III. LA RÉFORME DONNE-T-ELLE À DCN LES MOYENS DE SA COMPÉTITIVITÉ ?

Depuis plusieurs années, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées exprime sa vive inquiétude sur l'avenir de DCN.

Elle redoute de voir cet outil industriel de haute technicité, qui a notamment permis à la France de construire ses sous-marins nucléaires et le porte-avions Charles de Gaulle, menacé de marginalisation et de lent dépérissement. Par ailleurs, dans le cadre d'un budget d'équipement contraint, le renouvellement et la modernisation des capacités de la Marine, tout comme l'indispensable maintien en condition des bâtiments, exigent une forte amélioration de la compétitivité de ses fournisseurs. Enfin, dans de nombreux pays, les marines cherchent à s'équiper de matériels modernes, et il serait naturel que notre pays occupe une place significative sur ce marché de la construction navale militaire, en particulier au travers de DCN, industriel qui a prouvé sa capacité à maîtriser l'ensemble des opérations de conception, de construction et d'intégration des systèmes les plus complexes en matière navale.

Pour toutes ces raisons, votre commission appelle depuis longtemps à un abandon du statut d'administration , source de handicaps de plus en plus évidents, et à une transformation en véritable entreprise . Aussi ne peut-elle qu'approuver le principe d'un nouveau statut de société de droit privé.

Cette approbation de principe laisse entières certaines réserves, sur le contenu même de la réforme proposée et sur les conditions encore incertaines dans lesquelles elle va s'engager.

A. UNE RÉFORME TARDIVE ET INACHEVÉE

Face à un dispositif proposé en fin de législature et qui fixe une échéance de deux ans pour la transformation de DCN en société, on peut se poser la double question suivante : cette réforme ne vient-elle pas trop tard et va-t-elle assez loin ?

1. Une réforme tardive

Dans un rapport remis au ministre de la défense le 8 février 1996, le groupe de travail relatif à l'avenir de la direction des constructions navales présidé par M. Henri Conze, ancien délégué général pour l'armement, dressait déjà le constat des principaux handicaps liés au statut d'administration de l'Etat :

- « le management ne dispose pas d'une autonomie de gestion en matière de ressources humaines. De façon plus générale, le Service industriel de la DCN n'a pas, dans les faits, l'indispensable maîtrise de ses décisions.

- « la politique d'achats à l'extérieur, qui représentent pourtant 65 % de la production du Service industriel de la DCN, pêche par son manque de souplesse.

- « deuxième entreprise française de défense, le Service industriel de la DCN ne peut ni emprunter, ni placer sa trésorerie... ne peut pas s'allier, ce qui rend difficiles les participations aux groupements industriels nécessitées par les programmes en coopération. Il est contraint à recourir à l'entremise d'une entreprise de droit privé pour exporter. Le Service industriel de la DCN peut difficilement bénéficier des retombées financières de ses exportations pour réaliser, par exemple, des études libres ou pour nouer les accords ou partenariats avec d'autres industriels français ou étrangers qui lui permettraient de réunir les compétences ou la taille nécessaires à la compétitivité.

Ce groupe de travail concluait de la manière suivante :

« En définitive, il apparaît que le Service industriel de la DCN rencontre de sérieuses difficultés pour mettre en oeuvre une gestion industrielle et financière adaptée aux enjeux actuels ».

Certes, depuis ce diagnostic établi en 1996, il serait faux de dire que rien n'a été fait. Mais, au cours de ces cinq années, les évolutions auront été opérées à un rythme extrêmement lent, et la future société, dont la création est envisagée par l'article 36 du projet de loi, ne sera constituée au plus tôt qu'en 2003.

Durant la même période, le paysage industriel européen s'est profondément modifié.

Jusqu'à présent encore peu concernée par les recompositions industrielles, la construction navale militaire européenne a amorcé sa restructuration.

Au Royaume-Uni , la majorité de l'activité est désormais passée sous le contrôle de British Aerospace, grand groupe industriel à l'assise financière considérable.

En Allemagne , les différents chantiers navals se présentent groupés à l'exportation au travers de deux consortiums, l'un pour les sous-marins et l'autre pour les bâtiments de surface. Le groupe HDW, principal concurrent de DCN pour les sous-marins a acheté le chantier suédois Kockums et a noué un partenariat avec l'italien Fincantieri.

En Espagne , l'entreprise publique Izar, partenaire de DCN pour le sous-marin Scorpène endu au Chili en 1997, doit être privatisée d'ici deux ans. Cette privatisation pourrait susciter l'intérêt de HDW ou de groupes américains.

De manière générale, le processus de privatisation de chantiers navals militaires, achevé en Allemagne et au Royaume-Uni, vient de commencer en Italie et est envisagé à court terme en Espagne. La contraction de l'outil industriel s'est opérée dans un cadre national et ouvre la voie à des regroupements transnationaux. Dans ce contexte, trois pôles privés apparaissent, l'un en Allemagne, notamment autour de HDW, l'autre au Royaume-Uni avec BAe et le troisième avec Thalès pour les systèmes de défense navals.

Compte tenu de ces évolutions rapides et des perspectives ouvertes à très court terme par la privatisation des chantiers italiens et espagnols, on peut se demander si en matière de restructurations européennes, les jeux ne seront pas déjà largement faits lorsque DCN deviendra opérationnelle en tant que société de plein exercice.

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