B. LA LECTURE DE LA PRESSE CHEZ LES JEUNES : LA PROCHAINE GRANDE CAUSE NATIONALE ?

Dans ses précédents avis budgétaires, votre rapporteur avait souhaité attirer l'attention des gouvernements successifs sur la nécessité de favoriser la lecture de la presse chez les plus jeunes en facilitant « la prise en main » d'un formidable outil pédagogique encore trop souvent ignoré par les enseignants : le journal.

Cet appel n'avait jusqu'alors pas reçu l'écho qu'il méritait auprès des autorités compétentes. Le précédent ministre de la culture, M. Jean-Jacques Aillagon avait semble-t-il caressé un temps l'idée de faciliter l'abonnement des jeunes à un quotidien de leur choix pendant une période déterminée ; toutefois, cette hypothèse a rapidement été enterrée. Cette attitude est d'autant plus incompréhensible qu'au regard des données disponibles, la situation parait alarmante ; en matière de lecture de la presse chez les jeunes, notre pays fait encore figure d'exception à l'échelle européenne...

1. La lecture de la presse chez les jeunes : l'exception française

Le tableau ci-après permet ainsi de constater qu'en dépit du poids important de 15-24 ans dans l'ensemble de sa population (16 %), la France se caractérise par le très faible taux de pénétration de la presse (12,6 %) dans cette tranche d'âge.

LECTORAT DE LA PRESSE PAR TRANCHE D'ÂGE EN EUROPE EN 2003

Pays

Lectorat 15-24 ans (%)

Poids des 15-24 ans
dans la population (%)

Pays Bas

12.0

12

France

12.6

16

Italie

13.8

15

Belgique

15.7

12

Royaume Uni

16.6

15

Espagne

17.2

13

Pologne

19.3

15

Autriche

21.3

15

Grèce

24.3

14

Portugal

24.4

14

Rep.Tchèque

27.1

14

Allemagne

Nd

12

Japon

Nd

12

Etats Unis

Nd

13

Source : WAN - World Association of Newspapers / Nd: Non disponible.

De même, ce second tableau indique qu'en France seulement 36 % des jeunes de 15 à 24 ans sont concernés par la lecture d'un quotidien, résultat modeste au regard des audiences observées en Irlande, en Norvège ou au Portugal, qui sont toutes supérieures à 80 %.

AUDIENCE PAR TRANCHE D'ÂGE DE LA PRESSE QUOTIDIENNE
DANS LES PAYS D'EUROPE EN 2003

 

15-17 ans

18-24 ans

Italie

32.8

40.2

Rep. Tchèque

30.6

45.8

France

36.3

Espagne

41.7

Grèce

45.4

52.0

Belgique

47.4

Allemagne

53.6

63.2

Pays Bas

58.0

Autriche

66.7

Suède

77.0

Portugal

79.3

83.7

Norvège

81.0

Irlande

85.0

91.0

Source : WAN - World Association of Newspapers

2. Les propositions du rapport Spitz

Compte tenu du retard accumulé par la France en ce domaine, votre rapporteur reste convaincu que l'école doit devenir le lieu de rencontre privilégié entre les citoyens et la presse, notamment la presse quotidienne d'information politique et générale. Cette appréciation semble être partagée par M. Bernard Spitz, maître des requêtes au Conseil d'Etat, dont les principales propositions sur ce sujet sont résumées ci-dessous.

LES HUIT PROPOSITIONS DU RAPPORT SPITZ

• Proposition 1 : abonnement gratuit

Offrir, au moment de l'accession à la majorité civique, 2 mois d'abonnement gratuit au quotidien d'information politique et générale choisi par le bénéficiaire.

• Proposition 2 : la presse support pédagogique

Offrir à chaque classe de collège et de lycée la possibilité d'utiliser gratuitement la presse quotidienne d'information politique et générale comme support pédagogique, à hauteur de 40 euros par année scolaire et sous le contrôle d'un professeur.

• Proposition 3 : vente de journaux dans les lycées

Inciter les chefs d'établissement, par une procédure spéciale, à accepter et organiser la vente de la presse à l'intérieur de leurs établissements. Cette proposition vise à permettre la vente de la presse d'information politique et générale à l'intérieur des lycées, à prix réduit (prix compris entre 100 et 50 % du prix facial). Cette proposition pourrait, dans un premier temps, être mise en oeuvre à titre expérimental dans un petit nombre d'établissements.

• Proposition 4 : extension du champ de la loi mécénat

Permettre à des entreprises de bénéficier des dispositions de la loi sur le mécénat (réduction d'impôt à hauteur de 60 % du montant des versements, dans la limite de 5 % du chiffre d'affaires) pour les initiatives visant la lecture de la presse chez les jeunes. Cette proposition n'implique pas nécessairement de modifier la loi relative au mécénat (loi n° 2003-709 du 1 er août 2003) mais consiste à favoriser une interprétation de celle-ci permettant à des actions en faveur de la lecture de la presse chez les jeunes d'entrer, de manière juridiquement certaine, en toute sécurité, sur le plan fiscal, pour les entreprises donatrices.

Des chefs d'entreprise pourraient alors, sous réserve de l'accord du chef d'établissement, financer des abonnements gratuits à destination des élèves, contribuer à la fabrication d'un journal lycéen, financer la visite d'une rédaction, etc. Cette mesure permettrait également de contribuer au financement de la proposition 7.2. (cf. infra).

• Proposition 5 : utilisation du fonds de modernisation pour des investissements consacrés à la lecture de la presse par les jeunes

Orienter une partie des ressources du fonds vers le financement d'investissements réalisés par des éditeurs et visant spécifiquement les jeunes (exemple : édition d'un supplément ou d'un cahier spécial destiné à ce lectorat). En effet, le fonds n'a pas, jusqu'à présent, soutenu de projets significatifs visant à la conquête de nouveaux lectorats, alors même que c'est l'un des objectifs explicitement assignés au fonds par le législateur.

Dans ce contexte, il serait demandé au comité d'orientation du fonds de modernisation (qui décide de l'attribution des aides) d'infléchir sa doctrine en vue de permettre le financement d'investissements concernant :

- les études relevant de la recherche de nouveaux lectorats ;

- les actions de promotion liées à la lecture de la presse par les jeunes ;

- la conception et la création d'une année de produit en direction de ce nouveau lectorat ;

- la création de sites médias adossés aux quotidiens pour l'éducation au journal (à l'image de ce qui existe dans les pays scandinaves).

• Proposition 6 : promotion de la lecture de la presse dans l'audiovisuel public

Proposition 6.1. - Modification du contrat d'objectifs et de moyens

Cet encouragement à la lecture pourrait prendre la forme de revues de presse faites par des jeunes pour des jeunes, ou encore de jeux télévisés éducatifs s'appuyant sur la presse. Dans cette perspective, une stipulation pourrait être insérée dans le futur contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions pour la période 2006-2010.

Proposition 6.2. - Utilisation du dispositif « grande cause nationale »

Prévu dans le cahier des missions et des charges des sociétés de l'audiovisuel public, le label « grande cause nationale » permet aux organismes en bénéficiant de disposer, pendant un an, de 12 messages publicitaires gratuits sur chacune des sociétés (télévision et radio). La cause nationale est choisie, en début d'année, par le Premier ministre après avis consultatif d'une commission interministérielle présidée par le directeur du développement des médias (circulaire du 21 juillet 2003). L'utilisation de ce dispositif au service de la lecture de la presse chez les jeunes permettrait à la presse de bénéficier d'un « label » et de messages publicitaires gratuits dans le cadre d'une campagne de communication globale, dans un contexte où la publicité télévisée est ouverte aux éditeurs depuis le 1 er janvier 2004 (décret n° 2003-960 du 7 octobre 2003).

• Proposition 7 : favoriser la lecture des quotidiens sur internet

Proposition 7.1. - Abonnement des universités aux archives des quotidiens

L'objectif de cette proposition est d'ouvrir les archives internet des quotidiens à tous les étudiants se connectant à partir de leur université, en contrepartie d'un dédommagement des éditeurs versé par l'Etat et les collectivités territoriales, notamment les régions.

Proposition 7.2. - Insertion d'une offre presse dans l'offre d'ordinateurs portables à prix réduit

Le ministère de l'éducation nationale lance, depuis la rentrée 2004, une offre promotionnelle permettant aux étudiants de l'enseignement supérieur d'acquérir des ordinateurs portables à prix réduit. Dans ce cadre, il pourrait être proposé aux étudiants de s'abonner, à un tarif préférentiel, à l'édition internet (accès au journal du jour et aux archives) du quotidien de son choix.

• Proposition 8 : constitution d'un comité de suivi et d'évaluation

Toutes les propositions qui précèdent sont destinées à faire l'objet d'une évaluation après un an de mise en oeuvre. Il est donc proposé qu'au moment du lancement des opérations, un comité de suivi et d'évaluation soit constitué, auquel serait représentée chaque partie, soit :

- les éditeurs, via leurs organisations professionnelles représentatives ;

- les jeunes de 15-25 ans ( via , par exemple, les syndicats lycéens et étudiants),

- les administrations concernées (ministère de la culture et de la communication, ministère de l'éducation nationale).

Le secrétariat de ce comité pourrait être assuré par la direction du développement des médias (bureau du régime économique de la presse et des aides publiques).

Sans pour autant abandonner l'idée de la création d'un fonds de concours, abondé conjointement par l'Etat, les collectivités territoriales et les éditeurs, permettant aux établissements qui en feraient la demande d'abonner certaines de leurs classes à plusieurs titres de la presse quotidienne nationale ou régionale, votre rapporteur se félicite de la qualité du rapport réalisé par M. Bernard Spitz.

Il estime que les trois premières propositions du rapport Spitz devraient être mises en oeuvre dans les plus brefs délais au sein d'un petit nombre d'établissement-pilotes afin d'en apprécier la pertinence. Il souhaite toutefois souligner que l'application de ces mesures devra concerner les adolescents aussi bien que les enfants.

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