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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Engagement de la procédure accélérée (Essais nucléaires)

CMP (Candidatures)

Débat sur le service civil volontaire

(CMP - Nominations)

Crise de l'industrie (Question orale avec débat)

Réforme de la taxe professionnelle (Question orale avec débat)




SÉANCE

du mercredi 10 juin 2009

116e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Roland du Luart,vice-président

Secrétaire : M. Daniel Raoul.

La séance est ouverte à 14 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Martin, qui fut sénateur de la Meurthe-et-Moselle de 1965 à 1974.

Engagement de la procédure accélérée (Essais nucléaires)

M. le président.  - En application de l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français, déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 27 mai 2009.

CMP (Candidatures)

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Débat sur le service civil volontaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le service civil volontaire. Les membres du groupe UMP, retenus à l'Élysée, vous prient de les excuser de leur retard.

M. Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen  - Le 22 février 1996, le Président Chirac annonçait sa décision de professionnaliser les armées et de suspendre le service national.

M. Daniel Raoul.  - Quelle erreur !

M. Yvon Collin, président du RDSE   - La loi du 28 octobre 1997 a suspendu le service militaire obligatoire pour les jeunes gens nés après le 31 décembre 1978 et l'a remplacé par un appel de préparation à la défense étendu aux jeunes filles. Ainsi disparaissait une pratique vieille de deux siècles, sur laquelle reposait jusqu'alors l'organisation de notre défense.

C'est en 1798, pendant la Révolution française, que fut instaurée pour la première fois en France par la loi Jourdan une conscription obligatoire : tous les Français de 20 à 25 ans non mariés étaient désormais astreints au service militaire. Celui-ci, dont la forme varia au cours du XIXe siècle au gré des guerres et des menaces, fut d'emblée impopulaire en raison de son coût pour les contribuables et de son caractère inégalitaire. Grâce aux efforts de la gauche et après de longs débats parlementaires, la loi Berteaux de 1905 institua enfin le service militaire universel, personnel et obligatoire. Ces principes ne furent pas remis en cause au XXe siècle, même si la durée du service et les modalités de son exécution firent l'objet d'adaptations législatives.

C'est alors que commencèrent à se faire sentir le rôle social du service militaire et son apport à la construction de la Nation grâce au brassage des citoyens. On prit conscience des bénéfices de tous ordres qu'il apportait aux jeunes Français : détection et rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, progrès sanitaire, intégration professionnelle... Mais la diversification des modalités du service en fonction des besoins des armées et des évolutions de la société affaiblit par la suite son rôle social. Devenu obsolète et très inégalitaire, il était de plus en plus souvent considéré comme une contrainte inutile, voire traumatisante. C'est pourquoi l'idée de professionnaliser les armées revint avec insistance au cours des années 1990, jusqu'à la décision de 1996.

Si cette professionnalisation n'a jamais été contestée, la suspension de l'appel sous les drapeaux a presque immédiatement suscité des regrets. Dans l'esprit de nombreux Français, la conscription universelle contribuait à la cohésion nationale et au brassage social et culturel, à l'apprentissage de la vie en commun et à la prise de conscience chez les jeunes adultes de leur appartenance à une Nation, à une communauté politique de citoyens partageant un destin commun mais aussi des droits et des devoirs. Selon l'historien Raoul Girardet, la disparition du service militaire explique en partie la fracture sociale. (M. Daniel Raoul approuve)

C'est pourquoi le débat sur l'instauration d'un service civil ne cesse de ressurgir. Ses promoteurs sont de plus en plus nombreux, y compris au sein de la classe politique et de la jeunesse. Tout le monde s'accorde sur le principe d'un service civil, mais non pas sur les modalités et conditions de celui-ci. C'est de cela qu'il nous faut débattre. Malheureusement ce sujet ne semble pas faire recette... (L'orateur désigne la partie droite de l'hémicycle)

Tout reste à faire pour que le service civil trouve une forme satisfaisante. Loin de moi l'idée de faire l'apologie nostalgique de l'ancien service militaire. J'ai souhaité ce débat afin de connaître les intentions précises du Gouvernement et d'évoquer avec tous les groupes de la Haute assemblée des pistes de réforme.

M. Jean-Michel Baylet.  - Mais les sénateurs de l'UMP sont absents !

M. Yvon Collin, président du RDSE.  - Je sais, monsieur le haut-commissaire, que vous avez-vous-même rouvert ce dossier. Pouvez-vous nous donner des détails sur le calendrier et le budget de votre projet ? Il semble que vous soyez plutôt favorable au volontariat ; nombre de parlementaires, au contraire, ont défendu l'idée d'un service civil obligatoire -je ne dresserai pas un inventaire à la Prévert des nombreuses propositions de loi et questions déposées à ce sujet dans les deux assemblées. Une proposition de loi socialiste, examinée en séance publique à l'Assemblée nationale fin 2003, fut rejetée faute d'accord sur les modalités du service. Celui-ci doit-il être volontaire ou obligatoire, long ou court ? Quelles possibilités doit-on offrir aux jeunes ? Comment renforcer leur sentiment de citoyenneté et faire de ce service un creuset républicain ?

A la suite des émeutes survenues dans les banlieues en 2005, qui traduisaient l'échec de notre politique en faveur de la jeunesse, un service civil volontaire fut instauré par la loi relative à l'égalité des chances du 31 mars 2006. Ce dispositif a minima permet aux jeunes âgés de 16 à 25 ans de s'engager dans une association, une collectivité locale ou un établissement public pendant une période de six à douze mois pour y remplir une mission d'intérêt général. L'idée est recréer du lien social, d'offrir à des jeunes en perte de repères une éducation civique et citoyenne en même temps que des perspectives d'insertion. Car il faut combattre l'individualisme qui engendre incivilité et violence et dilue le sentiment d'appartenance à une collectivité nationale. Mais ce service ne doit pas devenir une voie de recours ou de secours réservée aux jeunes en situation d'échec scolaire ou connaissant des difficultés d'insertion ! Il doit être valorisant.

Le bilan, près de trois ans après, est décevant. Nous attendons de vous, monsieur le haut-commissaire, une lecture objective et un bilan qualitatif et quantitatif du service civil volontaire, mais aussi des pistes concrètes pour l'avenir. Les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience la jugent unanimement enrichissante du point de vue professionnel, personnel et citoyen. Pour certains, ce service civil constitue une première expérience professionnelle qui leur apporte un savoir-faire et, pour tous, elle est une ouverture sur la société avec l'acquisition d'un savoir-vivre, notamment grâce à la rencontre de personnes de divers horizons et à l'apprentissage du civisme.

Ce dispositif devait concerner progressivement jusqu'à 50 000 jeunes en 2007. Or seulement 3 134 volontaires ont été recrutés depuis sa création. Actuellement, seulement 2 800 jeunes effectuent un service civil volontaire. Il semble que ce service civil souffre d'un déficit d'information et de la complexité de ses procédures. Son actuel manque de souplesse rendra difficile un élargissement, réclamé par le RDSE et les Radicaux de gauche, et indispensable à son adaptation aux besoins de notre société.

Alors, puisqu'il nous faudra sans doute créer un nouveau dispositif plus conforme aux attentes des jeunes, il convient de nous interroger sur les caractéristiques que devra revêtir ce service civil. Avant tout, son appellation même peut faire l'objet d'un débat. Le terme de « service civique », pourrait être préféré car il traduit mieux le lien avec la notion de citoyenneté et avec celle, chère à mon groupe, de « civisme ».

Il faut aussi définir qui sera concerné par ce nouveau service. Les hommes et les femmes, cela ne semble pas être remis en question, mais de quel âge et à quel moment de leur vie ? Il conviendra aussi de préciser quelles seront les dispenses.

La question de la durée de ce service fait ensuite débat. Pour certains il pourrait être scindé en plusieurs périodes, fractionnement qui pourrait s'avérer plus aisé à mettre en place, surtout d'un point de vue budgétaire. Mais une durée de six mois consécutifs au moins assoirait plus solidement la crédibilité du dispositif. Certains pourraient le prolonger par un semestre supplémentaire.

Par ailleurs, il convient de réfléchir sérieusement à la nature des tâches effectuées pendant ce service que nous souhaitons civique, et de préciser les structures d'accueil où il pourrait se dérouler. Cela permettra de définir qui l'encadrera et de connaître plus précisément les crédits nécessaires. Cela aura un coût pour I'État, mais la formation de la jeunesse est le meilleur investissement qui soit pour un pays ! On pourrait aussi imaginer un service civique qui se déroulerait tout entier ou en partie à l'étranger. A l'époque du service militaire, c'était souvent les fils des classes aisées qui partaient en coopération. Il faudrait au contraire ouvrir cette possibilité aux jeunes des couches populaires. Le succès du volontariat international en entreprise ou en administration doit nous encourager dans cette voie.

La nature de ce service devra être clairement définie : s'agira-t-il d'un nouveau droit comparable au droit à l'éducation par l'école, ou bien d'un devoir, autrement dit d'une obligation dans l'intérêt de la Nation, comme l'était le service militaire ? De la réponse à cette question découle la nature des contreparties que les citoyens seront en droit d'attendre ou pas de ce service. On pourrait imaginer, au-delà d'une rémunération financière nécessaire -car tout travail mérite salaire-, un système de validation des acquis de l'expérience et différents avantages : le permis de conduire, une formation professionnelle, et pour la carrière future : un bonus de points dans la fonction publique, une priorité pour les choix des postes, des facilités dans les évolutions de carrière. Cette étape doit s'avérer gratifiante, elle pourrait aussi créer des droits en matière de cotisations d'assurance maladie et retraite. Le succès du dispositif repose sur son attractivité : il doit être un atout pour les jeunes et non un handicap.

Pour finir, la principale question, et la plus complexe : celle du caractère obligatoire ou volontaire de ce service civique. L'actuel service civil est basé sur le volontariat. Pourtant, beaucoup de voix s'élèvent sur tous les bancs en faveur d'un service obligatoire. J'en fais partie.

M. Jean-Michel Baylet.  - Pas moi !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Il a tort !

M. Yvon Collin, président du RDSE  - Je sais ce point de vue partagé par plusieurs de nos collègues de l'opposition comme de la majorité. Je pense par exemple à Alain Chatillon qui connait très bien ce sujet. Pousser les jeunes peut parfois les aider à murir leurs projets. Un service obligatoire doit être attractif et valorisant et, idéalement, tout le monde devrait pouvoir en tirer bénéfice. Car c'est l'occasion de sortir de chez soi, d'apprendre la solidarité, d'aller à la rencontre des autres pour mieux se connaître soi-même. Cette aventure peut s'avérer déterminante pour la suite de sa carrière et de sa vie. Les jeunes sortent parfois transformés par ce type d'expérience. Mais, ne faut-il pas mieux les encourager à s'impliquer plutôt que les contraindre à une mission, qu'ils risquent de vivre comme une corvée ? C'est là tout l'enjeu pour la réussite d'un service civique.

Je ne prétends pas apporter aujourd'hui des réponses à toutes ces questions. De nombreux spécialistes se sont penchés sur la question et il est temps de passer à l'action. Le rapport de Luc Ferry au Président de la République, s'il prône un « service civique volontaire plutôt qu'obligatoire », admet néanmoins que les deux modèles se défendent. Quoiqu'il arrive, il faudra passer par une phase de service volontaire qui donnera l'occasion de mieux évaluer les besoins en termes d'organisation pratique et de tester des formules pilotes. Nombreux sont les jeunes qui depuis des années s'engagent ou voudraient s'engager pour trouver leur place dans une société parfois dure envers eux ou pour mieux préparer leur entrée sur le marché du travail. Pourtant on ne leur offre rien d'adapté. Mais le risque de conflit ouvert avec la jeunesse est réel si l'on opte pour l'option d'un service obligatoire. Les sondages montrent qu'ils n'y sont pas tous favorables. Les jeunes radicaux de gauche, pour ne citer qu'eux, adhèrent pleinement à cette idée d'un service civique obligatoire d'au moins six mois. A l'instar de l'ancien service militaire, le service civique élargi inculquerait les valeurs républicaines à tous les jeunes, en particulier à ceux des milieux défavorisés. Ainsi, pourraient-ils se retrouver autour du principe de fraternité, dont le sens a été oublié ces dernières années.

Et pourquoi ne pas envisager un jour de relier ce service civique à la réalité européenne, en imaginant une formule commune à l'ensemble des jeunes citoyens européens ? C'est ce genre d'initiatives concrètes qui relancera la construction européenne. Car si un jour les jeunes Français profitaient massivement d'un service civique européen, le chiffre de l'abstention du week-end dernier ne serait qu'un mauvais souvenir. Le civisme en sortirait renforcé. (Applaudissements)

M. François Zocchetto.  - La situation des 16-25 ans est difficile. Pas question, cependant, de refaire notre débat du 27 mai sur les travaux de notre mission commune d'information relative à la politique des jeunes. Force est de constater que vous affichez, monsieur le haut-commissaire, un volontarisme que nous ne pouvons que saluer. Je pense, bien sûr, au fonds d'expérimentation pour la jeunesse et à la commission de concertation. Parmi les actions engagées en faveur des jeunes, le service civil volontaire devrait occuper une place de premier plan. Moment d'insertion civique autant que d'insertion sur le marché du travail, temps du don de soi à la collectivité et du brassage social, un tel service pourrait être un vecteur irremplaçable de cohésion nationale. Mais à une condition : d'être obligatoire. Depuis sa création dans la loi d'avril 2006, la position du groupe de l'Union centriste n'a pas changé : nous sommes favorables à un service de remplacement de la conscription, mais nous considérons qu'un tel service n'aura de sens que s'il concerne tous les jeunes d'une même tranche d'âge. Autrement dit, de « civil », le service doit devenir « civique » et de « volontaire », nous souhaitons qu'il devienne « universel ». Nous avions d'ailleurs, à l'époque, déposé un amendement en ce sens, qui, malheureusement, n'avait pas été adopté.

Près de trois ans après sa mise en oeuvre, le service civil volontaire apparaît comme un rendez-vous manqué, une mesure potentiellement bonne mais qui n'a pas porté ses fruits. Il n'a jusqu'ici concerné qu'un petit nombre de jeunes, et principalement de jeunes en difficulté. Dans ces conditions, pas de brassage possible entre individus de toutes origines et conditions sociales. Plus grave : au lieu d'être un intégrateur social, le service civil volontaire apparaît comme un facteur supplémentaire de stigmatisation. Exactement le contraire de l'objectif poursuivi. C'est pourquoi, nous ne souscrivons que partiellement aux conclusions du rapport Ferry. Certes, avec lui nous souhaitons que le service civil monte en puissance pour concerner beaucoup plus de jeunes. Mais, lorsque l'auteur se rallie à l'idée qu'il peut demeurer facultatif, nous divergeons. En réalité, l'avenir du service civil nous semble incertain. Mais peut-être nous rassurerez-vous sur ce point, monsieur le haut-commissaire... L'expérience ayant mis en exergue les insuffisances du dispositif, sera-t-on tenté de l'abandonner plutôt que de le renforcer ?

La principale de ses insuffisances, c'est son caractère facultatif. Mais, le statut mis en place apparaît aussi d'une grande faiblesse. Une faiblesse dénoncée par les associations qui mettent en oeuvre le dispositif et qui réclament, par exemple, un horaire de dix à quinze heures par semaine et un assouplissement des contraintes administratives.

Un véritable service civique universel aurait un coût, entre 3 et 5 milliards. Mais, si on le veut vraiment, ces 5 milliards peuvent se dégager par ventilation de crédits entre le soutien à la vie associative ou à l'éducation.

L'autre argument invoqué contre le service civique obligatoire est la difficulté de trouver chaque année 700 000 postes. II pourrait s'agir là d'un faux argument si l'on met en balance le nombre de jeunes d'une tranche d'âge avec les immenses besoins collectifs non satisfaits dans notre société.

Avant d'être d'ordre financier ou économique, le problème du service civique universel est de savoir si nous sommes prêts à nous donner les moyens d'arrêter le délitement du lien social. Tel est l'enjeu ; je ne doute pas, monsieur le haut-commissaire, que vous aurez à coeur de nous apporter des réponses. (Applaudissements au centre)

Mme Éliane Assassi.  - La loi du 31 mars 2006 et le décret du 12 juillet 2006 ont, après une dizaine d'année de débats, créé le service civil volontaire promis par Jacques Chirac. Alors qu'il devait concerner 50 000 jeunes, ils ne sont que 3 000 sur une tranche d'âge de 800 000 à s'engager. Une telle situation est peu satisfaisante : le champ d'application reste très limité. Surtout, les moyens financiers et humains ne sont pas à la hauteur des ambitions proclamées. Pour qu'une tranche d'âge puisse en bénéficier, il faudrait y consacrer 3 à 5 milliards. L'idée qu'il faut le renforcer semble faire son chemin et la mission commune du Sénat sur la politique en faveur des jeunes propose de relancer le dispositif pour toucher 50 000 jeunes -nous revoici à la case départ.

Il est urgent que la jeunesse accède à de nouveaux droits qui répondent à ses aspirations. Les nouvelles générations vivent plus mal que celles qui les ont précédées : confrontées au chômage et à la précarité, elles ont plus de mal à se former, à se loger, à se soigner, à se déplacer, ainsi que le montrent les chiffres réunis par la mission commune d'information. Quand ils travaillent, ils sont très nombreux à faire partie des travailleurs pauvres, dont le salaire suffit à peine pour subsister.

Bien que les 8,2 millions des 16-25 ans forment l'avenir de la France et de l'Europe, l'État investit trop peu pour eux et quand les pouvoirs publics parlent d'eux, c'est pour évoquer la racaille ou la fouille des cartables : comment s'étonner que 51 % des Français aient une opinion négative de la jeunesse ? Il est urgent de changer le regard de la société sur les jeunes. Les pouvoirs publics ont le devoir de construire avec eux des réponses adaptées. Nous nous prononçons pour de nouveaux droits en matière d'éducation, de formation, de transports, de santé ou encore de culture car c'est à partir des aspirations et des difficultés des jeunes que nous réfléchissons à une relance du service national de solidarité.

Selon nous, ce nouveau service devrait être généralisé pour être équitable. Basé sur la citoyenneté, l'égalité des droits, la solidarité et l'attention à porter aux jeunes, il serait construit démocratiquement avec eux, pour être proposé à tous les 18-25 ans, y compris les résidants de nationalité étrangère, sur la base d'un projet élaboré avec chacun dans sa dernière année de scolarité ou dans les deux ans qui suivent l'obtention d'un diplôme universitaire. Il marquerait un engagement fort de l'État pour ceux qui ont l'âge d'entrer dans la vie active. Ouvert sur la société et le monde, ce service doit répondre au goût de l'engagement solidaire et de la paix dans les domaines de la défense, de la coopération, de la prévention, de l'éducation, de l'environnement, dans un cadre institutionnel ou associatif. D'une durée de six mois fractionnables, il serait valorisé dans les diplômes d'État et la validation des acquis de l'expérience, rémunéré à 50 % du Smic et assorti d'une couverture sociale, d'un suivi et d'une aide à l'insertion.

Cela a un coût. Le financement est fondamental, et il revient à l'État d'engager un effort inégalé. Ainsi renouvelé, il serait mis en oeuvre par un délégué interministériel sous la responsabilité du Premier ministre, chargé d'installer un Fonds national de soutien abondé par l'État, les collectivités locales et les associations agréées, ainsi que d'établir les coopérations nécessaires à l'accueil et au suivi des jeunes. Un comité de suivi regrouperait aux niveaux national et départemental les services de l'État, des élus, des syndicats, des conseils départementaux de la jeunesse, le Conseil national de la jeunesse, la Conférence permanente des coordinations associatives, l'Association des maires de France et celle des départements de France. Il s'agit en effet de veiller au respect des droits des jeunes gens, à leur sécurité ainsi qu'au caractère pluraliste et républicain des contenus qu'on leur transmet.

Ce service doit-il être obligatoire ou volontaire ? Cela fait débat. Nous considérons qu'après une phase d'expérimentation sur la base d'un volontariat fortement valorisé et encouragé, il pourrait devenir obligatoire mais différencié en fonction de chaque jeune. Cela pourrait se faire après un référendum qui donnerait lieu à un vaste débat national impliquant chaque citoyen et en particulier les jeunes. Nous ne concevons en effet l'obligation que de façon individualisée et adaptée à l'époque. Entrer dans la vie active représente aujourd'hui une course d'obstacles et le service national de solidarité ne doit pas en rajouter un. Il s'agit d'obliger l'institution à être utile aux jeunes et non l'inverse. La généralisation ne doit pas se faire au rabais ni sur les ruines de l'éducation nationale ou de la fonction publique. Le service national de solidarité n'est pas une période occupationnelle -il doit avoir un sens-, ni un sous-salariat affranchi du code du travail. Constitue-t-il la panacée contre le chômage ou les troubles sociaux ? Non, il n'est ni une brimade, ni le rétablissement du service miliaire : il doit être égalitaire pour ne pas reproduire les tensions qui traversent la société. Convaincre vaut mieux que contraindre. (Applaudissements à gauche)

M. René Vestri.  - La République accueille et protège les citoyens ; elle porte leur avenir mais elle a ses exigences, dont le service militaire représentait l'illustration la plus éclatante. Mais il a vécu et loin de toute nostalgie, il faut aller de l'avant et imaginer d'autres solutions pour renforcer le lien entre les Français et la Nation.

Le service civil volontaire constitue un excellent moyen de faire comprendre qu'un don de soi peut renforcer la cohésion sociale et être porteur d'avenir. L'État doit avoir un rôle incitatif ; c'est la raison pour laquelle je souhaite l'instauration d'un service civil volontaire de la citoyenneté obligatoirement proposé aux jeunes de 16 à 25 ans. Chaque mot a un sens : « service » traduit une volonté d'engagement au service du plus grand nombre ; « civil » parce que ce service s'adresse à tous ceux qui vivent sur notre territoire ou profitent de la générosité de la communauté nationale, y compris les jeunes étrangers ; « volontaire », car la générosité n'existe que si elle est voulue ; « citoyenneté », parce que chaque citoyen doit être l'ambassadeur des valeurs de la République auprès de ceux qui s'interrogent parfois sur leur bien-fondé ; « obligatoirement proposé », parce que l'État doit faire oeuvre d'incitation et de pédagogie.

Cela passe par une politique de communication active, un panel d'activités plus étendu et adapté par régions, un effort financier et des moyens matériels plus adaptés.

Les 475 structures agréées aujourd'hui accueillent 2 131 jeunes sous convention. Faute de crédits, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances n'a pu créer que 10 000 postes. C'est le paradoxe de cet appel au peuple lancé par des pouvoirs publics incapables d'accueillir plus de jeunes, faute de structures d'accueil et de lieux propices à leur formation.

Pourquoi ne pas créer dans chaque département un centre de coordination et de formation de tous les volontaires, pour une formation d'une durée équivalente à l'année scolaire et prise en charge par la collectivité ?

Enfin, toute peine mérite considération. Il faudrait peut-être octroyer un petit avantage à ces volontaires. Autrefois, les jeunes gens ayant satisfait aux obligations militaires bénéficiaient d'un accès privilégié aux emplois publics. Pourquoi ne pas instaurer un bonus de citoyenneté pour certains emplois, pas nécessairement au sein de l'administration ? On pourrait aussi envisager un taux particulier pour emprunter.

L'universalité d'une institution tient à son attrait pour ceux qui l'intègrent. A qui m'objecterait un aspect discriminant, je réponds que telle est ma conception de la « discrimination positive », légitime parce qu'elle renforce le socle républicain.

Il faudrait aussi fixer des objectifs ambitieux, car il ne suffit pas d'attirer quelques dizaines de milliers de jeunes vers ce nouveau creuset républicain : l'ambition doit au moins être analogue à la partie de la jeunesse qui passe chaque année son baccalauréat. En effet, le sentiment d'appartenance triomphe par le nombre. C'est ce que l'on a dénommé « la Nation », le jour où l'on s'est aperçu que des millions de gens habitant un territoire et parlant la même langue partageaient les mêmes valeurs. Pour améliorer les choses, il faut résolument changer d'échelle, sans transiger sur les moyens.

Dans le cadre de l'Europe, qu'est-ce qui empêcherait le département des Alpes-Maritimes de créer des structures franco-italiennes ou franco-allemandes pour mieux étudier les langues, mettre l'accent sur les métiers du tourisme et former des marins pour la plaisance ou les croisières ?

C'est une affaire de bon sens et de cohérence ; c'est une affaire d'intérêt national majeur à une période où la République a parfois donné le sentiment de vaciller sur ses principes fondateurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

J'adresse au Gouvernement cette supplique pour que son esprit de réforme s'incarne dans une politique permettant à la jeunesse de donner à l'intégration et au progrès toute l'ampleur qu'ils méritent.

Raymond Cartier a déclaré : « Quand on n'a pas les moyens de sa politique, il faut avoir la politique de ses moyens ». Nous devons nous donner les moyens de notre politique en faveur de la jeunesse française. Comment ? En redonnant à nos jeunes les codes de la société, car aider et former la jeunesse, ce n'est pas dépenser, c'est investir dans notre avenir ! Nous devons choisir l'audace et la volonté : l'enjeu pour la République et la Nation impose de ne pas se contenter du plus petit dénominateur commun. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Plancade.  - L'avenir des jeunes, le développement de leur sens civique et leur insertion sociale nous préoccupent tous. L'exemple de certains pays peut nous aider dans cette recherche d'une alternative utile, efficace et citoyenne au service militaire suspendu à la fin des années 90.

Aucun de nos voisins européens ayant supprimé la conscription obligatoire n'a institué de service civil obligatoire en remplacement. Le cas de l'Allemagne est particulier, puisque le service civil y est obligatoire pour ceux qui ne souhaitent pas effectuer le service militaire, toujours en vigueur.

Après la disparition du service militaire, certains pays essayent, comme la France, d'offrir à leurs jeunes des possibilités de service civil. Après avoir été envisagé en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie notamment, le service obligatoire a été repoussé au profit d'une version volontaire.

L'exemple italien est particulièrement instructif, puisque le service civil volontaire y est rapidement et significativement monté en puissance à la place du service militaire obligatoire. Instauré dès 2001 pour les femmes, puis étendu aux hommes à la suppression du service militaire, ce dispositif est couronné de succès. En 2004, quelque 30 000 jeunes filles étaient volontaires. Aujourd'hui, tous les jeunes Italiens de 18 à 28 ans peuvent effectuer un service civil de douze mois consacré à un projet collectivement utile au sein de structures agréées. Il peut s'agir d'une association, d'une collectivité territoriale, voire d'universités. Les projets doivent s'inscrire dans six grands secteurs : l'assistance à personnes, la protection civile, l'environnement, le patrimoine, l'éducation et les services à l'étranger. En 2006, 2 800 structures avaient proposé plus de 57 000 postes de volontaires et en avaient retenu 45 890 parmi les 112 457 jeunes candidats. En raison des disponibilités budgétaires, ce dispositif concerne donc 10 % d'une classe d'âge. Je précise ces chiffres, car je sais l'attention portée par le président de la commission des finances à tout facteur de déficit public.

Comment expliquer ce succès ? Comment s'en inspirer pour développer notre service civil volontaire, qui, ne rencontre toujours pas de franc succès ?

Le principe d'un service civil volontaire substitué au service militaire a été posé en France dès la suspension de ce dernier. Je me réjouis que l'on ait rapidement écarté toute nouvelle obligation, mais il a malheureusement fallu attendre la crise des banlieues pour que le service civil volontaire devienne plus lisible et plus accessible. Néanmoins, le succès n'est toujours pas au rendez-vous.

Nous avons le devoir d'améliorer ce dispositif au moment où la crise frappe sans pitié une jeunesse à la recherche de repères et en mal de citoyenneté. Les jeunes doivent bénéficier de l'extraordinaire expérience apportée par un service que l'on devrait appeler « civique », moment privilégié pour sensibiliser les jeunes à la Nation et à la citoyenneté.

La lourdeur des procédures, la complexité du financement et l'absence de toute visibilité auprès des jeunes et de leur entourage -même professionnel- paraissent empêcher tout développement.

Il faut rendre le service volontaire plus attractif, c'est-à-dire reconnaître et valoriser l'expérience qu'il apporte. C'est indispensable !

Il semble que les modalités pratiques actuelles expliquent cet échec. Monsieur le haut-commissaire, qu'envisagez-vous pour inciter notre jeunesse à s'engager au service de la société ? J'attends avec impatience vos propositions en faveur d'un service civil volontaire renouvelé, réhabilité et renforcé.

Nous n'entendrons guère aujourd'hui de désaccord de principe, car nous estimons tous bons que les jeunes de ce pays se réunissent pour rendre à la République ce qu'elle leur a offert.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade.  - Je sais que vos réponses seront positives...

M. Yvon Collin.  - ...et de qualité ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Pourquoi n'avançons-nous pas malgré la quasi-unanimité sur le sujet ?

Je me souviens qu'il y a quelques années, des milliards d'euros ont été trouvés pour un grand projet industriel. Pourquoi ne pas agir de façon analogue pour ce projet en faveur de notre jeunesse ?

Pour avoir participé à la mission Schwartz et à la fondation des missions locales, que j'ai présidées, je suis très attaché à l'insertion des jeunes ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Raymonde Le Texier.  - Treize ans après la fin de la conscription, qu'en est-il du service civil volontaire censé remplacer le service militaire comme pierre angulaire de l'engagement citoyen ? Pas grand-chose...

Après maintes réflexions, études et tribunes, après les louanges chantées par tous les gouvernements à la gloire de cette magnifique idée, on l'a oublié avant de s'en souvenir précipitamment lorsque les banlieues brûlaient. Alors que la loi sur l'égalité des chances a doté le service civil volontaire d'un statut officiel, nous n'atteignons pas 10 000 volontaires par an, loin des 50 000 personnes à brève échéance envisagées par le plan Villepin !

Du simple point de vue quantitatif, c'est un échec.

Les raisons en sont parfaitement identifiées tant par le rapport de Luc Ferry que par celui de la mission d'information sur la politique en faveur des jeunes que je préside.

Premier élément de réponse : le budget attribué au service civil volontaire est ridiculement sous-doté au regard des enjeux et des objectifs. Un jeune volontaire reçoit une indemnité mensuelle maximale de 652 euros, dont 90 % sont à la charge de l'État. Avec les cotisations sociales, il coûte donc 14 000 euros par an. A ce compte, le budget actuel ne permet même pas le recrutement de 10 000 volontaires, bien loin des 50 000 initialement souhaités. En 2008, il manquait dès le premier trimestre 7 millions à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé) pour boucler son budget. Celle-ci était donc contrainte de demander aux structures d'accueil des volontaires de cesser le recrutement de volontaires associatifs.

S'agissant d'un projet au confluent de la formation, de l'orientation, de l'enrichissement personnel de la solidarité, du vivre ensemble et de la citoyenneté, le facteur déterminant ne doit pas être celui des moyens mais celui de l'ambition, de la volonté politique. Le Gouvernement a-t-il vraiment l'ambition de refonder le lien citoyen entre l'individu et la collectivité, d'organiser la rencontre de nos jeunes, le brassage de toute une classe d'âge, ce que certains nomment la mixité sociale ? S'il a cette ambition, la question des moyens ne doit plus se poser.

La seconde raison qui explique le faible développement du service civil volontaire, c'est le défaut de communication. Ne le connaissent que les jeunes qui font une démarche en ce sens ou qui ont demandé aux missions locales une aide à l'insertion professionnelle. Les recrutements s'effectuent grâce au bouche-à-oreille ou à la suite d'actions comme les cafés civiques temporaires organisés à Cergy-Pontoise par Unicité. La première urgence est donc de faire connaître le service civil volontaire, et c'est à l'État d'agir. On parle, avec le service civil volontaire, d'une politique nationale essentielle avec des objectifs quantitatifs devant se chiffrer en dizaine de milliers, voire en centaines de milliers, d'individus, mais qui est promue uniquement par le bouche-à-oreille et pour laquelle les caisses sont vides au premier trimestre de l'année !

En 2007, le rapport Kouchner, fait au nom des socialistes car M. Kouchner était alors socialiste, défendait la mise en place progressive d'un service civique -et pas seulement civil-, mixte et universel, qui serait obligatoirement proposé à tout jeune entre 18 et 20 ans, à l'occasion de la journée d'appel de préparation à la défense. Tout le sens du service civique est d'organiser la rencontre entre l'engagement personnel et le service solidaire à la collectivité. L'individu doit donc être libre de s'engager ou non, mais l'État doit être dans l'obligation de fournir les moyens de cet engagement. En plaçant l'obligation du côté de l'État et non plus du côté de l'individu comme c'était le cas avec le service militaire, on rompt également avec la tradition séculaire qui veut que l'engagement citoyen soit une chose subie.

Le rapport proposait également que ce service civique mixte et universel puisse être fractionné dans le temps et s'inscrire dans un parcours citoyen en trois temps commencé dès l'âge de 16 ans, et qu'il soit accessible à plus de structures. Il faudrait aussi un service civil volontaire européen afin que les jeunes Européens prennent l'habitude de se rencontrer, de partager projets et valeurs. Cette ambition va bien au-delà du petit cercle des 475 structures agréées pour le service civil volontaire au 1er juin 2008.

MM. Yvon Collin et Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

Mme Raymonde Le Texier.  - Cette proposition reste la nôtre : même quand les hommes changent, les bonnes idées qu'ils ont pu avoir à un moment perdurent.

Après une mise en place progressive sur cinq ans, notre but est d'aboutir à 500 000 volontaires par an. Utopie ? Il suffirait que les entreprises abandonnent leur obsession du diplôme et reconnaissent ce parcours personnel comme une plus-value, à l'instar de nombre de pays du nord de l'Europe. Cela a un coût : 2 milliards d'euros, voire plus en tenant compte des suggestions de Mme Assassi ou de M. Vestri ; c'est toujours moins cher que le service militaire ! Si vous vous inquiétez de savoir où trouver l'argent, je vous parlerai exonérations sur les heures supplémentaires, niches fiscales, bouclier fiscal, super-profits des grandes entreprises... (Sourires)

M. Yannick Bodin.  - On a l'embarras du choix !

Mme Raymonde Le Texier.  - En termes qualitatifs, le bilan du service civil volontaire, quoique meilleur, n'en est pas moins problématique.

Leurs témoignages montrent que ceux et celles qui effectuent ou ont effectué un service civil volontaire en ressortent plus mûrs, plus riches d'une expérience qui a transformé leur regard sur les autres et sur la société. Et leur action a amélioré le quotidien des plus fragiles. La société dans son ensemble y gagne.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

Mme Raymonde Le Texier.  - Pour autant, il ne faudrait pas que ces jeunes constituent une main-d'oeuvre bon marché ni un dérivatif aux mauvaises statistiques du chômage.

Bien que toutes les classes sociales soient représentées parmi les volontaires, elles ne sont pas mélangées. Les jeunes sont, en l'état, trop isolés dans des dispositifs séparés. Ceux issus de familles aisées s'engagent plutôt dans le volontariat international alors que les jeunes venant de milieux défavorisés sont orientés dans des structures locales. Des jeunes totalement différents ne peuvent ni échanger ni s'enrichir mutuellement du vécu de chacun. C'est l'échec de la mixité sociale, qui est pourtant l'un des principaux enjeux du service civil.

Enfin, je voudrais vous parler des jeunes volontaires effectuant un service civil au sein de l'association Unicité du Val-d'Oise. Je les reçois régulièrement et je suis toujours frappée de la passion qu'ils mettent à décrire leur action. Certains d'entre eux font partie de ces 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Avec le service civil volontaire, ils ont découvert des aptitudes à agir avec et pour d'autres, ce qui valorise leur image d'eux-mêmes. Beaucoup m'ont dit avoir ainsi des acquis que leurs camarades plus favorisés ne découvriront pas sur les bancs de la fac. Je pense à ce jeune « mort de trouille » à l'idée de devoir travailler auprès de SDF, qui concluait le récit de son expérience en disant qu'il avait découvert que ces gens-là avaient été, un jour, des gens comme nous et que, finalement, ils n'en étaient pas si éloignés.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.  - Bien sûr.

Mme Raymonde Le Texier.  - Les auditions auxquelles nous avons assisté dans le cadre de la mission d'information allaient dans le même sens, ce qui a amené la mission à proposer la prise en compte du service civil volontaire dans la validation des acquis de l'expérience. Il s'agit de passer d'une société qui vivait dans l'attente de la prochaine guerre à une société qui peut fonder son optimum citoyen sur autre chose que le sacrifice, d'une « citoyenneté de sacrifice » à une « citoyenneté de participation ». Cela ne nous fait pas oublier le lourd tribut payé par les générations précédentes : c'est parce que, de Monnet à Mitterrand, nous avons construit l'Europe, que ce changement est possible.

Si, depuis la fin de la conscription, nous sommes au terme d'un cycle dans lequel une part importante de notre jeunesse a du mal à trouver sa place citoyenne, c'est que nous, responsables politiques, nous tardons trop à franchir le pas vers ce nouveau modèle de société que le service civil volontaire symbolise. Ce débat relativement consensuel devrait nous permettre si les parlementaires sont encore un tout petit peu écoutés par ce Gouvernement...

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Je n'ai cessé de vous écouter !

M. Gérard Longuet. - Nous souhaitons être entendus...(Sourires)

Mme Raymonde Le Texier.  - ...de passer rapidement du décret Borloo à une loi cadre sur la jeunesse dans laquelle le service civil aurait toute sa place. (Applaudissements à gauche)

M. Antoine Lefèvre.  - Lors de la suppression du service militaire, l'idée du service civil volontaire avait été présentée comme une voie possible. Regroupant des dispositifs dispersés entre plusieurs ministères, avec des statuts divers et des ressources budgétaires non consolidées, le service civil volontaire français ne s'est peut-être pas suffisamment inspiré de celui de nos voisins, italien par exemple. Dans ce pays, il est vrai, son origine est liée au statut de l'objection de conscience du temps de la conscription, et on a toujours affecté les intéressés à des tâches d'intérêt général. Ces jeunes gens et jeunes filles engagés dans tous les domaines d'activités ne sont pas moins de 60 000 pour l'Italie et de 100 000 pour les États-Unis.

La France, hélas, n'a su mobiliser ni ses structures, ni ses jeunes dans la promotion de son service civil volontaire. Ce dispositif aux objectifs louables, que tout le monde réclame, n'a pas su trouver son public. C'est pourtant un investissement dans l'avenir de la jeunesse, un facteur de cohésion sociale et de transmission des valeurs républicaines. On n'a guère compté que 3 000 recrutements en 2008, et quasiment aucun cette année. L'effectif en poste est d'environ 2 200, dont à peine une trentaine en région Picardie -et trois pour mon département de l'Aisne. Nous ne pouvons donc que nous améliorer.

Les jeunes sont demandeurs. Ils sont nombreux qui s'investissent dans le bénévolat sportif ou humanitaire ou dans les mouvements de jeunesse tels que le scoutisme. Il faut réussir la promotion de ce grand projet, d'autant qu'en cette période de crise et de chômage, il importe, comme l'ont relevé le rapport de M. Ferry et le vôtre, monsieur le haut-commissaire, de renforcer le lien social et la transmission des valeurs de citoyenneté. Il nous faut donner un nouvel élan, pour permettre à notre jeunesse de vivre des expériences citoyennes en complément de l'apport de l'école.

Il serait dommage, pour des raisons financières, de se contenter d'une remise en ordre de l'existant. Certains ont évoqué un service civil obligatoire ; en 2005, une pétition lancée par un hebdomadaire a même recueilli 440 signatures de parlementaires... Cette piste n'est cependant pas celle qu'ont suivie nos partenaires de l'Union Européenne ; le volontariat semble le plus fédérateur, surtout auprès des jeunes. C'est à nous de trouver ensemble les modalités les plus appropriées à sa mise en place. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Yvon Collin applaudit aussi)

M. Christian Demuynck.  - Je m'exprimerai à la fois en mon nom et en tant que rapporteur de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes de 16 à 25 ans, qui a rendu ses conclusions fin mai. Le sujet du service civil y a été évoqué assez longuement.

La mission a fait un constat partagé : il existe chez les jeunes un désir d'aider, une aspiration à l'engagement. Ils ne veulent pas seulement travailler, consommer, profiter, ils veulent surtout s'engager, participer, s'impliquer.

M. Jean-Pierre Plancade.  - C'est bien de le rappeler.

M. Christian Demuynck.  - Alors que la moitié des Français a une image négative des jeunes et les trouvent individualistes, il faut savoir qu'ils s'engagent tout autant que les autres dans la vie associative et souhaitent souvent s'y investir davantage. Témoignages et visites nous en ont convaincus. Or ce désir d'engagement n'est satisfait par aucun mécanisme étatique, tandis que le manque de moyens et de notoriété des associations ne leur permet pas d'y répondre. Il existe bien un service civil volontaire, d'une durée de trois, six ou neuf mois, mais seulement 2 800 personnes en ont bénéficié et peu le connaissent. Là est la marque de son échec.

Nous nous sommes interrogés : faut-il revoir toute la législation ou s'appuyer sur l'existant ? A-t-on besoin d'une simple rénovation ou d'une véritable reconstruction du service civil volontaire ? Nous avons tranché en faveur du maintien du service dispositif en l'état, qui rassemble plusieurs dispositifs tels que le volontariat associatif, le volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité, le volontariat à l'aide technique ou encore le volontariat de solidarité internationale. Il assure une réelle mixité sociale, satisfait une jeunesse désireuse de servir des causes justes et lui permet d'acquérir formation et expériences utiles pour la vie professionnelle ; la société de son côté a tout à y gagner.

Sa montée en puissance est une nécessité : 2 800 volontaires, ce n'est pas digne du souhait exprimé par le législateur en 2006, ce n'est pas suffisant pour les ambitions que l'on peut avoir pour le successeur du service militaire. Nous avons fixé un objectif de 50 000 jeunes dès 2012, ce qui impose un investissement de près de 335 millions d'euros, somme proche de ce que dépense l'État italien pour son propre service civil -jeunes et associations en sont là-bas très satisfaits. L'un de ses atouts majeurs est de réunir des jeunes de tous les milieux sur des projets associatifs motivants.

Afin de parvenir à ce chiffre de 50 000 et d'assurer la mixité sociale, l'État, au-delà des moyens nécessaires, doit mettre en place une communication spécifique, par exemple à la télévision et sur internet. Le dispositif est aujourd'hui trop méconnu. Il importe également que les associations lancent des projets susceptibles d'accueillir plusieurs volontaires. Le pilotage de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances garantira que la mixité sociale soit assurée dans chacune d'entre elles.

La mission a également préconisé que le renforcement du service civil s'accompagne de l'intégration progressive en son sein des programmes alternatifs existants. Elle a souhaité, comme le préconise le Conseil national de la jeunesse dans son rapport d'activité de 2007, que le service civil soit valorisé au travers de la validation des acquis de l'expérience.

De nombreux jeunes veulent s'engager dans des actions internationales. Le volontariat international administratif permet en partie de répondre à cette demande, ainsi que le service volontaire européen ; ce dernier, qui pourrait utilement être développé en coordonnant les dispositifs existants dans les différents pays, favoriserait l'émergence d'une citoyenneté européenne. Au vu de l'abstention massive des jeunes aux élections européennes, il y a urgence ! Le renouvellement du Parlement européen sera sans doute l'occasion de lancer ce débat.

Notre jeunesse est une chance, il nous appartient de lui donner les moyens de son épanouissement. Chaque génération doit préparer l'avenir de la suivante. Le service civil peut contribuer à cet épanouissement, pourvu que nous le soutenions sans faillir. Il peut permettre aux jeunes en difficulté de trouver leur voie, et même un sens à une vie qui en manque parfois. Il est de notre responsabilité collective de redonner espoir à cette jeunesse qui s'interroge mais qui est pleine d'énergie, d'ambition et de rêves.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

M. Christian Demuynck.  - Nous avons besoin, chaque année, d'états généraux de la jeunesse, qui nous permettent de faire le point des mesures engagées et de travailler sur celles à mener. Avec pour objectif de construire une société où chaque jeune trouve sa place. (Applaudissements au centre, à droite et sur plusieurs bancs du RDSE)

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, haut-commissaire à la jeunesse.  - Merci d'avoir organisé ce débat. Les interventions montrent que nous pouvons dépasser nos clivages et aller tous dans le même sens : répondre au besoin d'engagement des jeunes.

En me nommant, le Président de la République ne m'a dit qu'une chose : n'oubliez pas le service civil. Nous avons travaillé sur plusieurs scénarios, dont un service obligatoire de quelques mois d'un seul tenant ou de quelques jours ou semaines par an. Le dossier a été remis sur le chantier par la commission « jeunesse ». Je souhaite que nous aboutissions rapidement.

Le service civil volontaire, c'est un peu l'inverse du Cid : partis à 50 000, ils ne furent que 3 000 en arrivant au port... (Sourires) Il est quasiment exclusivement associatif, plus de la moitié des missions durent neuf mois ; certaines régions l'ont pratiqué, d'autres beaucoup moins ; il concerne des jeunes de 18 à 25 ans ; il est socialement discriminant, mais pas dans le sens évoqué par certains : malgré les efforts des associations, il est peu attractif pour les jeunes de milieu modeste. Le bilan quantitatif est insuffisant, le bilan qualitatif est peu acceptable ; mais le taux de satisfaction est inouï : 93 % ! Ils sont encore 90 % qui se disent prêts à le recommander à des amis.

Nous avions peu de crédits pour le faire vivre. Nous avons utilisé le Fonds d'expérimentation créé par le Sénat pour le maintenir et faire en sorte que les recrutements arrêtés depuis quelques mois puissent reprendre en 2009.

Il est préférable que le service civique soit volontaire plutôt qu'obligatoire. Il serait en effet difficile d'imposer une obligation supplémentaire aux jeunes alors que la société n'est pas capable de répondre à leurs aspirations. Une telle politique de la jeunesse enverrait un signal contre-productif. Je souhaite donc qu'il soit dans un premier temps volontaire, puis débordé par son succès, attendu, étendu et, finalement, systématique.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Il faut à terme envisager l'extension de l'engagement civique des jeunes, mais sous une forme un peu plus souple. Ainsi, nous pourrions reconnaître très tôt les compétences des jeunes, en utilisant d'autres marqueurs que les notes obtenues à l'école : les jeunes élèves pourraient dès lors s'engager au service des autres, par exemple en aidant les élèves à la traîne, en participant aux diverses manifestations collectives ou à la vie des associations et des clubs. Il faudrait que ces activités figurent sur leur carnet ou leur passeport civique. Ces engagements iraient bien au-delà de la simple éducation civique que nous dispensons aujourd'hui.

Il faut donc que cet engagement civique, qui durerait de six à douze mois, puisse s'adresser à tous les jeunes, qu'il soit souple dans son application et, surtout, indemnisé. Les jeunes l'ayant accompli pourraient venir en parler durant la journée d'appel à la défense afin que tous les jeunes connaissent son existence.

Récemment, des élus me disaient qu'ils aimeraient bien faire appel à des jeunes voulant effectuer un service civique, mais qu'ils ne savaient pas à qui s'adresser, qu'il n'existait même pas un site internet pour trouver des volontaires.

M. Yvon Collin.  - C'est une étape !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Et puis, il serait dommage que nous n'ayons pas de débat sur le service civique des seniors. J'entends beaucoup parler de tutorat et de transmission intergénérationnelle. Certes, les jeunes peuvent aider les plus âgés, mais l'inverse est également vrai et doit être mis en oeuvre, avec sérieux. (M. Jean-Jacques Mirassou se montre dubitatif)

M. Jean-Pierre Plancade.  - Nous sommes bien d'accord !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Celles et ceux qui ont bénéficié des Trente glorieuses devraient pouvoir aider les jeunes à s'insérer.

Le service civique doit remplir plusieurs missions : tout d'abord, permettre de mobiliser les jeunes sur des questions ponctuelles et urgentes, par exemple lors de catastrophes ou de crises majeures. Dès le lendemain d'une tempête, on devrait voir des jeunes accomplissant leur service civique aux côtés des professionnels sur le terrain.

Ensuite, nous devrions demander aux jeunes eux-mêmes, qui souvent jugent notre société injuste, quelles sont les trois ou quatre causes majeures qu'ils souhaitent voir prises en compte par le service civique : les SDF, les centres d'hébergement, les personnes âgées, les handicapés, l'environnement ? Il est ainsi inconcevable qu'aujourd'hui seuls 185 jeunes en service civique soient mobilisés en faveur de l'environnement. Et il ne faut pas se borner au nettoyage des rivières, mais voir aussi ce qu'il est possible de faire en matière d'économie d'énergie, par exemple.

Le service civique volontaire, indemnisé et servant un certain nombre de causes devra être valorisé : ainsi, ce service serait reconnu par l'université, faciliterait l'insertion professionnelle et compterait pour la retraite. On répondrait ainsi aux aspirations des jeunes et à notre projet de société.

Certains d'entre vous ont dit que s'il y avait une réelle volonté politique, la question des moyens ne se posait pas. Soyons réalistes : c'est aussi une question d'argent ! Si toutes les causes sur lesquelles je travaille, et je pense en particulier à la pauvreté, l'autonomie des jeunes, à l'alternance ne dépendaient pas de moyens, nous aurions rapidement réglé ces questions. La volonté politique est donc nécessaire, mais elle n'est pas suffisante. Je vous assure que je me bats pour avoir les crédits nécessaires, mais c'est une bataille à l'arme blanche, quelle que soit la volonté politique qui l'anime ! Nous n'avons plus le droit de décevoir et c'est pour cette raison que je me refuse à faire des annonces qui ne seraient pas suivies d'une mise en oeuvre effective.

M. Yannick Bodin.  - C'est honnête !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire.  - Pour l'instant, il est préférable de dire que les crédits sont rares, mais que l'on progresse : une fois le dispositif saturé, nous disposerons de plus de moyens. Si plusieurs dizaines de milliers de jeunes pouvaient accomplir un service civique volontaire, ce serait un bon départ. Mais pour que ce service s'installe durablement dans le paysage national, il faut parvenir à 10 % d'une classe d'âge, ce qui ne se fera pas l'année prochaine.

Comme nous l'avons dit avec M. Demuynck il y a quinze jours, il faudra sans doute prévoir une montée en charge progressive du dispositif sur plusieurs années tout en évitant qu'il ne cannibalise d'autres programmes en faveur de la jeunesse. Nous devrons donc programmer l'effort que la Nation est prête à consacrer aux jeunes. Le service civique est sans doute une des pierres angulaires d'une nouvelle politique de la jeunesse. Il faut qu'il soit perçu comme une opportunité et non comme une obligation ou une sanction.

Alors que nous en sommes à un tournant démographique, notre société doit reconnaître qu'elle a besoin des jeunes pour assurer la cohésion sociale et qu'elle est prête à rétribuer leurs efforts, quels que soient leurs origines, leurs catégories sociales et leurs niveaux d'étude.

J'espère qu'ensemble nous nous retrouverons pour passer à l'acte, qu'il s'agisse de dispositions législatives nécessaires ou de la consécration des crédits pour donner corps à cette aspiration fondamentale. (Applaudissements à droite, au centre et sur divers bancs socialistes)

Le débat est clos.

(CMP - Nominations)

M. le président.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires, MM. About, Milon, Dériot Mme Hermange, MM. Cazeau, Le Menn, Autain ; suppléants, MM. Barbier, Blanc, Daudigny, Fischer, Gilles, Godefroy, Vasselle.

Crise de l'industrie (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de M. Martial Bourquin à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la crise de l'industrie.

M. Martial Bourquin, auteur de la question.  - L'industrie française, pourtant habituée à des variations d'activité, vit l'un des pires moments de son histoire. La désindustrialisation progressive de notre pays n'est pas un phénomène nouveau. Pour autant, la crise a considérablement accéléré cette tendance. Elle pousse à des adaptations très rapides, parfois violentes, que des petites entreprises, des salariés fragiles, des bassins d'emplois mono-industriels supportent difficilement.

Le paysage industriel français est en train de se modifier considérablement, parfois durablement, avec et sans le concours de la puissance publique. Depuis le début de l'année, l'emploi industriel a sérieusement chuté : tous les types d'emplois, qualifiés ou non, sont affectés. Les chiffres de la production industrielle ont reculé de 16 % en un an, et les perspectives d'avenir sont très sombres. Des centaines de petites entreprises, sous-traitantes ou connexes, n'ont pas passé le cap des premiers mois de carnets de commande raréfiés. Les projets industriels nouveaux trouvent peu d'interlocuteurs et surtout trop peu de financeurs fiables.

Il est vrai que les situations sont très variables : quand les biens d'équipements, l'industrie pharmaceutique semblent résister, l'automobile, dont la production a chuté de 33 % en un an, traverse une crise profonde.

Lors du krach boursier de 2000 lié à l'effondrement de la net-économie, l'industrie et ses champions français et européens faisaient figure de valeurs refuge. L'économie réelle l'emportait sur l'économie virtuelle, imprévisible. La valeur travail prenait le pas sur la seule valorisation du capital.

Le phénomène de désindustrialisation qui frappe la France et l'Europe, n'est pas l'effet de gains de productivité. C'est le déclin d'industries traditionnelles, la perte durable d'attractivité. C'est une mauvaise nouvelle pour l'économie tout entière, car l'industrie, qui peut créer de fortes valeurs ajoutées, est un véritable moteur pour la croissance. Cela fait bien longtemps qu'elle ne se confond plus seulement avec la seule production manufacturière : elle est liée, en amont, comme en aval, à de très nombreuses activités de service.

Les pays qui ont fait le choix de conserver leur industrie aux côtés des services vivent plutôt mieux cette période de grande turbulence économique et sociale. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon, le spectre de la récession s'est étendu bien plus vite, du fait de la dépendance de ces pays à l'égard des structures bancaires et boursières.

La question industrielle nous place donc face à un choix économique et de société : cela aura été l'un des enseignements majeurs de la crise.

Les chiffres que j'ai cités sont également inquiétants pour l'avenir de filières industrielles tout entières. La disparition des sous-traitants les sape par le bas et fait le nid de délocalisations de courte vue. Situation désastreuse pour certains de nos bassins d'emplois, où de nombreuses activités économiques sont en interdépendance.

On m'objectera que le mouvement est mondial. Sans doute, mais les spécificités françaises méritent d'être mises en avant. On me fera valoir que des industries sont amenées à disparaître ou s'adapter et que l'on n'y peut rien. Mais je ne puis accepter que la structure de notre industrie et notre ambition industrielle soient dépendantes des seuls aléas du marché et que l'État n'ait plus qu'à constater les dégâts. C'est l'avenir de filières industrielles et de bassins d'emplois entiers qui se joue aujourd'hui.

Vous avez mis en place un certain nombre d'initiatives pour tenter de freiner le décrochage. Je n'entends pas me poser en donneur de leçons, car je sais combien la situation est tendue.

Depuis la mi-mars, le Président de la République a nommé huit commissaires à la réindustrialisation, affectés dans huit régions plus touchées par la crise de l'industrie. Ils viennent de prendre leurs fonctions, sous l'autorité des préfets. Leur mission demande à être précisée, car je crains qu'ils ne se contentent d'agir en grands auditeurs, chargés de faire le tri entre industries et sites selon des critères de rentabilité.

Au titre des interventions économiques, je m'interroge également sur les aides et prêts attribués aux entreprises en difficulté. Je reste circonspect sur la nature des critères industriels retenus. C'est ainsi que le projet de voiture électrique présenté par l'entreprise Heuliez n'a pas été retenu par le Fonds stratégique d'investissement au motif qu'il n'était pas viable. Mais la viabilité à court terme ne saurait être seule prise en compte pour l'attribution de subventions publiques. Entendez-vous donc refonder une politique industrielle avec les seules entreprises qui auront réussi à passer le cap difficile ? Mais des entreprises dotées d'une bonne trésorerie peuvent présenter de mauvais projets industriels !

Autre motif d'inquiétude, la gestion de l'emploi industriel. Le périmètre des contrats de transition professionnelle (CTP) a été élargi et concernera nombre de salariés des bassins d'emplois fragilisés. Il leur sera proposé d'abandonner leur savoir-faire, pour en acquérir un nouveau dans le secteur tertiaire.

Je comprends le souci de sécuriser les personnes, mais il ne saurait valoir seul. Il doit s'accompagner d'une politique de sécurisation des emplois industriels. On ne peut se contenter d'une démarche défensive. On en voit le résultat au Danemark : la flexi-sécurité ne suffit pas à sécuriser les emplois. La sécurisation des parcours professionnels ne fera pas à elle seule une politique industrielle prospective, multi-partenariale, horizontale et sectorielle.

Ce n'est ni aux commissaires à la réindustrialisation, ni aux fonds d'intervention de type Oseo ou FSI, ni aux pôles emploi de décider quels secteurs, projets ou emplois industriels méritent d'être pérennisés. C'est à la puissance publique qu'il revient de fixer des caps et des objectifs. C'est à l'État, en collaboration avec les régions et l'Union européenne, qu'il revient de définir une véritable politique industrielle.

Or, nous ne disposons pas d'éléments clairs sur vos orientations et vos priorités. Je souhaiterais que vous nous éclairiez, monsieur le ministre, sur votre stratégie industrielle. Nous avons jusqu'à présent beaucoup opté pour la production de biens de gamme moyenne qui peinent à s'imposer face à une concurrence redoutable. Comment rivaliser avec des coûts très bas, obtenus grâce à un respect très hasardeux du droit du travail et des normes environnementales ? Est-il raisonnable d'entrer dans la course au « moins-disant social » ? Cette stratégie est éprouvante, dévastatrice, et ne tient pas le coup sur le long terme. La lutte contre les délocalisations est nécessaire mais ne saurait tenir lieu de politique.

Je crois, pour ma part, qu'une industrie durable est une industrie de bonne qualité, d'une haute technicité, requérant des salariés bien formés et bien rémunérés.

Notre industrie doit faire face à un défi historique, celui de l'environnement et du développement durable. Les applications sont vastes, riches en investissements utiles. Je regrette que le plan de relance présenté en janvier n'ait pas été l'occasion de mobiliser des moyens, des infrastructures, des capitaux humains. La croissance verte n'est pas une utopie. Un engagement trop tardif ou trop timide serait une erreur, qui obligerait nos industries à rechercher au loin des partenaires qu'elles auraient dû trouver sur place.

La bataille de l'intelligence et de l'innovation industrielle, indissociable de notre engagement environnemental, est un autre défi de grande ampleur. La recherche, fondamentale et appliquée, est indispensable à l'avenir de notre industrie. La désindustrialisation a frappé la Grande-Bretagne dès les années 1960, dès lors qu'elle n'a pas plus cherché à innover.

Or, nous n'investissons pas assez dans des secteurs d'avenir. Nous sommes à la traîne de l'innovation. La recherche doit redevenir une priorité si nous voulons nous remettre dans la course.

Le Président de la République disait, dans son discours du Bourget, qu'il préférait privilégier des projets plutôt que des structures de recherche. Je crois au contraire qu'il faut débrider les imaginations. L'innovation industrielle a un coût, elle demande du temps et une mutualisation de moyens, y compris humains. Or, le financement de nos laboratoires de recherche et de nos PME est insuffisamment adapté. On a vu des fonds de pension retirer leurs capitaux, obligeant des PME ambitieuses à abandonner leurs programmes de recherche et développement, qui auraient eu besoin de se poursuivre sans rupture pour atteindre un haut niveau. Nos PME devraient aussi pouvoir bénéficier de structures de mutualisation de l'ingénierie, sur le modèle de la politique des districts, en Italie, qui a donné d'excellents résultats -c'est le cas des stylistes dans le textile.

La réindustrialisation doit faire la part belle à l'ancrage régional et européen. L'Allemagne est en train, en ce domaine, de marquer des points. Je m'interroge sur nos pôles de compétitivité : 71 pôles, huit commissaires, la vérité n'est-elle pas entre ces deux chiffres ? La politique industrielle de l'Europe est inexistante : elle reste dans la logique du moins-disant social et de la concurrence. Alors que nous venons d'élire nos députés européens, alors que nous avons signé le paquet énergie-climat et tandis que les primes à la casse restent différentes selon les pays, nous devons travailler à rechercher des réponses concertées.

Mes questions, monsieur le ministre, sont donc multiples. Quelles missions pour les commissaires à la réindustrialisation ? Prévoyez-vous d'augmenter leur nombre ? Quels sont leurs liens avec les pôles de compétitivité ? Qu'allez-vous faire de leurs travaux ? Quelles directives ont été données aux pôles emplois ? Quels critères industriels avez-vous retenu concernant les projets industriels susceptibles d'être aidés par les fonds d'intervention publique ? Quel avenir pour les pôles de compétitivité ? Entendez-vous les regrouper, pour plus d'efficacité ? Entendez-vous faire entrer dès à présent notre industrie dans l'ère du développement durable ? Alors que nous aborderons bientôt le Grenelle II, il serait incompréhensible que nous n'entrions pas dans une phase plus active, plus volontaire, plus concrète.

Comment éviterez-vous le saupoudrage des aides destinées à la recherche et à l'innovation ? Quelle place accordez-vous d'ailleurs à la recherche fondamentale dans l'innovation industrielle ?

Comment comptez-vous développer le capital risque, soutenir le financement pérenne des PME novatrices et aider à la mutualisation de l'ingénierie ?

Nos bassins d'emplois connaissent aujourd'hui de graves difficultés. Dans le territoire dont je suis l'élu, près de 4 000 emplois ont disparu en quelques mois et de nombreuses entreprises sont en péril. Les chefs d'entreprise et les salariés attendent des élus qu'ils mettent en place une politique offensive pour les protéger et leur permettre de sortir au plus vite de la crise. Celle-ci doit être l'occasion pour la France de renouer avec sa tradition industrielle. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE. M. Gérard Longuet applaudit également)

M. Jean-Claude Danglot.  - Ce débat s'inscrit dans le droit fil d'autres discussions que nous avons eues au sujet de la crise de l'industrie automobile. Nous soutenons la proposition de M. Bourquin de créer une commission d'enquête pour évaluer l'efficacité des aides publiques destinées à ce secteur : même si les présidents de région ont approuvé dans un premier temps le « plan pour l'automobile » du Gouvernement, de nombreux élus s'interrogent sur la pertinence de dispositifs qui profitent à un nombre très réduit de sous-traitants et d'équipementiers. On s'interroge aussi lorsque l'on voit le groupe Faurecia, filiale de PSA, émettre 65 millions d'actions nouvelles et cette recapitalisation rencontrer un plus vif succès chez les actionnaires que l'offre initiale de la multinationale...

Plutôt que de multiplier les exemples locaux, je présenterai quelques réflexions générales sur la situation de notre industrie. Une commission d'enquête ne suffit pas : il faut une loi contraignante qui définisse une véritable politique industrielle. C'était le sens de la proposition de loi déposée par M. Hue.

Les problèmes révélés par la crise étaient identifiables depuis plusieurs années. Alors que les vingt plus grands groupes industriels affichaient début 2008 des profits nets de 50 milliards d'euros, toutes les études montraient que l'industrie française était confrontée à la baisse de la production, au creusement du déficit commercial et au recul de l'emploi. Près de 25 000 emplois disparaissent chaque mois dans l'industrie ; on est passé de 5,6 millions d'emplois à la fin des années 1970 à 3,8 millions aujourd'hui.

Les pouvoirs publics sont venus en aide à l'industrie automobile, mais d'autres secteurs mériteraient leur attention : l'aéronautique, l'agroalimentaire, la pharmacie, l'électronique, le textile, le verre, la chimie, etc. Il conviendrait de mener une réflexion globale sur notre politique industrielle plutôt que de multiplier les interventions d'urgence.

Dans une économie mondialisée, le rôle de l'Union européenne est essentiel. Or vous admettez vous-même, monsieur le ministre, qu'il n'existe pas de politique industrielle européenne. Nos partenaires et concurrents ont apporté à la crise des remèdes strictement nationaux : l'Allemagne a cherché à conserver son potentiel industriel en s'appuyant sur un réseau serré de moyennes entreprises et une forte qualification de la main-d'oeuvre ; les pays de l'Europe du nord ont engagé une démarche prospective ; d'autres pays ont pris discrètement des mesures de protection. Il faut tordre le cou à une idée fausse : la concurrence ne vient pas principalement des pays en voie de développement mais des pays développés !

Il faut également renforcer au niveau local le pouvoir des salariés, et prévoir par une loi-cadre qu'ils seront informés des choix de gestion de l'entreprise et pourront les contester. Souvenons-nous qu'un quart des richesses produites par les travailleurs sont accaparées par les actionnaires ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet.  - Je remercie M. Bourquin d'avoir eu l'initiative de ce débat. Je partage l'essentiel de ses analyses et de ses interrogations. Élu d'un grand département industriel et originaire du Pays-Haut en Lorraine, il connaît bien ces questions.

La place de l'industrie dans l'économie française ne se réduit pas aux 20 % du PIB que lui octroie la comptabilité nationale : en amont et en aval de l'industrie, de nombreuses activités en dépendent, comme la recherche et développement. La France ne doit pas devenir un pays d'importation, de logistique et de distribution !

Je me réjouis qu'un secrétaire d'État à l'industrie ait été nommé, et que celui-ci ait l'expérience du secteur privé. Mais la politique industrielle doit nécessairement être définie au niveau interministériel. Comment le Gouvernement s'organise-t-il pour régir à l'actualité -c'est ce qu'il fait le mieux- mais aussi pour gérer les actifs dont il a la charge ?

Le Gouvernement a mené une politique très active en faveur de l'industrie automobile, dispensant judicieusement les deniers publics pour venir au secours d'un secteur d'activité privé. Grâce à cela, la France a connu un premier trimestre moins difficile que ses voisins européens. Mais il faudra un jour mettre un terme à ces mesures. Quand le Gouvernement entend-il supprimer la prime à la casse ? Compte-t-il faire évoluer la fiscalité sur le diesel ? Je rappelle que la plus grande usine de fabrication de moteurs fonctionnant au diesel se trouve en Lorraine. S'agissant des véhicules électriques, toutes les voies ont-elles été explorées ? Les batteries au lithium ion sont surtout produites aux États-Unis et au Japon, mais je crois plus au lithium polymère. Quant aux interventions d'Oséo en faveur des PME, elles leur ont permis de renflouer leur trésorerie mais elles s'avèrent très coûteuses pour la collectivité.

Venons-en à l'industrie électronucléaire. On compte plus de 450 réacteurs dans le monde, et ce nombre devrait doubler avant dix ou vingt ans. L'Allemagne et la France ont conçu pour le marché européen l'EPR, équipement très sophistiqué et coûteux. Celui-ci épuise-t-il toutes nos chances pour répondre à la demande mondiale ?

On discute actuellement de la réforme de la taxe professionnelle. La part de l'industrie manufacturière dans le produit de cette taxe est deux fois supérieure à sa part dans la valeur ajoutée nationale. Je souhaite que cette réforme, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2010, permette de retrouver un juste équilibre.

Il faudrait enfin lancer une réflexion de long terme sur le sujet sensible des charges sociales et des allègements de charges. Les Français sont très attachés à la protection sociale. Étant donné le haut niveau de charges, l'emploi industriel ne pourra se maintenir en France que si les entreprises apportent à leurs produits une très forte valeur ajoutée, ce qui suppose un haut niveau de formation des travailleurs, et si elles continuent à consentir un investissement important pour chaque emploi créé. Le coût de l'emploi d'un ouvrier titulaire d'un BTS a presque décuplé depuis les années 1980 !

Compte tenu que l'industrie est de plus en plus capitalistique il convient de redéfinir notre politique d'allègement de charges, qui aujourd'hui profite surtout au secteur des services.

Alors, certes nous avons enrichi la croissance en emplois, mais nous l'avons fait par un déplacement d'activités à forte valeur ajoutée vers d'autres activités à plus faible valeur ajoutée mais bénéficiant, elles, d'allègements de charges. C'est la compétitivité du site France qui risque d'en pâtir.

Je souhaite donc que le projet industriel de notre pays soit porté par une action interministérielle forte, durable, globale -et pas seulement sectorielle comme l'est le soutien au secteur automobile... (Applaudissements à droite et au centre)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Auguste Detoeuf...

M. Gérard Longuet.  - Remarquable !

M. Aymeri de Montesquiou.  - ...l'enfant terrible du patronat français du début du XXe siècle, disait « il n'est d'industrie durable que celle qui vend de la bonne qualité ». C'est la définition que l'on pourrait donner de notre industrie, aujourd'hui dans la tourmente. Ses fers de lance, l'automobile, l'aéronautique ou la métallurgie, souffrent durement. Fortement touchée, la France n'est pas le plus sinistré des pays industrialisés, le socle des entreprises du CAC 40 est resté solide. Dans les 500 plus importants groupes mondiaux, la France se classe au troisième rang mondial et au premier rang européen avec 39 groupes, devant l'Allemagne (37) et la Grande-Bretagne (35) et après les États-Unis qui comptent dans ce tableau 176 sociétés et le Japon 81. Nos grandes entreprises sont particulièrement performantes dans le premier domaine d'avenir, celui de l'énergie et de l'environnement, et notamment dans l'efficacité énergétique. Nous devons favoriser ce secteur pour en faire un vecteur d'exportation pour d'autres activités. Nos grandes entreprises font face à la crise, elles ont des ressources. En revanche, les PME, plus fragiles, doivent monopoliser notre appui afin de soutenir leur développement international.

Au-delà de cette crise mondiale, la crise de l'industrie française est aussi celle de la recherche et de l'innovation. On ne peut mettre en cause l'État, qui y consacre un budget en hausse de 3,2 % et qui finançait en 2005 les dépenses intérieures brutes de R&D à hauteur de 38 %, contre 30,5 % en Allemagne et 33 % au Royaume-Uni. Nos mesures fiscales doivent être plus incitatives car la recherche dans les PME est quasi inexistante et elles n'ont que peu de produits innovants à exporter : seules 3 à 4 % d'entre elles exportent. La culture de l'innovation n'est pas suffisamment encouragée ; il faut susciter des vocations scientifiques en orientant notre enseignement vers la découverte et l'expérimentation. Les indispensables pôles de compétitivité sont encore insuffisants pour aiguiser la créativité et les découvertes, souvent exploitées à l'extérieur, doivent être canalisées vers une traduction technologique ou industrielle nationale. Pour cela, la recherche privée qui a une plus forte propension à breveter que la recherche publique, doit absolument se développer.

Mais dans la très dure compétition mondiale, on ne peut se cantonner à une recherche nationale, il est vital de la développer au niveau européen. Cette coopération a fait la preuve de son efficacité avec Ariane et Airbus. On peut imaginer d'autres grands projets tout aussi prometteurs. Depuis 2005, la politique industrielle européenne fait de l'innovation un facteur essentiel de la croissance, une de ses priorités stratégiques et une politique intégrée devrait être opérationnelle fin 2009.L'industrie manufacturière, fondement de l'économie européenne, emploie plus de 34 millions de personnes, représente les trois quarts des exportations de l'Union, totalise plus de 80 % des dépenses de R&D du secteur privé et fournit environ un cinquième de la production totale.

Notre point faible : la taille de nos PME et leur faible implication vers l'international, tandis que nos voisins allemands et italiens font de leurs PME industrielles un moteur de leur économie. L'Italie, puissance économique moyenne, compte plus de 500 000 PME -contre 250 000 en France- qui emploient 78 % des salariés de l'industrie et représentent 62 % de son chiffre d'affaires, davantage même qu'en Allemagne qui compte plus de structures moyennes, surtout familiales, refusant l'introduction en bourse. La France et l'Italie ont privilégié les très petites structures, de un à neuf salariés mais, chez notre voisin transalpin, elles ont su développer une spécialisation haut de gamme et sont particulièrement dynamiques à l'exportation. La faiblesse de nos PME est manifeste quel que soit le domaine : manque de fonds propres pour se consacrer à une coûteuse prospection, accès difficile aux marchés publics que nous laissons monopoliser par les grandes entreprises, manque de confiance pour la prise de risque de la part des banquiers et investisseurs, lacune de formation internationale des cadres... Elles sont donc peu armées face à la concurrence mondiale, alors que cinq millions d'emplois sont liés à l'exportation. C'est pourquoi nous devrions financer les investissements de prospection, alléger les contraintes administratives telles que les autorisations ou la fiscalité à l'exportation, favoriser la formation multinationale des cadres et la coopération entre entreprises... Le renforcement de la place de nos PME dans le monde pourrait aussi s'inspirer du modèle danois, en créant un tissu interactif sur internet, plate-forme mettant en relation les institutions internationales et nos PME afin de diffuser au mieux notre savoir-faire. Plus que d'une diplomatie de la tasse de thé, nous avons besoin d'une diplomatie qui soutienne nos PME. Focalisons tous nos efforts en leur faveur et donnons raison à notre collègue Pierre Mauroy qui déclarait : « la crise n'est pas comme une maladie dont on ne peut pas sortir, elle est comme une nouvelle naissance. ». (Applaudissements sur les bancs du RDSE ; M. Christian Gaudin applaudit aussi)

M. Daniel Raoul.  - Je profite de la question de Martial Bourquin et de l'actualité récente -la présidence française et les élections de dimanche- pour traiter de ce que serait une véritable politique industrielle européenne.

Depuis plusieurs années notre perte de compétitivité s'est traduite par des délocalisations et des fermetures d'entreprises parce que la stratégie de Lisbonne n'a pu décoller, faute de coordination et de pilotage au niveau européen. Une nouvelle politique industrielle est nécessaire dans tous les pays de l'Union. Un plan de relance commun aurait pu coordonner les plans nationaux, en intégrant les potentiels de chaque pays. Nous devons dépasser le stade des plans nationaux, verticaux et sectoriels pour adopter une vision horizontale de la relance. Il faut aussi abandonner la stratégie de la concurrence dont on mesure les effets pervers, dans le domaine de l'énergie par exemple. Face au déclin industriel, tous ont pris conscience du déficit européen en matière de recherche et d'innovation. Il faut accélérer la mise en place des plate-formes technologiques autour d'un programme commun de recherche. Les domaines éligibles à ces actions sont nombreux, comme le montrent les pôles de compétitivité qui mériteraient d'être coordonnés au niveau européen. Certains enjeux industriels sont stratégiques : l'énergie, l'aérospatiale, les voitures électriques ou hybrides, les piles à combustibles. N'oublions pas non plus les nouvelles technologies : nanotechnologies, biotechnologies, TIC et, surtout, les convergences entre ces différents domaines. Nous avons en France des potentiels -Minatec, par exemple, à Grenoble- mais nous ne pourrons lutter à armes égales au niveau mondial si nous ne rassemblons pas nos moyens au niveau européen. Les États-Unis et le Japon ne s'y trompent pas : comparons les 450 millions de dollars américains accordés aux nanotechnologies avec les crédits nationaux que nous leur accordons de façon séparée... Seuls 15 % des crédits de recherche publique sont coordonnés au niveau européen. La stratégie de Lisbonne a échoué du fait d'une coordination trop souple et de l'absence de priorités stratégiques clairement définies. La survie de nos meilleures entreprises passera par l'échelle européenne, face à leur concurrentes américaines, japonaises, indiennes ou chinoises.

Encore faut-il favoriser leur développement par un environnement législatif et règlementaire favorable. Au--delà des brevets, il est nécessaire que l'Union européenne assure une sécurité juridique. Élaborer une stratégie industrielle dans les secteurs prioritaires ne peut être déconnecté de l'harmonisation fiscale. Si une politique coordonnée est indispensable, comment la France va-t-elle s'impliquer pour cet objectif pendant la nouvelle mandature ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

M. Christian Gaudin.  - La crise qui touche notre industrie est grave. Selon l'Insee, la production industrielle a reculé de 13,8 % -16,5 % pour la production manufacturière et celle-ci a de nouveau reculé en avril. Les carnets de commande se vident, l'assurance-crédit se désengage, les défaillances d'entreprise détruisent des emplois. Certains secteurs sont plus touchés mais la crise les frappe tous. Or les industries manufacturières représentent 15 % de la population active, et 40 % avec l'intérim et l'externalisation. L'industrie française se caractérise par le poids des PME : 90 % des entreprises du secteur, 39 % de l'emploi et 30 % de la valeur ajoutée. Aider les PME, c'est doper notre économie.

Nous avons voté hier la proposition de loi sur l'accès au crédit ; la proposition de loi de M. Arthuis renforçant l'efficacité de la réduction d'ISF pour souscription au capital de PME me paraît tout à fait opportune. Elle participe en effet à un objectif stratégique de première importance car les PME sont au coeur de la croissance et de l'emploi. Contribuons à l'émergence d'entreprises de plus grande taille en finançant les projets les plus innovants. Trop peu d'entreprises atteignent le seuil critique : on compte 170 salariés en Allemagne dans les entreprises de plus de 20 salariés, mais 120 en France -M. de Montesquiou a déjà pris cette comparaison. Quant au commerce extérieur, l'Allemagne exporte deux fois plus que nous.

L'innovation est la seule solution durable pour sauvegarder l'industrie et améliorer sa compétitivité. Il est donc nécessaire d'encourager les transferts de la recherche vers l'innovation industrielle, les croisements entre recherche publique et privée et d'encourager la recherche au sein des entreprises. Certains dispositifs y contribuent déjà. Le programme d'innovation stratégique industrielle mis en place par Oseo accompagne l'innovation jusqu'à son industrialisation. De même, le crédit impôt-recherche, dont les dotations ont été considérablement renforcées, et qui couvre jusqu'à 30 % du coût de la recherche-développement, est favorable aux PME : elles bénéficient de 25 % des aides alors qu'elles n'assurent que 13,5 % de la recherche-développement. Rapporteur spécial du budget de la recherche, je conduis un rapport d'évaluation du crédit impôt-recherche afin de mesurer son efficacité. Ce dispositif est en pleine cohérence avec la politique des pôles de compétitivité.

L'Union européenne, l'État, les collectivités doivent aider les PME. Il y a urgence à soutenir les industries à forte valeur ajoutée et l'innovation. L'industrie ne peut plus aujourd'hui se construire contre l'environnement. L'engagement national pour l'environnement en prend acte. Il convient désormais d'intégrer cette préoccupation et de s'ouvrir aux nouveaux marchés. Quand la latitude d'action diminue, les choix doivent être pertinents. Raison de plus pour privilégier l'innovation afin de mieux préparer la croissance de demain. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-François Mayet.  - Je remercie mes collèges de l'honneur qu'ils me font en me permettant de m'exprimer aujourd'hui pour la première fois à cette tribune. Le sujet n'est pas drôle : la crise. J'ai rédigé cette intervention avant le voyage en Chine que j'ai entrepris la semaine dernière mais les entretiens que j'y ai eus avec des cadres et des chefs d'entreprise ont confirmé ce que j'avais écrit.

Si le monde entier est confronté à la crise, la France doit en plus réaliser des réformes que notre refus historique de faire bouger les choses transforme en une crise dans la crise. Malgré les difficultés, j'ai la conviction qu'un libéralisme raisonnable et contrôlé produit de meilleurs résultats économiques et sociaux. Les hommes politiques de droite et de gauche portent la lourde responsabilité d'avoir laissé prospérer une bulle financière, inutile et malhonnête. Sa crevaison s'est transformée en quelques semaines en une crise économique quand l'angoisse a fracassé la consommation. Cet enchaînement tragique était prévisible et nul ne conteste le constat, qui doit guider dans le choix de la solution.

Les partisans de la relance par la consommation combattent la relance par l'investissement prônée par le Président de la République. Il suffit pourtant de regarder ce qui se passe. La croissance ne se décrète pas, elle se mérite et quand le chômage augmente, l'argent distribué se retrouve sur les comptes d'épargne. Seul l'investissement permet de sortir de ce cercle vicieux. Et le Gouvernement a eu également raison de soutenir les banques.

Notre rôle sera déterminant pour la sortie de crise. Nos concitoyens, qui nous regardent et nous jugent, attendent de nous une attitude efficace et des repères. Je regrette que nous n'ayons pas eu le réflexe de faire l'union sacrée, comme cela s'est passé ailleurs. Ne nous appartient-il pas de nous saisir des grands problèmes, de servir l'intérêt national et de combattre cette tendance au renoncement dont la France n'a que trop souffert depuis 70 ans ? Face à la mondialisation, des réformes indispensables ont été combattues devant les électeurs, qui viennent de le sanctionner. Il est malhonnête de feindre d'ignorer que la mondialisation est inéluctable. Faut-il le cacher aux électeurs au risque de décourager une population fragilisée par la crise ? Est-il si difficile de dire que les pays qui nous prennent nos usines sont les clients de demain de nos innovations ? Arrêtons l'hypocrisie sur l'éducation et promouvons les changements. Il est inconséquent de faire semblant de ne pas voir que cette force de la République est aujourd'hui à terre et qu'elle ne se redressera pas toute seule. C'est aux élus de dire que 75 % des enseignants chercheurs n'ont rien publié depuis cinq ans...

M. Daniel Raoul.  - Qu'est-ce que c'est que ça ?

M. Jean-François Mayet.  - C'est aux élus de dire que l'enseignement primaire produit 25 % d'illettrés et que le secondaire se conclut par des bacs dénaturés pour que 80 % d'une classe d'âge y ait accès. C'est aux élus de dénoncer le fait que 30 % des étudiants n'ont rien à faire dans les universités, qui fabriquent donc automatiquement autant de chômeurs.

M. Jean-Michel Baylet.  - Quel sens de la nuance...

M. Jean-François Mayet.  - Je m'exprime ici moins comme un sénateur qu'en citoyen fort de son expérience.

Je savais lire, écrire et compter à la fin du CE2. Mes deux instituteurs, qui étaient mari et femme, fiers d'être de gauche et vrais humanistes, avaient un sens aigu de leurs responsabilités envers les enfants. Je les ai aimés jusqu'à vouloir leur ressembler ; ils m'ont fourni un repère que je souhaite à tous les jeunes de rencontrer. Donnons-leur une chance de le faire !

La crise s'impose à nous. Pour la surmonter, nous devons accélérer les réformes !

M. François Patriat.  - La question posée par Martial Bourquin a le triple mérite de rappeler le destin industriel de la France, de replacer la réflexion dans le contexte actuel et de dépasser les clivages partisans.

Je fais miennes les questions de Gérard Longuet et de Martial Bourquin. Aujourd'hui, des exportations pour un milliard d'euros correspondent à 15 000 postes de travail. Si nous perdons des emplois industriels, nous ne les retrouverons jamais !

L'esprit de nos concitoyens est frappé par les fermetures de grands sites industriels, mais le taux de chômage augmente en raison des pertes d'emplois dans l'intérim et la sous-traitance. Je le dis bien que la Bourgogne, où je suis élu, ait subi les fermetures des usines Dim, Kodak, Hoover ou Thomson, sans parler d'un grand groupe agroalimentaire néerlandais.

Nous pouvons créer des emplois industriels, mais à condition de nous donner les moyens nationaux et surtout européens d'une réforme de la recherche et de l'innovation. Un grand groupe réalise actuellement cette performance. La condition de ce succès ? Un effort de recherche et développement. Ainsi, les États-Unis ont laissé partir en Asie tout l'électroménager blanc, alors que nous avons conservé une entreprise comme Seb, qui grâce à l'innovation a mis au point la friteuse Actifry, vendue à plus d'un million d'exemplaires dans le monde entier pour plus de 100 euros.

Je ne partage pas l'avis de l'orateur précédent, car l'innovation -qui associe recherche académique et privée- débouche sur des brevets industriels.

Les collectivités territoriales peuvent accompagner ce processus. Sans disposer de ressources correspondant aux besoins des grands groupes, elles peuvent accompagner technopoles et pôles de compétitivité. Une commission du Sénat réfléchit actuellement aux moyens de rendre ces pôles plus évolutifs et réactifs, car ces structures sont trop figées. Je souhaite qu'une réforme des collectivités territoriales leur permette d'accompagner mieux la recherche des groupes, notamment pour développer les exportations.

J'en viens à l'énergie, un secteur qui porte haut les couleurs de notre industrie. Areva, ses filiales et ses fournisseurs créent de l'emploi sur notre territoire, mais le groupe est confronté à un fort endettement et vient de perdre un partenaire majeur, Siemens. J'ai interrogé Mme Lagarde sur sa vision de l'avenir. Hier, j'ai entendu le Président de la République dire qu'il dépenserait un euro dans le développement durable pour chaque euro dépensé dans le nucléaire. Fort bien, mais qu'entend faire le Gouvernement pour ce pôle, qui sera créateur d'emplois au moins jusqu'en 2020 ? (Applaudissements à gauche, au centre et sur plusieurs bancs à droite)

M. Jean-Claude Etienne.  - L'industrie obéit à un principe existentiel au sein des collectivités humaines : certaines sociétés ont une industrie, d'autres en sont privées. Il faut faire partie de la première catégorie.

L'enchaînement infernal a déjà été décrit, qui part d'une baisse de production au centre industriel principal pour frapper en définitive la sous-traitance, parfois géographiquement fort éloignée. Tel est, par exemple, le cas des équipementiers automobiles implantés dans la Marne.

Gérard Longuet a fort justement dit que l'industrie représentait bien plus que 20 % du PIB. J'espère que Martial Bourquin rappellera à ses amis présidents de conseil régional ses paroles sur la part belle qu'il fallait laisser aux régions pour la réindustrialisation. Peut-être qu'ils participeront plus volontiers au plan de relance, ce dont je le remercie d'avance.

Le véritable enjeu concerne la localisation des sites d'activité. Au-delà des slogans politiques, nous devons répondre en profondeur à l'interpellation sociale, qui est légitime. La compétitivité industrielle est largement déterminée par l'innovation. Or, si nos grands groupes s'y attachent, tel n'est pas le cas de nos PME ni de nos PMI, contrairement à leurs homologues allemandes, dont Christian Gaudin a rappelé la culture entrepreneuriale. L'innovation est indispensable au développement des entreprises de toute taille, car elle augmente la valeur intrinsèque des produits, ce qui permet de les vendre plus cher, donc de mieux payer ses salariés.

La crise de l'automobile offre un bon exemple des difficultés rencontrées par la recherche et développement, puisque nos constructeurs n'ont pas suffisamment pris en compte l'impératif de produire des voitures économiques en énergie et propres. Gérard Longuet vous a interrogé sur la voiture électrique. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a souligné dans un rapport publié il y a cinq ans la nécessité de développer des voitures hybrides rechargeables, mais nos constructeurs nationaux n'ont pas perçu alors ce qui s'impose aujourd'hui comme une évidence.

De grandes entreprises peuvent avoir du mal à surmonter une erreur stratégique ; les PME et PMI ne s'en remettent pas. Monsieur le ministre, vous vous rappelez ce qui s'est passé dans le bassin du nogentais, où la tradition de la coutellerie -allant jusqu'au bistouri- avait été mise en échec dans la compétition internationale. La relève est venue grâce à une innovation dans les traitements de surface permettant de produire de nouvelles prothèses osthéo-articulaires caractérisées par une meilleure compatibilité entre le matériel minéral et la matière biologique.

Dans le domaine de l'innovation, les outils d'intervention ne manquent pas. J'en citerai quelques-uns, comme l'Agence pour l'innovation industrielle, le statut des jeunes entreprises innovantes, le crédit d'impôt-recherche, l'Agence nationale de la recherche, le rapprochement opéré entre l'Anvar et la Banque pour le développement des PME pour former Oseo, et vos dix commissaires à la réindustrialisation. J'ajoute les contrats de transition professionnelle dont M. Bourquin a souligné l'intérêt.

Il faut que, dans chacune de ces structures, un démarchage se fasse vers les PME-PMI. La recherche et développement est consubstantielle aux grands groupes et à leurs succès, mais la cible doit être les PME, dont il faut susciter l'enthousiasme pour l'innovation. Il convient par conséquent que ces organismes aient une stratégie d'approche de la PME et n'attendent pas d'être sollicités : ces entreprises petites et moyennes sont prises dans leur quotidien et méritent un accompagnement spécifique pour une démarche qui n'est pas inscrite dans les pratiques de production qui ont marqué leur origine. Comme on l'a fait en Champagne-Ardenne dans le secteur du nogentais, il faut saisir l'occasion de leurs interrogations sur leur avenir en période de crise, pour leur tendre la main avant qu'elles n'appellent au secours.

C'est avant l'appel de détresse qu'il faut intervenir. C'est quand tout va bien que l'entreprise de petite taille doit pouvoir acquérir une culture d'innovation. Pour cela, il y faut une volonté. Il faut susciter l'enthousiasme des responsables pour la démarche innovante. Henry Ford disait que c'est l'enthousiasme qui est la base du développement. La Grande-Bretagne n'a plus cet enthousiasme et l'on voit ce qu'il en est de son industrie. Il vous revient de faire souffler partout sur le territoire le vent de la recherche et développement, pierre angulaire de l'innovation, donc de la compétitivité, donc de l'emploi sauvegardé ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Vous me permettrez de faire irruption dans ce débat en apportant un éclairage local sur la situation de l'entreprise Molex à Villemur-sur-Tarn. C'est un dossier que vous connaissez bien mais je crois utile d'y revenir car il illustre les réalités actuelles de la filière des équipementiers et des sous-traitants automobiles.

Cette entreprise, spécialisée dans la connectique automobile, a dégagé en 2008 un bénéfice de 1,2 million, ce qui est loin d'être négligeable. Et pourtant la direction maintient sa décision de fermer le site en octobre, malgré un sursis de quatre mois gagné de haute lutte. L'installation d'une chaîne de production alternative aux États-Unis prouve que la suppression du site de Villemur était programmée de longue date.

Cette fermeture, c'est 300 salariés licenciés, dotés de savoir-faire très spécialisés, et d'une moyenne d'âge de 46 ans. C'est 300 familles qui voient leur destin basculer au son de ces seuls mots de la direction : « nous anticipons des pertes éventuelles ». Peut-on tolérer que le destin d'une population soit gouverné par ces éventualités ? Il aura fallu beaucoup de détermination et de courage aux salariés pour obtenir gain de cause, grâce à une décision du tribunal de grande instance, permettant au comité d'entreprise d'exposer son point de vue sur la viabilité du site.

L'entreprise PSA se fournissait principalement chez Molex pour la connectique et ses commandes représentaient 80 % des recettes du site de Villemur. Ce qui veut dire que le maintien de celui-ci dépend étroitement du groupe PSA. On évoque maintenant l'hypothèse d'une reprise. Le « pacte automobile » devrait également s'intéresser au sort des fournisseurs ou sous-traitants. Cet engagement de l'État est indispensable et répond à une double exigence, économique et sociale, ressentie comme telle par toute la population de Villemur qui, aux côtés des salariés de Molex, se livre à une course contre la montre dans laquelle votre rôle, monsieur le ministre, est primordial. Nul ne saurait se substituer à l'État pour cette tâche.

D'ailleurs, la perspective de trouver un repreneur est maintenant beaucoup plus favorable que cet hiver car vous disposez d'éléments beaucoup plus positifs, tels qu'ils figurent dans l'analyse du cabinet Syndex. Diligenté par le comité d'entreprise, cet audit conclut à la viabilité du site, contrairement à ce que dit la direction de Molex. La crédibilité de cette direction est fortement altérée depuis qu'elle a pris la décision de sacrifier ce site ; de malmener le droit français du travail ; d'installer dans la plus grande opacité aux États-Unis une chaîne de production alternative.

J'ajoute que l'on demande aux travailleurs de Molex une productivité bien supérieure à ce qu'elle était il y a un an, justifiant le recours à du personnel intérimaire, tout en expliquant que la fermeture du site est inévitable.

Telle est la situation actuelle de cette entreprise dont auraient bien voulu vous entretenir personnellement les 110 salariés de Molex qui sont venus hier à Paris et ont été reçus par un membre de votre cabinet. Sans mettre en cause la qualité de l'accueil qui leur a été réservé, il y a eu de votre part un acte manqué qui n'est pas de nature à les rassurer. Cependant, le Gouvernement a encore le temps de répondre à l'urgence en s'engageant résolument dans la recherche concertée d'un repreneur, qui doit pouvoir compter sur un débouché commercial avec PSA. Je rappelle que, dans le cadre du pacte automobile, PSA a bénéficié d'un prêt de l'État de 3 milliards, ce qui vous donne les moyens d'obtenir que cette entreprise concrétise ses intentions. C'est à ce prix que le Gouvernement pourra crédibiliser son pacte automobile. Nous ne pouvons accepter que la structure de notre industrie soit uniquement dépendante des caprices du marché et de décideurs peu scrupuleux ! (Applaudissements à gauche)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation.  - Je remercie M. Bourquin d'avoir posé cette question qui préoccupe l'ensemble des Français. Comme le dit souvent le Président de la République, « un pays sans industrie est un pays qui ne croit pas en l'avenir de son économie ». L'industrie représente aujourd'hui 16 % de notre PIB mais 80 % de nos exportations et 85 % de la recherche et développement privée. C'est d'elle qu'on peut attendre une solution à tous les grands problèmes du monde d'aujourd'hui : alimentation, sécurité, environnement. Là où l'industrie est aujourd'hui un problème, elle sera demain une solution.

Le Gouvernement n'a pas attendu la crise pour prendre des mesures fortes. Dès 2007, nous avons fait en sorte d'en renforcer la compétitivité. C'était la raison d'être des dispositions contestées sur les heures supplémentaires : alléger le coût du travail. C'est aussi pourquoi nous avons cherché une troisième voie entre démission et licenciement : pour fluidifier le marché du travail. C'est aussi le sens du triplement du crédit impôt-recherche : rendre l'offre française plus attractive -nous sommes désormais le pays le plus attractif de l'OCDE. L'innovation d'aujourd'hui, ce sont les investissements industriels de demain. Le crédit impôt-recherche coûte cette année 3 milliards au budget de l'État ; c'est beaucoup mais on peut en attendre un effet en retour important. C'est grâce à lui que Thalès maintient en France la production des cockpits de l'A 350 ou que Google investit en France.

Ce sont aussi les pôles de compétitivité, que j'ai créés en 2005 et évalués en 2008. Ils sont pérennisés avec 1,5 milliard sur trois ans.

Ils doivent cependant encore se moderniser. Nous prendrons des décisions cet été, qui pourront être douloureuses pour certains, mais nous devons concentrer nos moyens. Nous investirons davantage dans les pôles à vocation internationale ; il nous faudra sans doute aller vers de véritables technopoles comme ceux qui se dessinent sur cinq ou six sites.

Il est clair que la crise a modifié les relations entre l'État et l'industrie. Il fallait pour celle-ci, qui en a été la première victime, des mesures fortes, volontaristes, ciblées et réactives. La réponse du Gouvernement s'est articulée en trois temps.

Il fallait d'abord répondre à l'urgence et à l'assèchement du crédit. La source du mal, c'est la crise financière ; le système bancaire était bloqué. Nous avons pris des dispositions qui ont eu un réel impact : remboursement anticipé de la TVA ; réduction des délais de paiement ; installation de la médiation du crédit, qui a permis de débloquer plus de 7 000 dossiers et de maintenir 90 000 emplois ; actions d'Oséo en garantie et en faveur de l'innovation ; création d'un Fonds stratégique d'investissement, fonds souverain qui a vocation à prendre des participations dans des entreprises stratégiques en revenant à des objectifs de rentabilité plus industriels que financiers -on ne peut exiger, comme l'ont fait certains fonds anonymes et lointains, des retours sur investissement à deux chiffres dans des filières dont le modèle économique ne permet de dégager que quelques points de marge. Je pense aussi au dispositif de réassurance.

Le Gouvernement a ensuite fait le choix stratégique de relancer par l'investissement plutôt que par un soutien diffus à la consommation, comme le demandait l'opposition. Il semble que ce choix a été le bon. La plan de relance va permettre de remplir les carnets de commande, de soutenir l'emploi, tandis que la consommation reste le dernier moteur qui tourne encore -la France étant en ce dernier domaine une exception par rapport à ses voisins. Le Gouvernement a choisi d'apporter une réponse aux ménages les plus fragiles, avec l'exonération des deuxième et troisième tiers pour 2,5 millions de foyers...

M. Jean-Louis Carrère.  - Et le bouclier fiscal ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - ...ou encore avec la mise en place du RSA et son anticipation par une prime versée le 15 avril à plus de quatre millions de salariés modestes.

Troisième niveau de réponse, l'accompagnement social des restructurations industrielles. Nous avons d'abord pris des mesures pour amortir les chocs et faire en sorte que fermetures de sites et licenciements soient l'ultime recours. Il nous faut préserver et notre capital industriel et notre capital humain pour le moment où la croissance repartira. C'est cette idée qui nous guide lorsque nous augmentons les quotas d'heures de chômage partiel dans les secteurs les plus fragiles ; lorsque nous améliorons la rémunération des salariés en chômage partiel et augmentons la part qu'y prend l'État ; lorsque nous nous apprêtons à encourager le prêt de main-d'oeuvre ; ou lorsque nous utilisons la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, comme nous l'avons fait avec les partenaires sociaux dans l'automobile en mettant sur la table 150 millions d'euros pour financer les reconversions et anticiper les mutations.

Nous avons également dopé les dispositifs d'accompagnement social dans les cas où la catastrophe n'a pu être évitée. Une cellule dédiée aux restructurations a été créée. Des commissaires à la réindustrialisation ont été installés, dix à ce jour, qui ont une feuille de route précise et adaptée aux problématiques de chaque région ; je les ai reçus ce matin encore, ils devront anticiper les situations difficiles, accompagner les restructurations, chercher des solutions alternatives aux licenciements secs, enfin revitaliser les territoires affectés par des fermetures de sites ou des licenciements.

Nous avons ainsi pu traiter au cas par cas des dossiers difficiles. A Continental, alors que la direction n'avait pas anticipé et que les représentants des salariés n'avaient guère agi pour apaiser les choses, la médiation des pouvoirs publics a permis d'arriver à un accord. M. Bourquin a évoqué Heuliez : aujourd'hui est la date limite de dépôt des dossiers de reprise. Nous en aurons au moins un qui sera global et concernera les 1 000 salariés et pas seulement les 45 de la branche « véhicules électriques ». C'est une bonne nouvelle. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises, le Fonds stratégique participera au futur tour de table à hauteur de 10 millions d'euros. Quant à Molex, les salariés et la direction ont été reçus au ministère, de même que les élus. Nous n'avons aujourd'hui ni cédant ni repreneur. Il est un peu délicat dans ces conditions de monter un projet. L'entreprise est désormais plus ouverte à la discussion, le commissaire à la réindustrialisation est mobilisé.

Le pacte automobile est une bonne illustration de la façon dont le Gouvernement a géré la crise dans ce secteur. Il est clair que la prime à la casse a eu un impact important...

M. Jean-Louis Carrère.  - Là, il ne s'agit pas d'investissement !

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Cinq mois après le début de la crise, notre marché est en meilleur état que celui de nos voisins -il a baissé de moins de 2 % contre 40 % en Espagne par exemple. Nos usines automobiles retrouveront en juillet prochain leurs cadences de juillet 2008 et de la moyenne des cinq années précédentes. Le dispositif arrive à échéance au 31 décembre. Nous allons réfléchir avec la filière comment éviter le trou d'air que nous avons connu à deux reprises dans les années 1990 lorsque des dispositifs similaires ont été arrêtés.

La crise nous amène enfin à redéfinir le rôle de l'État.

Il doit jouer un triple rôle : d'abord, celui de fédérateur, en rassemblant sur une thématique donnée l'ensemble des acteurs d'une filière. Lorsque j'ai réuni le comité stratégique pour l'avenir de l'automobile, c'était la première fois que tous les acteurs de la filière se retrouvaient pour échanger sur l'avenir de ce secteur. Ils n'avaient l'habitude de se voir que pour parler produits, prix et pour négocier. Dans le même ordre d'esprit, nous réunissons une fois par mois depuis un an les éco-industries et nous avons créé le forum des services mobiles sans contact pour définir les solutions technologiques du futur.

Le deuxième rôle de l'État face à la crise, c'est celui d'investisseur. En prenant des participations minoritaires, il donne ainsi plus de lisibilité à certaines entreprises. Il peut également investir dans des secteurs à fort potentiel pour fixer les caps, comme il l'a fait à Crolles en investissant 450 millions pour les micro et les nanotechnologies, ou en créant un fonds démonstrateur doté de 400 millions pour capter le CO2 et développer l'énergie solaire. En outre, il a orienté certaines recherches du CEA vers les biocarburants. L'État a également créé l'Agence France nucléaire international pour développer les exportations de cette filière qui est si importante pour les grands groupes comme Areva et EDF mais aussi pour les sous-traitants de première et de deuxième rangs qui sont particulièrement présents dans votre région, monsieur Patriat, ou dans la mienne, réunis autour du pôle technologique que le président Emorine connaît bien.

Enfin, l'État doit avoir un rôle de détonateur : il doit pouvoir créer les conditions d'existence économique et juridique d'un marché grâce à des commandes publiques, comme il l'a fait avec le véhicule électrique en demandant à La Poste de fédérer toutes les grandes entreprises qui pourraient faire appel à une commande groupée. La fiscalité a aussi son rôle à jouer : nous évoquerons tout à l'heure la taxe professionnelle. Enfin, la réglementation doit être harmonisée : ainsi, nous avons installé un groupe de travail avec les Allemands sur la normalisation européenne du futur véhicule électrique.

Le Gouvernement croit en l'avenir de l'industrie française parce qu'elle est un réservoir d'activité et d'emplois important. C'est pourquoi j'ai créé il y a quelques jours un comité stratégique pour les marchés porteurs, car la sortie de crise passera aussi par notre capacité à investir dans les marchés sur lesquels nous avons de fortes perspectives de croissance économique, sur lesquels nous disposons d'avantages compétitifs importants et sur lesquels l'action de l'État peut s'avérer décisive. J'espère vous avoir convaincu que le Gouvernement est déterminé à soutenir notre industrie. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Martial Bourquin.  - Je voudrais faire remarquer à M. le ministre que les interventions des orateurs étaient positives : nous avons tous le souci d'une politique industrielle adaptée pour sortir de la crise. Le capital humain est fondamental : une politique industrielle doit impérativement tenir compte de la formation initiale et continue.

Ne faudrait-il pas faire en sorte que lorsque les entreprises perdent des marchés, certains de leurs salariés suivent des formations en gardant leur salaire et leur statut ? Une fois la situation économique rétablie, ils pourraient revenir dans l'entreprise plutôt que d'avoir grossi le rang des chômeurs. On parle beaucoup de la flexi-sécurité à la danoise : voilà une piste qu'il conviendrait d'explorer.

J'en viens à la mutation écologique : combien d'écrans plats sont-ils fabriqués en France ? Si nous ne favorisons pas l'émergence d'industries pour répondre à la révolution verte qui s'annonce, nous allons devoir importer ! Cela s'appelle tout simplement de la prospective.

Enfin, les 600 000 emplois que nous venons de perdre sont une véritable tragédie. Notre pays doit encourager l'investissement, mais aussi la consommation et les salaires. C'est pourquoi je déplore que vous ne prévoyiez pas d'augmentation du Smic. (M. Paul Blanc s'exclame) La relance par la consommation est indispensable. (Applaudissements à gauche)

Le débat est clos.

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 15.

Réforme de la taxe professionnelle (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de Mme Marie-France Beaufils à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la réforme de la taxe professionnelle

Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question.  - La situation économique dans laquelle nous nous trouvons sert de prétexte pour remettre en cause notre modèle social. A en croire le Président de la République, en quête d'une improbable refondation du capitalisme, le moment serait venu de mettre un terme à la taxe professionnelle, celle-ci étant une incongruité juridique et fiscale en Europe. Au nom de la compétitivité de nos entreprises et des contraintes de la mondialisation, nous devrions alléger encore plus la contribution des entreprises aux collectivités locales. Mais il n'est jamais question des avantages que ces mêmes entreprises tirent de la mondialisation.

La suppression de la taxe professionnelle va de pair avec les nombreux allègements de l'impôt sur les sociétés. Les entreprises sont ainsi de moins en moins contributrices à la charge commune. Comment expliquer à nos concitoyens que, pour sortir de la crise, il faut encore alléger l'impôt des entreprises, au moment même où ils voient leurs salaires stagner et leurs impôts augmenter !

Nous nous interrogeons sur l'efficacité de cette mesure, présentée par le Président de la République comme un outil de relance économique. Nourris par l'expérience, nous avons quelques doutes sur les politiques d'allégements fiscaux et sociaux. Je ne sais ce que le concept d'« entreprise citoyenne » dont on nous rebattait les oreilles il y a quelques années, devient dans ce schéma, mais la question essentielle reste la suivante : oui ou non, les mesures prises depuis vingt ans pour réduire le poids de la taxe professionnelle dans les comptes des entreprises ont-elles porté leurs fruits ? Quel bilan, quelle analyse critique ont été réalisés ? Un rapport sur les emplois créés, les investissements supplémentaires réalisés dans ces activités économiques, a peut-être échappé à notre attention, mais j'en doute...

L'une des grandes faiblesses du discours du Président de la République, c'est qu'il ne tient pas compte de l'histoire. La mise en place, dans le cadre de la loi de finances 1987, de l'allégement transitoire de 16 % sur les bases imposables, soit une réduction d'un sixième environ, fut la première mise en cause de l'équilibre de la taxe professionnelle. On sait ce qu'est devenue la dotation de compensation de cet allégement dit transitoire, dont il convient de mesurer le poids sous deux registres : pour ce qu'il coûte à l'État, en incluant le retour d'impôt sur les sociétés, et pour ce qu'il coûte aux collectivités locales, une fois déduite la compensation perçue. On peut estimer entre 60 et 80 milliards d'euros, à la valeur 2009, le coût brut, pour l'État, réduit de 20 à 25 milliards au titre des recettes de l'impôt sur les sociétés, mais accru par le montant de la dotation de compensation. Celle-ci, ainsi que nous l'observons depuis 1995, sert de variable d'ajustement aux dotations budgétaires et je rappelle que pour 2009, sa réduction est montée à 27 %.

A l'automne 1995, on promulguait une loi de finances prévoyant de consacrer plus de 17,8 milliards de francs, soit 2,72 milliards d'euros, à la compensation de la taxe professionnelle. En loi de finances pour 2009, ce montant s'établit à 582 millions d'euros, soit cinq fois moins en valeur courante, plus encore en valeur constante.

Autre mesure phare dans l'histoire de la taxe professionnelle, la suppression de la part taxable des salaires. On connaît le processus : suppression progressive par abattement sur la valeur retenue des salaires, compensation quasi intégrale avant l'intégration de cette compensation dans la dotation globale de fonctionnement. Depuis 2004, avec la fusion des deux éléments et la création de la DGF des régions, une chienne n'y retrouverait plus ses petits. Mais il est évident que le décalage entre dotation budgétaire perçue et réalité des produits fiscaux abandonnés s'accroit année après année.

Se pose alors une question récurrente : les réformes successives de la taxe professionnelle ont-elles atteint le double objectif qu'elles s'étaient fixé, la relance de l'emploi et de l'investissement ? L'intéressant rapport remis par Jean-Philippe Cotis, directeur général de l'Insee, sur le partage de la valeur ajoutée, permet peut-être de répondre à la question. Il rappelle quelques données essentielles. Le mouvement de défiscalisation engagé en 1985 et accentué par la désindexation des salaires a redressé le taux de marge des entreprises, l'installant durablement autour de 30 %, non sans effets, cependant, sur la progression de la valeur ajoutée, réduite par le développement de l'emploi peu qualifié, tandis que le déclin des emplois qualifiés joue contre la croissance et la qualité de la production comme de la productivité. Comme avec toute vision de court terme, on aboutit à la dégradation du tissu économique.

Deuxième observation du rapport, la part des salaires, cotisations sociales comprises, s'est progressivement réduite dans la valeur ajoutée. Les cotisations sociales pèsent aujourd'hui de plus en plus dans la masse salariale globale, pourtant de même niveau que celle de 1970 ! Et le niveau de l'emploi ne s'est pas amélioré. L'industrie ne cesse, ces dernières années, de perdre des emplois, les entreprises préférant faire appel à des salariés intérimaires, qui ne bénéficient d'ailleurs pas des plans de restructuration.

Troisième observation, enfin : la défiscalisation, marquée par la baisse de la TVA, de l'impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle, a sensiblement accru la part de la richesse créée par le travail qui est consacrée à la rémunération du capital. Le rapport Cotis le dit très simplement : la part consacrée à la rémunération des actionnaires ces vingt dernières années augmente, quand celle consacrée aux investissements diminue, avec tous les risques que cela comporte pour le tissu industriel. Sur vingt ans, donc, pour nos entreprises, l'apport de la défiscalisation a d'abord, concurremment à un mouvement de réduction des taux d'intérêt, conduit au désendettement et à la reconstitution des fonds propres. Puis, pour financer l'investissement, les grandes entreprises ont fait de plus en plus souvent appel à des capitaux levés sur les marchés, dont la gourmandise a consommé une part croissante des bénéfices d'exploitation. Pour les PME, le mouvement a été l'intégration capitalistique dans des groupes, conduisant notamment à la mise en place des outils juridiques de « remontée financière » vers la tête de groupe des profits des filiales, mais aussi d'exigence de performance, incompatible avec le maintien de la rémunération des salariés. S'agissant des PME restées indépendantes, leur qualité de sous-traitants les a conduites à la signature de contrats de plus en plus léonins, faisant remonter, là encore, l'essentiel de la valeur ajoutée vers le donneur d'ordre. Les résultats, nous les connaissons : fragilisation de nos PME et de l'emploi, fuite en avant perpétuelle vers le moins-disant social et fiscal.

Chacun sait ici que les principaux bénéficiaires de la baisse de l'impôt sur les sociétés sont les grands groupes, qui ont fait de l'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires un véritable outil de gestion et qui font leur beurre de la réduction de la taxe professionnelle. Sa suppression ne changera rien à la répartition des avantages fiscaux comparatifs. Ce sont toujours les mêmes qui tireront le plus grand profit de l'affaire.

L'une des critiques les plus souvent adressées à la taxe professionnelle par ses opposants, c'est qu'elle n'aurait aucun équivalent en Europe. Ce qui suffirait pratiquement à la condamner, au nom d'une sorte d'harmonisation fiscale qui n'est pourtant nullement à l'ordre du jour, puisque le sacro-saint principe de subsidiarité laisse chaque pays européen maître de la définition de sa fiscalité. L'Europe se contente de contrôler l'application des droits indirects. On ne s'attaque pas aux principes ni à l'architecture, on ne fait que limiter l'application de telle ou telle règle fiscale.

Le choix français de financer une bonne part de l'action des collectivités locales par le biais de l'impôt est dans l'esprit de notre Constitution, qui veut que chacun contribue à la dépense publique en fonction de ses capacités. Ce choix garantit une certaine autonomie aux collectivités locales et leur permet de répondre aux compétences et aux missions qui leur sont confiées, pour le plus grand bénéfice des entreprises installées sur leur territoire. D'autres pays ont fait d'autres choix, recourant au partage du produit des impôts d'État.

Plutôt que d'attaquer la taxe professionnelle, nous ferions bien de réfléchir à son évolution. Devons-nous, comme semble nous y inviter le Président de la République, procéder à l'exclusion définitive des investissements de l'assiette de la taxe, la réduisant à une simple taxe foncière sur les activités économiques ? Faut-il promouvoir, pour compenser la mesure, une taxe carbone, indirecte, qui sera essentiellement supportée par le consommateur final, sans lien clairement établi avec le territoire ? Ou ne vaut-il pas mieux réfléchir à l'évolution de l'assiette de la taxe, à l'importance et à la pertinence de ses correctifs, et trouver les voies et moyens d'une réforme permettant d'assurer aux collectivités locales les moyens financiers de leur action et de rétablir, entre les entreprises contribuables, un traitement équitable au regard de l'impôt ? En 2004, avant le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, le secteur financier ne consacrait que 1,7 % de sa valeur ajoutée au paiement de la taxe professionnelle, le BTP 1,9 %, le commerce 2,3 %, l'énergie 5,6 %.

Pour nous, l'intégration de la richesse financière dans les bases d'imposition rétablirait l'équité face à l'impôt, pour les entreprises, et serait bénéfique à notre économie. Les collectivités y gagneraient en visibilité sur leurs ressources. La taxe professionnelle n'est pas chose anodine dans leur budget, sans oublier que les intercommunalités se sont essentiellement fondées sur le principe de la taxe professionnelle unique. Autant de questions qui sont au coeur de ce débat. (Applaudissements à gauche. M. Jean-Pierre Fourcade applaudit aussi)

M. Charles Guené.  - La réforme de la taxe professionnelle n'est pas une décision aisée à prendre dans le contexte actuel, mais elle a le mérite de nous inviter à dresser un état des lieux. La rencontre de trois phénomènes nous procure une opportunité historique. Tout d'abord, la taxe professionnelle est devenue un impôt obsolète et nocif. Si cette taxe sur les moyens de production a pu apparaître aux collectivités locales dans les années 70 comme une ressource localisable, elle est devenue, malgré la suppression de la part salariale en 1999, un impôt antiéconomique. Son assiette trop étroite est encore réduite par les exonérations. Son poids est inégal selon les secteurs d'activité et la localisation géographique, et sans rapport avec la capacité contributive des entreprises. La taxe professionnelle constitue en outre un frein à l'investissement, voire aux implantations nouvelles.

Ensuite, il est devenu nécessaire de réformer la fiscalité locale. Par le biais des dégrèvements, des compensations fiscales et des dotations diverses, l'État prend en charge environ 35 % du produit fiscal perçu par les collectivités. Au seul titre de la taxe professionnelle, il a versé en 2008 près de 13 milliards d'euros sur un total d'environ 30 milliards, sans compter les compensations de la part salariale intégrées dans la DGF, qui se montent à 10 milliards d'euros. Le système a perdu toute lisibilité, à tel point que l'on ne sait plus qui paie quoi. Dans certaines villes, l'État contribue presque en totalité au paiement de certains impôts locaux. Quant aux dotations, elles sont désormais à géométrie variable et l'État s'évertue à en estomper les contours : je crains que l'inclusion du FCTVA ne soit à cet égard qu'un premier épisode... La réforme de la taxe professionnelle aura d'ailleurs une incidence sur le potentiel fiscal et l'ensemble des dotations qui en dépendent.

La décentralisation a conduit à porter le rendement de l'impôt à un niveau anormal, car la part des dépenses des collectivités locales dans le PIB s'est accrue de 35 % en 25 ans sans nouvelles assiettes d'impôt à due concurrence. Il faut plus de clarté et de responsabilité. Le système fiscal des collectivités locales est à bout de souffle et nous devons le refonder. Il est urgent d'examiner comment, dans les pays voisins, l'État et les collectivités locales ont conclu un pacte de stabilité interne.

Enfin l'impôt, qui à l'origine était destiné à collecter des ressources pour les pouvoirs publics, est devenu au fil du temps un facteur de redistribution : tout comme la réforme Caillaux qui instaura au début du XXe siècle l'impôt progressif, ce fut une petite révolution. Or, si le problème de la préservation de la planète se pose depuis un quart de siècle, nous venons de franchir un cap, comme en témoignent le magnifique film Home de Yann Arthus Bertrand et les résultats des dernières élections européennes. La fiscalité doit devenir environnementale et provoquer un « signal prix » en fonction de l'impact carbone des produits, afin de réduire la consommation d'énergies fossiles et d'amortir le choc de transition énergétique. Cette nouvelle fiscalité devra s'opérer à prélèvement global constant ; il conviendra également d'en corriger les effets sociaux par des redistributions. Mais ces obstacles sont surmontables grâce au double dividende de la réduction des dommages liés à la pollution et des nouvelles recettes créées.

Compte tenu de ces trois facteurs, une chance historique de réformer la fiscalité locale se présente à nous, comme l'a dit la directrice de la législation fiscale, Mme Lepetit. Ne la laissons pas échapper !

A cette fin, il est indispensable de se débarrasser de préjugés tenaces. La dépense locale peut être maîtrisée ; il faut tracer définitivement le périmètre des dépenses transférées afin de délimiter la part contrainte du budget des collectivités. Il faut également mieux définir l'autonomie fiscale à laquelle nous sommes attachés, en la distinguant de l'autonomie financière garantie par la Constitution. Nous devons faire en sorte que les ressources des collectivités locales ne dépendent plus des impôts qu'elles prélèvent ; l'assiette de ces derniers pourra alors être convenablement redéfinie. Il faut également mettre en place une nouvelle gouvernance afin d'encadrer les dépenses et les taux d'imposition, dans le cadre d'un pacte entre l'État et les collectivités. Nous pourrons ainsi disposer de prélèvements nationaux, dont le produit pourra être affecté sur une base territoriale. Nous devrons aussi distinguer les impôts fondés sur les flux de ceux fondés sur les coûts, afin de corriger la distinction factice et franco-française entre la fiscalité sur les ménages et celle sur les entreprises. Il faudra tirer parti de la fiscalité environnementale pour compléter les ressources de l'État, obérées par ces rééquilibrages, et pour en corriger les inéluctables dérives sociales. Enfin nous devrons refonder le système de péréquation républicaine et renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement.

La réforme envisagée tend à supprimer la part de la taxe professionnelle portant sur l'investissement. Les entreprises ne verseraient plus que la part correspondant à la base foncière, qui représente 5,8 milliards d'euros, soit environ 20 % du total. La part relative aux investissements serait en partie remplacée par une taxe sur la valeur ajoutée, qui reste la moins mauvaise des assiettes car elle permet par son amplitude de niveler les écarts et d'appliquer un taux faible. La diminution des ressources des collectivités locales sera intégralement compensée, comme l'a indiqué par deux fois le Gouvernement. D'ailleurs 56 % de la taxe professionnelle prélevée correspond déjà à la valeur ajoutée. Les collectivités locales pourraient être satisfaites en disposant d'un impôt économique dont elles pourraient faire varier le taux, et d'un impôt sur la valeur ajoutée dont le taux serait fixé nationalement mais dont la répartition préserverait le lien avec le territoire. Car la valeur ajoutée d'une entreprise peut être répartie par établissement si l'on prend en compte, notamment, le nombre de salariés et les surfaces occupées.

Plusieurs problèmes demeurent. Les entreprises souhaitent que le taux national de la part sur la valeur ajoutée soit limité à 1,5 % et que la part foncière soit imputée sur le montant de l'autre. Quant aux collectivités, elles demandent que le taux de la part portant sur la valeur ajoutée soit fixé à 2 % avec une petite possibilité de variation locale, et que les deux parts soient découplées. L'exigence de pouvoir faire varier le taux de la taxe sur la valeur ajoutée ne semble pas constituer un casus belli. En revanche il paraît difficile de dépasser le seuil de 1,5 % dans le cadre d'une réforme visant à diminuer le montant global de la taxe professionnelle ; le plafonnement envisagé pèserait d'autant plus sur le budget de l'État. Il en irait autrement si ce seuil concernait la somme des deux parts de la taxe professionnelle : le débat doit encore progresser.

Cette réforme suppose également le transfert aux communes et aux communautés de communes des parts départementale et régionale du produit des impôts locaux pesant sur les ménages, et leur remplacement par des impôts nationaux au profit des départements et des régions. Ceux-ci craignent que les impôts ainsi transférés ne soient aussi volatiles que les précédents ; il en irait différemment s'ils bénéficiaient d'une part de grands impôts nationaux stables et dynamiques comme la CSG ou l'impôt sur le revenu.

Le choix de la valeur ajoutée comme assiette pose deux problèmes. Tout d'abord, comme le projet de M. Fouquet, le nouveau système reporterait une part non négligeable de la charge des industries lourdes sur les entreprises du tertiaire, qui avaient bénéficié de la suppression de la part salariale. Ensuite, un certain nombre de petits et moyens contribuables bénéficient d'un régime spécifique. Comment les intégrer dans la réforme sans alourdir leurs charges ? Enfin, une réforme fiscale de cette ampleur exige de puissants mécanismes de péréquation et une bonne gouvernance ; sachons ouvrir de nouvelles perspectives aux intercommunalités, qui ont grandement contribué au cours des dernières décennies à la modernisation de la gestion locale.

Il faut également s'interroger sur l'incidence de cette réforme sur le budget de l'État. Son coût, estimé à 8 milliards d'euros, dépendra du taux retenu pour l'impôt sur la valeur ajoutée. Il faudra plusieurs années pour résorber le manque à gagner. La taxe carbone et la résorption des niches de l'impôt sur les sociétés pourraient y contribuer. Dans un avenir plus radieux on pourrait imaginer que la part portant sur la valeur ajoutée s'impute sur l'impôt sur les sociétés, ce qui permettrait de maintenir la compétitivité de nos entreprises.

Vous pouvez ainsi mesurer l'étendue du champ d'action qui s'offre à nous. Nos concitoyens attendent cette réforme, et le Sénat doit y contribuer à la hauteur des pouvoirs qui lui ont été confiés. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Michel Baylet.  - Avec une soudaineté qui ne nous étonne plus, le Président de la République a annoncé le 5 février dernier la suppression de la taxe professionnelle à partir de 2010. Depuis, les élus locaux ont fait part de leurs inquiétudes et de leurs réserves : il est inconcevable qu'une réforme qui aura de si lourdes répercussions sur les finances locales soit ainsi décidée unilatéralement.

Le niveau de cette fameuse « part prépondérante », difficile à définir, a toutefois été fixé par la loi organique du 29 juillet 2004: elle ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003, soit 60,8 % pour les communes et leurs groupements, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Autant dire que la suppression de la taxe professionnelle, qui concentre 44 % de la fiscalité locale, anéantirait ce principe constitutionnel.

Cette réforme contredirait également le principe -déjà malmené par les dernières lois de finances- de la libre administration des collectivités locales, car la multiplication des dotations, au-delà du fait qu'elle opère une recentralisation, porte atteinte au pouvoir fondamental des collectivités de fixer et de prélever librement l'impôt. Cela romprait le lien contractuel entre les citoyens et leurs collectivités ; la centralisation des impôts nuit au pacte qui soude les individus à leurs territoires. En l'occurrence, la suppression de la taxe professionnelle (TP) briserait le lien fiscal entre les entreprises et la collectivité. En outre, les dotations ne sont pas des recettes actives et la suppression de recettes dynamiques priverait les collectivités d'utiles leviers fiscaux pour impulser des actions économiques locales. Enfin, le caractère figé de la dotation limiterait les capacités budgétaires des collectivités locales alors qu'en même temps l'État ne se prive pas de transférer régulièrement de nouvelles charges. Et non des moindres en termes d'incidences financières, en particulier pour les départements : le RSA dont la gestion combinée à celle du RMI a généré un milliard supplémentaire de dépenses entre 2003 et 2007, et l'APA dont la charge financière -que l'État ne prend plus en charge qu'à 30 %- progresse de 8 % par an. Les conseils généraux ne se défaussent pas, ils font face à leurs responsabilités. En retour, il est indispensable qu'ils conservent une visibilité financière, qu'ils préservent leur autonomie, et qu'ils aient de véritables compensations à l'euro près comme promis encore récemment par M. Copé devant l'Association des petites villes de France...

Enfin, la suppression de la taxe professionnelle porte aussi un coup à une valeur qui fonde l'esprit républicain : le principe d'égalité devant les charges publiques inscrit à l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui impose que la contribution commune soit équitablement répartie entre tous les citoyens à raison de leur faculté contributive. Or, le risque est grand de ne pas trouver une recette de substitution suffisamment dynamique pour compenser la disparition de la TP. Les collectivités qui devront faire face à de fortes charges publiques vont faire peser l'effort sur les ménages, via la taxe d'habitation et la taxe sur le foncier bâti. Ce serait inéquitable.

Au-delà des difficultés structurelles que provoquerait cette réforme, on peut se demander s'il est raisonnable de s'attaquer à ce chantier dans le contexte de crise économique que nous traversons. Les collectivités locales assument toute leur part dans la lutte contre la crise, elles ont été associées au plan de relance et soutiennent l'activité autant qu'elles le peuvent En réalisant 73 % des investissements publics, elles alimentent l'activité du secteur privé, en particulier dans le bâtiment. Et bien sûr, elles font face à l'accroissement de la demande d'aide sociale. Alors que les économistes peinent à dater la sortie de crise, pourquoi déstabiliser ces collectivités par une annonce qui vise tout de même presque la moitié du produit de la fiscalité locale ? Loin de simplifier, la suppression de la taxe professionnelle risque de les priver de marges de manoeuvre à un moment où elles ont besoin de latitude pour remplir leurs missions.

Monsieur le ministre, vous connaissez les réserves des élus, vous connaissez les difficultés sociales que rencontrent nos concitoyens. L'heure n'est pas aux réformes hâtives et contreproductives. Vous pouvez compter sur la ferme opposition des radicaux de gauche. (Applaudissements au centre et à gauche. M. Jean-Pierre Fourcade applaudit aussi)

M. Yves Krattinger.  - Ce lundi était inauguré dans un bourg-centre de mon département un hôtel d'entreprises construit par la société d'économie mixte chargée par le conseil général du développement du territoire. En plus du département qui détient 75 % du capital de la société, les actions sont détenues par la Caisse des dépôts et consignations, les différentes chambres consulaires et les banques. Cet hôtel d'entreprises est situé sur une zone d'activité labellisée « Pôle de développement économique » dans le schéma départemental des zones d'activités élaboré par la société citée précédemment en réponse à une commande départementale. Cette zone est située à proximité d'une route classée « grande liaison d'aménagement du territoire départemental » dont les travaux sont financés à 100 % par le conseil général et sur laquelle circulent chaque jour plus de 1 000 camions dont 700 issus du centre mondial des pièces détachées du groupe PSA implanté au chef-lieu du département. On accède à la zone d'activité par un diffuseur dénivelé financé et réalisé...

Mme Jacqueline Gourault.  - ...par le département...

M. Yves Krattinger.  - ...par le département il y a deux ans. La communauté de communes concernée a aménagé les vingt hectares de la zone d'activité avec des subventions du conseil général et de l'État. Elle a mis à disposition le terrain sur lequel est installé l'hôtel d'entreprises et réalisé la plate-forme et les parkings avec des aides financières du conseil général et de l'État. Deux mois après la mise en service, deux des quatre cellules de l'hôtel d'entreprises sont occupées et une troisième le sera rapidement. Ce sont de jeunes entreprises qui bénéficient d'un soutien de la région et d'un prêt d'honneur de la plate-forme départementale alimentée par des fonds de la région, du département, de l'Europe, de la Caisse des dépôts, ainsi que de partenaires privés.

A l'inauguration étaient présents l'État, les collectivités territoriales et les chambres consulaires. Chacun s'est félicité du travail commun en faveur de l'économie et de l'emploi et surtout personne n'a remis en cause le lien fiscal entre les territoires et les entreprises. Cette situation n'est pas du tout spécifique à ce département et tous les témoignages vont dans ce sens. C'est pourquoi toute réforme de la taxe professionnelle doit être conduite en ayant à l'esprit que les destins des entreprises et des territoires sont étroitement liés et que couper le lien fiscal qui les unit risque d'être dangereux.

Partant du postulat qu'une réforme de la taxe professionnelle sera de toute manière imposée au Parlement à l'occasion du projet de loi de finances 2010, je souhaite proposer une alternative au projet du Gouvernement, reposant sur les principes suivants.

Il faut maintenir un lien fiscal entre l'activité économique et les collectivités territoriales, dès lors qu'il n'y a plus ni abus ni contentieux. Il faut supprimer l'imposition sur les investissements mais maintenir une imposition assise sur la valeur ajoutée, conformément à ce que préconise le rapport Fouquet. Il faut maintenir le niveau actuel des ressources des collectivités territoriales, maintenir et renforcer leur autonomie fiscale, ne pas transférer de fiscalité d'État, supprimer l'interposition entre l'État, les collectivités territoriales et les entreprises dans le paiement de la TP en supprimant les dégrèvements et compensations. Il faut aussi assurer des gains significatifs à l'industrie, secteur le plus soumis à la concurrence internationale et, enfin, limiter le nombre de perdants car dans le scénario du Gouvernement, on en compterait 212 000 !

Pour atteindre ces objectifs, je propose de découpler l'assiette actuelle de la taxe professionnelle en deux impositions distinctes D'une part, un impôt assis sur les valeurs locatives foncières des propriétés bâties des entreprises, celles qui sont comprises actuellement dans l'assiette de la TP. Des minorations seraient prévues pour l'industrie afin qu'elle profite pleinement de la réforme. D'autre part, un impôt assis sur la valeur ajoutée à un taux fixé par les collectivités entre un plancher et un plafond. Le taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle payée par les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7,6 millions est aujourd'hui de 1,5 %. Ce seuil serait ramené à un million parce qu'il est important que le maximum d'entreprises contribuent.

En ce qui concerne le partage de cette fiscalité, l'imposition sur les valeurs locatives foncières irait aux communes et aux intercommunalités -toutes les impositions foncières pourraient aller au bloc communal, à l'exception de la part départementale des taxes foncières- et l'imposition sur la valeur ajoutée irait aux régions et aux départements. Cette réforme serait beaucoup moins coûteuse pour les finances de l'État et le solde pourrait être compensé par une modification supportable de la plus haute tranche de l'impôt sur les sociétés.

Les communes et les intercommunalités pourraient fixer le taux de l'imposition sur les valeurs foncières. Elles n'auraient pas de recette assise sur la valeur ajoutée, mais le foncier assure une recette dynamique parce qu'il y aura toujours des constructions. Le plafonnement global à 3 % pourrait être maintenu avec un reversement en cas de dépassement. La liaison de taux entre l'imposition de la valeur foncière et celle des ménages éviterait tout dérapage.

Les points les plus positifs de cette proposition est qu'elle est réellement favorable aux entreprises, dont elle réduit l'imposition. Elle est plus juste car il y a moins de perdants, elle consolide l'autonomie des collectivités locales en réduisant l'intervention de l'État sur leurs recettes.

Refusant la polémique, je reconnais que des évolutions sont indispensables, qu'elles sont souhaitées. Je vous demande, monsieur le ministre, de prendre en compte ces propositions et je vous remercie d'avance de ce que vous pourrez faire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Gérard Le Cam.  - Je vous prie d'excuser M. Foucaud, qui devait intervenir dans ce débat. La promesse de M. Sarkozy au Medef de supprimer la taxe professionnelle rencontre bien des difficultés au point que le terme même de suppression a été supprimé et que l'on parle désormais seulement de modification.

Chacun connaît les données du problème : pour que l'État supprime les 8 milliards de taxe professionnelle, il doit jouer avec des masses financières de l'ordre de 22 à 25 milliards. Suppression de l'allègement transitoire, plafonnement de la valeur ajoutée, et réaffectation de la cotisation minimale forment une usine à gaz dans laquelle il est difficile de se retrouver, d'autant que les effets changent d'une collectivité à l'autre. Il suffit de penser aux communes de banlieue bénéficiaires de la dotation de solidarité urbaine, auxquelles les entreprises ne versent directement presque rien...

La modification de la taxe professionnelle oblige à envisager tous les cas de figure sans tenir compte de simulations qui ne respectent pas l'hétérogénéité des collectivités. Or qui dit modification de la taxe professionnelle dit aussi modification de la péréquation, laquelle devient alors un voeu pieux et dépend de la réalité des capacités fiscales.

L'inconvenante et idéologique promesse de M. Sarkozy pose dans toute son acuité le problème de la compensation. Il faut déjà renoncer à toute diminution des prélèvements obligatoires. Alors ça cogite, ça carbure, ça carbone, si je puis dire. (Sourires) La commission des finances de l'Assemblée nationale propose de porter à 40 % le taux de l'impôt sur les sociétés en attendant la taxe carbone qui déplace finalement le fardeau sur le consommateur tout aussi final. La belle idée que de contenter de la sorte et le Medef et des écologistes enclins à culpabiliser les individus ! Nous sommes très réservés sur cette taxe qui légitime en outre le droit à polluer. Le débat reste ouvert...

La réforme de la taxe professionnelle doit renforcer l'égalité de traitement entre les entreprises : on est loin du compte. Il faut également renforcer la péréquation. On pourrait y parvenir grâce à la taxation des produits financiers, qui sont localisables dans le bilan des entreprises. Comme l'Association des maires de France, nous sommes très attachés au lien entre taxe professionnelle et territoire. Cette taxe est l'instrument privilégié de la coopération intercommunale, mais elle ne saurait être dédiée à tel ou tel échelon. Nous rejetons l'idée que la taxe professionnelle puisse disparaître des ressources des départements au motif de leur compétence sociale. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Fourcade.  - A ce stade du débat, je voudrais d'abord faire un constat sur cette affaire d'importance et formuler une proposition. Premièrement, la taxe professionnelle reposait sur trois piliers et un strapontin. Les piliers étaient la valeur foncière, les salaires, l'équipement et le mobilier ; le strapontin, les cotisations des professions libérales et d'un certain nombre de PME. Quand on a supprimé la part salaire en 1998, soit un tiers de l'assiette, tout s'est reporté sur les équipements et les biens mobiliers et j'ai écrit que, dans le cadre de la mondialisation, c'était la mort de la taxe professionnelle.

Deuxièmement, l'imbrication de nos collectivités pousse à la spécialisation des impôts des communes et des intercommunalités, des départements, ainsi que des régions et des chambres de commerce, lesquelles prélèvent 1,5 milliard.

Je ne crois pas qu'on puisse expliquer aux entreprises françaises qu'on supprime la taxe professionnelle et qu'on rétablit la cotisation minimale sur la valeur ajoutée avec les bases de l'ancienne taxe professionnelle. Je ne suis donc pas favorable à cette fameuse théorie du taux minimal de taxation de la valeur ajoutée, car les entreprises françaises, les investisseurs auront toujours la crainte que ce minimum n'augmente, comme l'impôt sur le revenu de M. Caillaux, et qu'on ne reconstitue un système dangereux pour les entreprises.

Ma proposition est donc la spécialisation. Aux collectivités de base que sont les communes et leurs intercommunalités iraient trois éléments : la taxe sur le foncier des entreprises installées sur leur territoire, qui est localisable et maintient un lien avec la collectivité ; le milliard de la cotisation nationale de péréquation que prélève l'État ; les recettes sur les professions libérales et les agents commerciaux. Comme les 10 milliards que cela représente ne suffiraient pas, il faut y ajouter d'autres recettes en reversant intégralement la taxe d'habitation et la taxe foncière, mais avec des valeurs locatives actualisées, donc plus justes que celles qui datent des années 1970.

Au deuxième niveau, l'État prélève une ressource importante puisque la taxe sur les salaires représente 9 milliards. On peut l'affecter aux départements car son élasticité est plus grande que celle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou de la taxe sur les contrats d'assurance. Il est assez logique de l'affecter aux départements qui ont une activité sociale assez forte.

Le moment est venu d'affecter au niveau des régions et des chambres de commerce une part de la TVA, de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur les revenus. Une réforme va créer des chambres de commerce régionales et l'on peut, dans le cadre d'un pacte triennal, comme il y en a un au Danemark, en Allemagne ou en Finlande, trouver un système de partage assurant les ressources nécessaires.

Encore faut-il respecter deux conditions : la signature d'un pacte triennal entre l'État et les collectivités sur la répartition ; l'indexation sur les recettes fiscales de l'État des dotations versées aux régions et aux chambres consulaires.

Restent deux sujets. Le premier est la péréquation. En effet, lorsque la taxe professionnelle a été instituée, on a commis l'erreur de ne pas limiter le gain fiscal que les contribuables pourraient en tirer. Parmi les assujettis à la patente passés à la taxe professionnelle, 2 millions ont bénéficié de très fortes baisses, 300 000 ont versé des cotisations inchangées, et 300 000 ont été lourdement surtaxés. Un mécanisme d'écrêtement nous aurait évité les inconvénients qui ont successivement conduit à la réforme des bases, à l'introduction de plafonds et de verrouillages... Il importe par suite qu'un fonds national de péréquation s'assure qu'aucune collectivité ne reçoive plus que son dû, le mécanisme étant placé sous l'égide du comité des finances locales, qui assure déjà la péréquation de la DGF.

Le deuxième sujet concerne la compétition fiscale que nos entreprises industrielles doivent affronter au sein de l'Union européenne, en sus de la compétition économique sur le marché mondial. Il serait périlleux de compenser la disparition de la taxe professionnelle par un alourdissement de l'impôt sur les sociétés, ou par la taxe carbone... lorsqu'elle sera en place.

Avec moins de la moitié de la taxe professionnelle acquittée par les entreprises, la fin de toute taxation de l'investissement et le financement des communes et des départements par une taxe respectant le principe de spécialisation, on obtiendrait un système compréhensible rendant leur compétitivité aux entreprises sans enrayer les regroupements intercommunaux ni traumatiser les autres collectivités. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Il ne faut pas séparer deux projets de loi en gestation, respectivement relatifs aux institutions locales et à la taxe professionnelle.

Toutes chapelles confondues, les élus locaux s'inquiètent, car ils mesurent la capacité d'influence des groupes de pression patronaux qui visent à supprimer réellement la taxe professionnelle. Ainsi, Mme Parisot propose en toute simplicité aux collectivités territoriales de compenser la disparition de la taxe professionnelle par des gains de productivité et une meilleure gestion des dépenses de fonctionnement !

Mais les provocations du Medef ne sont pas ce qui inquiète le plus les élus locaux, puisque même le Gouvernement sait qu'il faudra bien compenser la perte de 40 % des ressources locales. Ce sera probablement confirmé tout à l'heure par M. le ministre.

Ainsi, la principale menace pour l'avenir tient à l'esprit dictant la réforme institutionnelle et l'évolution fiscale, qui tendent à obtenir des économies pour diminuer les prélèvements obligatoires et satisfaire aux « critères de convergence de Maastricht ». En un mot, le catéchisme libéral tient lieu de prothèse mentale à ce qui compte dans ce pays depuis trente ans. Les poissons pilotes de la réforme prétendent que les élus locaux jettent l'argent du contribuable par la fenêtre et renâclent au changement par pur corporatisme.

Pour parvenir à ce résultat, deux voies ont été envisagées. La première passe par la suppression d'un échelon administratif, par le regroupement de collectivités, par la suppression de la compétence générale des départements et des régions. Cette voie risquant d'être peu roulante, un chemin de contournement tend à brider l'ardeur dépensière des collectivités en fixant une norme annuelle de dépenses analogue à ce qui existe pour la santé. C'est ce que le rapport Balladur a suggéré et que M. Guéné vient d'évoquer. Une variante consiste à stériliser les ressources en remplaçant au moins une partie de la taxe professionnelle par des impôts moins dynamiques. Ainsi, la taxe carbone doit rapporter d'autant moins qu'elle atteindra ses objectifs.

Nous revenons ainsi au coeur du problème : par quoi remplacer la taxe professionnelle ? La cause est entendue : la taxe professionnelle est un « impôt imbécile ». On le dit depuis longtemps, mais sans l'avoir remplacé par un impôt plus intelligent, comme celui préconisé par le rapport Fouquet et, une fois n'est pas coutume, par le rapport Balladur.

M. Krattinger a évoqué certaines perspectives fiscales, sur lesquelles je ne reviens pas. J'ai écouté M. Fourcade avec intérêt. Dommage que nous n'ayons pas plus de temps pour discuter, car nous pourrions aboutir à un accord.

Pour beaucoup d'élus, l'essentiel est de maintenir l'autonomie fiscale des collectivités locales, car c'est la forme achevée de leur autonomie financière. Mieux vaut une taxe modulée par les collectivités territoriales -même dans certaines limites- qu'une dotation versée par l'État.

J'ai lu ce matin une dernière suggestion : remplacer une partie de la taxe professionnelle par une fraction de l'impôt sur les sociétés. Nous savons que cela finirait comme l'ancienne part sur les salaires de la taxe professionnelle : par une dotation de l'État.

En conclusion, j'attire l'attention des experts ès-économies et des prédicateurs de la productivité sur une évidence qui paraît leur avoir échappé : les dépenses publiques représentent des salaires, du pouvoir d'achat et des marchés, donc des débouchés pour les entreprises et des perspectives d'emploi. Quand vous aurez stérilisé la ressource qui a permis aux collectivités territoriales d'assurer les trois quarts de l'investissement public sans endettement excessif depuis 25 ans, qu'aurez-vous gagné, à part un droit d'entrée au purgatoire de Maastricht pour la France, ses millions de chômeurs et de personnes sous-employées ?

Le sujet est essentiel pour les collectivités territoriales, mais aussi pour la France, car l'enjeu est leur rôle dans le dynamisme économique du pays ! (Applaudissements à gauche)

M. Claude Biwer.  - Annoncée voici quelques mois par le Président de la République, la réforme ou la disparition de la taxe professionnelle a suscité de grands espoirs parmi les dirigeants d'entreprise et une certaine inquiétude chez les élus locaux. Les chefs d'entreprise sont bien placés pour savoir combien cet impôt pénalise leur compétitivité. Ils se demandent par quoi cette taxe sera remplacée. Bien que le Gouvernement se soit engagé à compenser intégralement cette perte de recettes fiscales, les élus locaux redoutent par expérience une compensation partielle et surtout une nouvelle réduction de leur autonomie fiscale. Ils se demandent parfois comment rembourser les dettes contractées pour investir, puisqu'ils comptaient sur les recettes de taxe professionnelle.

Pour l'heure, nous ignorons l'ampleur et le calendrier de la réforme, qui pourrait d'ailleurs être progressive et se traduire en 2010 par un dégrèvement sur les équipements et biens mobiliers, le temps qu'un nouveau schéma de financement des collectivités soit élaboré en deux ou trois ans. La disparition de la taxe professionnelle serait donc décidée avant que nous ne connaissions les compensations. Un tel calendrier n'est ni souhaitable, ni soutenable.

La taxe professionnelle représente une ressource essentielle pour nos collectivités territoriales, à qui elle procure 44 % des taxes directes et 17 % des recettes de fonctionnement. Son produit dynamique et souple permet aux collectivités territoriales d'ajuster leurs recettes à leurs dépenses. Or, une agence de notation a fort justement observé que les substitutions envisagées comporteraient des dotations budgétaires et le transfert de recettes fiscales qui seraient moins dynamiques que la taxe professionnelle et dont les collectivités ne pourraient guère modifier ni la base ni le taux, ce qui réduirait considérablement leur marge de manoeuvre fiscale. Ainsi, les taxes modifiables ne représenteraient plus que 24 % des recettes de fonctionnement des régions, contre 38 % aujourd'hui. Pour les départements, on passerait de 34 % à 19 %. L'agence de notation en déduit que la disparition de la taxe professionnelle pourrait affecter la solvabilité des collectivités territoriales.

Cette agence de notation conclut que la suppression de la taxe professionnelle pourrait affecter la solvabilité des collectivités territoriales, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes sur leur future capacité d'endettement et d'investissement. Nous ne sommes pas a priori hostiles à la suppression de la taxe professionnelle mais sommes tout de même étonnés qu'une telle annonce ait pu être faite sans que ces conséquences aient été évaluées.

Si la loi de finances pour 2010 doit acter cette suppression, il faut que la représentation nationale ait à statuer sur les recettes de substitution et que les exécutifs des collectivités territoriales puissent disposer d'une marge de manoeuvre sinon leur autonomie fiscale ne sera plus qu'un vague souvenir.

Même si l'on comprend les préoccupations des entreprises, surtout à un moment où elles souffrent terriblement, l'idée de mettre en place un impôt économique local doit être étudiée sérieusement, en concertation avec les chefs d'entreprises et les collectivités territoriales.

J'ajoute qu'il ne me paraît pas souhaitable de figer à un moment donné la compensation de la taxe professionnelle ; mieux vaut continuer à encourager les collectivités territoriales à investir pour l'emploi.

Nous attendons des réponses précises et des propositions sur lesquelles nous pourrions réfléchir ou auxquelles, pourquoi pas, nous pourrions participer. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation.  - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Mme Lagarde.

Nous venons de passer deux heures à évoquer la crise de notre industrie. Que faut-il faire pour rendre de l'attractivité à notre pays ? Supprimer la taxe professionnelle est une des solutions.

Depuis 1975, date de sa création, la taxe professionnelle a été modifiée par 68 textes. Ce seul chiffre suffit à convaincre de la nécessité de rebattre les cartes : les effets pervers de ce prélèvement ont conduit tous les gouvernements, de gauche comme de droite, à s'emparer de la question, mais sans jamais y apporter de réponse définitive. Le temps des atermoiements est révolu. Aujourd'hui le Gouvernement est déterminé à franchir un pas historique. L'époque n'est plus aux rafistolages permanents ; il s'agit désormais d'affirmer haut et fort que la taxe professionnelle ne doit plus peser sur nos entreprises et notre compétitivité.

Quand on compare la chaîne de valeur d'une automobile produite en France avec celle d'une automobile produite à l'étranger, on s'aperçoit combien la taxe professionnelle est un poids pour la production française : elle représente à elle seule un tiers du différentiel de coût de production existant entre des usines françaises et des usines d'Europe de l'est. Et elle ne pèse pas seulement sur les producteurs finaux : la moitié de la charge pèse sur les équipementiers et sous-traitants. En trente ans de taxe professionnelle, nous n'avons pas pénalisé les grands patrons ni les actionnaires, mais les salariés, les ouvriers, les territoires.

En 2004-2005, Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget avait mis en place deux mesures importantes : un plafond à 3,5 % de la valeur ajoutée et un ticket modérateur tel que les collectivités ne perçoivent désormais le produit des hausses de taxe professionnelle que pour la part correspondant aux entreprises non plafonnées. L'État prend à sa charge les effets financiers du rafraîchissement du taux de référence (taux de 1995 auparavant). Parallèlement le législateur a prévu que le coût supplémentaire du dégrèvement résultant, le cas échéant, d'une augmentation des taux par les collectivités locales, sera pris en charge par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Pour soutenir l'activité en cette période de crise, le Président de la République a décidé en octobre dernier que les investissements productifs effectués avant le 31 décembre 2009 seraient entièrement exonérés. Nous travaillons désormais à une nouvelle réforme de la taxe professionnelle pour 2010. La suppression de la taxe professionnelle concernera tous les investissements productifs, qui représentent 80 % du produit actuel de la taxe. Cette réforme se fera avec le souci de préserver les finances locales. Maire moi-même, je mesure bien l'importance de la taxe professionnelle pour les collectivités et les angoisses que ce sujet peut faire naître. Ce n'est pas d'ailleurs la taxe professionnelle en tant que telle qui fait débat que la garantie que des ressources de substitution seront trouvées. Cette garantie, je la confirme : le Premier ministre en a donné l'assurance, chaque euro de recette sera compensé.

La réforme de la taxe professionnelle nécessitera de trouver 22 milliards pour les collectivités locales et un milliard pour les chambres consulaires. Aujourd'hui la recette de la taxe professionnelle atteint 30 milliards ; 25 pèsent sur les entreprises, le reste étant à la charge de l'État qui, à force de dégrèvements, se retrouve le premier contributeur de la taxe professionnelle, pour plus de 9 milliards en 2007. Cette prise en charge va mécaniquement diminuer car moins d'entreprises atteindront le plafond. Dans le même temps, la cotisation minimale, correspondant à 1,5 % de la valeur ajoutée et que l'État perçoit au titre des frais de recouvrement, est amenée, par un jeu de vases communicants, à augmenter sensiblement. Demain, avec la suppression de la taxe sur la totalité des investissements productifs, et une fois pris en compte l'impôt sur les sociétés, 8 milliards de moins pèseront sur les investissements productifs des entreprises. C'est cet allègement qui a été évoqué par le Président de la République en février dernier.

Naturellement, il faudra trouver le moyen de gérer ce manque à gagner pour les finances publiques de notre pays. Si l'on taxe l'investissement et le travail, ils iront ailleurs et la taxe professionnelle disparaîtra faute d'assiette. Ce qui vient à l'esprit, c'est évidemment l'existant, assiette foncière ou valeur ajoutée. On peut aussi imaginer de taxer spécifiquement les pylônes -la taxe existe déjà !- ou les éoliennes... Quatre principes devront guider cette réforme : maintien du niveau de ressources pour chaque collectivité ; maintien d'un lien fiscal entre les activités économiques et leur territoire ; équilibre entre entreprises et ménages ; respect du principe d'autonomie financière des collectivités.

La compensation intégrale est garantie par la loi constitutionnelle de 2003 qui dispose que l'autonomie fiscale des collectivités ne peut pas descendre en dessous d'un certain seuil. S'agissant des ressources qui pourront être données en compensation, je ne peux vous dire leur nature exacte car la concertation est ouverte. Mais je peux vous affirmer que le montant total sera le même avant et après la réforme, et c'est l'essentiel. Les pistes sont multiples : transfert de ressources fiscales alimentant aujourd'hui le budget de l'État ; utilisation de dotations budgétaires ; augmentation ou création de taxes locales ; transfert de ressources fiscales d'État comme la taxe sur les conventions d'assurance ou la taxe intérieure sur les produits pétroliers. L'objectif est de mettre en place des taxes locales sectorielles qui bénéficient aux collectivités et qui permettent d'éviter les effets d'aubaines. Les travaux sont en cours, les hypothèses ne sont pas figées, toutes sont à l'étude.

Mais, quel que soit le rythme de suppression des investissements productifs de l'assiette de la taxe professionnelle, le Gouvernement tient à ce que les collectivités voient leurs ressources financières mises en place dès 2011. L'État jouerait alors le rôle de chambre de compensation.

Après la remise du rapport Balladur, le 5 mars dernier, la conférence des exécutifs du 26 mars 2009 a lancé la deuxième étape de la concertation. Celle-ci conduira à l'élaboration d'un schéma de compensation. Le Premier ministre a également demandé à Mme Lagarde d'engager une nouvelle phase de concertation avec les élus et avec les entreprises, afin de les associer pleinement aux travaux préparatoires à cette réforme. Christine Lagarde et Michèle Alliot-Marie ont rencontré les associations d'élus le 10 avril puis le 27 mai, et les entreprises le 22 avril dernier. D'autres réunions sont prévues. Le 29 juin, les ministres concernés rencontreront une nouvelle fois les représentants des entreprises et des associations d'élus. Cette concertation, le Gouvernement la mène également avec un groupe de six parlementaires de la majorité et de l'opposition, les députés Carrez, Laffineur et Balligand ainsi que les sénateurs Hervé, Montgolfier et Guéné.

Le Premier ministre a enfin rappelé que l'objectif du Gouvernement est d'élaborer un projet de loi d'ici l'été sur le volet institutionnel afin qu'il soit examiné par le Parlement à l'automne. La partie financière sera quant à elle présentée lors de la loi de finances pour 2010.

Cette crise nous incite donc à la modernisation et au changement. Nous avons débattu tout à l'heure de la situation de l'industrie dans notre pays : la suppression de la taxe professionnelle sera un gage de compétitivité et d'attractivité pour notre territoire. Avec cette réforme, nous donnerons aux collectivités les moyens de leurs politiques, nous simplifierons la fiscalité de notre pays en la rendant plus favorable à l'investissement et donc à l'emploi.

La concertation se poursuit dans un climat de confiance. Naturellement, bien des interrogations demeurent. (M. Yvon Collin le confirme) Le Gouvernement défendra ses propositions devant vous. La volonté d'aboutir est partagée par l'État, les collectivités et les entreprises car nous sommes tous d'accord pour dire que cette évolution est nécessaire. Merci pour votre contribution à cette réforme importante pour la compétitivité de l'économie française. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Marie-France Beaufils.  - Je suis nettement moins optimiste que M. le ministre sur l'augmentation des investissements des entreprises lorsqu'elles ne payeront plus de taxe professionnelle. Dans les vingt dernières années, aucun allègement d'impôt n'a montré d'efficacité en ce domaine. (M. Pierre-Yves Collombat marque son approbation)

La transformation de l'activité économique par sa financiarisation a été catastrophique : c'est pourquoi nous avons proposé de taxer les actifs financiers pour améliorer les budgets de l'État et des collectivités et dissuader les entreprises d'effectuer des placements hasardeux.

Les collectivités territoriales représentent 73 % des investissements publics : pour de nombreux secteurs, notamment le bâtiment et les travaux publics, il s'agit d'un retour énorme. On ne peut parler des taxes payées par les entreprises aux collectivités sans prendre en compte le bénéfice qu'elles en retirent en termes d'activité. M. Krattinger a donné tout à l'heure un exemple tout à fait parlant sur le sujet.

Nous n'avons donc pas du tout la même analyse sur les difficultés actuelles des entreprises. Si j'ai parlé du rapport Cotis dans mon intervention liminaire, c'est qu'il démontre que l'évolution de la répartition de la valeur ajoutée a profité aux actionnaires tout en pénalisant les investissements. Il faudra tenir compte de ces données lorsque nous aborderons la réforme des financements des collectivités et de la taxe professionnelle afin de mieux tenir compte de l'évolution de l'activité économique entre 1976 et aujourd'hui. Je regrette vivement que, pour l'instant, ces questions-là ne soient pas abordées. (Applaudissements à gauche)

Le débat est clos.

Prochaine séance, demain, jeudi 11 juin 2009, à 9 heures.

La séance est levée à 19 h 50.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 11 juin 2009

Séance publique

À 9 HEURES

1. Question orale avec débat n° 39 de Mme Bernadette Dupont (UMP) à Mme la secrétaire d'État chargée de la solidarité sur le plan autisme 2008-2010.

Mme Bernadette Dupont attire l'attention de Mme la secrétaire d'État chargée de la solidarité sur le plan autisme 2008-2010 annoncé le vendredi 18 mai 2008 dont l'objectif est de « construire une nouvelle étape de la politique des troubles envahissants du développement (TED) et, en particulier, de l'autisme ».

Il y aurait en France plus de 100 000 personnes autistes dont un quart a moins de 20 ans ; 75 % d'entre elles, enfants et adultes confondus, ont besoin d'établissements spécialisés. Si on peut espérer en intégrer peu ou prou 25 %, environ 80 000 personnes resteraient dans leurs familles, accompagnées par quelques prises en charge extérieures de type hôpitaux de jour. Or, on sait aujourd'hui que l'autisme n'est pas un trouble d'origine psychiatrique ou affective, mais un trouble neuro-développemental, entraînant des troubles envahissants du développement (TED) et du comportement avec toutes sortes de symptômes qui, dans tous les cas, sont douloureux à vivre pour la personne atteinte et son environnement. Les familles, parents et fratries, ont à supporter trop seuls la pénibilité d'un enfant, d'un frère ou d'une soeur incompréhensible, imprévisible, souvent incontrôlable, l'impuissance s'accompagnant parfois d'un sentiment de culpabilité qui ne devrait pas être.

Des études ont démontré, expériences à l'appui, la nécessité d'une prise en charge éducative spécifique, avec suivi médical pour améliorer la vie des personnes autistes ou atteintes de troubles de type autistique. Des résultats très positifs sont obtenus, spécialement sur les jeunes enfants, ce qui pose le principe du diagnostic précoce. Même délicat à poser pour un médecin, dur à entendre et à assumer pour des parents, ce diagnostic est le meilleur atout que l'on puisse offrir pour une vie améliorée à défaut de guérison. Or, notre pays est en retard, la médecine et les éducateurs spécialisés, pas ou peu formés et trop peu informés de l'avance de la recherche sur l'autisme. Si l'objectif du plan autisme prend en compte la mise en place d'un dispositif de diagnostic, d'accompagnement et de prise en charge des personnes autistes et TED, tirant pleinement profit des plus récentes connaissances sur ce handicap, quel rapport d'étape peut-on présenter aujourd'hui ?

Ce plan a suscité chez les familles les espoirs les plus grands que l'on ne doit pas décevoir. La solidarité nationale qui s'est prononcée pour avancer doit maintenant passer aux actes, ce qui n'est pas simple. De nombreuses associations oeuvrent dans ce domaine et les propositions de pratiques éducatives sont diverses, voire parfois controversées car trop contraignantes pour la personne autiste. Il faut cependant travailler avec ces associations, qui peuvent chacune apporter un éclairage et leur contribution à l'élaboration d'un socle commun pour une prise en charge adaptée des personnes autistes -hors le champ psychiatrique- et à la création de places d'accueil en structures adéquates.

Elle lui demande donc de lui dire, si dès cette rentrée 2009, des structures innovantes seront offertes à un plus grand nombre de familles, comment s'inscriront-elles dans la loi hôpital, patients, santé et territoires et si la date d'application de cette loi aura un impact en la matière ? Les familles attendent dans la souffrance et sont victimes de leur discrétion, aussi elle la remercie de lui indiquer les moyens en vigueur pour accomplir les promesses engagées et y parvenir dans les délais prévus.

2. Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat :

- Profils nutritionnels,

- Vin rosé.

À 15 HEURES

3. Questions d'actualité au Gouvernement.

4. Question orale avec débat n° 37 de M. Jean-Jacques Mirassou (Soc.) à M. le Premier ministre sur l'avenir du programme de l'Airbus A400M.

M. Jean-Jacques Mirassou attire l'attention de M. le Premier ministre sur le programme de l'avion de transport militaire Airbus A400M, dont l'avenir sera scellé à la date butoir du 1er juillet 2009. Il revêt une importance cruciale à l'échelon européen pour des raisons économiques, de stratégie industrielle mais également en matière de politique de défense. Cette importance avait justifié la confiance de sept pays européens (Allemagne, France, Espagne, Grande-Bretagne, Turquie, Belgique et Luxembourg), futurs acquéreurs de 180 exemplaires de cet appareil.

Les difficultés techniques rencontrées au cours de la construction de l'Airbus A400M ont engendré un retard estimé à trois ans pour sa première livraison. Ce retard pourrait, dans le pire des cas, conduire à l'abandon pur et simple du programme.

Les déclarations contradictoires du patron d'Airbus et de la direction d'EADS ne sont pas de nature à conforter l'avenir même si, par ailleurs, le Premier ministre et le ministre de la défense ont récemment affirmé leur volonté de faire aboutir ce projet.Il est donc temps de clarifier la situation, et la question posée ici est simple : où en sont les négociations menées avec les sept ministres de la défense concernés, et comment agit le Gouvernement pour affirmer sa détermination et garantir la poursuite du programme de l'A400M ?

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- MM. Jacques Legendre et Josselin de Rohan un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la réforme de l'action culturelle extérieure ;

- M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels ;

- M. le Premier ministre un projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution.