2. Une émotion forte

L'arrêt Perruche et ceux qui l'ont suivi ont suscité une émotion forte dans la société. Les critiques adressées à cette jurisprudence ont été éloquemment résumées par l'avocat général de la Cour de cassation, M. Jerry Sainte-Rose, lors de son audition par votre commission des Lois :

« L'erreur commise par le praticien n'ayant pas permis à la femme de recourir à l'interruption volontaire de grossesse, le handicap serait alors la conséquence directe de la faute médicale puisque sans celle-ci, il n'y aurait pas eu d'infirmité car le foetus aurait été avorté. C'est bien l'aveu que la suppression du malade était la seule méthode envisageable pour éviter la maladie, laquelle préexistait à l'intervention du praticien (...) L'absence de préjudice quand on est infirme consiste à être mort.

« (...) Par ailleurs, nous ne savons toujours pas ce que l'enfant a perdu -c'est la condition première de la responsabilité civile-, ni de quel intérêt juridiquement protégé il peut se prévaloir : celui de n'avoir pas été privé d'une vie jugée inopportune ? Et surtout quel droit subjectif dont il aurait été le titulaire avant sa naissance aurait été violé ? Celui fantasmatique de ne pas naître ou de ne pas naître anormal ?

« L'eugénisme « rampant » (...) n'est pas absent de l'idée selon laquelle il vaut mieux être avorté que de naître handicapé (...). »

De nombreuses associations représentant les personnes handicapées et leurs familles ont fait part de leur émotion, l'arrêt Perruche étant ressenti comme une véritable agression à l'égard des personnes handicapées elles-mêmes, à l'égard aussi des parents qui acceptent un bouleversement complet de leur existence pour permettre à leur enfant handicapé de vivre dans les meilleures conditions possibles .

Une autre inquiétude s'est faite jour, celle des médecins échographistes et des spécialistes du diagnostic prénatal. La France a mis en place un dispositif de diagnostic prénatal extrêmement élaboré. Cette activité a connu des progrès fulgurants au cours des dernières années. Elle a aussi suscité des attentes fortes de la part de la population. Or, aujourd'hui encore, le diagnostic prénatal ne permet de déceler que 60 à 70 % des anomalies des foetus.

Après les différents arrêts de la Cour de cassation, les médecins ont exprimé la crainte forte d'une dérive qui mettrait à leur charge une obligation de résultat quant à l'information qu'ils devraient donner aux futures mères sur l'état de l'enfant à naître. D'ores et déjà, les primes d'assurances de ces praticiens ont connu une augmentation considérable.

Aussi, ces médecins ont-ils fait observer que leur responsabilité n'était jamais mise en cause lors d'interruptions de grossesse et que l'évolution jurisprudentielle portait en elle le germe d'une attitude de précaution extrême consistant à préconiser une telle interruption en présence du moindre doute.

Le 29 mai 2001, le comité consultatif national d'éthique a rendu un avis intitulé : « Handicaps congénitaux et préjudice ». Dans cet avis, il a notamment estimé que « la reconnaissance d'un droit de l'enfant à ne pas naître dans certaines conditions apparaîtrait hautement discutable sur le plan du droit, inutile pour assurer l'avenir matériel des personnes souffrant de handicaps congénitaux et redoutables sur le plan éthique. En effet, un tel droit risquerait de faire peser sur les parents, les professionnels du diagnostic prénatal et les obstétriciens une pression normative d'essence eugénique ».

Toutes ces réactions ne pouvaient laisser indifférent le législateur. De nombreuses propositions de loi ont été déposées, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat 12 ( * ) , afin de mettre fin à la « jurisprudence Perruche ». Le Sénat, à l'initiative de notre ancien collègue M. Claude Huriet, a même adopté, en janvier 2001, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse, un amendement sur cette question, sans cependant que l'Assemblée nationale le retienne.

Les 13 décembre 2001 et 10 janvier 2002, l'Assemblée nationale a finalement examiné et adopté, après modification, la proposition de loi de M. Jean-François Mattéi relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux . Le Sénat devrait maintenant être appelé, dans le cadre du présent projet de loi, à se prononcer sur le texte adopté par l'Assemblée nationale.

* 12 Proposition de loi n° 442 (2000-2001) présentée par M. Claude Huriet et plusieurs de ses collègues, proposition de loi n° 103 (2001-2002) présentée par M. Bernard Fournier et plusieurs de ses collègues, proposition de loi n° 124 (2001-2002) présentée par M. Jacques Blanc, renvoyées à la commission des lois.

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