CHAPITRE II -

VERS UNE FRANCE SANS USINES ?

Dans le cadre de la préparation d'avis thématiques, décidée par le Bureau de votre commission, votre rapporteur pour avis a choisi de consacrer une partie de son rapport budgétaire à la question de la désindustrialisation.

Il est en effet apparu qu'au cours de l'année 2002 la part du secteur industriel dans le volume total de la richesse créée a continué à se réduire, occasionnant par là même des destructions massives d'emplois industriels. A cet égard, votre commission a décidé de constituer un groupe de travail pour examiner l'ensemble des problèmes posés par cette évolution économique. En conséquence, votre rapporteur pour avis souhaitait brosser un premier tableau de la situation.

I. LA DÉSINDUSTRIALISATION : MYTHE OU RÉALITÉ ?

A. LE DÉCLIN DE L'INDUSTRIE AU SEIN DU PIB

1. Le poids relatif de l'industrie manufacturière s'effrite à nouveau avec la crise

En valeur ajoutée, le poids de l'industrie manufacturière représente 15 % du PIB. Néanmoins, cette part diminue assez régulièrement en raison de la croissance rapide, d'environ 4 % par an, de la productivité industrielle depuis 20 ans et de l'externalisation accrue de certaines activités de production. Sur cette même période, si la croissance de la valeur ajoutée industrielle en volume a été supérieure à celle de l'ensemble de l'économie, les gains de productivité ont entraîné une baisse relative des prix industriels. Ainsi, la désindustrialisation reflète surtout un transfert de la richesse industrielle au profit des autres secteurs de l'économie, notamment vers le tertiaire .

Valeur ajoutée par branche à prix courants

(en milliards d'euros)

1999

2000

2001

2002

 

%1999

%2000

%2001

%2002

Agriculture

36,7

35,5

36,9

36,5

 

3,0

2,8

2,8

2,7

Industrie agroalimentaire

31,2

31,6

34,4

36,7

 

2,6

2,5

2,6

2,7

Industrie manufacturière

189,9

195,1

202,3

200,4

 

15,7

15,4

15,3

14,7

Energie

32,0

35,8

35,5

33,3

 

2,6

2,8

2,6

2,4

Construction

54,5

60,7

65,1

69,0

 

4,5

4,8

4,9

5,1

Services marchands

645,2

685,1

712,0

737,8

 

53,5

54,0

53,8

54,1

Services administrés

252,3

261,9

272,9

288,1

 

20,9

20,6

20,6

21,1

Total VA (PIB au prix de base)

1 207

1 268

1 322

1 364

 

100%

100%

100%

100%

Source : Ministère de l'industrie

Dans un contexte économique mondial dégradé, la France, l'Allemagne et l'Espagne ont néanmoins mieux résisté que leurs principaux concurrents, tant européens (Italie, Royaume-Uni) que mondiaux (Japon, États-Unis).

Évolutions de la production industrielle*
dans les grands pays industrialisés

Base 100 en 1995

2000

2001

2002

1 e 2003

Variation en 3 ans

États-Unis

129

124.5

123.5.

122.5

-5%

Japon

105 .5

98.5

95

99

-6%

France

116.5

117

116.5

116

-0.5%

Allemagne

117

118

116.5

116

-1%

Royaume-Uni

106

103.5

100

99.5

-6.5%

Italie

107.5

106

105

103

-4%

Espagne

119.5

118

118

119.5

+0%

Source : OCDE-Principaux indicateurs économiques (chiffres provisoires pour 2003).

* Champ : industrie au sens de l'OCDE (y c. IAA, mines et énergie).

2. Le progressif effritement de l'emploi industriel

En terme d'emplois directs, le poids de l'industrie s'était stabilisé entre 1997 et 2001. Il avait même augmenté, si l'on prenait en compte les 230.000 emplois en intérim de l'industrie manufacturière (estimés en équivalents temps complet). Cependant, le retournement conjoncturel récent a effacé ces gains, l'emploi manufacturé total perdant 160.000 unités en deux ans.

Emploi salarié direct et volume d'intérim par secteur industriel

Emploi CVS en décembre en milliers

1990

1999

2000

2001

2002

Intérim

2000

2001

2002

Biens de consommation

915

720

718

706

691

37

31

32

Habillement, cuir

258

144

134

126

117

 
 
 

Édition, imprimerie, reproduction

240

216

218

216

211

 
 
 

Pharmacie, parfumerie et entretien

149

140

143

150

154

 
 
 

Équipements du foyer

269

221

222

215

209

 
 
 

Industrie automobile

324

282

293

297

290

38

27

35

Biens d'équipement

941

819

837

838

815

61

48

45

Const navale, aéronautique, ferroviaire

189

142

145

147

147

 
 
 

Équipements mécaniques

480

434

445

445

437

 
 
 

Équipements électriques et électroniques

272

243

248

246

231

 
 
 

Biens intermédiaires

1677

1460

1 499

1 488

1 445

140

108

111

Produits minéraux

216

170

173

172

169

 
 
 

Industrie textile

162

120

118

113

106

 
 
 

Industrie du bois et papier

220

182

184

184

177

 
 
 

Chimie, caoutchouc, plastiques

380

349

358

356

347

 
 
 

Métallurgie et transformation des métaux

521

449

461

462

450

 
 
 

Composants électriques et électroniques

177

191

206

202

196

 
 
 

Industrie hors énergie et IAA

3 856

3 281

3 348

3 329

3 241

282

221

229

Source : Ministère de l'industrie

Toutefois, cette baisse de l'emploi industriel doit être nuancée au regard des évolutions dans les autres pays. En 2002, elle a été plus faible en France (- 2,2 %) qu'en Allemagne, aux États-Unis, en Italie, au Royaume-Uni et au Japon (entre -3,2 % et -4,5 %). Cette évolution est similaire sur l'ensemble de la période 1996-2000.

Ainsi, aux États-Unis, l'emploi industriel s'est effrité dès 1998 alors même que la croissance se poursuivait, puis s'est violemment ajusté en 2001 (-6,7 %). Au Royaume-Uni, l'emploi a augmenté jusqu'à la mi-1998 mais il baisse depuis, l'activité industrielle ayant été pénalisée par le taux de change élevé de la livre. L'Allemagne a connu une très forte réduction de ses effectifs industriels jusqu'en 1998, à la suite de la réunification, les effectifs restant relativement stables depuis cette date.

Emploi salarié dans l'industrie dans les principaux pays de l'OCDE

Milliers de personnes en fin d'année

1990

1995

1999

2000

2001

2002

Variation 1995-2002

France

4 378

3 901

3 826

3 892

3 874

3 790

-2,8 %

Allemagne

11 662

8 545

7 951

7 983

7 902

7 648

-10,5 %

Italie

n.d.

4 427

4 021

3 923

3 766

3 625

-18,1 %

Royaume-Uni

n.d.

5 027

4 827

4 695

4 485

4 312

-17,8 %

Espagne

2 870

2 415

2 777

2 954

2 945

2 963

+22,7 %

États-Unis *

22 271

21 863

21 877

21 756

20 306

19 548

-10,6 %

Japon *

13 910

13 421

12 482

12 240

11 801

11 275

-16 %

Champ : emploi salarié direct de la branche industrie, y compris agroalimentaire et énergie Sources : Eurostat- Newcronos (*) Niveaux OCDE pour 1995, avec actualisation Eurostat

Le déclin de l'emploi doit également être distingué selon la taille des entreprises. En effet, les 30.000 grands établissements (entreprises de plus de 50 salariés) employaient, au 1 er janvier 2002, encore près de 5,2 millions de personnes, dont la moitié dans l'industrie malgré le recul de certaines activités traditionnelles (contre 29 % toutes tailles d'établissement confondues). Ainsi, 63 % de l'emploi industriel se situe dans ces grands établissements, cette part atteignant même 90 % dans l'automobile ou l'aéronautique.

3. Un commerce extérieur pourtant dynamique

Le solde extérieur industriel français a poursuivi sa consolidation en 2002, l'appréciation de l'euro ayant permis une amélioration des termes de l'échange. Alors que les volumes échangés sont quasi stables (+ 1 % à l'exportation comme à l'importation), les prix des produits manufacturés en euros ont baissé davantage à l'importation qu'à l'exportation. Aussi l'excédent commercial des produits manufacturés s'est-il nettement accru, frôlant les 15 milliards d'euros, le solde extérieur global s'élevant à 8 milliards d'euros. L'industrie retrouve ainsi ses meilleures performances de la fin de la décennie précédente.

Comme le souligne notre collègue M. Michel Bécot, rapporteur pour avis des crédits du commerce extérieur, l'effet du renchérissement de l'euro sur le taux de change ne doit pas être surestimé. D'une part, les échanges internes à la zone euro (62 % des échanges extérieurs français) en atténuent la portée. D'autre part, les gains de compétitivité accumulés pendant la phase de dépréciation du dollar ont laissé une certaine latitude aux exportateurs français en matière de réduction des marges. Enfin, grâce à un positionnement sur des produits de haute et moyenne gamme où prédominent les aspects hors-prix (qualité, variété, etc...), les industriels ont pu réduire la contrainte de change.

B. LES MOUVEMENTS DE DÉLOCALISATION

Il est difficile d'appréhender avec précision les mouvements de délocalisation des entreprises françaises vers des pays tiers, les seules données pertinentes étant celles relatives aux investissements français à l'étranger. Selon les dernières données de l'INSEE, le montant total des investissements français à l'étranger s'est élevé à 92,5 milliards d'euros en 2001. Ce chiffre, en net repli par rapport aux années précédentes (190,5 milliards en 2000 et 119 milliards en 1999), place toutefois la France au second rang des investisseurs mondiaux, derrière les États-Unis (143,2 milliards de dollars d'investissements à l'étranger en 2001), alors que la France occupait la troisième place dans ce domaine en 2000 (derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne).

Une telle baisse des investissements à l'étranger, commune à la plupart des pays industrialisés, s'explique par le recul d'environ 50 % du nombre et de la valeur des opérations de fusion-acquisition transfrontières, principalement du fait de la chute des cours boursiers et de la crise du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Cette tendance à la baisse s'est d'ailleurs poursuivie en 2002, puisque les flux d'investissements directs étrangers vers les principaux pays émergents (à l'exception des pays d'Europe centrale et orientale et d'Asie du sud-est) ont diminué de 30 milliards de dollars par rapport à 2001, pour s'établir à 170 milliards de dollars en 2002.

Ces investissements à l'étranger représentent 6,3 % du PIB français. Ils reposent, certes, sur un principe de délocalisation industrielle, c'est-à-dire le transfert net d'activités productives localisées en France vers l'étranger, mais ils sont aussi, pour l'essentiel, la conséquence de l'amélioration de l'insertion de l'économie française dans les échanges internationaux et des stratégies de développement international des entreprises . Ainsi, cette évolution économique, difficilement cernée par les études macroéconomiques récentes, conduirait les entreprises françaises, au lieu de procéder à des transferts d'activité, à s'établir directement dans les pays étrangers, au plus près des marchés commerciaux.

En outre, les entreprises françaises s'internationalisent : sur les 100 premiers groupes mondiaux, 13 sont de nationalité française (dont 8 ont une activité industrielle) contre 12 pour l'Allemagne et 8 pour le Royaume-Uni. Pour certaines d'entre elles, le marché commercial français est devenu en effet résiduel dans leurs ventes. Les entreprises qui continuent à produire en France pour vendre à l'étranger doivent alors faire face à des coûts de logistique et de transports importants, ce qui les pousse à s'installer directement dans les pays où elles réalisent leurs transactions.

Les dernières données disponibles -qui remontent à 1997- évaluent à 980.000 le nombre des emplois des groupes industriels à capitaux français localisés à l'étranger. Tous secteurs confondus, les importations issues des unités de production délocalisées représentent 3 % des achats et 2 % de la production des entreprises industrielles françaises. On note que la production à l'étranger est étroitement corrélée à la taille des sociétés concernées : elle représente ainsi moins de 4 % de la production en France pour les sociétés de moins de 500 personnes, 18 % pour celles de 500 à 2.000 personnes, 37 % pour celles de 2.000 à 20.000 personnes et 80 % pour les sociétés de taille supérieure .

Les investissements français à l'étranger sont principalement répartis dans les pays de l'Union européenne et aux États-Unis. Pour le reste, les délocalisations concernent essentiellement les pays à bas coûts de main d'oeuvre (Maghreb, Europe centrale et orientale, Asie du sud-est) et des secteurs spécifiques (textile-habillement principalement, mais aussi cuir-chaussures, jouet, bijouterie, petit mobilier, électronique grand public), à fort contenu de main d'oeuvre.

L'ampleur de ce mouvement de délocalisation est néanmoins contrasté selon les zones géographiques : par exemple, la Chine ne totalisait à elle seule, en 1999, que 0,2 % de ces flux. En outre, les secteurs précités ne constituent pas, dans le total des opérations françaises d'investissement à l'étranger, la part la plus importante. Ainsi, en 2001, plus de 46,4 milliards d'euros concernent des opérations immobilières et commerciales à comparer aux 12,6 milliards relatifs aux produits manufacturés, dont 187 millions pour le textile-habillement, 2,3 milliards pour les produits chimiques, 2,3 milliards pour les véhicules à moteur et autres matériels de transport.

Votre rapporteur pour avis constate néanmoins que, même si l'ampleur des délocalisations doit être nuancée à l'échelle des échanges français, le transfert d'activités de main d'oeuvre vers des pays étrangers peut avoir des conséquences économiques et sociales dramatiques à l'échelle d'un bassin d'emploi.

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