Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Conclusions de la Conférence des Présidents

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (Candidature)

Cumul des mandats (Proposition de loi organique)

Discussion générale

Renvoi en commission

Rappel au Règlement

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (Désignation)

Oeuvres visuelles orphelines (Proposition de loi)

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Articles additionnels

Articles 2 et 3

Vote sur l'ensemble

Question prioritaire de constitutionnalité

Commissions (Démissions et candidatures)

Commission (Candidature)

Fret ferroviaire (Proposition de résolution)

Discussion générale

Vote sur l'ensemble

Indépendance de l'exécutif (Proposition de loi constitutionnelle)

Discussion de l'article unique

Commissions (Nominations)




SÉANCE

du jeudi 28 octobre 2010

20e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Marc Massion.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Conclusions de la Conférence des Présidents

M. le Président donne lecture des conclusions de la Conférence des présidents.

L'ordre du jour est ainsi réglé.

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (Candidature)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Alain Lambert, dont le mandat sénatorial a cessé.

Le groupe Union pour un mouvement populaire a désigné M. Charles Guené pour le remplacer. Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Cumul des mandats (Proposition de loi organique)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique tendant à interdire le cumul d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale.

Discussion générale

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi  - Il y a beaucoup d'hypocrisie autour de ce thème du cumul des mandats, véritable serpent de mer ; un grand décalage entre le discours et la pratique.

Notre proposition de loi est inspirée par le rapport Balladur, remis en octobre 2007, qui insistait sur le fait qu'au regard des attributions nouvelles du Parlement, ses membres devaient être mis en mesure d'exercer pleinement leur mandat ; que le mandat unique était seul en mesure de correspondre aux exigences d'une démocratie parlementaire moderne ; que la conviction unanime des membres du comité était que le cumul d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale devait être proscrit.

S'exprimant par la voix de M. Jean Puech, l'Observatoire de la démocratie locale avait aussi jugé nécessaire d'éviter le cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale.

Vous le voyez, notre proposition de loi n'a rien de circonstanciel. Elle tend à mettre fin à une particularité française : 114 sénateurs sont maires, 30 présidents de conseil général, 5 de conseil régional ; à l'Assemblée nationale, 259 députés sont maires, 19 présidents de conseil général et 6 présidents de conseil régional. Et je ne parle pas des fonctions d'adjoint ou de président ou vice-président d'EPCI.

Certes, le cumul est légal et est pratiqué sur tous les bancs. En outre, les parlementaires cumulards peuvent être d'excellents parlementaires...

Il reste que le cumul heurte nos concitoyens...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Au point d'élire des cumulards.

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi  - ...freine l'émergence d'une nouvelle génération d'élus, au détriment notamment des femmes et de la diversité. Comme l'a joliment dit Jacques Julliard, pour que la politique devienne quelque chose pour tous, elle doit cesser d'être tout pour quelques-uns.

J'ajoute qu'un parlementaire qui exerce une fonction exécutive locale peut être tenté de défendre l'intérêt général local plus que l'intérêt général national. Enfin, Guy Carcassonne estime que le Parlement manque moins de pouvoirs que de parlementaires ayant le temps d'exercer leur mandat.

Le temps est une ressource rare. Plus nous consacrons de temps à nos mandats locaux, moins nous en consacrons au travail législatif et à l'activité de contrôle. Le cumul aggrave le déséquilibre des pouvoirs en affaiblissant le pouvoir législatif.

La loi organique du 30 décembre 1985 a introduit les premières limitations du cumul dans le code électoral. Rappelons le cas de MM. Chandernagor ou Lecanuet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - N'oubliez-pas M. Mauroy !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - De nouvelles interdictions et limitations ont été décidées en 1992 et 2000.

Bref, l'histoire du cumul des mandats est celle de son recul, une avancée pour la démocratie. Nous proposons d'aller plus loin.

Aujourd'hui, un parlementaire peut exercer jusqu'à trois fonctions exécutives locales : maire d'une commune de moins de 3 500 habitants, président de conseil général ou régional et président d'EPCI.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Non ! Deux !

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.  - Je le confirme !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - Notre proposition de loi concrétise un engagement fort des socialistes, qui considèrent que le non-cumul doit être organisé par la loi -laquelle doit s'appliquer à tous les parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique.

Nous voulons insuffler un renouveau à notre vie politique grâce à un texte simple et limpide. Son article premier interdit le cumul d'un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale, au sein d'une collectivité territoriale ou d'un EPCI. Par pragmatisme, comme le suggérait le comité Balladur, nous proposons que la loi s'applique à chaque parlementaire nouvellement élu. Les prochains rendez-vous sont donc fixés à 2012 pour l'Assemblée nationale et à 2011 et 2014 pour le Sénat.

Cette proposition de loi est un aboutissement en ce qu'elle va très loin dans l'interdiction du cumul, et un commencement. Elle doit être complétée par d'autres mesures de modernisation de notre République. Je pense au statut de l'élu, notamment local (Mme Nathalie Goulet renchérit), au renforcement du Parlement, au renouveau du bicamérisme, à un vrai statut de l'opposition parlementaire.

Trop souvent, notre assemblée a bloqué la modernisation de notre vie publique. Qu'elle ne tombe pas ce matin dans le même piège. Nous ne pouvons accepter le renvoi en commission, qui n'a qu'un but, retarder l'heure des choix. « Il y a un intérêt capital à ce que le Sénat soit en harmonie avec la démocratie » a déclaré Jean Jaurès le 28 décembre 1903. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois.  - Cette proposition du groupe socialiste présente un intérêt réel, dans un domaine régi par la loi du 30 décembre 1985, complétée par celle du 25 février 1992 limitant le cumul des indemnités, puis par la loi du 5 avril 2000 limitant le cumul de fonctions exécutives locales -dans le but d'éviter ce qu'on a appelé les candidats « locomotive ». Je souligne que ce dernier texte avait soulevé un désaccord entre les deux assemblées, le Sénat ayant eu finalement gain de cause.

Le comité Balladur n'a pas pris en compte le point de vue du Sénat puisqu'il ne comportait aucun sénateur.

M. Michel Mercier, ministre.  - Si ! M. Pierre Mauroy !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un sénateur d'importance.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Oui, mais il était seul ! (Sourires) En outre, le rapport Balladur n'a pas été voté à l'unanimité puisque certains n'étaient pas présents lors du vote.

Je ne reviens pas sur le colloque organisé à Sciences Po sur cette question, au cours duquel l'unanimité ne s'est pas faite...

Les arguments avancés par M. Bel pourraient être retournés. Qui a démontré que les parlementaires cumulards étaient moins assidus ? L'ouverture de la vie politique ? Certes, le cursus honorum de la IIIe République, illustré par celui de René Coty, n'a plus court ; mais je crains que les mêmes personnes n'exercent finalement des fonctions différentes...

L'attente de l'opinion publique ? Les sortants sont plus facilement élus que les nouveaux candidats ! On préfère un député-maire ou un sénateur-maire... La réalité est que les parlementaires très présents dans leur circonscription sont plus facilement élus...

Les exemples étrangers ? Seuls deux parlements européens interdisent le cumul : la Grèce et la Pologne. La plupart de nos voisins autorisent le cumul d'un mandat national et d'un mandat local non exécutif. Il n'y a pas de spécificité française ! Aux États-Unis, un gouverneur ne peut être ni sénateur, ni membre de la Chambre des représentants, mais son premier souci est de devenir sénateur ! Voulons-nous qu'un élu national scotché à son poste au Parlement ait plus de risque que les autres d'être battu à l'échéance locale suivante ?

En France, sept parlementaires sur neuf exercent un mandat local, 500 ont une fonction exécutive. Le cumul est donc la règle.

J'observe d'autre part que l'Assemblée nationale a repoussé un texte identique la semaine dernière : si nous adoptons aujourd'hui la proposition de loi de nos collègues socialistes, elle serait condamnée à un enterrement même pas de première classe !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le Sénat est libre d'exprimer sa volonté !

M. Patrice Gélard, rapporteur. - Au demeurant, la rédaction proposée est ambiguë. Elle ne définit pas la notion de « fonction exécutive locale ».

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - On peut en parler.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - A-t-on par exemple suffisamment réfléchi aux EPCI ? Certains ne fonctionnent que parce qu'ils ont un parlementaire à leur tête... Vise-t-on en outre toutes les fonctions exécutives, par exemple les maires des très petites communes ? Quid du futur conseiller territorial ?

Des préalables manquent : aucune étude d'impact n'a porté sur le cumul des mandats ; les présidents de conseil général ou régional, les maires de grandes villes n'ont pas de statut.

J'ajoute que le cumul spécifique aux EPCI fait l'objet d'un projet de loi organique : il n'est pas envisageable de le court-circuiter. De surcroît, nous allons nous atteler à la recodification du code électoral.

Au lieu d'un vote sans portée, je propose d'approfondir la réflexion, en la plaçant dans un contexte plus vaste. L'expérience montre que le renvoi en commission donne une nouvelle vie à des textes ; voyez le sort de la proposition de loi de Mme Bricq que nous avons examinée hier.

Je propose le renvoi en commission ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un enterrement de première classe !

M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. - M. Bel a eu raison de dire que la proposition de loi était intéressante... (Rires)

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - J'ai dit ça ?

M. Michel Mercier, ministre.  - ...d'autant qu'elle ne reflète pas la position unanime de son groupe. Il est passionnant de lire les travaux de la commission.

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - Comme souvent !

M. Michel Mercier, ministre.  - Le cumul est un sujet lancinant, il est vrai souvent traité avec une certaine hypocrisie.

Pourquoi la situation française diffère-t-elle de ses voisins ? La première raison est la présence historiquement très forte de l'État au niveau local. Tout cela est dans nos gènes. Pour être un élu local efficace, il est utile d'être parlementaire.

Rien ne dit que l'opinion publique soit vraiment défavorable au cumul. Le doyen Vedel disait que le mandat unique était une véritable rupture et notait que l'opinion y était peut-être moins prête qu'elle ne le croyait.

La fin du cumul ne peut être que l'aboutissement d'un long processus de décentralisation, notamment au plan des finances locales ; sur les 180 milliards d'euros dépensés par les collectivités territoriales chaque année, 99 proviennent de l'État. Lorsque des parlementaires me sollicitent, ils évoquent systématiquement des sujets locaux ! Pour limiter le cumul, il faut aller à la racine, voir ce qui le justifie et l'explique.

Le scrutin majoritaire uninominal, qui est le nôtre depuis les débuts de la République, plaît aux Français. Il impose que le candidat soit connu ; et une des meilleures façons de l'être, c'est d'avoir déjà agi.

L'institution du conseiller territorial limitera mécaniquement le cumul. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Le conseiller territorial n'exercera pas d'autre mandat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il ne pourra pas être parlementaire ?

M. Michel Mercier, ministre.  - Il y aura nécessairement un certain renouvellement.

Le débat sur le cumul doit être tranché par les citoyens lors de la prochaine élection présidentielle, tant il aborde un sujet profondément inscrit dans nos gènes. Le Gouvernement invite le Sénat à suivre sa commission des lois.

Mme Nathalie Goulet.  - Cela gêne, incontestablement ! (Sourires)

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - La proposition de loi évoque la fin du mandat parlementaire -qui peut être très lointaine... La commission avait suggéré de mentionner « élu ou réélu ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ce n'est pas grave : on renvoie le texte en commission.

M. Jacques Mézard.  - Je salue l'esprit de sacrifice qui anime nombre de signataires de la proposition de loi mais il me semble que le meilleur service à leur rendre est de la renvoyer en commission.

En effet, il ne faut pas confondre cumul des mandats et accumulation des mandats. Dans l'organisation actuelle de la République, le cumul d'un mandat exécutif local et d'un mandat parlementaire n'est pas sans atout, puisqu'il nous permet de bien connaître la vie quotidienne de nos concitoyens. A juste titre, les électeurs préfèrent élire des parlementaires auxquels ils font localement confiance plutôt que des apparatchiks désignés par des militants dont la représentativité reste à démontrer. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame)

J'ai en mémoire l'intéressante déclaration du sénateur-maire de Lyon, président de sa communauté urbaine, lors de l'examen de la réforme des collectivités territoriales. La vérité d'un jour ne serait-elle plus celle du lendemain ? Je pense aussi au maire de Bègles... On voit ici la limite de certains exercices.

Ce texte excessif veut répondre à une interpellation populaire et parfois populiste. N'y a-t-il pas une certaine similitude avec les discours gouvernementaux clouant au pilori des élus locaux trop nombreux et trop coûteux pour faire accepter sa réforme territoriale ? Idem pour la retraite des parlementaires, instrumentalisée récemment. Tout ne va pas bien pour autant, il faut une réforme profonde, mais pas de cette manière. Et toute exception française n'est pas nécessairement mauvaise...

Il est sans doute temps de limiter l'accumulation de certains mandats, exécutifs ou non. Il faudrait par exemple interdire aux parlementaires de siéger dans les conseils d'administration de grandes entreprises, ou d'être avocat d'affaires. Il n'y a pas de relation entre l'exercice d'une fonction locale et l'absentéisme parlementaire. Je ne parlerai pas de la présence ce matin, pour ne pas faire injure au groupe UMP... L'absentéisme parlementaire chronique doit être sanctionné, le Règlement le permet ; et l'absentéisme systématique, par la déchéance du mandat. (On propose, sur les bancs socialistes, de commercer par appliquer le Règlement)

On pourrait utilement limiter le nombre d'exercices consécutifs d'un même mandat. Les pistes de réforme profonde ne manquent pas mais ce texte ne répond pas à cette ambition. Nous regrettons unanimement de ne pouvoir le voter en l'état. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Pourquoi tant de cumuls en France ? Parce que le pouvoir économique et politique est concentré dans les mains d'un petit nombre.

Nous l'avons vu hier lors du débat sur la proposition relative aux conseils d'administration. Nous souhaitons de longue date supprimer le cumul, mais la réforme constitutionnelle a tourné le dos tant à une « revalorisation de la fonction parlementaire  » pour employer les termes du comité Balladur, qu'aux aspirations démocratiques de nos concitoyens.

Je voterai donc cette proposition de loi.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Ce n'est pas un cumul, c'est une fusion !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - M. le rapporteur fait état d'un lien avec la réforme des collectivités territoriales : précisément cette réforme -si elle est appliquée- mettra en oeuvre un cumul des fonctions départementales et régionales avec la création des conseillers territoriaux !

Il y a beaucoup de défiance chez nos concitoyens à l'égard des élus, souvent considérés comme des professionnels de la politique. A cet égard, je déplore les propos du Président de la République -propos renouvelés en Eure-et-Loir jeudi dernier- sur la nécessité de diminuer le nombre des élus qui coûteraient trop cher : il délégitime l'action des élus et nourrit précisément la défiance de nos concitoyens.

M. le rapporteur estime le texte incomplet. Certes, mais le cumul des mandats est le résultat d'un système électoral et d'une absence de statut de l'élu. Le cumul permet de maintenir le pouvoir entre les mains de ceux qui l'exercent. S'il y a crise, c'est que les décideurs politiques et économiques ne représentent pas les Français. Notre Parlement ne représente pas la société : pas d'ouvriers, pas de jeunes, pas de représentants des minorités visibles... Il faudrait une véritable démocratisation de notre vie politique, ce qui implique une véritable déprofessionnalisation de la politique.

Vous craignez que les parlementaires soient coupés de la vie locale : pourtant, le cumul d'un mandat local exécutif et d'un mandat parlementaire n'est pas gage d'écoute locale. Il est de la responsabilité du législateur d'inventer de nouvelles formes de démocratie.

Nous ne voterons pas le renvoi en commission. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Détraigne.  - Cette proposition de loi soulève une gestion chargée d'ambivalence : les parlementaires qui prônent la fin du cumul sont souvent des cumulards et nos concitoyens réélisent ceux qui cumulent des mandats. Parmi les signataires de cette proposition figure un de nos collègues qui a envoyé à ses électeurs une lettre assurant que, s'il était élu sénateur, il resterait président du conseil général. (Sourires) Et naguère, un débat a opposé le responsable d'un grand parti et un groupe parlementaire de ce parti : le responsable voulait imposer la règle du non-cumul aux élections sénatoriales, les sénateurs expliquaient qu'ils avaient été élus grâce à leurs responsabilités locales ! Le débat aurait été le même dans un autre parti...

Dès lors que le rôle constitutionnel du Sénat est de représenter les collectivités, il est indispensable que les sénateurs puissent exercer un mandat local. On connait d'autant mieux la réalité locale lorsqu'on est maire que lorsqu'on est simple conseiller municipal. Le maire d'une petite commune connait ses administrés et les procédures, car il est souvent le seul à les suivre, tandis que le maire d'une grande ville est coupé de ces réalités par ses services.

Le principal intérêt du débat au Parlement, c'est de permettre de confronter l'expérience du terrain avec une approche juridique et souvent théorique des problèmes. Les parlementaires sauront d'autant mieux ce qui doit figurer dans une loi qu'ils connaissent la réalité.

On ne peut limiter la question du cumul aux questions évoquées dans ce texte : on peut parfois se trouver dans une situation proche du conflit d'intérêt lorsqu'on exerce un métier et un mandat. Il faut donc pousser la réflexion. Enfin, la gestion du statut de l'élu mérite d'être posée. Le groupe centriste votera dans sa grande majorité le renvoi en commission, tout en souhaitant qu'il ne s'agisse pas d'un enterrement. (Applaudissements au centre)

M. Simon Sutour.  - Cette proposition de loi mettra un terme à certains cumuls inacceptables. En 1985 et en 2000, le parti socialiste avait limité les cumuls. Comme le souhaitait le comité Balladur, il convient de franchir un nouveau pas ensemble, sans renvoyer cette question aux calendes grecques.

Cette réforme est souhaitée par une majorité de nos concitoyens. Les électeurs sont indirectement responsables du cumul car ils n'ont pas d'autres choix. Il convient donc d'interdire le cumul entre mandat national et fonction exécutive locale.

Défendre une telle proposition de loi devant une assemblée dont 73 % de ses membres cumulent un mandat parlementaire avec un mandat politique local n'est pas a priori un exercice forcément aisé. Néanmoins j'interviens avec une certaine fierté, pour vous soumettre des arguments de bon sens. Nul ne doit se sentir stigmatisé : il n'est pas question du passé mais de l'avenir.

Ce texte va dans le sens de l'histoire. S'y opposer n'est qu'un combat d'arrière-garde. En prenant l'initiative de voter cette loi, le Parlement montrerait sa capacité à se réformer. D'ailleurs, il faudrait aussi nous pencher sur le statut de l'élu, une réforme indispensable.

Nous sommes aujourd'hui à la traine des grandes démocraties. Il est donc de notre devoir de limiter le cumul pour que cessent les désaffections de nos concitoyens pour la politique : il faut plus de jeunes, de femmes, d'ouvriers, d'agriculteurs, de fonctionnaires de catégorie B ou C.

Ce serait la fin d'élus fatigués, surmenés et dont le travail est fait par les collaborateurs, et donc la technostructure.

Les transferts de compétences aux collectivités exigent que les élus locaux consacrent un plein temps à leurs fonctions. En fait, la vérité est que le cumul des mandats permet, voire facilite, la réélection, et qu'il assure une certaine longévité politique, ainsi qu'une certaine sécurité financière ; comme le souligne très justement Guy Carcassonne : « s'il n'est pas interdit, il devient politiquement obligatoire ». Il faut rompre ce cercle vicieux ! Le mandat unique n'est pas un obstacle à la réélection. Voyez votre serviteur ! (Sourires) Et en tant qu'élu local, on a tendance à vouloir privilégier sa circonscription, même contre l'intérêt général.

Les gouvernements successifs, quelle que soit leur étiquette politique, s'accommodent d'ailleurs merveilleusement bien du cumul des mandats ; avoir des parlementaires à temps partiel est une situation idéale : les parlementaires votent dans l'urgence, contrôlent peu, et n'évaluent pas du tout !

Si bien que les outils mis en place par la réforme constitutionnelle de 2008 pour revaloriser le rôle du Parlement, ne sont pas mis en oeuvre de manière effective : nous en avons l'illustration aujourd'hui avec cette partie de l'hémicycle (l'orateur désigne les bancs de l'UMP) singulièrement dépeuplée.

M. Jacques Mézard.  - Belle illustration !

M. Simon Sutour.  - Belle et triste !

Je regrette ce renvoi en commission, même s'il faut associer à la limitation du cumul d'autres réformes, car l'adoption de cette proposition de loi aurait permis d'avancer dans la voie du statut de l'élu. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Louis Masson.  - Le cumul des mandats et l'absentéisme parlementaire sont des caractéristiques de la vie politique française. Les mandats locaux sont devenus très lourds à exercer.

Les fonctions de maire d'une grande ville ou de président d'EPCI sont des activités à plein temps, tout comme celle de parlementaire. Rien ne saurait justifier un cumul. Les déclarations de principe relèvent souvent de l'hypocrisie. M. Balladur a résumé la situation : il n'y a pas d'enthousiasme à droite ni à gauche pour supprimer le cumul. Il faut que la loi intervienne.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Comme pour les retraites.

M. Jean Louis Masson.  - M. Balladur a raison. Il faudrait exclure le cumul du mandat de parlementaire avec tout exercice professionnel. Je suis opposé à tout cumul ! (Applaudissements sur quelques bancs)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Le groupe socialiste donne une mauvaise réponse à une vraie question. Nos mandats sont de plus en plus chronophages et exigent de plus en plus de professionnalisme. Nos concitoyens exigent de la disponibilité, mais cette proposition de loi n'est pas satisfaisante.

L'intérêt général du peuple français et celui de mes administrés ne sont pas antagonistes. Il ne faut pas devenir un technicien du droit. La France est caractérisée par le grand nombre de ses élus locaux, gage de cohésion sociale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Et c'est pour cela que vous voulez en diminuer le nombre ! Vous n'êtes pas à une contradiction près !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Au lieu d'évoquer la complémentarité des mandats locaux et parlementaires, on préfère s'attaquer au « cumul ». L'opinion serait vent debout contre les cumulards ? En fait, seule une petite majorité de Français serait contre les cumuls. Quand 60 % de nos concitoyens veulent un maire à temps complet, cela implique-t-il qu'ils veulent que le maire mette fin à son activité professionnelle ?

Certains affirment qu'un maire-parlementaire n'est en fait ni l'un ni l'autre, et qu'une telle situation aboutit à la dictature de l'administration. C'est oublier un peu vite tous ces maires adjoints, vice-présidents ou conseillers délégués des assemblées que nous présidons !

La question est plus complexe que cette proposition de loi ne veut le faire croire. Les mandats sont complémentaires. Sur la réforme de la fiscalité locale, le débat aurait-il été le même si les parlementaires n'avaient été des experts de la réalité locale ? Et que se serait-il passé lors de la réforme des collectivités territoriales ?

L'opinion publique a d'autres préoccupations que les cumuls. Si les députés et les sénateurs étaient moins attachés au terrain, moins issus de cette République de proximité à laquelle nous sommes tant attachés, ils seraient probablement plus attachés aux partis politiques qu'ils ne le sont aujourd'hui. Or je refuse le gouvernement des partis !

Bien évidemment, il faut poursuivre la réflexion, mais sans démagogie et avec pragmatisme. Le cumul de fonctions électives n'est nullement un cercle vicieux ; au contraire, il s'agit plutôt d'un cercle vertueux. Le fait de passer régulièrement devant une partie du corps électoral nous impose des objectifs et des règles claires.

Le groupe UMP votera le renvoi en commission, ce qui nous permettra de continuer à réfléchir à la question.

M. François-Noël Buffet.  - Cette proposition de loi pose de vrais problèmes, mais attention aux fausses réponses. Le cumul porterait préjudice à la présence dans l'hémicycle ? Il faudrait surtout réfléchir à l'amélioration de nos conditions de travail !

Et puis, il faut en appeler à la responsabilité individuelle.

Couper le lien entre le niveau national et le niveau local, c'est appauvrir nos débats, comme vient de le rappeler M. Détraigne.

Comment ne pas se rallier à l'argument de M. le ministre?

Pour autant, il ne faut pas en rester là. Nous devons travailler sur le cumul des fonctions, qui sont chronophages. Il faut faire le ménage. (Mme Nathalie Goulet le confirme)

Il est opportun d'aller plus loin en votant le retour en commission, sans pour autant enterrer le dossier. N'oublions pas que la Délégation aux collectivités travaille sur cette thématique...

Mme Nathalie Goulet.  - Beau sujet pour un sénateur hors-sol : je n'exerce pas de mandat local.

Je remercie le président Bel d'avoir déposé ce texte audacieux alors que des présidents de régions, et non des moindres, sont en situation très favorables pour les sénatoriales de septembre prochain, comme en Basse Normandie. (Sourires) Notre assemblée serait bien inspirée de le voter, bien que la partie droite de l'hémicycle soit déserte.

En réalité, nos concitoyens sont aussi un peu responsables de la situation car ce sont bien eux qui votent pour un candidat dont ils connaissent les fonctions... et l'âge ! Et comme aime à le répéter notre collègue Braye, pour cumuler, il faut encore être capable d'être élu !

Une réforme est nécessaire, puisque sept parlementaires sur neuf cumulent des mandats. Comment réformer un pays quand on est juge et parti ? Vous venez d'en faire, monsieur le ministre, l'expérience avec la suppression de la clause de compétence générale dans le texte de la réforme des collectivités locales.

Comme il faut pouvoir conserver un lien avec le terroir, le cumul avec un mandat de maire est acceptable, mais les mandats locaux sont trop nombreux : présidents d'EPCI, de pays... M. Karoutchi avait promis naguère un statut de l'élu : c'est devenu une arlésienne législative...

M. Badinter nous avait exposé l'incongruité du cumul d'une fonction ministérielle avec celle d'un exécutif local. J'aime ce moment si intense de notre vie politique où les ministres en exercice partent en campagne, emportant dans leur sillon les politiques de leur cabinet, période douce durant laquelle les administratifs exercent le pouvoir.

Pour éviter les verrouillages et les corporatismes, il faut voter cette loi : mettons ainsi fin aux hypocrisies du type Medvedev et Poutine.

Enfin il faudrait sanctionner lourdement les trahisons électorales : nous connaissons tous des exemples de candidats qui une fois élus ne siègent pas au poste qu'ils avaient convoités.

J'espère que l'enterrement sera une résurrection. Cette question est extrêmement importante et il faudra bien la régler rapidement, car l'arrivée du conseiller territorial renforcera l'opacité. Je compte beaucoup sur le travail du Sénat pour faire évoluer la situation. (Applaudissements au centre et sur les bancs socialistes)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Cette proposition de loi organique nous donne l'occasion de débattre d'un sujet qui nous tient à coeur. Il en va de la crédibilité du monde politique. Les cumuls nuisent à l'image qu'ont nos concitoyens de nos fonctions.

Le cumul est source de défiance et constitue un frein au renouvellement du personnel politique et à sa féminisation.

Les Français ne se reconnaissent plus dans leurs élus, d'où leur désaffection. Cette proposition de loi permettrait de faire le ménage. Les femmes en ont l'habitude. L'importance de notre fonction passe par la réduction des mandats : on ne peut exercer efficacement la fonction de maire et celle de parlementaire. Nous ne pouvons pas exercer correctement ces deux fonctions ; ne donnons pas l'impression que les élus ne cumulent qu'une chose : les indemnités !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Démago !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Malgré le Règlement, aucune sanction financière ne vient frapper les absents. Nos concitoyens n'en peuvent plus des bancs vides et des parlementaires qui dorment. (M. Jean-Jacques Hyest s'exclame)

Il est fondamental de limiter strictement les cumuls. Il n'est pas besoin d'avoir un mandat local pour s'intéresser au terrain ! Un mandat parlementaire et un mandat local non exécutif, c'est bien suffisant.

Enfin, on ne peut représenter le peuple tout entier et les particularités d'un territoire : il y a conflit d'intérêts.

Nous devons instaurer le non-cumul des fonctions. Il est temps de renouveler les élus, de faire émerger de nouvelles générations. Ce n'est qu'à ce prix que nos concitoyens feront confiance à leurs élus.

Nous voterons donc ce texte, que la majorité de nos collègues n'auront pas le courage de soutenir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

Renvoi en commission

M. le président.  - J'ai été saisi d'une demande de scrutin public par la commission.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Évidemment, vous êtes en minorité !

M. le président.  - Motion n°1 présentée par M. Patrice Gélard, au nom de la commission des lois, tendant au renvoi en commission de cette proposition de loi organique.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - J'ai déjà dit pourquoi je voulais un renvoi en commission. Après avoir entendu les uns et les autres, un renvoi se justifie encore plus car de nombreuses propositions ont été formulées. L'absentéisme n'est pas dû au cumul mais à l'organisation de nos travaux. S'il y a absentéisme, c'est parce que nous sommes le seul Parlement à travailler autant et aussi mal !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - La faute à qui ?

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Il ne m'appartient pas d'en juger.

Un renvoi en commission n'est pas synonyme d'enterrement : la proposition de loi sur les violences faites aux femmes a été renvoyée en commission, même chose pour la mixité des conseils d'administration. Idem pour le statut pénal du chef de l'État. (Exclamations sur les bancs socialistes)

Je vous rends service avec ce renvoi : il n'était pas normal que les parlementaires en exercice soient exclus de cette proposition de loi !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous pouviez l'améliorer !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Et puis quoi encore ?

M. Jean-Pierre Michel.  - La messe de requiem est dite !

M. Jean-Pierre Bel, auteur de la proposition de loi.  - Nos collègues ont parlé de la déconnexion entre le parlementaire et la réalité du terrain. Je suis sénateur, sans autre mandat. J'ai été maire pendant vingt ans : c'est une fonction absorbante. J'ai été conseiller général, puis conseiller régional. Je suis responsable des élus locaux dans mon département. A ce titre, je réunis régulièrement des maires. Croyez-vous que je me sente déconnecté de la réalité du terrain ? Pas du tout !

Renvoi en commission, cela signifie que le sujet doit être débattu, encore. Mais nous en parlons depuis longtemps, depuis le début des années 80. Nous avons eu un vif débat en 2000, lorsque M. Jospin était Premier ministre. Depuis dix ans, rien n'a bougé, ou si peu...

Vous nous accusez d'immobilisme, vous nous reprochez de ne vouloir rien changer, et vous vous présentez comme ceux qui veulent moderniser la France.

Et là, vous faites l'inverse : nous vous proposons d'évoluer, et vous le refusez.

Pourquoi ces atermoiements ? Pourquoi tant d'hypocrisie ? Les Français sont mûrs pour faire avancer notre vie démocratique. Donnons leur un signal clair en votant la proposition de loi qui permettra aux parlementaires d'exercer pleinement leur mandat. (Applaudissements sur les bancs du parti socialiste)

M. Jean-Pierre Michel.  - Voici le type même du conflit d'intérêt : le ministre qui va nous répondre est aussi président d'un conseil général !

M. Michel Mercier, ministre.  - Vous avez eu tout le temps, monsieur le sénateur, de réfléchir à la question et je pense que des membres de votre groupe se trouvent dans une situation semblable.

Le texte proposé soulève des difficultés techniques...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Elles peuvent être réglées rapidement !

M. Michel Mercier, ministre.  - Le renvoi en commission est là pour çà !

L'accusation d'hypocrisie est justifiée, mais interdire le cumul aux futurs élus, et pas à ceux qui sont en place, est aussi une forme d'hypocrisie.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le Gouvernement a le droit d'amender !

M. Michel Mercier, ministre.  - Il faudrait aussi aborder le cumul de fonctions exécutives, qui fait l'objet de deux textes déposés au Sénat et d'un à l'Assemblée nationale.

La commission des lois pourra présenter un rapport sur l'ensemble des problèmes abordés dans la proposition et les projets de loi.

M. le président.  - Aucune explication de vote n'est admise.

La motion de renvoi en commission est mise aux voix par scrutin public à la demande du groupe UMP.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 336
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 197
Contre 139

Le Sénat a adopté.

M. David Assouline.  - Encore censurés ! Le Sénat devient décidément une chambre dérangeante.

Rappel au Règlement

M. Philippe Adnot.  - M. le ministre nous a appris incidemment tout à l'heure que le conseiller territorial ne pourrait être parlementaire, contrairement aux maires des grandes villes. Il aurait été bon qu'il le confirmât avant le vote. Opposé à la proposition de loi, je suis hostile au renvoi en commission car on pourrait trancher dès aujourd'hui ! Pour moi, les mandat local et national se complètent.

M. le ministre pourrait-il confirmer ses propos ?

M. Michel Mercier, ministre.  - Pour avoir été très présent lors du débat sur la réforme des collectivités territoriales, M. Adnot doit se souvenir des propos de M. Marleix : le mandat de conseiller territorial ne compte pas pour plusieurs, ce qui ne lui interdira donc pas d'être sénateur, par exemple. (M. David Assouline s'exclame) Simplement le temps du conseiller territorial sera différent de celui de conseiller général, ce qui permettra sans doute d'aborder la question du cumul de façon nouvelle.

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation (Désignation)

M. le président.  - Je rappelle que le groupe UMP a présenté la candidature de M. Charles Guené pour remplacer M. Alain Lambert, dont le mandat sénatorial a cessé, au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

La Présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, elle est ratifiée et je proclame M. Charles Guené, membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Oeuvres visuelles orphelines (Proposition de loi)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux oeuvres visuelles orphelines et modifiant le code de la propriété intellectuelle.

Discussion générale

Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de loi.  - Le Sénat n'est pas insensible au droit de la photographie ; il s'est prononcé récemment sur les conséquences dommageables pour les artisans installés en ville de la réalisation en mairie des photos d'identité.

En affichant des agrandissements photographiques sur les grilles du Jardin du Luxembourg le Sénat contribue à la diffusion de la photographie dans le grand public : deux millions de visiteurs ont ainsi vu l'exposition Arthus-Bertrand. Souvent les jeunes rêvent de devenir photoreporters. L'empathie des Français pour Stéphane Taponier et Hervé Ghesquières serait identique pour des photojournalistes qui sont nos yeux sur le monde.

Pourtant, de nombreux services de presse n'ont plus de service propre pour l'image ; de grandes agences ont déposé leur bilan.

Le passage au numérique a éliminé la pellicule et tout ce qui allait avec mais le matériel nécessité est d'autant plus coûteux qu'il est rapidement obsolète. L'investissement de départ a triplé, alors que le prix des images n'a pas augmenté, loin de là.

Notre modeste proposition de loi vise simplement à mettre un terme à des pratiques cyniques ou négligentes de certains éditeurs.

La mention « DR » -pour droits réservés- s'applique en principe à des oeuvres dont l'auteur est inconnu. Nombre de services en abusent par commodité. Les exemples abondent. Je pense à cette photo d'une jeune fille tenant un bouquet de fleurs face aux baïonnettes, de Marc Riboud, avec la mention « DR ».

Les photographes sont trop souvent spoliés, bien plus que les auteurs de l'écrit. L'Union des photographes professionnels a observé un célèbre hebdomadaire connu pour son goût de la culture : l'esprit du code de la propriété intellectuelle n'est respecté qu'à 38 %.

Nous voulons combler les lacunes de la législation actuelle, fondée sur l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La mention « DR » est actuellement utilisée de façon abusive car il faut saisir le juge pour utiliser une oeuvre dont l'auteur est inconnu. La justice doit régler les litiges, non faire de la gestion !

Nous proposons d'instituer un dispositif simple pour mettre fin au pillage.

Ainsi, l'article premier définit l'oeuvre orpheline, afin que les auteurs ou leurs ayants droit puissent agir.

L'article 2 confie la gestion des oeuvres orphelines à une société d'auteurs, agréée par le ministère de la culture. Elle se bornera aux oeuvres visuelles orphelines.

La gestion collective obligatoire apporte une véritable sécurité. En effet, aucun photographe indépendant n'a la possibilité de feuilleter toute la presse pour voir si un de ses clichés n'y figure pas à tort.

Le délai de prescription de dix ans peut être débattu. Si aucun auteur n'est identifié, les sommes en attente pourront servir à des actions de formation ou d'aide à la création.

Cette proposition de loi est soutenue par nombre de photographes professionnels de grand renom. Leurs expositions sont soutenues par des fonds publics. Entendons-les ! La pétition sur cette question a réuni 14 000 signatures.

Certes, une directive est attendue pour le 23 novembre, mais la transposition prendra des années. En outre, elle porte sur bien d'autres sujets de la propriété intellectuelle. Et rappelez-vous que, sur des sujets bien plus graves, le Président a parfois jugé inutile de transposer une directive dont l'esprit était satisfait par notre droit.

Voulant tous protéger les auteurs, nous nous sommes opposés à propos de l'Hadopi. Mais même dans cette tourmente, la commission avait soutenu mon amendement supprimant un cavalier dangereux pour les photographes.

Bien sûr, les décrets doivent organiser le rôle des archives. De même, les auteurs amateurs pourront librement diffuser leurs photos.

La photographie numérique a créé un continuum entre amateurs et professionnels. Il nous revient de réserver cette fluidité féconde, au service de l'information et de l'art.

J'espère que ce texte recevra un avis favorable, en particulier de M. le ministre. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-François Humbert, rapporteur de la commission de la culture.  - Nous abordons une proposition de loi relative aux oeuvres visuelles dites « orphelines ».

Je relève tout d'abord la détermination de Mme Blandin dans la défense de la propriété artistique.

L'oeuvre orpheline est celle dont on ignore l'auteur. Théoriquement, elle n'est pas exploitable, mais la pratique est différente dans la photographie. D'où cette proposition de loi, réagissant à une banalisation inacceptable de la mention « DR ».

La commission des lois souscrit à cette analyse, car il serait inacceptable de négliger les enjeux de la photographie.

En revanche, nous sommes plus que réservés sur le dispositif proposé.

Quel est le préjudice subi par les photographes avec la mention « DR » -que certains avec humour traduisent en « droit à rien » ? Les photographes sont privés d'un droit moral mais aussi d'un droit patrimonial.

Mais la mention « DR » recouvre des réalités très distinctes : l'anonymat est souhaité par le photographe piégeant une célébrité ; une rémunération forfaitaire est souvent à l'origine de cette mention sur les photos institutionnelles mises à disposition dans les dossiers de presse. Les véritables oeuvres orphelines ne représenteraient que 3 % des mentions « DR ».

Le débat sur les oeuvres orphelines est lié à la numérisation du patrimoine écrit et au lancement de la bibliothèque Europeana. Cela explique la mobilisation de la Commission européenne.

Un dilemme juridique oppose la valorisation du patrimoine et la protection de la propriété intellectuelle.

La conciliation de ces objectifs antagonistes est délicate.

La Commission européenne va bientôt publier une directive qui vaudra pour tous les États membres. Mais le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a émis en 2008 un avis suggérant le recours obligatoire à la gestion collective : cette philosophie semble avoir guidé les auteurs de la proposition de loi.

Toutes les approches envisagent à la fois le texte et l'image. Vu les enjeux de la numérisation, il est étrange de n'aborder que les images.

La commission juge qu'il faut élargir le champ de la proposition aux oeuvres écrites.

D'autre part, le dispositif proposé n'est pas sans soulever des difficultés, notamment en matière de délais. Comment éviter la confusion des rôles des sociétés de gestion, qui seraient juges et parties ? Comment éviter une concurrence déloyale au profit des oeuvres orphelines ?

Le problème des droits réservés doit être traité, et la profession comme le ministère l'ont évoqué au dernier Visa pour l'image de Perpignan mais la proposition de loi va bien au-delà, sans aller jusqu'au bout de la législation sur les oeuvres orphelines, qui concernent aussi l'écrit.

La commission de la culture propose de ne pas adopter les articles 2 et 3 qui instaurent un système de gestion collective tout en modifiant l'article premier, pour jeter ensemble les bases d'une loi qui marquera une étape décisive dans l'évolution du droit de la propriété intellectuelle. (Applaudissements à droite)

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - Nous sommes réunis pour un sujet majeur d'engagement pour mon ministère.

L'intérêt supérieur du journalisme mérite une réflexion globale. Je me suis exprimé sur ce sujet à Arles et à Perpignan.

La France a une longue tradition dans la photographie, depuis Louis Daguerre et Nicéphore Niepce. Les plus grandes agences photographiques ont été françaises et nous conservons un savoir-faire et une grande notoriété dans ce secteur.

La photo a gagné ses lettres de noblesse avec Vu et Paris Match, avant les américains Life et Look.

Le photojournalisme s'est développé avec la guerre d'Espagne, puis après la deuxième guerre mondiale. L'agence Magnum a été fondée en 1947, par Robert Capa, David Seymour et le français Henri Cartier-Bresson, Gamma en 1966 par Raymond Depardon et le regretté Gilles Caron, et Sygma en 1973 : ce furent les trente glorieuses de la photographie.

Les photographes laissaient leurs négatifs et leurs planche-contacts aux agences, qui les rémunéraient. Progressivement, de plus en plus de photographes sont devenus salariés. Aujourd'hui, les grands magazines photos subissent une crise les conduisant à des choix peu favorables aux photographes. Et Paris Match a renoncé à son sous-titre fameux : « le poids des mots, le choc des photos » pour « la vie est une histoire vraie »...

La situation s'est considérablement dégradée pour le photojournalisme. Les agences de photo traversent de graves difficultés. En mai, l'agence Sigma a été mise en liquidation judiciaire !

Les nouvelles agences pratiquent des tarifs prédateurs. En outre, la presse néglige la valeur éditoriale de la photo. S'ajoutent la révolution numérique et internet.

Des sites en ligne proposent à bas prix des photos, ce qui conforte l'idée que les photos ne valent rien et que toutes se valent. Banalisée, la photographie perd sa dimension de création. Roland Barthes n'a-t-il pas dit que « ce qu'elle reproduit à l'infini n'a eu lieu qu'une fois » ?

La mention « DR », utilisée parfois de façon incontrôlée, pose problème aujourd'hui. Elle est vécue comme une dépossession.

En fait, la mention « DR » n'est pas toujours synonyme d'oeuvre orpheline : il s'agit souvent de photos données, extraites de dossiers de presse. Les paparazzi ne souhaitent pas être connus puisqu'ils enfreignent le droit à l'image. Il faut ajouter les photos d'amateurs, disponibles sur internet. Enfin, certains quotidiens n'ont pas le temps d'identifier l'auteur.

Le sujet des oeuvres orphelines excède celui des droits réservés. Il importe de privilégier une approche transversale de la création, à l'heure du numérique.

Remerciant les auteurs de la proposition de loi, je souhaite l'adoption d'un texte plus large, notamment pour traiter toutes les photos publiées avec la mention « DR », pour prévenir son utilisation abusive. Un code de bonne conduite pourrait être élaboré.

Le présent texte est en outre prématuré car la Commission européenne élabore en ce moment même une directive : son projet doit être soumis fin novembre au Conseil. D'autre part, j'ai demandé à mes services d'élaborer un texte en lien avec toutes les parties intéressées. Il devra s'insérer dans le cadre de la propriété intellectuelle, pour couvrir l'image fixe et l'écrit. Enfin, il faut conforter la sécurité juridique des éditeurs.

Merci à votre commission pour son travail qui permettra au texte de poursuivre son parcours en vue d'un droit efficace et équilibré.

L'avenir du photojournalisme dépend du redressement de tous ses acteurs. Il ne recouvre pas totalement la photoreportage.

Je travaille actuellement à la numérisation du patrimoine photographique. La photo est une oeuvre, dès lors qu'elle est originale. Elle a donc une valeur, légitimant la rémunération du journaliste.

« La mémoire ne filme pas, elle photographie » a dit Milan Kundera. La photo montre, fait rêver, provoque parfois, et éveille les consciences : c'est sa spécificité. Pour répondre à une mondialisation mal régulée, il faut un lien fort avec la culture, pour préserver la liberté de voir et de faire voir ! (Applaudissements à droite)

M. Ivan Renar.  - La photographie connaît un succès grandissant. Le prix des photos atteint des niveaux très élevés, mais dans le même temps la profession se paupérise. Cette proposition de loi est indispensable pour éviter la disparition même du métier de photographe. L'image est omniprésente, mais le photographe ne peut pas en vivre. De plus en plus de photos sont publiées à l'insu de leurs auteurs, dont les droits patrimoniaux et moraux sont bafoués.

Cette proposition de loi est un premier jalon qui ne nous empêchera pas d'aborder ensuite les oeuvres écrites, mais l'urgence est de se préoccuper des images fixes.

Les disciplines artistiques, dont la photographie, ont été bouleversées par le numérique ; les violations de droits se sont banalisées, et avec elles la mention « DR », « droit à rien ».

Les photographes sont de plus en plus souvent contraints de renoncer à leurs droits d'auteur, dès lors qu'ils ont été rétribués. Que dire des photothèques qui distribuent des photos libres de droits, notion qui n'est pas légale en France ? Ces banques d'image portent bien leur nom, car elles exploitent non des images, mais des droits. Il faut craindre que la mémoire du monde ne devienne propriété de quelques multinationales. L'édition se fournit désormais de plus en plus sur internet ou sur des serveurs qui proposent des photos à moins d'un euro. Votons ce texte qui permettra de sortir du tout gratuit. 

Les sommes collectées doivent bénéficier aux auteurs d'images fixes. Cette législation est opportune et urgente. On ne peut s'en remettre à une directive qu'il faudra des années pour transposer.

Cette proposition de loi a malheureusement été détricotée, partiellement vidée de sa substance. Faute de pouvoir en vivre, nombre de photographes vont abandonner leur métier.

J'ai bien noté l'engagement du ministre. Ce n'est qu'un débat, continuons le début... Le chantier est ouvert ; espérons que les orphelinats visuels seront fermés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Pignard.  - En raison des débats récents qui nous ont épuisés, je n'ai pu assister aux travaux de la commission ; mais les propos du rapporteur m'ont convaincu.

Comme vous tous, je me félicite de cette initiative. Mais il faut se garder de l'angélisme : on s'apitoie en général sur les orphelins, mais il y a parfois de faux orphelins... Cette proposition de loi définit l'oeuvre orpheline ; je me félicite que la commission ait repris la définition du CSPLA.

Il faut aussi se méfier de la précipitation : le champ d'application des articles 2 et 3 est trop large. Outre que la question des droits en cascade n'est pas abordée, il paraît prématuré de traiter des oeuvres écrites ; et le fonctionnement des sociétés de perception est confus et dangereux. Faut-il trancher aujourd'hui, lorsque l'on sait qu'une directive européenne est annoncée pour le 23 novembre ? Il serait sage d'attendre.

Certaines des sommes collectées devraient aussi aller au spectacle vivant.

Le groupe de l'union centriste suivra les propositions de la commission. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Françoise Cartron.  - Je salue le travail de Mme Blandin, dont l'initiative traite d'un sujet majeur. Cette proposition de loi sera utile : elle aidera à préserver le métier de photographe et à protéger le droit d'auteur.

Nous sommes insensiblement passés du droit -celui de chaque photographe d'être justement rémunéré pour son travail- à l'usage, avec la multiplication des la mention « DR », qui signifie que l'auteur est inconnu. Les droits ne sont donc pas versés. Toujours plus de photos ne sont pas payées, alors que les auteurs sont vivants et identifiés.

Théoriquement, notre droit protège les auteurs d'images. Le code de la propriété intellectuelle doit être appliqué. Le phénomène des oeuvres orphelines touche tous les secteurs artistiques, mais surtout les oeuvres visuelles fixes. En juin, une étude a montré que 90 % des images publiées dans la presse ne mentionnaient pas le nom des auteurs. Les photographes sont privés d'interlocuteurs directs chez les diffuseurs. Les droits d'auteurs ont été divisés par cinq depuis 2005. En dix ans, 52 % des entreprises de photographie ont disparu et le prix des photos a diminué.

Les procédures judiciaires permettant de récupérer des droits sont lourdes et coûteuses et les sociétés de perception ne sont habilitées à agir que pour défendre des auteurs identifiés. Dans tout autre domaine, ce détournement aurait un autre nom : le piratage. Il faut mettre fin à cette aberration juridique. Comme tout créateur, un photographe doit être rémunéré. Ce que nous avons fait hier pour le disque, nous devons le faire aujourd'hui pour la photographie.

Nous proposons qu'une société de gestion collective délivre les autorisations. Une procédure de réversion est prévue, en cas de découverte tardive de l'auteur. S'il n'est pas découvert, les droits seraient affectés aux aides à la création.

M. le rapporteur nous a fait part de ses réticences, mais sans demander le rejet du texte. La proposition de loi amendée est un peu timorée. Problème de calendrier ? C'est peu convaincant. La législation doit être modifiée rapidement, ce qu'a demandé le CSPLA dès 2008.

Certes, une directive est en cours de rédaction, mais elle ne comblera pas rapidement les lacunes de notre droit ; nous savons le temps que prennent les transpositions dans notre pays. Pour légiférer, faut-il attendre que la profession ait disparu ? Ce texte serait d'autre part en contradiction avec la législation européenne ; mais la directive a un champ bien plus large. Nous pouvons trouver sans attendre des solutions satisfaisantes au niveau national. Rien ne dit qu'elles ne seront pas compatibles avec le droit communautaire.

Une atteinte au droit moral ? Il n'en est rien, les sociétés de perception ne seront concernées que par l'aspect patrimonial du droit d'auteur. Le droit moral est inaliénable. Je ne crois pas plus à l'argument selon lequel notre proposition serait un obstacle à la numérisation des fonds documentaires.

Vous dénoncez l'idée de verser les fonds collectés à la création, monsieur le rapporteur. Pourtant, tous ceux que nous avons rencontrés se sont montrés enthousiastes à cette idée et cette utilisation est conforme au droit commun.

Les amendements de la commission vident le texte de sa substance. Les sociétés de gestion collective sont pourtant les seules à même d'aider les photographes.

Au final, ne subsiste que la définition de l'oeuvre orpheline. Même ainsi amendé, ce texte constitue une étape importante. Nous le soutiendrons. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yvon Collin.  - Cela fait quelques années que notre commission prend en compte les évolutions de notre société. Comment assurer le respect des droits d'auteur à l'heure du numérique ? Nous nous sommes posés cette question pour la musique. Aujourd'hui, nous poursuivons dans notre logique de sécurisation des droits des auteurs. Le groupe RDSE est favorable à cette proposition de loi.

Les photographes placent beaucoup d'espoir dans ce texte, car les pratiques abusives sont aujourd'hui légion. Les enjeux économiques, juridiques et culturels sont grands, comme l'a dit notre rapporteur. Cette proposition de loi est nécessaire, mais limitée dans son objet, limites bien soulignées par la commission qui relève aussi qu'il n'est pas satisfaisant de s'en remettre à des sociétés de gestion collective. Nous aurions dû en outre nous attaquer à l'ensemble des oeuvres orphelines. Quid des oeuvres visuelles orphelines au sein d'oeuvres, par exemple ? Elles ne seront pas plus rémunérées demain qu'aujourd'hui...

Il serait néanmoins hasardeux d'attendre la directive déjà tant de fois annoncée.

Faut-il renoncer au motif que nous aurions pu faire mieux ? Certes, des améliorations sont toujours possibles, mais mieux vaut avancer en votant cette proposition de loi. Nous savons combien vous êtes attachés à la défense des auteurs, monsieur le ministre. Le groupe RDSE soutiendra ce texte. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

Mme Monique Papon.  - Il y a bien des dérives de la mention « DR ». Il est plus facile pour les diffuseurs d'attendre que l'auteur se manifeste, plutôt que d'engager des recherches pour le retrouver. C'est déloyal. Un récent rapport de l'Igac cite l'exemple d'une revue hebdomadaire de télévision, réputée pour sa qualité intellectuelle, qui a publié en octobre 2009, 1 081 photos, dont 678 avec la mention « DR »... La question des droits d'auteur appelle donc une vigilance particulière.

Le diagnostic est partagé et des pistes ont été tracées : cette proposition de loi permet d'ouvrir le débat législatif voulu par le Gouvernement. Pourtant, comme la commission, nous serons réservés : il est curieux de légiférer sur les seules oeuvres visuelles ; une directive est annoncée pour novembre ; les articles 2 et 3 de la proposition de loi ne sont pas satisfaisants.

Une réflexion plus approfondie est nécessaire, car la solution proposée aurait des effets pervers. Il vaut mieux attendre les résultats de la concertation lancée autour du CSPLA, tout en adoptant l'article premier qui est déjà une avancée considérable. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Humbert, au nom de la commission.

Rédiger ainsi cet article :

I. - Après l'article L. 113-9 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 113-10 ainsi rédigé :

« Art. L. 113-10. - L'oeuvre orpheline est une oeuvre protégée et divulguée, dont les titulaires de droits ne peuvent être identifiés ou retrouvés, malgré des recherches avérées et sérieuses. »

II. - Une instance paritaire représentative des auteurs et des utilisateurs est chargée de définir les critères permettant de déterminer si une oeuvre est orpheline au sens de l'alinéa précédent. Un décret en Conseil d'État précise la composition et le fonctionnement de cette instance.

M. Jean-François Humbert, rapporteur.  - Cet amendement reprend la définition proposée par le CSPLA, qui offre de meilleures garanties.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Le Gouvernement est favorable à cette définition qui reprend celle proposée par le CSPLA, lequel avait envisagé le recours à une instance paritaire.

Mme Catherine Tasca.  - Notre groupe votera cet amendement. Même amputé des articles 2 et 3, ce texte est fondamental pour clarifier le sort des oeuvres photographiques réputées orphelines. Si la directive européenne permettra de cadrer notre législation nationale, nous ne devons pas différer le moment de prendre nos responsabilités. La navette permettra d'approfondir le débat.

Nous avons besoin de cet article car la profession est en danger ; il sera le socle de notre politique future. Le développement d'internet et de la numérisation nous impose d'agir de façon urgente.

L'amendement n°1 est adopté et l'article premier est ainsi rédigé.

Articles additionnels

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 122-2-2 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. L. 122-2-3. - La reproduction d'une oeuvre visuelle, définie au 9° de l'article L. 112-2 sans mention du nom des titulaires des droits fait l'objet d'une déclaration auprès de l'une des sociétés mentionnées à l'article L. 321-1. La déclaration précise les motifs de l'absence de mention des titulaires des droits. »

Mme Françoise Cartron.  - Afin d'enrayer la pratique abusive des « DR », il convient d'assurer une publicité à la reproduction de photos ne mentionnant pas le nom de l'auteur ou de ses ayants droit, en obligeant les diffuseurs à effectuer une déclaration de non-identification de leur auteur.

M. Jean-François Humbert, rapporteur.  - Cette proposition est intéressante mais le système de la déclaration est efficace s'il existe un contrôle a posteriori, ce qui n'est pas prévu. Avis défavorable.

M. Ivan Renar.  - Notre plaisir ne sera pas total.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Il ne l'est que rarement ! (Sourires) Les sociétés de gestion collective ne peuvent connaître de tous les cas de mentions « DR », qui ne signalent pas nécessairement une oeuvre orpheline. Que feraient-elles en outre de cette information ? Avis défavorable.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le 31 décembre 2011, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport étudiant les modalités de  gestion des droits attachés aux oeuvres orphelines visées à l'article L. 113-10 du code de la propriété intellectuelle, par une société mentionnée à l'article L. 321-1 du même code, agréée à cet effet par le ministre en charge de la culture. Ce rapport fait l'objet d'un débat dans les commissions en charge de la culture de chacune des assemblées parlementaires.

Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition.  - Nous avons la sanctuarisation, mais pas la protection... Le rapporteur prône la prudence, mais il y a urgence à agir. Il est logique que la gestion soit confiée à une société ad hoc ; mais compte tenu de son caractère particulier, il faut prévoir un agrément spécifique.

Nous demandons un rapport. Si la navette permet d'aller plus loin, tant mieux ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-François Humbert, rapporteur.  - Avis favorable.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Le Gouvernement est également favorable à ce rapport, pour les plaisirs conjoints de Mme Blandin et de M. Renar (sourires) ; il conviendra de ne pas exclure les sociétés des autres États membres de l'Union.

L'amendement n°3 rectifié est adopté, l'article additionnel est inséré.

Articles 2 et 3

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture.  - L'initiative de Mme Blandin est bienvenue, le problème des droits photographiques devait être traité. Comme l'a dit le rapporteur, nous ne pouvons voter les articles 2 et 3. Nous espérons que l'Assemblée nationale se saisira rapidement de cette proposition de loi ; nous nous informerons d'ici là de ce que prépare Bruxelles. La volonté du Sénat et du ministre est claire, la photo est un article qui doit permettre aux artistes de vivre de leur création. Le texte d'aujourd'hui n'est qu'un point de départ. (Applaudissements à droite)

L'article 2 n'est pas adopté, non plus que l'article 3.

Vote sur l'ensemble

Mme Marie-Christine Blandin, auteur de la proposition de loi.  - Merci au rapporteur et au président de la commission pour leur écoute. Chacun a eu un comportement pragmatique et constructif, même si nous nous sommes fait un peu hara-kiri. J'espère que la navette enrichira le texte.

L'ensemble de la proposition de loi, modifié, est adopté.

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Merci, madame Blandin, pour votre travail. Merci aussi au rapporteur. Je veux que vous soyez persuadés de mon total engagement à poursuivre le processus législatif qui vient d'être lancé. Nous voulons tous protéger le photojournalisme et le photoreportage, essentiels pour la création artistique, l'information et la culture. Ne doutez pas de ma résolution. La concertation va se poursuivre. (Applaudissements)

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 15 heures.

Question prioritaire de constitutionnalité

M. le Président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 28 octobre 2010, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil d'État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Commissions (Démissions et candidatures)

M. le président.  - J'ai reçu avis de la démission de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, comme membre de la commission des lois et de celle de Mlle Sophie Joissains comme membre de la commission de la culture.

Le groupe intéressé a fait connaître à la Présidence le nom des candidats proposés en remplacement.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Commission (Candidature)

M. le président.  - Le groupe UMP a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des finances en remplacement de M. Alain Lambert, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Fret ferroviaire (Proposition de résolution)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion d'une proposition de résolution relative au développement du fret ferroviaire.

Discussion générale

Mme Mireille Schurch, co-auteur de la proposition de résolution  - A l'occasion du Grenelle de l'environnement, les sénateurs CRC-SPG avaient demandé que le fret ferroviaire soit reconnu d'intérêt général, une idée reprise ensuite par la commission, mais repoussée par le Gouvernement.

Il est temps de s'exprimer clairement sur ce sujet. Mme Borvo Cohen-Seat avait proposé au Président Larcher d'organiser une table ronde. Celle-ci a été organisée en avril.

Je salue le travail du groupe sénatorial, dont le rapport confirme l'exigence d'un Grenelle ferroviaire. Une intervention étatique est nécessaire.

La SNCF ne compte que 156 000 salariés, contre 500 000 en 1945, mais elle demeure un service public, soumis à des exigences particulières de sécurité, qui reste un modèle de qualité et de compétence.

Il ne faut pas démanteler cette entreprise publique, nécessaire au développement du fret ferroviaire, dont le déclin est principalement dû à des choix budgétaires : la baisse des concours de l'État se poursuit. La subvention d'équilibre versée par l'État se réduira l'an prochain de 50 millions, après les 75 enregistrés cette année. Nous sommes loin des 500 millions supplémentaires jugés nécessaires pour l'école polytechnique de Lausanne pour maintenir le réseau en l'état.

En revanche, les investissements publics ont encore densifié le réseau routier, malgré les annonces contraires de M. Borloo. Tout cela pour le plus grand bien des sociétés d'autoroutes, privatisées.

Vous favorisez toujours une concurrence « libre et non faussée » au bénéfice du fret routier ! Pourquoi ne pas prendre en compte l'utilité sociale ?

Une tonne de fret transportée par train électrique génère 2 grammes de CO2 et jusqu'à 1 000 grammes pour la route ou l'avion.

Or, la SNCF veut réduire de 60 % l'activité wagon isolé, parmi d'autres projets de désengagement.

La pertinence économique opposée aux wagons isolés néglige les externalités négatives du transport routier, comme l'engorgement des voies routières et la pollution. Le calcul de ces externalités est insuffisant en France. C'est pourquoi une écotaxe devait être prélevée sur des poids lourds, mais sa mise en oeuvre a été reportée à 2012, malgré la promesse faite en 2007 par M. Sarkozy.

Le report de l'écotaxe prive l'État de 1,3 milliard de recettes.

Le Gouvernement vient même d'autoriser la circulation des camions de 45 tonnes, voire de 55 tonnes, avec une longueur de 25,5 mètres.

Historiquement, le maillage ferroviaire est source de fierté nationale, mais la SNCF veut se défaire des wagons isolés qui transportent 42 % du fret ferroviaire. Le mot « abandon » n'est pas trop fort. D'ailleurs, nombre d'industriels demandent un nouveau plan pour le fret ferroviaire. Certains évoquent un danger mortel pour les PME et un risque accru de délocalisation. Les gares TER et TGV sont saturées. Comment prétendre être un leader européen sans desservir tout le territoire ?

Il est vrai que les salaires progressent plus vite à la SNCF que dans les transports routiers mais le statut des cheminots est source de fiabilité et de sécurité ! Et il ne faut pas toujours niveler par le bas. Le fret ferroviaire est indispensable au transport multimodal intégré. Ne laissons pas passer cette chance.

La SNCF compte 650 filiales mais a supprimé 21 500 emplois, soit 30 usines Molex et 8 Continental !

Les solutions proposées n'expriment pas une forte volonté politique.

Ainsi, la dette de RFF n'est pas reprise par l'État, contrairement à ce qu'ont fait nos voisins, à commencer par l'Allemagne.

Aucun bilan des libéralisations engagées n'a été tiré, vingt ans après leur début ; le plan fret de 2007 a provoqué la fermeture de 100 gares principales. Certaines de ses propositions laissent perplexes car elles tendent simplement à externaliser les missions de service public.

L'émergence d'opérateurs de proximité pourrait favoriser le report modal, à condition de compléter l'action de la SNCF.

Huit associations environnementales ont demandé le report du plan Fret, en insistant sur le report modal sans dumping social ou environnemental. Il n'y a pas de blocage mais convergence en faveur d'un maillage fin et d'un aménagement du territoire. Indispensable à ce titre, le fret ferroviaire a un réel avenir, pourvu que la volonté politique soit au rendez-vous.

L'AFITF pourrait y contribuer, à condition de ne pas tout miser sur la grande vitesse.

Le fret ferroviaire joue un rôle stratégique pour satisfaire nos besoins économiques et sociaux.

Je demande un moratoire sur l'abandon partiel de l'activité wagon isolé et la reconnaissance de l'intérêt général du fret ferroviaire. Il est urgent d'internaliser les coûts externes, par exemple en créant une taxe poids lourds. (Applaudissements à gauche)

M. Francis Grignon.  - Je m'exprime au nom du groupe de travail sur l'avenir du fret ferroviaire que je préside. Merci, madame Schurch, pour vos aimables propos.

La commission de l'économie s'est interrogée sur le sort du fret. Elle partage largement le diagnostic formulé par Mme Schurch, mais pas ses suggestions.

Le contrat de performance signé en novembre 2008 a marqué un gros progrès. Ensuite, le Gouvernement a présenté en septembre 2009 une réforme dotée de 7 milliards d'euros sur une dizaine d'années. Enfin, la SNCF a engagé en 2009 une réforme de sa branche fret, dont le déficit cumulé atteint 3 milliards d'euros depuis 2003.

Le groupe de travail propose d'améliorer la qualité du service, en réalisant au plus vite des « corridors de fret », de passer à une logique de la demande et de réfléchir sur des aides publiques pour soutenir l'exploitation de certaines lignes.

Le groupe de travail soutient l'indépendance de la direction de la circulation ferroviaire, souhaitée par la Commission européenne.

Des subventions publiques pourraient favoriser la réalisation de voies de communication entre les grands ports maritimes et leur arrière-pays. Enfin, nous appelons de nos voeux l'émergence d'opérateurs ferroviaires de proximité.

Il faut enfin rechercher un financement pérenne de l'AFITF, notamment grâce à la mise en place rapide de la taxe poids lourds et à la hausse progressive de la redevance domaniale versée par les sociétés d'autoroutes.

Chaque année de retard de la taxe poids lourds coûte 1 milliard d'euros à l'État. Enfin, il convient de réévaluer les péages du fret sur les autoroutes, très faibles en France.

En conclusion, les directives communautaires imposent de séparer les opérateurs ferroviaires et le gestionnaire de réseau. Il faut donc instituer des « comptes de ligne », comme en Suisse. Ce pays a su moderniser son système, sans introduire la concurrence.

Quant à l'uniformisation sociale, il faut tordre le cou à certains mythes. Les agents de la SNCF coutent 30 % de plus que ceux de sa filiale privée VFLI. Imposer ce surcroît de 30 % aux concurrents de la SNCF serait le meilleur moyen de ne pas atteindre les objectifs du Grenelle. C'est à la SNCF de réduire progressivement cet écart.

En outre, un avenant de branche a été signé en 2008 sur le temps de travail dans le fret ferroviaire, avant un autre sur les qualifications.

Il vaut donc mieux rechercher une convergence entre les accords de branche du privé et le décret de 1999 sur la durée du travail à la SNCF.

Pour ces raisons, je suis défavorable à la proposition de résolution. (Applaudissements à droite)

M. Claude Biwer.  - Je me félicite de ce débat, car le fret est frappé par une crise conjoncturelle depuis 2008, qui s'ajoute au déficit structurel constaté depuis 2003.

Des réformes ont été engagées, qu'il s'agisse du personnel, des dessertes ou de la concurrence, mais nous sommes loin du plan allemand.

Le fret ferroviaire est bien moins polluant que les camions, tout en contribuant à la sécurité routière.

De plus, le fret ferroviaire est un levier pour l'essor de certaines activités industrielles. Il est également sûr : un jour, des déchets nucléaires traverseront mon département...

Bien entendu, le chemin de fer participe à l'aménagement du territoire, qu'il s'agisse de lieux enclavés ou de grands ports.

Mais la proposition de résolution n'est pas totalement satisfaisante, car la rationalisation va de pair avec la fermeture de certaines gares et les efforts de productivité.

Le wagon isolé doit être conservé au titre du service public.

La priorité porte sur la qualité du service rendu. Pendant les travaux de rénovation, les wagons de fret pourraient emprunter les voies destinées aux voyageurs.

En revanche, je soutiens la création d'une taxe sur les poids lourds, qui devrait être payée par toutes les entreprises de transport routier. Hélas, nous n'avons pu franchir la porte de l'Assemblée nationale après le vote unanime du Sénat.

De nouveau, les voies politiques se resserrent. Il faut trouver le bon créneau !

Malgré nos ambitions communes, nous ne partageons pas les priorités de nos collègues CRC-SPG ; nous ne pourrions voter cette proposition de résolution que modifiée. Mais nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que le fret ferroviaire ne soit pas arrêté au milieu de la voie ! (Sourires ; applaudissements à droite)

M. Michel Teston.  - La part du fret ferroviaire est tombée de 42 % en 1984 à 14 % en 2007. Depuis, la baisse s'est amplifiée, les nouveaux opérateurs ayant obtenu 16 % du marché.

D'où vient le déclin du fret ferroviaire ? Du mauvais état de certaines lignes, de la non-prise en compte des coûts externes du transport routier et de la désindustrialisation de la France.

Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de la situation ? Non, car la loi Grenelle 2 est en retrait sur la loi Grenelle 1. En outre, le plan gouvernemental n'est pas financé. Il revient donc au Parlement d'agir ; d'où la création d'un groupe de travail au sein de la commission de l'économie.

Le groupe socialiste approuve la proposition de résolution, car il est indispensable de ne plus pénaliser certains modes de transports, ni certains opérateurs. L'instauration d'une euro vignette permettrait d'internaliser les coûts externes du transport routier. Hélas ! Le Gouvernement repousse cette mesure, tout comme la taxe carbone.

La SNCF est plus chère que la concurrence, en raison de coûts d'organisation plus élevés. Dans l'attente d'une harmonisation européenne par le haut, pourquoi ne pas reporter le surcoût sur une structure dédiée comme en Allemagne ?

Le groupe socialiste souhaite que des primes soient accordées aux entreprises utilisant le fret ferroviaire. Malheureusement, le règlement européen n'évoque pas cette possibilité.

Le Grenelle a montré que le fret ferroviaire avait un caractère d'intérêt général, justifiant des aides d'investissement et d'exploitation.

Depuis 1980, le réseau routier est passé de 4 800  à 11 000 kilomètres, alors que les voies ferrées régressaient de 34 362  à 29 473 kilomètres.

Certes, Réseau Ferré de France a augmenté les crédits de régénération, mais ce programme doit être amplifié. Il reste des lignes non électrifiées !

Ne faudrait-il pas imposer le raccordement au réseau ferroviaire de toutes les zones économiques le justifiant ?

Le fret ferroviaire doit proposer de nouveaux services, comme les trains longs, jusqu'à 1 500 mètres. Ils seraient moins coûteux en sillon. Il faut aussi soutenir financièrement les opérateurs de proximité, mais en circonscrivant leur rôle à leur zone de chalandise. Une nouvelle loi est donc nécessaire. Pourquoi ne pas aussi envisager des messageries à grande vitesse, renforcer les autoroutes ferroviaires et en ouvrir de nouvelles ?

Toutes les actions que je viens de décrire mériteraient de figurer dans un plan global. Pourquoi pas un Grenelle ferroviaire ? Le premier « paquet ferroviaire » est en cours d'examen dans les instances européennes. Le groupe socialiste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Marsin.  - Cette résolution permet de rappeler l'intérêt du fret ferroviaire. Lors du Grenelle, le Gouvernement s'était engagé à diminuer la pollution par les gaz à effet de serre : les transports alternatifs à la route devaient atteindre 25 % du total.

RFF et la SNCF ont gelé leurs investissements. En 1984, notre pays comptait 34 000 km de voies ferrées, 29 000 aujourd'hui.

Il est maintenant urgent de donner un nouveau souffle au fret ferroviaire. Les entreprises ferroviaires doivent pouvoir se développer en Europe. Encore faut-il que l'État investisse massivement ! Le nombre de poids lourds doit diminuer ; les pouvoirs publics doivent intervenir en mettant en place une taxe sur les camions.

L'État ne peut se borner à un rôle de régulateur. Il doit aller plus loin, notamment avec l'outil fiscal.

Dans sa grande majorité, le groupe RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-France Beaufils.  - En octobre 2007, je vous ai interrogé, monsieur le ministre, sur l'évolution du fret ferroviaire dont je m'inquiétais. Cette année, je vous ai alerté sur la disparition du wagon isolé. Vous m'aviez répondu, le 17 septembre, que mes craintes étaient infondées.

Hélas, il n'en est rien : j'ai constaté sur le terrain que les PME ne pouvaient confier leur fret à la SNCF, surtout avec des surcoûts dissuasifs.

Pour le transport des marchandises dangereuses, la SNCF adresse un véritable ultimatum à ses clients. Je pense notamment à Primagaz qui livre 130 000 tonnes par an.

Une étude sérieuse doit être effectuée pour savoir ce qu'il en est. A Saint-Pierre-des-Corps, les conséquences sont désastreuses : 20 voies sur 34 sont inutilisables. Avec les autres, « on se débrouille », m'a-t-on confié. Quel gâchis ! Pourquoi un tel abandon ? Cette gare est sous-exploitée. RFF pourrait investir utilement dans cette plateforme indispensable au Grand Ouest. Comment la SNCF peut-elle y développer son activité commerciale avec seulement quatre commerciaux ?

Nous rachetons les Magasins généraux, installés sur un terrain de 7 hectares, embranché, mais c'est un vrai cimetière de wagons. Il est temps que le Gouvernement honore les engagements qu'il a pris lors du Grenelle ! Pourquoi attendre encore pour mettre en place la taxe poids lourds qui existe chez nos voisins ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

M. Louis Nègre.  - Je félicite M. Grignon pour l'excellence de son rapport. J'ai eu l'honneur de participer à ce groupe de travail, où les échanges ont été fructueux.

La situation du fret ferroviaire est préoccupante, en dépit de toutes les mesures de soutien qui ont déjà été prises. En 1950, la SNCF transportait les deux tiers des marchandises ; aujourd'hui, 10 % seulement. Cet effondrement du fret est propre à la France. Pourquoi ? En Allemagne, le trafic est quatre fois plus élevé que chez nous. En Suisse, il a augmenté d'un tiers ces dernières années. Le déclin du fret ferroviaire n'est donc pas une fatalité. Nous avons voté le Grenelle. Il serait consternant que seuls nos voisins le mettent en pratique !

Que va-t-il se passer pour la liaison Lyon-Turin ? Que répondre à une grande entreprise française brutalement abandonnée, après vingt ans, par la SNCF ?

Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent que le fret soit déclaré d'intérêt général. Ce n'est pas possible. Les propositions de la mission d'information sont plus crédibles pour partir à la reconquête des parts de marché perdues, grâce à une politique plus volontariste. La SNCF est une entité majeure qui doit rester au premier plan, à condition qu'elle fasse effort sur elle-même.

D'après la proposition de résolution, le fret routier devrait être davantage taxé. Il faut sortir de ces querelles stériles, de cette guerre de tranchées, et confier à un organisme indépendant l'expertise des coûts externes liés au transport routier.

L'UMP ne pourra donc voter la proposition de résolution.

J'en viens à la réforme portuaire. Qui peut accepter que le port d'Anvers soit le premier port français ? Alors que notre pays possède des ouvertures extraordinaires sur le monde, nos ports sont dans une situation catastrophique. Le tonnage de tous nos ports n'atteint pas celui de Rotterdam !

C'est une catastrophe ! Nous n'avons plus de grand port à la hauteur de notre ambition, malgré les efforts de M. Revet. Les syndicats qui bloquent l'accès à certains terminaux scient la branche sur laquelle ils sont assis. Leur jusqu'au-boutisme affaiblit l'économie régionale et nuit, in fine, à l'emploi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Voilà un point de vue qui n'a rien d'idéologique !

M. Louis Nègre.  - Il faut donc au plus vite mettre en oeuvre la loi portuaire. Je ne saurais souscrire à cette proposition de résolution, qui n'est pas réaliste, mais un Grenelle ferroviaire serait nécessaire. Il faut s'inspirer de l'exemple allemand.

Mme Marie-France Beaufils.  - Il ya eu des investissements !

M. Louis Nègre.  - Nous devrons renforcer notre chère SNCF. La situation actuelle n'est pas une fatalité. Warren Buffet a massivement investi dans la société ferroviaire Burlington Northern Santa Fe. A nous de l'imiter. (Applaudissements à droite)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.  - Votre assemblée a beaucoup travaillé sur ce sujet important. Le rapport d'information a formulé des propositions intéressantes. Dans le Grenelle 1, nous avons voulu que d'ici 2020, la part du fret alternatif à la route passe de 14 % à 25 %. Comment faire, vu les graves difficultés du fret ferroviaire que vont sans doute aggraver les crises sociales actuelles. Les trains de marchandises sont bloqués par centaines. Nous devons donc reconquérir le marché et moderniser du matériel qui en est resté aux années 1970.

Aujourd'hui, la SNCF assure 85 % de la part de fret ferroviaire.

Avec le Parlement, nous avons mis en place l'Autorité de régulation des activités ferroviaires. Nous allons dégager des lignes pour le fret : 4 500 km en trente ans. Les autoroutes ferroviaires ont démarré progressivement dans le nord de la France, du Luxembourg à Port Bou. L'idée est de poursuivre dans le Grand Ouest. Sur le Mont-Cenis, l'idée est d'élargir le sillon pour partir de Lyon et aller plus loin en Italie. Nous avons augmenté de 50 % les aides destinées au transport combiné. Depuis 2000, des trains de 1 000 mètres circulent entre Paris et Marseille.

J'en viens aux opérateurs ferroviaires de proximité. Aux États-Unis, de très grands trains traversent le pays d'est en ouest et du nord au sud, du Canada au Mexique grâce à l'Alena. Des opérateurs de proximité permettent d'approcher les marchandises.

En France, trois opérateurs de proximité fonctionnent, dont un à La Rochelle. D'autres projets sont en cours.

Le fret à grande vitesse devrait voir le jour, à partir de Roissy, grâce au projet Carex, d'ici un à deux ans.

Quelque 700 millions sont affectés à l'amélioration du réseau, en particulier pour son électrification.

Nous avons déployé la nouvelle signalisation européenne sur Paris-Strasbourg : elle va être généralisée. Nous relions nos itinéraires aux grands réseaux européens.

Les ports sont désormais responsables de leur réseau. Celui de Dunkerque donne l'exemple. Nos savons qu'il faut des opérateurs de proximité. La plateforme multimodale sera installée au Havre, ainsi qu'à Marseille, dès l'an prochain. A La Rochelle, après avoir signé un accord, la SNCF a tardé et le concurrent allemand l'a emporté qui acceptait de transporter jusqu'à Guéret.

Il reste de nombreux goulets d'étrangement, surtout à Lyon, où le contournement n'est pas facile à réaliser.

Le Gouvernement a mis en place un comité de suivi pour vérifier que toutes les actions lancées soient suivies d'effet.

La SNCF devra sans doute améliorer son offre multi-lots et multi-colis auprès de ses clients.

J'en viens au transport routier : l'écotaxe n'a pas subi de retard, mais considérez l'ampleur du réseau qui inclut autoroutes, routes nationales et départementales sur lesquelles le trafic pourrait se déporter ! Les Allemands ont mis quatre à cinq ans pour appliquer l'écotaxe. Elle devrait rapporter 1,2 milliard à l'État, les départements encaissant les recettes de leurs routes.

Nous allons commencer par l'Alsace pour une mise en service en 2012.

Nous désignerons le concessionnaire d'ici la fin de l'année. En outre, la technologie choisie doit être compatible avec celles en vigueur chez nos voisins. Les camions de 44 tonnes sont autorisés ponctuellement à la demande du monde agricole. Il y avait beaucoup de dérogations ; il ne s'agit que de mettre un peu d'ordre.

La réforme portuaire : ce qui se passe à Marseille est dramatique (M. Alain Gournac le confirme) et provoque un détournement de trafic vers Gênes et Barcelone.

Partout ailleurs, la réforme de la gouvernance est en place. Mais le transfert de personnel s'effectue. Il y a un abcès de fixation, à cause d'un syndicat en désaccord avec les autres et même avec la CGT nationale. C'est un problème local mais qui ne l'est pas quand il s'agit du premier port de France. Des milliers d'emplois sont en cause. Le Gouvernement ne peut rester sans agir.

Sur Lyon-Turin, les choses se mettent en place malgré des discussions, parfois animées, avec nos amis italiens qui veulent revoir le financement.

Croyez bien que le fret ferroviaire est la préoccupation du Sénat mais aussi du Gouvernement et sans doute des Français. (Applaudissements à droite)

Vote sur l'ensemble

Mme Isabelle Pasquet.  - Miramas ne fait qu'un avec le port de Marseille, quatrième port européen et premier port pour les conteneurs. L'activité est en pleine expansion, devant passer de 83 millions de tonnes en 2009 à 120 en 2013.

La part du fret ferroviaire devrait passer de 13 à 35 % d'ici quelques années. Et pourtant, la gare était menacée de fermeture en 2009, alors que le ferroviaire est un atout considérable.

L'arrêt du triage aurait supprimé 200 emplois et lancé des centaines de camions sur la route. Heureusement, la mobilisation a été forte et la raison l'a emporté. Je salue l'action des syndicats notamment de la CGT, qui ont fait preuve de responsabilité. Cette expérience m'est chère. Il reste à mettre en oeuvre le plan fret ferroviaire, pour l'emploi aussi, en commençant par adopter cette résolution.

M. Michel Teston.  - M. le ministre nous a donné des informations intéressantes mais il n'a pas répondu aux interrogations du groupe CRC.

Quid des états généraux sur le fret, d'un moratoire sur la fin des wagons isolés, de la prise en charge par l'État de la dette du RFF, de la reconnaissance de l'intérêt général du fret ferroviaire ?

M. le ministre n'a pris aucun engagement en faveur du transport modal. Enfin, il repousse la reconnaissance du caractère d'intérêt général.

La proposition de résolution reprenant plusieurs des suggestions du groupe de travail sénatorial sur le fret ferroviaire, nous la voterons.

A la demande des groupes UMP et CRC-SPG, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l'adoption 152
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Mireille Schurch, co-auteur de la proposition de résolution.  - Dommage !

Indépendance de l'exécutif (Proposition de loi constitutionnelle)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir l'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi.  - Comme le souligne le rapporteur de la commission, mettre les dirigeants au-dessus de tout soupçon est une préoccupation constante de notre histoire, depuis l'obligation de déclarer son patrimoine imposée en 1795 par la Convention. La République s'est dotée depuis d'un cadre juridique pour éviter confusions et conflits d'intérêt. La morale publique peut faire partie de notre consensus républicain.

Inéligibilité, incompatibilités, statut de la fonction publique sont autant de dispositions qui ont été progressivement introduites, s'ajoutant à celles devant assurer la transparence des campagnes électorales et du patrimoine des élus.

Hélas, on constate tous les jours que ce cadre juridique, s'il est utile, est insuffisant. La porosité entre pouvoirs publics et argent est d'autant plus grande aujourd'hui que l'idéologie libérale fait primer les intérêts particuliers sur l'intérêt général et l'économie sur le politique, et que le pouvoir est de plus en plus concentré.

Les privatisations récentes, le recours croissant aux partenariats public-privé et aux délégations de service public ont multiplié les liens entre pouvoir économique et pouvoir politique. Enfin, l'actuel Président de la République affiche lui-même sa proximité avec le monde des affaires, du Fouquet's au yacht de Bolloré.

Nous vivons dans une société hyper-médiatisée, qui fait ses choux gras de dérives qui nourrissent le rejet du politique et nuisent à la santé de la démocratie. Il est navrant de constater qu'au pays de Saint-Just, de Jaurès et de Zola, les deux tiers de nos concitoyens considèrent les élus comme corrompus ou sensibles à la corruption. On est loin de la « République irréprochable » -parole verbale...- évoquée par M. Sarkozy. Après la détestable séquence de cet été, une commission a été créée pour réfléchir à la question des conflits d'intérêt ; on verra ce qu'il en sortira...

La présente proposition de loi, qui n'est donc nullement hors sujet, est antérieure à la création de cette commission. Elle soulève, dit le rapporteur, des questions cruciales... puis la rejette. Il a d'abord entendu opposer l'irrecevabilité à notre loi simple, l'usage de la procédure étant une pratique habituelle de la majorité pour éviter les débats de fond.

Notre texte prévoit d'interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement de recevoir des dons et avantages en nature apportés par des personnes morales, et crée une obligation de déclaration des dons émanant de personnes physiques. En effet, la loi de 1995 traite seulement du financement des campagnes électorales et des partis politiques. La loi de 1988, qui a créé la commission pour la transparence financière de la vie politique, est muette quant aux revenus, cadeaux et avantages en nature non patrimoniaux.

Le rapporteur essaye de décrédibiliser notre proposition en prétendant qu'elle priverait le Président de la République et le Gouvernement des moyens de leur action. Quelle confusion entre dons et moyens légitimes ! Il nous reproche aussi de ne pas avoir prévu de sanctions ; il aurait pu amender... La sanction politique, la seule qui vaille, selon lui, ne peut intervenir que si la transparence est faite sur les liens financiers existants. Il est enfin un peu fort d'invoquer la protection de la vie privée lorsque celle-ci s'étale devant les Français...

Nous défendons l'honneur des élus, donc la démocratie. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Mézard.  - Très bien !

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois.  - Cette proposition de loi n'est nullement inintéressante.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - C'est sa seule qualité.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Mais la loi du 11 mars 1988 impose déjà au Président de la République de déclarer son patrimoine, dont l'évolution est contrôlée. S'ajoutent diverses mesures limitant les frais des campagnes électorales et imposant leur transparence financière.

La version initiale du texte était irrecevable, mais nous sommes saisis maintenant d'une proposition de loi constitutionnelle. Celle-ci devra donc être adoptée dans des termes identiques par les deux assemblées, avant que le Président de la République ne la soumette, s'il le souhaite, à référendum. L'abstention serait sans doute considérable...

Si ce texte est maintenant irrecevable, il pose toute une série de problèmes. Il est en premier lieu sans portée juridique, faute de sanction civile ou pénale... sauf éventuellement la poursuite du Président de la République devant la Haute Cour !

Deuxième objection : la proposition de loi mélange dons et avantages en nature. Le Président de la République devrait donc déménager de l'Élysée et renoncer, comme les ministres, aux voitures de fonction. C'est parfaitement irréaliste. Faudra-t-il lui attribuer une liste civile, comme à la Reine d'Angleterre ?

J'ajoute qu'il n'est pas envisageable d'imposer au Président de la République de refuser les cadeaux faits à l'occasion de déplacements diplomatiques. Et faudra-t-il imposer aux ministres de déclarer les cadeaux d'anniversaire ?

M. Alain Gournac.  - Irréaliste !

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Il est à craindre que la proposition de loi ne favorise en réalité la dissimulation des dons et des cadeaux... La commission a décidé de ne pas revoir le texte et de s'y déclarer défavorable. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.  - Cette proposition imposerait au Président de la République et aux membres du Gouvernement de déclarer les dons et avantages excédant un certain montant lorsqu'ils sont le fait de personnes physiques et tous ceux remis par une personne morale.

Elle doit être rapprochée des quatre textes socialistes repoussés il y a deux semaines par l'Assemblée nationale à la demande du Gouvernement, tendant à limiter les cumuls de mandats et à imposer une plus grande transparence financière. Comme l'a dit alors M. de Raincourt, la défense de la morale publique n'est le monopole d'aucun parti. Le Gouvernement s'est opposé à des textes à connotation démagogique, rédigés dans la précipitation -critiques valables pour le texte d'aujourd'hui.

La République s'est dotée d'un ensemble solide de dispositions juridiques en matière de transparence financière de la vie publique, pour l'essentiel à l'initiative de la majorité actuelle. La Commission nationale des comptes de campagne examine aussi le patrimoine des membres du Gouvernement et des élus. Les ministres doivent formuler une déclaration dans les deux mois suivant leur nomination, puis après la cessation de leurs fonctions. En cas de doute, la commission peut saisir le Premier ministre et le parquet.

De même, les candidats à la Présidence de la République doivent déposer au Conseil constitutionnel une déclaration patrimoniale ; une seconde déclaration doit l'être après la cessation de leurs fonctions. J'ajoute que depuis le début de ce quinquennat, les comptes de l'Élysée sont soumis à la Cour des comptes.

La solidité de ce dispositif -il n'y a pas de vide juridique, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la proposition de loi- suffirait à motiver le refus du texte. De plus, sa rédaction approximative pourrait conduire aux interprétations abusives qu'a mentionnées le rapporteur et au contrôle de la vie quotidienne du chef de l'État et des membres du Gouvernement.

Le Gouvernement n'est pas fermé à l'idée de prendre en considération la notion de conflit d'intérêts dans la vie politique, ce qu'atteste la mise en place d'une commission ad hoc à la demande du Président de la République, qui pourrait avoir éventuellement un prolongement législatif lors de l'examen de textes à venir.

Le Gouvernement souhaite le rejet de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Une querelle de famille qui se transforme en feuilleton où le ministre de la comptabilité vient s'égarer et où le parquet assume sans complexe son rôle de bouclier judiciaire du pouvoir, un ex-ministre de la charité prêchant la fin des conflits d'intérêts à des petits camarades outragés : tel est le contexte, qui suffit à expliquer la fin de non recevoir de la majorité sénatoriale et du Gouvernement. A politicien, politicien et demi...

On pourrait s'étonner que pareille proposition de loi n'aille pas de soi. Il existe certes un corpus de textes et une commission pour la transparence financière -qui n'a pas les moyens, déplore-t-elle année après année, d'exercer sa mission...

Rien d'étonnant à la quasi absence de toutes poursuites. Treize dossiers seulement ont eu une suite judiciaire, et aucun au-dessus du niveau de conseiller général...

Et que dire des incompatibilités baroques, confirmées par les distinctions byzantines du Conseil constitutionnel ? On ne peut être sénateur et professeur de philosophie, mais parlementaire et conseiller des entreprises qui vendent des armes et des avions à l'État... Ce n'est plus un bouclier, c'est un blindage ! On pourrait évoquer aussi le pantouflage sous toutes ses formes, ou la mise en couveuse de futurs ou anciens élus par de grandes entreprises : l'enjeu des marchés publics n'est pas mince... Quant au pantouflage des fonctionnaires, il est encouragé au nom de l'efficacité. Dans le domaine politique, la France n'a pas de Schröder passé au service de Gazprom ou de Blair conseiller des banquiers, mais cela ne tardera pas !

Manquer au devoir de probité a-t-il un sens lorsqu'on gère l'État libéral avec les règles du management, qui connaît les coûts mais non les valeurs ? « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » disait le général de Gaulle. Aujourd'hui, elle se fait là et pour elle ; le FRR entend récupérer par la spéculation ce qu'il a perdu en spéculant... Quant au rôle de l'Agence des participations de l'État ... Doit-elle gagner le plus d'argent possible ou conduire une politique industrielle ? Seule l'oligarchie a gagné de l'argent lorsque EADS a traversé des turbulences en 2005. M. Breton, alors ministre de l'économie, n'a pas suivi le conseil de l'Agence de se désengager, parce qu'il a placé la politique industrielle avant la protection du patrimoine de l'État.

Si le texte mérite une réécriture, vous pouviez le renvoyer en commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Non !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

M. Alain Gournac.  - Il aurait fallu le faire sous Mitterrand !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Avec vous, on ne s'ennuie jamais !

M. Jacques Mézard.  - Je regrette que seuls neuf sénateurs soient présents cet après-midi -même si la qualité est au rendez-vous...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Les héros sont fatigués !

M. Jacques Mézard.  - Mme Borvo Cohen-Seat a eu raison de mentionner la Convention, régime qui a honoré la Nation sous l'autorité de l'Incorruptible.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Qui a coupé des têtes !

M. Jacques Mézard.  - C'est parfois utile !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ce que vous dites est horrible ! (On s'amuse)

M. Jacques Mézard.  - Le débat va au-delà des problèmes posés par la proposition de loi. A juste titre, nos concitoyens exigent une transparence accrue. Il n'y a guère que les élus municipaux qui trouvent complètement grâce à leurs yeux. Selon un récent sondage, les électeurs pensent que 70 % des élus sont corrompus ou sensibles à la corruption. Mais je me méfie des sondages...

Aucun bord politique ne peut se prétendre irréprochable, aucun camp n'a le monopole de l'honnêteté. Mais la défiance trouve son terreau dans le manque de transparence et la légèreté de notre arsenal juridique, les crises financières aussi. De grâce, ne tombons pas dans l'anti-parlementarisme, qui fait le lit des ennemis de la démocratie : l'extrême droite et l'extrême gauche. (M. Alain Gournac approuve)

Le premier à s'être intéressé aux conflits d'intérêt fut le duc de La Rochefoucauld : « Les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer ». L'OCDE a estimé que les conflits d'intérêt existaient à tous les niveaux ; elle en a défini sept situations. D'où la proposition de loi du RDSE, adoptée ici il y a près d'un an et toujours pas discutée à l'Assemblée nationale.

Des failles demeurent dans notre législation. Les modalités du contrôle patrimonial ne sont pas identiques pour le Président de la République et les ministres. Nous avons proposé des pistes ambitieuses pour conforter ce contrôle. Les poursuites pénales devraient être systématiques en cas de trafic d'influence ou de prise illégale d'intérêt.

Pour éviter la répétition du fiasco de cet été, il faudra interdire l'existence de tout intérêt direct ou indirect d'un ministre dans certaines entreprises, le cumul d'un mandat de parlementaire avec la fonction d'administrateur ou d'avocat d'affaires...

Malgré ses insuffisances, la proposition de loi sera votée par la majorité du RDSE, car elle a le mérite de poser de bonnes questions. (Applaudissements à gauche)

Mme Éliane Assassi.  - Le pouvoir et l'argent ne font pas bon ménage ; leur excessive proximité menace la démocratie. Mais les conflits d'intérêt ont de beaux jours devant eux si nous ne faisons rien... On en vient maintenant à décorer de la Légion d'Honneur les contributeurs à la campagne du Président de la République -cette décoration devient un hochet pour riches. Trop d'affaires font prendre à la France l'allure d'une République bananière !

Le pouvoir est actuellement détenu par un groupe particulier. Dommage pour notre pays !

Le Président de la République a nommé une commission chargée de réfléchir aux conflits d'intérêts. Nous avons voulu agir en proposant ce texte car la législation actuelle est lacunaire et guère appliquée. Afin d'y remédier, nous proposons d'étendre les mécanismes en vigueur. Les dons pris en compte sont soit directs, soit indirects, qu'ils soient destinés au Président de la République ou aux membres du Gouvernement, afin de renforcer la transparence de la vie politique française.

Pour réaliser la démocratie, il ne faut pas seulement que les décisions soient prises par la majorité mais aussi pour la majorité. C'est là tout le sens de nos propositions. (Applaudissements à gauche)

M. Robert Laufoaulu.  - La loi du 11 mars 1988 interdit les dons des personnes morales et impose une déclaration patrimoniale. Depuis 1962, les candidats à la Présidence de la République sont tenus de déclarer leur patrimoine. La loi de 1995 applique des obligations comparables aux ministres. Comme l'affirmait récemment le Président de la République, « Il ne suffit pas que la République soit irréprochable. Il faut encore qu'elle ne puisse même être soupçonnée de ne pas l'être ».

Si cette proposition de loi poursuit l'objectif légitime d'encadrer des cadeaux et avantages en nature qui pourraient être effectués au profit du Président de la République et des membres du Gouvernement, son dispositif comporte d'importantes lacunes.

Une commission de réflexion a été mise en place pour se pencher sur les conflits d'intérêts. Ses conclusions seront connues en décembre. En outre, le mécanisme proposé est inopérant puisqu'aucune sanction n'est prévue. De plus, le flou des dispositions permettrait des interprétations absurdes : un ministre ne pourrait être invité par une personne ayant acquis sa maison en SCI !

Le groupe UMP votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close

Discussion de l'article unique

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ce texte serait inefficace car il ne comporterait pas de sanctions. Beaucoup de textes sont dans ce cas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Il ne faudrait pas les voter !

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est d'ailleurs ce qui se passe pour le Président de la République : vous imaginez le Conseil constitutionnel invalider l'élection de M. Sarkozy ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Pourquoi pas ?

M. Pierre-Yves Collombat.  - Laissez-moi rire. En outre, vous nous dites que le Président de la République ne pourrait plus loger à l'Élysée, ni avoir de voiture de fonction. Pas du tout ! Il ne s'agit pas d'avantages en nature !

Bien sûr, les cadeaux diplomatiques au chef de l'État ne sont pas concernés. La question des SCI ? Vous allez me faire pleurer !

Le risque de contournement de la loi ? Toutes les lois le courent !

Les menaces pour la vie privée ? D'abord, la vie privée d'une personne publique n'est pas celle de tout le monde ; ensuite, la mise en scène de la vie privée est devenue une arme de gouvernement !

Les manquements à la probité relèvent de la sanction politique ? Dans ce cas, quid des ministres non élus ou des membres du Conseil constitutionnel ?

Le dispositif proposé n'est pas moins inefficace que l'absence de dispositif actuelle. La commission mise en place va traiter des conflits d'intérêt, non de la morale publique.

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Elle se limite au droit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la proposition de loi.  - On me dit que cette loi susciterait des contournements. Curieuse conception de la transparence !

Si vous croyez que les hommes -et les femmes- ne chercheront qu'à contourner la loi, c'est grave...

Nous espérons que les conclusions de la commission qui se penche sur les conflits d'intérêts auront une traduction législative.

En application de l'article 59 du Règlement, la proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 153
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Le groupe UMP a présenté une candidature pour la commission des finances et une pour celle des lois.

Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré.

La Présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, membre de la commission des finances, à la place laissée vacante par M. Alain Lambert, dont le mandat de sénateur a cessé ; Mlle Sophie Joissains, membre de la commission des lois, en remplacement de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, démissionnaire.

Prochaine séance mardi 2 novembre 2010, à 9 heures 30.

La séance est levée à 18 heures 25.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 2 novembre 2010

Séance publique

À 9 HEURES 30

1. Questions orales.

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

2. Débat sur l'accession à la propriété.

3. Question orale avec débat n° 33 de M. Jean-Pierre Godefroy à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique sur la nécessaire réforme des dispositifs « amiante ».

4. Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur le traitement des déchets.

5. Débat sur la participation de la France au budget de l'Union européenne.