B. L'ANALYSE STRATÉGIQUE, LA PROSPECTIVE ET LA RECHERCHE DE DÉFENSE

Trois actions du programme concourent à l'effort de recherche et technologie.

L' analyse stratégique recouvre les études portant sur l'évolution de l'environnement international et des risques et menaces pouvant affecter la sécurité de la France. Elle fait appel à une large gamme de compétences portant sur l'analyse des risques découlant des facteurs stratégiques, sur la traduction de ces risques en menaces et enfin sur la prospective relative aux caractéristiques technologiques de ces dernières. Cette action est du ressort de la délégation aux affaires stratégiques. Elle sera dotée en 2006 de 5,8 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 4,6 millions d'euros de crédits de paiement . Cette dotation inscrite au titre 3 - fonctionnement - vise à financer des études à caractère politico-militaire, économique et social (EPMES) commandées à des organismes extérieurs. Les crédits varient peu depuis plusieurs années. Le ministère de la défense tend désormais à privilégier la procédure d'appel d'offres pour la réalisation des études, de préférence à l'attribution de subventions globales aux principaux instituts de recherche.

La prospective des systèmes de forces regroupe les activités destinée à identifier les besoins opérationnels, à orienter les études en vue de les satisfaire et à élaborer le « plan prospectif à 30 ans », actualisé chaque année. Ces activités sont conduites conjointement par les architectes de systèmes de forces, qui relèvent de la DGA, et les officiers de cohérence opérationnelle, qui relèvent de l'état-major des armées. L'action « prospective des systèmes de forces » sera dotée en 2006 de 47,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 40,8 millions d'euros en crédits de paiement . Sur ce montant, près de 17 millions d'euros sont consacrés aux rémunérations et charges sociales des personnels affectés à cette action (242 emplois équivalent temps plein). Le restant recouvre une subvention à l'Agence européenne de défense (4,2 millions d'euros) et le financement d' études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) qui représenteront 24,7 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 18,2 millions d'euros en crédits de paiement en 2006.

Enfin, l'action « maintien des capacités technologiques et industrielles » regroupe essentiellement les crédits consacrés aux études technologiques . Elle est dotée de 1 066,2 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de 929 millions d'euros de crédits de paiement. Outre 74,9 millions d'euros de dépenses de personnel correspondant aux 2 195 emplois équivalents temps plein (1 763 militaires et 432 civils) rattachés à l'action, cette dotation couvre essentiellement des crédits d'études (843 millions d'autorisations d'engagement et 706 millions de crédits de paiement) ainsi que des subventions de fonctionnement à divers organismes et aux écoles d'ingénieurs de la DGA 2 ( * ) .

1. Un redressement des crédits de recherche et technologie

La progression des crédits de recherche et de technologie est une caractéristique marquante du budget 2006, qu'ils s'agissent de ceux inclus dans les trois actions du programme « environnement et prospective de la politique de défense » ou des crédits relevant d'autres programmes.

Évolution des crédits de recherche et technologie

(Crédits de paiement, en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

Études amont LFI

paiements

431,9

401,3

356,4

453,9

549,7

-

601,2

-

Subventions LFI

paiements

119,9

117,0

137,0

139,9

134,1

-

139,3

-

CEA LFI

paiements

454,2

463,1

500,6

484,5

477,3

-

503,2

-

BCRD LFI

paiements

190,6

190,5

200,0

200,0

200,0

200,0

-

Autres études * LFI

paiements

20,9

21,0

24,3

22,9

23,2

-

24,0

-

Total LFI

paiements

1 217,5

1 192,9

1 218,9

1 301,2

1384,3

-

1467,7

-

* Études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel ; études à caractère politico-militaire, économique ou social.

Le tableau ci-dessus témoigne d'une augmentation continue des crédits consacrés à la recherche et à la technologie depuis le début de la loi de programmation militaire 2003-2008. La loi de finances pour 2004 marquait une chute dans les crédits votés pour les études-amont mais une dotation complémentaire de 95 millions d'euros avait été dégagée en loi de finances rectificative. D'après les informations fournies à votre rapporteur, le niveau des crédits consommés en 2005 devrait se situer autour de 1 350 millions d'euros, soit près de 4 % de plus qu'en 2004.

Pour 2006, la progression globale des crédits de recherche et technologie s'établit à 6 % . La hausse est particulièrement forte pour les crédits d'études-amont (+ 9,4 %) . Les crédits de recherche transférés au CEA progressent quant à eux de 5,4 %. Les subventions aux deux grands organismes de recherche - l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et l'Institut franco-allemand de Saint-Louis - suivent une évolution plus modérée.

L'augmentation des crédits de recherche et technologie mérite bien entendu d'être soulignée, notamment pour les études-amont auxquelles le gouvernement s'est engagé à consacrer 700 millions d'euros en 2008, ce qui impliquerait une dotation supplémentaire de 50 millions d'euros chaque année au-delà de 2006.

Il faut toutefois rappeler que ce redressement est destiné à compenser le retard pris depuis le début de la loi de programmation militaire qui prévoyait une annuité moyenne de 630 millions d'euros pour les études-amont et de 1 170 millions d'euros pour les crédits de recherche et technologie hors BCRD. Dans l'hypothèse où les crédits inscrits pour 2006 seraient pleinement consommés et où l'engagement d'arriver à 700 millions d'euros en 2008 serait tenu, il apparaît déjà que ce rattrapage substantiel sera insuffisant pour permettre le respect de l'enveloppe prévue par la loi de programmation militaire sur la totalité de sa durée.

Par ailleurs, il convient de souligner la part considérable représentée par la recherche dans le domaine nucléaire . En effet, aux 503,2 millions d'euros prévus en 2006 au profit du CEA au titre de ses activités de recherche dans le domaine de la simulation et des armes nucléaires s'ajoutent 43 millions d'euros de crédits d'études opérationnelles et technico-opérationnelles ou d'études-amont touchant au domaine nucléaire , ce dernier représentant ainsi 37 % de nos dotations budgétaires de recherche et technologie .

D'après les indications fournies à votre rapporteur, dès lors que l'on ne retient pas les recherches dans le domaine nucléaire, ni le BCRD, l' effort de recherche et technologie représentait pour la France 0,56 % du PIB en 2004 contre 0,68 % pour le Royaume-Uni , l'Allemagne se situant pour sa part à 0,38 %.

Au-delà de la stricte approche budgétaire et comptable, la mise en oeuvre de la LOLF s'accompagnera d'indicateurs plus qualitatifs sur la politique de recherche et de technologie de défense.

Ainsi, le projet annuel de performance présente-t-il un indicateur retraçant le taux de progression des capacités technologiques . Ce taux est évalué, capacité par capacité, en fonction des avancées réalisées par rapport à un objectif final. Pour chaque capacité est évalué un besoin en études-amont et des jalons à franchir pour les satisfaire.

Pour l'ensemble des capacités technologiques, un taux de 30 %, correspondant au niveau du début de l'année 2003, a été fixé par comparaison de la situation française avec celle des Etats-Unis et des autres pays européens. Le taux de 100 % correspond à l'objectif de réalisation à l'horizon 2015. Le degré d'avancement en matière de capacités technologiques s'établit à 34 % en 2004 . L'objectif est d'atteindre 42 % en 2005, 47 % en 2006 et 68 % en 2008.

Un autre indicateur du même type est prévu à partir de 2007 pour évaluer la position technologique de la France par rapport à différents pays. Il retrace pour chaque pays de référence la proportion des technologies sur lesquelles la France possède une avance ou accuse un retard, ainsi que l'ampleur de cette avance ou de ce retard. D'après les éléments aujourd'hui disponibles, cet indicateur confirme la proximité des situations française et britannique, sous réserve bien entendu de la compétence particulière de la recherche française dans le domaine nucléaire.

2. L'accent mis sur les démonstrateurs technologiques

Les tableaux ci-dessous récapitulent la part des différents domaines dans les études-amont (hors subventions aux organismes de recherche).

RÉPARTITION DES ÉTUDES-AMONT* PAR BRANCHES

Branches

2004

2005

Techniques et technologies communes

10%

10%

Equipements communs

18%

18%

Systèmes C3R et spatiaux

20%

22%

Systèmes terrestres

6%

6%

Systèmes navals

6%

7%

Systèmes aéronautiques

18%

18%

Systèmes de missiles

14%

15%

Soutien des études amont

8%

4%

* hors subventions aux organismes de recherche

Programmation des études-amont par systèmes de forces *

Systèmes de forces

2003

2004

2005

2006

Dissuasion

23%

15%

17%

19%

Cdt, communications, renseignement

29%

28%

29%

25%

Mobilité stratégique et tactique

5%

5%

8%

4%

Frappe dans la profondeur

13%

24%

29%

26%

Maîtrise du milieu aéroterrestre

24%

22%

19%

19%

Maîtrise du milieu aéromaritime

21%

20%

20%

16%

Maîtrise du milieu aérospatial

27%

34%

36%

35%

Préparation / maintien capacité opérationnelle

7%

6%

6%

8%

* Un plan d'engagement d'études-amont pouvant concerner plusieurs systèmes de forces, le total est supérieur à 100 %.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, les dernières orientations de recherche définies pour la sélection des plans d'engagement d'études-amont donnent la priorité aux thèmes suivants :

- la surveillance du sol, le renseignement non intrusif et stratégique;

- l'amélioration de l'efficacité et de l'interopérabilité des forces au travers des opérations réseaux centrées;

- l'amélioration de la mise en réseaux des différents systèmes d'armes;

- la conception des systèmes aériens de combat futur;

- la frappe hors contact;

- l'architecture des missiles balistiques, les transmissions stratégiques et les technologies de lutte sous-marine pour la dissuasion;

- la contribution à l'objectif de sécurité globale, notamment en matière de défense NRBC;

- la défense anti-missile balistique;

- l'utilisation de l'espace.

De plus, l'effort sur la protection contre la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) est poursuivi en collaboration avec le secteur civil, au travers du programme « recherche duale ».

Depuis 2002, la politique de recherche met l'accent sur la réalisation de démonstrateurs technologiques . Ces démonstrateurs sont des dispositifs expérimentaux permettant de vérifier, dans des conditions représentatives de l'utilisation réelle, que le niveau de performance espéré est atteignable. Il s'agit de s'assurer que les technologies qui seront développées dans le cadre du financement des études amont seront effectivement maîtrisées et qu'à cet effet, les risques existant lors du lancement des programmes intégrant ces technologies seront les plus réduits possibles.

Les démonstrateurs d'envergure lancés depuis 2003 ou prévus sur la période 2005-2008 sont au nombre d'une trentaine et correspondent à environ 40% des engagements sur les études amont .

Le projet de programmation des études amont 2006-2008 comporte la poursuite de la réalisation de nombreux démonstrateurs lancés en 2005 ou antérieurement :

- la réalisation d'un démonstrateur pour les évolutions du missile Scalp ;

- l'évaluation d'améliorations du moteur M88 dans un mode économique ;

- un démonstrateur de système d'écoute électromagnétique (ELINT) spatial ;

- un démonstrateur d'alerte spatiale avancée ;

- un démonstrateur de plate-forme d'avion de combat sans pilote (UCAV) ;

- la réalisation d'un démonstrateur de bulle opérationnelle aéroterrestre (BOA) ;

- des réseaux à base de radio logicielle haut débit.

A ceux-ci s'ajoutent plusieurs projets dont le lancement est prévu en 2006 :

- un démonstrateur de liaison optique entre satellite et drone ;

- un démonstrateur technologique pour turbomachines ;

- un drone endurant Euromale pour la surveillance de théâtre ;

- une plate-forme hélicoptère furtive et apte au vol tout temps (HECTOR) ;

- le socle des opérations réseaux-centrées ;

- une plate-forme pour le combat info-centré, adaptée à la problématique du renseignement ;

- un démonstrateur de missile à lancement vertical pour la défense sol-air basse couche ;

- un démonstrateur de partie haute de missile stratégique ;

- un missile de combat terrestre pour le tir au-delà de la vue directe ;

- un démonstrateur de conduite de tir air-sol pour avion de combat ;

- un démonstrateur de système global de défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique.

3. Un nécessaire renforcement de la coopération européenne

Si l'on ne peut que se féliciter du rattrapage des crédits d'études-amont opéré à compter de cette année, sous réserve évidemment des conditions d'exécution des dotations prévues en loi de finances initiale, il est également indispensable de renforcer la part des recherches réalisées en coopération européenne : il s'agit à la fois de mettre en commun les réflexions et de recouper les résultats, d'éviter la dispersion des ressources européennes en la matière, déjà très inférieures à celles dégagées par les Etats-Unis, et de favoriser l'émergence de programmes communs sur les équipements futurs qui seront, eux aussi, un gage d'utilisation plus optimale des ressources.

Le projet annuel de performances annexé au budget de la mission « défense » comporte un indicateur sur le taux de coopération européenne en matière de prospective (études opérationnelles et technico-opérationnelles). Celui-ci mesure la proportion d'études menées autour d'une problématique commune, en coopération européenne ou dans un cadre national avec échange et partage des résultats avec nos partenaires. Il s'établit en 2004 à 9,08 % , les prévisions descendant à 8,29 % en 2005 pour remonter à 9,5 % en 2006. Ce taux est donc relativement faible, y compris au regard de l'objectif à l'horizon 2008, fixé à 16 %.

Il serait nécessaire qu'à l'avenir un indicateur du même type soit publié pour l'ensemble des actions de recherche et technologie. En ce qui concerne les études-amont , il a été indiqué à votre rapporteur qu'environ 20 % des ressources qui y sont consacrées concernent des coopérations internationales , pour l'essentiel avec des partenaires européens, en premier lieu le Royaume-Uni et l'Allemagne.

La France a conclu 13 accords bilatéraux 3 ( * ) de coopération en matière de recherche et technologie. C'est avec le Royaume-Uni que la coopération bilatérale est la plus intense même si ce dernier continue de réaliser sa coopération à près de 70 % avec les Etats-Unis en matière de recherche. L'existence de sociétés transnationales dans le domaine de la défense facilite cette coopération.

Sur le plan multilatéral, la création l'an passé de l' Agence européenne de défense doit permettre de franchir une étape supplémentaire. L'action en matière de recherche et de technologie est l'une des quatre compétences qui lui ont été attribuées. L'Agence a repris au printemps dernier les activités du Groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO) et devra normalement reprendre l'an prochain celles de l'Organisation de l'armement de l'Europe occidentale (OAEO) qui regroupe 17 Etats européens et gère plus d'une centaine de programmes de recherche et technologie en coopération, dont près de 70 avec participation française.

Les six pays de la LoI ( letter of intent ), à savoir l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suède, qui représentent 95 % de l'effort européen de recherche et technologie, procèdent à des échanges réguliers sur leurs axes de recherche. Cette enceinte de discussion pourrait contribuer à alimenter l'Agence en projets de recherche. Elle a engagé des travaux dans le domaine des réseaux ( network enabled capacity/network centric warfare ). Dans le cadre de la LoI, un accord est en préparation avec l'Allemagne sur les munitions électromagnétiques et la coordination se poursuit avec le Royaume-Uni sur les missiles de croisière. La comparaison des priorités nationales a permis d'identifier quatre nouveaux domaines d'intérêt commun relatifs aux technologies clés (piles à combustible, fusion des données, capteurs infrarouges, robotique et systèmes automatiques).

Quant à l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR), qui regroupe six pays (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni), elle pourrait constituer un « bras armé » de l'Agence, non seulement pour les programmes d'équipement, mais également pour des programmes de recherche, par exemple par la réalisation de démonstrateurs.

L' Agence européenne de défense suscite beaucoup d'espérances, mais dans l'immédiat, elle semble éprouver quelques difficultés à fixer un cadre financier pluriannuel qui donnerait une certaine visibilité à ses travaux. En matière d'analyse prospective, elle pourrait élaborer un document sur la vision capacitaire européenne à long terme. Mais peut-être est-il encore trop tôt pour attendre des initiatives d'envergure en matière de programmes de recherche.

Le rôle fédérateur de l'Agence dépendra de son budget . Les dotations destinées à financer des travaux d'analyse en matière de recherche et technologie doivent passer de 3 à 5 millions d'euros de 2005 en 2006, un million d'euro étant cependant inscrit en réserve pour le moment. Ces montants sont évidemment très modestes, mais comme l'a indiqué devant notre commission M. François Lureau, délégué général pour l'armement, les financements ne pourront venir qu'une fois un accord réalisé sur les actions à mener. M. Lureau a également cité des études considérant que sur un effort européen global de 2 milliards d'euros en matière de recherche et technologie , l'Agence devrait idéalement intervenir pour 300 à 400 millions d'euros. Il a indiqué que la France visait l' objectif de 200 millions d'euros à l'horizon 2010 .

L'édification d'une Europe de la recherche de défense sera donc une oeuvre de longue haleine, mais votre rapporteur est convaincu qu'elle devra demeurer un objectif central pour notre pays.

* 2 Ecole polytechnique ; Ecole supérieure de l'aéronautique et de l'espace (SUPAERO) ; Ecole nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) ; Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de constructions aéronautiques (ENSICA) ; Ecole supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement (ENSIETA).

* 3 Ces accords ont été conclus avec l'Allemagne, l'Australie, le Canada, la Corée, les Etats-Unis, la Grèce, Israël, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, Singapour, la Suède et la Turquie.

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