B. LA NÉCESSITÉ DE RENDRE PLUS EFFECTIVES LES DISPOSITIONS SANCTIONNANT LES DISCRIMINATIONS

Si le principe d'égalité est au coeur du système juridique français, le principe de non discrimination n'y est apparu que progressivement, sous l'influence du droit international 15 ( * ) .

1. Un corpus juridique étoffé, développé sous l'influence du droit international, européen et communautaire

a) Le droit international

De nombreuses conventions adoptées par les institutions appartenant au système des Nations unies affirment le principe de non discrimination. Les articles 2 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 prohibent ainsi toute discrimination. Les Pactes de 1966 interdisent toute distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance 16 ( * ) .

Des conventions intervenues dans des domaines précis comme l'emploi, les droits des personnes handicapées et l'enseignement reprennent également le principe de non discrimination comme la convention de l'UNESCO relative à la lutte contre les discriminations dans le domaine de l'enseignement (1960) et celle pour la protection des droits et de la dignité des handicapés (2001) 17 ( * ) .

b) Le droit européen et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

L'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

Par sa jurisprudence, la CEDH a exercé une influence indéniable dans la lutte contre les discriminations, jugeant notamment qu'une différence de traitement prévue par la loi à l'égard des enfants nés hors mariage méconnaissait le droit au respect de la vie familiale 18 ( * ) , ou encore que la répression pénale de l'homosexualité portait atteinte au droit au respect de la vie privée 19 ( * ) (art. 8 de la convention).

c) Le droit communautaire : une extension progressive du domaine de la lutte contre les discriminations

Le droit communautaire primaire et dérivé comporte un ensemble de textes prohibant les discriminations. L'article 13 du traité instituant la communauté européenne (TCE) permet ainsi au Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ».

Les directives communautaires adoptées en matière de lutte contre les discriminations depuis les années 1970, reprenant des principes énoncés par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), s'étendent progressivement de l'égalité de traitement dans le monde du travail aux principaux domaines de la vie économique et sociale. Trois directives visent ainsi à interdire les discriminations :

La directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique .

Cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations .

La directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail reprend tous les critères de discrimination énoncés à l'article 13 du TCE.

La directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.

d) Le droit interne : un arsenal juridique très développé

Le corpus juridique applicable en France en matière de lutte contre les discriminations regroupe essentiellement les dispositions du code pénal et du code du travail, ainsi que des règles concernant l'accès au logement.

Les dispositions du code pénal relatives aux discriminations

Aux termes de l'article 225-1 du code pénal, « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

Cet article définit par ailleurs comme une discrimination à l'encontre d'une personne morale une distinction opérée à raison des mêmes critères appliqués aux membres ou à certains membres de ces personnes morales.

L'article 225-2 punit la discrimination commise à l'égard d'une personne physique ou morale de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende lorsqu'elle consiste à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne, à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1, à refuser d'accepter une personne à certains stages 20 ( * ) .

L'article 225-4 dispose que les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement des infractions définies à l'article L. 225-2.

L'article 432-7 punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende une discrimination commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public , dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, lorsqu'elle consiste à refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ou à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque.

Les dispositions relatives aux relations du travail et à la fonction publique

L'article L. 122-45 du code du travail 21 ( * ) dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte , notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de critères dont il fixe la liste 22 ( * ) . Reprenant l'aménagement de la charge de la preuve prescrit par les directives communautaires, cet article impose à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Aux termes de l'article L. 122-45-1 du code du travail, les syndicats peuvent exercer en justice les actions qui naissent de l'article L. 122-45, pourvu que la victime de discrimination ait été avertie par écrit et ne s'y soit pas opposée dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention. La même possibilité est ouverte aux associations, sous réserve de l'accord écrit de la personne en faveur de laquelle elles agissent.

L'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 23 ( * ) interdit, sous peine de sanction disciplinaire, toute distinction, directe ou indirecte, entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race.

Les dispositions régissant les rapports locatifs

La loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 interdit de refuser la location d'un logement à une personne en raison de son origine, son patronyme, son apparence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses moeurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Cette interdiction est assortie d'un aménagement de la charge de la preuve au profit de la personne qui s'estime victime d'une discrimination.

Le droit à un traitement égal en matière sociale

L'article 19 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la HALDE complète la transposition en droit interne de la directive 2000/43 du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.

Cet article étend par conséquent le droit à un traitement égal, quelles que soient l'origine nationale, l'appartenance ou la non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie ou une race, dans les domaines de la protection sociale, de la santé, des avantages sociaux, de l'éducation, de l'accès aux biens et services, de la fourniture de biens et services, de l'engagement syndical, de l'accès à l'emploi, de l'emploi et du travail indépendant ou non salarié.

En outre, l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004 aménage la charge de la preuve 24 ( * ) au profit de toute personne s'estimant victime d'une discrimination à raison de l'origine nationale, de l'appartenance ethnique ou de la race, dans les domaines visés. Il incombe donc à la partie défendresse de prouver que les faits avancés par la victime sont justifiés par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.

* 15 La notion de discrimination apparaît ainsi dans la convention 111 de l'Organisation internationale du travail de 1958 relative à l'égalité de traitement dans l'emploi et la profession.

* 16 Deux traités spécifiques les complètent : la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979).

* 17 L'Organisation internationale du travail a par ailleurs adopté trois conventions relatives à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (1951), à la discrimination en matière d'emploi et de profession (1958) et de réadaptation professionnelle et d'emploi des personnes handicapées (1983).

* 18 Arrêts Marcks c/Belgique du 13 juin 1979 et Inze c/ Autriche du 28 octobre 1984.

* 19 Arrêt Dudgeon c/Royaume-Uni du 22 octobre 1981.

* 20 L'article L. 225-3 exclut l'application de ces sanctions dans trois cas où la distinction peut paraître légitime :

- les discriminations fondées sur l'état de santé, lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ;

- les discriminations fondées sur l'état de santé ou le handicap, lorsqu'elles consistent en un refus d'embauche ou un licenciement fondé sur l'inaptitude médicalement constatée ;

- les discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue, conformément aux dispositions du code du travail ou aux lois portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique, la condition déterminante de l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle.

* 21 Le champ de cet article a été étendu à l'ensemble des aspects de la relation de travail (rémunération, formation, reclassement, qualification, classification, promotion professionnelle, mutation, renouvellement de contrat) par l'article 1 er de la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations.

* 22 Ces critères sont l'origine, le sexe, les moeurs, l'orientation sexuelle, l'âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, les convictions religieuses, l'apparence physique, le patronyme ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV du livre II du présent code, l' état de santé ou le handicap.

* 23 Loi dite loi Le Pors.

* 24 Conformément aux prescriptions de l'article 8 de la directive du 29 juin 2000.

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