toutes de communes rurales, puisqu'y figuraient Orléans et Denain. Pourquoi ne distribuons-nous pas de simulations plus nombreuses ? Parce que nous n'avons pas encore calculé les dotations des métropoles de Paris et d'Aix-Marseille-Provence, qui auront forcément une influence sur les autres. Nous ne voudrions pas donner des documents qui seront corrigés dans quelques semaines. Nous avons indiqué hier avec Marylise Lebranchu que chacun pourra venir consulter les documents disponibles, sans prendre de notes ou de photos.

Nous avons le temps d'y travailler. Le Gouvernement comprend que des critères puissent poser question. Certains ont évoqué la densité : est-ce un vrai critère de ruralité ? D'autres, l'effort fiscal et son mode de calcul. Si vous voulez participer à ce travail, nous sommes disposés à vous accueillir.

M. Francis Delattre. - C'est le « grand bleu » ! Bravo pour ce bel exercice de communication, mais ce qui est annoncé est-il vraiment exceptionnel ? Compte tenu de l'environnement favorable (argent bon marché, coût de l'énergie en baisse, faiblesse du taux de change de l'euro), et du fait que la BCE, présidée par Mario Draghi, rachète tous les mois 60 milliards d'euros d'actifs, il est encore heureux de prévoir 1 % de croissance !

Première contradiction : à mon arrivée au Sénat, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault estimait que la justice, c'était la progressivité, partant l'impôt sur le revenu ; l'injustice, pour lui, c'était la TVA. Aujourd'hui, vous présentez exactement le contraire : vous diminuez l'impôt sur le revenu et vous avez augmenté la TVA. À quoi ce changement de doctrine est-il dû ?

En outre, avec les niveaux de déficit actuels, la dette continue à augmenter significativement. Certes, l'argent n'est pas cher, mais pour vous, quel est la barre d'endettement que notre pays ne doit pas franchir ? Je vais être un peu désagréable...

Mme Michèle André, présidente. - Ne vous croyez pas obligé !

M. Francis Delattre. - J'ai entendu il y a quelques jours que nous avions 20 000 chômeurs supplémentaires : quel en sera le coût, en sus des cinq millions existants ? Quel sera l'impact sur l'économie du pays ?

Les produits fiscaux seraient satisfaisants ; l'impôt sur les sociétés atteint-il le niveau où vous l'aviez inscrit dans les budgets précédents ?

Vous nous avez « tendu la perche », en disant que le budget social devait être examiné avec autant de soin que celui de l'État. Vous avez une ingénierie très habile pour équilibrer certains dispositifs : vous parlez de quelques milliards d'euros, mais vous faites « sauter » le plafond de 10 milliards d'euros de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), en l'élevant à 23,6 milliards d'euros, soit un accroissement de 13,6 milliards d'euros dès 2016. N'étiez-vous donc pas au courant, monsieur le ministre ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je n'ai jamais dit ne pas être courant !

M. Francis Delattre. - N'avez-vous pas l'intention de faire sauter ce seuil de 10 milliards ? Le déficit de l'Acoss sera-t-il pris en charge par la Cades ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Je regrette de vous interrompre mais vous m'avez prêté une attitude qui n'était pas la mienne.

M. Vincent Delahaye. - Vous attendez 72,3 milliards d'euros de recettes contre 68,9 milliards d'euros l'année dernière sur l'impôt sur le revenu. Le rapporteur général indiquait que depuis 2011 on était passé de 51 à 72 milliards d'euros, qui pèsent sur 46 % de Français. De nombreux Français verront leur impôt sur le revenu s'alourdir. Quelle va être leur charge supplémentaire si les recettes sont censées croître ?

J'aimerais disposer de davantage de détails sur les économies prévues en 2016 et celles réalisées en 2015. Vous compariez les engagements de cette année à la loi de programmation et au programme de stabilité du printemps dernier. Tenir ses engagements depuis cinq mois n'est pas exceptionnel ! Je suis surpris de voir que les crédits ministériels ont augmenté de 203 milliards à 212 milliards d'euros, tandis que les dépenses de l'État ont crû de 372 à 383 milliards d'euros, soit plus de 10 milliards d'euros. Tout augmente, sauf les transferts aux collectivités locales qui baissent de 3,5 milliards d'euros. Vous voyez d'où vient la baisse du déficit de 2 milliards d'euros ! Les allègements fiscaux sont payés par les collectivités locales : ce n'est pas juste. L'augmentation des impôts pèsera sur les élus locaux.

Dans quelle mesure le budget prend-il en compte l'impact des nouvelles mesures annoncées en faveur des fonctionnaires ? Quel est leur coût ? Il se rajoutera aux 3,5 milliards d'euros ponctionnés... J'aimerais enfin disposer d'éléments détaillés sur les contentieux en cours et les choix budgétaires faits pour les prendre en compte.

M. François Marc. - Nous sommes satisfaits des engagements tenus du Gouvernement sur le déficit de 2014, de l'amélioration de la situation budgétaire en 2015 et des perspectives très encourageantes pour 2016. Merci d'avoir tenu compte des observations du Sénat sur la réduction des charges sur les coûts de production des entreprises ; la diminution de la C3S et d'autres charges pour les entreprises va dans le bon sens. Nous la réclamions depuis quelque temps, vous avez raison d'accélérer, de même que pour les baisses d'impôt pour les ménages.

Deux éléments nouveaux et positifs apparaissent sur les réformes structurelles et sur la réforme de la DGF - demandée par notre commission depuis plusieurs années : trop d'injustices dans le financement des collectivités sont constatées.

Le déficit public comprend une composante structurelle et une composante conjoncturelle. Les courbes qui nous sont présentées révèlent une trajectoire de - 1,7 % pour 2015, de - 1,2 % pour 2016 et on tend vers un déficit structurel « zéro » pour 2017. Sur la partie conjoncturelle, il y a un peu moins de vingt ans, l'Assemblée nationale avait été dissoute parce que le Gouvernement ne se sentait pas en mesure d'équilibrer le budget et qu'il fallait repartir sur d'autres bases. Le gouvernement dirigé par Lionel Jospin avait alors connu un déficit conjoncturel très nettement amélioré. Disposez-vous d'éléments pouvant attester d'une résorption plus rapide que prévu du déficit conjoncturel ?

M. Philippe Dallier. - La réforme des aides personnalisées au logement (APL) a été annoncée comme devant produire des effets très importants en matière budgétaire. On prévoit 200 millions d'euros pour 2016. On va dans la bonne direction, même si on n'a pas voulu toucher aux APL étudiantes, trop sensibles, et qu'on aurait pu aller plus loin dans le plafonnement des APL : au-delà de deux fois le plafond de loyer, cela ne concernera plus grand monde. L'important est de savoir si les chiffres annoncés se rapprocheront de la réalité. En 2013, en 2014 et probablement en 2015, ce qui avait été inscrit en loi de finances était insincère puisqu'à la fin de l'année dernière, on comptait 170 millions d'euros de dette envers le Fonds national d'aide au logement (FNAL). Vos services nous ont annoncé avant l'été qu'on atteindrait 350 millions d'euros avant la fin de l'année. Sur la mission budgétaire, on passerait à périmètre constant de 17,9 milliards à 17,7 milliards d'euros, soit 200 millions d'euros d'économie - c'est-à-dire ce que vous nous donnez, grosso modo, pour la réforme des APL. Comment résorber les 350 millions d'euros de dette envers le FNAL ? Il faudrait repartir du bon pied avec un rebasage : je doute que vos chiffres le permettent.

Je regrette que vous ayez le même discours sur les collectivités locales qu'en 2014, lorsque la diminution des dotations avait été annoncée. Vous prétendiez que cela n'aurait pas d'impact sur l'investissement des collectivités, que celui-ci serait soutenable, que les collectivités n'avaient qu'à limiter leurs dépenses à l'inflation, et cela irait. Toutes les études montrent que la chute de l'investissement, déjà importante l'année dernière, va s'accélérer : on parle d'une réduction de 30 % de l'investissement, ce qui est colossal. Le fonds d'un milliard d'euros annoncé est un élément positif ; je crains pourtant que même avec 30 % de subvention, les collectivités soient incapables de trouver les 70 % restants. Seules les plus aisées pourraient disposer de ce fonds. Ce n'est pas une très bonne solution.

Nous souhaitions presque tous réformer la DGF. Mais pourquoi ne pas réformer, en parallèle, les dotations de péréquation ? De l'avis de tous, le système était incompréhensible avec des effets contradictoires comme contribuer au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), être éligible à la dotation de solidarité urbaine (DSU), neutre au fonds de solidarité de la région Ile-de-France... Or vous ne touchez qu'à la DGF ! J'attends les simulations avec impatience. La réforme améliorera-t-elle les choses si on prend en compte l'ensemble des dispositifs ? J'en doute...

M. Michel Bouvard. - Pourriez-vous nous donner des informations sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Immobilier de l'État » au titre des recettes attendues en 2016 ? Quelle est la nature de la contribution sur les oeuvres universitaires et scolaires de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » ? Un prélèvement sur le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) est-il prévu, et si oui, de quel ordre ?

Attendons la proposition détaillée sur la DGF. Je m'inquiète particulièrement que vous n'évoquiez jamais la situation des communes touristiques. Si l'unique critère est la population, vous coupez leurs capacités d'investissement alors que le ministre des affaires étrangères vient de fixer un objectif de 100 millions de touristes en France, ce qui nécessite d'être compétitif.

Pouvez-vous nous expliquer la répartition de la CVAE entre les départements et les régions ? Plus de la moitié du produit de la CVAE est prise aux départements au prétexte des nouvelles compétences régionales. Mais cela n'est pas justifié dans de nombreux départements. On retirerait 30 millions d'euros au mien alors que seuls les transports scolaires et les aides aux entreprises seront transférés à la région, ce qui est loin du compte. Le reste sera prélevé sur les engagements que nous avons pris dans la durée ; comment pourrons-nous entretenir les routes ou signer les volets départementaux des contrats de plan État-région (CPER) ? La loi NOTRe prévoit une compensation des transferts à l'euro près : même si cela ne devrait intervenir qu'en 2017 et que nous aurons donc le temps d'en discuter, il me semblerait utile de disposer de davantage d'éléments et de savoir comment les choses vont se passer.

M. Philippe Adnot. - Je complète les propos de Michel Bouvard. Même s'il y a compensation à l'euro près, la CVAE est une recette plus dynamique que les dépenses des transports scolaires, ce qui nous aidait à financer les dépenses sociales. Vous nous donnerez au mieux des dotations fixes alors que la région s'enrichira, sans cause. Les départements seront incapables de régler la dépense sociale. Il faudra donc trouver des solutions.

Tout en élargissant le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), vous souhaitez interdire la récupération sur les investissements pour la montée en haut débit, alors que tout le monde veut s'équiper en numérique. Dans les villes, cela se fait gratuitement, sans participation financière du milieu urbain, tandis que les départements sont obligés de le réaliser pour la partie rurale sans pouvoir récupérer la TVA. Comment y remédier ? Cela risque d'arrêter les équipements de la montée en débit.

Pourquoi le fonds pour investissement pour les collectivités locales d'un milliard d'euros toucherait les communes et les intercommunalités et non pas les départements ? Leurs bâtiments seraient-ils frappés d'une quelconque fatwa ?

M. Michel Sapin, ministre. - Je suis satisfait que vos préoccupations des années précédentes - la remise en cause des bases de construction du projet de loi de finances - ne soient plus de mise. C'est un bon signe pour la démocratie que de discuter des mesures au lieu de la sincérité du budget. Notre budget est sincère, nos documents le montrent. La seule question sur ce sujet serait de savoir si la croissance pourrait être plus élevée qu'envisagé... J'aimerais avoir plus de questions comme celles de François Marc ! Mesdames et messieurs les sénateurs de droite, que feriez-vous si vous aviez plus que ce que vous aviez prévu ?

Pour moi, 1,5 % est une limite basse de la croissance. Il y a de réels aléas, dont certains sont positifs : le prix des matières premières devrait demeurer relativement bas, notamment les prix du pétrole. La politique monétaire de la BCE, que ce soit la valeur de l'euro ou les taux d'intérêts, aura probablement des conséquences bénéfiques pour les entreprises comme pour l'investissement des entreprises. Nous avions une inquiétude, la Grèce. C'est fou comme les sujets passent vite. Il y a trois mois, le monde entier craignait une explosion de la zone euro et ses conséquences. Nous avons pris les mesures qui s'imposaient, le gouvernement grec a aujourd'hui la stabilité nécessaire pour mettre en oeuvre les engagements qui sont les siens et la situation est redevenue calme.

Un aléa nouveau concerne les pays émergents, et notamment la Chine, le Brésil et la Russie, la première touchée par un ralentissement de son PIB, les suivants par des risques de récession qui pourraient avoir des effets mondiaux. Sans être d'un optimisme béat, l'on peut considérer qu'il s'agit davantage d'un rééquilibrage en profondeur de l'économie chinoise - ce qui répond à nos voeux - qui passerait d'un « Made in China » à un « Made for China », ce qui est à moyen terme une bonne chose pour l'équilibre de nos échanges commerciaux : les énormes excédents commerciaux chinois ne peuvent plus durer. Cet aléa apparaît plutôt positif, même si nous devons le regarder avec attention. Le taux de 1 % cette année est un plancher et nous ferons mieux, de même que pour les 1,5 % l'année prochaine. La réduction du déficit fera évoluer la dette dans le bon sens.

Francis Delattre s'interroge sur le niveau maximal d'endettement. Entre 2007 et 2012, la dette a explosé, elle a ensuite été confortée puis stabilisée : elle était de 95,6 % du PIB en 2014, elle sera de 96,3 % en 2015 ; 96,5 % en 2016 et en 2017. L'objectif n'est pas d'éviter le chiffre symbolique de 100 %, mais d'inverser les choses. Les marchés nous font confiance et nous prêtent de l'argent à faible taux. Dans la zone euro, en cas d'inquiétude, les investisseurs viennent vers l'Allemagne et la France, une confiance qui se mérite. C'est pourquoi nous prônons la maîtrise du déficit.

Reprenez la courbe de la dépense publique sur les dix dernières années. Dans la première période, les dépenses publiques s'accroissaient de 3,2 % par an ; le rythme n'atteint plus que 1 % par an actuellement. La différence entre les deux tient à un effort sans précédent de maîtrise de la dépense publique. Pour l'année prochaine, nous vous proposons un déficit de 3,3 % ; nous réduisons les impôts des entreprises et des ménages, sans créer d'impôt nouveau, et fixons des priorités - dont la sécurité extérieure et intérieure, ce qui fait consensus. Comment faisons-nous ? Uniquement par la maîtrise des dépenses. Nos propositions ont été respectées en 2014 et sont en passe de l'être en 2015. En 2016, ce sera la même chose. Les dépenses publiques nouvelles - et il y en aura au cours de la discussion budgétaire (des dépenses sur les HLM, les réfugiés, les universités, l'aide au développement ont déjà été annoncées) - seront toutes compensées par de nouvelles économies, seules variables d'ajustement.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Le prix de l'argent n'est pas complètement lié au hasard comme Francis Delattre semble le penser : même si les taux d'intérêts sont favorables, un banquier ne prête pas à un mauvais créancier, sinon à un taux proche de l'usure. C'est donc une question de confiance. Pour la fin de l'année 2015, nous avions prévu un taux d'intérêt de 1,4 %, et de 2,4 % pour 2016. Actuellement, le taux d'intérêt demeure inférieur à 1 %. Au coeur de la crise grecque, il dépassait à peine 1,2 %. On peut toujours jouer à se faire peur, mais nos prévisions sont jugées prudentes.

Il manquera au maximum 300 millions d'euros de recettes pour l'impôt sur les sociétés, car le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) coûte plus cher que prévu : il « marche » bien. Mais le cinquième acompte, qui anticipe sur les résultats de l'année suivante, est payé à la fin de l'année, et l'an dernier, une entreprise nous a versé un cinquième acompte de 700 millions d'euros que nous n'avions pas prévu ! Cela peut arriver dans les deux sens, mais nous sommes dans l'épure.

Je ne sais pas ce que vous voulez dire sur la Cades : depuis la loi de 2011, votée sous votre majorité, est prévu le transfert d'une somme plafonnée de l'Acoss sur la Cades, sans que les choses soient précisées. Nous transférons 23,6 milliards d'euros, solde de ce que nous pouvons transférer de l'Acoss à la Cades. En quoi serait-ce une opération de Gribouille par rapport à l'Europe ou à vous-même ?

M. Francis Delattre. - C'est une opération d'emprunt !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - L'Acoss emprunte, de même que la Cades, et dans des conditions proches. Nous anticipons cette consolidation et la durée d'amortissement de la Cades est raccourcie d'un an, en raison de meilleures conditions d'emprunt. Ce transfert ne crée aucune dette supplémentaire : la dette publique est de la dette publique, qu'elle soit à l'Acoss ou à la Cades.

Vincent Delahaye, vous nous interrogez sur le devenir de l'impôt sur le revenu (IR). La prime pour l'emploi (PPE) réduisait l'impôt ; la suppression de la PPE et la création de la prime d'activité augmentent l'IR de 2 milliards d'euros. La progression inattendue de 0,7 % de la masse salariale au premier trimestre a un effet sur l'impôt sur le revenu.

Vous avez raison, 9,7 milliards d'euros sont des mesures de périmètre : 4,7 milliards d'euros pour le Pacte de responsabilité transférant des crédits de l'État à la sécurité sociale, PPE devenue prime d'activité et abondant les Caisses d'allocations familiales...  En outre, 1,6 milliard d'euros de crédits de la défense ont été rebudgétés pour pallier la suppression du compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien » ; avec 2,1 milliards d'euros d'économies sur le budget de l'État au sens large, on atteint 9,7 milliards d'euros de mesures de périmètre qui donnent in fine 7,2 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. Vous pouvez voir l'impact des mesures précédentes dans le tableau détaillé pour 2015, 2016 et 2017.

J'ai évoqué trois contentieux. Vous seriez cruellement surpris du coût des contentieux communautaires lorsque vous connaitrez leur point de départ - notamment pour les OPCVM et le précompte mobilier.

M. Vincent Delahaye. - Et sur les fonctionnaires ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Les mesures pour les fonctionnaires ont été intégrées dans ce budget en appliquant la réforme, malgré l'absence d'accord syndical. Je vous en donnerai le détail.

M. Michel Sapin, ministre. - C'est peu en 2016.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Philippe Dallier, la situation des APL et du FNAL dépendra beaucoup de la fin de gestion. Je ne peux répondre de façon complète à ce stade.

On entend beaucoup de chiffres - 30 %, 11 %, 14 %, etc. - sur la chute des investissements dans les collectivités locales. Elle est d'abord due au cycle électoral, avec le dernier renouvellement. Les investissements sont moindres en début de cycle, et la baisse est un peu plus marquée cette fois-ci. Nous disposerons d'un chiffrage précis en fin d'année. De plus, les collectivités ont parfois eu des incertitudes sur l'adoption assez lente de la loi NOTRe ou l'élaboration des cartes de coopération intercommunale - si les principes sont établis, les préfets commencent juste à réunir les commissions départementales, pour voir qui se marie avec qui. Cela peut laisser certains élus dans une phase interrogative peu propice à un investissement. Enfin, et c'est la seule et unique cause selon certains, la diminution des dotations de l'État. Selon l'Observatoire des finances locales, dont le président, je crois, est l'un de mes amis, André Laignel, les dotations aux collectivités locales représentent en moyenne 17 % de leurs recettes ; 62 % des autres recettes sont constituées de recettes fiscales, dynamiques, en raison de plusieurs facteurs : les bases sont révisées forfaitairement par le Parlement chaque année, les assiettes s'élargissent compte tenu du développement de certaines communes, et les élus peuvent augmenter leur taux d'imposition. Les recettes fiscales des collectivités locales ont crû de 2,5 % en 2012, 2,1 % en 2013 et 2,4 % en 2014. Si l'on fait la somme de la baisse des dotations et de la hausse des recettes fiscales, les recettes globales des collectivités locales ont en moyenne augmenté de 1,9 % en 2013, alors que les dotations étaient déjà gelées, et de 0,4 % en 2014, alors que les dotations étaient réduites de 1,5 milliard d'euros. Les chiffres partiels qui nous remontent sont de même nature : les recettes globales de fonctionnement sont plutôt stables, voire en augmentation. Nous y reviendrons lors de l'examen des comptes définitifs des collectivités territoriales. Nous avons pris des mesures : oui, les départements bénéficient des mêmes mesures du FCTVA pour l'entretien des bâtiments ; non, il n'y a pas eu de changement de règles récent sur la TVA sur le haut débit. Si la valeur du patrimoine augmente, la prise en compte au titre du FCTVA n'est plus un sujet ; s'il y a des opérations avec des opérateurs privés ou des délégations de service public, il peut y en avoir un.

Les dépenses sociales des départements augmentent de façon souvent difficile à supporter. Le Premier ministre réunit tous les quinze jours un groupe de travail sur le sujet, et il s'exprimera sur une éventuelle recentralisation de l'allocation individuelle de solidarité ou d'autres points.

Nous avons prévu de supprimer la dotation nationale de péréquation pour l'intégrer dans la DGF, et avons revu la question de la DSU et de la DSR en évitant l'effet de seuil entre la DSU et la DSU cible. Nous avons réglé le cas des communes pauvres dans les intercommunalités riches, et donc cette question du prélèvement du FPIC - il est prévu une même marche que l'année dernière. La loi que vous avez instiguée, Michel Bouvard....

M. Michel Bouvard. - La DGF ne diminuait pas.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - ... était un bon passage. Si nous ne touchons pas à la loi, le FPIC devrait passer à 1,15 milliard d'euros, soit 2 % des recettes fiscales des collectivités territoriales. Nous prévoyons de le laisser à 1 milliard d'euros. Les avis sont partagés, certains voudraient augmenter le FPIC, d'autres non - on voit de qui il s'agit... Nous choisissons l'option médiane.

M. Michel Bouvard. - Où en est le rapport de soutenabilité du FPIC ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Il sera produit prochainement, il est dans les radars, n'ayez pas peur. La DGF par habitant réserve quelques surprises ; voyez l'infographie du Monde, regardez Megève, Paris, Guéret, c'est très instructif ! Cela donne un peu plus d'humilité.

L'annonce sur la CVAE, qui sera respectée dans son principe, nécessite des ajustements sur ce qui disparaîtra et ce qui sera transféré avec les compétences évoquées. Vous aurez toute précision dans un dispositif permettant une compensation à l'euro près. Les taux ne se déclineront pas collectivité par collectivité mais nationalement. Votre question est légitime, le dispositif rassurera tout le monde, et vous pourrez si besoin l'amender.

- Présidence de M. Charles Guené, vice-président -

M. Serge Dassault. - Comment financerez-vous les suppressions d'impôts prévues pour les revenus faibles - soit quelques milliards d'euros de perte de recettes - et les emplois d'avenir qui coûteront au moins 10 milliards d'euros ?

Selon vous, il est légitime que l'impôt augmente pour ceux qui gagnent plus. Peut-être, mais ce n'est pas efficace ni favorable à la croissance, car les plus riches, qui créent des emplois ou investissent, partent en Grande-Bretagne ou à Bruxelles. Justice et économie ne vont pas forcément de pair. Vous oubliez que pour accroître les recettes fiscales, augmenter les impôts des plus riches ne sert à rien : il faut augmenter les impôts de tous à un faible niveau, c'est-à-dire avoir une flat tax. Le meilleur exemple est la CSG qui rapporte 82 milliards d'euros à un taux unique de 7,5 %, alors que l'impôt sur le revenu, payé par 20 % des plus fortunés, produit 69 milliards d'euros en 2015. Une flat tax n'est peut-être pas légitime mais efficace, car au lieu de 69 milliards d'euros vous pourriez avoir au moins 100 milliards d'euros, ce qui serait significatif pour l'équilibre budgétaire.

Vous annoncez une augmentation de dépenses pour les migrants, vous augmentez l'aide médicale d'État (AME) et le RSA. Qui paiera tout cela, les départements ? En faillite à cause de la réduction des subventions de l'État, ils finiront en cessation de paiement.

Vous ferez, selon vous, des économies réelles de 5 milliards d'euros... en vous payant sur le dos des contribuables locaux. Où sont les 17 milliards d'euros que l'on doit aux Grecs ? Quand  les paierons-nous ? Comment financerez-vous cette prime d'activité nouvelle ? La PPE ne sert à rien, chacun le sait. Vous l'intégrez pourtant tout en augmentant le RSA. Ce n'est pas normal. Enfin, pourrions-nous avoir une copie de tous les tableaux présentés ?

Mme Fabienne Keller. - Si j'ai bien compris le tableau du document de synthèse, l'impôt sur le revenu est toujours en augmentation de 2,7 milliards d'euros. Comme vous le baissez de 2 milliards d'euros pour huit millions de personnes, il augmentera en moyenne de 7 à 8 % pour les autres. Ce que vous avez dit sur la prime pour l'emploi n'explique qu'une petite partie du chemin, et l'augmentation de revenu de 0,7 % ne représente qu'un dixième de l'augmentation de l'impôt sur le revenu. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cela ?

Je regrette l'absence totale d'atténuation de la baisse des dotations des collectivités : 3,6 milliards d'euros comme prévu depuis deux ans. Malgré la baisse des investissements constatés, vous y trouvez d'autres explications. Nous le voyons sur le terrain, au-delà des effets cycliques, il n'y a plus de projets d'investissement pour maintenant ni pour plus tard. Attention à l'effet boomerang ! Cette diminution de l'investissement se traduira, pour l'État, par un moindre produit de l'impôt sur les sociétés, moins de cotisations sociales et de TVA. Cette baisse, d'environ 50 % de celle des aides à l'investissement, affectera durablement plusieurs comptes de l'État.

Vous ne respectez pas tout à fait vos engagements de réduction des cotisations sociales pour les entreprises : les chefs d'entreprise se sont émus du report au 1er avril de certaines exonérations. Ces bricolages de dates, très commodes pour le budget - de l'ordre de 900 millions d'euros sont ainsi « économisés » - sont déstabilisants pour les entreprises. Ainsi une étude montre que les installations de l'autre côté de notre frontière avec le Luxembourg sont motivées pour moitié par le niveau de l'impôt en France, pour moitié par son instabilité. En procédant ainsi, vous faites exploser le tableau de prévision des entreprises et vous favorisez les effets d'aubaine, au lieu de dispositifs structurants et encourageant l'investissement.

M. Jean-Claude Boulard. - J'ai un sentiment mitigé sur la notion de compensation de l'augmentation du seuil du versement transport : je préfèrerais le mot remboursement. Toucher au versement transport à la veille de la COP 21 est paradoxal ; en 2008, lors du Grenelle de l'environnement, j'avais fait reculer la majorité de l'époque sur ce sujet.

Seul l'avenir tranchera sur les diminutions d'investissement. Il y a un an, on nous disait que c'était la conjoncture électorale. Cela va au-delà du cycle électoral : de 6 %, on est passé à 14 %, soit un doublement. Quelques-uns d'entre nous cumulent encore un mandat exécutif - il n'y aura bientôt plus de témoins ! Nous prévoyons tous une diminution des investissements en 2016 parce que la marge d'autofinancement s'est dégradée et que nous sommes condamnés à équilibrer notre budget.

On nous a dit que la réduction des dotations finance le Pacte de responsabilité - je cite la déclaration des ministres du 14 avril 2014. Le transfert des collectivités locales vers un allègement de charges sociales a-t-il réellement un impact sur l'emploi ? Le CICE et le Pacte de responsabilité n'ont pas eu de grands effets. Jusqu'à aujourd'hui, un euro resté dans les collectivités locales sert mieux l'emploi qu'un euro prélevé pour financer l'allègement de cotisations sociales.

Hier, au Comité des finances locales, nous avons demandé de tenir compte, dans la réforme de la DGF, du ratio de fiscalité locale - la somme des impôts locaux sur le revenu moyen. Dans certains territoires, ce ratio atteint 6 %, dans d'autres 3 %. Il faudra tenir compte de cette diversité dans la réforme, notamment pour les territoires n'ayant pas consenti un minimum d'effort fiscal. Ce sujet fait l'unanimité. Les tableaux département par département sont très éclairants pour le débat sur l'évolution des dotations.

M. Marc Laménie. - Pourriez-vous évoquer la lutte des services contre la fraude ? La dématérialisation n'est pas toujours chose aisée, et je regrette la restructuration de petites trésoreries. Restructurer et mutualiser, certes. Il n'en reste pas moins que des communes de moins de 200 habitants ont peu de personnel. Tout est lié aux dessertes de haut débit. Certaines communes ont du mal à se connecter. Or le directeur des finances publiques des Ardennes a annoncé récemment qu'il n'y aurait plus de papier, même pour les factures. La dématérialisation totale est-elle vraiment une source de modernisation viable pour les toutes petites communes ?

M. Éric Doligé. - Merci, messieurs les ministres, de votre optimisme communicatif. J'espère que vous resterez longtemps à ce poste pour gérer le budget de la France car nous avons constaté combien la situation qui s'était dégradée de 2007 à 2012, sans aucune raison bien sûr, s'est considérablement améliorée depuis 2012-2013... Bravo !

Vous parliez de 40 000 euros pour la dématérialisation, les médias disaient 50 000 euros, pourriez-vous confirmer le chiffre ?

La CVAE concerne principalement le transport scolaire. La loi a transféré les transports scolaires aux régions. Or les départements n'avaient qu'obligation d'organiser des transports scolaires et non de financer le transport des élèves. Ainsi, les régions pouvaient financer la part des lycéens, comme le faisait la région Nord-Pas-de-Calais. Le financement du transport n'est qu'une obligation facultative. Rien n'oblige à transférer les dépenses des départements pour les transports scolaires. Nous assisterons à une bataille. La règle des 50 % est un peu surprenante.

Vous assurez que le cycle électoral explique la diminution des investissements, tout en reconnaissant qu'elle est, cette fois-ci, plus importante que les fois précédentes. Si le cycle électoral a fait changer la majorité dans la région Nord-Pas-de-Calais, celle-ci n'investira plus 700 millions d'euros par an mais plutôt 100 millions d'euros, parce qu'il ne payait que onze mois de RSA sur douze, la Caisse d'allocations familiales (CAF) consentant des avances pour qu'il boucle son budget. Vous aurez, je pense, des surprises assez sévères sur l'investissement. Pensez-vous qu'il existe une corrélation entre les augmentations d'impôt qui se préparent dans les collectivités et les baisses de dotation ? Les réductions d'impôt vont-elles compenser les baisses d'investissement ?

Mme Marie-France Beaufils. - Je partage largement les propos de Jean-Claude Boulard. Lorsque vous avez décidé de réduire les dotations aux collectivités et annoncé un plan d'ensemble de 50 milliards d'euros, on a parlé des obligations européennes et, bien que vous prétendiez qu'elles ne fondent pas la construction du budget et que celui-ci répond à un équilibre français, elles sont à la base de vos orientations.

J'aimerais qu'on soit plus rigoureux sur l'analyse du CICE. Hormis des engagements oraux, rien ne nous prouve, sur le terrain, que cette mesure crée des emplois. Le nombre de chômeurs augmente, et le CICE n'a apporté aucune amélioration. Il a peut-être servi pour certaines trésoreries, et j'ai quelques exemples... Ce choix contreproductif ne favorise pas le redressement des finances publiques. En revanche, les réductions des dotations ont un impact très lourd sur l'activité économique et sur l'emploi.

Nous avons besoin de réformer la DGF, de manière à apporter à chacun un minimum vital. J'ai défendu ce point avec Jean Germain lorsque nous avons été élus au Sénat. La loi de finances initiale ne donne pas les moyens de revisiter les outils de péréquation et le FPIC. Il faudrait fondre la DGF et le FPIC, afin d'apporter une réponse de solidarité pertinente sur tout le territoire. Je regrette votre choix d'accélérer la réforme.

Sur le fonds d'aide à la pierre, vous envisagez une ponction de 150 millions d'euros sur les bailleurs sociaux, une association des collectivités et des bailleurs sociaux, et un abondement par l'État, que je n'ai pas retrouvé. Les ressources des bailleurs sociaux viennent pour l'essentiel des loyers. Ils ont du mal à apporter leur soutien par l'intervention de personnel de proximité dans les zones urbaines sensibles (ZUS), alors que nous sommes impactés par l'allègement du foncier bâti. Plus on ponctionne, moins on a de répondant pour travailler sur les ZUS.

M. Yannick Botrel. - Personnellement, je ne trouve pas anormal que les collectivités locales apportent leur contribution au redressement des finances publiques, mais je constate aussi l'effet contrasté des baisses de dotation. Les conséquences sont limitées pour certaines collectivités par l'augmentation de la DSR, par les effets de la péréquation et une augmentation de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Dans les Côtes-d'Armor, Lannion, qui a une gestion budgétaire exemplaire, subit une réduction de sa DGF de 35 %, passant de 3,35 millions d'euros en 2013 à 2,3 millions d'euros en 2015. Si l'on poursuit ainsi, la DGF ne s'élèverait plus qu'à 1,8 million d'euros l'année prochaine, soit une réduction de 50 % sur les dernières années. De même, la capacité d'autofinancement de Plérin se réduit très substantiellement. Ne faudrait-il pas mener un examen approfondi de ces situations ? Des raisons techniques expliquant ces évolutions nous échappent peut-être, de même que les différences très importantes du montant de la DGF d'une commune à l'autre nous sont parfois obscures.

Comment articulez-vous le fonds d'aide à l'investissement local d'euros avec une DETR qui a été substantiellement augmentée (20 % dans les Côtes- d'Armor) ?

M. André Gattolin. - J'ai cru entendre ce matin que la culture était une nouvelle priorité budgétaire. Je m'en réjouis en tant que co-rapporteur de cette mission ; en tant qu'écologiste, j'aurais néanmoins pensé qu'à la veille de la COP 21, priorité serait donnée à l'écologie. Or son budget baisse pour la quatrième année consécutive et l'on passe d'une réduction de 500 emplois à une réduction de 617 emplois en 2016. Si l'on continuait de la sorte, il n'y aurait plus aucun employé au ministère de l'écologie dans cinquante ans.

Le budget de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) diminue alors qu'elle a publié cette année plusieurs rapports intéressants. Ce matin, le secrétaire d'État assurait dans une dépêche que la fiscalité écologique serait examinée dans le projet de loi de finances rectificative. Il vient pourtant de nous expliquer qu'il rencontrait de gros problèmes avec la CSPE et qu'elle allait subir un coup de frein et non pas recevoir un coup de pouce. Certes, le commissaire à la concurrence, Joaquin Almunia, a considéré en avril 2014 qu'il fallait mettre fin au régime dérogatoire des énergies renouvelables en supprimant les aides d'État. Pour lui, 14 % d'énergies renouvelables en Europe c'était déjà beaucoup... Il faudrait faire savoir à Margrethe Vestager, son successeur, que l'Europe s'est engagée à atteindre un ratio de 27 % d'énergies renouvelables en 2030. Si l'on interdit les aides d'État aux énergies renouvelables, il sera impossible d'atteindre les objectifs politiques que nous nous sommes donnés à l'unanimité. La France a demandé une période d'adaptation jusqu'en 2018 : pourquoi ne pas attendre jusque-là ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Serge Dassault a dit une nouvelle fois que toute augmentation d'impôt était une catastrophe. L'argent pour les Grecs provient du Mécanisme européen de stabilité (MES) auquel la France cotise. Le catastrophisme n'est vraiment pas de mise.

Fabienne Keller s'étonne que l'impôt sur le revenu passe de 69,6 milliards en 2015 à 72,3 milliards d'euros en 2016 soit, d'après elle, une augmentation de 10 % pour les contribuables qui paient l'impôt. J'ai dit tout à l'heure que la suppression de la PPE, qui était une réduction de l'impôt, représentait à 2 milliards d'euros. L'augmentation nette de l'impôt sur le revenu est donc de 700 millions d'euros, sur un total de 70 milliards d'euros, soit 1 %, comme l'inflation prévue.

Nous ne manquerons pas d'occasions de reparler de l'investissement, et des multiples causes de son évolution.

Nous nous étions engagés à réduire les impôts des entreprises à hauteur de 9 milliards d'euros en 2016. Courant 2015, nous avons pris en leur faveur plusieurs mesures qui n'étaient pas prévues, dont le suramortissement des investissements industriels, que votre rapporteur général appelait de ses voeux, et qui a un coût annuel de 500 millions d'euros. De même, nous avons instauré la prime à la première embauche de 4 000 euros. Nous avons également pris des mesures en faveur de l'apprentissage et nous avons aménagé le seuil du versement transport. Le total est évalué à un milliard d'euros et j'ai le sentiment qu'il pourrait être supérieur à ce chiffre. Nous avons estimé que ce milliard d'euros devait être intégré dans les 9 milliards d'euros de réductions d'impôts sur les entreprises. Nous aurions pu le faire à travers une mesure pérenne, par exemple en ne supprimant que la moitié de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, mais nous avons préféré prendre une mesure ponctuelle, « one shot », et décaler d'un trimestre l'entrée en vigueur de ce dispositif. L'effet sera sensible en 2016, mais il disparaîtra en 2017. Nous assumons donc ce décalage d'un trimestre.

Nous avons décidé d'aligner les seuils pour le versement transport. Le dispositif de compensation proposé est à calculé à l'euro près et il sera recalculé tous les ans avant et après les modifications de seuil. Il s'agira donc d'une recette aussi dynamique que le versement transport.

M. Jean-Claude Boulard. - Un remboursement...

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Tout à fait. Marc Laménie m'a interrogé sur les fraudes : une mesure traite des logiciels de caisse frauduleux à la TVA, qui effacent les opérations a posteriori. Nous donnons un délai de deux ans pour que les commerçants aient le temps de se mettre en conformité. Il faut éviter cette fuite importante de TVA dans un certain nombre de commerces.

Nous tenons à la dématérialisation : il est inimaginable que des fonctionnaires dans les trésoreries de province passent leur journée à saisir des données transmises sur des supports papier alors que ces saisies peuvent se faire par télétransmission. Les entreprises et les particuliers économiseront du temps : la télédéclaration fonctionne désormais très bien et n'est en elle-même à l'origine d'aucune réclamation. Le contribuable est guidé, la déclaration est pré-remplie et il dispose d'une simulation immédiate qui lui permet d'adapter immédiatement ses mensualités en cas de mensualisation. Il s'agit d'un réel service. Lorsque j'étais maire, nous accueillions tous les matins des contribuables pour les aider à remplir leur déclaration d'impôt... Nous ne reviendrons pas sur cette mesure.

Éric Doligé m'a interrogé sur la corrélation entre les augmentations d'impôts locaux et les baisses des dotations de l'État. Je suis très dubitatif sur cette question. J'ai eu l'occasion de voir, sur le site de l'Association des maires de France (AMF), un montage vidéo ahurissant expliquant qu'avec la baisse des dotations, on n'aurait plus d'eau dans les douches. Plus d'eau, plus d'écoles, plus de crèches, plus de transports dans les communes... Certains maires anxieux ont pu augmenter les impôts locaux face à ce discours exagéré, mais il faut raison garder.

Marie-France Beaufils m'a demandé si les économies étaient liées à l'Europe. Michel Sapin l'a dit tout à l'heure : notre politique est vertueuse et nos relations avec la Commission européenne sont apaisées, alors qu'il y a un an, les journaux nous annonçaient l'arrivée de la troïka dans notre pays.

Comme toute politique, le CICE mérite bilan. Le comité de suivi et d'évaluation des aides publiques aux entreprises, présidé par Jean Pisani-Ferry, estime qu'il convient d'attendre encore un peu avant d'être en mesure d'effectuer une évaluation complètement aboutie du dispositif.

La réforme de la DGF s'impose, afin que la baisse des dotations soit moins difficile à absorber pour les communes les plus fragiles. Nous avons commis des erreurs dans la répartition puisque le Comité des finances locales (CFL) a décidé d'une répartition automatique proportionnelle qui touche en particulier les communautés de communes. La règle de trois qui a été retenue a le mérite d'être simple mais elle n'est pas adaptée. Dans la mise en place progressive de la DGF, nous avons prévu un cliquet de variabilité à plus ou moins 5 %, ce qui protège certaines collectivités de variations trop brutales.

André Gattolin, vous avez failli me fâcher. Pourquoi avez-vous déduit de mes propos que nous baisserions le niveau de la CSPE ? Nous serions d'ailleurs bien ennuyés si nous le faisions, car elle correspond à des versements à EDF.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les tarifs sociaux !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Effectivement, ainsi que les îles interconnectées et les tarifs de rachat. EDF, qui supporte ces charges, perçoit les versements de l'État. Je n'ai pas dit que nous allions baisser la CSPE mais que nous étions en non-conformité avec le droit européen, non pas sur le niveau des aides directes ou indirectes, mais sur des questions réglementaires. Nous règlerons ce problème, mais nous devons revoir l'assiette de la CSPE. La ministre de l'environnement a évoqué une assiette élargie à l'ensemble des énergies fossiles, comme la contribution climat-énergie, dont l'évolution devra être fixée, même si un amendement à la loi de transition énergétique a donné un canevas jusqu'en 2020. Certains envisagent aussi une évolution de la fiscalité sur le diesel. Nous devrons mettre tous ces sujets sur la table, mais les assiettes, les évolutions et les impacts sont différents selon que l'on est une entreprise ou un particulier. Attendons le projet de loi de finances rectificative pour régler ces problèmes. En aucun cas il n'a été question de réduire les montants.

M. André Gattolin. - Vous aviez fait référence au contentieux avec l'Union européenne. Comme il y avait eu des propos critiques sur les investissements réalisés en matière d'énergie renouvelable, je m'inquiétais.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Pourquoi mesurer l'action du Gouvernement sur l'environnement uniquement à l'aune du budget du ministère ? N'oubliez pas le fonds de transition énergétique doté d'un milliard et demi d'euros, le crédit d'impôt de transition énergétique (CITE) qui aura coûté 900 millions d'euros au lieu des 800 millions d'euros attendus. L'an prochain, il devrait s'élever à 1,4 milliard d'euros.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Effet d'aubaine !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. - Peut-être... Nous pourrons en discuter. La CSPE passera de 7 milliards d'euros en 2015 à 8,2 milliards d'euros en 2016. Il faudra analyser de près cette explosion.

On m'a interrogé sur les 250 millions d'euros annoncés en faveur des aides à la pierre et du logement social : 100 millions d'euros figurent déjà au budget et ce montant sera porté à 250 millions d'euros conformément à ce qu'a annoncé le Président de la République à Montpellier, lors du congrès de l'Union sociale pour l'habitat. Marie-France Beaufils s'est étonnée de la ponction effectuée sur les organismes HLM. Connaît-elle le montant de leur trésorerie ? Le total se monte à plus de 6 milliards d'euros ! Alors que nous nous battons parfois pour trouver 50 millions d'euros, croyez-vous qu'il est logique de conserver autant d'argent dormant ? La Caisse de garantie du logement locatif social est un organisme financier qui garantit les prêts des organismes HLM : en douze ans, elle a versé... 40 000 euros pour un emprunteur défaillant. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) imposait ce type de gestion. Après avoir travaillé avec cet organisme, nous avons obtenu son accord pour utiliser cette trésorerie disponible : pourquoi laisser dans une caisse de garantie 500 millions d'euros qui ne servent pas à la construction ? Grâce à cet argent, nous pourrons doter le Fonds national d'aide à la pierre. Je ne veux pas que l'on affirme des choses que j'estime fausses.

M. Charles Guené, président. - Merci pour ces réponses complètes, monsieur le ministre.

La réunion est levée à 19h10.