VI. LA REFONTE DU DISPOSITIF D'AIDE JURIDICTIONNELLE : UNE RÉFORME TRÈS ATTENDUE

A. UNE STABILISATION DES ADMISSIONS APPELÉES TOUTEFOIS A AUGMENTER MÉCANIQUEMENT

Le nombre des admissions au bénéfice de l'aide juridictionnelle n'a cessé de croître depuis 1991, dernière année de mise en oeuvre de l'ancien dispositif de l'aide juridictionnelle, jusqu'en 1997, passant de 348.587 à 709.606, soit une augmentation de 103 % en six ans.

Depuis lors, ce nombre tend toutefois à se stabiliser, voire à se réduire (704.650 en 1999 contre 698.779 en 2000), comme le montre le graphique ci-dessous :



Source : infostat justice septembre 2001, n° 60

En revanche, la lente décroissance observée depuis 1998 se confirme pour l'année 2000, qui enregistre une baisse de 6.000 admissions par rapport à 1999 . Cette évolution fait ressortir en revanche une hausse des aides concernant les mineurs 123( * ) , les contentieux administratifs et les contentieux relatifs aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers corrélée à une baisse plus importante des admissions en matière civile et devant les tribunaux correctionnels 124( * ) . Notons toutefois l'amplification de l'effet de ciseau qui résulte d'une baisse des admissions en matière civile (- 2,6 %) et d'une hausse des admissions en matière pénale (+ 1,8 %).

Cette situation a donc permis de prévoir une stabilisation de la dotation budgétaire consacrée à l'aide juridictionnelle , qui s'est élevée en 2000 à 188 millions d'euros, soit un montant inférieur à la dotation prévue en loi de finances 2001 (235,32 millions d'euros).

Toutefois, l'extension du champ de l'aide juridictionnelle ayant résulté des réformes récentes rend prévisible une augmentation de la dotation budgétaire consacrée à l'aide juridictionnelle .

La loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution des conflits amiables a étendu l'application de l'aide juridictionnelle à plusieurs domaines : lors de toutes les transactions intervenues avant l'introduction de l'instance afin de favoriser l'accès des plus démunis à des modes non contentieux de traitement des conflits, en matière de médiation pénale, ainsi que lors des contentieux devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires.

On peut regretter que les décrets permettant à ces dispositions d'entrer en vigueur n'aient été publiés qu'au cours de l'été 2001, soit deux ans et demi après la promulgation de la loi du 18 décembre 1998 précitée 125( * ) .

La loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence a élargi le champ d'application de l'aide juridictionnelle en réformant les modalités d'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue 127( * ) et en prévoyant l'intervention de ce dernier lors des différents débats contradictoires liés à la juridictionnalisation de l'application des peines, et lors de l'assistance aux détenus faisant appel des décisions rendues par les cours d'assises.

En outre, des admissions supplémentaires sont également susceptibles de résulter de la revalorisation des plafonds de ressources fixés pour l'admission à l'aide juridictionnelle intervenue en 2001 (+ 4,2%). En effet, pour la première fois, en 2001, la Chancellerie a consenti à un relèvement de ces plafonds de ressources s'élevant désormais à 5.175 francs par mois pour l'aide totale et à 7.764 francs par mois pour l'aide partielle, afin de remédier à la hausse significative des rejets des demandes d'aide juridictionnelle, motivée principalement par des dépassements des seuils d'admission.

Notons que de 1992 128( * ) à 2001, l'évolution des plafonds de ressources, calquée sur la progression de la tranche la plus basse du barème de l'impôt sur le revenu, augmentait très lentement. Notons également que la revalorisation opérée depuis 2001 s'ajoute à la progression résultant du dispositif d'indexation prévu par la loi de 1991.

D'après les informations fournies par la Chancellerie à votre rapporteur pour avis, une hausse similaire des plafonds était envisagée pour 2002, cependant au cours de son audition devant votre commission des Lois, Mme Marylise Lebranchu a annoncé qu' aucune revalorisation de ces plafonds n'interviendrait.

B. LE PROTOCOLE D'ACCORD DU 18 DÉCEMBRE 2000 ET LES PRINCIPALES CONCLUSIONS DU RAPPORT BOUCHET

Bien que la dotation budgétaire soit essentiellement consacrée à la rétribution des avocats par le biais des sommes versées aux caisses de règlements pécuniaires des avocats (CARPA), l'insuffisance de cette indemnisation a révélé les limites du dispositif d'aide juridictionnelle mis en place par la loi du 10 juillet 1991.

Mécontents de la faible revalorisation de l'unité de valeur intervenue depuis la mise en oeuvre de la réforme de 1991, l'ensemble des avocats a exprimé son insatisfaction en engageant un mouvement de grève générale en novembre et décembre 2000.

En effet, le montant de l'unité de valeur (UV) de référence fixé à 19,06 euros (soit 125 francs) en 1992, s'est élevé à 19,51 euros (soit 128 francs) en 1993, 19,82 euros (soit 130 francs) en 1995, 20,12 euros en 1998 et 20,43 euros (soit 134 francs) en 2000 . Aucune revalorisation n'est intervenue en 2001. Depuis 1992, la progression de ce montant s'est limitée à 7,2 %, correspondant en réalité à une baisse en francs constants 129( * ) . Ce montant concerne les missions d'aide juridictionnelle partielle.

S'agissant de l'aide juridictionnelle totale, le montant de l'unité de valeur de référence fait l'objet d'une majoration pour chaque barreau en fonction du volume des missions effectuées au titre de l'aide juridictionnelle au cours de l'année précédente au regard du nombre d'avocats inscrits au barreau. Le montant prévisionnel moyen de l'unité de valeur est pour 2000 de 21,95 euros (soit 144 francs).

De plus, les modalités de calcul de la rétribution allouée à l'avocat sont apparues trop rigides , ne permettant pas la prise en compte de la réalité du travail accompli. En effet, chaque type de procédure correspond à un barème attribuant un nombre défini d'unités de valeurs et donnant lieu à une rémunération forfaitaire , quels que soient le temps effectivement passé par l'avocat et la difficulté de la procédure 130( * ) .

Cette vague de protestation, relayée par l'ensemble des représentants de la profession, soutenue par les magistrats, a conduit la Chancellerie à conclure un protocole d'accord le 18 décembre 2000 avec les organisations professionnelles représentant les avocats afin de prévoir des mesures d'urgence revalorisant la rémunération accordée aux avocats, dans l'attente d'une réforme globale de l'ensemble du dispositif.

§ En premier lieu, un décret du 17 janvier 2001, a donc été pris pour appliquer les mesures d'urgence prévues dans le protocole d'accord afin de :

- revaloriser le barème des procédures concernant sept domaines contentieux particulièrement importants :  en matière de divorce et autres instances devant le juge aux affaires familiales, d'assistance éducative, de reconduite à la frontière, de baux d'habitation, de procédures correctionnelles, de procédures devant le juge de l'exécution, de contentieux devant le conseil de prud'hommes 131( * ) ;

- revaloriser le barème prévu pour l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue , afin de tenir compte de l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 132( * ) .

Notons que l'application de ces mesures intervient en deux étapes : au 15 janvier 2001 et au 1 er janvier 2002. Leur coût total est estimé à 56,25 millions d'euros, dont :

- une partie (16,66 millions d'euros) est financée en gestion 2001, sur les disponibilités résultant de la baisse des admissions et du délai de mise en oeuvre des mesures inscrites en loi de finances 2000 et 2001, le décret d'application de la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit n'ayant été publié que tardivement 133( * ) ,

- l'autre partie étant assurée par une mesure d'ajustement prévue par le projet de loi de finances pour 2002 (39,59 millions d'euros).

§ En deuxième lieu, le protocole d'accord a également prévu l'extension de l'aide juridictionnelle à l'assistance aux détenus devant les conseils disciplinaires. L'article 74 du projet de loi de finances pour 2002 134( * ) rend applicable ce point du protocole.

En effet, le Conseil d'Etat 135( * ) a admis que l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrés 136( * ) a permis la présence des avocats aux côtés des détenus faisant l'objet d'une procédure disciplinaire depuis le 1 er janvier 2001.

Aucune disposition n'avait toutefois défini les modalités de financement de cette assistance. Les conseils départementaux d'accès au droit ont financé ces prestations hors de tout cadre légal, et parfois avec difficultés, certains ne disposant plus des crédits suffisants pour mener à bien leurs autres missions. L'article 74 du projet de loi de finances pour 2002 vise donc à remédier à cette situation et à garantir la rétribution effective de l'avocat assistant des détenus faisant l'objet de procédures disciplinaires.

Une enveloppe de 2,2 millions d'euros est donc prévue pour financer cette mesure. Notons que la commission de réforme de l'accès au droit 137( * ) a souligné l'importance de l'assistance aux plus démunis au cours des procédures dans lesquelles il peut être porté atteinte à la liberté individuelle.

§ En troisième lieu, le protocole prévoyait également la création de deux groupes de travail , l'un sur la gratuité des copies de dossier pénaux, qui a débouché sur la publication d'un décret du 31 juillet 2001 instaurant la gratuité de la première copie pénale, l'autre sur l'incidence du taux de la taxe sur la valeur ajoutée sur l'accès au droit et sur l'exercice de la profession d'avocat .

Parallèlement à la signature du protocole, Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, a mis en place une commission de réforme de l'accès au droit et à la justice présidée par M. Paul Bouchet, chargée de formuler des propositions afin d'améliorer le système d'aide juridictionnelle . Le rapport rendu public en mai dernier a proposé trois séries de mesures.

S'agissant de la rémunération des avocats , elle a préconisé la suppression de l'aide juridictionnelle partielle et en contrepartie le relèvement du plafond de l'aide juridictionnelle (qui serait porté à 1.029,03 euros - soit 6.750 francs par mois - soit 120 % du SMIC), estimant qu'un tel dispositif couvrirait un nombre de bénéficiaires à peu près équivalent à celui d'aujourd'hui. Elle s'est également prononcée en faveur de la suppression de l'unité de valeur , jugeant ce système de rémunération opaque. Enfin, elle a proposé de retenir de nouvelles modalités de calcul du forfait prenant en compte la prestation intellectuelle de l'avocat et l'indemnisation de ses frais de fonctionnement. La prestation intellectuelle de l'avocat s'établirait à 33,54 euros de l'heure (220 francs), correspondant à la rémunération nette d'un magistrat ayant dix ans d'ancienneté (compte tenu à la fois des primes et de l'ancienneté).

S'agissant de l'amélioration du dispositif à l'égard du justiciable , la commission Bouchet a proposé une série de mesures destinées à renforcer son information. Le rapport préconise la rédaction de chartes de qualité, le droit à la consultation juridique d'un avocat pour toute personne éligible à l'aide juridictionnelle. Il est également envisagé de rendre obligatoire la conclusion d'un contrat écrit entre l'avocat et son client définissant les droits et devoirs de chacun et indiquant le montant de la rémunération de l'avocat.

Enfin, cette commission a souligné la nécessité de mettre en place un structure de pilotage de la politique d'accès au droit afin de coordonner et d'évaluer et d'associer les différents partenaires concernés.

C. UNE AUGMENTATION SUBSTANTIELLE DE LA DOTATION CONSACRÉE À L'AIDE JURIDICTIONNELLE

A la stabilisation de la dotation consacrée à l'aide juridictionnelle observée les années précédentes succède donc une augmentation substantielle puisqu'elle passe de 235 millions d'euros en 2001 à 279 millions d'euros en 2002 138( * ) (+18%) comme le montre le graphique ci-après :

Source : chancellerie

Un ajustement total de 43,31 millions d'euros est donc prévu, qui se décompose de la manière suivante :

- un ajustement de 39,59 millions d'euros destiné à financer les dispositions du protocole d'accord conclu le 18 décembre 2000 mises en oeuvre par le décret du 17 janvier 2001 139( * ) ;

- une mesure nouvelle de 2,17 millions d'euros destinée à financer l'extension de l'aide juridictionnelle aux procédures disciplinaires des détenus (article 75 rattaché) ;

- une mesure de 1,48 million d'euros destinée à la revalorisation de la rétribution des avoués pour les missions d'aide juridictionnelle devant la cour d'appel 140( * ) ;

- une mesure 80.000 d'euros pour étendre à la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte les décrets du 17 janvier 2001 et du 14 janvier 2001 précités.

On peut noter toutefois que si le projet de loi de finances pour 2002, prévoit une hausse du barème de certaines procédures 141( * ) (voir supra), il n'est en revanche prévu aucune revalorisation du montant de l'unité de valeur proprement dit 142( * ) .

Lors de son audition par votre commission des Lois, Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, a annoncé son intention de déposer un projet de loi global plutôt que de prévoir des mesures d'urgence partielles . La Garde des Sceaux a toutefois reconnu, compte tenu de la surcharge du calendrier parlementaire, que cette réforme ne pourrait pas être adoptée définitivement par le Parlement avant la fin de la législature .

L'ensemble des propositions de réforme de la commission Bouchet fait actuellement l'objet d'une étude approfondie en concertation avec les organismes intéressés. La Garde des Sceaux a affirmé son intention de déposer un avant projet de loi avant le 30 novembre 2001 .

Les représentants des avocats entendus par votre rapporteur ont regretté que l'effort budgétaire en faveur de l'aide juridictionnelle se limite à la stricte application du protocole d'accord signé le 1 er décembre 2000 et qu'aucune provision n'ait été prévue afin d'anticiper la future réforme de l'aide juridictionnelle. Ils ont également vivement regretté qu'aucun avant-projet n'ait été diffusé à ce jour, dénonçant l'inadaptation du système actuel et l'insuffisante revalorisation de leur indemnisation.

En marge de l'aide juridictionnelle, les représentants des avocats se sont déclarés favorables à l'article 76 du projet de loi de finances relatif au financement de la formation professionnelle des avocats ainsi qu'aux modifications apportées au dispositif par l'Assemblée nationale.

Rappelons que votre commission des Lois avait souhaité qu'une réflexion sur les modalités de financement de la formation professionnelle des avocats soit engagée au moment de l'examen de la loi n° 98-388 du 14 mai 1998 portant diverses dispositions relatives à la formation professionnelle des avocats (d'origine sénatoriale 143( * ) ).

Notons que l'article 76 du projet de loi de finances pour 2002 se limite à pérenniser les modalités de financement existant actuellement en leur attribuant un cadre légal.

L'article insère un article 14-1 dans la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques afin de déterminer les sources de financement des centres régionaux de formation professionnelle (CRFPA). Trois modes de financement sont énumérés : une contribution de l'Etat, une contribution provenant des produits financiers des CARPA et enfin une contribution de la profession d'avocat dont le montant, qui ne peut dépasser 11 millions d'euros, est fixé annuellement par le conseil national des barreaux.

Actuellement, seule la contribution de l'Etat figure dans la loi de 1971 (près de 2 millions d'euros). La contribution des avocats (près de 80 %) s'effectue hors de tout cadre légal 144( * ) . Or, un arrêt du 19 juin 2001 de la Cour de cassation a estimé que les CRFPA n'étaient pas autorisés à imposer aux ordres d'avocats le paiement de cotisations destinées au financement de la formation professionnelle. L'article 74 vise donc à donner une base légale à cette modalité de financement 145( * ) et à valider le recouvrement des contributions des barreaux au financement de la formation professionnelle intervenu antérieurement 146( * ) .

L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des finances, a complété ce dispositif :

- afin de préciser que les produits financiers des CARPA constituent la ressource « naturelle » de la formation professionnelle 147( * ) ;

- afin de renvoyer à un décret les conditions dans lesquelles les dépenses supportées par un ordre au profit du centre régional de formation professionnelle seront déductibles de sa participation ;

- afin de compléter les modalités de financement, en ajoutant une ressource résultant de la perception des droits d'inscription mis à la charge des élèves avocats ; l'encadrement des frais d'inscription perçus par les centres régionaux de formation professionnelle étant renvoyé à un décret ; notons que cet ajout permet de donner une base légale à la perception de droits d'inscription mis à la charge des élèves avocats destinés à financer la formation professionnelle largement pratiquée par l'ensemble des barreaux 148( * ) .

Ces dispositions sont le fruit d'une démarche concertée entre l'ensemble des représentants des avocats (le conseil national des barreaux, le barreau de Paris, et la conférence des bâtonniers) et la Chancellerie, permettant ainsi de clarifier les modalités de financement de la formation professionnelle. Votre commission des Lois, qui porte la plus grande attention à la question de la formation professionnelle des avocats, se réjouit de cette avancée.

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