EXAMEN DES ARTICLES FAISANT L'OBJET DU PRESENT AVIS

TITRE II - MESURES RELATIVES À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ET À LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

SECTION 2 - Renforcement des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)
Article 19 (art. 11-1 à 11-3 nouveaux de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004)
Pouvoirs de sanction de la HALDE

Cet article tend à modifier la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, afin d'y insérer trois articles attribuant à cette instance des pouvoirs de sanction et en définissant les modalités d'exercice.

Le faible nombre de condamnations prononcées chaque année pour des délits de discrimination laisse notre corpus juridique en la matière, l'un des plus étoffés du monde, largement inappliqué .

Pourtant, comme l'analysait Jean-Michel Belorgey dans son rapport sur la lutte contre les discriminations publié en 1999, « la loi doit être respectée parce qu'elle est la loi ; donner à croire le contraire, comme on s'y abandonne plus d'une fois en matière de discrimination plus qu'en d'autres domaines, sous couvert de ne « pas culpabiliser » les acteurs, alors que cette précaution n'est pas également pertinente dans tous les cas, c'est jouer la loi à la baisse. »

M. Louis Schweitzer, président de la HALDE, a indiqué à votre commission que l'octroi de pouvoirs de sanction à la Haute autorité était destiné à sanctionner effectivement, et dans un délai raisonnable, les discriminations.

Il a estimé que les sanctions ainsi prononcées, sans être trop pénalisantes financièrement, feraient néanmoins peser, en particulier après leur publication, une forte pression sur les auteurs de discriminations.

I. L'attribution d'un pouvoir de sanction pécuniaire à la HALDE

1. Le dispositif proposé

Le pouvoir de sanction pécuniaire

Le nouvel article 11-1 de la loi du 30 décembre 2004 tend à doter la HALDE d'un pouvoir de sanction pécuniaire.

Le dispositif du projet de loi initial visait à permettre à la Haute autorité, lorsqu'elle constate des faits constitutifs d'une discrimination directe 44 ( * ) , de prononcer contre le contrevenant une sanction pécuniaire ne pouvant excéder 5.000 euros pour une personne physique et 25.000 euros pour une personne morale. L'exercice de ce pouvoir serait soumis à une procédure contradictoire et la décision de sanction devrait être motivée.

En outre, le second alinéa de l'article 11-1 tendait à préserver les prérogatives de l'autorité judiciaire, en permettant au ministère public ou à la victime d'engager des poursuites pénales et aux juridictions répressives de prononcer des condamnations.

Dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49-3 de la Constitution, lors de la première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a retenu trois amendements présentés par M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, modifiant le dispositif de l'article 11-1 en prévoyant :

- que la HALDE ne puisse prononcer des sanctions pécuniaires que pour les actes de discrimination directe que visent les articles 225-2 et 432-7 du code pénal et L. 122-45 et L. 123-1 du code du travail 45 ( * ) ;

- que la sanction pécuniaire ne puisse excéder 1.500 euros s'il s'agit d'une personne physique et 15.000 euros s'il s'agit d'une personne morale.

Par ailleurs, le décret en Conseil d'Etat précisant les modalités de la procédure devant la HALDE devrait définir les conditions dans lesquelles les personnes mises en cause sont informées des faits qui leur sont reprochés et le délai minimal dont elles disposent pour préparer leur défense.

Le même décret devrait garantir, conformément aux exigences affirmées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le droit des personnes mises en cause d'être entendues, représentées et assistées.

Afin de prendre en compte les conditions d'impartialité définies par l'article 6-1 de la CEDH 46 ( * ) , étendues par le Conseil d'Etat aux procédures de sanction des autorités administratives indépendantes, le décret devrait distinguer au sein de la Haute autorité les personnes chargées de poursuivre les faits de celles délibérant sur la sanction.

Enfin, le Gouvernement a retenu un amendement du rapporteur de la commission tendant à instaurer un délai de prescription de trois ans pour les faits susceptibles de faire l'objet d'une sanction de la HALDE.

La possibilité de prononcer des sanctions complémentaires ou alternatives

Le nouvel article 11-2 tend à permettre à la Haute autorité d'ordonner l'affichage de la décision de sanction ou d'un communiqué, dans des lieux qu'elle détermine et pour une durée maximale de deux mois. Elle pourrait également ordonner l'insertion de la décision ou d'un communiqué au Journal officiel ou dans une ou plusieurs autres publications de presse, ou par la voie de services de communication électronique, sans que ces services de publication ou de communication puissent s'y opposer.

Le projet de loi initial ne permettait à la HALDE de recourir à l'affichage et à la publicité que si elle avait prononcé une sanction.

Dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49-3 de la Constitution, le Gouvernement a retenu un amendement présenté par le rapporteur, tendant à faire de l'affichage et de la publicité des alternatives à la sanction. La Haute autorité pourrait donc imposer l'affichage ou la publicité d'une décision de sanction, en l'absence d'une telle décision, ou d'un avis indiquant qu'une personne a été indûment mise en cause.

L'organisation des recours et des relations avec l'autorité judiciaire

Le nouvel article 11-3 de la loi du 30 décembre 2004 tend à prévoir que les décisions de sanction prononcées par la HALDE pourront faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil d'Etat.

Si une telle solution peut paraître semblable à celle adoptée pour nombre d'autorités administratives indépendantes, on peut toutefois s'interroger sur sa pertinence en l'espèce, les discriminations relevant essentiellement du juge pénal.

Dans sa rédaction initiale, le deuxième alinéa du nouvel article 11-3 tendait seulement à permettre au juge pénal, lorsque la Haute autorité a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant qu'il ait lui-même statué définitivement sur les mêmes faits, d'ordonner que cette sanction s'impute sur l'amende qu'il prononce.

Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture après engagement de la responsabilité du Gouvernement, a été retenu un amendement présenté par MM. Hénart, Giro et Tian, visant à mieux garantir le respect de la primauté du juge pénal.

Ainsi, la HALDE ne pourrait prononcer de sanction à l'encontre d'une personne qui aurait déjà été définitivement condamnée par le juge pénal ou aurait bénéficié d'une décision définitive de non-lieu ou de relaxe. Dans l'hypothèse où une décision de non-lieu ou de relaxe interviendrait après une sanction de la HALDE, la personne pourrait demander la révision de cette sanction. Par ailleurs, la sanction pécuniaire de la Haute autorité s'imputerait automatiquement sur l'amende que pourrait prononcer le juge pénal.

En outre, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture, un amendement présenté par le rapporteur de la commission des affaires culturelles précisant les effets des actions de la HALDE sur la prescription pénale des faits délictueux qu'elles visent. Les décisions prises par la Haute autorité, qu'il s'agisse d'une mise en demeure 47 ( * ) , d'une sanction pécuniaire ou de la diffusion d'un communiqué, interrompraient donc la prescription de l'action publique.

La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale précise également que la HALDE peut communiquer au parquet la copie de pièces qu'elle a recueillies ou élaborées en enquêtant sur les mêmes faits, sous réserve d'en informer les personnes concernées.

2. L'attribution d'un pouvoir de sanction pécuniaire à une autorité administrative indépendante

Le pouvoir de sanction d'une autorité administrative peut prendre deux formes. Il existe en effet un pouvoir répressif traditionnel, inhérent à l'action administrative lorsqu'elle consiste à délivrer une autorisation ou un agrément. L'autorité peut alors sanctionner en retirant cette autorisation ou cet agrément.

Mais certaines autorités sont également investies d'un pouvoir de sanction fiscale ou pécuniaire, qui tend à se développer depuis une trentaine d'années. Le régime juridique des sanctions administratives se rapproche d'ailleurs de plus en plus, sous l'effet des jurisprudences constitutionnelle et administrative, de celui des sanctions pénales.

Ainsi, le juge constitutionnel a admis, dans sa décision du 28 juillet 1989 48 ( * ) , que le législateur attribue un pouvoir de sanction à toute autorité administrative « dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ».

Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a rappelé qu'une autorité administrative indépendante, en l'occurrence la Commission des opérations de bourse, était soumise, à l'instar de tout organe administratif, « à une obligation d'impartialité pour l'examen des affaires qui relèvent de sa compétence et aux règles déontologiques qui en découlent ». Il vérifie par conséquent que la composition et les conditions de désignation des membres du collège d'une autorité investie d'un pouvoir de sanction sont à même de garantir son indépendance.

Le juge constitutionnel a finalement considéré que l'ensemble des principes constitutionnels concernant les sanctions pénales était également applicable « à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire » 49 ( * ) .

Le nouvel article 11-1 vise à attribuer à la HALDE la forme la plus récemment apparue de sanction administrative, c'est-à-dire la sanction pécuniaire. Au sein de l'éventail des pouvoirs de sanction attribués aux autorités administratives indépendantes, la sanction pécuniaire apparaît comme la plus répressive.

Aussi, le juge administratif contrôle-t-il le respect des prescriptions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) par les autorités administratives indépendantes lorsqu'elles exercent un tel pouvoir de sanction.

En effet, le Conseil d'Etat a jugé que les sanctions pécuniaires prononcées par des autorités administratives peuvent être assimilées à la « matière pénale », « dès lors qu'elles présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent et n'ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice 50 ( * ) ».

Dans son arrêt Didier du 3 décembre 1999, il a par conséquent estimé que, lorsqu'il était saisi d'agissements pouvant donner lieu à des sanctions pécuniaires, le Conseil des marchés financiers « devait être regardé comme décidant du bien-fondé d'accusation en matière pénale » au sens des stipulations de l'article 6-1 de la CEDH.

A cette occasion, le juge administratif, rappelant que le Conseil des marchés financiers siégeant en formation disciplinaire n'était pas une juridiction au regard du droit interne, a néanmoins admis que le moyen tiré de la violation d'un principe rappelé à l'article 6-1 pouvait, « eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de cet organisme, être utilement invoqué à l'appui d'un recours formé devant le Conseil d'Etat à l'encontre de sa décision ».

Il appartient en conséquence au législateur et au pouvoir réglementaire, lorsqu'ils entendent doter une autorité administrative indépendante d'un pouvoir de sanction pécuniaire, de veiller à ce que l'exercice de cette prérogative respecte les conditions du droit à un procès équitable telles qu'elles sont définies à l'article 6-1 de la CEDH 51 ( * ) .

3. Un pouvoir de sanction limité aux discriminations directes

La distinction entre discriminations directes et indirectes est issue du droit communautaire. Ces deux types de discrimination sont notamment définis de la façon suivante à l'article 2 de la directive n° 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique :

« Une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable ;

« Une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires ».

Ainsi, la discrimination indirecte peut désigner un régime apparemment neutre produisant des effets discriminatoires au détriment d'un groupe défini 52 ( * ) . Pour identifier une discrimination indirecte, la Cour de justice de Luxembourg, vérifie si lorsqu'une mesure produit un impact disproportionné 53 ( * ) , son auteur peut en apporter la justification.

Le concept de discrimination indirecte a été transposé dans le code du travail (art. L. 122-45) par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations. Il n'apparaît pas dans notre code pénal.

L'article 1 er de la loi du 30 décembre 2004 dispose que la HALDE est compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie.

L'Assemblée nationale, afin d'assurer le respect du principe de légalité des peines et des délits, a restreint la compétence de la Haute autorité en matière de sanctions aux discriminations directes visées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal et L. 122-45 et L. 123-1 du code du travail.

II. La position de votre commission

1. Eviter tout empiètement sur les missions du juge judiciaire

Votre commission est favorable au renforcement des pouvoirs de la HALDE à des fins de sanction effective des discriminations.

Elle souligne toutefois que les infractions de discrimination relèvent essentiellement de la justice pénale . Aussi le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale vise-t-il expressément, dans le champ de compétence de la Haute autorité en matière de sanction, les dispositions du code pénal.

La HALDE, autorité administrative, certes indépendante, disposerait par conséquent du pouvoir d'apprécier et de sanctionner des éléments constitutifs d'infractions pénales.

Votre commission considère que le dispositif ainsi envisagé empiète sur les missions de l'autorité judiciaire .

A la différence des pouvoirs de sanction attribués à plusieurs autorités administratives indépendantes dans le cadre de législations sectorielles, la HALDE pourrait en effet prononcer des sanctions pour des faits relevant en premier lieu de la justice pénale 54 ( * ) .

Le pouvoir qui lui serait ainsi reconnu excèderait les limites des attributions jusqu'alors confiées par le législateur aux autorités administratives indépendantes.

Ainsi, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ne peut sanctionner un opérateur qu'en cas d'infraction à une disposition législative ou réglementaire afférente à son activité, aux décisions prises pour en assurer la mise en oeuvre ou aux prescriptions du titre en vertu duquel il l'exerce 55 ( * ) . Les pouvoirs de sanction pécuniaire de la CNIL, de la CADA ou encore de la Commission bancaire ne s'exercent également qu'au titre des infractions aux dispositions régissant le secteur dans lequel ces autorités interviennent 56 ( * ) , sans préjudice des sanctions pénales qui pourraient par ailleurs être prononcées par le juge.

M. Arnaud de Broca, membre du comité consultatif auprès de la Haute autorité, a indiqué à votre rapporteur que la plupart des membres de ce comité exprimaient un avis défavorable au dispositif de sanction ainsi organisé. Il a en particulier relevé que le dispositif envisagé présentait un problème de cohérence avec les missions de l'autorité judiciaire, qui offrait davantage de garanties d'indépendance pour sanctionner des délits pénaux.

Votre commission estime par conséquent que le dispositif proposé pourrait porter atteinte à la séparation des pouvoirs , dont le Conseil constitutionnel a récemment rappelé l'importance, dans sa décision du 19 janvier 2006 57 ( * ) .

En outre, les nombreuses garanties de procédure encadrant désormais le pouvoir de sanction qui serait attribué à la Haute autorité tendent à assimiler celle-ci à une quasi-juridiction qui constituerait, dès lors, un démembrement de l'autorité judiciaire .

Votre rapporteur rappelle d'ailleurs que, comme l'a révélé la presse 58 ( * ) , l'assemblée du Conseil d'Etat a donné un avis défavorable au pouvoir de sanction de la Haute autorité tel qu'il est prévu par le projet de loi.

Aussi votre commission souhaite-t-elle doter la HALDE d'un pouvoir de sanction respectant le bloc de compétence de l'autorité judiciaire .

2. Doter la Haute autorité d'un pouvoir de transaction pénale

Votre commission vous propose un amendement tendant à attribuer à la HALDE un pouvoir de transaction pénale qui lui permettrait de sanctionner efficacement les discriminations, selon une procédure et une organisation plus cohérentes .

En effet, la transaction proposée à l'auteur des faits étant soumise à l'homologation d'un magistrat, cette procédure rendrait le pouvoir de sanction de la Haute autorité réellement complémentaire de l'action des autorités judiciaires.

Si le ministère public n'a pas, en principe, la faculté de transiger avec l'auteur des faits pour lui éviter des poursuites, cette règle connaît toutefois des exceptions, telles que la transaction pénale. Aux termes de l'article 6 du code de procédure pénale, l'action publique peut en effet « s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ».

La transaction en matière pénale est possible dans certains contentieux spécifiques, où elle peut être exercée, après accord du procureur de la République, par des autorités administratives 59 ( * ) .

Elle constitue une alternative aux poursuites, à l'instar de la composition pénale dont la procédure est définie aux articles 41-2 et 41-3 du code de procédure pénale 60 ( * ) .

A cet égard, dans son rapport relatif aux procédures accélérées de jugement en matière pénale, la mission présidée par notre collègue M. Laurent Béteille et dont notre collègue M. François Zochetto était le rapporteur, estime que la composition pénale « améliore véritablement la qualité de la justice rendue en apportant une réponse systématique et dissuasive aux actes de petite et moyenne délinquance auparavant classés sans suite, voire non poursuivis » 61 ( * )

Procédure relevant de la transaction, la composition pénale permet en effet d'économiser l'intervention de la justice tout en apportant, dans un délai assez bref, une solution définitive au conflit pénal 62 ( * ) .

Les travaux de la mission d'information de votre commission sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale 63 ( * ) montrent que la composition pénale constitue un moyen efficace de conjuguer sanction et réparation . Elle relève notamment que le taux d'exécution de la composition pénale oscille entre 70 et 90 %, soit un niveau très supérieur à celui observé pour les autres mesures pénales.

L'objectif du législateur étant de confier à la HALDE des prérogatives lui permettant de sanctionner efficacement, et dans un délai raisonnable, les discriminations, votre commission vous propose de créer un dispositif inspiré de ces procédures.

L'amendement que vous soumet votre commission tend ainsi à prévoir, au nouvel article 11-1 de la loi du 30 décembre 2004, que :

- la Haute autorité, lorsqu'elle constate des faits constitutifs d'une discrimination sanctionnée par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal et L. 122-45 et L. 123-1 du code du travail, peut proposer à l'auteur des faits une transaction consistant dans le versement d'une amende transactionnelle et, s'il y a lieu, dans l'indemnisation de la victime. La précision relative au caractère direct de la discrimination ne paraît plus nécessaire, dès lors que sont visées des dispositions législatives définissant précisément les délits en question ;

- le montant de l'amende ne peut excéder 3.000 euros s'il s'agit d'une personne physique et 15.000 euros s'il s'agit d'une personne morale 64 ( * ) ;

- le règlement transactionnel du délit ne peut intervenir que si les faits n'ont pas déjà donné lieu à la mise en mouvement de l'action publique ;

- la transaction proposée et acceptée par l'auteur des faits doit être homologuée par le procureur de la République ;

- la personne à laquelle est proposée une transaction est informée qu'elle peut se faire assister par un avocat avant de donner son accord.

Les prérogatives du ministère public seraient ainsi parfaitement respectées. En effet, lors de l'homologation, le procureur de la République pourrait, le cas échéant, estimer que les faits sont trop graves pour faire l'objet d'une transaction, et engager des poursuites.

L'amendement préserverait en outre, au nouvel article 11-2, la possibilité pour la HALDE de proposer, dans le cadre de la procédure transactionnelle, une sanction complémentaire ou alternative consistant à :

- afficher un communiqué, dans des lieux qu'il reviendrait à la haute autorité de préciser, et pour une durée ne pouvant excéder deux mois ;

- diffuser un communiqué, par son insertion au journal officiel, par voie de presse ou par voie électronique.

Les frais d'affichage ou de diffusion seraient alors à la charge de l'intéressé, sans pouvoir excéder le montant maximum de l'amende transactionnelle.

Par ailleurs, conformément aux règles encadrant les procédures de transaction prévues par le code pénal, le nouvel article 11-3 préciserait que :

- les actes tendant à la mise en oeuvre ou à l'exécution de la transaction sont interruptifs de la prescription de l'action publique ;

- l'exécution de la transaction constitue une cause d'extinction de l'action publique , sans faire échec au droit de la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal correctionnel, ce dernier ne statuant alors que sur les intérêts civils ;

- en cas de refus de la proposition de transaction ou d'inexécution d'une transaction acceptée et homologuée par le parquet, la Haute autorité pourrait mettre en mouvement l'action publique par voie de citation directe .

Ainsi, la nécessaire homologation de la proposition de transaction par le parquet, mais aussi la possibilité pour la HALDE de mettre elle-même en mouvement l'action publique en cas de refus ou d'inexécution, devraient renforcer l'efficacité du dispositif proposé.

En outre, l'amendement permettrait, par cohérence, aux agents de la Haute autorité de constater par procès-verbal les délits de discrimination . Ils devraient à cette fin être assermentés et spécialement habilités par le procureur de la République.

Cette prérogative leur permettrait en particulier de constater les délits de discrimination constitués lors d'un « testing », dans les conditions prévues par le nouvel article 225-3-1 du code pénal (article 21 du projet de loi).

Enfin, pour doter la HALDE de moyens d'investigation adaptés à son nouveau pouvoir de transaction pénale , l'amendement proposé par votre commission tend à renforcer son pouvoir de vérifications sur place , dans le respect des prérogatives de l'autorité judicaire.

Ainsi, en cas d'opposition du responsable des lieux à de telles vérifications, le président de la Haute autorité pourrait saisir le juge des référés afin qu'il les autorise. Le magistrat pourrait alors se rendre dans les locaux durant l'intervention et y mettre fin à tout moment.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 19 ainsi modifié .

Article 20 - Recommandations relatives à la suspension des agréments et autorisations délivrés par des autorités publiques

Cet article vise à permettre à la HALDE de recommander à une autorité publique de suspendre un agrément ou une autorisation qu'elle aurait délivrée à une personne physique ou morale ayant commis des actes discriminatoires.

A la différence de plusieurs autres autorités administratives indépendantes, telles que la CNIL, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou l'Autorité des marchés financiers, la HALDE n'a pas pour compétence de délivrer des agréments ou des autorisations.

Il apparaît néanmoins cohérent, dès lors que le législateur entend lui attribuer un pouvoir de sanction pécuniaire, de lui permettre, par ailleurs, de recommander à certaines autorités publiques de suspendre les agréments ou autorisations qu'elles ont pu délivrer à des personnes reconnues ultérieurement coupables de discriminations .

Dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, en application de l'article 49, troisième alinéa, de la Constitution, a été retenu un amendement présenté par M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, tendant à étendre cette nouvelle prérogative de la HALDE aux autorités publiques qui pourraient prendre des mesures conservatoires ou des sanctions, telles que la fermeture provisoire d'un établissement.

Cette extension vise notamment les activités soumises à un régime de déclaration et non d'autorisation.

Elle pourrait en particulier s'appliquer à des personnes physiques ou morales de droit privé offrant des services de placement sur le marché du travail, activité soumise à une obligation de déclaration préalable à l'autorité administrative (art. L. 312-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale).

En effet, l'article L. 310-2 du code du travail dispose qu'« aucun service de placement ne peut être refusé à une personne à la recherche d'un emploi ou à un employeur pour l'un des motifs » de discrimination énumérés à l'article L. 122-45 du même code.

En cas de manquement à cette obligation, l'autorité administrative « peut, après mise en demeure, ordonner la fermeture de l'organisme en cause pour une durée n'excédant pas trois mois » (art. L. 312-2 du code du travail).

Plus généralement, ce dispositif permettrait à la HALDE de saisir les préfets de faits discriminatoires intervenus dans certains établissements ouverts au public, afin d'obtenir leur fermeture.

Votre commission a par conséquent donné un avis favorable à l'adoption sans modification de l'article 20.

Article 21 - Reconnaissance du « testing » comme mode de preuve des comportements discriminatoires

Cet article a pour objet d'inscrire dans la loi la validité des vérifications à l'improviste, ou « testings », en tant que moyen de preuve des pratiques discriminatoires.

Le testing est une méthode utilisée pour mettre en évidence des comportements discriminatoires.

Le présent article vise à insérer un article 225-3-1 au sein de la section « discriminations » du chapitre relatif aux atteintes à la dignité de la personne du livre II du code pénal.

Ainsi, les délits de discrimination prévus par les articles 225-1 à 225-4 seraient constitués même s'ils étaient commis à l'encontre d'une ou de plusieurs personnes pratiquant une vérification en sollicitant un bien, un service ou un contrat afin de démontrer l'existence du comportement discriminatoire.

Il faudrait toutefois que la preuve de ce comportement soit établie, par exemple au moyen de constatations effectuées par un officier public ou ministériel.

I. La reconnaissance jurisprudentielle de la validité du « testing » comme mode de preuve

Le 12 septembre 2000, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a refusé de casser une décision de la Cour d'appel d'Orléans, qui avait admis comme preuve de discrimination à l'accès à une discothèque, les résultats d'un « testing » qui établissait que l'accès était différencié selon l'origine des clients 65 ( * ) . Dans cet arrêt, la Cour s'est cependant limitée à rejeter les arguments du gérant de la discothèque sur le fait qu'il s'agissait d'une preuve déloyale et illégale, sans préciser les modalités admissibles de cette méthode.

Le second arrêt par lequel la Cour de cassation a reconnu la validité du « testing » comme mode de preuve des discriminations 66 ( * ) reprend expressément la logique d'une jurisprudence constante 67 ( * ) selon laquelle le juge pénal ne peut refuser d'examiner des éléments de preuve apportés par des particuliers au motif qu'ils ont été obtenus de façon déloyale.

En effet, l'article 427 du code de procédure pénale dispose que « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ».

Sa recevabilité comme preuve étant admise, la jurisprudence a peu à peu précisé les exigences méthodologiques nécessaires pour évaluer la fiabilité et la valeur probante du « testing » présenté devant les juges. Les Cours d'appel ont ainsi estimé que lorsque les acteurs du « testing » appartenaient à l'association qui l'organisait, la neutralité de l'opération et la fiabilité de ses résultats étaient insuffisantes au regard des exigences de probité de la preuve pénale.

Il en résulte que la valeur du « testing » dépend des moyens mis en oeuvre pour assurer la fiabilité de son résultat devant la Cour 68 ( * ) . Dans sa décision du 7 juin 2005, la Cour de Cassation a confirmé la possibilité de prouver la discrimination au moyen d'un « testing » téléphonique enregistré 69 ( * ) .

Le procès-verbal d'enquête de l'inspecteur du travail et un enregistrement téléphonique réalisé par une association peuvent également constituer une preuve du traitement différencié des salariés selon leur origine 70 ( * ) .

Il apparaît ainsi, au fil de la jurisprudence, que le « testing » peut permettre de surmonter les obstacles liés à l'absence de traces matérielles et de témoin et la difficulté d'établir le fondement discriminatoire d'une décision.

II. La validité du « testing » consacrée par la loi

L'article 21 du projet de loi tend simplement à prévoir que le délit de discrimination peut être constitué quand bien même la victime aurait sollicité le droit ou le bien qui lui a été refusé dans l'objectif de démontrer l'existence de la discrimination 71 ( * ) . En effet, l'intention de la victime d'une infraction est sans incidence lorsque l'auteur des faits a bien commis intentionnellement l'infraction qu'on lui reproche.

En revanche, le dispositif prévu par le projet de loi n'a pas pour objet de consacrer en droit pénal la pratique du « testing » à des fins statistiques de mesure des comportements discriminatoires. Une telle pratique consiste en effet à adresser, par exemple, une série de candidatures fictives à une offre d'emploi, chaque dossier différant sur des variables susceptibles de donner lieu à des discriminations, comme l'origine, l'apparence physique, l'âge ou le handicap.

Un délit ne peut être constitué dans une telle hypothèse puisqu'il n'y a pas, à proprement parler, de victime.

Le « testing » ne serait donc consacré comme mode de preuve que dans le cas où l'infraction a été commise à l'encontre d'une personne.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme suit une évolution qui vient renforcer la position de la Cour de cassation, l'exigence d'un procès équitable tendant à remplacer « la vieille idée de la déloyauté dans la recherche des preuves » 72 ( * ) .

Ainsi, la Cour européenne estime qu'elle « ne saurait exclure par principe et in abstracto l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière illégale » 73 ( * ) .

Par ailleurs, lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, le législateur avait rejeté un amendement tendant à introduire dans le code de procédure pénale une exigence de loyauté dans la recherche des preuves 74 ( * ) .

Votre commission vous propose d'adopter l'article 21 sans modification.

Article 22 - Extension aux collectivités d'outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises

Cet article tend à rendre applicables à Mayotte, dans les îles Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, dans les Terres australes et antarctiques françaises, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie les nouvelles dispositions insérées :

- par les articles 19 et 20 du projet de loi au sein de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations ;

- par l'article 21 du projet de loi au sein du code pénal, afin de consacrer la validité du « testing » comme mode de preuve en matière de comportements discriminatoires.

En vertu du principe d'assimilation législative énoncé à l'article 73, premier alinéa, de la Constitution, ces dispositions seront applicables de plein droit dans les départements d'outre-mer -la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion.

En revanche, le principe de spécialité législative rend nécessaire une mention expresse d'application pour que la loi soit applicable dans les collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 de la Constitution, soit Mayotte, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Une telle mention n'est pas nécessaire pour la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui demeure régie par le principe d'assimilation législative, à l'exception de la fiscalité, du régime douanier et de la réglementation en matière d'urbanisme, pour lesquels le conseil général est seul compétent 75 ( * ) .

L'article 25 de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE prévoit expressément l'application de ce texte à Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Il est donc logique et nécessaire de prévoir l'extension à ces collectivités des nouvelles dispositions prévues par le projet de loi pour attribuer des pouvoirs de sanction à la Haute autorité (articles 19 et 20).

Le principe de spécialité législative vaut également en matière de droit pénal en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna 76 ( * ) .

En revanche, le I de l'article 3 de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte prévoit que sont applicables de plein droit dans cette collectivité les lois portant sur le droit pénal, la procédure pénale, ainsi que sur la procédure administrative contentieuse et non contentieuse. Le nouvel article 21 y sera donc applicable sans qu'il soit nécessaire de le mentionner expressément.

On pourrait également inférer des dispositions de la loi du 11 juillet 2001 que les nouveaux pouvoirs de sanction de la HALDE, relevant à la fois de la procédure administrative et de la procédure pénale, sont applicables de plein droit à Mayotte. C'est l'option choisie par le gouvernement qui prend toutefois la précaution de rappeler cette conséquence de l'identité législative dans ces matières.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 22 sans modification .

Article additionnel après l'article 22 - Mesure de la diversité des origines au sein des personnes morales publiques et privées

Votre commission vous soumet un amendement tendant à prévoir la définition d'un cadre de référence permettant aux personnes morales publiques et privées de mesurer en leur sein la diversité des origines, et à en encadrer l'utilisation.

I. La situation actuelle : la promotion de la diversité face à l'invisibilité statistique

Si le principe d'égalité est inscrit au coeur des valeurs républicaines de notre pays, sa conception parfois très formaliste -et non dépourvue d'hypocrisie- peut dissimuler de profondes injustices réelles. Cette distance entre le principe et la réalité conduit aujourd'hui de nombreux acteurs -citoyens, associations, entreprises, à se mobiliser pour la lutte contre les discriminations.

Pourtant, le développement des textes sanctionnant les discriminations, leur traitement par l'autorité judiciaire, voire par une autorité administrative indépendante, ne sauraient appréhender à la fois l'étendue et la prégnance de ces comportements. Souvent occulté, le phénomène discriminatoire s'inscrit dans des logiques économiques et sociales.

Dans son rapport remis à M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement en juillet 2005 77 ( * ) , sur la lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi, M. Roger Fauroux estime que « L'intégration des minorités visibles, c'est surtout jusqu'ici un arsenal législatif et réglementaire impressionnant, une série de rapports excellents, enfin un empilement d'institutions auquel les gouvernements successifs ont apporté chacun une strate, le tout, au bout du compte, pour un résultat d'une affligeante médiocrité ».

L'ancien président du Haut conseil à l'intégration considère en outre que « la discrimination vis-à-vis des maghrébins ou des noirs, pour les appeler par leur nom, qu'ils soient français ou non, est dans le domaine de l'emploi, largement et impunément pratiquée ».

Pourtant, alors que les discriminations à raison du sexe font l'objet d'études statistiques, comme celles relatives au handicap, ces instruments de mesure sont inexistants pour appréhender les discriminations relatives à l'origine ethnique. Seuls des procédés comme le « testing » permettent d'apprécier l'étendue de tels phénomènes, mais de façon ponctuelle et partielle.

Ainsi M. Patrick Weil, directeur de recherches au CNRS, avait récemment estimé que « pour aider la Haute autorité, les juges et les inspecteurs du travail, les outils statistiques qui permettent de croiser le lieu de naissance de l'individu et de ses parents, leur nationalité, leur date d'arrivée en France et d'autres informations portant sur le logement, le parcours scolaire, etc... devront être développés et seront autant d'indices pour préjuger la bonne ou la mauvaise foi des entreprises » 78 ( * ) .

De rares études s'appuient sur des enquêtes approfondies, que l'inexistence d'un cadre de référence statistique rend très difficiles 79 ( * ) .

Comme l'écrit M. Roger Fauroux, « l'une des principales faiblesses du modèle français d'intégration est la cécité qu'il s'impose vis-à-vis de l'origine ethnique et même géographique des individus dont il ne veut connaître que la nationalité. Cet aveuglement volontaire rend caduque, faute de repères chiffrés, une bonne partie de ce qui s'écrit sur les progrès ou les reculs de la diversité dans les entreprises et fournit un prétexte commode à tous ceux qui nient l'existence même d'un problème » 80 ( * ) .

Dès 1999, M. Jean-Michel Belorgey, dans son rapport sur la lutte contre les discriminations, préconisait la création d'instruments statistiques permettant de mesurer ces phénomènes 81 ( * ) .

Certaines entreprises, qui se sont engagées à lutter contre les pratiques discriminatoires par exemple en signant la Charte de la diversité élaborée en 2004 par l'Institut Montaigne 82 ( * ) , souhaitent pouvoir mettre fin à « l'invisibilité statistique » 83 ( * ) de ces phénomènes.

En effet, les signataires de la charte de la diversité se sont engagés non seulement à refléter la diversité de la société française dans leur entreprise, mais aussi à publier dans leur rapport annuel des données sur les résultats des actions mises en oeuvre. Le programme d'action pour l'égalité des chances annoncé lors du conseil des ministres du 1 er février 2006 prévoit d'ailleurs que les entreprises signataires devront « concrétiser » les engagements auxquels elles ont souscrit 84 ( * ) .

Ainsi, quatre entreprises signataires de cette charte 85 ( * ) cherchent actuellement à élaborer un protocole expérimental de mesure de la diversité des origines, utilisant l'auto-déclaration par les salariés concernés.

Dans une étude relative au rôle des statistiques dans la transformation du système de discrimination, M. Patrick Simon, chercheur à l'Institut national des études démographiques, résume ainsi cette difficulté ; « L'invisibilité, qu'elle soit politique ou statistique, ne sert qu'à maintenir tous les « plafonds de verre » qui défendent la suprématie des majoritaires et s'opposent à une véritable égalité » 86 ( * ) .

II. La position de la CNIL

La CNIL a entendu éclairer les employeurs privés et publics sur les conditions de mesure de la diversité des origines de leurs employés, en adoptant sur cette question des recommandations, le 5 juillet 2005.

En effet, l'article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique et aux libertés interdit, sauf consentement exprès de la personne concernée, la collecte et le traitement des données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques.

La CNIL considère que certaines données, telles que le nom, le prénom, la nationalité, la nationalité d'origine, le lieu de naissance, la nationalité ou le lieu de naissance des parents, ou encore l'adresse, peuvent être recueillies et traitées dans le cadre de la mise en place d'outils de mesure de cette diversité. Elle constate en revanche l'absence d'un référentiel national de typologies « ethno-raciales » .

La CNIL estime par conséquent qu'il n'existe pas « d'indicateurs ethno-raciaux » diffusés par la statistique publique qui pourraient servir aux employeurs comme base de comparaison fiable (indicateurs nationaux ou par bassin d'emploi).

Elle souligne qu'« en tout état de cause, le principe même de la création d'un tel référentiel devrait être approuvé par le législateur » .

Elle recommande par conséquent aux employeurs de ne pas recueillir de données relatives à l'origine raciale ou ethnique réelle ou supposée de leurs employés ou des candidats à un emploi.

Par ailleurs, l'analyse de la consonance du nom, du prénom, ou de la nationalité des personnes pour établir un classement dans des catégories « ethno-raciales » ne lui paraît pas pertinente en l'absence d'un référentiel national de typologies « ethno-raciales » et en l'absence d'un lien fiable entre ces données et l'appartenance à une catégorie raciale ou ethnique déterminée.

A cet égard, M. Jean-François Amadieu, directeur de l'Observatoire des discriminations, a indiqué à votre commission que le cadre légal précisé par la CNIL n'était pas respecté par certaines entreprises. Il a déploré le sentiment d'impunité prévalant à l'heure actuelle, et souhaité que les moyens de la CNIL soient renforcés afin de lui permettre de traiter rapidement les demandes d'autorisation en ce domaine.

III. La position de votre commission

Votre commission vous propose un amendement tendant à prévoir l'utilisation, par les personnes morales de droit public et de droit privé, d'un cadre de référence .

Ce cadre de référence serait défini conjointement par la HALDE, par l'Institut national de la statistique et des études économiques et par l'Institut national des études démographiques.

Les entreprises, publiques ou privées, mais aussi les établissements publics souhaitant mesurer la diversité des origines de leurs effectifs seraient tenus de l'utiliser .

Bénéficiant ainsi de l'expertise des deux instances les plus compétentes en ce domaine, il permettrait d'établir une typologie des groupes de personnes susceptibles d'être discriminées à raison de leurs origines raciales ou ethniques.

Conformément aux recommandations de la CNIL, l'amendement prévoit que les traitements de données utilisant le cadre de référence défini à des fins de mesure de la diversité devraient faire l'objet d'une procédure d'anonymisation . Dans ses recommandations du 5 juillet 2005, la CNIL considère en effet que les résultats doivent être produits sous une forme statistique agrégée, de façon à garantir l'anonymat des personnes concernées.

En outre, le respect des conditions d'anonymat et de confidentialité impose que les effectifs de l'entité où sont réalisées les statistiques soient suffisants.

Aussi serait-il précisé que les personnes morales publiques ou privées dont les effectifs comptent moins de 150 personnes ne peuvent procéder ou faire procéder à des traitements de données à des fins de mesure de la diversité des origines.

Enfin, les traitements de données utilisant le nouveau cadre de référence devraient être déclarés à la CNIL, dans les conditions prévues à l'article 23 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Tel est l'objet de l'article additionnel que votre commission vous propose d'insérer après l'article 22 .

Votre commission vous soumet par ailleurs un amendement de conséquence tendant à insérer après l'article 22 du projet de loi une division additionnelle (section), relative à la mesure de la diversité.

* 44 Au sens de l'article premier de la loi du 30 décembre 2004 dont le second alinéa dispose que « la Haute autorité est compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie ».

* 45 L'article L. 123-1 du code du travail interdit les discriminations à l'embauche et dans le domaine de l'emploi à raison du sexe et de la situation de famille.

* 46 L'article 6-1 de la CEDH stipule notamment que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

* 47 L'article 9 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, permet à la Haute autorité, lorsque ses demandes d'explication, d'informations ou de documents ne sont pas suivies d'effet, de mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu'elle fixe. Si cette mise en demeure reste infructueuse, le président de la Haute autorité peut saisir le juge des référés d'une demande motivée aux fins d'ordonner toute mesure d'instruction que ce dernier juge utile.

* 48 Décision 260 DC du 28 juillet 1989, loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier.

* 49 Décision 248 DC du 17 janvier 1989, CSA.

* 50 CE, avis du 31 mars 1995, Ministre du budget c/Sarl Autoroute Industrie Méric.

* 51 Le Conseil d'Etat a en particulier examiné la participation du rapporteur aux travaux du collège de l'autorité chargée de délibérer et de prononcer, le cas échéant, une sanction. Ainsi, dans son arrêt Didier, pour juger que la participation du rapporteur aux débats et au vote à l'issue desquels le Conseil des marchés financiers a prononcé une sanction n'emportait « aucune méconnaissance du principe d'impartialité rappelé à l'article 6-1 de la CEDH », il vérifie que le rapporteur n'est pas à l'origine de la saisine, qu'il ne participe pas à la formulation des griefs, qu'il n'a pas le pouvoir de classer l'affaire ou, au contraire, d'élargir le cadre de la saisine, et que les pouvoirs d'investigation dont il est investi pour vérifier la pertinence des griefs et des observations de la personne poursuivie ne l'habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies, ni à procéder à toute mesure de contrainte au cours de l'instruction.

* 52 Dans son arrêt Bilka du 13 mai 1986, la Cour de justice des communautés européennes a jugé que le fait de réserver un avantage aux salariés à temps plein peut constituer une discrimination indirecte à raison du sexe, dès lors que les travailleurs à temps partiel de l'entreprise concernée sont majoritairement des femmes.

* 53 Cet impact peut être démontré par des données statistiques.

* 54 Cette difficulté transparaît également dans l'attribution, envisagée par le projet de loi, d'une compétence au Conseil d'Etat pour connaître des recours de pleine juridiction contre les sanctions prononcées par la Haute autorité. Le juge administratif aurait alors à se prononcer sur des sanctions concernant des faits visés par le code pénal.

* 55 Art. L 5-3 du code des postes et des communications électroniques.

* 56 A cet égard, M. Assane Fall, secrétaire général de l'association SOS Racisme, a également souligné devant votre rapporteur que l'adoption du dispositif prévu par le projet de loi confierait pour la première fois à une autorité administrative le pouvoir de sanctionner directement des délits définis par le code pénal.

* 57 Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

* 58 Le Monde, 12 janvier 2006, Des mesures pour l'égalité des chances en écho à la crise des banlieues.

* 59 L'administration fiscale ou des douanes, dans le cadre du contentieux fiscal ou douanier (art. L. 248 à L. 251 du livre des procédures fiscales et 350 du code des douanes) ; le chef du service d'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, pour les délits prévus au titre IV du livre IV du code de commerce (art. L. 470-4-1 de ce code).

* 60 Son champ d'utilisation a surtout été étendu par la loi n° 99-515 du 23 juin 199 , qui a inséré les articles 41-1 à 41-3 dans le code de procédure pénale. Ces dispositions, définissant notamment la procédure de composition pénale (art. 41-2 et 41-3), ont mis en place des alternatives crédibles et cohérentes à l'engagement de poursuites. Sur ce point, voir également le commentaire de l'article 27 du présent projet de loi, qui tend à donner aux maires un pouvoir de transaction pénale pour les contraventions relevant d'actes d'incivilité.

* 61 Rapport fait au nom de la commission des lois par la mission d'information sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale (n° 17, 2005-2006) p. 30.

* 62 Le rapport de la mission d'information de la commission des lois sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale relève que la durée de traitement d'une composition pénale, de la date de la première convocation à la date de la clôture, est en moyenne largement inférieure à six mois.

* 63 Mission présidée parM. Laurent Béteille ; cf Rapport fait au nom de la commission des lois par M. François Zochetto sur les procédures accélérées de jugement en matière pénale (n° 17, 2005-2006).

* 64 Les montants ainsi proposés tendent à respecter une proportion de 1 à 5 entre les amendes visant respectivement les personnes physiques et les personnes morales, conformément à l'échelle des peines.

* 65 Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 sept. 2000,

* 66 Arrêt de la Chambre criminelle du 11 juin 2002.

* 67 Cf. notamment l'arrêt du 15 juin 1993, dans lequel la Cour de cassation juge « qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale, qu'il leur appartient seulement, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur probante ».

* 68 Voir CA Grenoble, 18 avril 2001.

* 69 Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 juin 2005.

* 70 TGI de Paris, 31 ème chambre, 22 nov. 2002, CA de Paris, 11 ème chambre, 17 octobre 2003.

* 71 Un policier se faisant passer pour un acheteur de drogue dans le but de confondre le dealer recourt à la même méthode. Ce procédé est recevable parce que le comportement du policier ne détermine pas la commission du délit.

* 72 Mireille Delmas-Marty, La preuve pénale, Droits 1996, n° 23, p. 53-64, citée par Laurence Collet-Askri in Testing or not testing, Chronique Dalloz 2003, n° 20.

* 73 CEDH c/Suisse, 12 juillet 1988.

* 74 Journal officiel, Assemblée nationale, débats, 1 ère séance du 24 mars 1999, p. 2791 et 2 ème séance du 9 février 2000, p. 910.

* 75 Cf. art. 21 de la loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon.

* 76 En effet, contrairement à une idée largement répandue, les lois pénales ne sont pas des lois de souveraineté.

* 77 Roger Fauroux, La lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi.

* 78 Le Monde, 14 décembre 2004.

* 79 Cf. I, A, l'étude conduite par M. Arnaud Dupray et Mme Stéphanie Moullet.

* 80 Ces repères chiffrés ont été mis en place dans plusieurs pays, comme le montre une étude comparative de la collecte de données visant à mesurer l'étendue et l'impact de la discrimination aux Etats-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni et Pays-Bas, Projet Medis (mesure des discriminations), Commission européenne, août 2004.

* 81 « Le franchissement d'un seuil significatif d'efficacité dans la lutte contre les discriminations passe donc vraisemblablement par la mise en oeuvre simultanée de trois disciplines : l'approfondissement, tout à la fois sur le fondement d'analyses précises de ces faits et de statistiques dignes de ce nom ainsi que de travaux socio-anthropologiques appropriés, de la connaissance des faits et processus de discrimination, de leur ampleur, et de leurs ressorts ; le traitement des faits repérés de discriminations ; la conduite à la bonne échelle de stratégies d'action positive. »

* 82 Au 27 octobre 2005, la Charte de la diversité avait été signée par 242 entreprises .

* 83 Laurent Blivet, Ni quotas, ni indifférence - L'entreprise et l'égalité positive - Note de l'Institut Montaigne - Octobre 2004.

* 84 Les entreprises signataires de la Charte de la diversité dans l'entreprise doivent notamment « chercher à refléter la diversité de la société française et notamment sa diversité culturelle et ethnique dans [leurs] effectifs, aux différents niveaux de qualification » et « informer sur les résultats pratiques de cet engagement ».

* 85 AXA, Pinault Printemps Redoute (PPR), Eau de Paris et la SNCF.

* 86 Patrick Simon, Le rôle des statistiques dans la transformation du système de discrimination.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page