B. LES LIMITES

1. Le risque d'un excès de confiance

Une erreur consisterait à imaginer que la preuve objective acquise scientifiquement est infaillible et coupe court à toute contestation ou dénégation.

Comme l'a rappelé à votre rapporteur Mme Muriel Renard, adjointe du chef du bureau police judiciaire du ministère de la justice, la preuve scientifique ne dispense aucunement d'une enquête ou d'une instruction à charge et à décharge. L'affaire Caroline Dickinson est un cas où précisément le recours à des méthodes scientifiques a alterné avec des méthodes plus classiques. Le test génétique de l'ensemble des habitants mâles de la commune n'avait servi à rien sinon à abandonner la piste locale et à innocenter un individu ayant avoué le meurtre de la jeune fille. S'en était suivi un travail classique d'enquête ayant conduit à l'établissement d'une liste de suspects parmi lesquels figurait le coupable.

L'enquête reste d'autant plus nécessaire que les délinquants apprennent également à manipuler la preuve scientifique, par exemple en abandonnant du matériel biologique appartenant à un tiers sur une scène d'infractions.

Enfin, la preuve scientifique n'est infaillible que si elle est obtenue selon des méthodes et des circonstances irréprochables. Cette condition ouvre la voie à un contentieux important comme l'a indiqué Mme Muriel Renard. De plus en plus, la preuve scientifique est contestée et donne lieu à des contre-expertises.

2. Un réflexe encore insuffisant

Il subsiste une marge de manoeuvre importante avant que le recours à la PTS ne devienne une pratique anodine en matière de petite délinquance.

Des progrès sont encore à faire quant à la qualité du traitement d'une scène d'infraction. Cette phase est certainement la plus importante en matière de police scientifique. Il s'agit d'un laps de temps relativement court pendant lequel il faut intervenir le plus rapidement possible avant que des informations ne disparaissent ou se dégradent. L'intervention ne doit toutefois pas se faire dans la précipitation : gel des lieux, prélèvements des traces selon la méthode adaptée.

Sans un bon traitement de la scène d'infraction, il n'existe pas de police scientifique. Si cette étape n'est pas effectuée correctement, il est extrêmement difficile de corriger le tir, dès lors que des éléments sont viciés ou perdus.

L'effort de formation doit être en permanence maintenu pour inculquer cette culture de la preuve.

Toutefois, cette police scientifique de terrain doit être mise en oeuvre avec mesure comme il l'a été indiqué à deux reprises à votre rapporteur. Deux raisons à cela :

- le dimensionnement actuel des laboratoires de police scientifique ne supporterait pas un afflux massif de requêtes pour de petites ou moyennes infractions

- le bilan coûts/avantages.

Au cours de son audition, le lieutenant-colonel Bruno Vanden-Bergh, directeur adjoint de l'IRCGN, a attiré l'attention sur l'importance de la hiérarchisation des analyses, toutes ne devant pas être analysées dans l'urgence. Il a insisté sur le rôle du coordonnateur de criminalistique qui en a la responsabilité.

Par ailleurs, au cours de son déplacement à Ecully, votre rapporteur s'est vu présenter la mallette de base pour les prélèvements biologiques. D'un coût de 35 euros, elle est donnée aux agents avec la consigne de relever les éléments strictement pertinents et de ne pas inonder les laboratoires de matériels à analyser pour résoudre des affaires de moyenne ou faible importance.

La démarche est compréhensible, mais elle suppose des agents sur le terrain, en pratique souvent des agents de sécurité publique, une grande maîtrise de la scène d'infraction que les moyens de la police scientifique de proximité ne permettent peut-être pas encore.

Cette préoccupation de ratisser à la fois largement et finement a été aussi exprimée par M. Christian Jalby, directeur de la police technique et scientifique, lorsqu'il a indiqué à votre rapporteur que le FNAEG devrait contenir une proportion d'au moins 10 % de traces par rapport à l'ensemble des profils enregistrés 25 ( * ) pour être pleinement efficace. Cette proportion implique que les services de police et de gendarmerie alimentent le FNAEG de nombreuses traces. Mais, il faut être certains que ces traces soient toutes pertinentes. Rien ne sert en effet d'encombrer le FNAEG de traces trouvés sur une scène d'infraction mais n'ayant pas de lien avec celle-ci.

3. Une répartition déséquilibrée des crédits

Ces trois dernières années, la majorité des crédits nouveaux a été attribuée au FNAEG. Cet arbitrage a été un choix stratégique pour mettre en oeuvre rapidement un dispositif complet efficace et à la pointe des standards européens.

Toutefois, sans remettre en cause ce choix, force est de constater que d'autres programmes d'investissements lourds ont pris du retard. Ainsi, l'Institut national de la police scientifique est-il en train d'élaborer un plan triennal d'équipements afin de mettre au niveau des meilleurs standards européens des matériels scientifiques, hors biologie, devenus obsolètes. Sur trois ans, les besoins s'élèveraient à environ 12 millions d'euros.

Un autre chantier reste le développement et la modernisation d'une police scientifique de proximité. Des investissements importants sont prévus pour mettre aux normes d'hygiène et de sécurité les services locaux ou départementaux de police technique et scientifique. Pour la gendarmerie, ces investissements devraient s'étaler jusqu'en 2012.

Le général Serge Caillet a attiré l'attention de votre rapporteur sur l'importance de ne pas négliger les autres techniques, indispensables au même titre que les empreintes génétiques.

4. La protection des libertés : des frontières à clarifier

Les moyens déployés par la police technique et scientifique sont souvent intrusifs et susceptibles de porter atteinte aux libertés et au droit à la vie privée. Toutefois, ils sont utilisés dans un cadre judiciaire qui offre un certain nombre de garanties au regard de la protection des libertés individuelles.

Une des principales difficultés provient en réalité de l'utilisation à des fins administratives d'outils de police technique conçus initialement à des fins de police judiciaire : les fichiers de police judiciaire.

Comme l'a montré la CNIL, les fichiers de police judiciaire se sont développés rapidement au cours des dix dernières années, le plus souvent sans contrôle effectif.

Le législateur essaie depuis quelques années d'encadrer ces fichiers en prévoyant des garanties en matière de conservation des données, de droit d'accès, de traçabilité ou de mise à jour. Ces garanties sont notamment la contrepartie de la possibilité offerte par la loi de consulter ces fichiers à des fins de police administrative.

Le fichier qui pose le plus de problèmes est le STIC.

La base nationale du STIC contenait au 1 er juillet 2006 les antécédents de 4.696.750 mis en cause, plus de 30 millions de dossiers de procédures, 33 millions d'infractions et 28 millions de victimes. 9,2 millions d'objets sont également inscrits dans la base « objets ».

Au 1 er janvier 2006, 87.856 personnes avaient accès au S.T.I.C. dans 1.209 services. En 2005, le STIC a fait l'objet de plus de 12 millions de consultations, dont 93 % en police judiciaire et 7 % en police administrative.

Dans son rapport annuel pour 2004, la CNIL s'était inquiétée des conditions de fonctionnement du STIC et avait formulé des propositions afin de mieux encadrer l'utilisation de ces fichiers à des fins administratives et d'accélérer les procédures de droit d'accès à ces fichiers. Elle estime que la consultation de ces fichiers à des fins administratives fait peser des risques graves et réels d'exclusion ou d'injustice sociale. La polémique récente sur des refus d'agrément pour travailler dans les zones aéroportuaires ou dans des entreprises de sécurité privée sur le fondement des données inscrites dans le STIC illustre cette critique.

A la suite de ces recommandations, le ministère de l'intérieur a activé fin 2004 un programme d'épurement automatique qui a permis la suppression de 1.241.742 mis en cause et de 49.483 victimes. En 2005, près de 170.000 fiches de mis en cause ont été automatiquement supprimées à l'expiration du délai légal de conservation de ces données.

Ces améliorations n'ont pas permis de régler tous les problèmes. Dans son rapport d'activité pour 2005, la CNIL a poursuivi ses investigations. Dans 44 % des cas contrôlés, la CNIL a dû procéder à des mises à jour ou à la suppression de signalements erronés ou dont le délai de conservation était expiré. Au cours du premier semestre 2006, sur 272 dossiers vérifiés par la CNIL, 21 % ont à nouveau fait l'objet d'une suppression ou d'une mise à jour.

Plus récemment, un groupe de travail présidé par M. Alain Bauer, président du conseil d'orientation de l'Observatoire national de la délinquance et constitué à la demande du ministre de l'intérieur a abouti à des conclusions proches.

La CNIL estime que la mise à jour des fichiers de police judiciaire ne pourra pas s'améliorer tant que ne seront pas mises en place des liaisons informatiques entre les parquets et les gestionnaires des fichiers. Il est en effet de la compétence du procureur de décider de l'effacement ou de la mise à jour des informations en cas de décision de relaxe, d'acquittement, de non-lieu ou encore de classement sans suite pour insuffisance de charges.

Plusieurs lois récentes ont étendues les cas de consultation des fichiers à des fins administratives. Pour l'avenir, il serait probablement sage de ne pas créer de nouvelles possibilités de consultation avant que des réponses efficaces au problème de la mise à jour n'aient été apportées.

* 25 Le ration actuel est proche de 5 %.

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