Délimitation des régions (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Discussion générale (Suite)

Mme Cécile Cukierman .  - La gazette des communes écrivait, la semaine dernière, au sujet du projet de loi qui nous réunit, que « nommer les choses, c'est déjà prendre le pouvoir sur elles ». Parler de réforme territoriale au lieu de décentralisation, c'est aller à l'encontre de ce qu'attendaient les élus locaux qui ont contribué à faire basculer le Sénat à gauche. Nous verrons bien si cette bascule, en 2011, était effectivement historique.

Les états généraux de la démocratie territoriale, après avoir suscité de l'espoir, ont créé de la frustration. Pourquoi ne pas être parti de cette dynamique pour renforcer la décentralisation et travailler la loi, dans la durée, avec les élus locaux ?

Vous voulez faire entrer dans notre pays, par la fenêtre, le fédéralisme qui profite toujours aux plus riches, aux plus compétitifs. Une petite fenêtre, entre la fin de l'année scolaire et la Coupe du monde...

Je ne citerai pas la longue liste des départements et régions qui réclament une consultation démocratique sur ce texte. Pourquoi construire la boîte avant d'en définir le contenu ? Vous dites, monsieur le ministre, vouloir des régions fortes, compétitives. En quoi une région Auvergne-Rhône-Alpes, avec 150 élus contre 166 à la seule région Rhône-Alpes actuellement, sera-t-elle plus dynamique ? En quoi grossir les régions et dévitaliser les départements répond-il aux attentes des Français ?

On nous fera passer pour des ringards, pour des has been comme on dit maintenant. Nous voulons une réforme, mais pas celle-ci, qui brise l'unicité de la République, indispensable à la solidarité entre citoyens.

Nous restons disponibles pour un vrai dialogue, comme nous l'étions pour faire confiance à l'intelligence territoriale par la création des conférences d'exécutifs comme lieux utiles de concertation ; en revanche, nous combattons l'autoritarisme étatique. Faire mieux avec moins, ce n'est pas possible. De super-conseillers régionaux aux compétences élargies mais moins nombreux n'auront pas les moyens d'accomplir leurs nouvelles missions.

Le discours dominant de ceux qui appellent à la réforme de l'État, qui l'ont déjà privé de moyens avec la RGPP et le MAP est dangereux.

Les tenants des grandes régions le sont moins lorsqu'il s'agit des leurs... On se demande avec qui la Picardie pourrait fusionner ; pour PACA et le Nord-Pas-de-Calais, il n'est question que des régions qui pourraient les rejoindre... Restent deux régions que personne ne veut absorber, au nord de Paris et à l'ouest du Massif central.

M. Bourquin, président de Languedoc-Roussillon, veut rester seul, comme M. Rousset en Aquitaine, M. Auxiette propose de fusionner avec la Bretagne mais non avec le Centre, quand M. Urvoas crie à la dilution de l'identité bretonne...

Tout va très bien mais il faut que je vous dise... Le bruit court, monsieur le rapporteur, que la proposition de rattacher la Picardie au Nord-Pas-de-Calais vous a conduit à vous abstenir sur votre propre rapport. Pourtant, on aurait ainsi créé une région de 6 millions d'habitants et vous vous seriez ouvert les portes du sud picard...

Nous ne voulons pas de ce résultat à la finale : décentralisation : 0, fédéralisme : 1. L'urgence est à la décentralisation, à la cohésion sociale dont ont besoin les hommes et les femmes de notre pays. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Michel Delebarre, rapporteur.  - Ça, c'est envoyé !

M. Jean-Pierre Sueur .  - Je ne comprends pas pourquoi il faudrait que le Sénat rende une page blanche. Beaucoup ont fait des propositions d'améliorations. Comment comprendre que l'assemblée qui représente les collectivités territoriales n'ait rien à dire ?

Nous sommes au coeur d'une grande mutation. La France du XIXè siècle était articulée autour des départements et des communes.

La France du XXIe siècle sera articulée autour de régions et de communautés efficaces -et j'inclus dans le terme les métropoles, les communautés urbaines et les communautés de communes, si importantes en milieu rural. Personne ne défend le statu quo, je le constate.

Plutôt que de régions fortes, parlons de régions efficaces. L'efficacité n'est pas liée au nombre d'hectares et nous n'aurons pas trop de quatre lectures pour peaufiner la carte, comme nous avons commencé à le faire en commission spéciale.

On entend dire que les régions comportent des métropoles, des infrastructures ; que la France a besoin de régions efficaces pour l'économie et l'emploi : voyez le rapport Raffarin-Krattinger.

M. Jean-François Husson.  - On ne sait pas ce que cela veut dire.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est pourtant simple ! Tout le monde est d'accord pour saluer le succès des intercommunalités. Il faut les renforcer, avec pragmatisme : on ne peut pas faire la même chose à la montagne qu'en plaine, par exemple.

Je suis attaché comme à la prunelle de mes yeux aux 36 700 communes de France. Nos 550 000 conseillers communaux connaissent chaque rue, chaque maison, chaque école, bref, le terrain ; ils incarnent la proximité. Qu'aurions-nous à gagner à les licencier ? Les intercommunautés s'occupent, elles, des compétences partagées.

Quant aux départements, j'ai entendu beaucoup de propos convergents. Il est envisageable que le modèle de la métropole lyonnaise, déjà inscrit dans la loi, soit généralisé dans les cas semblables. Mais dans les zones rurales, toutes sortes de solutions sont imaginables, comme des fédérations d'intercommunalités, ou le maintien des départements. Rompons avec le postulat de l'uniformité. Il ne faut plus décentraliser de manière centralisée !

M. Didier Guillaume.  - Vous avez tracé la feuille de route.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Sur tous ces points, nous sommes tous d'accord. Reste à débattre des modalités. Si nous rendons page blanche, cela signifiera que le Sénat n'a rien à dire ! Ce serait, pour employer une métaphore d'actualité, marquer un but contre son camp. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

Mme Anne-Marie Escoffier .  - Inutile de revenir sur les critiques déjà formulées contre ce texte. Son élaboration précipitée est contraire à la méthode revendiquée par le président de la République, fondée sur le dialogue et la recherche d'un consensus de bon aloi.

Qui refuserait de voir la nécessité d'améliorer le fonctionnement des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales pour mieux servir les Français ? Qui ne voudrait participer à la bataille d'un nouvel aménagement du territoire ?

Mais nous cherchons encore l'objectif réel de ce texte. Votre intervention, monsieur le ministre, comme celle du Premier ministre, m'ont rassurée, rassérénée ; je dois le dire.

Des régions fortes, une clarification des compétences de l'État déconcentré et des collectivités territoriales, une juste place aux territoires dans toute leur diversité : pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour entendre ce discours apaisé et apaisant ?

L'objectif premier n'était-il pas de reporter les élections, pour préparer la disparition des départements -ce qu'il fallait habiller constitutionnellement par un redécoupage des régions ?

Cette carte n'en a pas fini de susciter ire et interrogations. Pour y avoir réfléchi dans d'autres fonctions, je crois que le périmètre des nouvelles régions ne peut reposer sur le seul critère démographique.

Les seuils rigides sont inadaptés. L'histoire, la culture peuvent fédérer une région mais, aujourd'hui surtout, sa surface financière et sa capacité de promouvoir le développement et d'attirer les talents. Encore faudrait-il aux régions des moyens financiers suffisants... Cette question financière ne peut être passée sous silence : en l'étudiant à l'occasion d'un autre texte, nous nous exposons à l'incohérence.

Incohérence, ce mot est revenu à plusieurs reprises dans nos débats pour parler de la décision de supprimer les départements. La décision a beau ne pas être écrite, elle a été prise. Voyez l'amendement qu'ont présenté nos amis socialistes en commission ce matin : maintien des départements ruraux...

La suppression des conseils généraux mérite débat. Qui assurera leurs compétences ? Que faites-vous de la proximité ? Quant aux intercommunalités, elles doivent se construire sur la base d'un vrai projet, dans un bassin de vie.

Vous n'avez pas affaire à des sénateurs obtus, convaincus de détenir la vérité. Nous voulons travailler avec vous à une organisation territoriale rénovée, adoptée aux besoins d'aujourd'hui : les propositions qu'a faites mon ami Jacques Mézard tout à l'heure en témoignent. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; plusieurs sénateurs UDI-UC et UMP applaudissent aussi)

M. Éric Doligé .  - La douceur de votre ton, monsieur le ministre, contraste avec la brutalité de votre texte. Depuis quelques semaines, vous soufflez le chaud et le froid. Naguère, le Premier ministre disait qu'il n'était pas question de changer quoi que ce soit au texte. Finalement, quelques ouvertures apparaissent, peut-être grâce à l'opposition et la mobilisation sur nos bancs comme dans les territoires. Au Sénat nous ne sommes pas à l'école. M'entendre dire que si je ne vote pas, on va me coller tout l'été, cela ne me plaît pas ! Et un sénateur de votre majorité que nous serions privés d'une deuxième lecture : une menace encore ?

Le président de la République, ancien président de conseil général, s'était engagé en janvier à sauvegarder les départements, quatre mois plus tard, il dit l'inverse et tout le monde baisse les yeux. Moi, cela me gêne.

À Nevers, M. Vallini en a pris pour son grade, de la part d'élus de gauche... Et il s'est contenté de répondre qu'on pouvait faire des économies sur l'entretien des routes !

Le rapport Raffarin-Krattinger proposait certes de regrouper des régions, mais en maintenant les départements -dont le nombre pourrait varier, M. Guillaume l'a évoqué.

Que dire de la région « Limouchar » Limousin, Centre, Poitou-Charentes ? On a marié d'office des départements et des régions, qui ne le voulaient pas... Le président de la région aura face à lui 13 préfets ! Comment pourra-t-il se faire entendre ? L'État aura la main sur toutes les décisions importantes, comme sur le redécoupage des cantons.

Le 16 mai, j'ai reçu un document sur la prévention des risques psycho-sociaux dans la fonction publique territoriale. Que faites-vous des fonctionnaires des départements ? (Protestations sur les bancs socialistes) Ils sont inquiets.

M. Didier Guillaume.  - Ça dépend de ce qu'on leur dit !

M. Éric Doligé.  - Je n'ai rien eu à leur dire, ils l'ont perçu comme cela. Dans mon département il y a 2 600 fonctionnaires et 10 000 personnes employées dans des établissements dépendant directement du financement du département. Dans un autre document qui m'est arrivé en avril, Mme Lebranchu nous expliquait les bienfaits des départements...

Nous aimerions avoir des réponses claires à nos questions : existera-t-il un droit d'option, pourra-t-on découpler élections régionales et départementales ? Si le Gouvernement est ouvert, et si nous avons du temps pour travailler, nous dessinerons une carte équilibrée. (Applaudissements à droite et au centre ; MM. Jacques Mézard et Christian Bourquin applaudissent aussi)

M. Daniel Dubois .  - Après le mariage pour tous, voici le mariage forcé, qui ne satisfait personne...

M. Alain Néri.  - Si l'Auvergne !

M. Daniel Dubois.  - ...en préservant quelques baronnies proches du pouvoir. La procédure suivie est détestable : une carte dessinée sur un coin de table, un projet de loi soumis à la procédure accélérée, aucune concertation avec les élus locaux en dépit de la loi.

Le rapport Raffarin-Krattinger concluait qu'il était impossible de définir les frontières de nouvelles régions sans une concertation approfondie. Les vrais enjeux sont absents du projet du Gouvernement : l'avenir du bassin parisien dans la mondialisation, le potentiel de nos littoraux, le choix de métropoles d'équilibre dans chaque région.

La première question qui aurait dû se poser, c'est celle de la répartition des compétences. La seconde, c'est celle des moyens humains et financiers pour les exercer : modernisation du statut de la fonction publique, fiscalité locale, dotations...

Autre question : celle de la réforme de l'État, au niveau central et déconcentré.

Enfin, il aurait fallu tenir compte des traditions culturelles et historiques des territoires.

Aucune réponse n'a été apportée à ces questions. En Picardie, toutes les assemblées locales comme les habitants s'opposent au mariage forcé avec Champagne-Ardenne -le contrat de mariage est léonin. Vos plaidoiries n'y changeront rien, monsieur Cazeneuve. Que dire du maintien en l'état de la Bretagne et du Nord-Pas-de-Calais si cher à notre rapporteur ?

M. Vallini avait pourtant trouvé l'argument massue : il fallait attendre de la réforme des économies de 12 à 25 milliards d'euros. Ces chiffres sont fantaisistes.

Au début du quinquennat, déjà, on reportait les élections départementales pour procéder au charcutage des cantons.

M. Alain Néri.  - Adressez-vous à M. Marleix ! C'est lui le maître dans l'art du charcutage !

M. Daniel Dubois.  - De qui se moque-t-on ?

Depuis 1996, la procédure du changement de chef-lieu est clairement encadrée et soumise à l'avis des élus. Pourquoi en changer ? Relisez l'article L. 41-22-2 du code général des collectivités territoriales. La question n'est pas anodine car la capitale régionale hébergera le conseil et les services de la région. C'est tout un symbole. Des milliers d'emplois sont à la clé. Consulterez-vous les élus d'Amiens si vous transférez le chef-lieu à Chalons ou à Reims ? J'ai bien compris qu'il ne peut être question de Lille pour notre rapporteur...

Cette réforme est menée avec l'énergie du désespoir pour grappiller quelques points de popularité dans les sondages. La France a certes besoin de se réformer, encore faut-il que la réforme soit efficace, comprise et admise. (Marques d'impatience sur les bancs socialistes) Écoutez au moins la conclusion.

Le groupe centriste participera à l'examen de ce texte pour le faire évoluer dans le bon sens. Il y va de l'avenir de notre pays. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs UMP)

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'était très convivial !

M. Philippe Kaltenbach .  - Enfin, nous en venons au fond, après tant d'obstacles : constitution d'une commission spéciale...

M. Gérard Larcher.  - Ce n'est pas un obstacle mais un moyen de travailler !

M. Philippe Kaltenbach.  - ...rejet de l'étude d'impact, motion référendaire.

Les opposants au texte parlent d'une mauvaise réforme... à laquelle ils ne veulent apporter aucune modification. Pourtant, la chambre haute a toute latitude pour faire évoluer le projet de loi ! Le groupe socialiste y est favorable et M. le ministre a dit lui aussi le souhaiter. J'espère donc que nous ne rendrons pas copie blanche.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. Philippe Kaltenbach.  - Comme Mme Gourault, j'ai toute confiance en mes collègues députés mais c'est d'abord à nous d'imprimer au texte notre marque !

Remplissons pleinement notre rôle, ne laissons pas passer le train de la réforme territoriale, remplissons notre devoir de législateur.

D'ailleurs, la semaine dernière, la commission spéciale avait fait des propositions constructives. Allons-nous nous renier quand beaucoup demandent ici la réduction du nombre de régions ?

C'est vrai, les élections sénatoriales auront lieu bientôt...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale.  - On le sent, on le sait !

M. Philippe Kaltenbach.  - ...mais ne nous privons pas d'un débat nécessaire sur les régions. Créées il y a cinquante ans, elles doivent évoluer. J'y crois comme je crois aux métropoles...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale.  - Cela va rassurer !

M. Philippe Kaltenbach.  - Le groupe socialiste est ouvert à la discussion, le président Guillaume l'a dit. Nous sommes favorables à un redécoupage de la super région Centre. Je vois Mme Bonnefoy opiner du chef.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Elle a raison! Il faut dire non à la carte du Gouvernement avant de dire oui à la sienne !

M. Philippe Kaltenbach.  - Le groupe socialiste est ouvert, je le dis, comme au droit d'option pour les départements. Cet amendement ne pourrait-il pas nous regrouper tous ? Je le crois, encore faudrait-il débattre des articles. Nous sommes également favorables à une meilleure représentation des territoires ruraux au sein des régions, comme le demande M. Mézard.

M. Jacques Mézard.  - Vous n'avez pas compris ma proposition !

M. Philippe Kaltenbach.  - Ne laissez pas passer le train, il pourrait ne pas repasser !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Il est en train de dérailler !

M. Philippe Kaltenbach.  - Il y a quelques mois, nous sommes parvenus à un beau travail sur les métropoles.

M. Jacques Mézard.  - La procédure accélérée n'avait pas été engagée !

M. Philippe Kaltenbach.  - Le groupe socialiste est ouvert au dialogue, il souhaite que le débat aille à son terme. J'ai entendu beaucoup de critiques, j'aimerai désormais entendre des propositions ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. René-Paul Savary .  - Je vais tenter de ne pas être redondant. Le ministre m'a charmé avec son discours : j'avais l'impression d'être revenu en 1986 quand le budget des régions était à 80 % pour l'investissement et 20 % pour le fonctionnement, celui des départements à 70 % pour le fonctionnement et 30 % pour l'investissement... Oui, nous voulons des régions fortes, stratégiques, pour développer l'emploi, pour l'environnement, la formation, les grandes infrastructures. Encore faut-il qu'il y ait du contenu... À vous entendre, nous aurions les collèges et les routes. La nouvelle région Picardie-Champagne-Ardenne, c'est 600 collèges, 400 lycées, 15 000 personnels, 40 000 kilomètres de routes... Cela va-t-il vraiment nous tirer vers le haut ? Croyez-vous qu'on gère les TER de la même façon en Champagne-Ardenne, 54 habitants au km2, qu'en Alsace, 220 habitants au km2 ou en Picardie, 99 habitants au km2 ? On voit bien que d'un côté il y aura des recettes et de l'autre des dépenses...

M. René-Paul Savary.  - Même chose pour le numérique.

M. Alain Néri.  - Vous êtes contre ?

M. René-Paul Savary.  - Les schémas départementaux sont déjà en place, vous ne gagnerez rien à mutualiser.

M. Alain Néri.  - Et le transfert des TOS et des agents des DDE ?

M. René-Paul Savary.  - Et puis, il y a la question du chef-lieu de région. On ne gardera pas plusieurs capitales, d'où des transferts de personnels ; 600 personnes à la préfecture, 50 à 60 à la gendarmerie, 400 au rectorat...

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Dans ce cas-là, on ne peut faire aucune réforme !

M. René-Paul Savary.  - Il faut garder le département, qui a fait ses preuves, qui incarne la proximité, la mutualisation, la subsidiarité.

M. Philippe Kaltenbach.  - Plaidoyer pro domo !

M. René-Paul Savary.  - Quant aux intercommunalités d'au moins 20 000 habitants... Il y en aura six dans mon département, l'une d'entre elles en représentera le quart -soit six mini-départements qui n'auront pas la taille critique...

M. Didier Guillaume.  - Débattons pour faire évoluer le texte !

M. René-Paul Savary.  - Monsieur le ministre, j'ai besoin d'être rassuré. C'est une aberration de parler des frontières avant de parler des compétences ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

M. Philippe Kaltenbach.  - Un autre projet de loi a été adopté le 18 juin en conseil des ministres !

M. Claude Dilain .  - Dans ce débat passionné et passionnant, je retire deux convictions : la réforme est nécessaire, le Sénat doit en être le principal artisan...

M. Didier Guillaume.  - C'est la sagesse !

M. Claude Dilain.  - Tout le monde veut une réforme territoriale, nous y travaillons depuis des années ; les observateurs nationaux et étrangers la demandent.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le conseiller territorial, par exemple...

M. Claude Dilain.  - Mais la réforme territoriale, ce n'est pas seulement une question de découpage ; c'est aussi la clarification des compétences, la simplification des procédures.

M. Jean-François Husson.  - Ah, le choc de simplification !

M. Claude Dilain.  - Il est toujours dangereux de remettre à demain ce que l'on peut faire aujourd'hui...

M. Jacques Mézard.  - ...et surtout de changer de position tous les trois mois !

M. Claude Dilain.  - Nous tournons autour de cette réforme territoriale depuis trop longtemps, agissons. Si le projet du rapport Raffarin-Krattinger est parfait, rien ne nous empêche de le reprendre, le Gouvernement n'y est pas hostile !

M. Éric Doligé.  - Chiche !

M. Claude Dilain.  - Ne rendons pas copie blanche. Bien que je sois sénateur seulement depuis trois ans, j'ai quelques souvenirs amers. Le Sénat avait balayé d'un revers de main la proposition du Gouvernement sur la métropole du Grand Paris. Quand le texte nous est revenu de l'Assemblée nationale, certains ont grincé des dents et regretté de lui avoir envoyé une page blanche. Sur un sujet d'une telle importance, ne commettons pas la même erreur. Il est vrai que ce sera difficile, parce nous sommes dans une situation de conflits d'intérêts légitimes ; mais nous avons une porte de sortie, c'est l'intérêt général.

Quand la patrie était en danger, Danton demandait de l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace.

M. Jacques Mézard.  - Et surtout de la compétence !

M. Claude Dilain.  - Aujourd'hui, la France n'est peut-être pas en danger mais elle a besoin d'un nouveau souffle. Alors je dirai : du courage, toujours du courage, encore du courage ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Caroline Cayeux .  - Nous voilà réunis en urgence autour d'un texte élaboré dans la précipitation. Le romancier américano-russe Isaac Asimov disait : « Souvent les gens prennent leurs propres lacunes pour celles de la société qui les entoure et veulent la réformer faute de se réformer eux-mêmes ». Le Gouvernement ne fait rien d'autre. Pour réagir à la débâcle électorale, il nous propose un texte bâclé qui n'est qu'un acte de communication.

Le redécoupage des régions avant la clarification des compétences, c'est poser la toiture avant les fondations. Alors la maison n'est pas très solide...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Bien sûr !

Mme Caroline Cayeux.  - Les élus locaux, nous en sommes tous, sont convaincus de la nécessité de la réforme. Ils veulent cependant être écoutés, respectés. Pourquoi avoir écarté par dogmatisme le conseiller territorial qui avait deux visions, départementale et régionale ? Vous remplacez le millefeuille par 999 feuilles... Les économies à en attendre viendront dans dix ans, après que la réforme aura beaucoup coûté...

On veut fusionner des régions qui n'en ont pas envie avec des élus qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble. Les citoyens ne se retrouveront pas dans cette nouvelle communauté de destin. Ni la Picardie ni la Champagne-Ardenne ne veulent de ce mariage forcé qui est un contresens territorial, économique, social et humain ; nous regardons vers l'ouest, eux vers l'est. Quitte à réformer, faisons-le de manière rationnelle.

Comment en est-on arrivé là ? Après avoir satisfait vos amis, géré leurs affinités et leurs refus, restaient deux régions ; vous ne saviez qu'en faire, hop, vous les avez regroupées... Et cela a fait un nouveau communiqué à l'AFP...

Beau cadeau, le report des élections départementales lors des fêtes de fin d'année ! Pourquoi pas le 15 août ? Vous n'avez pas tiré les leçons de vos fiascos électoraux. Cerise sur le gâteau, ou plutôt sur le millefeuille : les candidats aux élections départementales, auxquels vous demanderez de se présenter pour se faire ensuite hara-kiri, feront campagne sur le thème : votez pour moi, je disparaîtrai bientôt. Une tromperie démocratique...

Cette réforme fait l'impasse sur la ruralité ; elle occulte nos cultures, nos habitudes de vie ; elle s'inscrit dans le droit fil de la mondialisation qui éloigne toujours des citoyens les centres de décision. Quel est l'élu en lequel les Français ont le plus confiance ?

Nombreuses voix à droite.  - Le maire !

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Caroline Cayeux.  - La France n'est ni l'Allemagne ni les États-Unis ? Elle est la France, avec son histoire. (Marques d'impatience à gauche)

Notre organisation, aussi imparfaite soit-elle, s'est construite au fil du temps et des équilibres territoriaux ; la bouleverser de façon aléatoire, c'est un détestable coup d'État territorial. Oui, ce texte devait être soumis au référendum. Monsieur le ministre, nous vous demandons d'entendre la voix des territoires, portée par le Sénat...

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé.

Mme Caroline Cayeux.  - Retirez votre projet de loi et méditez cette formule de Tocqueville : le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d'ordinaire celui où il commence à se réformer ! (Applaudissements à droite)

M. Patrice Gélard .  - Les socialistes nous adjurent d'adopter un texte.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Non, de discuter !

M. Patrice Gélard.  - Encore faudrait-il que nous puissions débattre sur des bases différentes de celles qui nous sont proposées et que nous n'ayons pas le couteau sous la gorge... Peut-être aussi manquons-nous actuellement d'imagination...

M. Philippe Kaltenbach.  - C'est un aveu !

M. Patrice Gélard.  - Nous discutons de ce texte devant un Sénat qui sera bientôt renouvelé par moitié ; ceux qui le voteront n'auront pas à l'appliquer... Incongruité supplémentaire, ceux qui le mettront en oeuvre ne seront élus qu'en décembre 2015.

On se réfère dans l'étude d'impact à un modèle européen. Soit, mais il n'en existe pas : fédéralisme allemand, modèle britannique sui generis avec des cantons moins forts que nos régions mais aussi l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord, régions slovènes imposées par Bruxelles... J'en déduis que chaque région pourrait avoir un régime spécial : l'Alsace comme la Catalogne ou le Frioul...

Mme Jacqueline Gourault.  - La Bretagne !

M. Christian Bourquin.  - Le Languedoc-Roussillon ?

M. Philippe Kaltenbach.  - C'est contraire à l'unicité de la République !

M. Patrice Gélard.  - Enfin, monsieur Kaltenbach, et la Corse ?

Avec ce projet de loi, c'est la fin de la belle idée du Grand Paris : l'ouverture sur la mer, d'autres régions s'en chargeront...

Croyez-vous que l'on maintiendra deux ou trois cours d'appel, deux ou trois rectorats par grande région ? Comment le recteur s'occupera-t-il de la rentrée scolaire ?

M. Didier Guillaume.  - Cela fait longtemps qu'il ne le fait plus.

M. Patrice Gélard.  - Soit, mais il tranche. Rien non plus dans l'étude d'impact sur le transfert des personnels.

On nous demande de construire sur un terrain meuble avec des matériaux friables...

M. Didier Guillaume.  - Renouvelables !

M. Patrice Gélard.  - Reprenons tout à zéro ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. le président.  - La parole est à Mme Bonnefoy.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Ah, la pauvre Aquitaine !

Mme Nicole Bonnefoy .  - Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut revoir la carte régionale. Mais le redécoupage doit répondre à des cohérences territoriales et aux attentes des citoyens. Ce n'est pas le cas de ce que le Gouvernement nous soumet. La région Grand-ouest n'a aucune réalité naturelle, économique, humaine. La Charente regarde vers l'Aquitaine, la ligne grande vitesse renforce encore nos liens et nous rapproche de Bordeaux. Le Limousin souhaite également ce rapprochement : un grand sud-ouest formé de nos trois régions. D'où notre amendement et celui pour le droit d'option des départements et le maintien des conseils départementaux en zone rurale après 2020.

À nos collègues de l'UMP et à leurs alliés de circonstance, qui ne sont pas les seuls dépositaires des intérêts des collectivités territoriales, je veux le dire : le Gouvernement propose une carte, cessons l'obstruction pour bâtir la réforme sur un socle territorial commun. À nos confrères de l'UMP du sud-ouest, sortons des postures politiques pour mettre en accord nos actes et nos discours ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Éric Doligé.  - Que devient le Centre ?

M. Philippe Bas .  - Je m'oppose à ce projet de loi...

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Parce que vous êtes de droite !

M. Philippe Bas.  - ...pour six raisons au moins. D'abord, le deuxième report des élections départementales. Vous ne respectez pas une règle de base de la démocratie selon laquelle l'électeur doit savoir combien de temps durera le mandat de celui qu'il élit.

M. Philippe Kaltenbach.  - Vous n'avez donc jamais reporté d'élections ?

M. Alain Néri.  - Et la dissolution ?

M. Philippe Bas.  - Ensuite, je ne partage pas le fétichisme des euro-régions.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous avez raison !

M. Philippe Bas.  - Personne, en Europe, n'a créé arbitrairement de grandes régions. Les régions sont ancrées dans une réalité culturelle qui fait que leurs habitants peuvent s'y identifier.

Ce texte revient ensuite sur trente ans de décentralisation. Dotées de semelles de plomb, vos régions désormais responsables d'une grande partie des missions exercées par les départements, vont s'enliser. Le centralisme régional n'a rien à envier au centralisme d'État... Défenseur des libertés locales, je ne peux pas l'accepter.

Vous construisez des régions de gestion au lieu de régions de mission, chargées de compétences aussi locales que l'entretien des routes ou des collèges  -des colosses aux pieds d'argile.

Et faisant cela, vous déstabilisez la collectivité et pénalisez les Français les plus vulnérables car ce sont les départements qui leur viennent en aide. Le président de la République dit son attachement aux départements, puis veut les supprimer... Et trois semaines après, parce qu'on lui a expliqué que c'était impossible au regard de l'article 72 de la Constitution, promet de les préserver jusqu'en 2020 tout en les vidant de leur substance.

Enfin, l'incohérence -dans le temps comme dans le contenu. Rétablissement puis abolition de la clause de compétence générale, proclamations d'attachement aux départements avant leur suppression masquée...

La méthode est mauvaise qui déséquilibre notre système territorial, enfle démesurément les régions et transforme les départements en coquilles vides. Vous compromettez durablement le succès de toute réforme territoriale et l'adhésion des Français. Le groupe UMP s'opposera à ce projet de loi. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Lozach .  - La mondialisation tout comme l'accélération technologique imposent une réorganisation territoriale qui doit être menée avec doigté et diplomatie.

Nous débattons du calendrier électoral. Or, les rendez-vous électoraux doivent avoir un sens et un fondement démocratique. Si ce n'est pas le cas de celui de décembre 2015, nous assisterons à un nouveau malentendu entre le peuple et sa représentation. La peur du décrochage ruine certains territoires, a dit le ministre ; mais si demain, il n'y a plus rien entre les régions et les intercommunalités, comment ferons-nous ? Il n'y aura plus d'investissement public. Le secteur du BTP est inquiet. En d'autres termes, simplification ne signifie pas nécessairement suppression. La réalité du conseil général n'est pas la même en milieu rural qu'en milieu urbain. Ne raisonnons pas en institutions superposées mais en structures au service de nos concitoyens. Le département peut être l'échelon qui met de l'huile dans les rouages de la ruralité. Le mouvement des nouvelles ruralités, que M. Guillaume a cité cet après-midi pour mon plus grand plaisir, ne dit pas autre chose. Le maintien d'un conseil général redéfini réduit les risques de tutelle des régions sur les communautés de communes, de cloisonnement, de perte de projets innovants, de normalisation des performances.

L'objectif n'est pas de bâtir des régions identitaires mais des régions économiquement fortes. Soit, mais les deux sont liés. Pourquoi casser les dynamiques existantes ? Je pense à l'identité du Massif central, qui s'affirme, à son organisation spatiale autour de l'axe de la RCEA.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Jacques Lozach.  - L'essentiel n'est pas dans le redécoupage mais dans les compétences et les moyens, dans les priorités, dans le contenu des politiques publiques, aussi dans la capacité des élus à se faire entendre. Comment accepter que des territoires ruraux ne soient plus représentés à la région que par un ou deux élus ?

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Jacques Lozach.  - La RGPP a été un facteur de recentralisation insidieuse ; veillons à ce que la réforme n'ait pas les mêmes conséquences. Le débat n'est pas verrouillé, nous pouvons encore construire un pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. Les Français en ont besoin. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-François Husson .  - Pour la troisième fois en un peu plus d'un an, nous débattons d'un projet de loi qui brutalise l'organisation territoriale décentralisée de la République : si l'enjeu n'était pas si grave, on pourrait parler de comique de répétition...

Nous aimerions croire que le Gouvernement n'est pas une girouette abandonnée à un vent tourbillonnant. Avec le projet de loi sur les métropoles, premier volet de la grande réforme engagée, au détour duquel la clause de compétence générale était rétablie, on nous disait que la gauche décentralisatrice était de retour, que le changement était en marche... À peine le texte voté, M. Ayrault changeait d'avis et annonçait la suppression de la clause générale de compétence -suppression actée dans un projet de loi qui remplaçait les deux autres volets... Navigation improvisée... Mais on n'avait pas tout vu... Il a fallu attendre le discours de politique générale pour entendre M. Valls annoncer une réforme en décalage radical avec les engagements de campagne de François Hollande...

M. Éric Doligé.  - Valls à quatre temps !

M. Jean-François Husson.  - ... et avec le texte voté quelques mois plus tôt. Fin de la clause générale de compétence, suppression des départements et, pour couronner le tout, redécoupage des régions... Ni les élus ni les citoyens n'ont été entendus. Le texte a été rédigé entre amis, sur un coin de table, au prix d'arrangements dignes de la IVe République dans la cinquième puissance du monde.

Une réforme d'une telle ampleur méritait mieux. Nous voulons tous adapter notre territoire aux enjeux d'aujourd'hui. Mais avec quelle stratégie et quels moyens ? Selon quel calendrier ? Que ne vous êtes-vous inspiré des études de la Datar et d'autres grands organismes ?

Si la France a besoin de réduire son déficit public, en quoi cette réforme y contribue-t-elle ? Ne s'agit-il pas de faire porter aux collectivités territoriales tout le poids de la baisse du déficit ?

La France doit être un pays uni dans sa diversité. Au lieu de réduire la fracture territoriale, vous la creusez.

Cessez d'improviser ! Les sans-voix, les voix de l'abstention doivent être entendues comme des voix de colère et de défiance. (M. Gérard Larcher approuve) Le président de la République a reçu mandat du peuple pour réformer le pays, pas pour le chahuter au gré de quelques responsables socialistes. Vous nous appeliez à avoir de l'audace. Eh bien, vous avez l'ardente obligation de réformer.

M. le président.  - Concluez.

M. Jean-François Husson.  - La France méritait mieux que ce travail bâclé. (Applaudissements sur les bancs UMP et certains bancs du RDSE)

M. Yannick Vaugrenard .  - Il eût été logique d'évoquer, en même temps que les frontières, les compétences des régions et leurs moyens. Mais la nécessité de doter la France de grandes régions fortes est incontestée. Nous ne saurions tarder ni nous enfermer dans le court-termisme : l'horizon doit être à 40 ou 50 ans.

Les régions de l'Ouest-Atlantique doivent se rassembler. L'union du Poitou-Charente, de l'Aquitaine et du Limousin va dans le bon sens. Faisons de même pour la Bretagne et les Pays de la Loire, sous peine que l'ouest devienne le Far West, souffrant toujours plus de sa périphéricité, comme toutes les régions qui, de l'Écosse au Portugal forment ce que la Datar d'Olivier Guichard appelait justement « l'Arc atlantique » de l'Europe.

Nous avons l'habitude de travailler en commun : pôles de compétitivité, lobbying commun dans l'espace régional européen, une université commune, des politiques de pêche et d'aquaculture... Cette union ne ferait que formaliser une réalité.

Les populations le demandent : 67 % des Ligériens, 63 % des Bretons, ainsi que les acteurs économiques. Certains élus hésitent. Le temps les convaincra. Nous leur devons le respect, mais aussi aux générations futures. Tout démantèlement des régions existantes balaierait le travail accompli depuis des décennies. Si nos deux régions devaient rester séparées, ce ne saurait être que pour un temps. L'unité de la France n'implique pas sa diversité.

Osons l'expérimentation à géométrie variable ! Soyons, comme disait Pierre Mauroy, les « héritiers de l'avenir » ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Boutant .  - La question de l'organisation territoriale de la France remonte à la Révolution, à Condorcet, à Sieyès. Pendant que parlementaires et conseillers de toute sorte rédigent moult rapports, s'accomplit implacablement l'oeuvre de réorganisation que ni la droite ni la gauche n'abandonne : effacer les départements de la carte, les dévitaliser, voire les exploser façon puzzle.

L'État a montré l'exemple en supprimant les directions départementales, les DDE, DDA et autres DDJS, au profit de directions régionales : Drac, Drire, Direccte... On a vu fleurir des directions inter-régionales de plus en plus éloignées des territoires. C'est tourner le dos à la décentralisation. Pourtant, vers qui s'est tourné l'État pour transférer le personnel des collèges, pour financer les allocations individuelles de solidarité, faisant supporter par les départements ces 42 milliards de plus entre 2002 et 2013 ? Vers qui pour financer les travaux de la LGV Sud-Europe-Atlantique ? Et les routes nationales ? Les départements. Encore et toujours. Ils l'ont accepté en maugréant parfois, tout en élaborant des budgets équilibrés et en continuant à investir.

Certes, pour être moderne et renouer avec la croissance, il faut réduire le millefeuille, dégraisser le mammouth. Mais les transferts de compétences en réduiront-ils le coût ? J'en doute. J'ai l'impression d'assister à un mouvement des plaques tectoniques, voire technocratiques. À la grande surprise de certains, population et élus se sont emparés de la question. Les quatre conseils généraux de ma région ont voté, à mon initiative, à l'unanimité moins une voix et deux abstentions, pour la formation d'une région Poitou-Charente-Limousin-Aquitaine.

Les départements restent un échelon utile à la solidarité. Je refuse que l'on jette l'anathème sur les élus. Oui à la réforme à condition qu'elle soit efficace et qu'elle soit compatible avec l'état des finances de notre pays. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Éric Doligé.  - Bravo !

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Excellent ! Vive le Poitou-Charentes !

M. Didier Guillaume.  - Applaudi par tous !

Mme Michelle Meunier .  - Gageure d'intervenir en dernier dans cette discussion générale de quatre heures... J'irai donc droit au but : je soutiens sans ambages cette réforme. Mais plus que les frontières, ce sont les compétences des collectivités territoriales qui intéressent les Français. Comment répondre au plus près et au plus juste aux besoins des citoyens ? L'évolution de notre organisation territoriale n'a de sens que si elle répond à cette question.

La région Pays de la Loire est récente, certes, mais elle a connu de belles réussites. Sans vouloir verser dans l'autosatisfaction, c'est la région où le chômage et la pauvreté sont le plus faibles, où les créations d'emplois industriels sont les plus nombreuses, où le soutien à la recherche est le plus fort, et c'est la première région sportive. Les Ligériens y sont d'ailleurs attachés.

Le statu quo proposé par le Gouvernement est peut-être une occasion manquée. La fusion avec la Bretagne a un sens géographique, démographique, économique, industrielle, culturelle. Elle s'impose, tant les coopérations sont déjà nombreuses. Beaucoup d'acteurs se sont exprimés en ce sens : présidents de chambres d'industries, maires de Nantes, de Rennes et de Brest.

Cette réforme est, dans son ensemble, un véritable plus pour nos régions et nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

M. Bernard Cazeneuve, ministre .  - Merci de vos contributions extrêmement utiles. Je ne pourrai naturellement répondre, même brièvement, à chaque orateur mais relèverai quelques critiques.

Certains se sont adressés à ce qu'ils imaginent être la majorité d'après les élections sénatoriales... Je regrette que l'on s'abandonne ainsi aux charmes de la politique sous sa forme la plus clivante. Vous avez parlé des scores du Front national : ayant gouverné dix ans, vous en portez peut-être une part de responsabilité. Surtout, analysons son succès et combattons-le ensemble !

Les Français se désolent qu'au lieu de rechercher des compromis, nous laissions la politique partisane reprendre ses droits. Nous, à gauche, l'avons fait aussi. Je le regrette.

La vie politique ne peut être une perpétuelle entreprise de démolition, avec toutes ses outrances et ses excès. J'en ai entendu au cours de ce débat. On a parlé de recentralisation parce que nous donnons des pouvoirs supplémentaires aux préfets des départements : énorme mensonge. Quelle compétence est retransférée à l'État ? Aucune. Il aurait fallu revenir sur les lois de décentralisation. Le faisons-nous ? Non, nous transférons de l'État central à l'État territorial ; cela s'appelle la déconcentration.

M. Didier Guillaume.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Nous corrigeons ainsi les effets de la RGPP qui a conduit les services déconcentrés à l'aporie.

Sans doute la carte proposée peut-elle être revue. Mais, monsieur le Premier ministre Raffarin, vous ne pouvez considérer que la réforme est inopportune et absurde après avoir vous-même écrit que ce qui importait était la taille des régions. C'est ce dont la politique meurt : cette façon de dire le contraire aujourd'hui d'hier.

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Je n'ai pas dit ce que vous me faites dire.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous ai cité littéralement.

M. Jean-Pierre Raffarin Nous défendions le département que vous supprimez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre .  - Vous dites dans votre rapport que nous avons besoin de grandes régions : cette idée, nous la reprenons, voilà tout ce que je dis. Je ne prétends pas que nous reprendrions toutes vos propositions mais que nous en reprenons certaines. Quant à la suppression des départements, j'ai déjà répondu hier à M. Retailleau que le président de votre parti la prônait naguère.

Si les périmètres proposés ne vous conviennent pas, proposez-en d'autres plutôt que de pratiquer la polémique à outrance contre un projet qui a pour tort principal de n'être pas le vôtre.

Sur les départements, le Gouvernement a une position simple, qui ne doit pas être travestie. Nous voulons des intercommunalités fortes, dans la continuité de ce qu'on fait les gouvernements précédents. À l'horizon 2020 -ce n'est pas dans le présent projet de loi, ce n'est pas demain matin- si nous avons réussi à en créer les conditions, nous supprimerons les conseils départementaux. Six ans pour y réfléchir, est-ce trop peu ?

Oui, des services seront appelés à se regrouper. Oui, certaines capitales régionales perdront ce statut. Si on le refuse, on ne peut faire aucune réforme ! On ne peut exiger 100 milliards d'euros d'économies sans réorganisation territoriale. Nous, nous ferons 50 milliards parce que la situation de notre pays, grave, l'exige.

Avec de grandes régions, on craint l'absence de proximité. C'est oublier que les intercommunalités peuvent évoluer, ainsi que l'organisation de l'État et les relations entre collectivités territoriales. Votre argument revient à dire qu'il ne faut rien changer ! Dans votre petit canton de Saint-Pois, monsieur Bas...

M. Jean-Pierre Raffarin.  - Il n'y a pas de « petits cantons » !

M. Bernard Cazeneuve, ministre - Dans le célèbre canton de Saint-Pois, vous avez Cherbourg-Octeville au nord, Saint-Lô à l'est, Coutances à l'ouest et, pour le reste, une poussière de petites intercommunalités. Ne pensez-vous pas que les services pourraient être mieux rendus dans la Manche, que l'on répondrait plus efficacement aux besoins des citoyens en renforçant les intercommunalités ?

M. Philippe Bas.  - Qui le conteste ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je suis convaincu qu'un chemin existe pour trouver un consensus et faire aboutir cette réforme que le pays attend depuis longtemps et que les gouvernements précédents n'ont pas faite. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale.  - La commission attend la réponse : y aura-t-il deux lectures dans chaque chambre ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Je me suis exprimé devant la commission des lois. Les comptes rendus des réunions font foi. Contrairement à ce que j'ai observé ici, entre hier et aujourd'hui, nous ne varierons pas de position. Il n'y a pas de revirement à attendre du Gouvernement. (Marques d'ironie à droite)

Prochaine séance aujourd'hui, vendredi 4 juillet 2014, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques