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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Dépôt d'une proposition de résolution

Dépôt de rapports

Conférence des Présidents

Communication sur les suites du sommet du G20

Questions au Gouvernement

Licenciements boursiers

Mme Annie David

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.

Paralysie des universités

M. Jacques Legendre

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Taux de TVA dans la restauration

M. Robert Tropeano

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

Grippe porcine

Mme Muguette Dini

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire

Mouvement social dans les hôpitaux

M. Bernard Cazeau

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité

Plan d'urgence contre le chômage des jeunes

M. Jean-Paul Fournier

M. Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse

Pour une répartition équitable des fruits du travail

M. Yves Daudigny

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

TVA dans la restauration

Mme Isabelle Debré

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

Mise en oeuvre du plan de relance

M. Albéric de Montgolfier

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique

Situation des retraités

M. Martial Bourquin

M. Brice Hortefeux, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville

Proposition de résolution européenne (Services d'intérêt général)

Discussion générale

Discussion du texte de la proposition de résolution

Vote sur l'ensemble

Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

Évolution du système d'information Schengen

Association des parlements nationaux au contrôle d'Europol

Mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement

Droits des patients en matière de soins transfrontaliers




SÉANCE

du jeudi 30 avril 2009

94e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Alain Dufaut.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Dépôt d'une proposition de résolution

M. le président.  - J'informe le Sénat que je dépose une proposition de résolution tendant à modifier le Règlement pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme et rénover les méthodes de travail du Sénat.

Cette proposition de résolution sera imprimée, mise en ligne, distribuée et envoyée à la commission des lois.

Dépôt de rapports

M. le président.  - M. le Premier ministre a transmis au Sénat le rapport relatif aux agréments des conventions et accords applicables aux salariés des établissements sociaux et médico-sociaux privés à but non lucratif pour 2008 et aux orientations en matière d'agrément des accords et d'évolution de la masse salariale pour 2009.

M. Dominique Latournerie a transmis au Sénat le rapport pour 2007-2008 de la Commission nationale des accidents médicaux, qu'il préside.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Conférence des Présidents

M. le président.  - Voici les conclusions de la Conférence des Présidents sur l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat.

Semaine sénatoriale de contrôle (Suite)

JEUDI 30 AVRIL 2009

A 9 heures :

- Communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.

A 15 heures :

- Questions d'actualité au Gouvernement.

- Proposition de résolution européenne de Mme Catherine Tasca sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009.

- Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.

Semaine d'initiative sénatoriale

MARDI 5 MAI 2009

A 15 heures :

- Débat sur le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires de l'État.

- Débat sur la politique de l'État en matière de gestion des ressources halieutiques et des pêches.

MERCREDI 6 MAI 2009

A 14 heures 30 :

- Proposition de loi de M. François-Noël Buffet relative au transfert du contentieux des décisions de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile.

- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour le développement économique des outre-mer.

JEUDI 7 MAI 2009

Journée mensuelle réservée aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires :

A 9 heures, à 15 heures et, éventuellement, le soir :

- Question orale avec débat de M. François Rebsamen sur la création d'une contribution exceptionnelle de solidarité des grandes entreprises du secteur de l'énergie.

- Proposition de loi de M. Nicolas About tendant à assurer une plus grande équité dans notre politique de sécurité routière, notamment en matière de retrait des points du permis de conduire.

- Proposition de loi de M. Robert Hue relative à l'évaluation et au contrôle de l'utilisation des aides publiques aux entreprises, aux banques et aux établissements financiers.

Semaines réservées par priorité au Gouvernement

Étant donné l'importance du projet de loi portant réforme de l'hôpital, relatif aux patients, à la santé et aux territoires, et le nombre d'amendements déposés, la Conférence des Présidents a décidé de reporter le début de son examen au mardi 12 mai, au lien du lundi 11, afin de permettre à la commission des affaires sociales de travailler dans les meilleures conditions possibles.

MARDI 12 MAI 2009

A 9 heures 30 :

- Dix-huit questions orales.

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 16 heures et le soir :

- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

MERCREDI 13 MAI 2009

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

A 14 heures 30 et le soir :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

JEUDI 14 MAI 2009

A 9 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

A 15 heures et le soir :

- Questions d'actualité au Gouvernement.

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite de l'ordre du jour du matin.

VENDREDI 15 MAI 2009

A 9 heures 30 et à 15 heures :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

LUNDI 18 MAI 2009

A 15 heures et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

MARDI 19 MAI 2009

A 15 heures et le soir :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

MERCREDI 20 MAI 2009

A 14 heures 30 :

Ordre du jour fixé par le Gouvernement :

- Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Communication sur les suites du sommet du G20

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une communication sur les suites du sommet du G20 des sénateurs membres du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale.

Je remercie nos collègues sénateurs, ainsi que les députés, pour leur participation à ce groupe de travail, nouveauté dans notre République, et salue le travail accompli, même s'il n'est pas encore achevé...

M. Jean Arthuis, co-président du groupe de travail.  - Apparue aux États-Unis pendant l'été 2007, la crise financière ne cesse de muter, poussant vers le chômage des cohortes de salariés. La gravité de la situation interpelle directement le Parlement. Le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat, créé sur ce sujet à l'initiative des présidents des deux assemblées, est un objet nouveau dans l'univers parlementaire. Sous la présidence des deux présidents des commissions des finances, il rassemble 24 parlementaires : douze députés et douze sénateurs, douze membres de la majorité et douze membres de l'opposition. Il compte quatre rapporteurs : Gilles Carrez et Nicolas Perruchot pour l'Assemblée nationale ; Philippe Marini et Bernard Angels pour le Sénat.

Avant les réunions du G20 à Washington, le 15 novembre 2008, et à Londres, le 2 avril 2009, nous avons transmis au Président de la République des notes sur la crise financière et apporté une vision parlementaire sur la refondation de la finance mondiale. Le Président nous a rendu compte de cette dernière réunion le 15 avril dernier. Cette méthode originale a permis d'obtenir des rapprochements et des convergences sur le diagnostic et les préconisations.

Je débuterai mon intervention par un compte rendu de la mission effectuée aux États-Unis par le bureau de la commission des finances. Ce pays, où est née la crise, détient aussi une partie des réponses à celle-ci. Au cours de la semaine écoulée, nous avons rencontré les responsables du FMI, du Congrès, des institutions monétaires et financières américaines ainsi que des banquiers, des dirigeants d'entreprises et des responsables de hedge funds.

Nous en avons retenu un constat : la crise actuelle a révélé l'incroyable fragilité du secteur financier, caractérisé par le développement considérable et anarchique des produits dérivés. Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale américaine, considérait récemment que l'innovation financière a amélioré l'accès au crédit au point qu'il paraît inenvisageable de revenir trente ans en arrière. Soit, mais nous allons devoir faire face à deux difficultés majeures : les États-Unis vont-ils mettre en place des mécanismes de régulation et de supervision à la hauteur de leurs responsabilités dans le fonctionnement du système financier international ? Dans un contexte où la Réserve fédérale assume de plus en plus le risque systémique en intégrant certains actifs douteux dans son bilan, quelle sera la sortie de crise ? Le choix des États-Unis se résume-t-il à autre chose qu'une alternative entre plus d'impôts ou plus d'inflation ? Avons-nous échappé à tout risque de déflation ?

Pour ce qui concerne la régulation et la supervision, nos interlocuteurs ont constaté des lacunes importantes du contrôle des banques, des institutions financières et des compagnies d'assurances aux États-Unis.

Le paysage réglementaire y est complexe, morcelé, fractionné. Cette absence de structuration globale a laissé libre cours à certains comportements préjudiciables -je pense, au premier chef, à l'affaire Madoff. Les autorités américaines ont-elles pris clairement la mesure des changements à apporter à leur organisation ? Et ont-elles commencé à les mettre en oeuvre ? Je répondrais plutôt « oui » à la première question, plutôt « non » à la seconde, du moins, pour l'instant.

La création d'une instance de régulation du risque systémique fait aujourd'hui consensus, mais la réflexion se poursuit sur l'autorité qui sera investie de cette fonction, bien que la Réserve fédérale apparaisse la plus apte à remplir ce rôle, et la place de cette autorité. Le danger est, en effet, qu'elle se superpose au patchwork existant, sans s'y substituer. Même remarque concernant la régulation des produits dérivés. La technique de la chambre de compensation, qui permet de réduire les risques de défaillance grâce au contrôle quotidien des positions et aux appels réguliers de marges, semble la plus appropriée. Et sa généralisation préventive aurait sans aucun doute réduit fortement l'ampleur de la crise actuelle. Mais le débat ne fait que commencer sur le statut que prendra cette structure. Si elle devait rester aux mains des seules banques, comme la plupart d'entre elles le souhaitent, l'objectif de transparence serait manqué en l'absence d'un réel contrôle externe... Autres sujets de réflexion, les délocalisations vers les paradis fiscaux -j'y reviendrai en conclusion-, la séparation des activités de banque de dépôt et banque d'investissement, la surveillance des agences de notation ou encore le contrôle des hedge funds. Quelques mots de la politique « too big to fail » selon laquelle l'État se trouve contraint d'assumer le risque systémique pour les établissements de très grande taille ; un risque qui est au-delà de ses capacités. Certains préconisent de fractionner les établissements trop importants pour éviter que l'État ne supporte un risque systémique excessif ; d'autres proposent d'instituer une espèce de prime, qui serait fonction de la dimension de l'établissement, dans la mesure où l'État joue le rôle d'assureur. Cette séance sera l'occasion d'aborder ces points d'intérêt commun avec les Américains.

Seconde interrogation que nous ramenons des États-Unis : quelle sortie de crise ? Pour éviter que la crise ne soit suivie par une stagnation, comme au Japon dans les années 1990, le premier impératif est de nettoyer les actifs des banques. Ce travail reste inachevé, d'autant que d'autres mauvaises surprises ne sont pas à exclure. De fait, les banques n'ont pas encore enregistré leurs pertes comptables sur les prêts accordés dans des secteurs sinistrés, tel l'immobilier d'entreprise, pertes que le FMI estime à 4 000 milliards de dollars, dont 2 700 pour les seuls États-Unis. Attention, donc, aux propos optimistes de ceux qui veulent voir les prémices d'un redémarrage économique dès ce printemps. Si ces prédictions n'étaient pas réalisées, elles auraient un impact encore plus dépressif sur l'économie réelle. A court terme, le risque de déflation reste réel. Ensuite, la Réserve fédérale a géré la faillite ou la quasi-faillite de Bear Stems, Lehman Brothers, AIG Citigroup, Freddy Mac et Fanny Mac. Résultat, son bilan, qui est passé en quelques semaines de 800 milliards de dollars à plus de 2 000 milliards, pourrait atteindre 4 000 milliards à la fin de l'année. Parallèlement, comme la Banque centrale européenne, elle a injecté massivement des liquidités dans l'économie. Si l'on peut raisonnablement espérer que nos banques centrales retireront à temps les liquidités en surplus, il faudra cependant surveiller le comportement de la Réserve fédérale à l'égard des actifs douteux inscrits à son bilan, dont elle assume le risque direct, de même que ses relations avec l'État fédéral, avec lequel elle a formé un tout ces derniers temps, malgré son statut d'instance indépendante.

Pour conclure, permettez-moi d'insister sur la question des paradis fiscaux, ces espaces juridiques non coopératifs qui gardent jalousement le secret bancaire. Entre les déclarations du G20 et les avancées réelles, je crains qu'un écart ne se creuse rapidement. Soyons extrêmement vigilants. La constitution d'une liste noire ou grise ne doit pas être dictée par des considérations politiques. (Mme Nicole Bricq approuve) Pourquoi n'y trouve-t-on pas Hong-Kong, non plus qu'aucune île anglo-normande, l'État américain du Delaware et aucun territoire rattaché à des membres du G20 ? Nous devrons faire preuve d'une volonté sans faille pour aboutir sur ce terrain. Pour que les décisions du G20 soient réellement mises en oeuvre, l'Europe doit donner l'exemple et discuter avec ses partenaires autrichien, luxembourgeois et suisse -car la Suisse est associée à l'Europe en matière bancaire et financière.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Il faudrait d'abord convaincre Barroso et McCreevy !

Mme Nicole Bricq.  - Nous en parlerons !

M. Jean Arthuis, co-président.  - Cette crise constitue un défi majeur pour l'Europe. Elle a mis en évidence que certains États consomment davantage qu'ils ne produisent, finançant leurs déficits public et commercial par l'endettement.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Très juste !

M. Jean Arthuis, co-président.  - Pour sortir de cette spirale, appuyons-nous sur la compétitivité et l'activité économique ! (Applaudissements à droite et au centre ainsi que sur quelques bancs socialistes)

M. Philippe Marini, co-rapporteur du groupe de travail.  - Nous abordons ce matin un sujet à la fois essentiel et compliqué. Essentiel parce que ce n'est pas une figure de style d'affirmer que cette crise engage notre avenir. Compliqué parce que ce sujet échappe largement au législateur national. Certes, la crise marque un retour à l'intervention de l'État et à la régulation économique, qui se décide au Parlement. Pour autant, les décisions se prennent d'abord au niveau européen -et le Parlement européen, qui sera prochainement renouvelé, ne se comporte pas tout à fait comme un parlement- et, surtout, au niveau mondial.

Les résultats des deux réunions successives du G20 sont, je persiste à le croire, fort contrastés. Des avancées ont été faites, peut-être même l'amorce de percées intellectuelles. Pour autant, attention de ne pas verser dans l'autosatisfaction et l'autoglorification.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Cela va être difficile ! (Sourires)

M. Philippe Marini, co-rapporteur. - Aucune réunion de chefs d'État ou de gouvernement ne s'ouvre sans un appel à lutter contre le protectionnisme. C'est devenu un passage obligé.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Très bien !

M. Philippe Marini, co-rapporteur- Mais, une fois rentré, chacun s'empresse, dans les limites des accords internationaux, de faire un peu de protectionnisme. Bref, s'agit-il d'une véritable évolution ou d'une organisation temporaire pour faire face à des aléas momentanés ? S'agit-il d'un simple trou d'air après lequel le système continuera de fonctionner comme avant ? C'est l'interrogation que je formule, comme notre excellent président Arthuis, après notre visite de ces derniers jours aux États-Unis.

Aux États-Unis, où règne plus de liberté d'esprit que l'on ne croit...

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Plus que chez nous !

M. Philippe Marini, co-rapporteur   - ...les Américains ne parviennent pas à remettre en cause les schémas intellectuels qui ont fait le succès des marchés depuis dix ans. Il est certes plus commode de replâtrer et recréer les conditions pour que tout redevienne comme avant. Je souscris totalement aux propos de M. Arthuis sur le rôle des banques centrales : depuis un an, leurs bilans ont été transformés car elles se sont substituées aux banques commerciales et ont pris des risques directs, au nom des États, sur la solvabilité des entreprises. Or nous savons que l'une des causes de la crise réside dans le rôle trop limité, stéréotypé, assigné aux banques centrales -un rôle conçu à une période désormais révolue. Pour le groupe de travail, si la crise a été si mal prévue, c'est que l'attention s'est concentrée exclusivement sur le niveau de l'inflation, sans contrôle vigilant des marchés, sans réflexion sur les causes des déséquilibres ni sur le prix des actifs. Je persiste à rappeler que dans son petit livre Les incendiaires, paru un an avant la crise, Patrick Artus dénonçait, comme d'autres économistes, ce phénomène ; un banquier central reste un banquier central, il parle le langage technique des banquiers centraux, il a le sens de l'intérêt général, mais sans doute est-il trop imprégné d'images du passé et trop prisonnier d'une méthodologie ancienne pour anticiper l'avenir. Seuls les États, les élus du suffrage universel, les politiques ont la capacité de prévoir les rebonds nécessaires et les mutations de pensée indispensables. C'est que la crise actuelle n'est pas une simple discontinuité dans le fonctionnement des marchés !

Faut-il revenir à la segmentation des banques instaurée par le Glass Steagall Act, réglementation elle-même issue de la crise majeure du XXe siècle ? Les catégories étaient bien distinctes : banques de dépôts, d'investissement, banques de marchés, établissements de financements spécialisés, etc. Chacun était soumis à un mode de régulation spécifique et prenait des risques en rapport avec la capacité de son bilan. Mais les marchés ont pris une ampleur et une profondeur sans précédent, les besoins de financement de l'économie ont augmenté considérablement et nous vivons dans un monde non plus fragmenté mais globalisé.

Nous ne pouvons nous satisfaire cependant du modèle de banque universelle à l'anglo-saxonne qui a progressivement émergé : la circulation entre structures réglementées et non réglementées et les conflits d'intérêt posent de gros problèmes... Ni retour aux schémas révolus, ni statu quo : il faut inventer un nouveau modèle.

L'innovation financière s'est beaucoup développée. C'est un facteur de progrès. Mais pourra-t-on continuer à mobiliser les créances pour les transformer en financements et les diffuser sur les marchés du monde entier ? Certainement pas dans les conditions débridées des années passées. Les entités économiques à l'origine des émissions doivent conserver dans leur bilan une part significative du risque, c'est un principe de bon sens et une question de transparence. Mais les Américains hésitent encore à assumer les conséquences d'un changement pourtant inévitable. Or, pour préparer le prochain G20, il faudra bien s'intéresser à la standardisation des produits échangés sur les marchés et à la gouvernance des marchés qu'il faudra mettre en place concomitamment.

La même problématique s'applique aux principes comptables. La suspension de la valorisation des actifs bancaires au prix de marché ne peut être qu'une solution provisoire, aléatoire, insatisfaisante ! Et l'une des frustrations durant la présidence française de l'Union européenne fut de ne pas parvenir à traiter la question des normes comptables des compagnies d'assurance. Le Parlement européen vient de valider la directive Solvabilité II qui est selon moi, je le clame haut et fort, une grave erreur économique. Il en résultera, mécaniquement, une raréfaction des placements en actions ; et nous nous serons placés nous-mêmes dans ce piège. Je mets en garde le Gouvernement contre les conséquences de ce que nous sommes en train de faire !

Ne prétendons pas que la répartition entre livre de marché et livre bancaire, pour la valorisation des actifs et des fonds propres, est une solution. Elle ne saurait être qu'un principe transitoire.

M. le Président.  - Il faut conclure.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Aux États-Unis, ce principe est du reste appliqué de façon différente, entre par exemple la Réserve fédérale de New York et le surintendant à la supervision des banques, chargé des petites banques, donc de centaines d'établissements bancaires et de sociétés de crédit à la consommation. Demandez-vous donc pourquoi le nouveau holding de Goldman Sachs a été placé sous le contrôle du superviseur de l'État, qui dépend du gouverneur... Je ne mets pas en cause l'admirable système américain de check and balances, mais considérons-le sans naïveté.

Le groupe paritaire que le président Larcher a eu la grande intelligence de créer prend, comme tout enfant bien constitué, sa personnalité. Il faut souhaiter non qu'il échappe à ses concepteurs, mais qu'il vive sa vie propre ! (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs socialistes)

Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, co-rapporteur du groupe de travail.  - Le groupe de travail, constitué de 24 parlementaires...

M. Jean Arthuis, co-président.  - C'est le G24 !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - ...été placé sous les feux de la rampe récemment, mais certes pas pour de bonnes raisons.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Pour des raisons idiotes !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur  - Pourtant, ses travaux ont été fructueux.

Depuis Washington, cette péripétie microcosmique nous a paru bien ridicule. J'espère que notre travail n'en sera pas oblitéré et qu'il pourra être poursuivi.

Avant le premier G20, le groupe a émis un diagnostic partagé sur les causes de la crise : déformation du partage du revenu du capital et du travail...

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Très bien !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - ...développement irresponsable du crédit aux États-Unis, exigence de taux de rentabilité à deux chiffes, hypertrophie de la sphère financière conduisant à multiplier les pratiques à risque, normes comptables pro-cycliques. Cette énumération illustre les renoncements successifs des États, de l'Europe, de la politique.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est le premier point qui est le plus important !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - La crise est un rappel à l'ordre cinglant pour les apôtres du capitalisme à l'anglo-saxonne, moins peut-être pour les « ringards » qui en appelaient à la régulation et à l'État. Aujourd'hui, le chômage explose en Europe et frise les 1 % aux États-Unis !

Je tirerai un bilan provisoire et non exhaustif des orientations définies lors des deux sommets. A Washington, l'administration américaine était en place, le Président des États-Unis avait proposé un plan de relance ambitieux -objet d'âpres débats budgétaires. Les propositions émises devront être traduites au niveau pertinent dans des dispositions contractuelles ou législatives. Mme Lagarde a présenté dès le 7 avril, devant la commission européenne du Sénat, le bilan que le Gouvernement tirait du compromis de Londres.

Avant le G20 du 2 avril, on évoquait un bras de fer entre l'Europe, partisane de nouvelles régulations, et les États-Unis, insistants plutôt sur la relance, chacun appuyant ses revendications sur les déclarations d'intentions du précédent sommet de Washington. Au milieu, le FMI attendait plus de moyens, notamment pour les pays émergents, ainsi qu'une redéfinition de ses missions. Son directeur général n'a cessé d'appeler au nettoyage du bilan des banques et au cantonnement des actifs toxiques, laissant chaque pays choisir sa technique. Aucune crise financière n'a été résolue sans cet effort.

En matière de relance, ni la France ni l'Allemagne n'ont voulu s'engager à faire plus et mieux, estimant que les déficits interdisaient de recourir davantage à l'arme budgétaire. C'est un débat franco-français, nous y reviendrons. Les plans de relance nationaux des États membres de l'Union européenne ont comme grand défaut de n'être pas coordonnés. A la sortie de crise, les États-Unis, pourtant à l'origine de la crise systémique, repartiront sans doute plus vite et plus fort que le vieux continent, qui plus est avec le saut qualitatif de la croissance verte ! Sur ce dernier point, je regrette que le G20 n'ait pas repris les propositions britanniques.

En matière de régulation, le compromis de Londres est une base de départ. Les Européens ont obtenu le principe d'une réglementation de la finance au niveau mondial, malgré les réticences des États-Unis et de la Chine. Reste à en cerner le contenu.

La création du conseil de stabilité financière à base élargie, qui succède au forum de stabilité financière, pourrait être le dispositif d'alerte que nous appelons de nos voeux. Nous souhaitons que l'Union européenne suive la recommandation du rapport Larosière en créant un conseil européen du risque systémique. Le Royaume-Uni y est fermement opposé ; il faudra batailler !

Le Parlement européen a adopté un règlement qui jette les bases d'une surveillance des agences de notation. Celles-ci devront se faire enregistrer auprès du comité européen des régulateurs des valeurs mobilières mais, en pratique, ce sont les pays qui délivreront l'accréditation, et non une seule autorité européenne. Monsieur le ministre, vous nous direz quelles ont été les résistances nationales et peut-être les contraintes de calendrier qui ont empêché cette supervision.

Autre sujet attendu, celui des rémunérations. La Commission européenne, qui s'est penchée en priorité sur les bonus des opérateurs de marché, devait remettre hier une recommandation sur la rémunération des dirigeants d'entreprise. En France, le débat n'a pas été clos par le dispositif prévu dans la loi de finances rectificative...

Concernant les paradis fiscaux, on ne peut même pas dire que le verre est au quart plein. Nous comptons sur le président Arthuis et le rapporteur général pour qu'ils vérifient, au sein du comité de suivi des mesures d'aides aux banques, le respect des exigences prévues par la loi de finances rectificative. Au niveau mondial, nous sommes loin du compte. Le passage du noir au gris, voire au blanc, est bien flou. Parmi nos exigences figurait notamment l'alourdissement de la taxation des opérateurs en lien avec les juridictions non coopératives.

Le projet de directive du commissaire McCreevy encadrant les fonds spéculatifs se résume à un simple toilettage. La France, l'Allemagne, l'Italie ne l'accepteront pas. J'espère que le Conseil retoquera ce projet !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ça en dit long sur la Commission !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - Il n'encadre que les gestionnaires, non les fonds eux-mêmes, et les autorise à démarcher tout investisseur, y compris off-shore. Une fois enregistrés, ils auraient un passeport valable dans tout l'espace européen ! Qui plus est, seuls les fonds dotés de plus de 250 millions d'euros sont concernés !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est de la provocation !

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - Le parti socialiste européen a réagi vigoureusement. Arrêtons ces sottises !

Les normes comptables actuelles n'ont aucune légitimité démocratique et sont un bon alibi pour entretenir l'opacité sur les bilans et les actifs toxiques, rebaptisés « actifs hérités »...

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - « Legacy »...

Mme Nicole Bricq, co-rapporteur.  - ...dont la présence dissimulée nous fait craindre de nouvelles catastrophes.

Il faut que ce groupe puisse continuer le travail entrepris.

Il faut poursuivre les travaux entrepris, qui restent le seul moyen dont dispose le Parlement. La crise sera longue et profonde. Je suis, comme le rapporteur général, frappée de constater que le modèle développé aux États-Unis ces trente dernières années n'y est pas remis en cause, comme si nos interlocuteurs étaient dans l'incapacité, non pas tant idéologique qu'intellectuelle, de se projeter dans un autre modèle. (M. Philippe Marini, co-rapporteur, approuve) Comme si le seul objectif était d'arrêter la crise pour que tout continue comme avant. Comme si nous étions face à une crise provisoire et accidentelle qui, jouant sa fonction habituelle de purge, sévère mais efficace, écartant les canards boiteux, laissera la machine fonctionner comme avant. (M. Jean Arthuis, co-président, approuve) On comprend dès lors pourquoi de telles réticences se sont manifestées outre-Atlantique lors du G20.

Nous l'avons dit hier, il n'y aura pas de solution sans régulation financière, commerciale, sociale. Si l'on veut faire oeuvre efficace et utile, il faut oser des propositions nouvelles et les conduire jusqu'à l'action politique. Notre génération politique sera jugée à l'aune des réponses qu'elle aura su apporter. (Applaudissements sur les bancs socialistes, au banc des commissions et sur quelques bancs à droite)

présidence de M. Roger Romani,vice-président

M. Bernard Vera, membre du groupe de travail. - Les parlementaires des groupes communistes et apparentés des deux assemblées ont participé aux travaux du groupe paritaire mixte créé pour porter un diagnostic sur les causes de la crise financière et des propositions pour y porter remède.

La crise qui frappe les économies occidentales capitalistes s'inscrit dans la logique d'un fonctionnement économique fondé sur la rentabilité maximale des capitaux, le partage inégal de la valeur au détriment du travail, le gaspillage des ressources dans des opérations spéculatives qui, à l'oeuvre depuis des dizaines d'années, ont créé ses conditions.

Face à cette crise, la tentation est forte du Gouvernement et de l'Élysée de promouvoir le principe d'une union sacrée. Mais que l'on ne compte pas sur les parlementaires de notre groupe pour souscrire à une analyse qui attribuerait à cette crise un caractère passager, y verrait le simple produit d'un dérèglement que des mesures ciblées suffiraient à résorber. Car on ne saurait séparer les solutions à apporter d'une remise en cause radicale des choix politiques nationaux et européens qui ont précipité et amplifié ses effets.

Nous avons dit hier notre sentiment sur les conclusions du sommet de Londres, dans lequel le Président de la République voyait un « gage d'efficacité de l'action ». Il faut dire que ce G20 se heurtait à plusieurs difficultés.

La première, c'est qu'il ne réunissait que vingt pays de la planète, fussent-ils, pour certains, émergents. Or, ce sont les instances réunissant l'ensemble des pays et des continents de la planète qui devraient être le lieu naturel de la discussion et des accords internationaux en matière économique et monétaire. Et ce n'est pas un axe trilatéral États-Unis-Europe-Japon, contraint de s'adjoindre la Russie, la Chine, l'Inde et les plus peuplés des pays émergents d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique Latine, qui peut s'autoriser à donner la mesure du devenir des relations économiques et monétaires internationales.

Seconde difficulté, découlant de cette vision rétrécie de la réalité planétaire : peu de décisions véritablement importantes ont été prises, les plus décisives étant reportées à plus tard tandis que prévalait le principe du « chacun chez soi ».

Les orientations fixées par le sommet de Londres sont donc loin de répondre à la gravité des problèmes et aux exigences du temps. Elles traduisent surtout la volonté du Président Obama d'assurer un leadership mondial contraint cependant de tenir compte de plusieurs facteurs -montée irrépressible des pays émergents, à commencer par la Chine, la Russie et l'Inde ; préoccupation des dirigeants européens de préserver les moyens d'une rivalité de l'euro par rapport au dollar ; inquiétude grandissante des dirigeants capitalistes face à la persistance de la crise systémique et aux incertitudes pour l'avenir, qui obligent les États-Unis eux-mêmes à rechercher des collaborations pour maintenir leur domination.

Les sommes mobilisées sont considérables, sans pourtant que soient remis en cause les privilèges exorbitants que confère au dollar, donc aux États-Unis, le statut de monnaie dominante. Nulle transformation profonde de la gouvernance du FMI n'est envisagée, alors même que les États-Unis disposent d'un droit de veto au conseil d'administration. Nulle mise en cause des critères du crédit, alors que grandit la crainte d'un krach sur les endettements publics.

Les ressources du FMI, actuellement de 250 millions de dollars, vont ainsi être triplées : 250 milliards de dollars d'apports bilatéraux -100 pour le Japon comme pour l'Union européenne et 50 pour le Canada, la Chine et la Norvège ; 250 milliards pour les nouveaux accords d'emprunts. Si la France devait remettre au pot, ce serait soit par une ponction sur son budget, soit par un prêt de la Banque de France au FMI.

Sur les droits de tirages spéciaux, nous sommes davantage en accord : cette mesure ouvre la perspective d'une nouvelle allocation générale qui fait écho à la proposition chinoise de faire des DST un nouvel instrument de réserve internationale, alternatif au dollar. Cette allocation nouvelle donnerait lieu, pour 19 milliards de dollars, à des subventions plutôt qu'à des prêts aux pays les plus vulnérables, dont il n'est cependant pas envisagé d'annuler la dette.

Voilà qui témoigne de la crainte qu'éprouvent les dirigeants capitalistes sur l'avenir. Si le FMI se voit, comme jamais, renforcé dans son rôle de gendarme, il lui revient aussi, désormais, d'assumer une mission de soutien de l'activité, eu égard à la crainte du camp occidental quant au risque profond de déstabilisation des pays dominés. Ces apports sont censés mettre fin au fort reflux des mouvements de capitaux dans les pays émergents depuis l'éclatement de la crise financière.

Pour le commerce mondial, 250 milliards de dollars sont débloqués, via l'augmentation des garanties qui pourraient être apportées par des assureurs crédit pour couvrir le financement des échanges entre pays, tandis que sont réaffirmés de façon quasi obsessionnelle les principes du libre-échange et les conclusions du cycle de Doha.

Pour la Banque mondiale, ce sont 100 milliards de dollars de capacité d'emprunt supplémentaires pour fournir des crédits aux pays en développement, et 25 milliards de dollars pour ses banques régionales.

L'essentiel de l'effort porte bien, avant toute considération sur les équilibres économiques futurs, sur la remise sur pieds des marchés financiers occidentaux et nord américains. Mais pouvait-il-en être autrement dans le cadre d'un sommet où les pays directement responsables du désordre financier économique s'étaient assignés pour tâche de demander à quelques économies encore en croissance de leur apporter les subsides destinés à apurer le passif de leurs institutions et établissements financiers ? (Applaudissements à gauche)

M. Albéric de Montgolfier, membre du groupe de travail.  - C'est au président du Sénat que nous devons la constitution d'un groupe de travail associant députés et sénateurs pour réfléchir sur les réponses à apporter à la crise financière, initiative inédite qui a montré sa pertinence dans un débat d'importance internationale qui dépasse, dans une large mesure, les clivages partisans.

Le sommet de Londres a été salué comme un succès de l'action coordonnée des grandes nations contre la crise financière. Des avancées qui hier encore paraissaient impossibles ont été enregistrées. Le cas de la lutte contre les paradis fiscaux témoigne de la rapidité avec laquelle la volonté politique s'est imposée sur un sujet bloqué de longue date. La voix de la France a pesé dans ce succès et l'action du Président de la République pour mettre notre pays au centre du débat international sur la sortie de crise doit être unanimement reconnue. Notre groupe de travail a été reçu à trois reprises à l'Élysée, preuve que la revalorisation du rôle du Parlement n'est pas un vain mot. Je veux dire notre satisfaction d'avoir été non seulement consultés mais entendus.

La nécessité de la régulation face aux excès du capitalisme financier constitue une première conclusion, largement partagée. Non pas réguler plus mais réguler mieux. Le contrôle des marchés et de la sphère financière revient non à leurs propres acteurs mais bien au politique, qui doit reprendre la main.

Parmi les éléments qui ont contribué à la violence de la crise figurent en premier lieu les dysfonctionnements des marchés financiers, qui ont propagé sans contrôle d'énormes risques auprès des ménages et des institutions financières, en abusant des possibilités offertes par la loi.

La dénonciation des paradis fiscaux, refuge de l'argent sale mais aussi et surtout facteur d'opacité dans les circuits financiers, nous est apparue à ce titre comme une nécessité, à l'heure où le retour de la confiance et la juste évaluation des risques requiert une transparence accrue.

Notre groupe s'est également interrogé sur le fonctionnement des agences de notation, qui ont souvent failli dans leur analyse, se révélant peu à même d'évaluer correctement le risque inhérent à certains actifs ou produits complexes ou encore la solvabilité d'émetteurs souverains.

Le caractère pervers de certaines normes comptables a également été souligné, en particulier celui des normes américaines, qui ont permis la réévaluation permanente des actifs au bilan des banques à mesure que les marchés immobilier et boursier étaient orientés à la hausse, améliorant les ratios des encours sur fonds propres et gonflant ainsi artificiellement la capacité de prêt.

Si ce schéma a permis la période de croissance des années 2000, il a précipité le retournement de situation en asséchant le robinet du crédit.

Notre groupe de travail a formulé des propositions, notamment relatives aux thèmes évoqués par le G20. Il faut assainir les relations avec les pays qualifiés de paradis fiscaux, bancaires ou réglementaires. La publication d'une liste de pays qui n'ont pas mis en place une coopération suffisante, ou émis des signes de bonne volonté, est un saut qualitatif majeur vers une transparence accrue et un meilleur contrôle des placements offshore. La simple évocation de la fin du secret bancaire suisse ou luxembourgeois aurait fait sourire il y a quelques mois ; il est aujourd'hui envisagé. II faut en revanche rester vigilants face à la persistance de zones ou d'États qui ne figurent pas sur la liste alors que leur législation est très éloignée des standards internationaux de transparence, notamment pour l'enregistrement de sociétés commerciales.

Nous avons plaidé en faveur d'une révision de la supervision internationale, essentiellement par un renforcement du FMI et du forum de la stabilité financière sous le contrôle des États du G20. L'augmentation considérable des moyens du FMI, qui voit ses pouvoirs étendus et son budget tripler pour atteindre 750 milliards de dollars, a été l'un des apports majeurs de ce G20. La crise aura donc eu également pour mérite d'ébaucher une gouvernance mondiale de la sphère financière et d'étendre aux nouvelles grandes puissances comme la Chine ou l'Inde le cercle des pays appelés à participer à ces sommets internationaux. Pour notre groupe de travail, afin de prévenir les risques systémiques, « il est nécessaire de soumettre tous les pays à des inspections et évaluations régulières, de disposer d'une connaissance précise de l'ampleur et de la nature des flux financiers, d'identifier les facteurs de risque et d'établir une « courroie de transmission » avec les régulateurs nationaux pour qu'ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s'imposent ». Au niveau européen, nous proposons d'appliquer les recommandations du groupe d'experts présidé par Jacques de Larosière, prônant notamment la création d'un Conseil européen du risque systémique, et d'associer les banques centrales, notamment la BCE, à la prévention de ces risques en élargissant leur mandat au-delà de l'actuel suivi de l'évolution des prix et la lutte contre l'inflation, pour toucher également les actifs financiers et immobiliers.

Enfin, notre groupe de travail a souhaité plus de régulation des produits et des acteurs financiers à risques : déontologie stricte pour les agences de notation dont la responsabilité serait engagée, création d'une chambre de compensation des produits dérivés négociés de gré à gré, en particulier des dérivés de crédit -comme les fameux CDS- ainsi qu'une plus grande standardisation de ces contrats. Cela faciliterait les comparaisons, donc les évaluations de ces actifs lorsqu'ils ne font pas l'objet d'une cotation. Nous estimons aussi nécessaire de préciser les normes prudentielles applicables aux établissements de crédit, notamment la méthodologie d'évaluation des produits titrisés, et de réfléchir à l'interdiction de la titrisation intégrale des prêts. II faudrait aussi clarifier certains principes comptables, notamment pour l'évaluation des instruments financiers en cas de marché peu liquide pour les instruments financiers complexes.

Personnellement, j'ai été surpris de constater le silence de l'Europe. A quelques semaines des élections européennes, elle a été absente de ces débats, s'effaçant notamment derrière le couple franco-allemand. La Commission, qui aime s'intéresser à des sujets de détail et réglementer de façon pointilleuse certaines activités économiques, aurait gagné à donner de la voix sur ces sujets primordiaux. Les tenants d'un retour des États-nations en tireront satisfaction mais je souhaite que la construction européenne se poursuive aussi autour de ces grands sujets et d'une concertation associant les parlements nationaux.

Notre groupe de travail entend être une force de proposition qui veillera à ne pas laisser les annonces faites sans lendemains. Un troisième sommet du G20 est prévu, dont une des missions sera de contrôler la mise en oeuvre des mesures annoncées. Notre groupe répondra à l'appel du Président de la République à l'occasion de ces travaux.

La régulation doit être ambitieuse sans tomber dans l'écueil d'un interventionnisme excessif. De même que cette crise amène à réfléchir sur la nécessité d'un protectionnisme éclairé, soucieux de la sauvegarde justifiée des emplois productifs et des solidarités collectives, il faut réfléchir à une nouvelle réglementation publique, qui corrige les excès du capitalisme financier sans étouffer la compétitivité de nos économies dans un carcan. C'est un défi auquel les parlementaires que nous sommes ont à appeler les décideurs à une juste mesure. Notre groupe de travail demeure fortement engagé dans ce processus de concertation qu'il entend poursuivre avec détermination. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail.  - Nous n'avons pas tous la même analyse de la crise mais les divergences sur ses causes n'ont pas empêché le groupe de travail de formuler à l'unanimité des pistes de réforme concernant d'abord l'assainissement des relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires, ensuite l'architecture de la supervision internationale et, enfin, la régulation des produits et acteurs financiers.

La réunion du G20 marque un progrès car, à la différence du G7, il associe la plupart des grands pays émergents et reflète la nouvelle multipolarité du monde. Notre groupe de travail a souhaité le renforcement de son rôle politique et son institutionnalisation et cela paraît en bonne voie.

Ce G20 du 2 avril 2009 a pris des positions qui vont souvent dans le bon sens mais qui sont insuffisantes voire, pour certaines, inappropriées : ainsi, l'assainissement des relations avec les paradis fiscaux, problème important mais qui n'est pas à la racine de la crise, prendra du temps et demandera une résolution sans faille qui manque aux commissaires européens, MM Barroso et McCreevy. De même, la limitation de la règlementation des hedge funds à ceux qui ont une importance systémique pourra être facilement tournée. Joseph Stiglitz, dans une interview aux Échos, observe qu'il n'y a, sur ce point essentiel, aucun engagement du fait de l'influence dans le système des banques américaines. Il ajoute qu'il n'y a pas de volonté réelle de venir à bout des facteurs qui ont contribué à la crise, citant, en particulier, le traitement des produits dérivés qui ont pourri le système. Ceux-ci représentent, je le rappelle, 60 trillions de dollars, soit 60 000 milliards, plus que le PIB mondial !

Les deux problèmes essentiels, celui de l'assainissement financier et celui de la relance économique, sont étroitement connectés. Il ne suffit pas d'injecter des capitaux dans le système bancaire pour l'assainir, il est même choquant de voir le contribuable venir au secours de banquiers faillis qui ne souhaitent, une fois remis selle, que recommencer le grand jeu de la mondialisation libérale et inégale, de la course à des taux de rentabilité exorbitants qui étaient censés justifier leurs bonus extravagants, et reprendre leurs pratiques déresponsabilisantes de titrisation. Il faudrait au moins exiger que les banques conservent dans leur bilan les risques les plus lourds et ne puissent titriser qu'une partie de leurs prêts, comme l'a suggéré le groupe de travail. Nos concitoyens ne peuvent accepter que la dette publique prenne le relais de la dette privée, creusée par ceux-là mêmes qu'on maintient en place alors qu'ils n'ont rien perdu de leur arrogance et de leurs prétentions financières. Oui, monsieur le ministre, la question de la nationalisation des banques se pose, comme je l'avais suggéré les 8 et 15 octobre 2008, dans le débat sur la crise financière et sur la loi de refinancement de l'économie. Elle se pose notamment pour Dexia et pour la banque issue de la fusion de la Caisse nationale d'épargne et des Banques populaires. La renationalisation de tout ou partie du système bancaire, en France comme ailleurs, obéit à une double nécessité. Politique d'abord : celui qui paye commande. Économique ensuite : la reprise du crédit ne se fera que par une entente coopérative entre les banques. Comme l'a bien montré Jean-Luc Gréau, c'est à l'État d'organiser et de surveiller cette entente coopérative durant toute la période nécessaire au retour à la normale.

Dominique Strauss-Kahn a mis en cause la frilosité des plans de relance des pays européens. Certes un nouveau plan axé sur l'investissement, la préservation du tissu productif, les revenus les plus bas, les chômeurs et les jeunes ne doit pas être exclu, mais l'injection de crédits publics ne doit pas aboutir à « arroser le sable ». L'effort du contribuable a servi jusqu'ici, pour l'essentiel, non pas seulement en France, mais d'abord aux États-Unis et en Grande-Bretagne, à renflouer le système bancaire, en vertu du principe : « on prend les mêmes et on recommence ».

Un traitement insuffisant de la crise ne sera pas toléré : car aussi bien, cela ne marche pas. Le risque principal aujourd'hui est dans le mitage du système « banque-assurances » par ses engagements irraisonnés : plus de 60 trillions de CDS (crédit défault swaps) dit produits dérivés, sujet non traité par le Sommet de Londres.

Pour redonner un horizon à nos démocraties et ramener durablement la confiance, il faut une perspective de progrès partagé : un progrès des rémunérations égal à celui de la productivité, un partage plus honnête des salaires et du profit. Ce n'est pas compatible avec le libre échange généralisé, notamment vers les pays à très bas coût salariaux ? Mais c'est cela qu'il faut revoir, en instaurant une concurrence équitable. Non pas un repli autarcique, mais une régulation négociée des échanges internationaux permettant une sortie de crise à l'échelle mondiale et d'abord en Europe et aux États-Unis, à partir d'une revalorisation salariale substantielle, à l'abri d'une protection modérée, corrigeant les distorsions de salaires abusives.

Or le Sommet de Londres se borne à excommunier le protectionnisme au nom d'une lecture biaisée de l'histoire des années trente. Les mêmes qui ont failli veulent persévérer : alors que le commerce international devrait se contracter de 9°% en 2009, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le protectionnisme, ceux-là mêmes qui ont présidé à une mondialisation qu'ils disaient « heureuse » mais qui s'est révélée catastrophique, entendent à nouveau et encore plus « libéraliser » le commerce international à Doha, en juillet prochain. Il n'y a aucune guérison à attendre de ces mauvais médecins. Il faudrait, au contraire, mettre en place une régulation par grandes zones économiques regroupant des pays de niveau comparable en termes de salaires, sans les fermer à une raisonnable concurrence des pays à bas coûts, ceux-ci étant fortement incités, en contrepartie, à développer leur marché intérieur, leur système de sécurité sociale, et la protection de leur environnement.

Tout cela passe par une grande négociation internationale qui prendra du temps. Mais le G20 est en place et plusieurs réunions sont prévues...

Le triplement des ressources du FMI fera les affaires de pays au bord de la banqueroute et des exportateurs sans remédier au déséquilibre abyssal de la balance commerciale américaine...

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Entre les mains de la Chine !

M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail.  - Mais aujourd'hui, ce sont les débiteurs qui tiennent les créanciers !

La FED a pris en charge des actifs colossaux et acheté 300 milliards de bons du Trésor américain. On nous dit que la banque centrale anglaise pourrait faire la même chose. Le président de celle de Chine a mis le doigt sur le problème essentiel en proposant de créer un nouveau système de réserve monétaire. Qu'en pense le Gouvernement, qui se souvient peut-être de la position adoptée en 1964 par le général de Gaulle ? Il n'est pas normal que le monde dépende des États-Unis, lesquels doivent sortir d'un modèle de rentier. Cela passe par une remise en cause d'un libre-échange dogmatique qui a contribué à la déflation des salaires et à la crise actuelle.

Le G20 sera très utile pour organiser les transitions nécessaires vers une réforme du système monétaire international. Quant à notre groupe de travail, il doit multiplier les échanges avec les parlements étrangers, comme l'a suggéré le Président de la République évoquant le Bundestag et le Bundesrat, mais aussi avec les banques centrales, la Commission : il doit alimenter le débat public, car c'est aussi ce que nos concitoyens attendent du Parlement. (Applaudissements)

M. François Marc. - « Le capitalisme est en train de s'autodétruire » affirmait il y a quelques années l'auteur des Incendiaires, qu'a évoqué le rapporteur général. La crise que nous vivons était annoncée depuis de nombreuses années par les excès ainsi constatés. Malgré la forte tentation de rechercher des boucs émissaires, d'identifier des coupables, beaucoup se sont convaincus que la crise était structurelle, générale. Le groupe de travail réunissant députés et sénateurs a conduit un travail constructif, reprenant plusieurs des thèses que nous défendions ici sur la nécessité d'accentuer la régulation.

J'ai noté l'extrême prudence du rapporteur général sur les conclusions du G20. Il y a en effet quelques bizarreries : ne figurent sur la liste des paradis fiscaux que le Costa Rica, les Philippines, la Malaisie et l'Uruguay, dont on ignorait qu'ils en faisaient partie ; Brunei et le Guatemala avaient eu la bonne idée de téléphoner le matin même (sourires) et Jersey figure dans la lise des pays blancs... (Mêmes mouvements)

Il y a aussi des non-dits sur des sujets majeurs : pas un mot de la réorganisation du système monétaire international et rien de l'étalon dollar non plus que des gigantesques déficits commerciaux ou encore de la façon d'assainir les déficits publics.

S'agit-il de changements profonds ? Je crains que non. A Londres, 20 pays représentant 85 % du PIB et 65 % de la population mondiale ont décidé d'unir leurs efforts et de mobiliser des milliards pour essayer de sauver le système. Mais pas pour en changer ! C'est une déception majeure.

Le krach accuse les excès du capitalisme ; la crise marque la folie des crédits pervers dont on peut craindre les répercussions sur les finances de nos collectivités dans les deux années à venir. Signalons l'irresponsabilité des acteurs de la chaîne financière, sans oublier les agences de notation. La renationalisation des pertes pose la question des contreparties à demander aux banques que l'on remet à flot. La purge du système financier, ensuite, entraînera une décroissance, des pertes d'emplois, de la pauvreté : cela appelle une action publique forte ; précisément, le constat de l'absence de politique commune européenne justifie une consolidation pour l'avenir.

Quelles exigences formuler face à ces constats ? La consolidation d'une économie en crise, d'abord. Il faudra explorer les pistes tracées par le G20 car on ne saurait jouer la politique du pire. Il y a également urgence à anticiper face aux risques détectés. Cela suppose du volontarisme politique pour une régulation accrue. Or nous avons quelques doutes à cet égard sur la durabilité des engagements du Président de la République et du Gouvernement : ils se sont ralliés à la régulation pour les besoins du moment alors que la solidarité doit guider les politiques publiques. François Bayrou, qui est un observateur attentif, décrit l'affirmation d'une idéologie de l'argent présenté comme une valeur et la généralisation de la loi du profit. Il faut que, dans ce pays, la solidarité l'emporte sur le chacun pour soi.

Il importe, pour refonder la surveillance financière, de consolider les politiques européennes tout en recherchant un autre partage des richesses. Face à la crise, partager devient nécessaire en France comme aux États-Unis, et la répartition de la valeur ajoutée doit être rééquilibrée en faveur des salariés. Certains avaient prôné un keynésianisme de riches mais les dépenses des plus aisés n'ont pas relancé la croissance parce que leur propension à épargner est plus forte, ce qui a gonflé une bulle spéculative. On a organisé la fuite des capitaux vers la spéculation, ce dont on paie aujourd'hui le prix. Alors que la baisse des prélèvements obligatoires n'a pas eu d'impact sur la croissance, il va falloir plus de solidarité, sauf à aggraver les déficits de manière vertigineuse : chacun devra contribuer, comme dit la Déclaration des droits de l'homme, en raison de ses facultés. Ce sera le cas avec l'impôt sur le revenu, dont le taux augmente avec les revenus. L'effort de répartition des richesses sera la condition nécessaire d'une amélioration durable de la situation. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Jean-Jacques Jégou.  - Un certain consensus se dégage des interventions de ce matin. L'ampleur de la crise financière qui a ébranlé les fondements du capitalisme financiarisé dans sa version anglo-saxonne impose de repenser la régulation et les valeurs d'un système qui a montré des défaillances inquiétantes et fait la preuve de son instabilité. Même ceux qui vantaient il y a peu les vertus du modèle capitaliste américain en ont pris conscience. Prenant acte de la faillite du système financier mondial, le G20 a dessiné, en novembre dernier, les contours d'un nouvel ordre financier mondial, avec pour objectif de parvenir à une meilleure régulation d'un secteur, la finance, qui avait pris une place démesurée dans le capitalisme contemporain. La production de nouvelles normes et le renforcement de la coordination économique mondiale permettront d'éviter, ou du moins de limiter fortement, la possibilité d'une nouvelle crise.

Au plan micro-économique, la crise a révélé les insuffisances de la production d'informations et des pratiques du secteur financier ; au plan macro-économique, elle illustre le danger des déséquilibres internationaux. Sur le fondement de ce diagnostic partagé, il faut repenser la régulation de la finance et redessiner les contours d'une gouvernance mondiale dont les institutions ont été conçues il y a plus de cinquante ans.

Les pays du G20 ont engagé à Londres les principaux chantiers de la régulation : encadrement des activités bancaires en période d'euphorie, amélioration des politiques de maîtrise du risque bancaire, encadrement des marchés de produits financiers sophistiqués, lutte enfin contre les paradis fiscaux.

La crise a d'abord révélé les insuffisances des normes prudentielles. Les crises récentes ont toutes résulté de l'éclatement de bulles formées par la distribution excessive de crédit par les banques, ou plutôt, dans le cas de celle que nous connaissons aujourd'hui, de prêts risqués accordés à une clientèle peu ou pas solvable. Il faut donc inciter les banques à constituer davantage de capital pendant les périodes d'euphorie, mieux contrôler aussi leurs prises de risques. Cela est possible en rémunérant leurs contrôleurs internes aussi bien que leurs traders, dont il faut encadrer les rémunérations ; en mettant en place des systèmes d'information rendant réellement compte de l'exposition aux risques et en rééquilibrant les incitations individuelles au profit du long terme. Les banques, principalement les banques d'affaires, doivent en outre disposer en permanence de suffisamment d'actifs de qualité.

Dans le domaine prudentiel, il importe de réviser les normes IFRS, sur lesquelles l'Europe a été bien complaisante, de sorte que marchés et valeurs restent en permanence en adéquation. Aux incitations défaillantes au sein des établissements financiers s'est ajoutée l'insuffisance de l'information financière. L'existence de marchés de gré à gré est un problème, dans la mesure où les transactions y sont opaques. Il est également nécessaire d'encadrer les produits dérivés ou structurés, dont la composition exacte échappe même à ceux qui les ont fabriqués.

Les agences de notation ont failli en diffusant de mauvaises informations, notamment en accordant des AAA à des produits financiers qui se sont révélé des créances pourries, produits que les investisseurs avaient cru pouvoir acheter sans risque. Il faut les réformer. Le G20 devra revenir sur leur identité et leurs modes de rémunération, car elles ont été un accélérateur de la crise.

Limiter la dissémination et l'opacité des risques financiers est un enjeu majeur de la régulation future. Il existe aujourd'hui un consensus politique international pour lutter contre les paradis fiscaux. On pourrait dire beaucoup de choses sur les listes qui ont été dressées, l'oubli des îles anglo-normandes par exemple ou de certains États de l'Union européenne. Mais il est clair que la meilleure régulation sera aisément contournée si les paradis fiscaux peuvent continuer à agir comme bon leur semble. Il faut intervenir à tous les niveaux, national, européen, mondial. En renforçant la complexité et l'opacité des instruments financiers, les paradis fiscaux ont contribué à accroître le risque. Ce propos vaut aussi pour les hedge funds, ces fonds spéculatifs enregistrés pour la plupart dans les îles Caïmans, qui sont pour une bonne part responsables de la panique boursière et de la volatilité des marchés financiers. Le G20 paraît, sur cette question, déterminé, même si on peut s'interroger sur l'absence dans la liste de l'OCDE de certains États américains, asiatiques ou européens, pourtant paradis fiscaux notoires.

Dans ce contexte, il me semble nécessaire de créer un superviseur européen des établissements financiers. Le silence de l'Europe a été assourdissant dans la période récente. Aujourd'hui, le contrôle est national, alors que les établissements bancaires développent leurs activités de façon transnationale. La multiplication des faillites a, à l'évidence, montré les défaillances du contrôle. Ce superviseur devra être indépendant des États et pourrait être rattaché à la BCE ; il pourrait donner son agrément aux agences de notation. Il est la condition d'une bonne prévention. Tout nous appelle à une gouvernance économique européenne.

Il apparaît enfin indispensable de renforcer la gouvernance économique mondiale. Les déséquilibres mondiaux, qui ont largement alimenté la crise, sont en partie le résultat de politiques monétaires et de change non coopératives. Devant le risque de déflation, les États doivent oeuvrer de façon coordonnée à une relocalisation des liquidités émanant des pays émergents. Si le G20 n'a pas abordé cette question, ce qu'on peut regretter, il a décidé de confier la coordination au FMI avec des moyens renforcés.

La crise financière internationale, en mettant fin au mythe de l'autorégulation des marchés, a replacé les États et donc la politique au centre du jeu. C'est une bonne chose. Reste à s'assurer que les engagements pris seront tenus et se traduiront par de nouvelles règles financières internationales. Le prochain rendez vous du G20 sera l'occasion de le vérifier. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Les orateurs qui m'ont précédé ont parfaitement rendu compte des conclusions du groupe de travail mixte Assemblée nationale-Sénat ; ils ont précisé les causes de la crise et dessiné des perspectives de sortie de crise. Il faut noter, parmi les résultats positifs du G20 et des initiatives du Président de la République, le renforcement, partiellement entré dans les faits, des moyens du FMI, qui avait plutôt cédé devant le développement de l'innovation financière aux États-Unis ; l'entente franco-allemande sur les mesures de régulation et une meilleure coordination de l'action des banques centrales, qui ont dès le début de la crise pris des initiatives communes.

J'ai cependant quelques inquiétudes, qui me font redouter des lendemains moins triomphants qu'on ne le dit généralement. Je partage d'abord le sentiment du directeur général du FMI, M. Strauss-Kahn : le nettoyage des actifs bancaires n'est pas achevé.

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Cette question est bien plus importante que celle des bonus et autres rémunérations des dirigeants. Nous ne savons pas encore tout ce qu'il y a dans le bilan des banques et hors de leur bilan. Nous avons hier auditionné le dirigeant d'une grande banque en cours de constitution, qui a évoqué un déficit de 400 millions d'euros dû à des opérations à risque sur des produits inventés outre-Atlantique par M. Madoff... Je crains qu'on ne découvre encore ici et là de grandes quantités d'actifs toxiques, qu'il faudra nettoyer et sans doute pas au travers d'une structure de défaisance -nous ne sommes toujours pas sortis de celle mise en place pour le Crédit lyonnais.

Il faut obliger toutes les banques, françaises et européennes, à indiquer la part de produits toxiques présents dans leur bilan. Cela n'a pas été fait et cela pèse sur la sortie de la crise.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Absolument.

M. Jean-Pierre Fourcade.  - Ensuite, je regrette que les pays européens, et surtout ceux de la zone euro, n'aient pas été unanimes durant le G20. Si la présidence française a permis de redynamiser l'Europe, la coordination demeure insuffisante. Une application rapide du traité de Lisbonne est nécessaire pour donner plus de force à l'exécutif européen.

Enfin, personne ce matin, sauf peut-être Jean-Jacques Jégou, n'a rappelé que les dirigeants chinois ne vont pas, à l'infini, financer le déficit américain. Il faut trouver une autre monnaie de réserve que le dollar, car les rapports de change entre l'euro, le dollar, le yuan et la livre sterling, stables depuis deux ou trois ans, risquent de varier. Les efforts accomplis par le biais des plans de relance, risqueraient alors d'être réduits à néant. Le G20 n'a pas osé aborder ce problème. Il ne s'agit pas de revenir à des changes fixes -j'ai moi-même signé, il y longtemps, les accords de la Jamaïque- mais de mieux les maîtriser.

Si les indicateurs économiques repassent au vert, le rapport entre le dollar et l'euro pourrait passer de 1,3 à 1,5 ou 1,6. Nous exporterions moins et nous aurions de grandes difficultés pour équilibrer les comptes. Je crains fort que la relance initiée par le Président Obama ne fasse baisser le dollar, et nous connaissons l'aptitude des Américains à ne pas défendre leur monnaie. Une épée de Damoclès pèse sur nous. Je souhaite donc que le gouvernement français, en liaison avec l'Allemagne et avec ses autres partenaires, tienne compte de cette préoccupation au prochain sommet, en septembre.

Il n'est pas bien vu de ne pas s'exclamer sur le succès du G20, mais trop de problèmes restent en suspens. Nous devons faire preuve de lucidité. La réunion de septembre devra accomplir de sérieux progrès pour contribuer à sortir de la crise. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)

M. Richard Yung.  - Je me réjouis de ce que nous soyons maintenant un peu plus nombreux dans l'hémicycle...

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Les débats les plus importants sont ceux où nous sommes les moins nombreux !

M. Richard Yung.  - Un sujet aussi crucial mérite une participation active. Le sommet a été un succès sur le plan diplomatique.

M. Jean Arthuis, co-président.  - C'est encourageant.

M. Richard Yung.  - Il a redonné un sens au concept de multilatéralisme : il n'y a plus une seule omnipuissance mondiale. Toutefois, l'Union européenne en a été la grande absente. Le coeur de tous les vrais européens a saigné en voyant la Chine, et non l'Europe, y occuper la deuxième place. C'est la faute de l'Europe elle-même : la commission manque d'allant, José Manuel Barroso traîne un peu la jambe, mais le problème est aussi celui des États qui n'arrivent pas à s'entendre. Une politique économique coordonnée est nécessaire, mais rien ne se passe. Il ne suffit pas de sauter sur sa chaise en répétant qu'il faut une politique économique...

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Cela me rappelle quelque chose ! (Sourires)

M. Richard Yung.  - Le cabri...

Chaque État connaît des problèmes différents : l'Allemagne avec ses exportations, la France avec son marché intérieur et son appareil de production, l'Espagne avec l'explosion de sa bulle immobilière et le Royaume-Uni reste le Royaume-Uni.... Les politiques ne peuvent donc être les mêmes, mais il est possible de les coordonner.

Le problème des actifs toxiques reste entier : le système bancaire n'a été nettoyé ni aux États-Unis, ni en Allemagne...

Mme Nicole Bricq.  - Ni en France.

M. Richard Yung.  - Ni en Grande-Bretagne, même si un effort a été fait.

La France, elle, aurait échappé aux actifs toxiques comme au nuage de Tchernobyl ! Nous en avons pourtant : du fait de la titrisation, chaque achat d'un produit financier comporte 10 à 15 % d'actifs toxiques. Je pense pourtant, comme Warren Buffet, qu'il ne faut pas acheter ce que l'on ne comprend pas.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Buffet a subi lui aussi de très lourdes pertes !

M. Richard Yung.  - Que fait la France ? En Allemagne, Angela Merkel a instauré un double système de structures de défaisance : un consortium pour les banques privées, avec peut-être la garantie d'État, et un autre consortium, que devront constituer les banques des Länder, sans cette garantie. Ce modèle n'est pas transposable en France, mais il faut redescendre sur terre : une banque recueille des dépôts pour les transformer en prêts à l'économie. Dexia illustre les excès de la spéculation : l'ancien Crédit local, banque de père de famille qui prêtait aux communes, s'est retrouvé avec 800 millions d'euros investis dans des opérations de spéculation.

Mme Nicole Bricq.  - C'est un scandale !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Les banques ont été privatisées !

M. Richard Yung.  - L'argent a rendu fous les banquiers.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Permettez-moi de vous interrompre mais nationalisation et privatisation sont des concepts d'un autre temps. Nous avons auditionné hier le nouveau président du groupe Banque populaire-Caisse d'épargne : parmi les actifs les plus douteux de Natixis, certains ont été acquis par la Caisse des dépôts et consignations avant 2002. Cet établissement public totalement aux mains de l'État a pris des risques très importants aux États-Unis. Etre la propriété de l'État n'est pas une vertu en soi ! Ce dernier ne constitue pas un paravent permettant d'éviter les erreurs.

Certaines banques nationales, directement gérées par des fonctionnaires, ont commis de graves fautes par le passé.

M. Robert Hue.  - C'est un problème de critères de gestion... On a voulu leur appliquer les méthodes du privé !

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - La question me semble plus compliquée. D'où ma volonté d'instiller un doute dans votre esprit...

M. Jean-Paul Emorine.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Soit. Mais qui paie commande.

M. Richard Yung.  - Dans mon esprit, le problème n'est pas celui de la propriété publique ou privée. Simplement, ne confondons pas tout ! S'il s'agit de spéculer, il existe des structures dédiées.

M. Jean Arthuis, co-président.  - D'où la séparation entre banques de dépôt et d'investissement !

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Juste ! Au reste, l'État lui-même spécule très bien.

M. Richard Yung.  - Le renforcement des moyens du FMI est une excellente mesure pour peu que les conditions d'octroi des aides soient assouplies afin de ne pas placer les États dans de plus grandes difficultés encore, comme cela a été le cas en Afrique dans le passé. D'ailleurs, le FMI a déjà commencé de modifier son approche.

Concernant les paradis fiscaux, la situation est extraordinaire : la liste noire a fondu, elle s'est soudainement évaporée dans les sables...

Mme Nicole Bricq.  - Elle est devenue grise !

M. Richard Yung.  - Et seuls les petits poissons ont été pris dans la nasse... (Sourires) L'article 24 des anciens accords du Gatt donne un mandat de négociation. Comment le Gouvernement entend-il négocier avec les pays figurant sur la liste grise ? Il y a fort à parier que ces États, une fois rayés de la liste, prennent leurs jambes à leur cou...

Enfin, la sortie de la crise. Cette crise, que nous espérons la plus courte possible, met en jeu des sommes gigantesques. Quand la croissance reviendra, aurons-nous la force d'être vertueux ? Je le souhaite. Car la tentation de l'inflation est grande ; cette inflation, d'abord indolore, mais à terme mortelle ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur quelques bancs au centre et à droite)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement.  - Je me réjouis de participer à ce débat d'un genre nouveau, qui illustre le renforcement des pouvoirs du Parlement, voulu par le Président de la République, à l'occasion de la dernière révision constitutionnelle. Le travail effectué par le groupe parlementaire sur la crise financière est remarquable et nombre de ces recommandations ont été reprises dans le communiqué final du G20. Je vous remercie des propos aimables tenus à l'endroit de Mme Lagarde, dont je vous prie d'excuser l'absence. Depuis le début de la crise, elle a voulu être totalement transparente vis-à-vis du Parlement. (Marques d'approbation à droite)

Ce G20 est une étape historique.

Mme Nicole Bricq.  - On verra !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Chefs d'État et de gouvernement de 20 pays, représentant 85 % de la population, étaient rassemblés en un même lieu. Que de chemin a été parcouru depuis vingt ans quand deux blocs s'affrontaient, quand la Chine jouait sa partition hors du concert des nations, quand l'on considérait que la pauvreté était un mal endémique !

Le G20 constitue une bonne nouvelle pour la démocratie. Il a réaffirmé la primauté du politique sur l'économique, soit le retour du pouvoir légitime, celui du peuple. Et, pour l'heure, la crise, si violente soit-elle, n'a pas eu les effets politiques dévastateurs de la crise des années 1930 : aucun gouvernement élu n'a été renversé.

Le G20 est une réunion historique en ce qu'il a permis de dégager des consensus forts sur l'économie de marché comme seul système viable, la nécessité de réguler l'économie financière au moyen d'une approche internationale, collaborationniste et multinationale et le refus du protectionnisme. Ensuite, certains pays connaissent une inflexion idéologique. L'intervention de l'État n'est plus une question taboue. Pour preuve, d'après le directeur du FMI, l'effort budgétaire des différents États en matière de relance en 2009 est assez homogène ; il équivaut en moyenne à 2 % du PIB, 2,4 % pour la France.

Le G20 a marqué un retour de l'Europe sur la scène internationale. Faisant suite au premier sommet réuni à Washington après que Nicolas Sarkozy, alors Président de l'Union européenne, en a proposé le principe lors de son discours aux Nations Unies, le Sommet de Londres a été l'occasion de réaffirmer l'importance de l'axe franco-allemand : l'Union a soutenu les propositions contenues dans la déclaration conjointe du conseil des ministres franco-allemand du 12 mars.

J'en viens aux décisions du G20 en matière de régulation et de redéfinition du rôle des institutions internationales, fort proches des propositions formulées par votre groupe de travail parlementaire. La régulation a fait l'objet d'une déclaration spécifique de six pages, contenant un plan d'action. Désormais, la régulation s'appliquera à tous les territoires, notamment les fameux paradis fiscaux qui accueillent deux tiers des fonds spéculatifs. Nous avons obtenu que l'OCDE mette au point une liste noire. Ce travail a porté rapidement ses fruits puisque les pays concernés -le Costa Rica, la Malaisie, les Philippines et l'Uruguay- s'étant engagés à coopérer sont passés de la liste noire à la liste grise. Ensuite, la régulation s'étendra aux hedge funds. Ces acteurs, qui contrôlent 1 200 milliards de dollars de placement et 50 % du volume des transactions sur certains marchés, peuvent fragiliser le secteur bancaire aidé par l'État. Il a donc été prévu de mieux les encadrer : leur immatriculation sera obligatoire et les engagements bancaires contrôlés. Même logique concernant les agences de notation qui, par leur mauvaise appréciation des risques, ont concouru à la crise actuelle : elles seront enregistrées, devront respecter un code de bonne conduite et employer des méthodes de notation différentes selon la nature de l'objet noté : État, entreprise, produit... Enfin, les particuliers seront également soumis à une régulation. De fait, il convient de lier la rémunération des traders à leurs performance réelles afin d'éviter des opérations totalement hasardeuses qui n'auraient jamais dû voir le jour.

Enfin, il nous faut mettre en place un système de coopération international afin d'avoir une vision consolidé des groupes multinationaux qui ont une importance systémique. Le FMI, outre son rôle d'aide aux pays émergents, continuera d'avoir pour tâche de limiter les risques financiers et les déséquilibres macro-économiques, en collaboration avec le nouveau conseil de la stabilité financière, dont les missions seront plus larges que l'ancien forum de stabilité financière.

Ces organisations présenteront deux fois par an une carte des risques économiques et financiers. Nous disposerons ainsi, au sein du Financial Stability Board, d'une véritable capacité de contrôle des risques. Les institutions seront plus fortes, plus inclusives aussi : le nouveau forum est élargi à l'Espagne et à la Commission européenne et le FMI reverra la quote-part de chaque État à son capital. Bref, des avancées ont été acquises au G20, même si nous aurions souhaité aller plus loin.

La déclaration mentionne la nécessité de revoir la référence retenue lorsque la valorisation au prix de marché n'a plus de sens. (M. Philippe Marini, co-rapporteur, renchérit) Il convient aussi de constituer davantage de réserves de fonds propres en période de croissance, au lieu de relever les seuils lorsque la situation se dégrade, autrement dit lorsque l'économie a un besoin accru de crédits.

La place de Paris a bien résisté, grâce à un cadre de supervision souple mais rigoureux. Les banques françaises sont solides, saines, elles n'ont dans leurs livres qu'un montant limité d'actifs toxiques...

M. Robert Hue.  - Qu'en savons-nous ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - La résistance de notre système dans la crise tient à la qualité du contrôle bancaire et assurantiel et à l'intervention des pouvoirs publics, avec des dispositifs simples -un mécanisme de garantie- et ciblés sur la consolidation des fonds propres.

Ceux qui sont rompus à l'exercice de la négociation internationale reconnaîtront le caractère inédit de ce G20, dans sa forme comme dans la rapidité des décisions prises. Les pays participants ont dépassé les déclarations de principe pour donner des gages de leur volonté de réforme. La crise aura été l'occasion de repenser un système qui, par manque de régulation, a mené l'économie au bord du gouffre. Il faut désormais réorienter nos économies vers un modèle capitalistique plus entrepreneurial, plus respectueux des équilibres de long terme, plus juste et plus efficace. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Bricq.  - Lors de leur rencontre, les membres du groupe de travail et le Président de la République ont évoqué la possibilité de résoudre le problème des actifs toxiques par le moyen, suggéré également par Mme Merkel au plan européen, d'un consortium privé d'établissements qui mutualiseraient leurs mauvais actifs. L'État fournirait-il alors sa garantie ? Je suis convaincue, comme M. Strauss-Kahn, que la paralysie du crédit demeurera aussi longtemps que l'on n'aura pas résolu le problème des actifs toxiques. Il n'y a pas d'exemple de sortie de crise sans un tel nettoyage. Vous avez entendu M. Fourcade, cette préoccupation est partagée sur tous les bancs. Le ministère de l'économie a-t-il procédé à une évaluation de cette idée du Président de la République ?

Si nous ne traitons pas le problème, nous nous traînerons, comme l'a fait le Japon pendant dix ans, avant de sortir de la crise...

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Le système de bad bank peut être utile aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais il n'est pas très adapté à la situation des banques françaises, lesquelles disposent encore de marges de manoeuvre pour absorber de nouvelles dépréciations d'actifs. Ce nouveau mécanisme de garantie n'est pas à l'ordre du jour. Le Président de la République a dit que si le système bancaire souhaitait mettre en place une telle structure de mutualisation, il étudierait la question. Mais le Gouvernement ne propose nullement de créer une bad bank.

M. Thierry Foucaud.  - Il y a eu deux catégories d'oubliés au G20. D'abord, les salariés : ils servent de variable d'ajustement pour permettre à quelques entreprises de se refaire une santé. Carlos Ghosn, le 14 avril, déclarait à un journal anglo-saxon, le Times, que la crise lui offrait l'occasion de faire passer des réformes qu'il n'aurait pu accomplir auparavant : et de fait, il a pu revenir sur la réduction du temps de travail et abaisser le niveau des salaires...

Ensuite, les pays du Sud vont gravement souffrir de la crise. Le Monde de l'économie annonce que 55 à 80 milliards de personnes supplémentaires vont tomber dans l'extrême pauvreté. Assurer l'accès de tous les hommes à l'eau potable coûterait chaque année un dixième de la somme perdue par AIG, soit 100 milliards. Quelles initiatives la France peut-elle prendre, au sein de la Cnuced notamment, en vue de sortir de la grave crise économique, sociale, sanitaire qui frappe aujourd'hui la planète ? Entend-elle inciter ses partenaires de l'Union européenne à répondre aux attentes légitimes des peuples du Sud, en cessant de rejeter l'immigration économique, en mettant un terme au pillage des ressources naturelles et en définissant des politiques partenariales mutuellement avantageuses ?

Enfin, que pensez-vous des tentatives pour faire contrepoids à la domination du dollar comme monnaie commerciale internationale -je songe au projet de monnaie unique sud-américaine ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - La crise est effectivement d'une violence inouïe et les salariés en sont les premières victimes. Notre politique consiste à préserver l'outil industriel et les compétences techniques ainsi que le capital humain. C'est le sens des mesures qui visent à maintenir le lien entre le salarié et l'entreprise, par exemple la revalorisation de l'indemnisation du chômage partiel à 90 % du salaire...

M. Thierry Foucaud.  - A Sandouville, certains salariés sont contraints de travailler plus d'heures tandis que d'autres sont mis au chômage !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Chaque fois que cela est possible, le lien est maintenu. L'État a aussi augmenté sa part dans l'indemnisation, afin d'alléger la charge des entreprises. C'est un geste de solidarité.

Les quatre millions de foyers qui percevront le RSA au 1er juillet prochain ont également reçu une prime. Et la première tranche de l'impôt sur le revenu ayant été supprimée, certains foyers n'auront pas à payer de deuxième ni de troisième tiers provisionnel.

Le Président de la République a voulu que les pays dits émergents soient associés le plus possible, et la composition du G20 a fait l'objet d'âpres négociations avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Le Brésil, la Chine, l'Inde ont été présents. Au bout du compte, 85 % de la population mondiale était représentée !

M. Robert Hue.  - Et l'Afrique ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - L'Afrique du Sud était présente.

Les ressources du FMI vont être augmentées, au profit des pays pauvres. Mme Lagarde a récemment réaffirmé à Ouagadougou notre soutien à la zone Franc. Le message de la France au G20, au FMI ou à la Banque mondiale est d'appeler à prendre en compte la situation des pays d'Afrique.

M. Albéric de Montgolfier.  - Le G20 s'est engagé à tripler les moyens octroyés au FMI. Pouvez-vous nous préciser le montant et la nature de l'engagement de la France : s'agit-il d'une dépense budgétaire ou d'une ligne de trésorerie sur la Banque de France ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Le Conseil européen de mars dernier s'est engagé sur une contribution de 75 milliards d'euros. A Washington, Mme Lagarde a signé avec M. Strauss-Kahn une lettre d'intention prévoyant une contribution de la France à hauteur de 15 milliards de dollars. Nous mobilisons 1 milliard supplémentaire à destination des pays les plus pauvres, notamment en Afrique subsaharienne.

Nous mettons en place une ligne de crédit à la Banque de France, qui sera tirée en fonction des besoins. L'opération n'a donc pas d'impact budgétaire.

M. Jean-Jacques Jégou.  - Le ministre s'est félicité des avancées du G20 de Londres, mais ne frise-t-on pas la caricature en parlant de paradis fiscaux dont la plupart des gens ignorent l'existence, comme les îles Turques-et-Caïques, alors que de vrais paradis fiscaux comme la place de Londres ou les îles anglo-normandes ne sont pas cités ? Derrière la satisfaction de façade, n'y a-t-il pas des choses plus sérieuses à faire ?

Vous avez reconnu les limites du système IFRS. Les Anglo-saxons, qui défendaient ces normes, ont été les arroseurs arrosés... Étant donné l'absence de reprise des relations interbancaires, ne faut-il pas prévoir des dérogations et apporter des modifications au système, circonstancielles ou structurelles ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Reconnaissez que le G20 a accompli des progrès considérables concernant les paradis fiscaux. C'en est fini du secret bancaire. Il faut désormais concrétiser ces engagements, dont le G20 assurera le suivi. La France demandera aux pays de la liste grise d'engager des négociations pour se conformer aux standards de l'OCDE. Les îles anglo-normandes ont signé une convention en la matière.

Sommes-nous allés assez loin sur les normes comptables ? Il y a un an, nous étions très isolés sur le sujet. Depuis, nous avons obtenu des avancées au niveau européen.

Mme Nicole Bricq.  - Il faut que ce soit mondial !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Le conseil Ecofin de Prague a appelé l'IASB à prendre en compte l'impact de la crise financière et a menacé de réviser le règlement de 2002 qui lui confie l'élaboration des normes.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Le sort de nos industries est une question très sensible. Avec des écarts de salaires de un à huit à l'échelle européenne, et de un à vingt à l'échelle mondiale, quel peut être l'avenir de notre industrie automobile ? Avons-nous les moyens de la sauvegarder ? A Vesoul, le Président de la République a dit avoir découvert avec effroi que nous étions devenus déficitaires dans ce secteur. Nous ne produisons plus que deux millions d'automobiles, contre trois au début de la décennie. Avec l'affaissement du dollar, la question de la protection de cette industrie se pose, même si pour l'heure, la concurrence est intra-européenne plus qu'asiatique.

Quels sont les moyens mis en oeuvre ? Le fonds d'investissement spécialisé, le fonds de soutien aux équipementiers, alimenté par l'État, par Peugeot et Renault, suffiront-ils ? Quid des entreprises qui souffrent, qui, dans ma région, ne trouvent pas de repreneurs ? Ne doit-on pas sensibiliser Peugeot, par exemple, à la nécessité de maintenir le tissu productif ? Quid de la taxe carbone ? La disparition de notre industrie automobile aurait des répercussions sur la sidérurgie, le caoutchouc, l'électronique, etc... C'est une question stratégique ! De quels moyens disposez-vous ?

A entendre les déclarations de Londres, reprises par la Commission européenne, ultralibérale et dogmatique, on se dit que nous ne sommes décidément pas défendus ! Nous sommes sans défense, pieds et poings liés, sans pouvoir préserver le coeur de notre industrie !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Nous croyons à l'avenir de l'industrie automobile en France, mais à plusieurs conditions. C'est l'objet du pacte automobile présenté à l'Élysée le 9 février dernier. L'urgence était de répondre à la gravité de la crise dans ce secteur, le premier à avoir été frappé par la violence de la crise car très demandeur de financements. Mais la crise est aussi structurelle : compétitivité, adaptation de l'offre à la demande, évolution en matière environnementale, c'est l'ensemble du modèle économique de notre construction automobile qu'il faut repenser. Parmi les mesures de court terme, nous apportons des moyens financiers pour les constructeurs, des liquidités pour les sous-traitants, un encouragement au chômage partiel. Parmi les mesures plus structurelles figurent la suppression de la taxe professionnelle...

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Ça, ce n'est pas fait !

Mme Nicole Bricq.  - Ce n'était pas à dire !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - ...la promotion du lean management et lean manufacturing, pour améliorer la productivité dans l'organisation de la production et le développement des véhicules propres, autour de consortiums, car il faut une solution française sur le véhicule du futur.

Oui, il y a des entreprises qui souffrent dans votre région. J'étais dernièrement à Besançon pour installer le commissaire à la réindustrialisation, relai des services de l'État chargé d'anticiper et de rechercher des repreneurs. Depuis le début de la crise, ce sont 22 000 emplois qui ont été sauvés de la sorte. Nous étudions toutes les hypothèses de reprise potentielle, dans la discrétion, qui est souvent la condition du succès. Faute de réussite, l'État veille à l'accompagnement social. On ne ferme pas une usine en quinze jours en France, les salariés ont des droits !

C'est en réindustrialisant, par la revitalisation (M. Philippe Marini, co-rapporteur, approuve) que l'on évitera ces drames humains. Ce sera le rôle des commissaires.

M. Jean Arthuis, co-président.  - La vraie question est celle de la sortie de crise. Comment, demain, parviendrons-nous à mieux équilibrer nos niveaux de consommation et de production ? La crise nous éclaire sur nos contradictions. Dans notre conception de l'économie de marché, nous voulons à la fois parvenir aux prix les plus bas -la lutte contre la vie chère, quand on est Premier ministre, se vend bien politiquement- et maximiser les profits. Or, compte tenu de l'état de notre réglementation, de notre protection sociale, de la nécessité de financer ses branches santé et famille, nous chargeons la production de contributions, accessoirement de la taxe professionnelle, augmentant ainsi le prix de revient de ce que nous produisons. Comment cette contradiction est-elle surmontée ? Par les délocalisations. Même s'il paraît qu'elles comptent pour rien, puisqu'à en croire M. Blanchard, économiste en chef du FMI, l'avenir est à l'économie de la connaissance... Allez expliquer cela aux ouvriers qui perdent leur boulot... Et voilà comment on pousse des milliers d'hommes et de femmes au chômage. Gardons-nous d'oublier que l'emploi est un ensemble très divers, avec des niveaux de valeur ajoutée très contrastés.

On désindustrialise massivement ; on recourt massivement à l'emprunt pour financer les déficits publics : comment sortir de cette contradiction ? Il faut rendre sa compétitivité au travail. Il y a quelques années, on nous expliquait que la délocalisation de Renault en Roumanie pour la fabrication de la Logan ne posait pas de problème puisqu'il s'agissait d'un véhicule destiné aux conducteurs des pays de l'Est. Trois ans plus tard, on ne comprend pas pourquoi on prive les Français d'une voiture si bon marché... Mais aujourd'hui, quand les constructeurs lancent leurs appels d'offres auprès des équipementiers et des sous-traitants, les offres qui ne comportent pas au moins 70 % de production hors de France ne sont pas prises en considération.

Il faut mettre fin à l'hypocrisie pour que les forces du conservatisme et de l'immobilisme renoncent à leurs revendications et qu'ensemble nous construisions, au-delà d'un seul pacte automobile, un véritable pacte social.

Sur la question du protectionnisme, permettez-moi de vous conter notre rencontre, à New York, avec l'association des banques étrangères, non américaines. Il existe, aux États-Unis, deux programmes importants, le Tarf et le Talf, l'un destiné à la reprise des actifs toxiques, l'autre à des opérations non moins complexes de « shadow banking ». Eh bien, nous avons appris que le Trésor américain a décidé que ces opérations ne seront possibles qu'au profit des banques américaines. Déclarations du G20 ou pas, si ce n'est pas là du protectionnisme...

Je suis pour l'économie de la connaissance, mais ce n'est pas elle qui nous donnera le moyen de rendre leur rôle dans l'entreprise à tous ceux qui perdent leur job à cause de la désindustrialisation. Sans compter que c'est se leurrer que de penser que la recherche sera dynamique là où il n'y a pas d'industrie.

Alors, monsieur le ministre, la taxe professionnelle, d'accord, mais il faut nous indiquer quelles voies vous entendez emprunter pour aller au-delà.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - Sur les paradis fiscaux, sur la politique commerciale, on ne peut s'en tenir aux principes généraux et aux bonnes intentions. Il faut être très attentif.

Il est facile au gouvernement des États-Unis, quand il se rend compte de la perte de ressources fiscales que provoquent dans son budget les paradis fiscaux, de faire politiquement pression, hors toute convention, sur ces territoires qui sont souvent très dépendants de lui. Mais cela ne peut suffire. Pour nous, Européens, des règles du jeu doivent prévaloir, qui assurent assistance administrative et transmission de l'information. Je souhaiterais que dans toutes les procédures fiscales et civiles, on mette autant d'insistance à l'édiction de telles règles que dans le domaine pénal. Il existe, en Suisse, une loi très contraignante sur l'entente internationale en matière pénale. Ces dispositions, adaptées à la procédure fiscale, seraient tout aussi efficaces... J'attends du Gouvernement qu'il soit tenace, pugnace et ne se contente pas de déclarations de bonnes intentions. On doit pouvoir élargir la brèche.

En matière de politique commerciale, nous sommes confrontés à la question de la division internationale du travail. Il est vrai qu'à Washington, M. Blanchard, l'économiste en chef du FMI, nous a déclaré sans vergogne que les économies des pays développés allaient devoir se redéployer vers l'économie de la connaissance, qui serait leur horizon. On a beau répliquer qu'il n'est pas évident que toutes les qualifications s'adaptent, cette vision mécanique, inéluctable, idéologique, disons-le, demeure. Monsieur le ministre, il faut sortir, sur ces sujets, du politiquement correct. Se pose le problème de la définition d'une stratégie européenne en matière de politique commerciale. Ce problème, au-delà de la zone euro, est celui des Vingt-sept. Si l'Europe ne sait pas clarifier ses structures, ses fonctions, ses responsabilités, comment pourra-t-elle prétendre jouer le rôle de pôle de stabilité dans le monde ? Si l'on se contente de raconter aux électeurs des choses plus ou moins fausses, l'Europe deviendra le bouc émissaire dans tous les débats, surtout si la crise s'approfondit.

Pour la crise financière, même si l'on n'a pas encore circonscrit tous les actifs toxiques, le processus de correction est en cours. Mais la crise de l'économie réelle est encore devant nous, ainsi que nous en avertissent, à juste titre, nombre d'économistes. Vous le savez, monsieur le ministre, qui êtes aux prises avec des problèmes sociaux et industriels de grande ampleur, et, pour vous avoir vu à l'oeuvre dans un conflit avec lequel je suis moi-même aux prises, je sais votre courage et votre pugnacité.

Nous savons que ce que l'on nous annonce se concrétisera à terme. Nous savons que les statistiques du chômage s'aggraveront longtemps encore de façon significative ; que cela alimentera les anticipations défavorables...

Le vrai problème, face à cela, est celui de la compétitivité de nos entreprises. On ne tranchera pas le débat européen sans clarifier le sujet. Je rejoins donc le président Arthuis -sauf sur la taxe professionnelle (sourires)- pour vous demander quelle est votre vision, monsieur le ministre, pour franchir cette période difficile.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - La réponse réside dans une industrie plus compétitive et plus innovante. (M. Jean Arthuis, co-président, approuve)

Mme Nicole Bricq.  - Nous avons quinze ans de retard.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Nous ne tirerons pas le pays vers le haut sans son industrie. Le Président de la République l'a dit, il ne croit pas à l'avenir économique d'un pays dépourvu d'industrie.

Les mesures que nous avons prises depuis deux ans vont bien dans ce sens : la suppression de l'impôt forfaitaire annuel, à hauteur de 5 milliards, doit rendre aux entreprises une compétitivité nouvelle (M. Jean Arthuis, co-président, manifeste son scepticisme; la multiplication par trois du crédit impôt recherche nous fera gagner de 0,2 à 0,3 point de PIB en innovation...

Mme Nicole Bricq.  - On en fera le bilan.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - ...portant la recherche et développement à 2,5 ou 2,6 points. Il faudra, il est vrai, d'autres mesures encore pour atteindre l'objectif de Lisbonne.

Le président de Sanofi-Aventis, que j'ai rencontré hier, m'a assuré que ces mesures ont guidé son choix d'investir dans notre pays.

Lorsque nous exonérons de charges sociales toute entreprise de moins de dix salariés qui en embauche un nouveau, nous favorisons encore la compétitivité de nos entreprises. Et, dans le cadre des 11 milliards du plan de relance, les dispositifs d'aide à la trésorerie des entreprises contribuent à soutenir leur activité et leurs investissements.

Nous avions besoin de mesures structurelles : nous en avons pris et nous continuerons à le faire. Mais il nous faut aussi du volontarisme. C'est ainsi, par exemple, que dans le cadre du Pacte automobile, nous avons exigé et obtenu des donneurs d'ordre du secteur automobile qu'ils cessent de demander à leurs fournisseurs sous-traitants qu'une partie de leur production vienne de pays à bas coûts salariaux.

Monsieur le rapporteur général, nous voulons obtenir la coopération de tous les pays, sans exception, y compris en matière d'entraide administrative. Le Luxembourg vient de décider de traiter de la même manière les questions d'entraide administratives et d'entraide judiciaire. C'est un progrès ; désormais, le secret bancaire ne pourra plus être opposé.

J'ai conscience moi aussi du désarroi et de la souffrance des salariés. La situation sera d'autant plus difficile qu'on verra s'amorcer un signe de reprise car nous savons qu'il existe toujours un décalage entre les premiers frémissements de celle-ci et leur impact sur l'emploi et les restructurations industrielles qui, malheureusement, continueront encore plusieurs mois après.

On constate quand même la bonne tenue de certains indicateurs : la consommation des ménages, par exemple, le déstockage des entreprises, qui devrait entraîner un rebond technique, ou l'amélioration des conditions de financement. Même s'il faut rester prudent, on peut juger que c'est encourageant.... (Applaudissements à droite)

M. Jean Arthuis, co-président.  - Je me réjouis de la qualité du débat de ce matin et je me réjouis que cette crise ait eu pour effet d'approfondir notre réflexion de parlementaires. Merci, monsieur le ministre, pour votre présence, pour votre écoute et pour la précision de vos réponses.

Je me réjouis enfin de l'initiative du président Larcher d'avoir constitué ce groupe de 12 députés et 12 sénateurs, au-delà des considérations partisanes et en respectant la diversité de toutes nos familles politiques. Nous voyons naître ainsi une nouvelle forme de réflexion parlementaire, faisant fi des clivages traditionnels et permettant un diagnostic partagé et la formulation de propositions consensuelles. La supranationalité de la crise nous pousse sans doute à sortir, enfin, des tranchées partisanes...

Cela nous a permis, également, de prendre la mesure de nos obligations dans ces matières monétaires et financières, qui jusque-là restaient le fait de quelques spécialistes. Les acteurs du monde financier étant plutôt adeptes de l'autorégulation, ils avaient l'habitude de se réunir entre spécialistes, à Bâle par exemple, et à définir entre eux les guides de bonne pratique. Ils venaient certes de temps en temps au Parlement, pour la transposition d'une directive par exemple ou un texte législatif, mais sans jamais pousser la réflexion assez loin pour que nous puissions en présenter les enjeux dans nos circonscriptions. Cette crise nous fait comprendre la nécessité de nous réapproprier les problèmes monétaires et financiers. Nous avons mesuré les limites de l'autorégulation et la nécessité, pour l'État, de se replacer au coeur du dispositif. Mais nous mesurons combien, si chaque État prend des dispositions isolément, tout cela demeurera inefficace, car l'activité économique ignore les frontières.

Le G20 a été une réussite. Mais il a aussi été un ensemble d'annonces qu'il faut maintenant faire vivre, notamment pour ce qui concerne les paradis fiscaux. Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ? Le département de la Marne a naguère été un paradis fiscal pour les vignettes automobiles ! Mais il ne pratiquait pas le secret bancaire... Paradis fiscal et secret bancaire sont les deux complices de l'évasion fiscale, destructrice du pacte républicain. J'ai eu récemment une discussion, assez vive, avec des collègues luxembourgeois : signe de l'évolution des mentalités... Il faudra aller jusqu'au bout.

De même pour la supervision prudentielle et les produits financiers. Nos institutions financières les plus illustres se sont fait piéger de façon stupéfiante par les agences de notation. Natixis, fleuron de la créativité financière (sourires), a perdu plus de 400 millions dans l'affaire Madoff, du fait d'une cascade de produits et de commissions dérivés et indirects.

M. Philippe Marini, co-rapporteur  - Ils n'y ont rien compris !

M. Jean Arthuis, co-président  - Nous autres, Européens, pourrions commencer par transcrire et par appliquer toutes les louables dispositions que nous recommandons au reste du monde. Si nous voulons être crédibles ailleurs, commençons par faire le ménage chez nous, à Monaco, en Suisse, au Luxembourg, en Andorre.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Et Chypre !

M. Jean Arthuis, co-président.  - Notre groupe poursuivra donc sa tâche, fera sans doute un peu de diplomatie parlementaire, au Luxembourg, par exemple, en Autriche ou en Suisse.

M. Philippe Marini, co-rapporteur.  - L'île de Man, aussi, doit être agréable...

M. Jean Arthuis, co-président.  - Voilà qui doit nous rassembler. Cette crise était peut-être nécessaire pour que nous cessions de marcher sur la tête, de nous raconter des histoires et de poursuivre une politique virtuelle. (Applaudissements à droite)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Je rends hommage à votre assemblée, à ce groupe de travail et au Président Larcher qui en a eu l'initiative et que je remercie d'être présent ce matin. Ce groupe de travail a permis de définir des objectifs communs et d'arriver à des propositions unanimes, ce qui a été bien utile au Président de la République lorsqu'il a dû mener de rudes négociations avec ses homologues de l'Union.

Je vous remercie pour la qualité de ce débat, conséquence de la réforme constitutionnelle. Il renforce la démocratie parlementaire, l'équilibre des pouvoirs et la lisibilité de notre travail pour nos concitoyens. (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à midi et demi.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Questions au Gouvernement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je rappelle que l'auteur de la question, de même que la ou le ministre pour sa réponse, disposent chacun de deux minutes trente.

Licenciements boursiers

Mme Annie David .  - Alors que l'entreprise Caterpillar (exclamations à droite : « Encore ! ») affichait un bénéfice de 3,5 milliards pour 2008, le groupe a eu l'indécence d'annoncer la suppression de 20 000 emplois pour 2009, dont 733 dans l'Isère. « Une année horrible » dit le PDG de Caterpillar France. Horrible pour qui ? Pour les salariés, pas pour les actionnaires, qui ont bénéficié d'une augmentation de 17 % de leur dividende. Horrible, oui, le choix de la direction d'accroître la fortune de quelques privilégiés au détriment de centaines de familles. Horrible, le comportement insolent de cette direction qui assigne en justice le comité d'entreprise. Heureusement, elle a été déboutée.

M. Robert Hue.  - Quand même !

Mme Annie David.  - Passés la stupeur et l'émoi, l'indignation et la colère ont pris le pas chez les salariés, à Cater Continental, Freescale ou Faurécia, dont trois salariés sont hospitalisés après avoir été agressés par des vigiles.

Tous luttent pour préserver leur emploi et la pérennité des sites industriels. Cette lutte porte un nom : lutte des classes. C'est bien de cela qu'il s'agit, face à la rengaine libérale du chacun pour soi. Votre prétendu dialogue social est devenu une coquille vide. Les salariés sont contraints de défendre leur emploi et leur dignité par leurs seuls moyens ; ils refusent d'être licenciés, de disparaître en silence, de plier devant le chantage du « travailler plus pour gagner moins » ! C'est l'ensemble de la société qu'ils défendent contre les méfaits des patrons voyous. La responsabilité du Gouvernement est grande dans la situation économique et sociale gravissime que nous connaissons. L'heure n'est plus au bilan ou à l'analyse, mais à l'action.

Il faut enfin accorder des droits nouveaux aux salariés pour qu'ils soient impliqués dans les choix de gestion de l'entreprise et en finir avec les stock-options, les « retraites chapeaux », les parachutes dorés. Il faut défendre l'emploi par la loi ; c'est pourquoi nous avons déposé une proposition de loi visant à interdire les licenciements économiques. Le sacrifice des salariés au profit des actionnaires doit cesser !

Allez-vous enfin entendre l'exigence populaire et unitaire d'un changement de politique qui s'est exprimée le 29 janvier, le 19 mars et qui s'exprimera avec autant d'ampleur demain 1er mai ? Allez-vous appeler les parlementaires de votre majorité à voter notre proposition de loi ? (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services.   - Il n'est pas convenable de faire de l'idéologie avec les difficultés humaines des salariés. (On s'esclaffe à gauche) Je suis contraint de vous rappeler quelques vérités. La première, c'est que la crise est mondiale et pas seulement française ; votre attaque contre le Gouvernement est donc outrancière. (Exclamations à gauche) Je dirai ensuite que, dans cette crise, les PME sont aussi frappées, ce dont vous ne parlez pas en vous focalisant sur les profits boursiers de certains.

M. Robert Hue.  - Les patrons voyous sont dans les multinationales !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Vous oubliez aussi de mentionner la réactivité du Gouvernement, qui a été imitée par beaucoup de pays. Nous avons aidé les petites et moyennes entreprises...

Mme Annie David.  - Parlez-nous des grandes !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Nous avons refinancé les banques, pris des mesures sociales -que notre majorité a votées mais pas votre groupe, toujours aux abonnés absents quand il est question de mesures sociales. (Applaudissements sur les bancs UMP ; vives protestations à gauche)

Paralysie des universités

M. Jacques Legendre .  - Je m'exprime avec une particulière gravité sur un sujet qui angoisse bien des familles et désespère de nombreux étudiants : le blocage de certaines universités.

M. René-Pierre Signé.  - La faute à qui ?

M. Jacques Legendre.  - Cette situation devient catastrophique pour des milliers d'étudiants qui craignent de ne pouvoir passer leurs examens, de perdre une année et, peut-être, singulièrement pour les moins favorisés, de mettre un terme à leurs études. Dans le moins grave des cas, les examens risquent de devoir être repoussés au mois de septembre.

Que dire de la situation de ces nombreux étudiants étrangers qui ont engagé des frais pour un séjour universitaire en France qui ne se conclura peut-être pas par l'obtention d'un diplôme ? Ils avaient choisi la France. Ils avaient rêvé de faire leurs études à Paris. Croit-on qu'ils seront demain les ambassadeurs de la culture de notre pays ? Croit-on que ces blocages vont faire progresser nos universités dans le classement de Shanghai ?

Il est légitime que nous débattions, et parfois nous opposions, sur la politique universitaire à conduire. Mais est-il raisonnable de porter un tel préjudice à l'enseignement supérieur français, pour lequel nous avons tous de grandes ambitions ?

On a justifié ce mouvement par la volonté d'obtenir des moyens supplémentaires. J'ai eu la curiosité de regarder les moyens attribués aux universités du département dont je suis l'élu. Lille 1 voit les moyens alloués augmenter de 992 500 euros, soit trois fois plus qu'en 2008, tandis que triplent ses crédits de mise en sécurité. Et pourtant, on bloque l'université. Lille 2 voit ses crédits de moyens augmenter de 25 %. Et pourtant, certains enseignants font de la rétention de notes. Lille 3 voit son allocation de moyens majorée de 6,5 %, et pourtant, on appelle aussi au blocage. (Exclamations sur les bancs socialistes : « La question ! »)

Pourquoi un tel acharnement au risque de mettre en péril l'avenir des étudiants ?

Quelles mesures allez-vous prendre pour sauver ce qui peut l'être de l'année universitaire ? Comment allez-vous assurer la liberté d'étudier et la poursuite des réformes nécessaires pour permettre au maximum d'étudiants de réussir leurs études et à notre pays de rester une des grandes nations du savoir ? (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je suis entièrement mobilisée pour assurer le rattrapage des cours et déjà une trentaine d'universités en organisent un ou décalent les examens.

Ma responsabilité est double. Elle s'exerce d'abord envers les étudiants : j'ai demandé aux recteurs et aux directeurs des Crous d'apporter des aménagements afin qu'ils ne souffrent pas de ces décalages pour le versement des bourses ou le logement. Elle porte ensuite sur l'image de l'Université française et la valeur des diplômes nationaux. Nous serons intransigeants sur leur qualité ; il n'est pas question de les brader (applaudissements à droite) : pas de diplôme sans rattrapage !

Après la réécriture du décret portant statut des enseignants-chercheurs, après l'annonce par le Premier ministre de la sanctuarisation des emplois universitaires, après l'annonce de la concertation sur la formation des enseignants, de plus en plus d'enseignants-chercheurs et une majorité des étudiants veulent reprendre les cours. J'espère que les motifs politiques ne prévaudront pas sur les motifs universitaires. Je ne comprends pas le silence du parti socialiste sur les séquestrations, sur l'appel irresponsable de la coordination nationale des universités à bloquer et à boycotter les examens. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Charles Gautier.  - Provocatrice !

M. David Assouline.  - Réponse politicienne !

Taux de TVA dans la restauration

M. Robert Tropeano .  - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Le Président de la République a annoncé en grande pompe la réduction à 5,5 % de la TVA dans la restauration au 1er juillet. La profession l'attendait, et c'était légitime pour un secteur très dépendant du pouvoir d'achat des Français. Mon groupe partageait cette revendication et nous en attendons beaucoup : les professionnels ont promis 40 000 créations d'emplois. Ma question porte sur l'annonce et la méthode. Les effets d'annonce de l'exécutif tendent à devenir une méthode de Gouvernement : après la suppression de la publicité à la télévision publique, après l'annonce de la suppression de la taxe professionnelle, qui reste à préciser, voici la TVA à 5,5 %. Pourquoi faire du Parlement une simple chambre d'enregistrement de décisions qui lui reviennent ? L'article 34 de la Constitution dispose qu'il lui appartient de fixer les règles, l'assiette et le taux des impositions de toute nature. Admettez-vous que c'est au Parlement qu'il appartient de déterminer la baisse de la TVA et quand pensez-vous qu'il sera amené à se prononcer ? Êtes-vous certain que ce sera avant le 1er juillet et que le vote sera positif ? Enfin, allez-vous en finir avec les effets d'annonce et mettre en pratique vos discours sur la revalorisation du Parlement ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - Je vous remercie de soutenir cette mesure qui était réclamée sur tous les bancs.

M. Jean Arthuis.  - Non.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il revient au Président de la République et au Gouvernement de l'avoir obtenue (applaudissements à droite), comme chacun le souhaitait.

M. Jean Arthuis.  - Non...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il n'est pas dans les intentions du Gouvernement de nier les responsabilités du Parlement, auquel il appartient de fixer le taux de TVA.

M. Bernard Piras.  - Vous vous moquez de nous !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Cette disposition sera introduite dans le projet de loi sur le tourisme que le Sénat a adopté à l'unanimité et qui viendra devant l'Assemblée nationale dans les jours prochains. Tout le monde le demandait...

M. Jean Arthuis.  - Non !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Cette mesure de pouvoir d'achat doit permettre une baisse des prix effective car j'attends que les professionnels tiennent leurs engagements. (Applaudissements à droite et sur de nombreux bancs au centre ; exclamations sceptiques à gauche)

Grippe porcine

Mme Muguette Dini .  - L'Organisation mondiale de la santé vient de relever le seuil d'alerte pandémique de 4 à 5. Il y a plusieurs foyers avérés au Mexique, aux États-Unis et en Espagne. Les ministres de la santé des Vingt-sept se réunissent pour décider la suspension des vols pour le Mexique mais cela ne suffirait pas. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre ?

Nous avons préparé un plan de prévention et de lutte contre la pandémie grippale, qui a fait l'objet de simulations. La phase 5 a-t-elle été activée et la réserve de santé mobilisée ? Quid des centres d'appel 15 ? La France a constitué des stocks suffisants de masques et de Tamiflu, que certains prennent préventivement, ce qui ne sert à rien. La répartition a-t-elle été faite et quand disposerons-nous d'un vaccin contre le N1H1 ? (Applaudissements au centre)

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Roselyne Bachelot, qui se trouve à Luxembourg pour une réunion du conseil des ministres européens sur ce sujet.

La situation est préoccupante. L'OMS vient effectivement de déclencher l'alerte à l'indice 5, qui correspond à un risque de contamination géographique. Dès vendredi dernier, le Premier ministre a réuni les ministres et les professionnels concernés ; depuis, une réunion quotidienne a lieu, à laquelle Roselyne Bachelot assistera tout à l'heure, après le conseil des ministres européens.

La France souhaite l'arrêt provisoire des vols au départ de l'Europe à destination du Mexique. La décision sera prise -ou pas- cet après-midi. Il n'est pas aisé de juger de sa pertinence, compte tenu de l'existence de plusieurs foyers. Pour ce qui est de l'information et de l'étanchéité, Dominique Bussereau s'est rendu ce matin dans les aéroports. Il a interrogé les voyageurs sur leurs conditions de rapatriement et sur les moyens déployés, et a été satisfait de leurs réponses. La capacité en termes de vaccins et de masques va être renforcée à l'extérieur du pays par nos postes diplomatiques.

En France, le puissant dispositif prévu par le plan de santé publique a été renforcé. Le Premier ministre décidera lors de la réunion de 18 heures s'il y a lieu d'organiser une diffusion plus ample, et notamment de déclarer la procédure d'alerte. S'agissant de la capacité de vaccination, de l'organisation des hôpitaux et de l'information prévue, le dispositif français, jugé exemplaire par l'OMS, est en place.

M. René-Pierre Signé.  - Il n'y a pas de vaccin !

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État.  - François Fillon est totalement mobilisé sur ce sujet, et il s'exprimera tout à l'heure à l'occasion de la réunion quotidienne. (Applaudissements à droite)

Mouvement social dans les hôpitaux

M. Bernard Cazeau .  - Mardi, devant les grilles du Sénat, la communauté hospitalière était dans la rue. A Paris, certains services comptaient 100 % de grévistes. A la télévision, des médecins déclaraient manifester pour la première fois de leur vie.

L'intégralité des établissements, de l'agent de service hospitalier au professeur de renommée mondiale, s'élève contre votre texte de loi « Hôpital, patients, santé, territoires ». L'hôpital est inquiet pour son financement, pour ses filières de formation, pour la qualité de ses soins. Hélas, la seule réponse consiste en une loi technocratique, qui vise à centraliser le pouvoir au profit de l'administratif. Pourquoi cet attachement à une gouvernance caporaliste de l'hôpital ? Veut-on confier le système à des hommes mandatés pour procéder à des coupes sombres dans les budgets et les effectifs ?

Nous souhaitions d'autres orientations, un autre message de la part du Gouvernement. Avec au moins 18 milliards d'euros de déficit annoncé pour 2009, 120 milliards de dette cumulée des régimes sociaux, nous attendions des choix décisifs visant à rassurer les Français quant à l'avenir du système de santé, et non un texte d'organisation dont l'intransigeance cache mal l'absence de solutions. II est encore temps d'éviter qu'un mauvais pas législatif n'aboutisse à un bourbier politique. Madame la ministre, allez-vous abandonner la procédure d'urgence et ouvrir de véritables négociations avec la communauté hospitalière ? (Applaudissements à gauche)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité .  - Ce projet de loi, voté le 18 mars à l'issue de la première lecture de ce texte à l'Assemblée nationale, actuellement en cours d'examen par votre commission des affaires sociales, réforme le système de santé afin de l'adapter aux nouveaux besoins de la population.

M. Bernard Piras et M. René-Pierre Signé.  - Faux !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - C'est un texte ambitieux, qui traite de l'organisation des soins à l'hôpital et dans le secteur libéral et des mesures de santé publique et relatives au secteur médico-social, jusqu'ici pris en charge de façon cloisonnée. On déplore aujourd'hui la lenteur des décisions dans les hôpitaux, l'insuffisance des relations avec la médecine libérale, le manque de liberté d'organisation des médecins hospitaliers et le manque de délégation de compétences en faveur des pôles médicaux. Ce texte propose une gouvernance renouvelée au profit des médecins au sein de pôles médico-techniques. (Protestations sur les bancs socialistes)

M. Bernard Piras.  - Expliquez-leur !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Le président de la commission médicale d'établissement sera associé à toutes les décisions, pour un pilotage médicalisé.

Toutefois, ce texte peut être amélioré. (« Ah ! » sur les bancs socialistes) Le Gouvernement a déjà accepté 500 amendements à l'Assemblée nationale.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Supprimez l'urgence !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Nous sommes prêts à préciser encore le rôle du président de la commission médicale d'établissement, mais il faut laisser au directeur un rôle de synthèse.

M. Charles Gautier.  - Et les élus ?

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Certains médecins sont inquiets...

M. Robert Hue.  - C'est vous qui serez bientôt sous perfusion !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement partage leur volonté de défendre l'hôpital public. (Vives contestations à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et l'urgence ?

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Le texte, dans son ensemble, confirme le caractère public des hôpitaux. Mardi dernier, grévistes et manifestants se sont également exprimés sur des sujets qui dépassent le cadre de ce projet de loi, telle la tarification à l'activité ou les moyens de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont tenté de définir le subtil équilibre qui doit régir les relations entre le président de la commission médicale d'établissement et le directeur. Les discussions au Sénat permettront de progresser encore dans cette coproduction parlementaire qui prendra le temps qu'il faudra. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Dans l'urgence ?

Mme Catherine Tasca.  - Lors d'une troisième lecture ?

Plan d'urgence contre le chômage des jeunes

M. Jean-Paul Fournier .  - La crise économique actuelle touche directement les jeunes de notre pays car leur manque d'expérience professionnelle les rend plus vulnérables.

Il est impératif de prendre des mesures spécifiques, immédiates, concrètes. Vendredi dernier, en présentant le plan d'urgence contre le chômage des jeunes, le Président de la République a voulu répondre à cette préoccupation qui touche toutes les familles françaises. Il a rappelé que les jeunes sont plus touchés que leurs aînés, soulignant que, outre les plans sociaux et les suppressions d'emploi, de nombreuses entreprises gèlent leurs embauches au détriment des jeunes. En outre, les contrats d'apprentissage et de professionnalisation ont diminué de 20 à 30 %. Enfin, la France, depuis des décennies, connaît l'un des plus faibles taux d'emploi des jeunes de l'OCDE.

Oui, les jeunes sont les premiers touchés par la crise. Le nombre de jeunes inscrits au chômage a progressé de 30 % en un an. Monsieur Hirsch, vous avez-vous-même affirmé qu'il y aurait 150 000 à 250 000 jeunes supplémentaires inscrits au chômage cette année pour un total de 435 000 personnes de moins de 25 ans à pointer au chômage.

J'ai rencontré hier les membres de la Fédération française du bâtiment du Gard. De nombreux entrepreneurs sont prêts à s'engager sur un plan concret, axé sur l'apprentissage et la formation, incitatif pour les entreprises. Pour être efficace, il doit être mis en oeuvre rapidement. Ce plan, doté d'une enveloppe de 1,3 milliard, devrait permettre à 500 000 jeunes de trouver un emploi ou une formation d'ici juin 2010. Monsieur le Haut-commissaire, pourriez-vous préciser le calendrier et le contenu de ce plan pour la jeunesse qui est au coeur de votre action ?

M. Martin Hirsch, Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse .  - Toutes les mesures annoncées vendredi dernier par le Président de la République ont été élaborées en concertation avec les syndicats, les employeurs et les jeunes. Ce sont des mesures concrètes, pragmatiques et d'application immédiate. Les jeunes refusent un sous-statut, des mesures spécifiques ; les employeurs ne veulent pas d'un plan qui soit une usine à gaz, ils veulent du concret. Pour les syndicats, l'alternance et les contrats de professionnalisation sont un bon outil d'insertion. (Exclamations à gauche) Bref, nous avons privilégié les mesures simples, de bon sens. Les jeunes nous ont dit qu'ils sont pris en stage au lieu d'être recrutés. Nous avons décidé que désormais, la rémunération du stage interviendra dès le deuxième mois, et non lors du troisième. Dans la fonction publique, comme dans le secteur privé, la transformation d'un stage en CDI donnera lieu au versement d'une prime de 1 500 euros à l'employeur au moment de la signature du contrat, puis six mois après.

Concernant l'alternance et l'apprentissage, outre le dispositif « zéro charge », les entreprises de moins de 50 salariés, les plus en difficulté, recevront une prime de 1 800 euros pour l'embauche d'un apprenti. Quant aux grandes entreprises, elles se sont engagées à faire plus : Veolia va doubler le nombre de ses apprentis cette année, Carrefour en recruter 3 000 supplémentaires. Tout contrat de professionnalisation donnera lieu au versement d'une prime de 1 000 euros à l'employeur, 2 000 euros lorsqu'il s'agit d'un contrat de faible qualification. Oui, monsieur Fournier, les entreprises sont prêtes à s'engager. La Fédération du bâtiment a pris des engagements concrets...

M. René-Pierre Signé.  - On verra !

M. Martin Hirsch, Haut-commissaire.  - ...qu'elle déclinera fédération par fédération, entreprise par entreprise. Je suis persuadé que chacun se mobilisera sur ce plan dont nous mesurons tous l'urgence ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Pour une répartition équitable des fruits du travail

M. Yves Daudigny .  - Bien que le Premier ministre ne soit pas présent, je lui adresse cette question car elle relève de sa responsabilité directe, de ses choix politiques. Il y a cent quarante ans, Jean-Baptiste André Godin, ancien député de mon département écrivait : « Pour inaugurer le règne de la justice et de la liberté que doit réaliser l'association du capital et du travail, pour remplacer l'arbitraire du salaire par un droit de participation proportionnel au concours que le travail apporte dans l'oeuvre de la production, il faut découvrir le principe et les règles de la répartition équitable des fruits du travail ». Avec 77 000 chômeurs supplémentaires en mars, une augmentation du taux de chômage de 13,3 % cette année, voire 35,8 % pour les jeunes, à la veille d'un 1er mai historique, parce qu'unitaire, n'est-il pas temps de restaurer un État de droit ? N'est-il pas temps d'en finir avec le règne du « deux poids, deux mesures » ? D'un côté, Caterpillar, Continental, Faurecia, Sony, 3M, Scapa, qui multiplient mesures de chômage partiel et plans sociaux (exclamations à droite), refusent le dialogue, brandissent la menace de procédures judiciaires que le Gouvernement appuie par de fermes discours et rappels à la loi pénale ; de l'autre, primes outrancières et distribution de bénéfices contre lesquels le Gouvernement se contente d'en appeler à l'éthique et au code moral, approche que certains trouveraient excessive puisque, selon un quotidien du soir, « le patronat peine à mettre en place un comité des sages sur les rémunérations ». De même, à quand l'installation du Fonds social d'investissement ?

Pas moins de 60 % des Français jugent mauvaise la politique économique du Gouvernement. C'est dire que vous creusez un fossé abyssal avec la population. Monsieur le Premier ministre, je veux croire que ni le dogme ni le cynisme ne vous aveuglent à ce point. Quand procéderez-vous à cette indispensable répartition équitable des fruits du travail à laquelle vous exhortent les salariés ? Quand construirez-vous ce nouveau contrat social pour rétablir la justice et la cohésion dont vous être le garant ? (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - Pointer du doigt la responsabilité du Gouvernement n'est pas une explication satisfaisante. Ce serait feindre de croire que la crise est circonscrite à notre pays (protestations à gauche ; applaudissements sur quelques bancs à droite) quand elle touche toutes les économies occidentales. Selon les dernières prévisions, la croissance allemande serait de moins 6 %, celle de l'Italie de moins 4,5 %.

Bref, notre pays résiste mieux que d'autres. (Marques d'ironie à gauche où l'on évoque le taux de chômage) Imputer la crise à notre seul pays n'est pas une bonne chose. (Protestations à gauche) La création du Fonds social d'investissement a été annoncée le 18 février par le Président de la République.

M. Robert Hue.  - A la demande des syndicats !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Preuve que les syndicats sont responsables et que leurs actions sont reprises par le Gouvernement... Ce fonds sera doté de 2 à 3 milliards. En outre, vous n'avez pas évoqué la prime de solidarité active de 200 euros versée depuis le 6 avril à quelque 3,8 millions de foyers modestes, les allégements d'impôt sur le revenu pour les tranches les plus basses, la prime à la casse qui bénéficie aux consommateurs comme aux constructeurs et la prime aux embauches dans les petites entreprises. Bref, ce gouvernement est très réactif, il agit pour la relance, le soutien au crédit.

M. René-Pierre Signé.  - Mais il agit mal !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - C'est tout le contraire ! Il agit bien et nous aimerions être soutenus sur d'autres bancs que ceux de la majorité ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

TVA dans la restauration

Mme Isabelle Debré .  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Tout un secteur économique s'apprête à mettre en oeuvre un engagement de campagne du Président de la République : 112 000 restaurants, 24 000 hôtels-cafés-restaurants et 41 000 cafés bénéficieront bientôt de la TVA au taux réduit de 5,5 %, attendue depuis plus de treize ans ; ils pourront désormais lutter à armes égales avec la restauration à emporter.

Mme Nicole Bricq.  - Pour un coût de 2,4 milliards d'euros.

Mme Isabelle Debré.  - On ne peut que se féliciter de ce succès du Gouvernement auprès de Bruxelles...

M. René-Pierre Signé.  - C'est bien le seul !

Mme Isabelle Debré.  - Il prouve que tout est mis en oeuvre pour affronter cette période difficile, contrairement aux affirmations de ceux qui stigmatisent par principe l'action de la majorité. Monsieur le ministre, lors des états généraux de la restauration, mardi dernier, les organisations professionnelles ont signé, en contrepartie de l'effort budgétaire, un « contrat d'avenir ». (On se gausse sur les bancs socialistes) Quels en sont les objectifs ? Qu'avez-vous prévu pour vous assurer de la bonne exécution du contrat ? (Même mouvement) Quel est le calendrier de mise en oeuvre ? N'oublions pas que ce secteur est l'un des premiers pourvoyeurs d'emplois en France. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - Oui, nous sommes fiers d'avoir tenu cet engagement de campagne de M. Nicolas Sarkozy. (Murmures à gauche, où l'on parle de cuisine électorale) Combien d'autres auparavant avaient promis la baisse de la TVA ! Lui l'a menée à bien. Un contrat d'avenir a été signé avec les organisations professionnelles.

Les professionnels se sont engagés à répercuter intégralement la baisse de la taxe sur certains produits dés le 1er juillet prochain. Ils créeront des emplois, prendront des apprentis, signeront des contrats de professionnalisation : en tout, 40 000 embauches ! Les organisations créeront aussi un fonds de modernisation...

M. René-Pierre Signé.  - On verra !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - ...pour rénover les structures, dans cette branche essentielle du tourisme français. Quelles assurances, demandez-vous : mais un contrat repose toujours sur la confiance et il est fait pour être tenu. (Exclamations ironiques à gauche) Pourquoi celui-ci ne le serait-il pas ? L'ensemble des organisations qui ont signé le contrat représentent la moitié des restaurateurs.

M. Charles Gauthier.  - Allons, ils ne s'engagent à rien.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - J'entame très prochainement un tour de France : nous apposerons sur l'ensemble des vitrines des restaurants une affichette : « ici, la TVA baisse, les prix aussi ». (Rires à gauche) Je fais confiance aux restaurateurs, mais aussi à l'opinion publique et aux consommateurs.

Un comité de suivi retracera chaque semaine les évolutions : prix, nombre des emplois et nombre d'apprentis. Nous prendrons ainsi à témoin l'opinion publique. Je préfère m'en remettre à sa vigilance plutôt que de recourir d'emblée à des contrôles coercitifs -que nous mettrons en oeuvre si l'exécution du contrat se heurte à des difficultés. (Applaudissements à droite)

Mise en oeuvre du plan de relance

M. Albéric de Montgolfier .  - Le ministre en charge du plan de relance a récemment remis au Parlement un rapport d'étape. Sans attendre les conclusions des parlementaires en mission qui suivent la question, je souhaiterais connaître l'état d'avancement des mesures. Combien de conventions ont été signées au titre du remboursement anticipé du FCTVA ? Les collectivités ont-elles augmenté leur effort d'investissement ? Constatez-vous des blocages sur certains projets ? Si tel était le cas, les collectivités pourraient-elles présenter de nouveaux projets ? A quelle échéance cette appréciation aura-t-elle lieu ? (Applaudissements à droite)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique .  - Nous avons achevé l'élaboration du plan de relance et vous avez voté le collectif correspondant il y a moins de trois mois. Or vous constatez vous-mêmes sur le terrain la mise en oeuvre : plus de mille projets ont été identifiés, le ministre chargé du plan de relance a remis un rapport au Parlement, 260 chantiers ont débuté, une centaine de projets -routiers notamment- seront lancés dans les semaines à venir. Les choses vont bon train ! Si des retards apparaissent, nous respecterons l'engagement du Gouvernement : des projets déjà prêts mais qui n'ont pas été retenus à l'origine seront lancés. Nous y veillerons, en examinant la situation avant l'été.

Les administrations jouent le jeu, sur tout le territoire.

M. Jacques Mahéas.  - Les collectivités aussi !

M. Éric Woerth, ministre.  - Bien sûr, mais on m'interroge sur les remboursements du FCTVA, qui sont effectués par l'État... Les collectivités tiennent tous leurs engagements. Et si elles rencontraient des problèmes avec les administrations, elles n'auraient qu'à s'adresser au Gouvernement.

Concernant le FCTVA, 15 000 conventions ont été signées -2 000 au cours de la dernière semaine, 6 000 ces quinze derniers jours : le rythme s'est donc accéléré, mais nous approchons de la date butoir du 15 mai. Ces 15 000 conventions représentent 42 millions d'euros.

C'est 50 % de plus que la moyenne de référence des années 2004-2007.

Nous vous tiendrons régulièrement informés de l'évolution du plan de relance, qui est l'un des premiers en Europe à se mettre en place si rapidement. (Applaudissements à droite)

M. René-Pierre Signé.  - Avec les collectivités territoriales !

Situation des retraités

M. Martial Bourquin .  - Cela fait cinq mois que je ne cesse d'alerter le Gouvernement sur la situation de milliers de retraités.

Depuis le 1er janvier 2009, les salariés de moins de 60 ans ayant totalisé 160 trimestres de cotisation ne peuvent plus prétendre à l'allocation équivalent retraite (AER), d'environ 950 euros par mois, qui permettait de terminer dans la dignité une longue carrière, souvent réalisée dans des conditions pénibles

La suppression de cette allocation jette ces jeunes retraités dans la plus injuste précarité.

Des entreprises continuent à proposer à ces salariés en fin de carrière des départs volontaires afin d'éviter de coûteux plans sociaux, en leur laissant croire qu'ils toucheraient l'AER. Personne ne les a dissuadés ou alertés, ni les entreprises, ni les Assedic, ni les directions de l'emploi !

Aujourd'hui, ils sont 65 000 à découvrir qu'ils vont au mieux perdre 500 euros par mois et, au pire, se retrouver au RSA. Ils sont 65 000 à être priés de trouver du travail. Passé 55 ans, c'est aujourd'hui impossible. Est-ce une manière digne de terminer une carrière, de remercier ces salariés qui ont travaillé toute leur vie ?

Monsieur le ministre, comptez-vous réparer cette grave erreur et rétablir l'AER sans attendre, par décret, sans date butoir, car rien ne sera réglé fin 2009 ? Comptez-vous faire de même pour l'allocation veuvage, menacée de disparition en 2011 ? Comptez-vous engager une vraie réflexion sur la pénibilité du travail dans le calcul des retraites ?

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Martial Bourquin.  - Les petits retraités ne réclament pas des retraites chapeaux de 730 000 euros, comme certains : ils ne demandent qu'à vivre dans la dignité après une très longue carrière ! (« Bravo ! » et applaudissements à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Vous devriez tous applaudir !

M. Brice Hortefeux, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville .  - La situation des retraités est une préoccupation partagée par le Gouvernement et sur tous les bancs.

M. Charles Gautier.  - Pourquoi la majorité n'a pas applaudi, alors ?

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Le Gouvernement met tout en oeuvre pour respecter l'engagement du Président de la République de revaloriser de 25 % les petites pensions d'ici 2012.

M. René-Pierre Signé. - Encore un engagement !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Depuis le 1er avril, le minimum vieillesse a ainsi augmenté de 6,9 %, alors que l'inflation est proche de zéro.

M. René-Pierre Signé.  - Répondez à la question !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - La situation des personnes de moins de 60 ans ayant effectué une carrière complète, sans espoir de retrouver du travail, a été abordée lors du sommet social à l'Élysée. Évoqué tout d'abord par Force ouvrière, ce problème a ensuite été relayé par toutes les formations politiques.

La loi prévoyant l'extinction du dispositif de l'AER au 1er janvier 2009 visait à encourager l'emploi des seniors.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ça ne marche pas !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Mais la crise est arrivée ! (Exclamations ironiques sur les bancs CRC)

Mme Éliane Assassi.  - Ça, vous ne l'aviez pas prévu !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Si vous, vous l'aviez prévu, vous êtes très forts. Pourtant, dans l'histoire, vous vous êtes trompés plus souvent que vous n'avez eu raison ! (Applaudissements à droite) La marque du Gouvernement et de la majorité, c'est la réactivité. A la demande de tous les groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et de Martial Bourquin !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - ...nous allons reporter d'un an l'application de ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bravo Martial !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Le dispositif de l'AER sera prolongé à titre exceptionnel. C'est une réponse à la crise, et une nouvelle preuve de la réactivité et du pragmatisme du Gouvernement. Nous restons bien entendu déterminés à faciliter l'emploi des seniors.

M. Charles Gautier.  - J'espère bien !

M. Brice Hortefeux, ministre.  - Merci de votre encouragement. Le Gouvernement est à l'écoute des plus faibles, déterminé à les aider à surmonter la crise, avec, toujours, l'obsession de l'emploi. (« Très bien » et applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 16 heures.

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

La séance reprend à 16 h 15.

Proposition de résolution européenne (Services d'intérêt général)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de résolution européenne sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes  - Nous appliquons pour la première fois cet après midi aux questions européennes les nouvelles possibilités de contrôle issues de la révision constitutionnelle. Elles comportent deux facettes. La première, c'est l'adoption de résolutions dans lesquelles le Sénat fait connaître au Gouvernement ses positions sur des sujets d'actualité européens. Aujourd'hui, l'initiative revient à Mme Tasca, qui a déposé une proposition de résolution sur le sujet particulièrement important des services d'intérêt général. Mme Tasca, que je tiens à remercier, avait fait un rapport sur ce sujet devant notre commission. Il était donc tout naturel qu'elle poursuive sa démarche, ce qui permettra, grâce aussi aux travaux de la commission des affaires économiques, au Sénat dans son ensemble de se prononcer sur une question qui préoccupe nos concitoyens.

La deuxième facette du contrôle parlementaire, c'est le suivi des résolutions. Ne sachant pas bien, jusqu'ici, ce qu'il advenait des prises de position du Sénat, on avait un peu l'impression de travailler pour le roi de Prusse... Désormais, grâce aux débats de contrôle, le Gouvernement sera amené à nous dire comment il a donné suite à nos prises de position, ou pourquoi il n'a pas pu ou pas souhaité les suivre.

Aujourd'hui, nous débattrons des suites données aux positions que nous avons exprimées, à plusieurs reprises, sur quatre sujets : l'évolution du système d'information Schengen ; l'association des parlements nationaux au contrôle d'Europol ; la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement ; les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Pour la première fois, le Gouvernement va répondre publiquement à nos questions sur ces points. Cela ne pourra que nous inciter à intervenir de plus en plus, en amont, sur les questions qui concernent la vie quotidienne de nos concitoyens.

M. le président.  - Le ministre étant, ainsi que l'on vient de me l'apprendre, bloqué dans des embarras de circulation, je vais suspendre la séance quelques instants.

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.

M. le président.  - La discussion de ce projet de résolution demandée par le groupe socialiste pour la journée mensuelle réservée a été avancée à aujourd'hui pour des raisons de calendrier. Je rappelle que, conformément à un accord des présidents de groupe et de commission, les propositions de loi ou de résolution inscrites à l'ordre du jour réservé sont examinées dans leur texte initial, sauf accord du groupe politique déposant.

Discussion générale

Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de résolution européenne  - La proposition de résolution que j'ai l'honneur de présenter au nom de notre groupe répond à la volonté, toujours réaffirmée par les parlementaires socialistes français et européens, de promouvoir les services d'intérêt général dans l'Union. La discussion de cette proposition, à cinq semaines du renouvellement du Parlement, offre à notre groupe l'opportunité de présenter l'orientation nouvelle que nous souhaitons pour l'Europe et ses citoyens.

Au cours de la présidence française, nous avions déposé, à l'automne 2008, une proposition de résolution demandant à la Commission de conforter le statut des services d'intérêt général, et notamment d'inscrire dans sa stratégie politique annuelle pour 2009 l'élaboration d'une législation cadre. En parallèle, nous demandions au chef de l'État, dans l'exercice de sa présidence de l'Union, d'impulser l'adoption d'un agenda européen pour l'élaboration d'un outil juridique. Cette présidence offrait à la France l'opportunité politique d'agir en ce sens et bénéficiait aussi d'une légitimité juridique puisque le traité de Lisbonne, par son nouvel article 14 et le protocole additionnel sur les services d'intérêt général, conforte la base juridique qui permet d'élaborer un cadre législatif général. Le Président de la République s'est souvent déclaré favorable à une application par anticipation du nouveau traité. L'élaboration d'une législation cadre sur les services d'intérêt général pouvait concrétiser cet aspect du traité de Lisbonne et donner un contenu au souhait de la France de faire de 2008 l'année du « redémarrage social de l'Europe ».

Notre proposition de résolution constituait un rappel de ces objectifs et une invitation à agir. Notre commission des affaires économiques, compétente pour l'examen de cette proposition, avait préféré ne pas s'en saisir. Au niveau européen, la présidence française s'est achevée sans qu'aucune initiative n'ait été prise en faveur des services d'intérêt général.

C'est pourquoi nous présentons aujourd'hui une proposition de résolution rectifiée. Les services d'intérêt général, un des piliers du modèle social européen, essentiels à la qualité de vie des Européens, sont gage d'égalité entre les citoyens. Ils ont aussi un rôle clé à jouer dans la bataille que veut livrer l'Union pour créer l'économie la plus dynamique et durable du monde. De bons services publics peuvent aider à surmonter la crise économique, à renforcer la cohésion sociale et territoriale, à améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l'Europe et sa compétitivité extérieure. Les forces du marché ne peuvent pas, à elles seules, garantir les services publics dont nous avons besoin pour bâtir une Europe qui ne soit pas exclusivement un marché mais une société telle que nous la souhaitons.

Aujourd'hui, les services d'intérêt général et les services économiques d'intérêt général n'ont pas leur juste place dans l'ordre juridique communautaire et la législation européenne actuelle, confuse, est source d'incertitudes. Le traité de Lisbonne, qui pose les principes généraux régissant les services publics, constitue une avancée en leur faveur mais, pour être effectif, cet apport doit bénéficier d'une traduction législative. A défaut, reste la législation actuelle, sectorielle, qui ne permet pas de dire clairement si les services d'intérêt général relèvent du droit de la concurrence, de la législation du marché intérieur ou des règles conçues pour les subventions ou les marchés publics.

Cette confusion fait le lit d'un double déséquilibre. Le premier est d'ordre juridique. En l'absence d'un cadre législatif propre aux services publics, ce sont souvent les règles de la concurrence et du marché intérieur qui régissent les services d'intérêt général, lesquels se trouvent ainsi détournés de leurs missions. En outre, les enjeux sociaux, environnementaux et d'aménagement du territoire, que portent les services d'intérêt général, sont oubliés.

Le second déséquilibre est institutionnel. En l'absence d'un cadre juridique pour les services d'intérêt général, leur définition, leur financement et leur gestion sont aujourd'hui tributaires de la jurisprudence. Plusieurs arrêts de la Cour de justice des communautés européennes ont mis en cause les modes d'organisation et de financement choisis par des collectivités. Ce fut notamment le cas pour une desserte de bus dans un canton allemand, pour des services d'énergie ou encore de chauffage municipal dans des communes italiennes. La Commission, de son côté, a lancé des procédures à l'encontre de plusieurs États membres pour contester la gestion, par leur administration ou leurs collectivités, de services locaux aussi différents que des musées en Allemagne, des services d'ambulance en Toscane ou de traitement des eaux à Hambourg. Au fil de sa jurisprudence, dans le vide laissé par le législateur européen, la Cour de justice fixe ainsi les règles de financement et de délégation des services publics, de partenariat public-privé, d'organisation des sociétés d'économie mixte, au détriment des choix faits par des autorités locales élues. Cette dépossession des autorités nationales ou locales est la négation de notre projet d'Europe politique pour lequel votre gouvernement dit plaider, et elle contredit le principe de subsidiarité et d'autonomie des autorités locales. Celles-ci considèrent que l'exercice de leur mission est menacé et que le devenir des services publics locaux est désormais en jeu. Ces autorités, profondément impliquées dans l'organisation et le financement des services d'intérêt général, sont en pratique de plus en plus confrontées à l'intervention de la Commission européenne ou de la Cour de justice, qui évaluent leurs activités à la seule lumière des règles du marché intérieur. Les élus locaux savent que le principe de subsidiarité, pour qu'il préserve de façon effective leur autonomie, doit être inscrit dans un cadre légal de niveau européen, garantissant une réelle sécurité juridique. S'en tenir au simple rappel d'un principe de subsidiarité déjà mis à mal, comme semble vouloir le faire l'UMP dans sa campagne électorale, témoigne de la volonté de freiner toute consolidation juridique qui permettrait de mettre un terme au recul des services publics en Europe. Où est la cohérence avec les discours du chef de l'État sur la régulation et la nécessité d'édifier une Europe politique ? La construction européenne s'est accélérée, sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, sur la base de trois piliers : le marché intérieur, la solidarité et la coopération. La droite européenne a choisi de bâtir l'Europe sur le seul pilier du marché intérieur, abandonnant ainsi les objectifs de solidarité et de coopération. Cela n'est plus défendable face à la crise.

Pour nous, la sécurisation des services publics est un impératif majeur. Il faut prendre en compte les services d'intérêt général autant que les autres politiques de l'Union, en finir avec la primauté du droit de la concurrence qui surdétermine tous les autres en Europe. C'est pourquoi le cadre juridique nouveau devra définir les relations entre les règles du marché unique et la poursuite des objectifs d'intérêt général. Il devra introduire des critères distinguant les services à caractère économique et non économique, les uns et les autres étant régis par des dispositions légales distinctes. C'est à un réel rééquilibrage entre les politiques de l'Union que nous appelons. Cette base juridique protectrice des services d'intérêt général devra préserver le principe de subsidiarité et clairement délimiter les responsabilités des États membres d'une part et de l'Union d'autre part.

Enfin, nous souhaitons compléter cette évolution juridique par une garantie institutionnelle avec la création, lors du renouvellement de la Commission à l'automne prochain, d'un commissaire en charge des services publics. Il aura pour mission de faire prendre en compte ces services dans toutes les politiques communautaires. Alors que la Commission confirme que les services régaliens de police et de justice restent exclus des règles du marché intérieur, elle n'accorde pas la même garantie aux services sociaux et de santé, qui sont, pour 80 % d'entre eux, considérés comme des services économiques et peuvent donc être régis par les règles de la concurrence et du contrôle des aides d'État.

Une protection s'impose.

La Commission européenne n'a pas rempli son rôle. Elle s'est toujours évertuée à bloquer toutes les demandes qui lui ont été faites d'évolutions législatives sur les services d'intérêt général, jusqu'à sa communication du 22 novembre 2007 sur le marché intérieur dans laquelle elle dit renoncer à l'élaboration d'une législation qu'elle ne juge pas utile. Dans cette logique, sa stratégie politique pour 2009 ne prévoit rien contre la remise en cause dont les services publics européens sont victimes. L'agenda social 2010-2015 est tout aussi discret sur les services d'intérêt général. La Commission affirmait que le sujet était trop compliqué et qu'un cadre juridique général ne pouvait pas aborder les nombreux problèmes qui se posent aux services publics. Ce disant, elle soulignait l'urgence de les faire bénéficier d'une garantie légale.

Une réponse à la remise en cause des services d'intérêt général est possible, pour peu qu'on veuille bien sortir du carcan idéologique libéral. Nous en avons dressé les lignes de force : clarification de la définition et du statut des services d'intérêt général ; consolidation du principe de subsidiarité et de l'autonomie des autorités locales dans l'exercice de leur mission ; volonté de mettre un terme à la primauté du droit de la concurrence ; reconquête du politique. Les parlementaires socialistes européens, décidés à démontrer qu'il est possible d'élaborer un instrument juridique cohérent ont rédigé le projet de législation cadre que la commission refuse. Le travail de formulation juridique est réalisé, reste à le mettre en oeuvre. Cela demande une volonté politique. C'est l'un des enjeux des élections européennes. Au moment de donner de bonnes raisons aux citoyens de voter et de se déterminer sur un choix européen, la mise en route de l'élaboration d'un instrument juridique propre aux services d'intérêt général serait un gage supplémentaire vers l'Europe sociale.

Cette proposition de résolution donne une perspective pour l'Europe politique de demain. La droite française et européenne s'est toujours opposée à offrir aux services publics le cadre juridique protecteur qui leur fait défaut. La présidence française s'est contentée, sur le terrain des services d'intérêt général, d'un forum auquel il ne fut donné aucune suite. Les eurodéputés de droite ont voté contre l'exclusion des services sociaux et des services d'intérêt économique général de la directive Services. Ils se sont opposés à l'élaboration d'une législation cadre. Soutenir la reconduction de José Manuel Barroso, c'est soutenir la reconduction d'une commission qui use de son droit d'initiative pour bloquer l'édification d'une Europe politique et sociale. Si, le 7 juin, les Européens font le choix d'une majorité de gauche, le Parlement européen sera en capacité de pousser la commission renouvelée à faire avancer le dossier des services d'intérêt général.

La crise économique et financière rend la protection des services d'intérêt général encore plus nécessaire. Même les pays européens les plus marqués par l'idéologie libérale ont reconnu le rôle stabilisateur des services publics, tant par le maintien de l'emploi que par l'offre égalitaire de services aux citoyens. Comment les peuples pourraient-ils comprendre que, pour contrer les effets désastreux de la crise, l'Europe ne se donne pas les moyens de conforter leurs services publics ?

Sur le fond, cette analyse fait ici largement consensus et la commission des affaires économiques s'inscrit dans cette approche. Reste à la traduire dans une législation contraignante si l'on veut vraiment protéger les services d'intérêt général. En adoptant cette résolution, notre Assemblée y contribuerait. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques - Cette proposition de résolution a été examinée par notre commission, qui n'a pas présenté de texte afin que le Sénat puisse discuter la rédaction retenue par les auteurs de la proposition ; elle a toutefois approuvé certains amendements.

Il faut voir dans l'examen de ce texte en séance publique une occasion pour le Sénat de s'exprimer sur le sujet des services d'intérêt général, dont nul ne saurait nier l'importance en temps de crise économique.

Tout d'abord, un mot sur cette « stratégie politique de la Commission pour 2009 ». Ce n'est qu'une communication sans valeur législative qui indique les priorités de la Commission présidée par M. Barroso pour sa dernière année de mandat.

Ce document souligne l'insuffisance de l'action de la Commission sur un sujet qui a pourtant fait l'objet de demandes répétées depuis des années : les services d'intérêt général. Cette notion n'est pas toujours bien comprise dans notre pays, où nous sommes plus habitués à celle de service public. A l'évidence, certaines missions présentent un caractère d'intérêt général qui légitime une intervention des autorités publiques. Celles-ci peuvent fournir le service elles-mêmes ou le faire fournir par un tiers, auquel cas, elles peuvent apporter une subvention correspondant aux charges particulières qui résultent pour l'opérateur de l'exécution de la mission assignée. Le soutien aux services d'intérêt général est donc une manière de préserver et de conforter les services publics, ou au public, auxquels nous sommes tous attachés.

Cette proposition de résolution vient à point nommé. L'effondrement du système financier et la récession qui touche de nombreux pays ont mis fin à nombre de dogmes : à la volonté de laisser les marchés décider seuls de l'allocation des biens et des ressources entre les acteurs économiques s'est substitué le constat qu'une intervention des acteurs publics, par la régulation mais aussi par les aides directes, est nécessaire pour assurer la continuité du tissu économique et la cohésion sociale et territoriale.

Les services publics réduisent les inégalités de fait en apportant à chacun la possibilité d'obtenir des soins, d'éduquer ses enfants, de se déplacer pour un coût raisonnable. Une société pourvue de services publics efficaces bénéficie d'un point d'accroche lors des crises économiques. J'ajouterai, j'y suis particulièrement sensible en tant que président de l'Observatoire national de la présence postale, que seule l'intervention des pouvoirs publics et notamment la péréquation peuvent assurer à chacun un accès aux services de poste et de télécommunications, même s'il se trouve dans un territoire isolé ou socialement défavorisé.

Cette proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de prendre des initiatives en vue de conforter le statut des services d'intérêt général. Ceux-ci sont couverts par des règles comme celles du paquet Monti-Kroes de 2005, qui apparaissent insuffisantes et mal appréhendées par les acteurs locaux, qui craignent pour la sécurité juridique des services qu'ils fournissent ou subventionnent. Les grands services de réseau -poste et télécommunications, énergie, transports- ont déjà fait l'objet de directives sectorielles. Le problème se pose d'une manière plus aiguë pour les services sociaux d'intérêt général concernant la santé, l'éducation, l'aide aux personnes vulnérables, l'insertion économique, le logement social. Dans ces secteurs, qui couvrent un public important en période de crise, les opérateurs sont souvent de petite taille et s'interrogent sur la possibilité de bénéficier d'un soutien public : quelle activité peut être qualifiée de marchande ? Comment calculer la compensation pour service public ? On est au coeur de la notion d'intérêt général, dans un domaine où le marché ne peut à lui seul satisfaire les besoins de la collectivité.

La présidence française a été marquée par de nombreuses initiatives, telles que le deuxième forum sur les services sociaux d'intérêt général ou la constitution du groupe de travail mené par M. Michel Thierry sur la sécurisation juridique des SIEG. La commission des affaires économiques a donc adopté des amendements qui retirent les alinéas remettant en cause le bilan de la présidence française, dans une proposition de loi qui concerne d'abord et avant tout la stratégie politique de la Commission européenne.

L'outil juridique proposé est celui de la directive cadre. D'autres instruments juridiques sont possibles, par exemple le règlement prévu par le traité de Lisbonne -traité qui marque une avancée importante en faveur des services d'intérêt général, comme l'a remarqué l'an dernier Mme Tasca dans un rapport réalisé au nom de la délégation à l'Union européenne. Une directive sur les services sociaux serait également la bienvenue, s'agissant du secteur qui, aujourd'hui, suscite le plus d'interrogations. C'est pourquoi la commission des affaires économiques a adopté un amendement qui reprend la notion d'« instrument juridique communautaire », déjà présente dans une résolution adoptée par le Sénat le 23 mars 2005.

Nos partenaires divergent fortement sur la question des services publics. Certains craignent un état Léviathan qui prendrait le contrôle de l'économie et briderait les initiatives individuelles. Nous devrons fournir un gros effort de réflexion au niveau national et de concertation au niveau européen pour dégager un modèle de service d'intérêt général pour l'Europe. L'heure se prête à un tel débat, en raison de la crise mais aussi en prévision des élections européennes de juin et du renouvellement de la Commission européenne qui aura lieu à l'automne. Cela m'amène au dernier point de la proposition de résolution, qui souhaite qu'un commissaire européen soit chargé de garantir la prise en compte des services publics dans la politique communautaire. Il serait plus efficace de donner cette compétence à un commissaire déjà existant, par exemple celui qui est en charge du marché intérieur -d'autant que les règles du traité de Nice, qui s'appliqueront si le traité de Lisbonne n'entre pas en vigueur, impliquent une réduction du nombre des commissaires.

Au final, je souhaite un très large accord autour de la notion de service d'intérêt général. Je vous propose d'adopter cette proposition de résolution avec les amendements acceptés par la commission et je remercie le président Emorine de son action efficace. (Applaudissements à droite)

Mme Annie David.  - Ce débat nous interroge sur les objectifs d'une construction européenne qui se réalise depuis cinquante ans autour de libre-échange, où seule compte la concurrence et où toute aide publique est prohibée, ce qui met en danger les services publics. Quand la meilleure politique est l'absence d'intervention publique, l'initiative privée est censée répondre à tous les besoins, ce qui légitime la marchandisation. L'Europe encadre ou soutient le marché -il n'est que de voir le plan de soutien aux banques.

Vous mettez en concurrence les hommes et les territoires, comme avec la directive Bolkestein et le fameux principe du pays d'origine. Nous sommes stupéfaits et en colère d'en retrouver l'esprit dans le règlement sur les sociétés privées européennes ; le texte de Mme Bachelot-Narquin sur l'hôpital en est également imprégné. Nous le dénonçons avec force : il faut que le gouvernement français s'y oppose.

Les services d'intérêt général n'ont jamais été exclus du droit européen, ils y font figure d'exception à la règle de la plénitude du marché. Nos grands services publics en réseau ont été les premiers reconnus par les traités, mais les directives ont organisé leur mise en concurrence. La notion de service d'intérêt général, ce service public au rabais, a abouti à une réduction des ambitions et, dans notre pays, à des reculs importants. L'Union européenne, si elle n'impose pas leur privatisation, les soumet aux critères généraux des entreprises privées, d'où une augmentation des tarifs de l'énergie et une dégradation particulièrement sensible pour le service public postal, des bureaux étant transformés en agences, voire en points Poste. Voilà des années que nous demandons en vain un bilan de la libéralisation.

On n'a pas garanti aux citoyens des services publics modernes et efficaces ; au contraire, on a démantelé et cassé la notion de service d'intérêt général. Le constat est indiscutable, libéralisme et garantie des services publics sont irréconciliables. La Commission souhaite classer les services d'intérêt général en deux catégories selon qu'ils sont ou non économiques. Cette tentative est vouée à l'échec puisque tous les services publics, à l'exception des services régaliens, finiront par apparaître d'intérêt économique, y compris les services sociaux. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes est claire : toute activité étant économique peut être soumise aux lois de la concurrence, y compris l'école, la culture, le logement, la santé, ainsi que le montre le texte de Mme Bachelot-Narquin.

L'adoption d'une directive cadre sur les services d'intérêt général est souvent considérée comme une garantie mais il n'y a pas le service public d'un côté et le marché de l'autre car on ne peut poser la question du premier indépendamment du modèle libéral imposé par l'Union européenne et l'OMC. On ne peut assigner d'objectif ambitieux au service public dans le cadre du pacte de stabilité et du traité de Lisbonne, qui conduit à la déconnexion entre économies financière et réelle et au déséquilibre entre revenus du travail et du capital. Les peuples d'Europe ont besoin de service public pour que l'Union soit un espace de protection. Quelle est la volonté du Conseil européen à cet égard ?

L'Europe doit porter un projet fondé sur les besoins du peuple et substituer la solidarité à la concurrence. Son promoteur l'a avoué, le traité de Lisbonne ne présente que des changements cosmétiques par rapport à la constitution européenne qui faisait de la concurrence libre et non faussée le principe de la construction européenne. Rien ne permet d'affirmer que cela consolide les services publics ; au contraire, le service d'intérêt général est un outil du démantèlement des services publics. Nous ne pouvons donc souscrire à l'affirmation contenue dans la proposition de résolution, que les amendements de la commission transformeraient en une simple déclaration de bonnes intentions. Nous avons d'autres exigences pour les services publics et pour l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du CRC-SPG)

M. Robert del Picchia.  - Cette proposition de résolution n'ouvre pas un débat d'une grande nouveauté : voilà plus de dix ans que la question est posée (marques d'étonnement sur les bancs socialistes) sans qu'on puisse aboutir à une réponse satisfaisante. Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur et éminemment politique pour la cohésion sociale et l'efficacité économique, et il y a urgence à le traiter.

Je ne reviens pas sur la genèse du débat, sinon pour constater que la position de la France est isolée et que si tout le monde est d'accord sur la nécessité d'une clarification juridique, il n'y a pas de convergence sur les moyens d'y parvenir.

La France a découvert l'expression « services d'intérêt général » en 2004-2006 avec la directive Services. Elle s'efforce depuis de définir une doctrine. Le droit communautaire reconnaît la délégation de service public en cas de mandatement, mais notre droit ignore cette dernière notion ; nous devons donc adapter notre législation tout en militant pour que l'Union adopte d'autres règles.

Le texte de Lisbonne comporte un nouveau dispositif sur les services d'intérêt général ; il faudra en tirer des règles communes. De nombreux services sociaux sont locaux. Du logement social au service de la petite enfance, il y a des marges de manoeuvre, à condition d'adapter notre système aux règles européennes. Le Gouvernement doit y travailler avec les collectivités territoriales.

L'échec du projet de constitution européenne, que ses détracteurs taxaient d'ultralibéralisme, et les difficultés du traité de Lisbonne pourraient sonner le glas d'une définition unifiée du service public européen. Le traité de Lisbonne réalise une nouvelle donne en définissant une base légale qui améliore le traité instituant l'Union européenne. Le Parlement et le Conseil définiront les principes, des valeurs communes sont énoncées et le principe de subsidiarité laisse aux États membres une marge d'appréciation.

Grâce à cette marge d'appréciation, il sera possible de mettre fin à l'insécurité juridique actuelle. Actuellement, les entreprises et les citoyens sont privés de toute visibilité et de toute certitude. Cette situation est contraire aux voeux de la France et à l'intérêt général européen. La question des services publics appelle une réponse politique, et non uniquement des solutions juridiques établies au cas par cas par la Cour de justice.

Loin du constat de départ selon lequel le droit communautaire n'envisagerait les services publics que comme une exception au marché, un véritable corpus législatif et jurisprudentiel du service public européen s'est dégagé. Qu'attendre, alors, d'une directive horizontale de l'ordre de celle proposée par Catherine Tasca ? Certes, sans modifier les principes existants, un tel instrument dissiperait les malentendus sur la place du service public dans la construction communautaire. Il aurait en outre le mérite de la clarté juridique. Mais les inconvénients de cette proposition sont tout aussi évidents que ses avantages. Une directive cadre générale cristalliserait le consensus minimal existant sur la question entre les États membres, gommerait les différences naturelles entre les secteurs et risquerait de priver les gestionnaires de services publics de la souplesse d'adaptation nécessaire.

Une démarche raisonnable consisterait à concilier les contraires, de manière empirique et pragmatique. De grands principes communs précisant les lignes directrices fixées par le protocole n°9 annexé au traité de Lisbonne seraient alors déclinés par trois ou quatre directives sectorielles. Cela éviterait de se contenter du plus petit dénominateur commun, avec, pour conséquence, un nivellement par le bas. L'opportunité de l'action ne fait pas débat. La solution envisagée par la commission des affaires économiques nous paraît être un bon compromis.

La place des services publics en Europe est un enjeu éminemment politique dans la perspective des prochaines élections européennes. Le modèle social européen, l'équilibre entre les exigences d'une économie compétitive et l'intérêt général protecteur sont au centre du débat. Si l'Union européenne assure aux services d'intérêt général les moyens de fonctionner, elle sera perçue positivement. La France a, dans ce contexte, un rôle très particulier à jouer. C'est l'un des États membres -sinon le seul- les plus soucieux de promouvoir les services publics en Europe : dans ce domaine, notre pays a une tradition juridique solide, et qui ne se limite pas aux services publics nationaux à statut.

Les Français peuvent s'enorgueillir des succès rencontrés par leurs entreprises chargées de services publics sur le marché européen. Notre pays doit, cependant, éviter toute morgue : le service public « à la française » a sans doute ses qualités propres, mais il ne peut prétendre à l'exemplarité. Les contraintes communautaires ont même suscité des améliorations et nous avons aussi à apprendre des pratiques d'autres États membres.

Nous sommes favorables à la mise en place d'un cadre juridique capable de fournir aux services publics une nécessaire pérennité. A défaut, ces derniers demeureront sous le feu de la guérilla de la Commission européenne et de la Cour de justice, sans aucune perspective de visibilité à long terme. Il est donc urgent de donner un contenu au marché intérieur social en s'inspirant des principes de loyauté, de transparence, d'universalité et d'égalité qui forment l'essence de nos services publics. Avec ces réserves, nous voterons cette proposition de résolution modifiée par les amendements de la commission des affaires économiques. (Applaudissements à droite)

M. Aymeri de Montesquiou.  - La crise financière actuelle nous oblige à porter un regard différent sur les services publics et sur l'action des pouvoirs publics au sein de notre économie. Ni le marché ni la concurrence ne peuvent répondre, en toute circonstance, aux besoins d'intérêt général. Même les plus libéraux parmi nos partenaires de l'Union européenne sont en train de redécouvrir les vertus de la régulation, et le dernier G20 confirme cette tendance.

La question des services publics doit à nouveau se placer au coeur de la construction européenne. Pour beaucoup, et ils n'ont pas totalement tort, l'Europe est celle de technocrates qui ouvrent les services publics aux vents de la mondialisation. Le débat est toujours vif sur l'équilibre nécessaire entre cette déréglementation et la persistance d'une spécificité française : toute redéfinition des missions du secteur public par l'Union européenne est généralement perçue comme contestant davantage le rôle social de celui-ci que son efficacité économique. L'ouverture à la concurrence à travers le marché unique, qui constitue la raison d'être historique de l'Europe, est donc devenue le vecteur d'une autre évolution touchant à la racine même du modèle politique français.

Si la question ne se pose pas en France de la même façon qu'en Grande-Bretagne ou en Italie, il existe un très large consensus en faveur de services d'intérêt général de qualité pour tous les citoyens et toutes les entreprises de l'Union européenne. Cette conception commune se fonde notamment sur le service universel, la continuité et la qualité, l'accessibilité financière et la protection des usagers et des consommateurs. Le droit communautaire a reconnu la spécificité de la gestion de services d'intérêt économique général, ainsi que la compatibilité de ces derniers avec les objectifs d'un marché intérieur ouvert et concurrentiel.

Les services d'intérêt général sont reconnus par les institutions européennes et notamment, depuis le Livre blanc de la Commission de 2004, comme une composante essentielle du modèle européen de société.

M. Hubert Haenel.  - Très bien.

M. Aymeri de Montesquiou.  - Jusqu'à présent, l'approche sectorielle, concernant surtout les grandes industries de réseau, était privilégiée. C'est regrettable. La Commission n'a pas prévu de proposer cette année un instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général. Sa stratégie pour 2010 ne le laisse pas non plus supposer, même si elle prévoit d'utiliser les leviers dont dispose l'Union européenne pour soutenir la lutte contre le chômage et préserver la cohésion sociale.

Pour réconcilier les peuples européens avec l'Europe, il est indispensable de ne pas négliger la vocation sociale de cette dernière, et notamment les services publics. Le statut des services d'intérêt général doit être renforcé par un cadre juridique. Dans une économie européenne soucieuse à la fois d'efficacité et de justice sociale, les rapports entre acteurs concurrentiels et services publics doivent être équilibrés. Le groupe RDSE partage la préoccupation des auteurs de cette proposition de résolution et la soutiendra, avec les modifications apportées par notre commission des affaires économiques. (M. Jean-Paul Emorine, président de la commission, et M. Pierre Hérisson, rapporteur, applaudissent)

M. Roland Ries.  - L'article 3 du traité de Lisbonne précise que l'Union européenne « combat l'exclusion sociale et les discriminations, promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et les droits de l'enfant. Elle promeut la cohésion sociale, économique et territoriale et la solidarité entre les États membres ». Ces principes ne doivent pas être de simples mots conservés dans un écrin, mais un guide pour la conduite de la politique sociale de l'Union.

Les services d'intérêt général constituent les instruments essentiels de la cohésion sociale, économique et territoriale de l'Union européenne. Avec la crise économique et financière, ils le deviennent chaque jour davantage. Or, dans ce domaine, la Commission a fait preuve d'une grande timidité.

Certes, du traité d'Amsterdam au traité de Lisbonne, un cadre juridique a été peu à peu posé. Mais, hors ces articles et des déclarations d'intention, rarement suivies d'effet, la Commission, qui a le monopole de l'initiative législative, s'est contentée du minimum minimorum.

Pour exemple, la définition des services sociaux d'intérêt général ayant été laissée à la Cour de justice des communautés européennes, 80 % de ces services, notamment le logement social, la protection sociale ou encore les soins de santé, sont considérés comme des services sociaux d'intérêt économique général au motif qu'ils sont rendus dans le cadre d'un marché, moyennant rémunération. Mais faut-il appliquer les règles du marché et de la concurrence quand il s'agit d'aider les plus vulnérables et lorsque ces services sont rendus par de petits prestataires, qui interviennent souvent seuls dans un secteur donné ? Le statut d'entreprise, que le droit européen leur confère systématiquement, leur est-il vraiment adapté ? La Commission a même envisagé de les assimiler à des services marchands en les intégrant dans la fameuse directive Services. Elle a reculé devant l'opposition pugnace des eurodéputés, notamment socialistes...

M. Hubert Haenel.  - Ils n'étaient pas les seuls !

M. Roland Ries.  - ...et exclu les services sociaux sous certaines conditions, Parmi ces conditions, figure l'obligation de mandatement du prestataire social par la puissance publique, ce qui est source de difficultés considérables. Tout d'abord, ce sont souvent les associations qui créent la demande, proposent un service, notamment s'agissant des soins aux SDF, à la petite enfance, aux personnes âgées ; service parfois repris par l'État ou les collectivités territoriales. La notion de mandatement va donc à rebours de la réalité sociale. Ensuite se pose la question du contrôle des fonds publics engagés. Les règles de financement, précisées par la Cour de justice dans son arrêt Altmark de 2003 et la Commission dans le paquet Monti-Kroes, sont si complexes qu'il est impossible au prestataire d'être exempté de l'obligation de notification pour aide d'État. En effet, le prestataire doit démontrer -c'est kafkaïen !- que la compensation reçue n'affecte en rien l'équilibre du marché et qu'elle correspond strictement au coût moyen du service, tel qu'il serait rendu, pour reprendre les termes poétiques de la Cour, par « une entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée ». Qu'est-ce à dire ?

En définitive, nous avons, d'un côté, ceux qui veulent libéraliser globalement les services ; de l'autre, ceux qui veulent maintenir ce secteur dans un flou juridique préjudiciable à son bon fonctionnement, à commencer par M. Barroso, président de la Commission, qui, associant systématiquement depuis cinq ans l'idée européenne à la dérégulation -je pense à la directive Bolkestein mais aussi au projet avorté de la directive Temps de travail-, a renoncé à présenter une directive sur les services publics en novembre 2007. Nous, socialistes, condamnons fermement cette position. Et la présidence française, qui constituait, selon M. Toubon, une « fenêtre de tir à ne pas manquer », a déçu sur ce terrain. Bref, la future Commission, que l'on espère renouvelée, devra se saisir d'urgence de ce dossier, comme le rappelle le PSE dans son Manifeste pour les élections européennes de juin. Puisse le renouvellement du Parlement européen contribuer à débloquer la situation !

Nous ne pouvons que souscrire à la proposition de résolution de Mme Tasca. Il y va de l'impérieuse nécessité de sécuriser les victimes de cette crise économique profonde qui ne pourra être résolue dans le cadre étroit des nations qui composent l'Union ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Teston.  - En l'absence d'une législation cadre qui réaffirme le principe de subsidiarité, sont appliquées aux services d'intérêt général les règles de la concurrence ou de la libre circulation. Résultat : la Commission, qui évalue ces services sous le seul angle du marché intérieur, intervient de plus en plus auprès des autorités nationales, régionales et locales, sur les services sociaux d'intérêt général, que M. Ries vient d'évoquer, mais aussi sur les services d'intérêt économique général. Ceux-ci, relatifs aux réseaux de transports, d'énergie, des postes et des télécommunications, font l'objet de directives sectorielles, dont la Commission donne une interprétation de plus en plus libérale malgré la jurisprudence constante de la Cour de justice des communautés européennes, depuis 1993, selon laquelle des restrictions à la concurrence sont autorisées si elles sont nécessaires à l'accomplissement d'une mission d'intérêt général.

Prenons les services postaux qui, en 2004, représentaient 1 % du PIB communautaire et 1,6 million d'emplois. La levée, le tri et la distribution du courrier est régi par les directives 97/67/CE et 2008/6/CE, qui prévoient la suppression du monopole résiduel au 1er janvier 2011 des opérateurs historiques sur les plis de moins de 50 grammes, soit le secteur réservé, et définissent le service postal universel de manière moins précise que les obligations de service public imposées à la Poste française. Une législation cadre aurait probablement permis de maintenir ce secteur réservé qui, même s'il ne représente plus que 30 % de l'activité, finance le service postal universel, de même qu'elle aurait empêché la Commission, comme son rapport de 2008 le montre, de faire pression sur les États membres pour aller plus vite et plus loin que les directives. Selon le commissaire européen McCreevy, « les marchés ne vont pas s'ouvrir de manière automatique. Les réformes nécessaires au niveau national doivent être rigoureusement poursuivies ». Bref, comme elle l'a fait pour la directive Services, la Commission veut orienter la transposition de la directive en cherchant à imposer des dispositions qui rendent plus difficiles encore les conditions d'exercice du service public, notamment en matière de maillage du territoire.

En outre, la Commission n'hésite pas à faire maintes remarques aux États membres, à huit d'entre eux notamment : ainsi le gouvernement allemand a, lors de l'ouverture de son marché postal, décidé d'instaurer un salaire minimal pour les postiers. Cette mesure de bon sens vise à éviter tout dumping social. Or la Commission y voit une atteinte inacceptable à la concurrence... N'est-ce pas sidérant ?

Pour contrer de telles pressions, un texte cadre doit définir clairement les services publics, établir la liste des obligations communes et préciser strictement la répartition des compétences entre le niveau communautaire et le niveau national. Les opérateurs postaux historiques de 11 États membres ont accepté l'ouverture complète du secteur postal, tout en réclamant un financement garanti pour le service universel et des règles du jeu équitables. Cette position est très compréhensible. Mais la Commission exprime son mécontentement dans son rapport de décembre 2008 !

Une législation cadre devrait laisser chaque État membre choisir le meilleur mode de financement du service universel. Cette position est défendue par le groupe PSE du Parlement européen. C'est aussi celle que nous soutenions en 2007, lors de la discussion sur l'ouverture des marchés postaux à la concurrence. J'avais proposé de maintenir un monopole résiduel. La résolution mentionne seulement le maintien du monopole tant qu'un mode de financement équivalent n'est pas trouvé... Cette formulation est insuffisante. Le fonds de compensation du service universel prévu dans la loi de 2005 ne constitue pas un moyen de financement équivalent. Voyez comment fonctionne le fonds de compensation pour le téléphone fixe !

Les services d'intérêt général ont des spécificités et la Confédération européenne des syndicats a bien raison de souligner que « des dispositions devraient être prises avant de décider de libéraliser des secteurs essentiels comme le secteur postal, afin de préserver la cohésion économique et sociale de l'Union européenne ». Nous partageons ce jugement et demandons l'adoption d'une législation cadre. (Applaudissements à gauche)

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Il y a consensus pour défendre les services d'intérêt général et le modèle du service public à la française. Nous sommes tous convaincus que certains services doivent échapper à la logique de la concurrence. Et c'est ce qui est prévu dans la directive Services, grâce à l'intervention du Parlement européen -ce qui, soit dit en passant, montre combien les élections au Parlement européen sont importantes et illustre bien le rôle des parlements européen et nationaux.

M. Hubert Haenel.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Reste à savoir quelle est la démarche la plus efficace pour défendre ces services. Je comprends la motivation qui anime Mme Tasca, mais la voie qu'elle préconise pose deux difficultés : le risque de couvrir des secteurs qui n'en ont pas besoin et la nécessité d'obtenir l'accord des autres États. Or les résistances sont bien réelles ! La définition d'un cadre juridique solide pourrait ainsi être repoussée à une échéance lointaine.

Nous préférons le pragmatisme. Durant la présidence française, une feuille de route comportant nombre d'éléments très positifs a été élaborée ; il reste à mener à bien un travail d'évaluation. Nous sommes favorables à une législation européenne, mais par voie de règlement, traitant au cas par cas les différents sujets, par exemple le logement social, sur lequel il y a urgence à définir un cadre juridique plus clair. Nous voulons avancer rapidement et ne voyons aucun intérêt à demander la nomination d'un nouveau commissaire européen !

Quelle Europe voulons-nous ? Certes pas une Europe du libéralisme absolu, mais un espace où des règles claires garantissent la liberté de tous et l'intérêt général. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion du texte de la proposition de résolution

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE

sur la communication de la Commission européenne sur sa stratégie politique annuelle pour 2009, présentée par Mme Catherine Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 2 du Traité sur l'Union européenne sur les objectifs de cohésion économique et sociale,

Vu l'article 16 du Traité sur l'Union européenne,

Vu les deuxième et troisième alinéas de l'article 86 du Traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu le protocole n°9 du TRAITÉ de Lisbonne,

Vu l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

Vu la résolution européenne du Sénat n°89 (2004-2005) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (E 2520) adoptée le 23 mars 2005,

Vu la Communication de la Commission européenne du 20 novembre 2007 « Un marché unique pour l'Europe du 21e siècle » accompagnant la communication intitulée « Les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt général : un nouvel engagement européen » (COM(2007) 725 final),

Vu la Communication de la Commission européenne du 23 octobre 2007 « Programme législatif et de travail de la Commission pour 2008 » (COM (2007) 640 final - E 3692),

Vu la Communication de la Commission européenne du 13 février 2008 « Stratégie annuelle pour 2009 » (COM (2008) 72 final),

Considérant que l'article 16 du Traité sur l'Union européenne souligne le rôle joué par les services d'intérêt économique général dans la « promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union » et invite la Communauté et les États membres à veiller « à ce que ces services fonctionnent sur la base des principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions »,

Considérant que selon la déclaration du Conseil « Marché intérieur » du 28 septembre 2000, « l'application des règles du marché intérieur et de la concurrence doit permettre aux services d'intérêt économique général d'exercer leurs missions dans des conditions de sécurité juridique et de viabilité économique qui assurent entre autres les principes d'égalité de traitement, de qualité et de continuité des services »,

Considérant que l'Union européenne, par l'article 36 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, reconnaît et respecte l'accès aux services d'intérêt économique général pour promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union,

Considérant les conclusions des Conseils européens de Barcelone et de Laeken par lesquels les États membres de l'Union européenne se sont engagés à adopter une directive-cadre sur les services d'intérêt général,

Considérant que ces conclusions constituent une base légale suffisante pour mener à bien ce projet essentiel qui participe pleinement à la réalisation des objectifs de solidarité mais aussi de cohésion économique et sociale,

Considérant que l'article 14 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et le protocole n°9 du Traité de Lisbonne sur les services publics offrent désormais une base juridique claire pour l'adoption d'une législation cadre,

Considérant que le Sénat par sa résolution n°89 (2004-2005), adoptée le 23 mars 2005, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, a appelé la Commission européenne « à formuler une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt économique général »,

Considérant que le rapport du Conseil économique et social du 17 avril 2008 insiste sur la nécessité de préserver les spécificités des services sociaux d'intérêt général,

Considérant que la Présidence française n'a pas retenu cette initiative comme un élément essentiel pour la défense d'une Europe sociale dont elle avait pourtant affirmé qu'elle devait être la priorité de l'année 2008,

Considérant l'insuffisance des mesures proposées par les États membres au nom de l'Union européenne pour répondre aux conséquences des crises économique et sociale qui frappent aujourd'hui de plein fouet les citoyens européens,

Considérant qu'une garantie accrue des services d'intérêt général contribuerait à renforcer la solidarité et la cohésion sociale dont les citoyens européens ont aujourd'hui besoin,

Considérant que toutes les incertitudes juridiques européennes concernant les services d'intérêt général doivent être levées,

Regrette l'absence de proposition de directive-cadre sur les services d'intérêt général :

- dans la stratégie politique de la Commission européenne pour l'année 2009 ;

- dans l'« Agenda social renouvelé » 2010-2015 ;

- dans le bilan de la présidence française,

Demande à la Commission européenne de prendre des initiatives en vue de conforter le statut des services d'intérêt général ;

Demande l'inscription dans la stratégie politique la Commission européenne pour l'année 2009 de l'examen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général ;

Demande que, dans la perspective du renouvellement de la Commission européenne au 1er novembre 2009, soit créé un poste de Commissaire européen chargé des services publics qui serait le garant de leur prise en compte dans toutes les politiques communautaires, de leur niveau de qualité et de leur bon fonctionnement.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Aux quatrième, cinquième et treizième alinéas de la proposition de résolution, remplacer les mots :

Traité sur l'Union européenne

par les mots :

Traité instituant la Communauté européenne

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Nous corrigeons des erreurs matérielles.

L'amendement n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Billout et les membres du groupe CRC-SPG.

Supprimer les septième et dix-huitième alinéas de la proposition de résolution.

Mme Annie David.  - Nous proposons de supprimer la référence au traité de Lisbonne, qui ne constitue nullement un pas décisif pour la reconnaissance des services publics. Parmi les services d'intérêt général, il ne retient en effet que les services économiques et oublie les services sociaux d'intérêt général.

Comme les autres traités européens, celui de Lisbonne fait de la libre concurrence l'alpha et l'oméga de la construction européenne. La délégation européenne du Sénat notait que « la libre concurrence n'est plus placée au même niveau que des objectifs généraux comme le développement durable ou la cohésion économique, sociale et territoriale » mais estimait prudemment que la portée de ce changement dépendrait « de la manière dont il sera pris en compte par (...) la Commission européenne et la Cour de justice ». Or nous connaissons bien leur position : toutes les activités peuvent être considérées comme économiques, et en particulier les services dans le domaine social. Les services d'intérêt général doivent être réservés aux plus démunis. Ils ne sont plus considérés comme des outils d'aménagement du territoire, de cohésion nationale et de réduction des inégalités mais comme une réponse spécifique à toutes les formes d'exclusion engendrées par le libéralisme. Bref, la puissance publique gère les externalités négatives d'un système économique sur lequel elle n'a pas prise... Les principes libéraux, et notamment la libre circulation des capitaux, ont précipité l'Europe dans l'une des crises les plus graves de ce siècle en déconnectant économie réelle et marché financier.

J'ajoute que le traité n'est pas, à ce jour, adopté par tous les États membres.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Hérisson, au nom de la Commission.

A la fin du dix-huitième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

législation cadre

par le mot :

législation

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Amendement de précision.

Défavorable à l'amendement n°1. Le traité de Lisbonne est le premier à consacrer, dans son protocole n°9, la défense des services d'intérêt général. Au moment où le vote du Sénat tchèque va peut-être permettre la poursuite de sa ratification, nous devons rappeler notre attachement à ce traité.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Sagesse sur l'amendement n°4.

C'est une grave erreur politique que de refuser le traité de Lisbonne, car c'est refuser l'Europe politique. Le protocole n°9 renvoie aux services d'intérêt économique général mais aussi, pour la première fois, aux services d'intérêt général non économiques. C'est un réel progrès. Par ailleurs, l'article 14 prévoit un encadrement des services d'intérêt général, ce que demande Mme Tasca.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

Mme Catherine Tasca.  - Je remercie le rapporteur de l'attention qu'il a portée à notre texte, mais il n'est pas anodin de passer d'une législation cadre à une simple législation, qui peut être sectorielle. Nous voulons une législation générale qui mette de l'ordre dans le monstre communautaire, définisse et encadre les services publics dans ce marché concurrentiel qui semble être le seul horizon de la Commission Barroso, et mette un terme à l'étouffement provoqué par la superposition de directives sectorielles, jouets d'une libéralisation agressive. A la France de convaincre ses partenaires par une position claire. La commission et le Gouvernement disent partager notre analyse sur les services d'intérêt général : faites donc encore un petit effort pour nous rejoindre ! Nous ne pouvons accepter la rédaction du rapporteur.

L'amendement n°4 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Rédiger comme suit le seizième alinéa de la proposition de résolution :

Considérant les conclusions du Conseil européen de Barcelone par lesquelles les États membres de l'Union européenne ont demandé à la Commission de proposer une directive cadre sur les principes relatifs aux services d'intérêt économique général,

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Amendement de précision. Nous supprimons la référence au Conseil européen de Laeken. D'autre part, les États ont demandé à la Commission de proposer une directive cadre ; ils ne se sont pas engagés à adopter une telle directive.

L'amendement n°3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Hérisson, au nom de la Commission.

Remplacer le vingt-et-unième, le vingt-deuxième et le vingt-troisième alinéas de la proposition de résolution par un alinéa ainsi rédigé :

Considérant qu'une garantie accrue des services d'intérêt général contribuerait à renforcer la solidarité et la cohésion sociale dont les citoyens européens ont aujourd'hui besoin, notamment pour répondre aux conséquences des crises économique et sociale qui frappent aujourd'hui de plein fouet les citoyens européens,

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La référence à la présidence française de l'Union européenne et à la supposée « insuffisance » des mesures proposées par les États membres au nom de l'Union est injuste et ne correspond pas à l'objet de la proposition de résolution. La présidence française a largement oeuvré pour sécuriser les services sociaux d'intérêt général, et la proposition de résolution portant sur un document de la Commission, il est préférable de s'en tenir à des observations sur la politique de cette dernière. Par ailleurs, je propose de déplacer la formulation appelant « une réponse aux conséquences des crises économique et sociale » dans le considérant suivant.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Avis favorable.

M. Michel Teston.  - La France s'était targuée de faire de 2008 l'année de l'Europe sociale ; les six mois passés à la tête de l'Union auraient dû être l'occasion de progresser en ce sens. La crise a certes bousculé le programme de la présidence mais une initiative législative pour les services publics ou, simplement, l'adoption d'un calendrier auraient eu toute leur place dans un plan de relance européen.

Le Président de la République veut faire du bilan de la présidence française le coeur de la campagne européenne. L'UMP a beau revendiquer une « Europe qui protège », une « Europe rempart », pas un mot dans son programme sur la protection des services publics ! On s'en tient au principe de subsidiarité, pourtant malmené par les mesures libérales et l'absence de législation cadre.

Contrairement à ce qu'affirme le rapport, une présidence en exercice dispose d'une grande latitude pour faire adopter ou progresser un texte législatif, comme l'ont montré les premières réponses à la crise. La défense des services d'intérêt général aurait mérité un effort équivalent. Aucune leçon n'a été tirée sur le rôle des services publics dans la gestion de la crise.

Le rapport souligne l'importance de la sécurisation des services publics pour affronter la crise. Mieux vaut tard que jamais, alors que le programme de l'UMP ne comporte pas une ligne sur le sujet... Nous maintenons que les plans de relance européens sont insuffisants parce qu'ils ne prévoient aucune action pour protéger et valoriser les services publics. Il faut une action commune ! Nos entreprises publiques -EDF, RATP, SNCF, La Poste- financent le plan de relance, à hauteur de 4 milliards ! Heureusement qu'elles n'ont pas encore été privatisées... Pourtant, pas un mot de la présidence française ou du Président de la République sur le sujet.

Les futures instances européennes devront s'engager à élaborer à court terme une proposition de législation cadre visant à mieux protéger les services publics, garants de la cohésion économique, sociale et territoriale.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Michel Teston.  - Le rapporteur ne fait aucune proposition de nature à garantir que les services publics qu'il dit défendre seront préservés. Nous voterons contre l'amendement n°5.

L'amendement n°5 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Au vingt-cinquième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

Regrette l'absence de proposition de directive cadre

par les mots :

Regrette l'insuffisance des propositions faites

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La directive cadre n'est pas le seul instrument dont disposent la Commission et les institutions européennes. Il est donc préférable de regretter, d'une manière générale, l'insuffisance des propositions faites par la Commission aussi bien dans sa stratégie politique pour 2009 que dans son agenda social 2010-2015.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable.

Mme Catherine Tasca.  - Notre groupe n'approuve pas cet amendement, qui fait l'impasse sur l'absence de texte législatif, juridiquement contraignant, et de toute initiative de la Commission, en coopération étroite avec les États membres, en vue de rééquilibrer le corpus juridique communautaire en faveur des services publics.

La Commission a décidé, fin 2007, qu'il n'était pas utile de légiférer plus avant. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir été incitée à le faire, à de multiples reprises. La nécessité d'une législation cadre a été reconnue par les États membres réunis en Conseil européen, à deux reprises au moins. Au Conseil européen de Nice, d'abord, en décembre 2000, les États membres ont invité le Conseil et la Commission à poursuivre leurs travaux en vue d'assurer une plus grande prévisibilité et une sécurité juridique accrue dans l'application du droit de concurrence relatif aux services d'intérêt général et demandé qu'un rapport leur soit transmis, pour le Conseil européen de décembre 2001, sur la mise en oeuvre de ces orientations. A la demande de la France, le Conseil européen des 15 et 16 mars 2002 a reconnu explicitement la nécessité d'une directive cadre qui précise « les principes relatifs aux services d'intérêt économique général qui sous-tendent l'article 16 du traité dans le respect des spécificités des différents secteurs concernés et compte tenu des dispositions de l'article 86 du traité ». La base juridique pour l'adoption d'un tel texte était ainsi créée.

Pas plus que ces deux déclarations, la démonstration, apportée en mai 2006 par les socialistes européens, qu'il était possible d'élaborer un projet cohérent de directive cadre pour les services publics, n'a incité la Commission européenne à relever le défi.

Et la perspective du traité de Lisbonne ne semble pas non plus avoir ébranlé la foi néolibérale de la Commission, relayée par des commissaires européens dont la ligne de conduite est le « laisser faire » et l'application pure et simple du principe de subsidiarité.

On ne peut donc pas dire que les propositions sont insuffisantes : il n'y en a tout simplement pas. Le groupe socialiste votera ainsi contre cet amendement.

L'amendement n°6 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Supprimer le vingt-huitième alinéa de la proposition de résolution.

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - La mise en cause de la présidence française n'est ni adaptée à l'objet de la proposition, ni justifiée sur le fond.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable.

M. Roland Ries.  - Il ne s'agit pas de dénigrer globalement le bilan de la présidence française mais, sur la question des services d'intérêt général, nous en sommes restés au statu quo. M. Hérisson, dans son rapport, rappelle combien le gouvernement français a mis l'accent sur les services sociaux d'intérêt général. C'est reconnaître implicitement, puisqu'ils ne représentent qu'une partie des services d'intérêt général, que le Gouvernement a délibérément choisi de limiter son champ d'action à ces seuls services sociaux. C'est une façon bien commode de se libérer du problème général des services publics en Europe, et de se donner bonne consciente à bas prix.

Pour nous, la présidence française se devait de mettre tous les services d'intérêt général à l'ordre du jour de son programme. Les socialistes que nous sommes ne sauraient se contenter du service minimum sur cette question.

S'agissant des services sociaux, nous ne pouvons que nous interroger sur l'opportunisme du Gouvernement et l'efficacité de son action. Sachant qu'il doit transposer la directive Services d'ici à décembre, il n'y a rien de bien original à mettre en place un groupe de travail sur cette épineuse question... Il se devait également, comme chaque État membre, de remettre un rapport à la Commission européenne, en décembre 2008, sur les règles de financement de ces services. Il est donc particulièrement malhonnête de présenter ce rapport comme une initiative du gouvernement français durant sa présidence.

Sur le fond, rien n'a vraiment avancé. L'organisation de forums est-elle propre à répondre aux interrogations et aux inquiétudes des milliers de prestataires de services sociaux qui voient aujourd'hui leur financement, comme leur mission, mis en péril par des règles communautaires incompréhensibles, voire injustes ? Dans la même logique politique, la Commission européenne se contente de promouvoir le « site internet interactif » sur les services sociaux qu'elle a créé. Il est extrêmement choquant, en ces temps de crise, de s'en remettre à de tels gadgets.

Le temps n'est plus à la réflexion mais à l'action. Tant que ces questions ne seront pas intégrées au programme de travail de la Commission européenne, ou, à défaut, à l'ordre du jour d'un Conseil européen, l'insécurité juridique restera entière. Les groupes de travail, les forums, les sites internet n'y changeront rien. Il ne suffit pas d'organiser une conférence pour faire avancer un dossier. Il est temps d'aller à l'essentiel : la mise en place d'un vrai statut juridique pour préserver les services publics. Nous voterons contre cet amendement.

L'amendement n°7 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Au trentième alinéa de la proposition de résolution, remplacer les mots :

de l'examen d'une directive-cadre sur les services d'intérêt général

par les mots :

d'une proposition d'instrument juridique communautaire relatif aux services d'intérêt général

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Cet amendement reprend une formulation déjà présente dans une résolution adoptée par le Sénat le 23 mars 2005 et demande à la Commission de proposer un « instrument juridique communautaire », sans se limiter au seul outil de la directive cadre. La rédaction proposée concernerait l'ensemble des services d'intérêt général, qu'ils soient ou non économiques.

Il s'agit d'ouvrir l'éventail des possibilités au règlement, dans le respect des prérogatives des États. Un texte pourrait par exemple être adopté sur les services sociaux d'intérêt général, aujourd'hui les plus menacés.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - Favorable. C'est là un point essentiel, dont dépend la crédibilité de cette résolution. Si l'on veut lui donner le maximum de chances d'être opérationnelle, il est bon d'élargir ainsi le cadre.

Mme Catherine Tasca.  - Nous touchons en effet là un point crucial. Nous allons décevoir le rapporteur, mais pas autant qu'il ne nous a lui-même déçus.

Lors de l'examen par le Sénat de la première version dite Bolkestein de la directive relative aux services, en mars 2005, la commission des affaires économiques avait accepté de demander à la Commission européenne de « formuler une proposition d'instrument juridique communautaire relative aux services d'intérêt économique général ». Cela ne remplissait d'ailleurs pas nos souhaits puisque nous demandions alors déjà une proposition englobant tout les services publics.

Depuis, avec les incertitudes juridiques engendrées par la superposition des directives sectorielles et le développement de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, avec le refus de la Commission européenne d'aller plus loin dans la sécurisation des services publics, il est devenu indispensable de demander une législation cadre pour les services d'intérêt général dans leur ensemble. Nous souhaitons qu'il soit bien clair que nous demandons une proposition législative qui soit soumise, comme cela est prévu par le traité de Lisbonne, à la procédure de codécision, et non un objet juridique non identifié, comme une charte. La proposition du rapporteur ne répond pas à cette ambition : nous ne pouvons y souscrire.

L'amendement n°8 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission.

Rédiger comme suit le dernier alinéa de la proposition de résolution :

Demande que, dans la perspective du renouvellement de la Commission européenne au 1er novembre 2009, soit confiée à un Commissaire européen la charge de garantir la prise en compte dans toutes les politiques communautaires des services publics, de leur niveau de qualité et de leur bon fonctionnement.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. - Tout en partageant l'objectif de cet alinéa de confier explicitement à un commissaire européen la charge de défendre les services publics, nous proposons d'en assouplir la rédaction en prévoyant que la compétence en question pourrait être confiée à un poste de commissaire déjà existant et non nécessairement à un poste de commissaire nouveau qui n'aurait que cette attribution. C'est d'autant plus nécessaire que l'application du traité de Nice imposera de diminuer le nombre de commissaires.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État  - J'ai déjà dit mon avis favorable.

M. Michel Teston.  - C'est inacceptable : les services publics seraient définitivement sous la coupe de la Direction générale du marché intérieur ou, pire, de celle de la concurrence. Le rapporteur objecte que la prise en compte des services publics dans les politiques communautaires est dévolue au secrétaire général du Conseil. Soyons sérieux ! Ce secrétariat général a pesé peu de poids, ces dernières années, face au volontarisme ultralibéral de Charlie McCreevy ou de Nelly Kroes. Ce sont eux qui ont fait la pluie et le beau temps dans l'interprétation des missions des services publics et qui sont parvenus à instaurer la primauté du droit de la concurrence sur ces services publics. En raison de la complexité de leur mission et de leur rôle pour la cohésion économique et sociale, un commissaire à part entière ne serait pas de trop pour engager une politique volontariste de développement des services d'intérêt général, qui sont les garants de la cohésion sociale et économique européenne. Nous voterons contre cet amendement, qui dénature notre proposition et serait une régression.

L'amendement n°9 est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution amendée.

Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition  - Cette proposition de résolution est la première à être débattue dans le cadre de la semaine d'initiative sénatoriale. La réforme constitutionnelle s'avère difficile à évaluer dans ses effets. L'articulation entre la portée du droit d'amendement en commission et l'instauration d'une semaine d'initiative sénatoriale n'est à l'évidence pas aisée.

Reste que notre assemblée a pu débattre ce jour des services d'intérêt général en Europe et des instruments législatifs permettant de leur apporter la protection juridique qui leur fait défaut. Je me félicite de l'initiative des sénateurs socialistes. Les services d'intérêt général sont un des piliers de l'Europe sociale que nous voulons ; pourtant, leur reconnaissance juridique, minimale, les expose aux règles de la concurrence et du marché intérieur. Leur rôle stabilisateur a été reconnu, y compris par les pays les plus marqués par l'idéologie libérale.

Cette analyse, ici, fait consensus : les travaux de la commission des affaires économiques en ont fait la preuve. De l'analyse il faut désormais passer à la mise en oeuvre et c'est l'objet de notre proposition de résolution. Ce pas supplémentaire, la droite le refuse, défendant un statu quo qui n'est plus défendable en période de crise. Vos amendements, loin d'être anodins, ont modifié en profondeur l'esprit même de notre proposition de résolution. J'ai le sentiment d'un rendez-vous manqué. En vous faisant les partisans du statu quo, vous vous rangez aux cotés de la Commission européenne et de son président, qui n'ont cessé de s'opposer à toute protection des services publics. Vous soutenez une commission qui use de son droit d'initiative comme d'une force de blocage à l'édification d'une Europe qui protège. Les socialistes veulent garantir de façon efficace les services publics en Europe. Vous dites partager cette volonté mais, en réalité, vous vous payez de mots car vous refusez de franchir ce pas supplémentaire qui donnerait à cette analyse partagée.

Ainsi, sur deux points cruciaux, vous refusez le passage à l'acte. Vous refusez la législation cadre, pourtant seul rempart efficace à la remise en cause des services publics. De même, vous écartez la perspective d'un commissaire en charge des services d'intérêt général. Or, vous le savez fort bien, confier cette politique à un commissaire en charge du marché ou de la concurrence, c'est condamner d'avance ces services à l'effacement.

Nous voterons contre la proposition de résolution que vous avez amendée.

M. Michel Billout.  - La conception communautaire des services d'intérêt général ne permet pas une ambition de service public à la hauteur des besoins des citoyens européens. Avec la directive Services, les services d'intérêt général ne sont plus considérés que comme des facteurs de compétitivité économique, selon les termes du rapport Rapkai, voté par le Parlement européen en septembre 2006. Le droit souverain des États membres à définir l'intérêt général et à organiser leurs services publics se trouve par conséquent limité par les traités au nom de la libre concurrence et de la liberté d'établissement. Les techniques de passation de marchés publics sont modifiées, les aides d'État prohibées, la puissance publique ne peut remplir une mission de service public que si elle est mise en concurrence avec d'autres opérateurs, dans les conditions strictes fixées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union. Le choix de substituer à la notion française de service public celle, communautaire, de service d'intérêt général, a permis aux gouvernements successifs d'exclure progressivement toute maîtrise publique de secteurs clefs de l'économie. Les citoyens, usagers des services publics sont cantonnés à un rôle de client-consommateur, sans pouvoir exprimer démocratiquement leurs choix sur les services nécessaires à la société entière. Les législations des États membres sont mises sous tutelle : en matière de services publics, ils devront justifier toute initiative législative ou réglementaire, ainsi que tous les régimes d'autorisation ; c'est ce qu'on appelle le« mandatement ».

Certes, on nous dit qu'en cas de conflit entre les règles de la concurrence et les missions d'intérêt général, ces dernières priment. Les textes reconnaissent également que les États ont le droit de définir l'intérêt général. Mais c'est la Commission et, en dernier ressort, la Cour de justice européenne qui décident des limites de cette « dérogation ».

Pourtant, les auteurs la proposition de résolution tout comme le rapporteur affirment que le traité de Lisbonne permettra une reconnaissance des services d'intérêt général. Nous ne sommes pas du tout d'accord ! Une récente recommandation de la Commission rappelle que, en tout état de cause, les règles de la concurrence prévaudront pour nos services publics. Et des débats récents ont bien montré que même la protection sociale était en jeu, puisqu'on passe d'une conception assurantielle à une conception assistantielle, comme nous vous l'exposions dans notre amendement.

Pour nous, l'Europe doit au contraire nourrir de grandes ambitions pour ses services publics, qui ont à couvrir le champ des droits fondamentaux du XXIsiècle : l'éducation, la santé, le logement, l'information, la culture, les transports, les télécommunications, les services postaux, l'eau, le traitement des déchets, ainsi que... l'accès au crédit. Ces secteurs doivent obéir à des règles d'efficacité sociale sans être soumis aux pressions de la concurrence et au diktat des marchés financiers. Certes les expériences varient d'un pays à l'autre et les choix relèvent de la souveraineté de chacun. Mais dans l'urgence de la crise, une directive cadre fixant les principes et les champs d'intervention des services publics est indispensable pour, au moins, garantir une sécurité juridique au secteur social et public. Les institutions européennes doivent respecter les services publics de chaque pays ; ceux-ci doivent être soustraits à la concurrence et considérablement développés. L'Europe doit favoriser la coopération bi ou multilatérale entre services publics et sociaux nationaux ou locaux, sur tout l'espace européen ; elle doit également contribuer à la création de véritables services publics européens, d'abord dans les domaines du fret ferroviaire ou de l'énergie. La constitution progressive d'un pôle de services publics européens leur permettrait de devenir les agents principaux d'une coopération internationale axée sur le développement économique et social. C'est le contraire de ce que permettent les traités actuels et, évidemment, celui de Lisbonne.

Nous voterons contre cette proposition de résolution qui ne propose en aucune façon de sortir les services d'intérêt général d'une logique ultralibérale dont la crise nous montre chaque jour combien elle a failli.

A la demande de la commission des affaires économiques, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 187
Contre 139

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - En application de l'article 73 bis du règlement, la proposition de résolution adoptée par le Sénat sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.

Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.

Ce débat sera organisé autour de quatre thèmes : évolution du système d'information Schengen ; association des parlements nationaux au contrôle d'Europol ; mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement ; droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

Évolution du système d'information Schengen

M. Robert del Picchia, pour la commission des affaires européennes. - En 2001, le Conseil européen a confié à la Commission le soin d'élaborer un système Schengen de deuxième génération (le SIS 2) doté de nouvelles fonctionnalités comme l'holographie et les empreintes. Ce système devait aussi permettre la connexion des nouveaux États membres. Opérationnel depuis 1995, le SIS constitue la contrepartie de la libre circulation des personnes au sein de l'espace Schengen. Cet outil de contrôle aux frontières extérieures et de sécurité intérieure permet aux autorités compétentes de disposer en temps réel des informations introduites dans le système par l'un des États membres grâce à une procédure d'interrogation automatisée. Le SIS est composé d'une partie nationale dans chaque État membre et d'une structure de support centrale, installée à Strasbourg et dont la gestion technique est assurée par la France.

L'évolution vers le SIS 2 a subi de nombreux retards. Prévue pour octobre 2007, elle a été décalée à septembre 2009. Puis la présidence française a fait adopter par le Conseil, en octobre 2008, les textes nécessaires pour proroger le mandat de la Commission européenne tout en clarifiant ses relations avec les États membres. Cette clarification juridique n'est pas allée de pair avec une clarification technique : des blocages empêchent le système central de fonctionner de manière satisfaisante. D'ores et déjà, le calendrier modifié début 2008, et donc l'échéance de septembre 2009, sont inapplicables. Face à cette situation, il a été décidé, sous présidence française, d'engager une réflexion destinée à faire émerger une solution alternative, au cas où il s'avérerait impossible de rendre le SIS 2 opérationnel.

Il faudra aussi vérifier la fiabilité des liens entre le système central et les systèmes nationaux. Parallèlement, l'examen du scénario alternatif doit être approfondi. Un rapport doit être présenté en mai par la présidence et la Commission européenne en liaison avec la task force qui associe les États membres. Ce rapport devra contenir une évaluation et une comparaison détaillée des deux scénarios. Au vu de cette situation peu favorable, nous ne pouvons que constater que les réserves que nous avions émises sur la méthode retenue étaient fondées.

Le nouveau système devra être au moins aussi performant que le système existant. Pouvez-vous éclairer le Sénat sur les travaux techniques en cours et sur les résultats auxquels ils sont parvenus à ce jour ? Pouvez-vous nous donner des précisions sur les coûts de ce projet pour le budget communautaire et pour la France ? Quelle évaluation peut-on faire des deux scénarios envisagés ? Peut-on compter que le Conseil européen parvienne en juin à des conclusions fermes ? Quelles seront les modalités de gestion les plus opérationnelles ?

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Je vous prie de m'excuser pour la brièveté de ce débat : je dois participer à une réunion exceptionnelle que le Premier ministre a convoquée à 19 h 45 pour traiter de la grippe porcine.

De fait, monsieur Del Picchia, le contrôle des parlementaires sur ce type de sujets est décisif. En l'état actuel des choses, les investissements destinés au SIS 2 atteignent les 27 millions. Ils sont justifiés par la nécessité d'inclure de nouvelles données, en particulier biométriques. Les difficultés techniques rencontrées sont si sérieuses que je ne puis rien vous garantir pour l'avenir.

La première exigence du Gouvernement est que ces 27 millions n'aient pas été gaspillés. Ils devront servir au nouveau système, que celui-ci soit un SIS 1 rénové ou un SIS 2. Sa deuxième exigence absolue -je le dis pour M. Ries et M. Haenel- est que le SIS reste basé à Strasbourg, dont la vocation européenne doit être défendue sous toutes ses formes.

La liberté de circulation doit aller de pair avec des technologies de contrôle performantes, dans le respect des droits des citoyens. On vient d'en voir l'utilité avec l'affaire Élise.

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Je voudrais marquer notre inquiétude pour la protection des données personnelles. Il ne s'agit pas seulement de faire fonctionner le système Schengen avec davantage d'États mais surtout d'y inclure des données biométriques. Le rapporteur du Parlement européen a parfaitement résumé l'attente des citoyens : la transparence.

Les textes se multiplient tellement qu'on peine à apprécier l'état réel de la protection des données personnelles en Europe. Il importe donc de faire le point sur les différents systèmes qui existent, et pas seulement Schengen. Une réflexion est-elle engagée à votre ministère ?

M. le président.  - Merci pour votre brièveté.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État.  - C'est une vraie question. La réflexion n'a pas été engagée mais je ne serais pas hostile à ce qu'on le fasse.

Association des parlements nationaux au contrôle d'Europol

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes.  - Le Sénat a demandé un contrôle démocratique sur Europol. Il s'est prononcé pour une commission mixte entre les parlements nationaux et le parlement européen. Cette demande est restée sans réponse.

La nécessité de renforcer la coopération policière en Europe n'est plus à démontrer mais elle doit être soumise à un contrôle démocratique auxquels sont associés les parlements nationaux. Ils contrôlent l'activité de la police et l'exercice de la justice. Cette association répond donc à une nécessité démocratique et à un objectif d'efficacité. Un tel contrôle n'est pas une idée neuve. Dès 2002, la Commission l'avait proposée, mais cette idée avait curieusement disparu lors d'un Conseil européen. Or le traité de Lisbonne permet un contrôle démocratique, via les règlements à l'élaboration desquels les parlements nationaux sont associés. Qu'on ne m'objecte pas que le traité n'est pas ratifié : c'est en bonne voie. La France doit s'y préparer et prendre des initiatives. L'enjeu est essentiel. Nos voulons que la voix de la France porte ce message simple : plus de contrôle démocratique, c'est plus de légitimité pour Europol.

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Europol, dont l'efficacité n'est plus à prouver, a été transformé en institution de l'Union le 6 avril, ce qui ouvre la voie au contrôle que vous souhaitez dans le cadre du traité de Lisbonne. Je suis donc tout disposé à répondre favorablement et à anticiper la ratification du traité, en laquelle j'ai bon espoir.

Nous avons un rendez-vous essentiel, le 6 mai, au Sénat tchèque. Nous avons eu assurance d'un résultat positif mais cela ne suffit pas à garantir la signature. Avec M. Fillon, nous avons rencontré ce matin le président polonais qui nous ait dit son accord sur le fond. Le climat s'améliore entre la Croatie et la Slovénie et le traité d'adhésion de la Croatie comportera des assurances similaires à celles qu'avait reçues l'Irlande. Dans cette course d'obstacle, chaque haie est importante et nous devons mobiliser toute notre puissance politique pour la franchir : s'il faut se battre sur chacune, j'ai bon espoir que le traité de Lisbonne soit ratifié avant la fin de l'année 2009. (M. Robert del Picchia s'en réjouit)

Mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement

Mme Muguette Dini, au nom de la commission des affaires sociales  - Je m'adresse à vous avec un sentiment de colère et de profonde frustration. Le Gouvernement ou les fonctionnaires qui le représentent à Bruxelles n'ont tenu aucun compte de la résolution que nous avions adoptée le 17 novembre dernier. Quel déni de notre volonté ! Nous avions demandé des modifications à l'article 2 qui, en l'état, remettait en cause l'égalité des citoyens devant la loi, l'un des principes fondamentaux de notre République. Le 21 novembre, les autorités françaises, qui présidaient l'Union, ont présenté plusieurs amendements sur la discrimination directe et indirecte comme sur le harcèlement, mais en ignorant la position du Sénat.

S'agissant des handicapés, enfin, nous soulignions l'insécurité juridique insupportable qui résultait de la notion d'« aménagements raisonnables », mais le 27 novembre, le Gouvernement ou ses représentants ont, pour la troisième fois, ignoré la position du Sénat.

Même mépris systématique de la volonté du législateur sur le droit d'accès des couples homosexuels à la procréation assistée, dont nous rappelions que cela relevait des parlements nationaux.

Dites clairement qu'en matière communautaire, nous ne sommes qu'une chambre d'enregistrement ! C'est ainsi que l'on éloigne l'Europe des peuples qui la composent et qu'on la rend impopulaire, antidémocratique. Si des sénateurs de tous les groupes s'étaient retrouvés autour de cette proposition de résolution qui avait fait l'objet d'un quasi-consensus, c'est parce qu'elle visait à défendre notre commun patrimoine républicain contre une directive d'inspiration ouvertement communautariste. La présidence française était une occasion unique de promouvoir une conception plus fidèle à l'héritage des Lumières. Occasion gâchée ! Je n'imagine pas que les autorités françaises ne s'engagent pas pour défendre nos valeurs et méprisent la volonté du Parlement.

M. Hubert Haenel.  - Vous avez malheureusement raison !

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Votre question dépasse le strict cadre européen.

J'ai été parlementaire et j'ai bien l'intention de le redevenir ; je suis donc très attaché au respect de la volonté du législateur. Toute l'idée que je me fais de la construction européenne est d'associer les parlements nationaux, ainsi que je viens de le montrer dans mes réponses précédentes.

Sur les discriminations, j'ai eu l'occasion de travailler avec MM. Chirac et de Villepin à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations. Je suis partisan d'une approche républicaine, bien éloignée de toute approche communautariste. Je trouvais la distinction entre discrimination directe et indirecte byzantine et hasardeuse. Nous avons essayé de contribuer à introduire une approche universaliste, parce que nous devons protéger tous les citoyens des discriminations et non pas leur donner une protection différente selon l'origine ethnique, la sexualité ou la religion. Si nous ne l'avons pas assez bien fait, nous essaierons de faire mieux demain, mais bien loin de moi la tentation de ne pas porter attention à vos propositions : nous les défendrons avec vigueur la prochaine fois.

Droits des patients en matière de soins transfrontaliers

M. Jacky Le Menn, pour la commission des affaires sociales.  - Le 11 avril dernier, le Sénat a adopté une résolution européenne sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, actuellement en cours de discussion au Conseil. Monsieur le ministre, quels efforts les autorités françaises ont-elles entrepris pour faire valoir notre position ?

Nous avons demandé que les soins hospitaliers ou spécialisés dont le remboursement est soumis à une autorisation préalable soient énumérés sur une liste établie au niveau national. Au niveau communautaire, une telle liste ne pourrait prendre en compte les différences de qualité des soins entre les États membres et serait contraire au principe de subsidiarité. Lors de la présidence française, la France a proposé le principe de listes nationales, mais la présidence tchèque n'a pas retenu cette suggestion. Où en est la discussion au Conseil sur ce sujet et quelle est la position défendue par la France ?

Nous avons également exigé que les États membres puissent accorder une priorité d'accès aux affiliés de leur régime de sécurité sociale pour les soins rares faisant l'objet d'une liste d'attente au niveau national. Nous voulons ainsi éviter qu'en matière de greffes, par exemple, un citoyen assuré dans un État ne subisse la concurrence d'un citoyen assuré dans un autre État et n'ayant pas acquitté les mêmes cotisations. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, de quelle manière les autorités françaises ont fait valoir la position du Sénat ?

La résolution juge, par ailleurs, inapplicable l'obligation faite aux États membres d'informer précisément leurs ressortissants sur le système de soins des autres États membres. L'obligation d'information devrait se limiter à celle portant sur le droit des patients de recourir à des soins transfrontaliers. Les autorités françaises ont-elles convaincu une majorité d'États membres du bien-fondé de cette proposition ?

Enfin, nous avons estimé que plusieurs dispositions du texte étaient contraires au principe de subsidiarité, notamment l'élaboration par la Commission d'orientations concernant les normes de qualité des soins, les procédures relatives aux contentieux créés par la délivrance des soins ou encore les systèmes d'assurance pour les professionnels de santé. Ces orientations risquent, par le biais de contentieux, d'aboutir à octroyer à la Cour de justice des communautés européennes le pouvoir de fixer des principes généraux ou des normes dans ces matières. Cela serait totalement inacceptable pour nos concitoyens. Cette analyse est partagée par d'autres États membres, comme l'Allemagne, la Grèce ou l'Irlande. Où en sont les négociations au Conseil sur cette question ?

Étant donné la réserve que suscite cette proposition de directive dans une majorité d'États membres, pensez-vous qu'elle sera jamais adoptée par le Conseil ? La défiance générale qu'elle inspire s'explique-t-elle par la reprise de règles très contestables établies par la Cour de justice ? Avez-vous envisagé de remettre celles-ci en cause ou vous semblent-elles inscrites dans le traité européen ?

M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Ce sujet est lui aussi essentiel. Roselyne Bachelot vous répondra par écrit sur les points les plus techniques.

Sur le fond, il s'agit de trouver un équilibre assurant l'accès aux soins tout en tenant compte des cotisations versées par les assurés. Ainsi, pour les ressortissants étrangers habitant à proximité d'une de nos frontières et désirant être soignés en France, le principe de solidarité européenne appelle la liberté totale du choix du lieu de soin. Il s'oppose cependant au principe justifiant de préserver l'équilibre de notre système de santé et de dispenser aux patients les soins auxquels le versement de cotisations leur donne droit.

Nous sommes opposés à la suppression de l'autorisation préalable, et avons défendu cette position au conseil, car notre système de santé, l'un des plus performants et des plus généreux d'Europe, serait submergé de demandes. Dans l'attente d'une harmonisation sociale européenne, cette autorisation demeure nécessaire. Elle protège notre système de soins, ainsi que les droits de l'assuré français et la solidarité nationale. Je ne pense pas que cette directive soit adoptée dans un délai proche car les systèmes de soins sont trop différents d'un État à l'autre. Une telle libéralisation ne pourrait avoir lieu qu'après un minimum d'harmonisation des différents systèmes de soins.

M. le président.  - Je vous remercie tous de votre effort de concision au cours de ce nouveau type de débat, mené sous l'autorité du président Haenel.

Prochaine séance, mardi 5 mai 2009 à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 5 mai 2009

Séance publique

A QUINZE HEURES

1. Débat sur le recrutement et la formation des hauts fonctionnaires de l'État.

2. Débat sur la politique de l'État en matière de gestion des ressources halieutiques et des pêches.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de M. Albéric de Montgolfier un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la proposition de loi de de M. Robert Hue, Mme Marie-France Beaufils, MM. Thierry Foucaud, Bernard Vera, François Autain, Mme Annie David, M. Guy Fischer, Mmes Gélita Hoarau, Éliane Assassi, M. Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier, Brigitte Gonthier-Maurin, M. Gérard Le Cam, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade et M. Jean-François Voguet, relative à l'évaluation et au contrôle de l'utilisation des aides publiques aux entreprises, aux banques et aux établissements financiers (n°239, 2008-2009).