II. CONSOLIDATION DE L'AUTONOMIE DE SCIENCES PO : CONSÉQUENCES SUR LE RECRUTEMENT DE L'INSTITUT D'ÉTUDES POLITIQUES DE PARIS

A. UNE AUTONOMIE REVENDIQUÉE DEPUIS L'ORIGINE

Créée en 1872 par Émile Boutmy à la suite de la faillite de l'Empire libéral et de la défaite de Sedan, sous l'impulsion d'intellectuels comme Taine et Renan, l'École libre des sciences politiques avait, dès son origine, vocation à former les élites politiques, économiques et administratives de la République.

La préoccupation permanente des responsables de Sciences Po fut d'ouvrir l'école sur le monde par la modernisation incessante des méthodes et des matières à enseigner mais également par une large ouverture à des étudiants de toutes origines. Nous constatons une nouvelle étape : cent trente ans plus tard, Sciences Po souhaite démocratiser le recrutement de ses élèves en s'ouvrant aux bacheliers méritants des zones d'éducation prioritaire.

1. De l'Ecole libre à Sciences Po : une recherche continue de l'autonomie

a) L'ordonnance du 9 octobre 1945 : la création de l'IEP et de la FNSP

Compte tenu du rôle joué par l'École libre dans la formation des hauts fonctionnaires de l'État, le Général de Gaulle, inspiré par Michel Debré et Jean-Marcel Jeanneney, prend la décision d'intégrer celle-ci dans le cadre du service public de l'enseignement supérieur, tout en préservant son autonomie : l'ordonnance n° 45-2284 du 9 octobre 1945 crée ainsi la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), fondation de droit privé, à laquelle est confiée la gestion de l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), ces deux éléments indissociables constituant ce qu'il est convenu d'appeler « Sciences Po ».

b) La loi d'orientation de 1968 : l'IEP détaché de l'Université de Paris

La loi d'orientation, dite Edgar Faure de 1968, proposée par le gouvernement Couve de Murville après les événements de 1968, tend encore à accentuer l'indépendance de l'IEP de Paris en détachant celui-ci de l'Université de Paris, qui est elle-même organisée en plusieurs établissements dotés d'un statut d'autonomie.

c) La loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur : la spécificité des grands établissements

A l'initiative d'Alain Savary, ministre de l'éducation nationale du gouvernement Mauroy, celui-ci dépose le projet de loi sur l'enseignement supérieur qui deviendra la loi du 26 janvier 1984.

Au terme de son article 37, l'IEP de Paris est rangé dans la catégorie des « grands établissements », celle-ci englobant également l'École des Chartes, le Conservatoire national des arts et métiers, le Collège de France, l'Observatoire de Paris et l'ENSAM. Il s'agissait là de consacrer la singularité d'un certain nombre d'institutions anciennes, prestigieuses ou spécifiques, échappant au régime de droit commun des Universités.

Selon l'article 37, ces grands établissements, comme d'ailleurs les Ecoles normales supérieures et les Ecoles françaises à l'étranger, bénéficient de « règles particulières d'organisation et de fonctionnement (...) dans le respect des principes d'autonomie et de démocratie définis par la présente loi ».

En conséquence, des décrets en Conseil d'État pourront déroger aux dispositions des articles 20 à 23 de la loi de 1984, définissant les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de droit commun, des articles 38 à 48 précisant la composition des conseils, le régime financier, les relations extérieures, le contrôle administratif et financier des universités et de l'article 67 permettant à ces établissements de passer du statut de la loi d'orientation de 1968 à celui de la loi de 1984.

d) Le décret aujourd'hui contesté du 10 mai 1985

Au titre de l'article 37 de la loi de 1984, l'IEP de Paris se voit ainsi reconnaître une large autonomie. Celle-ci sera consacrée par le décret du 10 mai 1985, et notamment par son article 5 qui confère au conseil de direction de l'Institut compétence pour fixer les conditions d'admission des élèves et l'organisation des études.

e) La loi du 2 juillet 1998 : la confirmation de l'autonomie financière et de gestion de la FNSP

Complétant l'ordonnance fondatrice de 1945, une disposition de la loi du 2 juillet 1998, codifiée à l'article L.758-1 du code de l'éducation, dispose que la Fondation nationale des sciences politiques « assure la gestion administrative et financière de l'Institut d'études politiques de Paris. Elle fixe notamment les moyens de fonctionnement de l'Institut et les droits de scolarité pour les diplômes propres... »

2. Sciences Po aujourd'hui : une institution incontournable et une autonomie justifiée

Avant d'analyser la réforme proposée par l'article 12 du projet de loi, il convient très brièvement de rappeler l'importance de Sciences Po, qui justifie d'ailleurs son statut particulier et son autonomie.

a) Quatre missions essentielles

Géré par des instances dirigeantes (conseil d'administration de la FNSP et conseil de direction de l'IEP) qui définissent la politique pédagogique et scientifique de l'établissement, Sciences Po propose aujourd'hui :

- des formations universitaires à destination des étudiants du 1 er cycle jusqu'au doctorat et des actions de formation professionnelle continue ;

- un pôle de recherche scientifique en science politique, sociologie, économie et affaires internationales, avec son école doctorale et ses huit centres de recherche ;

- un centre de documentation en sciences sociales et humaines avec 820 000 volumes, 6 000 abonnements périodiques et 16 000 dossiers de presse ;

- les Presses de Sciences Po, spécialisées en sciences sociales et humaines, qui éditent six revues, disposent de 750 titres en catalogue et publient 30 nouveaux ouvrages par an.

b) L'admission et l'organisation de la scolarité : des procédures diversifiées

Le premier cycle comporte trois années, dont la dernière se déroule désormais à l'étranger : l'accès en première année se fait par examen, sauf entrée directe pour les bacheliers ayant obtenu une mention « très bien », après examen du dossier du candidat.

L'accès au cycle du diplôme, c'est-à-dire en 4 e année est conditionné à la réussite à un examen pour les candidats titulaires d'un diplôme sanctionnant au moins trois ans d'études supérieures, ou ayant acquis au moins cinq ans d'expérience professionnelle.

Le diplôme est obtenu à l'issue de la 5 e année.

c) Les formations post-diplôme et la recherche

- Sciences Po prépare chaque année plus de 250 étudiants aux concours de la haute fonction publique française et européenne : ENA, ENM, administration territoriale, Affaires étrangères, Commission européenne, Parlement européen, mais aussi Assemblée nationale et Sénat...

- L'Ecole doctorale comprend 60 universitaires, 500 doctorants des cycles supérieurs d'études européennes et américaines et propose 7 DEA et 5 DESS.

- Les huit centres de recherche regroupent 250 chercheurs, les plus connus étant l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le Centre d'étude de la vie politique française (CEVIPOF), le Centre d'études et de recherche internationales (CERI), le Centre de sociologie des organisations (CSO)...

- Sciences Po propose un MBA et un centre de formation continue qui accueille environ 8 000 stagiaires par an.

d) L'ouverture sur l'international

Sciences Po accueille 1 000 étudiants étrangers par an, soit 25 % du total de ses étudiants.

Un partenariat a été engagé avec 190 universités étrangères. Ses étudiants doivent effectuer leur troisième année d'étude à l'étranger.

Les enseignants étrangers constituent le quart du corps enseignant et la semestrialisation des enseignements facilite la mobilité des enseignants et des étudiants.

Enfin, le positionnement du diplôme à bac + 5 permet de développer les équivalences et les échanges européens.

e) Des moyens importants

Avec 4 000 étudiants, 1 200 maîtres de conférence, 500 salariés de droit privé, Sciences Po dispose d'un budget de près de 400 millions de francs, dont 8 millions de francs sont consacrés à l'aide sociale aux étudiants (exonération de droits d'inscription, bourses de scolarité, aide à la mobilité internationale...)

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