ANNEXE 1 : PLAN ANGLAIS DE LUTTE CONTRE LE RADICALISME :

Les combattants à l'étranger - Notes pour l'intervention de Sir Peter Ricketts, Ambassadeur du Royaume-Uni en France, devant la commission d'enquête du Sénat sur les réseaux djihadistes.

Les événements de Paris ont mis en relief le besoin qui est le nôtre de collaborer entre européens pour faire face et s'opposer à l'extrémisme et au terrorisme sous toutes leurs formes et pour en venir à bout, tout en relevant la tête pour prendre fait et cause en faveur de nos valeurs fondamentales. Je suis heureux que le Royaume-Uni collabore aussi étroitement avec la France dans la lutte contre le terrorisme. Cette relation nous est extrêmement précieuse. Comme vous, nous sommes confrontés à toute une série de menaces sérieuses pour notre sécurité nationale, menaces qui émanent de ceux qui sont allés combattre à l'étranger comme de tous ceux qui tirent leur inspiration de groupements tels qu'ISIL et Al Qaeda.

Le problème ne cesse de s'aggraver de jour en jour. Bien que nous ne publiions pas d'éléments d'information sur les combattants à l'étranger comme on le fait en France, nous estimons que ce sont plusieurs centaines de ressortissants britanniques qui se sont rendus dans la région pour rejoindre des groupes terroristes, et qu'ils sont pour le moment jusqu'à 300 à être revenus au Royaume-Uni.

Certains de ces individus peuvent être revenus désabusés - ou même traumatisés - par ce qu'ils ont vécu là-bas, mais bon nombre d'entre eux constituent une menace continuelle. Pour les organismes chargés de notre sécurité nationale, garder à l'oeil ces combattants qui reviennent constitue un défi de première grandeur. Ces derniers mois, nos services ont déjà déjoué un certain nombre d'attentats fomentés par des djihadistes.

Naturellement, cela ne représente que la partie visible de l'iceberg. Nous sommes aussi préoccupés par la radicalisation d'individus vulnérables à travers les mosquées, le système pénitentiaire ou tout simplement à travers Internet, avec les risques que cela va vraisemblablement poser pour les intérêts du Royaume-Uni, que ces individus restent sur le territoire britannique ou à l'étranger.

C'est sur ce problème que se concentre une part importante de la stratégie anti-terroriste du Royaume-Uni. Notre législation en la matière est d'une large portée, puisqu'elle inclut aussi le financement du terrorisme et sa promotion ou son apologie. Une bonne part de la législation que nous avons mise en place vise des types d'action bien déterminés, et nous bénéficions à cet égard de l'expérience qui a été la nôtre en Irlande du Nord. Nous avons procédé à des ajustements majeurs dans notre panoplie antiterroriste depuis le 11 septembre et aussi depuis les attentats du 7 juillet 2007 à Londres. Les activités de nos services de renseignement sont placées sous la tutelle des Commissaires du renseignement et de la Commission parlementaire du renseignement et de la sécurité, et elles sont encadrées par des règles législatives qui sont en parfaite conformité avec les engagements du Royaume-Uni en matière de droits de l'homme. Cela comprend des directives très explicites pour la conduite de nos agents de renseignement dans leur travail au jour le jour.

La plus récente de nos lois antiterroristes - la loi de 2015 sur le contre-terrorisme et la sécurité - est entrée en vigueur la semaine dernière et se concentre sur le problème des individus partis combattre à l'étranger. Il s'agit d'une législation importante puisqu'elle va rendre plus difficile la possibilité de partir combattre à l'étranger et de revenir ensuite au pays. Elle va nous rendre mieux à même de surveiller et de contrôler les agissements de ceux qui constituent une menace, tout en nous aidant à mieux combattre l'idéologie qui nourrit, appuie et entérine le terrorisme.

Cette législation nous permet aussi de prononcer des ordonnances d'exclusion temporaire qui vont gêner le retour au Royaume-Uni de ressortissants britanniques soupçonnés d'avoir participé à des activités terroristes à l'étranger. Cela ne veut pas dire que ces individus vont devenir un problème pour d'autres pays. Nous allons collaborer étroitement avec nos partenaires, y compris la France, pour organiser le retour au Royaume-Uni de ce type d'individus dans des conditions sûres et bien maîtrisées. Nous ne nous attendons qu'à un nombre très réduit de cas de ce genre chaque année.

Nous avons aussi renforcé les possibilités qui étaient déjà les nôtres de confisquer les passeports à la frontière et de restreindre à titre temporaire les activités des individus préoccupants qui cherchent à quitter le Royaume-Uni pendant que des enquêtes plus poussées sont menées. Notre ministre de l'Intérieur est aussi habilité à déplacer ceux qui tombent sous le coup de mesures de prévention et d'investigation du terrorisme - comme le font en France les mesures d'assignation à résidence - et d'exiger d'eux qu'ils se soumettent à des entretiens avec des agents de probation et autres au titre de la prise en charge de la situation individuelle de ces individus.

Notre législation s'adapte aussi aux mutations actuelles du milieu terroriste, et notamment aux moyens par lesquels les terroristes communiquent entre eux. Nous allons améliorer les capacités qui sont celles de la force publique pour identifier le module informatique précis à partir duquel une communication a été envoyée sur Internet ou qui a fourni l'accès à un service de communication en ligne. Cela veut dire, techniquement parlant, que nous cherchons à pouvoir accoler une adresse Internet à un individu.

La capacité d'accès aux communications et leur interception ont un rôle crucial à jouer si nous voulons que nos services de sécurité et de renseignement combattent la délinquance et protègent le public. L'été dernier, le parlement britannique a adopté une loi sur la conservation des données et les pouvoirs d'investigation. Nous considérons qu'en l'absence de cette loi, il y aurait eu des lacunes majeures dans nos pouvoirs d'investigation et que des vies auraient été mises en danger.

Cette loi prévoit explicitement que quiconque fournit un service de communication à des clients résidant au Royaume-Uni (et quel que soit le pays à partir duquel est fourni ce service) - est tenu de se conformer aux exigences légitimes posées par la loi de l'an 2000 sur la règlementation des pouvoirs d'investigation.

La loi de 2015 se substitue en outre aux règlementations en vigueur selon lesquelles les entreprises domiciliés au Royaume-Uni peuvent être obligées de conserver certains types de données relatives à leurs communications pendant des périodes allant jusqu'à 12 mois, afin qu'elles puissent ultérieurement être communiquées aux autorités publiques et être utilisées comme éléments de preuve.

La loi de 2015 prévoit aussi des garanties supplémentaires s'agissant de l'utilisation des pouvoirs d'investigation, qui s'ajoutent à un dispositif déjà très strict, en réponse aux critiques émises par la Cour européenne de Justice. En parallèle avec cette loi, le gouvernement met en place un ensemble de mesures pour garantir que les droits du public à la sécurité et au respect de la vie privée sont également protégés.

Le Royaume-Uni s'est, depuis bien des années, engagé dans la prévention en amont, y compris par des programmes de déradicalisation et en encourageant le public à s'élever contre les discours de haine diffusés par les terroristes. Nous avons maintenant décidé de faire de Channel («le Canal») - un programme facultatif organisé par la police, les associations et les collectivités locales à l'intention des personnes exposées au risque de radicalisation - une obligation légale pour les institutions publiques, afin qu'il soit généralisé à l'ensemble du territoire.

À travers la nouvelle législation, nous avons aussi élargi le domaine de compétence de l'Observatoire indépendant de la législation sur le terrorisme et nous avons permis la mise en place d'un Conseil du respect de la vie privée et des libertés publiques destiné à l'appuyer.

Je voudrais m'étendre sur deux aspects de la politique antiterroriste britannique qui ont aussi figuré en bonne place dans le débat sur les mesures à prendre en France à la suite des attentats de Paris: les moyens de lutter contre la radicalisation, tant en prison que par le biais d'Internet.

Pour lutter contre la menace posée par l'extrémisme islamique ces dernières années, notre Service national d'encadrement des délinquants (NOMS) a mis en place un vaste programme pour faire face aux comportements déviants et pour empêcher les autres de se radicaliser en prison. Cela comporte des échanges de renseignements effectifs et bien développés entre toutes les autorités publiques, ainsi que des dispositifs de notification bien organisés au sein même des prisons, afin de fournir un état détaillé des risques, ce qui nous permet d'encadrer étroitement les détenus préoccupants.

Dans nos prisons, nos aumôniers musulmans ont un rôle crucial à jouer pour garantir que les détenus ont une bonne compréhension de leur foi comme pour relever et redresser toute dénaturation de celle-ci. C'est vers eux que peuvent converger les questions de nature théologique, ce qui peut empêcher d'autres détenus musulmans de s'arroger une autorité religieuse qu'ils ne détiennent pas. Ces aumôniers sont encouragés à mettre en question les déformations et les dérives, et à prendre le contre-pied des discours extrémistes.

Le travail infatigable et la vigilance des gardiens de prison, s'agissant de la détection précoce des risques, ont eux aussi un rôle crucial à jouer dans la réussite de notre programme anti- extrémiste. Nous fournissons aux personnels exposés à des condamnés extrémistes une formation spéciale en matière de renseignement. Tous les gardiens, lors de leur recrutement, sont systématiquement formés à détecter les symptômes d'extrémisme.

Une vaste gamme de mesures concernant les détenus extrémistes a été mise en place. Elle comprend notamment :

- la bonne évaluation des risques présentés par les délinquants impliqués dans des activités extrémistes afin d'établir la motivation, la capacité et les intentions sous-jacentes de la délinquance extrémiste ;

- une large gamme d'interventions et programmes pédagogiques en matière de comportement, de théologie et de motivations visant les ressorts de la délinquance extrémiste. Il s'agit notamment du dispositif pédagogique Tarbiyah qui doit permettre aux détenus musulmans de mieux comprendre leur religion, et de s'en prendre dès le début aux questions qui débouchent sur des dérives en matière d'interprétation des préceptes religieux. Ce sont plus de 2 200 détenus qui jusqu'à présent ont bénéficié de ce programme ;

- l'observation et l'évaluation constantes par des personnels spécialisés, y compris les aumôniers, pendant toute la durée de la peine des condamnés susceptibles d'être attirés dans l'extrémisme.

L'abondance de la propagande liée au terrorisme à laquelle les particuliers peuvent accéder via Internet, et notamment les réseaux sociaux, a atteint des dimensions sans précédent. Il s'agit pour une bonne part d'éléments de communication sophistiquée émanant de groupements comme ISIL qui encouragent les personnes vulnérables à se rendre dans des zones de conflit comme la Syrie et l'Irak. Le Royaume-Uni se focalise sur l'impératif qu'il y a à éliminer sans délai les contenus en ligne de type terroriste, et de collaborer avec les professionnels du secteur informatique pour s'assurer que ces contenus sont bien éliminés. Cela veut dire que l'on restreint l'accès aux contenus de nature terroriste et extrémiste et que l'on renforce la capacité des groupements de la société civile à promouvoir des solutions de remplacement positives. Les partenaires étrangers du Royaume-Uni se sont montrés sérieusement intéressés par l'approche qui est la nôtre pour réduire le risque posé par les contenus en ligne de nature terroriste et extrémiste.

Nos relations avec les plateformes de réseaux sociaux s'améliorent, avec pour effet la suppression plus rapide d'une plus grande quantité de contenus. J'ai été heureux d'apprendre que nous avons agi en liaison avec les autorités françaises et que nous avons réussi à assurer la suppression de certains contenus en ligne relatifs aux attentats de Paris.

Il nous faut, toutefois, en faire davantage. Au Royaume-Uni, l'Unité de lutte contre le terrorisme sur Internet (CTIRU) - analogue au PHAROS - collabore avec les grands réseaux sociaux et elle a réussi à faire supprimer plus de 72 000 contenus de type terroriste depuis février 2010. Nous n'obligeons pas les entreprises à supprimer ces contenus. Les plateformes coopèrent de leur plein gré.

À la suite des attentats de Paris, les Ministres de l'Intérieur de l'UE se sont montrés réceptifs à l'idée que les Etats-membres devraient examiner la possibilité d'établir une unité européenne fondée sur le modèle de la CTIRU pour porter certains contenus à l'attention des réseaux sociaux aux fins de suppression. Pareille unité pourrait être créée au sein d'Europol. Cela réduirait notablement la possibilité d'accès aux contenus terroristes et extrémistes en langue anglaise comme dans d'autres langues. Nous serions heureux que vous manifestiez votre soutien et votre participation pour que cela devienne une réalité.

Vu le bilan positif, jusqu'à présent, de l'approche britannique, nous ne croyons pas qu'une législation à l'échelle européenne s'impose nécessairement. Nous avons réussi à encourager les plateformes à supprimer des contenus en s'appuyant sur leurs propres conditions générales de fourniture de services plutôt qu'en recourant à la législation et, vu le caractère d'urgence d'une riposte, nous proposons d'adopter la même approche à l'échelle de l'UE. Des mesures législatives prendraient davantage de temps et pourraient avoir des conséquences pour la liberté d'expression.

Je voudrais conclure en énumérant succinctement devant vous les principales dispositions de la panoplie institutionnelle britannique qui ont suscité tant d'intérêt en France - la déchéance de nationalité et les mesures d'expulsion/éloignement avec garanties.

Notre Ministre de l'Intérieur est habilité à déchoir, par décret, toute personne de sa nationalité britannique sous toutes ses formes si elle est impliquée :

- dans des activités contraires à la sécurité du pays, y compris l'espionnage et les agissements terroristes visant notre pays ou une puissance alliée ;

- dans des comportements inacceptables tels que l'apologie du terrorisme ;

- dans des crimes de guerre ;

- dans des activités criminelles graves et dans le crime organisé.

Lorsque l'on cherche à priver un individu de la nationalité britannique au motif que cette déchéance «relève de l'intérêt public», la loi exige que cela ne puisse se faire que si l'individu concerné ne se retrouve pas apatride. Cela signifie, pratiquement, que l'individu doit détenir à la fois la citoyenneté britannique et celle d'un autre pays, de sorte qu'une fois déchu de la nationalité britannique il se retrouve citoyen seulement de cet autre pays et ne devienne pas apatride du fait de la perte de la nationalité britannique.

Une fois déchu, l'individu concerné est soumis au régime de l'immigration et il peut être déporté ou expulsé du Royaume-Uni, ou empêché d'y revenir si la déchéance est prononcée alors qu'il se trouve à l'étranger.

L'individu dispose d'un droit d'appel contre cet avis, qui peut se fonder tant sur sa légalité que sur la nature des arguments sur laquelle se fonde la décision ministérielle. L'exercice par un individu de ce droit d'appel n'empêche pas que, tant que l'appel est pendant, il puisse être frappé d'une mesure de déchéance, ni que celle-ci soit suivie de mesures de la part des services d'immigration.

Lorsqu'un individu prétend qu'il existe un risque pour ses droits fondamentaux (par exemple au titre de l'art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme) nous pouvons recourir à l'expulsion/éloignement avec garanties pour éloigner les personnes hors du territoire britannique en conformité avec les engagements internationaux qui sont actuellement les nôtres.

Les garanties que nous obtenons signifient qu'il n'existe aucune raison sérieuse pour croire qu'un individu risque d'être effectivement exposé dans son pays à des traitements contraires à ces droits fondamentaux.

Nous avons négocié des accords de garanties avec l'Algérie, l'Ethiopie, la Jordanie, le Liban et, plus récemment, avec le Maroc. Nous avions aussi conclu un accord avec la Libye à l'époque de Kadhafi mais il a été rejeté par les tribunaux britanniques - qui n'étaient pas certains que l'on pouvait compter sur ce régime pour tenir ses engagements - et qui n'est pas utilisé en ce moment.

Les individus concernés seront en droit de faire appel contre la mesure d'expulsion/éloignement devant un tribunal administratif spécial, le SIAC, devant lequel nous pourrons recourir à des éléments d'information réservés - c'est-à-dire des éléments de preuve comportant des informations «sensibles» émanant souvent des services de renseignement. Les individus concernés ne pourront pas avoir accès à ces informations secrètes, mais ils auront la possibilité de designer des «défenseurs spéciaux » approuvés par les services de sécurité pour les représenter lors de ces audiences à huis clos.

Jusqu'à présent, ce sont 12 personnes qui ont été éloignées du Royaume-Uni en vertu de ces compétences, y compris Abou Qatada. Celui-ci a fait appel devant la Cour européenne des droits de l'homme mais le concept même de d'expulsion/éloignement avec garanties a reçu l'aval de Strasbourg.

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