B. DES RÉPONSES IMPARFAITES À LA DÉLINQUANCE DES JEUNES PLACÉS SOUS PROTECTION JUDICIAIRE

Tous secteurs confondus, 150.000 jeunes sont pris en charge en permanence dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse. Le secteur habilité assure près des trois quarts des prises en charge et près de 95 % des mesures de placement. Compte tenu des mouvements intervenus en cours d'année (entrées en sorties), près de 255.000 jeunes ont été suivis en 1998 par ces services.

La plupart sont en milieu ouvert (78 % des prises en charge dans le secteur habilité et plus de 92 % dans le secteur public). Le secteur public intervient en priorité pour les mineurs délinquants et pour les " grands adolescents " (mineurs âgés de 13 à 18 ans). Le secteur habilité réalise l'essentiel de son activité en assistance éducative. En effet, le secteur public est le seul habilité à exercer les mesures pénales et les peines ordonnées à l'égard des mineurs, à l'exception du placement et des mesures de réparation.

1. Une détresse physique et psychologique

L'année dernière, votre rapporteur s'était inquiété des handicaps sociaux très importants et du mauvais état de santé des mineurs pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. La violence fait partie de la vie quotidienne des jeunes sous protection judiciaire : autant les conduites violentes (racket, vol, bagarres...) que les violences subies, physiques ou sexuelles. La tentative de suicide, violence sur soi, et la fugue, comportement d'éviction, sont très fréquents.

En particulier, une étude réalisée en 1998 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) montrait que la tentative de suicide concernait 12% des garçons et 49 % des filles placés sous protection judiciaire, la fugue un quart des garçons et deux cinquièmes des filles, les agressions physiques 41% des garçons et 55 % des filles.

Votre commission des Lois en concluait que la protection physique et psychologique de ces jeunes n'était pas assurée , un quart des garçons et un sixième des filles ayant eu au moins trois accidents au cours de l'année écoulée. Votre rapporteur ne peut que renouveler son inquiétude face aux conditions dans lesquelles sont pris en charge les mineurs placés sous protection judiciaire.

2. Un système de protection de l'enfance perfectible

A cet égard, le rapport 6 ( * ) des Inspections générales des affaires sociales et des services judiciaires, consacré aux accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents, remis en juin 2000, souligne les insuffisances du système français de protection de l'enfance et de la famille.

Le rapport attire l'attention sur la perméabilité entre les différents dispositifs , protection administrative, protection judiciaire et dispositifs alternatifs : la " triple habilitation " de certains établissements (comme institut de rééducation 7 ( * ) par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, au titre de l'aide sociale à l'enfance par le Conseil général et par la protection judiciaire de la jeunesse) autorise ce que résume ce propos tenu par le directeur d'un tel établissement : " le même jeune peut faire dix ans dans mon établissement avec trois bonnes raisons successives pour y être placé ; comme on manque de places, cela arrange tout le monde ".

S'agissant plus particulièrement de la justice, ce rapport constate l'existence de pratiques très différentes d'un juge des enfants à l'autre , voire, au sein d'un même département, d'un tribunal pour enfants à l'autre. Il note que les rapports au sein des services de la justice, entre la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse, l'administration pénitentiaire, le parquet, le tribunal pour enfants, les juges aux affaires familiales et les juges des tutelles sont de qualité très inégale et que rares sont les réunions régulières entre eux.

Les juridictions des mineurs utilisent encore peu les outils leur permettant d'évaluer les conséquences de leurs décisions et les parquets sont le plus souvent dans l'impossibilité d'indiquer le nombre d'ordonnances de placement provisoire qu'ils ont prises ou le nombre de dossiers qu'ils ont ouverts sur tel ou tel secteur.

S'agissant des prises en charge, les auteurs du rapport déplorent que le choix de la mesure éducative soit trop souvent guidé par la seule alternative entre action éducative en milieu ouvert (AEMO) et placement ; rares sont en effet les doubles mesures, placement et AEMO, ordonnées par les juges des enfants. Ainsi, l'AEMO est le plus souvent citée comme seule mesure de prévention au placement. Or, sachant qu' un éducateur prend en charge en moyenne 35 mesures 8 ( * ) , et qu'il doit partager son temps entre le travail dans les familles, les déplacements et les travaux administratifs, on ne peut que s'interroger sur la possibilité de faire évoluer une situation familiale en intervenant aussi peu de temps auprès des parents et des enfants.

* 6 " Accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille ", rapport présenté par M. Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales et M. Bruno Cathala, inspecteur des services judiciaires, en collaboration avec M. Jean-Marie Deparis, inspecteur des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

* 7 Les instituts de rééducation sont des établissements médico-sociaux prenant en charge des enfants et adolescents souffrant de troubles du comportement.

* 8 Le taux d'encadrement est de 33 jeunes pour un éducateur dans le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.

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