EXAMEN DES ARTICLES

TITRE PREMIER - DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE CIVIL

Article 5 (art. 414 à 495-9 du code civil) - Organisation de la protection juridique des majeurs

Objet : Cet article propose une nouvelle rédaction du titre du code civil relatif aux majeurs protégés par la loi dont il regroupe les articles en trois chapitres : le premier détermine les dispositions relatives à la capacité et à la responsabilité des majeurs, le deuxième précise les règles applicables à chaque mesure de protection et le dernier crée une nouvelle d'assistance judiciaire.

Cet article, qui réorganise et réécrit entièrement le titre XI du livre premier du code civil consacré aux majeurs protégés par la loi, constitue le coeur du présent projet de loi. Il remplace les quatre chapitres actuels de ce titre, respectivement consacrés aux dispositions applicables à tous les majeurs protégés et à chacune des mesures de protection juridique existantes, par trois chapitres :

- le premier précise les règles générales relatives à la capacité et à la responsabilité des majeurs ;

- le deuxième détaille les règles applicables à chacune des mesures de protection juridique des majeurs. Celles-ci sont désormais au nombre de quatre : aux trois mesures existantes prononcées par le juge (tutelle, curatelle et sauvegarde de justice), s'ajoute désormais une mesure de protection conventionnelle, le mandat de protection future ;

- le dernier crée une nouvelle mesure de protection, judiciaire puisque prononcée par le juge mais non juridique dans la mesure où elle n'entraîne pas d'incapacité : la mesure d'assistance judiciaire .

Au total, cet article réécrit près d'une centaine d'articles du code civil dont l'examen détaillé figure au rapport de la commission des lois, saisie au fond du texte 5 ( * ) .

Saisie pour avis, votre commission se propose d'étudier uniquement les dispositions ayant des conséquences sur les matières qui relèvent de sa compétence.

Chapitre premier - Des dispositions générales (art. 414 à 424 du code civil)

I - Le texte proposé

Le chapitre premier rappelle les règles générales en matière de capacité et de responsabilité des majeurs. Après un article liminaire ( article 414 ) qui fixe l'âge de la majorité à dix-huit ans, ce chapitre est divisé en deux sections :

la section 1 précise d'abord les conditions de validité des actes passés par les majeurs ( article 414-1 ), les règles applicables à la reconnaissance de leur nullité pour insanité d'esprit ( article 414-2 ) et celles relatives à la responsabilité des majeurs pour les actes accomplis sous l'empire d'un état d'insanité ( article 414-3 ). Bien que leur numérotation ait changé, ces dispositions ne sont pas modifiées sur le fond par rapport au droit actuellement en vigueur.

la section 2 regroupe les dispositions communes à tous les majeurs protégés par la loi, quel que soit ce régime de protection : elle couvre donc aussi bien les mesures de protection juridique prononcées par le juge (tutelle, curatelle et sauvegarde de justice) que les mesures de protection juridique conventionnelles (mandat de protection future) ou celles de protection non juridique prononcées par le juge (mesure d'assistance judiciaire).

Cette section précise d'abord les finalités de la protection des majeurs ( article 415 ), puis les pouvoirs du juge en matière de surveillance de l'exécution des mesures ( article 416 ) et, enfin, ses pouvoirs de sanction envers les personnes chargées de la protection des majeurs ( article 417 ). A ce stade, votre commission relève deux nouveautés :

- la mise en lumière des deux finalités des mesures de protection , qui n'apparaissaient pas aussi clairement dans la rédaction actuelle du code civil : il est ainsi expressément précisé que les mesures de protection sont prises dans l'intérêt des personnes et en vue de favoriser, autant que possible, leur autonomie . Ces objectifs s'inscrivent dans la continuité des dispositions de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a fait des mesures de protection juridique une composante du droit à compensation des conséquences du handicap ;

- la création de nouveaux pouvoirs dévolus au juge des tutelles : le droit en vigueur lui donne trois pouvoirs de contrôle sur l'exécution des mesures de protection, qui vont d'une simple possibilité de faire visiter les personnes protégées à la convocation des personnes chargées de la protection pour leur enjoindre de prendre les mesures qu'ils estiment nécessaires, le non-respect de ces injonctions étant sanctionné par une amende. Le projet de loi ajoute à ces pouvoirs celui de prononcer le dessaisissement et la radiation des mandataires coupables de manquement caractérisé à leur mission de protection.

Cette même section envisage ensuite les différents cas où il peut être mis fin à une mesure de protection judiciaire ( article 418 ) et les obligations des héritiers de la personne chargée de la protection en matière de conservation des comptes en cas de décès de celle-ci ( article 418-1 ).

Elle pose également le principe de la gratuité des fonctions de protection des majeurs, sauf lorsque celle-ci est dévolue à un professionnel . Dans ce second cas, elle précise que le financement de la mesure doit reposer à titre principal sur le majeur protégé et à titre subsidiaire seulement sur la collectivité publique ( article 419 ). La rémunération des mesures de protection par prélèvement sur les ressources des majeurs protégés et par subvention publique doit être exclusive de toute autre forme d'avantage financier ( article 420 ).

Ces deux articles ne font ici que poser les grands principes applicables à la rémunération des mesures de protection des majeurs qui sont développés par les articles 9, 12 et 14 du présent projet de loi. Ceux-ci inscrivent dans le code de l'action sociale et des familles les règles relatives à la tarification des services tutélaires et à leur financement.

Ces nouvelles règles permettent de mettre fin aux disparités observées jusqu'ici dans les règles de prélèvement sur les ressources des majeurs : aujourd'hui en effet, suivant le type de mesure et le type de tuteur choisi par le juge, ces prélèvements varient de rien - pour la tutelle aux prestations sociales - à 100 % du coût de la mesure, pour les mesures confiées à des gérants de tutelle privés. Ce mode de financement particulièrement inéquitable pour les majeurs protégés était également source d'effets pervers, les opérateurs tutélaires tentant d'effectuer un tri parmi les mesures susceptibles de leur être confiées en fonction du montant de leur rémunération.

La section 2 définit enfin les conditions dans lesquelles les organes chargés de la tutelle ( article 421 ), l'autorité judiciaire et le mandataire judiciaire à la protection des majeurs ( article 422 ) et le mandataire de protection future ( article 424 ) engagent leur responsabilité en cas de dommage subi par le majeur protégé. Dans tous les cas excepté celui de la curatelle, il s'agit d'une responsabilité pour faute simple. Le texte précise également les règles de prescription applicables à ces actions en responsabilité : celles-ci se prescrivent par cinq ans à compter de la fin de la mesure ( article 423 ).

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre cinq amendements rédactionnels ou de coordination, l'Assemblée nationale a adopté quatre amendements à ce chapitre :

- conformément au principe de respect des droits de la défense, le premier oblige le juge à entendre le mandataire à la protection des majeurs préalablement à toute décision de dessaisissement ou de radiation de la liste des opérateurs agréés ;

- le deuxième transfère les dispositions relatives aux obligations des héritiers de tout mandataire à la protection des majeurs en matière de conservation des comptes à l'article 6 du présent projet de loi, qui rassemble déjà l'ensemble des dispositions relatives à l'élaboration, à la vérification et à l'approbation des comptes des mandataires ;

- le troisième interdit aux mandataires judiciaires de délivrer un mandat de recherche des héritiers de la personne protégée : il s'agit de mettre un terme à des pratiques que le législateur a dénoncées lors de la réforme du droit des successions et qui consistaient pour les gérants de tutelle à mandater des généalogistes pour retrouver les héritiers des personnes placées sous leur protection et à prélever ensuite une commission sur la succession ;

- le dernier prévoit enfin une exception au régime de responsabilité limitée des curateurs, en cas de curatelle renforcée : dans la curatelle ordinaire, le curateur ne peut jamais agir seul, puisqu'il assiste la personne protégée et ne la représente pas. C'est la raison pour laquelle le texte prévoit qu'il n'est possible d'engager la responsabilité du curateur que pour dol ou faute lourde. En revanche, dans la curatelle renforcée, le curateur reçoit du juge l'autorisation d'accomplir seul certains actes, ce qui rapproche alors ses pouvoirs de ceux d'un tuteur. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a estimé que dans ce cas particulier, la responsabilité du curateur pourrait être recherchée pour faute simple.

III - La position de votre commission

Votre commission se félicite tout particulièrement de l'harmonisation du financement des mesures de protection des majeurs, qui mettent fin à des discriminations difficilement acceptables, tant pour les majeurs protégés - qui ressentaient les prélèvements opérés sur leurs ressources comme particulièrement arbitraires - que pour les opérateurs tutélaires.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter ce chapitre sans modification.

*

Chapitre II - Des mesures de protection juridique des majeurs (art. 425 à 494 du code civil)

Le chapitre II détaille le régime de chaque mesure de protection juridique des majeurs. Il se décompose en cinq sections : la première rassemble les dispositions applicables à l'ensemble des mesures de protection juridique, la deuxième présente celles applicables aux seules mesures prononcées par le juge (par opposition à la mesure de protection conventionnelle que constitue le mandat de protection future), la troisième décrit le régime de la sauvegarde de justice, la quatrième précise celui de la tutelle et de la curatelle et la dernière crée le nouveau mandat de protection future.

Section 1 - Des dispositions générales (art. 425 à 427 du code civil)

I - Le texte proposé

Cette section rassemble, en trois articles, les dispositions relatives à l'ensemble des mesures de protection juridique, c'est-à-dire à la fois à la tutelle, à la curatelle, à la sauvegarde de justice et au mandat de protection future.

L' article 425 réaffirme tout d'abord les grands principes applicables à la protection juridique des majeurs :

- il rappelle le principe de nécessité de la protection : compte tenu des limitations importantes apportées à la liberté des personnes concernées par ces mesures, les motifs pour lesquels une protection juridique peut être demandée sont strictement encadrés. Désormais, seule une altération médicalement constatée des facultés mentales - ou corporelles si celle-ci empêche la personne d'exprimer tout consentement - peut conduire le juge à prononcer une mesure de protection juridique. Disparaît par conséquent la possibilité pour le juge d'ouvrir des mesures pour intempérance, oisiveté ou prodigalité ;

- il étend explicitement la protection juridique à la protection de la personne : mettant fin à la vision exclusivement patrimoniale qui avait prévalu lors du vote de la loi du 3 janvier 1968, il consacre dans la loi un principe qui avait déjà été affirmé par la Cour de Cassation, dans un arrêt de principe du 18 avril 1989. Sur cette base, le projet de loi introduit une série d'articles relatifs aux droits de la personne protégée, prévoyant la préservation de sa sphère d'autonomie et l'obligation de recueillir son consentement dans des formes adaptées à ses capacités.

L' article 426 vise ensuite à garantir la pérennité du cadre de vie du majeur protégé . Il reprend, en les approfondissant, les dispositions aujourd'hui fixées à l'article 490-2 du code civil. Il protège ainsi le logement et les meubles du majeur de toute mesure de disposition définitive, sauf autorisation expresse du juge et sous réserve d'un certain nombre de conditions :

- lorsque la personne est propriétaire de son logement, la personne chargée de la protection peut le mettre en location pour la durée de la prise en charge du majeur par une structure de soins ou une structure médico-sociale. Mais le bail prend la forme d'une « convention de jouissance précaire » , ce qui signifie qu'il prend fin de plein droit dès que la personne est en mesure de revenir chez elle. Le texte écarte ainsi toute application des règles de droit commun relatives au droit au maintien dans les lieux et au renouvellement du bail pour le locataire ;

- s'il devient nécessaire de disposer du logement, c'est-à-dire de le vendre ou de le grever d'une hypothèque dans le cas d'une personne propriétaire, ou de résilier le bail pour une personne locataire, ces actes doivent être autorisés par le juge des tutelles ou le conseil de famille. L'avis préalable du médecin traitant est en outre requis si cet acte est motivé par la nécessité de faire prendre en charge la personne par un établissement spécialisé.

L' article 427 remédie à une critique récurrente adressée aux gérants de tutelle, en leur interdisant de regrouper les fonds des personnes protégées qu'elles suivent sur un compte pivot .

Cette pratique était doublement contestable : elle nuisait d'abord à la transparence de la gestion des fonds par les opérateurs tutélaires et se trouvait à la source de nombreuses irrégularités dues au mieux à des difficultés de comptabilité interne, au pire à des détournements de fonds ; elle était également contraire à l'équité, puisqu'elle conduisait la personne chargée de la mesure de protection à percevoir sur son propre compte les intérêts liés aux fonds de ses pupilles, ce qui constituait une rémunération indue.

Pour y mettre un terme, le projet de loi impose donc au mandataire de conserver l'ensemble des comptes existants de la personne protégée quand elle en a et de lui ouvrir un compte individuel et nominatif lorsqu'elle n'en a pas. Toute modification ultérieure de ces comptes doit recevoir l'assentiment du juge ou du conseil de famille.

En outre, dans certains cas, notamment lorsque le patrimoine de la personne est important, le juge ou le conseil de famille peuvent exiger du mandataire l'ouverture d'un compte au nom de la personne protégée auprès de la Caisse des dépôts et consignation.

Dans tous les cas, l'ensemble des transactions réalisées pour le compte de la personne protégée doit transiter exclusivement par ses comptes. Au besoin, lorsque la personne protégée est interdite bancaire, le mandataire peut recevoir procuration pour les faire fonctionner. Il est également précisé que les intérêts produits par les fonds reviennent exclusivement à la personne protégée.

Une seule exception à la règle des comptes pivots est admise, en faveur des mandataires préposés d'établissements de soins ou d'établissements médico-sociaux soumis à la comptabilité publique : dans ce cas précis, le Gouvernement a estimé que l'application de ses règles à la gestion des fonds des personnes protégées permettait, même en l'absence de comptes individuels, de garantir la transparence des opérations financières réalisées.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre cinq modifications rédactionnelles, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à réparer un oubli : pour assurer le respect total du principe d'interdiction des comptes pivots, elle a précisé que les opérations devant obligatoirement transiter par le compte personnel du majeur protégé sont non seulement les opérations de paiement et de gestion patrimoniale mais aussi les opérations d'encaissement.

III - La position de votre commission

Les dispositions de cette section comptent parmi les plus importantes du présent projet de loi. Votre commission approuve tout particulièrement la disparition des comptes pivots, maintes fois dénoncés. Il était en effet anormal de priver les majeurs protégés de revenus qui leur revenaient de droit et qui pouvaient atteindre des sommes considérables - jusqu'à 300 000 euros par an pour certaines associations tutélaires, selon les chiffres du rapport publié en 1998 par les trois inspections des finances, de la justice et des affaires sociales 6 ( * ) .

Votre commission souhaite également la disparition de la possibilité d'ouvrir une mesure de protection au profit des personnes prodigues, oisives ou intempérantes car il s'agit d'un des points d'équilibre importants de la réforme. Elle devrait conduire à une modification importante du profil des ouvertures de curatelle, pour lesquelles ce motif restait assez fréquemment invoqué : ainsi, le rapport précité des trois inspections indique qu'en 1998, la prodigalité ou une situation de surendettement étaient invoquées dans 21 % des dossiers de protection juridique.

Cette mesure participe à la définition de la nouvelle ligne de partage voulue par le projet de loi entre protection juridique et protection sociale et à laquelle votre commission adhère totalement : il s'agit de réserver la protection juridique, avec les limitations de la liberté individuelle qu'elle entraîne nécessairement, aux personnes qui connaissent une altération réelle de leurs facultés personnelles. La protection des intempérants doit quant à elle relever de l'action sociale, le juge n'intervenant plus que de façon subsidiaire, à travers une mesure de protection judiciaire mais non juridique, c'est-à-dire une mesure non incapacitante du point de vue des droits civils : tel est l'objet de la mesure d'assistance judiciaire créée à la fin du présent article.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter cette section sans modification.

Section 2 - Des dispositions communes aux mesures judiciaires (art. 428 à 432 du code civil)

I - Le texte proposé

Cette section, qui rassemble les dispositions communes aux seules mesures de protection juridique prononcées par le juge, réaffirme deux principes fondamentaux de ces mesures : leur subsidiarité par rapport aux mesures moins contraignantes et leur proportionnalité aux besoins réels de protection des individus.

Ainsi, l' article 428 précise que les mesures de protection juridique ne peuvent être prononcées que lorsque les règles de droit commun de la représentation ou la protection assurée dans le cadre du régime matrimonial de la personne sont insuffisantes pour pourvoir à ses intérêts. Le code civil prévoit en effet déjà des mesures visant à pallier momentanément ou durablement les difficultés liées à une incapacité à exprimer un consentement : un conjoint peut ainsi obtenir du juge l'autorisation d'accomplir seul un ou plusieurs actes qui auraient normalement requis l'accord des deux membres du couple, voire de le représenter dans la vie courante.

Cet article demande également au juge, en application du principe de proportionnalité, de déterminer de façon individualisée, l'étendue des actes couverts par la protection : le juge doit donc décider au cas par pas si la mesure s'étend aux biens, à la personne ou aux deux, et s'il est nécessaire d'ajouter ou de soustraire certains actes nécessitant la représentation ou l'assistance du mandataire.

Reprenant à l'identique un article existant du code civil, l' article 429 rappelle ensuite qu'il est possible d'ouvrir une mesure de protection juridique des majeurs pendant la dernière année de la minorité, afin d'assurer une protection continue aux jeunes adultes handicapés.

La présente section prévoit également deux séries de mesures pour assurer un meilleur respect de la nécessité des mesures de protection :

? elle modifie d'abord le champ des personnes susceptibles de demander l'ouverture d'une mesure : ainsi, considérant que leurs relations avec la personne à protéger les rendent capables plus que d'autres de repérer la nécessité d'une protection, l' article 430 élargit le champ des proches fondés à demander l'ouverture d'une mesure.

Sont désormais recevables les demandes introduites non seulement par la personne elle-même, son conjoint, ses parents et ses enfants, mais également celles effectuées par les concubins et partenaires liés par un pacte civil de solidarité, ainsi que par les parents ou alliés sans restriction quant à leur degré de parenté ou d'alliance et toute personne résidant avec la personne à protéger et entretenant avec elle des liens étroits et stables. On peut également ajouter à cette catégorie des proches, le mandataire de protection future - choisi intuitu personnae - constatant l'insuffisance de son mandat.

A l'inverse, le projet de loi supprime la saisine d'office du juge des tutelles. Celle-ci a en effet largement contribué à accroître le nombre des mesures de protection : alors qu'elle devait ne constituer qu'une simple faculté résiduelle, destinée à permettre l'ouverture d'une mesure pour les personnes dépourvues de proches susceptibles d'introduire une demande, cette saisine d'office est vite devenue le principal mode d'ouverture des procédures de protection, au détriment de la priorité conférée aux requêtes d'origine familiale par l'article 493 du code civil. Ainsi, en 2004, 49 % des mesures restaient ouvertes d'office.

Désormais, en dehors de la famille et des proches, seul le procureur de la République sera fondé à demander au juge l'ouverture d'une mesure. Les signalements des établissements et des services sociaux devront donc transiter par le filtre du parquet ;

? elle renforce ensuite l' expertise médicale préalable à l'ouverture de toute mesure de protection : l' article 431 rend ainsi obligatoire la production d'un certificat médical circonstancié, établi par un médecin expert choisi sur une liste établie par le procureur de la République. La production de ce certificat était normalement déjà exigée aujourd'hui, mais la saisine d'office du juge permettait de passer outre et il arrivait fréquemment que le juge sauve ainsi de l'irrecevabilité des requêtes familiales qui en étaient dépourvues.

Le dernier article de cette section ( article 432 ) pose enfin le principe d'une audition de la personne à protéger par le juge. Il n'est possible de déroger à cette audition que sur avis du médecin expert ayant établi le certificat et par décision spécialement motivée. Les raisons qui peuvent pousser à déroger à l'audition sont également limitativement énumérées : celle-ci doit comporter un risque pour la santé de la personne ; elle peut également être écartée lorsque la personne est incapable d'exprimer sa volonté.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre un amendement de coordination, l'Assemblée nationale a adopté huit amendements à cette section :

- le premier précise que le principe de subsidiarité des mesures de protection s'applique non seulement vis-à-vis des dispositifs de droit commun, mais également entre les différentes mesures prononcées par le juge ;

- le deuxième étend la possibilité de prononcer une mesure de protection, pour un mineur émancipé, des seules mesures de protection juridique à l'ensemble des mesures judiciaires, c'est-à-dire également à la mesure d'assistance judiciaire ;

- le troisième supprime l'obligation de justifier d'une résidence commune avec la personne à protéger pour rendre recevable la demande d'ouverture d'une mesure de protection émanant d'un proche non membre de la famille. Cette précision s'avère particulièrement importante dans le cas des personnes accueillies en établissements : lorsque leurs relations avec leur famille sont distendues, aucun proche ne pourrait justifier d'une résidence commune pour demander l'ouverture d'une mesure ;

- le quatrième rétablit la possibilité, pour la personne qui exerce déjà une mesure de protection à l'égard du majeur, de demander l'ouverture d'une autre mesure plus ou moins contraignante : il paraît en effet normal qu'un tuteur ou un curateur puisse saisir le juge pour lui demander de modifier la mesure, afin de l'adapter aux besoins réels de protection de la personne concernée ;

- le cinquième encadre le coût d'établissement du certificat médical exigé à l'appui d'une demande de mise sous protection : l'établissement du certificat par le médecin expert habilité par le procureur de la République n'est pas remboursé par la sécurité sociale et son coût repose aujourd'hui entièrement sur les familles. Les honoraires demandés à l'occasion de ces consultations sont librement fixés par le médecin et leur montant moyen avoisine les 150 euros, avec des variations très importantes d'un professionnel à l'autre. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a décidé de plafonner, par décret, le montant de cette expertise ;

- le sixième rétablit une faculté, pour le médecin expert chargé d'établir le certificat préalable à la demande de mise sous protection, de solliciter l' avis du médecin traitant de la personne à protéger : l'Assemblée nationale a en effet considéré qu'il ne fallait pas entièrement exclure celui-ci de la procédure de mise sous protection car son éclairage est essentiel pour déterminer l'environnement familial et social de la personne à protéger. Il peut également apporter un concours précieux lorsque la personne à protéger refuse de se laisser examiner par le médecin expert ;

- le septième précise que la personne à protéger peut se faire accompagner d'un avocat ou d'une personne de son choix, lors de son audition par le juge : le droit de se faire assister d'un conseil est en effet un droit fondamental, dont le respect est d'autant plus important dans le cas des majeurs vulnérables qu'ils peuvent avoir besoin d'une assistance pour bien comprendre la portée de leur audition ;

- le dernier précise les conditions dans lesquelles le juge peut déroger à son obligation d'auditionner la personne à protéger avant l'ouverture de toute mesure : l'Assemblée nationale a considéré qu'interprétée largement, la disposition du texte qui autorise cette dérogation lorsque la personne « n'est pas apte à exprimer sa volonté » pouvait conduire à faire de l'audition l'exception et non plus la règle, dans la mesure où la demande de mise sous protection vise précisément à protéger les personnes qui ne sont pas aptes à prendre des décisions par elles-mêmes. Elle a donc précisé que l'audition pourra être écartée lorsque l'état de la personne ne lui permet pas d'en comprendre la portée.

III - La position de votre commission

Votre commission ne peut qu'approuver la réaffirmation des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité des mesures de protection : même si elles visent à assurer la défense des intérêts de la personne protégée, elles restreignent très fortement sa liberté et ne peuvent donc être prononcées que dans les cas où aucune autre solution moins contraignante n'est suffisante et adaptée.

La fin de saisine d'office du juge devrait permettre de mettre un terme à l'inflation des mesures de protection, en infraction parfois avec des formalités substantielles, comme la présentation d'un certificat médical attestant de l'altération des facultés mentales de l'intéressé. Le maintien d'une telle saisine était de toute façon difficilement défendable, car il est contraire aux principes du procès équitable de confier à la même personne le soin de déclencher l'action publique, puis de l'instruire et de la juger.

Votre commission reste toutefois circonspecte quant à l'efficacité du filtre du parquet. A l'heure actuelle, le ministère public peut en effet déjà saisir le juge, sur la base des signalements qu'il reçoit. Or, dans la plupart des cas, il se contente d'apposer son visa et de transmettre le dossier au juge des tutelles. Si l'on souhaite que les parquets civils procèdent à un examen plus approfondi des dossiers, il est indispensable de les doter des moyens humains nécessaires à cette nouvelle mission, faute de quoi ils continueront à saisir systématiquement le juge et la suppression de la saisine d'office n'aura servi qu'à rallonger les procédures pour les demandeurs.

S'agissant du certificat médical indispensable pour demander l'ouverture d'une mesure de protection, votre commission se félicite qu'il devienne enfin universel. Elle s'interroge toutefois sur le soupçon qui semble peser sur le médecin traitant dans la procédure de mise sous protection. S'il lui paraît normal qu'il ne soit pas à même de déclencher lui-même l'ouverture d'une mesure, votre commission considère que l'éclairage qu'il apporte n'est pas redondant avec l'expertise réalisée par le médecin agréé.

Certains professionnels demandent la mise en place d'une expertise médico-sociale préalable à la mise sous protection : votre commission a considéré qu'une telle expertise aurait été très lourde à mettre en place et mobiliserait des moyens considérables, là où le médecin traitant est capable d'apporter toutes les précisions nécessaires sur l'environnement de la personne à protéger. C'est la raison pour laquelle elle vous propose d'aller plus loin que l'Assemblée nationale, par un amendement transformant la simple faculté pour le médecin expert de consulter le médecin traitant de la personne à protéger en une obligation de recueillir son avis.

Votre commission s'inquiète également du coût de l'expertise pour les familles. Son plafonnement proposé par l'Assemblée nationale va dans le bon sens mais il ne résout pas le problème des familles les plus modestes pour lesquelles ce coût pourrait malgré tout rester inabordable. Dans la mesure où cette dépense est afférente à une procédure en justice, votre commission estime qu'il serait normal qu'elle puisse être prise en charge - partielle ou totale, en fonction des ressources des demandeurs - dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Elle vous proposera donc d' amender le dispositif dans ce sens.

S'agissant de l'audition de la personne à protéger par le juge, le dispositif voté à l'Assemblée nationale soulève, selon votre commission, deux difficultés :

- la première résulte des risques d'influence liés à la possibilité offerte à la personne concernée de se faire accompagner lors de cette audition par la personne de son choix. Aujourd'hui, le juge est libre d'apprécier, au cas par cas, si l'accompagnant est susceptible ou non d'orienter les propos de la personne vulnérable et donc d'accepter ou non sa présence lors de l'audition. A l'inverse, si le présent projet de loi fait de la présence d'une personne choisie par le majeur lors de l'audition un droit, le juge ne pourra plus l'écarter. Votre commission vous propose donc de supprimer cette précision, étant bien entendu que cette suppression ne signifie pas une interdiction pour la personne d'être accompagnée mais une simple faculté pour le juge d'apprécier l'opportunité de la présence de cet accompagnant particulier ;

- la seconde découle de la restriction apportée au principe d'audition préalable du majeur à protéger : même si la personne n'est pas apte à comprendre la portée de l'audition, il paraît indispensable que le juge la rencontre au moins une fois, pour se rendre compte par lui-même de l'étendue des altérations de ses facultés.

Votre commission vous propose en outre deux amendements rédactionnels et vous demande d'adopter cette section ainsi amendée.

Section 3 - De la sauvegarde de justice (art. 433 à 439 du code civil)

I - Le texte proposé

Cette section, composée de sept articles ( articles 433 à 439 ), précise le régime de la sauvegarde de justice, mesure temporaire qui peut être décidée par le juge dans deux cas : d'une part, lorsque la personne a besoin d'une protection juridique pour une durée déterminée ou pour accomplir un ou plusieurs actes précis, d'autre part, pour assurer une protection minimale de la personne pendant la durée de l'instruction nécessaire pour l'ouverture d'une tutelle ou d'une curatelle.

Il subsiste également un troisième cas d'ouverture d'une sauvegarde de justice : cette mesure peut en effet résulter d'une simple déclaration du médecin traitant auprès du procureur de la République, sur avis conforme d'un médecin psychiatre. Cette procédure simplifiée vise à permettre la protection en urgence de la personne dans l'attente de rassembler l'ensemble des pièces nécessaires à une demande de mise sous tutelle ou curatelle.

Ces articles modifient le régime actuel de la sauvegarde de justice sur cinq points principaux :

- en cas d'urgence, le juge est tout d'abord autorisé à déroger à l'obligation d'entendre la personne à protéger préalablement à sa décision. Il est toutefois tenu de régulariser la procédure dans les meilleurs délais, en entendant l'intéressé. Comme pour l'ensemble des mesures de protection juridique, le juge peut en outre toujours déroger à l'obligation d'audition, lorsque celle-ci risque de mettre en danger la santé de la personne ou lorsque la personne n'est pas apte à exprimer sa volonté ;

- lorsqu'une protection supplémentaire est nécessaire pour un ou plusieurs actes déterminés, le juge peut désormais éviter l'ouverture d'une tutelle ou d'une curatelle en confiant simplement la réalisation de ces actes à un mandataire spécial. Ce mandat spécial peut s'étendre aux actes de disposition du patrimoine et à ceux de protection de la personne. Le mandataire spécial peut également être chargé d'exercer les actions en annulation des actes passés par la personne protégée et qui s'avèrent contraires à ses intérêts ;

- si les actes de la personne placée sous sauvegarde de justice peuvent toujours être rescindés (c'est-à-dire annulés) pour simple lésion ou réduits (c'est-à-dire renégociés pour en réduire les conséquences, notamment financières), ils peuvent également être déclarés nuls de plein droit lorsqu'ils entrent dans le champ de ceux confiés par le juge à un mandataire spécial ;

- les personnes autorisées à demander la nullité, la rescision ou la réduction des actes passés par la personne sous sauvegarde de justice sont désormais limitées, de son vivant, à la personne protégée elle-même et, à sa mort, à ses héritiers. Elles doivent introduire leur demande devant le juge avant l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la fin de la mesure ou du décès de la personne protégée ;

- la durée de la sauvegarde de justice est enfin expressément limitée à un an, renouvelable une fois. En dehors du cas d'expiration de la durée pour laquelle elle a été prononcée, la mesure peut prendre fin de façon anticipée dans trois cas : lorsque le besoin de protection qui l'a motivée cesse, une fois accomplis les actes limitativement énumérés dans la décision initiale, ou à l'ouverture d'une mesure de protection plus contraignante.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre trois amendements de coordination, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements à cette section :

- dans le souci d'assurer le respect des droits de la défense, elle a rendu obligatoire l'audition du mandataire de protection future par le juge, lorsque celui-ci décide de révoquer le mandat pour le remplacer par la mesure de sauvegarde de justice ;

- elle a également réparé un oubli concernant les cas où il peut être mis fin de façon anticipée à la mesure de sauvegarde : les mesures qui résultent d'une déclaration au procureur de la part du médecin traitant peuvent être levées par une déclaration faite dans les mêmes formes, c'est-à-dire sur avis conforme d'un médecin psychiatre.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve la reconnaissance des mesures de sauvegarde comme mesures de protection à part entière : elles restaient en effet jusqu'ici cantonnées à un statut de mesure conservatoire dans le cadre de l'instruction d'une mesure de protection plus sévère, alors que leur caractère temporaire permet d'apporter une protection ponctuelle à des personnes pour lesquelles l'ouverture d'une tutelle ou d'une curatelle ne se justifie pas sur le long terme.

Elle s'interroge toutefois sur la limitation apportée aux personnes susceptibles de demander l'annulation des actes passés par la personne sous sauvegarde de justice. Si la législation actuelle est sans doute inutilement extensive, quand elle ouvre cette faculté à l'ensemble des personnes susceptibles de demander l'ouverture d'une mesure de protection, le projet de loi est à l'inverse excessivement restrictif, en la réservant à la seule personne protégée et à ses héritiers après sa mort. Il conviendrait au moins d'élargir le champ des personnes autorisées à introduire une action en annulation aux personnes chargées soit d'un mandat spécial dans le cadre de la mesure de sauvegarde elle-même, soit d'une mesure de tutelle ou de curatelle ouverte à l'issue de cette première mesure. Votre commission vous proposera un amendement dans ce sens, complété par deux amendements rédactionnels et un amendement de coordination .

Votre commission vous propose d'adopter cette section ainsi amendée.

Section 4 - De la curatelle et de la tutelle (art. 440 à 476 du code civil)

I - Le texte proposé

Cette section détaille le régime applicable aux mesures de curatelle et de tutelle. Après un article de principe ( article 440 ) qui précise les cas où il y a lieu de recourir à la tutelle ou à la curatelle et qui rappelle l'obligation de respecter la subsidiarité des mesures les unes par rapport aux autres, cette section est découpée en sept sous-sections, respectivement relatives à la durée des mesures ( sous-section 1 ), à leur publicité ( sous-section 2 ), aux organes de protection ( sous-section 3 ), aux effets des mesures de protection en matière de protection des personnes ( sous-section 4 ), à la régularités des actes effectués pendant la durée des mesures ( sous-section 5 ), les deux dernières sous-sections précisant les règles propres à la curatelle ( sous-section 6 ) et à la tutelle ( sous-section 7 ).

Sous-section 1 : De la durée de la mesure

Composée de trois articles, cette sous-section limite dans le temps la durée des mesures de tutelle et de curatelle ( article 441 ), puis précise les conditions de leur renouvellement ( article 442 ) et les conditions dans lesquelles elles prennent fin ( article 443 ).

L'obligation pour le juge des tutelles de prendre des décisions pour une durée déterminée est une innovation importante : aujourd'hui en effet, la plupart des mesures sont ouvertes pour une durée indéterminée et leur réexamen n'intervient qu'à l'occasion d'une demande de mainlevée ou d'allégement introduite par la famille.

Cette situation est à l'origine de dérives nombreuses, comme en témoigne le rapport précité des trois inspections : « De nombreux juges des tutelles ont indiqué à la mission que l'examen de toutes les mesures en stock auquel ils ont procédé lors de leur prise de fonction leur avait permis de constater que certaines concernaient des personnes décédées, parfois de longue date, que d'autres n'étaient plus exécutées, qu'un nombre élevé n'étaient plus adaptées à la situation du majeur. Un magistrat a même précisé qu'un tel examen lui avait permis de ramener le stock de mesures en cours de 4 000 à 3 000. »

Si le projet de loi fixe à cinq ans la durée maximale des mesures de tutelle et de curatelle, il prévoit néanmoins une exception : pour ne pas surcharger les cabinets des juges de tutelle avec le réexamen systématique de mesures peu susceptibles d'évolution, il conserve une possibilité pour le juge de prononcer des mesures indéterminées pour les personnes dont l'altération des facultés mentales « n'apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises par la science » .

S'agissant du renouvellement des mesures, il convient de souligner l'existence d'exigences différentes selon qu'il s'agit d'une simple reconduction ou d'un allégement de la mesure, d'une part, d'une demande tendant à une aggravation de celle-ci, d'autre part :

- la reconduction et l'allégement font l'objet d'une procédure simplifiée : elles peuvent être décidées sur la base d'un certificat médical de droit commun et le juge peut y procéder d'office ;

- l'aggravation doit en revanche respecter les mêmes formalités que la décision initiale : elle doit donc émaner d'une personne autorisée à introduire une demande de protection et ne peut être décidée d'office par le juge. Par ailleurs, elle ne peut être prononcée que sur présentation d'un certificat médical émanant d'un médecin expert agréé par le procureur de la République.

Enfin, parmi les situations susceptibles de conduire à mettre fin à une mesure de tutelle ou de curatelle, le Gouvernement a souhaité envisager un nouveau cas : celui des personnes protégées qui transfèrent leur résidence hors de France .

Aujourd'hui, si la protection ne cesse pas en droit dans cette hypothèse, elle cesse en fait, compte tenu de l'impossibilité où se trouvent en général le tuteur ou le curateur, d'une part, le juge, d'autre part, de remplir correctement leurs missions auprès de la personne concernée. Les ambassades et consulats sont certes censés apporter leur concours aux juges métropolitains pour assurer un contrôle de ces mesures, mais force est de constater que le nombre de sections consulaires dotées d'un personnel susceptible de remplir effectivement cette tâche est très réduit.

C'est la raison pour laquelle le projet de loi met fin à toute ambiguïté, en prévoyant expressément que la protection cesse en cas de transfert de la résidence du majeur protégé à l'étranger.

Sous-section 2 : De la publicité de la mesure

Cette section, composée d'un article unique ( article 444 ), prévoit comme c'est le cas aujourd'hui que les jugements en matière de tutelle et de curatelle doivent être portés en marge des actes de naissance des personnes concernées, afin de pouvoir être opposables au tiers.

Il s'agit d'assurer par ce biais la publicité de la mesure de protection, indispensable pour permettre à toute personne susceptible de passer un contrat avec la personne protégée de savoir que la conclusion de cet acte est soumis à la procédure particulière qui régit la tutelle ou la curatelle.

La mesure de protection devient ainsi opposable aux tiers, deux mois après l'inscription en marge de l'acte de naissance : au-delà de ce délai, tout acte passé en contravention avec les restrictions de capacité prévues dans le cadre de la mesure de protection pourra être déclaré nul, rescindé ou réduit selon les cas. L'opposabilité est en revanche immédiate pour ceux qui ont personnellement connaissance de l'existence de la mesure de protection.

Sous-section 3 : Des organes de protection

Cette section détaille les règles de désignation, les missions et les pouvoirs des différents organes de protection des majeurs. Ceux-ci sont au nombre de quatre : les tuteurs et curateurs ( paragraphe 1 ), les subrogés tuteurs et curateurs ( paragraphe 2 ), les tuteurs et curateurs ad hoc ( paragraphe 3 ) et le conseil de famille ( paragraphe 4 ).

A titre liminaire, le premier article de cette section ( article 445 ) précise quelles sont les personnes empêchées de remplir ces charges tutélaires et curatélaires : ces empêchements peuvent être liés à la capacité juridique du candidat (mineurs, majeurs protégés), à sa moralité (personnes condamnées à une peine d'interdiction des charges tutélaires par le code pénal), à ses compétences (personnes s'étant déjà vu retirer une mesure pour inaptitude ou négligence) ou à sa relation avec la personne à protéger (personne dont les intérêts sont opposés à ceux du majeur vulnérable).

Le projet de loi modifie surtout les catégories de personnes empêchées d'être tuteurs ou curateurs pour des raisons liées à leurs fonctions :

- il pose une interdiction générale d'exercer quelque charge tutélaire ou curatélaire que ce soit à l'égard de leurs patients pour tous les médecins et auxiliaires médicaux : cette interdiction est plus large que celle prévue actuellement puisque l'article 496-2 actuel du code civil la limite, d'une part, au seul médecin traitant, d'autre part, aux seules charges de tuteur ou de subrogé tuteur, le médecin pouvant donc occuper les fonctions de curateur et participer à un conseil de famille ;

- il supprime en revanche l'interdiction de principe qui s'opposait à ce qu'une mesure de tutelle ou de curatelle soit confiée à l' établissement de traitement du majeur protégé ou à l'un de ses salariés, sauf dans les cas exceptionnels limitativement énumérés où il pouvait y avoir gérance de tutelle par un préposé : l'article 451 fait désormais des préposés d'établissements des mandataires judiciaires à la protection des majeurs de droit commun.

Le paragraphe 1 , composé de huit articles ( articles 446 à 453 ), s'attache au rôle et aux pouvoirs des tuteurs et curateurs. Il ne bouleverse pas les règles déjà prévues par le droit en vigueur mais les reprécise ou les étend. Trois inflexions importantes ressortent cependant de cette réorganisation : la volonté de rendre au juge sa liberté dans l'organisation des mesures de protection, le choix opéré en faveur de la priorité familiale dans la dévolution de celles-ci et le développement du rôle des préposés d'établissements dans l'exercice des mesures.

? Rendre au juge sa liberté dans l'organisation de la protection

Aujourd'hui, la marge de manoeuvre du juge dans l'organisation des mesures de protection est limitée :

- dans le cadre de la curatelle, un seul organe de protection est prévu, le curateur. En cas de conflit d'intérêt, le juge ne peut ni s'appuyer sur un subrogé, ni désigner un curateur ad hoc . Il est donc tenu de procéder au remplacement définitif du curateur, alors même que le conflit d'intérêt pouvait, lui, être temporaire ;

- dans le cadre de la tutelle, la désignation par le juge de tel ou tel type de tuteur est normalement conditionnée non seulement par l'existence ou non de proches susceptibles de l'exercer mais aussi par la consistance du patrimoine à gérer : en effet, en cas de vacance de la tutelle, un patrimoine important devait conduire à une tutelle d'Etat, alors qu'un patrimoine modique orientait le juge vers le choix d'une gérance de tutelle.

Or, ces différents types de tutelle sont rigides : choisir comme tuteur un préposé d'établissement ou un administrateur spécial entraînait l'application du régime de la gérance de tutelle et donc l'impossibilité de constituer un conseil de famille et de nommer un subrogé tuteur. Déférer la tutelle à l'Etat comporte les mêmes conséquences. Seul le choix d'un proche permet au juge d'opter entre deux régimes, celui de l'administration légale sous contrôle judiciaire (sans conseil de famille, ni subrogé tuteur) ou celui de la tutelle dite « complète ». Et comme pour la curatelle, dans tous les cas d'absence de subrogé tuteur, l'apparition d'un conflit d'intérêt entre le tuteur et son pupille entraîne le remplacement définitif du tuteur.

L'unification des régimes de tutelle rend sa liberté d'organisation au juge : quelle que soit la teneur du patrimoine, il sera libre de choisir le type de tuteur et ce choix sera désormais indépendant de l'organisation de la protection , puisqu'il pourra dans tous les cas l'adapter, en dotant le majeur d'un conseil de famille, d'un subrogé tuteur ou de ces deux organes.

Le juge pourra en outre désigner, pour une même personne, plusieurs tuteurs ou curateurs, en vue notamment de séparer - s'il l'estime opportun - les missions de protection des biens et celles de protection de la personne. Le projet de loi précise également que les tuteurs et curateurs eux-mêmes pourront s'adjoindre, sous leur propre responsabilité, le concours d'autres personnes pour assurer leur mission.

? Réaffirmer la priorité familiale dans la dévolution des mesures de protection

La loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs avait posé le principe d'une attribution des mesures de protection en priorité à la famille. Leur dévolution à un tiers ne pouvait normalement résulter que de la vacance de la tutelle ou de la curatelle. Mais ce principe a été largement battu en brèche : à la différence de la tutelle des mineurs, la mobilisation de la solidarité familiale est plus difficile à réaliser autour d'un majeur, la complexité de la gestion de ces mesures a conduit les juges à préférer très souvent se donner des interlocuteurs professionnels. Dans le cas de la maladie mentale, les médecins, enfin, étaient très nombreux à préconiser la désignation d'un tiers, estimant que l'exercice de la tutelle par un proche pouvait nuire au traitement.

Le Gouvernement a tenu à réaffirmer cette priorité familiale dans l'attribution des mesures de tutelle, mais tirant les leçons de la situation actuelle : la transformation de la cellule familiale et la redéfinition de solidarité familiale, en fonction non plus des liens du sang mais bien davantage en fonction de la proximité géographique et affective, conduit à élargir le champ des proches susceptibles de se voir confier une mesure de protection :

- la mesure peut être confiée non seulement au conjoint, mais aussi au concubin ou au partenaire avec qui le majeur a conclu un pacte civil de solidarité ;

- la notion de « proche » est étendue : au-delà des parents et alliés, le projet de loi reconnaît aux personnes résidant avec la personne protégée et justifiant de liens étroits et stables avec elle la possibilité d'être désignées pour exercer la mesure de protection ;

- le texte ne définit plus de façon stricte l'ordre de priorité entre les différents proches de la personne à protéger, mais prévoit que la désignation doit tenir compte des sentiments exprimés par l'intéressé et de l'avis de l'entourage ;

- le projet de loi donne enfin la priorité aux tuteurs et curateurs désignés soit par la personne protégée elle-même alors qu'elle disposait encore de toutes ses facultés, soit par les parents pour leurs enfants mineurs ou majeurs handicapés : en effet, même si la personne désignée n'est pas nécessairement membre de la famille, son élection par la personne protégée ou par ses parents conduit à la ranger parmi les bénéficiaires de la priorité familiale.

C'est donc uniquement dans un second temps que le juge peut envisager de nommer un tiers professionnel, désigné sous le terme générique de « mandataire judiciaire à la protection des majeurs ». Sont regroupés sous ce terme tous les professionnels qui exercent aujourd'hui des mesures de protection juridique : associations tutélaires et gérants de tutelle.

En application du principe solennellement réaffirmé en préambule du projet de loi selon lequel la protection des majeurs est « un devoir des familles et de la collectivité publique » , le texte précise que seule la famille proche et les mandataires professionnels ont l'obligation de conserver la tutelle au-delà de cinq ans, ce maximum étant fixé par référence à la durée maximum de la mesure initiale prise par le juge.

? Elargir le champ des préposés d'établissements susceptibles d'exercer des mesures de protection

Parmi les professionnels susceptibles d'être désignés par le juge pour exercer une mesure de protection, le projet de loi inscrit désormais les préposés ou les services rattachés à un établissement de soins ou à un établissement social ou médico-social.

A l'heure actuelle, si le code civil interdit en principe de confier une mesure de protection à l'établissement de traitement du majeur protégé, il prévoit une exception, lorsque le patrimoine de la personne est peu important et n'exige pas la mise en place d'une tutelle dite « complète », c'est-à-dire la constitution d'un conseil de famille et la désignation d'un subrogé tuteur.

En application du décret du 15 février 1969 7 ( * ) , les établissements fondés à désigner un préposé aux tutelles sont les « établissements d'hospitalisation, de soins ou de cure publics ou privés » , c'est-à-dire les établissements de santé et leurs démembrements (unités de soins de longue durée et établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes adossés à un établissement de santé). Le décret précise que la désignation d'un préposé est obligatoire dans les établissements publics et seulement facultative dans les établissements privés.

La tutelle en gérance hospitalière, qui était destinée à rester tout à fait subsidiaire, s'est en réalité considérablement développée, d'une part en raison de la pénurie de gérants de tutelle privés, d'autre part en raison de la proximité offerte par ce type de tutelle pour les personnes protégées : en 2004, on dénombrait ainsi 92 111 mesures confiées à des préposés d'établissements, dont 70 % relevant d'un établissement sanitaire et 30 % d'un établissement médico-social.

Ces avantages supposés conduisent le Gouvernement à proposer une double extension du champ des préposés d'établissements susceptibles d'être délégués à la tutelle :

- désormais, l'ensemble des établissements sociaux et médico-sociaux publics et privés hébergeant des personnes protégées pourra désigner un préposé aux tutelles. A contrario , en l'absence d'hébergement, la désignation du préposé sera impossible : les personnes prises en charge en accueil de jour ou en services d'aide à domicile ne pourront pas se voir désigner comme tuteur ou curateur un préposé d'établissement ;

- le juge pourra en outre confier la mesure non seulement à une personne physique préposée de l'établissement mais aussi à un de ses services spécifiquement dédiés à cette activité : le projet de loi tire ainsi les conséquences de l'expérimentation, dans certains établissements hospitaliers importants et traitant un grand nombre de majeurs protégés, d'équipes pluridisciplinaires chargées de gérer les dossiers de tutelle.

La dévolution de la mesure de protection à un préposé d'établissement est toutefois entourée de trois précautions :

- le préposé ou le service ne peut se voir confier que les mesures de tutelle et de curatelle qui concernent des personnes soignées ou hébergées dans son propre établissement : la désignation d'un préposé d'établissement répond en effet à une volonté d'assurer une protection de proximité pour la personne, ce qui suppose que préposé et majeur protégé relèvent bien du même établissement ;

- comme tous les autres mandataires professionnels, les préposés d'établissements devront être inscrits sur la liste départementale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs dressée par le préfet : ils seront donc soumis aux mêmes exigences de formation, d'expérience et de moralité que celles prévues par le code de l'action sociale et des familles pour les gérants de tutelle privés et pour les salariés des associations tutélaires ;

- enfin, si la mission confiée au préposé de l'établissement d'accueil s'étend, comme pour tout mandataire et sauf mention contraire, à la protection de la personne, un cas particulier est envisagé : celui des actes médicaux graves au sens du code de la santé publique. Dans ce cas, le texte reconnaît l'existence d'un conflit d'intérêt potentiel et prévoit une autorisation préalable du juge, voire le transfert des décisions au subrogé tuteur ou la désignation d'un administrateur ad hoc .

Composés chacun d'un article unique ( articles 454 et 455 ), les paragraphes 2 et 3 précisent les règles de désignation des subrogés tuteurs et curateurs et des tuteurs et curateurs ad hoc .

La possibilité de désigner, d'une part, un subrogé curateur, d'autre part, un tuteur ou un curateur ad hoc constituent des nouveautés introduites par le présent projet de loi. Ces outils doivent permettre au juge de surmonter les éventuels conflits d'intérêts entre la personne protégée et son tuteur ou curateur, sans être obligé de les destituer :

- le subrogé est désigné a priori par le juge, dès l'ouverture de la mesure. Il exerce un rôle général de surveillance des actes passés par le tuteur ou le curateur : il doit ainsi informer le juge lorsqu'il constate une faute dans la gestion du tuteur ou du curateur et solliciter l'autorisation de le suppléer en cas de conflit d'intérêt. Pour lui permettre d'exercer correctement ce rôle de surveillance, le texte prévoit une obligation d'information du subrogé par le tuteur ou le curateur ;

- le tuteur ou le curateur ad hoc remplace quant à lui le tuteur ou le curateur de façon ponctuelle , pour accomplir un acte ou une série d'actes pour lesquels les intérêts de ce dernier sont en opposition avec ceux du majeur protégé. Il est désigné à la demande du tuteur lui-même, du procureur de la République, de tout intéressé ou d'office par le juge.

Il convient en outre de préciser que, contrairement au droit en vigueur, le projet de loi donne toute latitude au juge pour décider de l'opportunité de nommer un subrogé ou un tuteur ad hoc . Il s'agit d'une innovation importante qui permettra notamment d'associer la famille à une mesure exercée par un professionnel.

Le paragraphe 4 reprend, en les précisant, les règles aujourd'hui applicables au conseil de famille. Il est composé de deux articles : le premier détaille les motifs pouvant conduire à la constitution d'un conseil de famille, sa composition et les règles régissant son fonctionnement ( article 456 ) et le second autorise, sous certaines conditions, ce même conseil à délibérer hors de la présence du juge ( article 457 ).

Si la constitution d'un conseil de famille reste réservée aux mesures de tutelle, le projet de loi inverse le principe qui prévalait jusqu'ici et selon lequel la constitution d'un tel conseil était la règle et l'absence de conseil l'exception. Désormais, en effet, le texte laisse l'initiative de sa constitution à la libre appréciation du juge qui doit tenir compte en la matière des besoins de protection de la personne, de la nature de son patrimoine et de l'existence d'un entourage suffisant permettant de faire fonctionner une telle instance.

Il convient toutefois de reconnaître qu'en pratique, les exceptions à la constitution d'un conseil de famille étaient devenues plus nombreuses que la règle : seules 0,3 % des tutelles sont organisées aujourd'hui avec un tel conseil. La liberté donnée au juge de créer ou non ce conseil pourrait même paradoxalement conduire à un accroissement de leur nombre.

La possibilité, ouverte par le projet de loi, de réunir le conseil de famille en dehors de la présence du juge vise d'ailleurs à redonner une impulsion à une institution dont l'objectif est d'associer au mieux l'entourage de la personne protégée à la mesure de protection. Au surplus, cette nouvelle faculté donne un cadre légal à des situations de fait où cet entourage se réunit pour prendre des décisions concernant le quotidien de la personne protégée. Cependant, pour éviter les dérives, le projet de loi la réserve aux cas où la tutelle a été confiée à un professionnel.

Sous-section 4 : Des effets de la curatelle et de la tutelle
sur la protection des personnes

Cette section précise les règles applicables aussi bien à la tutelle qu'à la curatelle en matière de protection des personnes. Il s'agit d'une des grandes innovations de la loi car elle confère un statut personnel au majeur protégé.

Jusqu'à présent, ce statut relevait d'une construction jurisprudentielle, la Cour de Cassation considérant depuis 1989 que la protection juridique s'étend à la protection du majeur lui-même. Elle a également depuis cette date peu à peu précisé les conditions dans lesquelles le tuteur peut assister ou représenter la personne protégée dans ses actes personnels. D'une façon générale, la Cour considère que le tuteur ou le curateur est tenu de respecter la volonté propre de la personne dans la mesure où elle est capable de l'exprimer. Dans le cas contraire, elle estime que les actes personnels doivent être autorisés par le juge.

Consacrant dans la loi cette jurisprudence, la sous-section reconnaît l'existence d'une sphère d'autonomie pour majeur protégé, y compris en matière de tutelle ( articles 458 à 459-1 ) et consacre le rôle de protection du tuteur ( articles 459 et 463 ). Elle actualise en outre les règles relatives au mariage des personnes protégées et à la conclusion par celles-ci d'un pacte civil de solidarité ( articles 460 à 462 ).

? La reconnaissance de la sphère d'autonomie du majeur protégé

Consacrant dans la loi cette extension du champ de la protection juridique, le projet de loi précise d'abord que, même en régime de tutelle, subsiste une sphère d'autonomie personnelle pour le majeur protégé, que le tuteur est tenu de respecter. Il reconnaît ainsi l'existence d' actes strictement personnels que le majeur peut et même doit faire seul sans l'assistance ni la représentation de son mandataire.

Le texte n'énumère pas ces actes, laissant à la jurisprudence le soin de les définir, sauf dans un domaine qui concerne les relations de la personne protégée avec ses enfants : ainsi, la déclaration de naissance d'un enfant, sa reconnaissance, le choix ou le changement de son nom, les actes de l'autorité parentale relativement à sa personne et le consentement à son adoption sont autant d'actes que la personne protégée doit faire seule, à peine de nullité.

Relèvent également de cette catégorie les décisions concernant le choix de sa résidence et de ses relations par le majeur protégé, même si ce principe ne fait naturellement pas obstacle à la mise en oeuvre des décisions d'hospitalisation ou d'accueil en établissement spécialisé, lorsque son état de santé l'exige.

S'agissant des décisions qui, sans être strictement personnelles, sont relatives à sa personne, le projet de loi reconnaît le droit de la personne protégée à les prendre seule, dès lors que son état le lui permet . A cet effet, elle doit recevoir du tuteur ou du curateur les informations nécessaires à une décision éclairée, selon des modalités adaptées à ses capacités.

Lorsque son état lui interdit de prendre seule ses décisions personnelles, le projet de loi s'attache à préserver autant que possible la dignité de la personne, en plaçant ces actes sous le régime de la simple assistance , et ce même si la personne est par ailleurs placée sous tutelle. La représentation doit donc rester exceptionnelle en la matière et ne peut être décidée que par le juge. Elle l'oblige dans tous les cas à placer le majeur, s'il n'y était pas déjà, sous le régime de la tutelle.

? La consécration du rôle de protection du tuteur et du curateur

La traduction concrète du rôle de protection de la personne que le projet de loi confie désormais au tuteur et au curateur réside dans la faculté qui leur est donnée de prendre seuls les décisions qui s'imposent pour assurer la sécurité du majeur protégé, lorsque celui-ci se met lui-même en danger par son comportement. Afin de garantir le respect des droits de la personne protégée, ils doivent toutefois informer le juge sans délai des mesures qu'ils sont amenés à prendre à ce titre.

Compte tenu de leur importance, les actes portant gravement atteinte à l'intégrité corporelle de la personne - comme la décision d'accepter une opération chirurgicale grave, un prélèvement d'organes ou une stérilisation, cette liste n'étant naturellement pas exhaustive - ou à l'intimité de sa vie privée doivent cependant être préalablement autorisés par le juge, sauf en cas d'urgence.

Contrepartie de ses nouveaux pouvoirs en matière de protection de la personne, le tuteur ou le curateur aura enfin l'obligation de rendre compte régulièrement au juge ou au conseil de famille des actions entreprises pour remplir sa mission, dans des conditions définies par ces derniers.

? La modernisation des règles applicables au mariage et au pacte civil de solidarité conclus par des personnes protégées

S'agissant du mariage des personnes protégées, le projet de loi laisse inchangées les règles applicables aux personnes en curatelle : ainsi, leur mariage suppose toujours le consentement du curateur, la personne protégée pouvant passer outre avec l'accord du juge des tutelles.

Il modifie en revanche les dispositions applicables aux majeurs sous tutelle. Le droit en vigueur prévoit en effet l'obligation pour la personne protégée d'obtenir le consentement de ses deux parents ou, en leur absence, du conseil de famille. Il s'agit d'ailleurs de la seule décision relevant exclusivement du conseil de famille, ce qui oblige le juge à en constituer un spécifiquement pour consentir au mariage, dans les différentes hypothèses où la tutelle est organisée sans conseil.

Désormais, en l'absence de conseil de famille, c'est le juge qui autorisera le mariage et le consentement des parents ne sera plus recherché. En revanche, subsiste l'obligation d'auditionner les futurs époux. L'obligation de consulter le médecin traitant disparaît au profit d'un avis des proches de la personne protégée.

Le projet de loi s'attache également aux conditions dans lesquelles une personne protégée peut conclure et rompre un pacte civil de solidarité (Pacs). S'agissant des personnes en curatelle, le code civil actuel ne fixe aucune règle particulière, entraînant une jurisprudence fluctuante sur la capacité ou non de la personne protégée à conclure un tel pacte et sur l'obligation ou non pour elle d'être assistée par son curateur en la matière. En revanche, alors qu'il l'autorise - de façon certes très encadrée  - à se marier, ce même code interdit paradoxalement au majeur protégé de conclure un Pacs.

Le projet de loi s'attache donc à clarifier et à mettre en cohérence les règles applicables à la conclusion d'un tel pacte par les personnes en tutelle ou en curatelle :

- pour les personnes en curatelle , l'assistance du curateur est requise lors de la signature de la convention de Pacs devant le notaire. En revanche, la personne protégée peut sans assistance aller la faire enregistrer au greffe. La décision de rompre le Pacs, de façon conjointe ou unilatérale, est une décision personnelle qui ne requiert pas l'assistance du curateur. Seules les formalités liées à la rupture (signification à l'autre partie, liquidation des droits et obligations du contrat) demandent cette assistance ;

- pour les personnes en tutelle , le projet de loi revient sur l'interdiction absolue qui prévalait jusqu'à présent. Il prévoit, comme pour le mariage, l'autorisation du juge ou du conseil de famille, l'audition des futurs partenaires et l'avis des proches. La signature de la convention requiert l'assistance du tuteur, son enregistrement étant en revanche un acte personnel de la personne protégée. Les autres formalités, notamment celles de signification en cas de rupture, sont faites et reçues par le tuteur. De plus, le pacte peut être rompu à l'initiative du tuteur, sur autorisation du juge ou du conseil de famille et après audition des intéressés.

Sous-section 5 : De la régularité des actes

Cette sous-section rassemble les trois articles du code civil ( articles 464 à 466 ) qui précisent le régime de régularité des actes passés par la personne protégée ou par son mandataire. Ce régime est profondément rénové par le présent projet de loi :

- le texte instaure tout d'abord une « période suspecte » couvrant les deux ans précédant l'ouverture d'une mesure de tutelle ou de curatelle : tous les actes passés pendant cette période pourront désormais être plus facilement annulés ou réduits. Cependant, en raison de l'insécurité juridique qui en résulte pour les tiers qui ont contracté en toute bonne foi avec la personne devenue protégée, les demandes en annulation ou réduction devront être introduites dans les cinq ans qui suivent l'ouverture de la mesure ;

- compte tenu de la reconnaissance par le projet de loi de l'existence de décisions strictement personnelles, relevant uniquement du majeur protégé et ce même en régime de tutelle, le texte met fin au principe de nullité de droit de tous les actes accomplis seuls par des majeurs en tutelle et des actes accomplis par le majeur en curatelle sans l'assistance de son curateur en contravention avec la loi. Il lui substitue un régime d'irrégularité proportionné au degré d'incapacité du majeur .

En conséquence, les actes que la personne protégée peut faire seule, que ce soit en tutelle ou en curatelle, sont soumis au même régime que les actes passés par une personne en sauvegarde de justice : ils peuvent donc être rescindés pour simple lésion et réduits en cas d'excès. Ceux passés par le majeur en tutelle ou en curatelle seul alors que l'assistance de son mandataire était requise peuvent être annulés, mais uniquement s'ils ont conduit à un préjudice pour la personne protégée. Au total, seuls les actes passés par la personne protégée seule alors que sa représentation était requise demeurent nuls de plein droit ;

- autre conséquence de la reconnaissance d'une sphère d'autonomie pour la personne protégée, le texte admet la possibilité d'une irrégularité liée au fait qu'un mandataire a agi seul , alors que l'acte en question devait être accompli par la personne protégée avec l'assistance (et non la représentation) de son mandataire : ces actes sont nuls de plein droit mais ils peuvent toutefois être confirmés a posteriori avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille.

Sous-section 6 : Des dispositions propres à la curatelle

Composée de six articles, cette sous-section détaille les règles applicables à la seule curatelle : elles concernent la définition des actes nécessitant l'assistance du curateur ( article 467 ), notamment en matière financière ( article 468 ), la procédure applicable en cas de désaccord entre le curatélaire et le curateur sur les actes nécessitant l'assistance de ce dernier ( article 469 ), l'encadrement de la capacité du curatélaire à faire des donations et la préservation de sa liberté de tester ( article 470 ), la possibilité offerte au juge d'adapter le contenu de la curatelle ( article 471 ) et le régime applicable à la curatelle renforcée ( article 472 ).

Dans l'ensemble, ces dispositions reprennent, sans grandes modifications, les dispositions existantes du code civil relatives aux mesures de curatelle. Quatre innovations méritent toutefois d'être soulignées :

- si le régime des actes en curatelle est inchangé et repose toujours sur le principe d'assistance du curateur, le projet de loi permet à ce dernier de demander au juge la possibilité de représenter la personne protégée pour accomplir des actes déterminés, lorsque celle-ci compromet manifestement et durablement ses intérêts par son inaction. Le curateur pourra donc dans cas être exceptionnellement autorisé à effectuer seul des actes de disposition ;

- conformément au principe d'interdiction des comptes pivots posé à l'article 427, l'ensemble des opérations financières relatives aux capitaux du curatélaire doivent transiter par le compte personnel et nominatif de celui-ci. S'agissant de l'emploi de ces fonds, les règles sont en revanche inchangées, la personne protégée nécessitant toujours l'assistance de son curateur pour les percevoir et les employer ;

- si la possibilité, pour le juge, d'adapter le contenu de la curatelle aux besoins de protection de la personne est ancienne, la procédure retenue est allégée, puisque le juge pourra en décider seul, sans requérir au préalable l'avis du médecin traitant du majeur protégé ;

- le projet de loi consacre dans la loi le terme de « curatelle renforcée », employé lorsque le juge autorise le curateur à percevoir lui-même les revenus de la personne protégée et à effectuer lui-même les versements nécessaires au règlement de ses charges, seul l'excédent étant alors remis entre ses mains. Si ce régime est globalement inchangé, il convient de souligner la nouveauté qui consiste à donner au curateur la possibilité de passer un bail au nom de la personne protégée pour assurer son logement.

Sous-section 7 : Des dispositions propres à la tutelle

Cette sous-section, composée de quatre articles ( articles 473 à 476 ), rassemble les dispositions spécifiques à la tutelle. Comme pour la curatelle, ils comportent peu de modifications par rapport au doit en vigueur.

Le projet de loi fait d'abord mieux apparaître le pouvoir du juge pour adapter la liste des actes pour lesquels le majeur protégé doit être représenté, en fonction des capacités de la personne : par exception au régime de la représentation qui prévaut dans le cadre de la tutelle, le juge pourra ainsi prévoir des actes que la personne pourra faire seule ou avec la simple assistance du tuteur.

Comme aujourd'hui, le majeur sous tutelle doit être représenté en justice par son tuteur, qui ne peut agir, en demande comme en défense, qu'avec l'autorisation du juge ou du conseil de famille, lorsqu'il existe.

En revanche, le texte assouplit très nettement les conditions dans lesquelles la personne sous tutelle peut tester ou effectuer des donations. En matière de donation, les actes de la personne protégée ne donnent plus lieu qu'à l'assistance du tuteur, là où la législation actuelle prévoit une stricte représentation. L'exigence d'une autorisation préalable du juge ou du conseil de famille pour ces actes demeure.

L'assouplissement est encore plus net en ce qui concerne le droit de tester : alors que le code civil prévoit actuellement l'obligation pour le majeur d'être assisté dans la rédaction de son testament, le projet de loi soumet cet acte à un simple régime d'autorisation préalable, aucune représentation ni assistance n'est plus recevable pour la rédaction de l'acte lui-même.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre trente et une modifications rédactionnelles ou de coordination, l'Assemblée nationale a adopté quatorze amendements à cette section.

? S'agissant de la durée des mesures de tutelle et de curatelle , elle a d'abord décidé que les décisions initiales d'ouverture prises par le juge devront systématiquement prévoir une durée déterminée, au plus égale à cinq ans. Ce n'est qu'à l'occasion d'un renouvellement que celui-ci pourra décider d'une mesure à durée indéterminée. Il lui a en effet semblé indispensable que le juge s'impose cette période d'évaluation de cinq ans pour vérifier l'adéquation de la mesure aux besoins de la personne protégée.

La mainlevée, la modification ou la substitution d'une mesure par une autre devra en outre être précédée d'un avis du tuteur ou du curateur. La nouvelle mesure éventuellement prise par le juge pourra, comme la mesure initiale, être levée, modifiée ou remplacée à tout moment par lui, dans les mêmes conditions.

L'Assemblée nationale est enfin revenue sur le caractère absolu du principe, posé par le projet de loi, selon lequel la protection cesse lorsque la personne protégée fixe sa résidence à l'étranger : elle a en effet introduit une exception en faveur des personnes accueillies ou soignées dans un établissement situé à l'étranger. Cet amendement vise à tenir compte de la situation d'un grand nombre de personnes handicapées, prises en charge notamment en Belgique faute de places en nombre suffisant en France. L'Assemblée nationale a estimé que le choix des familles de faire prendre en charge leur proche handicapé à l'étranger était suffisamment douloureux, pour ne pas le doubler de la suppression pure et simple de la protection juridique qui leur est due.

? Sur le sujet des organes de protection , l'Assemblée nationale a adopté trois amendements :

- le premier vise à encadrer de façon plus stricte la possibilité, pour les tuteurs et les curateurs, de déléguer une partie de leurs responsabilités à des tiers chargés de les assister : un décret en Conseil d'Etat fixera donc les actes pour lesquels une telle délégation sera autorisée ;

- le deuxième ouvre la possibilité, pour le juge, de désigner comme subrogé tuteur ou curateur, un mandataire professionnel, lorsque aucun proche n'est susceptible de tenir ce rôle : l'Assemblée nationale a en effet souhaité ne pas priver les personnes dépourvues de famille de la garantie que représente la désignation d'un subrogé ;

- le dernier s'attache à garantir la transparence du fonctionnement du conseil de famille, lorsque celui-ci se réunit en dehors de la présence du juge : afin que celui-ci puisse exercer son droit d'opposition de façon satisfaisante, le conseil de famille devra lui communiquer son ordre du jour préalablement à toute réunion tenue sans lui.

? En matière de protection de la personne , l'Assemblée nationale a d'abord encadré les mesures susceptibles d'être prises seul par le tuteur ou le curateur, sans autorisation préalable du juge : elle a ainsi précisé que ces mesures doivent être strictement nécessaires pour faire cesser le danger auquel la personne s'expose par son comportement.

Elle s'est ensuite attachée à coordonner les dispositions du code civil et celles des codes de la santé publique et de l'action sociale et des familles en matière de représentation des personnes protégées.

Ces deux derniers codes prévoient en effet la présence d'un représentant légal pour de nombreux actes. Or, pour le code civil, ces actes relèvent, selon les cas, des actes que la personne peut faire seule, de ceux qu'elle peut faire avec l'assistance de la personne chargée de sa protection ou de ceux pour lesquels elle doit être représentée. Afin d'éviter des conflits de normes, l'Assemblée nationale a donc précisé que la loi spéciale - c'est-à-dire, en l'espèce, le code de l'action sociale et des familles et le code de la santé publique - l'emporte sur la loi générale que constituent les dispositions du code civil en la matière.

Elle a toutefois prévu une exception à ce principe : lorsque la mesure a été confiée à un préposé d'établissement, les actes graves que le code de la santé publique confie normalement au représentant légal ne peuvent être accomplis par le tuteur ou le curateur seuls mais requièrent une autorisation spéciale du juge . Celui-ci peut d'ailleurs décider de confier ces actes au subrogé tuteur ou à un tuteur ad hoc , lorsqu'il estime que les intérêts du tuteur ou du curateur sont en opposition avec ceux de la personne protégée.

L'Assemblée nationale a également apporté une précision au principe de liberté pour la personne protégée de choisir ses relations : ce libre choix s'entend de toute personne, membre de la famille ou non, et emporte la liberté d'être visitée ou hébergée par celle-ci.

Envisageant enfin le cas où le tuteur ou le curateur est lui-même le partenaire de Pacs de la personne protégée, l'Assemblée nationale a prévu une présomption de conflit d'intérêt entre la personne protégée et son mandataire pour tous les actes relatifs à la dissolution de cette union.

? S'agissant des règles applicables à la curatelle , l'Assemblée nationale a étendu la possibilité, pour le curateur, de demander au juge la faculté de représenter son pupille : là où le texte initial prévoyait une telle possibilité dans les seuls cas d'inaction du majeur protégé préjudiciable à ses intérêts, l'Assemblée nationale envisage l'ensemble des cas où la personne compromet gravement ses intérêts, de façon active ou inactive.

Elle a également précisé que le fait pour la personne protégée de projeter une donation en faveur de son curateur fait naître entre eux un conflit d'intérêt : dans un tel cas, le juge peut se saisir d'office pour faire nommer un curateur ad hoc .

? Concernant enfin les règles applicables à la tutelle , l'Assemblée nationale a rétabli la possibilité pour la personne protégée de révoquer seule son testament.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve, dans leur ensemble, les dispositions de la présente section. Elle se félicite tout particulièrement de l'obligation faite au juge de limiter dans le temps la durée de ses décisions de protection . S'agissant de mesures qui portent atteinte à la liberté des personnes, il lui semble en effet normal qu'elles soient révisées régulièrement, afin de s'assurer que les motifs qui ont présidé à leur ouverture subsistent.

Elle comprend néanmoins la possibilité, offerte aux juridictions, de prononcer des mesures à durée indéterminée, en présence de personnes dont l'état est manifestement insusceptible de toute amélioration. L'obligation de prévoir une première mesure à caractère temporaire est toutefois nécessaire, non pas pour envisager une levée de la protection, mais pour vérifier l'adaptation de celle-ci aux besoins de la personne.

Votre commission ne saurait en revanche accepter qu'il soit mis fin à la protection des personnes, du seul fait qu'elles ont transféré leur résidence hors de France . Cette disposition est en effet contraire au principe datant des origines de notre droit et inscrit à l'article 3 du code civil 8 ( * ) selon lequel « les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »

Les personnes concernées peuvent en outre avoir conservé des intérêts importants en France, qu'il convient de protéger. L'argument selon lequel les juges sont dans l'incapacité d'assurer le contrôle de l'exécution de ces mesures n'est, pour votre commission, pas recevable : c'est en effet aux agents consulaires d'assister les juridictions métropolitaines dans ce domaine et le fait qu'ils s'acquittent mal de cette tâche aujourd'hui ne doit pas conduire à les en exonérer mais bien plutôt à leur donner les moyens de le faire plus efficacement. Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose de supprimer cette restriction.

Votre commission s'étonne également de l'extension, prévue par le présent projet de loi, de la possibilité de désigner comme tuteur ou curateur un préposé d'établissement sanitaire ou médico-social . Cette possibilité n'avait en effet été retenue par le législateur de 1968 que pour traiter de situations marginales et la dérive qui a consisté, par pénurie d'opérateurs tutélaires, à confier un nombre croissant de mesures à des préposés d'établissements ne doit pas servir de justification à la généralisation de ce système.

La présence d'un conflit d'intérêt patent devrait pourtant s'opposer à la désignation d'un préposé de l'établissement d'accueil de la personne protégée. Celui-ci reste un salarié de l'établissement et, de ce fait, il est impossible de garantir son impartialité pour tout ce qui touche aux relations de la personne protégée avec cet établissement.

Le Gouvernement n'en est d'ailleurs pas dupe, puisqu'il prévoit un aménagement conséquent des règles prévues par le code de l'action sociale et des familles en matière de droits des usagers de ces établissements : remise directe du livret d'accueil et du règlement de fonctionnement à la personne protégée, absence d'assistance pour la personne protégée lors de l'élaboration du document individuel de prise en charge, voire élaboration dudit document par le seul représentant de l'établissement lorsque l'état de la personne rend impossible sa collaboration... Comment, dans ces conditions, imaginer qu'il soit possible de réellement garantir à la personne protégée l'exercice effectif de ses droits ?

D'une façon générale, l'ensemble des associations de personnes handicapées insiste sur la nécessité de préserver un regard extérieur à l'établissement sur la prise en charge. C'était également l'une des conclusions fortes de la commission d'enquête du Sénat sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissements sociaux et médico-sociaux 9 ( * ) .

Les conclusions de cette commission d'enquête avaient montré la grande difficulté pour le personnel des établissements à surmonter la loi du silence qui entoure la maltraitance institutionnelle. Elles insistaient en conséquence sur le rôle de vigilance et d'alerte des tuteurs. Mais elles précisaient immédiatement également que pour assurer ce rôle, les tuteurs devaient être indépendants des établissements et concluaient à la nécessité d'interdire « à un salarié d'être gérant de tutelle d'une personne accueillie dans l'établissement où il travaille » .

Votre commission reconnaît en revanche l'utilité des gérances de tutelle confiées aux établissements hospitaliers : elles concernent dans leur grande majorité des malades psychiques, pris en charge en ambulatoire, et l'exercice de la tutelle par l'établissement de soins constitue un point de repère et un moyen d'assurer une continuité entre l'hospitalisation et la vie à l'extérieur pour des personnes souvent très désocialisées.

Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose de supprimer la possibilité de confier les mesures de protection à un préposé d'établissement médico-social et donc de limiter ce dispositif aux seuls établissements de santé. Cette mesure s'inscrit d'ailleurs dans le même combat que celui qu'elle mène depuis plusieurs année pour voir reconnaître la nécessité de séparer les fonctions de gestionnaire d'établissement et de représentation des personnes handicapées dans les différentes instances qui les concernent.

Au surplus, outre une modification rédactionnelle, votre commission propose l'adoption de six amendements à cet article :

- si elle approuve la possibilité pour le juge de désigner un mandataire professionnel comme subrogé tuteur, elle estime nécessaire de préciser que, dans le cas où le tuteur est lui-même un professionnel, tous deux doivent impérativement être indépendants l'un de l'autre ;

- le projet de loi reste imprécis quant aux personnes susceptibles d'engager les actions en nullité, rescision et réduction des actes de la personne protégée : le texte est en effet muet à ce sujet s'agissant des actes passés au cours de la période suspecte et, pour les actes accomplis pendant la mesure, il ne mentionne expressément que le tuteur et le curateur comme étant susceptibles de demander la sanction de l'irrégularité. Il convient sans doute, dans les deux cas, d'être plus explicite, en ouvrant ces recours à la personne protégée, à ses héritiers et à la personne chargée de la protection. Enfin, quand l'irrégularité a été commise par le mandataire lui-même, il est nécessaire de prévoir la possibilité, pour le juge, de s'en saisir d'office ;

- dans sa rédaction issue de l'Assemblée nationale, le projet de loi semble exclure la possibilité, pour le curateur renforcé, de provisionner des dépenses futures : or, confronté à une personne incapable de se projeter dans l'avenir, il devrait au contraire pouvoir déterminer l'épargne nécessaire pour faire face aux imprévus. Il convient donc de préciser le dispositif dans ce sens ;

- s'agissant des pouvoirs du tuteur en matière d'action en justice, votre commission comprend également mal la raison qui conduit à soumettre l'action en défense à une autorisation préalable du juge ou du conseil de famille. La possibilité de se défendre est en effet un droit fondamental et il apparaît extrêmement restrictif de soumettre l'exercice de cette garantie pour la personne protégée à une autorisation. Votre commission vous propose donc de la supprimer ;

- enfin, compte tenu de la possibilité, désormais ouverte à la personne sous tutelle, de tester seule sur autorisation du conseil de famille, votre commission considère que la faculté qui lui est laissée de révoquer seule son testament est risquée et source vraisemblable de contentieux. C'est pourquoi il lui paraît préférable de soumettre cette révocation à une autorisation du juge.

Pour ces motifs, votre commission vous propose d'adopter cette section ainsi amendée.

Section 5 - Du mandat de protection future (art. 477 à 494 du code civil)

I - Le texte proposé

Cette section met en oeuvre l'une des principales innovations du présent projet de loi, à savoir la création d'un mandat de protection future , destiné à permettre à toute personne capable d'organiser à l'avance sa propre protection ou celle de ses enfants mineurs ou majeurs vulnérables. Elle se décompose en trois sous-sections : la première pose les principes généraux applicables au mandat de protection future, la deuxième les règles spécifiques relatives aux mandats passés devant notaires et la dernière, enfin, celles relatives aux mandats établis sous seing privé.

Sous-section 1 : Des dispositions communes

Composée de treize articles ( articles 477 à 488 ), cette sous-section définit les règles communes à tous les mandats de protection future, quelle que soit leur nature.

? La définition des personnes susceptibles de passer mandat

Le projet de loi distingue les deux situations permettant de recourir au mandat de protection future : le mandant peut d'abord mandater pour lui , en prévision de l'altération de ses propres facultés mentales ; il peut ensuite mandater pour son enfant , mineur ou majeur, à la condition, dans ce dernier cas, que celui-ci soit à sa charge matérielle et affective.

? L'établissement, l'entrée en vigueur, la modification et la fin du mandat

Le texte précise les conditions dans lesquelles le mandat entre en vigueur : il lui est ainsi donné exécution, d'une part, lorsque le mandant n'est plus en mesure d'assurer sa propre protection ou celle de son enfant, d'autre part, lorsque son décès rend nécessaire la mise en place d'une nouvelle protection pour cet enfant. Il convient de noter que si le mandat pour soi-même peut être conclu à la fois par acte authentique et par acte sous seing privé, le mandat pour autrui, lui, ne peut être passé que devant un notaire.

Le projet de loi laisse toute liberté au mandant dans le choix de son mandataire : il peut en effet s'agir de toute personne physique capable ou d'un mandataire professionnel à la protection des majeurs. Une fois le mandat accepté et entré en application, le mandataire ne peut plus être déchargé du mandat qu'avec l'autorisation du juge.

Comme pour les mesures de protection juridique prononcées par le juge, l'incapacité du mandant doit être établie grâce à un certificat médical, rédigé par un médecin expert agréé par le procureur de la République. Mais contrairement à celles-ci, le mandat de protection future entre en vigueur sans intervention du juge : c'est le mandataire qui en déclenche l'exécution en adressant le certificat médical au greffe du tribunal d'instance.

A l'inverse, les situations conduisant à mettre fin au mandat sont au nombre de cinq :

- les trois premières sont automatiques : il s'agit du rétablissement des facultés de l'intéressé, de son décès ou d'un empêchement frappant le mandataire lui-même (décès, mise sous protection juridique ou déconfiture s'il s'agit d'une personne morale) ;

- les deux dernières supposent l'intervention du juge : la personne protégée peut d'abord être placée en tutelle ou en curatelle, ce qui provoque l'extinction du mandat sauf décision contraire du juge. Celui-ci peut également révoquer purement et simplement le mandat, s'il estime qu'il ne satisfait pas aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité applicables à toutes les mesures de protection des majeurs.

Le projet de loi précise enfin que toute personne intéressée peut saisir le juge pour contester les conditions de l'exécution du mandat. Le juge a alors la faculté de choisir de mettre fin purement et simplement au mandat, de lui substituer une mesure de protection juridique, d'ouvrir une mesure de protection juridique complémentaire au mandat ou, enfin, d'autoriser le mandataire à accomplir des actes non couverts par le mandat.

? La définition du contenu du mandat de protection future

En matière de protection des biens , les règles de fonctionnement du mandat de protection future sont définies par référence aux règles applicables au mandat de droit commun :

- le mandat peut être soit général, soit spécial : ainsi, comme dans tous les mandats, il permet au mandant de définir exactement l'étendue de la mission de protection qu'il souhaite confier au mandataire. C'est d'ailleurs dans cette adaptabilité que réside la nouveauté du mandat par rapport au tuteur testamentaire, qui permettait simplement aux parents de désigner la personne de leur choix mais non de délimiter ses pouvoirs ;

- le mandat n'est pas un régime d'incapacité, mais un régime de procuration : comme dans tous les mandats, le mandant conserve la possibilité de faire seul les actes qu'il a délégués, concurremment avec le mandataire. Cette caractéristique explique pourquoi le projet de loi ne prévoit pas de donner systématiquement publicité au mandat ;

- en revanche, les possibilités pour le mandataire de se faire assister par une autre personne sont limitées par rapport au droit commun des mandats : une telle substitution n'est possible que pour les actes de gestion du patrimoine et uniquement à titre spécial, c'est-à-dire pour des actes déterminés .

? L'interprétation du mandat

Lorsque la rédaction du mandat est ambiguë sur l'étendue des pouvoirs du mandataire, le projet de loi précise qu'il doit être interprété comme confiant au mandataire les pouvoirs d'un tuteur.

La même règle est retenue en matière de recevabilité des actes passés par le mandant : comme en matière de tutelle, les actes passés par le mandant pendant la « période suspecte » peuvent être plus facilement annulés ou réduits et ceux accomplis sous l'empire du mandat doivent être examinés à la lumière des pouvoirs du mandataire : ils peuvent être annulés pour préjudice lorsque l'acte supposait l'assistance du mandataire, et déclarés nuls de plein droit lorsqu'ils appelaient sa représentation.

? Les obligations comptables du mandataire

Comme les autres personnes chargées d'une mesure de protection, le mandataire est tenu de dresser un inventaire des biens de la personne protégée et d'établir des comptes annuels de sa gestion. Il doit également tenir ces documents à la disposition de la personne qui est amenée à poursuivre sa gestion ou des héritiers si la personne est décédée. En revanche, leur contrôle par le juge reste une simple possibilité.

Sous-section 2 : Du mandat notarié

Composée de trois articles ( articles 489 à 491 ), cette sous-section précise les règles particulières applicables aux mandats de protection future lorsqu'ils sont établis sous la forme d'actes authentiques.

Le mandat notarié offre sans aucun doute les meilleures garanties au mandant, dans la mesure où il est élaboré sous le contrôle d'un spécialiste et où il est ensuite conservé et recensé comme tous les actes notariés, ce qui permet d'assurer son opposabilité aux tiers. Par ailleurs, le projet de loi prévoit que le mandataire doit, dans cette hypothèse, rendre les comptes de sa gestion au notaire, qui signale au juge toute anomalie constatée dans la gestion et tout acte n'entrant pas dans le champ du mandat.

Compte tenu de ces garanties plus fortes, le projet de loi autorise le mandat notarié à couvrir un champ très large : ainsi, par exception au droit commun des mandats, un mandat de protection future passé sous la forme d'un acte authentique autorise le mandataire à faire seul au nom de la personne tous les actes, y compris ceux de disposition. Ses pouvoirs sont donc plus larges que ceux d'un tuteur puisque ce dernier doit demander l'autorisation du juge pour cette dernière catégorie d'actes.

Sous-section 3 : Du mandat sous seing privé

Egalement composée de trois articles ( articles 492 à 494 ), cette sous-section détermine le régime du mandat passé sous la forme d'un acte sous seing privé.

Comme en matière de testament, l'authenticité d'un tel mandat est assurée par le contreseing de deux témoins majeurs. Il doit en outre être écrit de la main du mandant, sauf s'il est contresigné par un avocat et déposé au rang des minutes d'un notaire, auquel cas il peut être dactylographié.

Eu égard aux moindres garanties qu'il offre, son champ est plus limité que celui du mandat notarié : en matière patrimoniale, il ne peut porter que sur des actes conservatoires ou de gestion. Le mandataire peut toutefois obtenir du juge l'autorisation d'effectuer un acte qui ne rentre pas dans ce champ ou qui n'est pas explicitement prévu au mandat, lorsque cet acte est nécessaire dans l'intérêt du mandant.

Comme dans le cadre du mandat notarié, le mandataire qui reçoit ses pouvoirs d'un acte sous seing privé est soumis à des obligations comptables. Mais l'inventaire qu'il dresse des biens de la personne protégée et ses comptes de gestion ne sont pas systématiquement contrôlés.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre dix amendements rédactionnels ou de coordination, l'Assemblée nationale a adopté dix-sept amendements à cette section.

? Elle s'est d'abord attachée à encadrer le contenu du mandat de protection en matière de protection de la personne. A cet effet, elle a soumis le mandat aux nouvelles dispositions du code civil qui régissent cette protection : les pouvoirs du mandataire doivent s'exercer dans le respect du droit du majeur à être informé des décisions qui le concernent et dans le respect de sa sphère d'autonomie personnelle. Sous ces réserves, il est précisé que les pouvoirs du mandataire s'étendent également aux missions dévolues par le code de la santé publique et par le code de l'action sociale et des familles au représentant légal ou à la personne de confiance.

Dans le cadre du mandat notarié, l'Assemblé nationale a également tenu à préciser que les pouvoirs du mandataire en matière de protection de la personne sont plus limités qu'en matière patrimoniale : si pour les actes relatifs aux biens, il peut agir seul, y compris pour les actes de disposition, il n'en ira pas de même pour les actes touchant à la protection de la personne, qui continueront à requérir, selon la même règle de répartition qu'en matière de tutelle, l'autorisation du juge.

Elle a enfin ouvert au juge la possibilité de révoquer le mandat, lorsque celui-ci ne protège pas suffisamment non seulement les intérêts patrimoniaux du mandant mais aussi sa propre personne.

? L'Assemblée nationale a également clarifié le régime du mandat de protection future : la référence multiple, aux règles applicables à la tutelle jetait en effet un doute sur ce régime, en laissant à penser qu'il s'agissait non pas d'un régime de procuration mais d'un régime d'incapacité.

C'est la raison pour laquelle elle a supprimé la règle d'interprétation selon laquelle en cas d'ambiguïté, le mandat doit être compris comme donnant au mandataire les pouvoirs d'un tuteur. Le même motif explique le remplacement de l'application du régime des tutelles par celui de la sauvegarde de justice en matière d'annulation des actes du mandant.

? Elle a également assuré une meilleure insertion du mandat de protection future dans le dispositif global des mesures de protection juridique des majeurs : elle a ainsi prévu explicitement la possibilité, pour le juge, de suspendre le mandat pour la durée d'une mesure de sauvegarde de justice.

Elle a, en outre, précisé que lorsque le juge ouvre une tutelle en complément du mandat de protection future, le mandataire et la personne désignée par le juge restent indépendants et ne sont pas responsables l'un envers l'autre mais ont l'obligation de s'informer mutuellement de leurs décisions.

? S'agissant des différentes formalités entourant la conclusion, l'entrée en vigueur et la fin du mandat, l'Assemblée nationale a d'abord précisé que le mandataire de protection future doit non seulement être capable, mais également ne pas se trouver dans l'une des situations qui conduiraient le juge à le déclarer empêché dans le cadre d'une tutelle ou d'une curatelle.

Afin de renforcer les garanties apportées au majeur vulnérable, les députés ont également prévu d'encadrer la procédure de passation d'un mandat notarié, en rendant obligatoire la présence d'un second notaire désigné par la chambre des notaires. En revanche, pour simplifier la procédure de révocation d'un tel mandat, ils ont remplacé la révocation par un nouvel acte notarié par une simple notification aux deux notaires et au mandataire.

L'Assemblée nationale a, par ailleurs, voulu donner les moyens au juge de contrôler les conditions de la mise à exécution du mandat : à cet effet, elle a prévu l'obligation, pour le mandataire, de remettre au greffe non seulement le certificat médical mais aussi le mandat lui-même. Elle a, en outre, donné la possibilité à tout intéressé non seulement de contester les conditions d'exécution du mandat mais également d'en contester l'entrée en application.

? L'Assemblée nationale s'est ensuite attachée à renforcer les moyens de contrôle de l'exécution du mandat. Pour cela, elle a rendu obligatoire la conservation par le mandataire de l'inventaire et des comptes de la gestion pendant les cinq années suivant la fin du mandat. Elle a également prévu que l'ancien mandataire tient les documents comptables à la disposition non seulement de la personne qui poursuit sa gestion et des héritiers mais aussi de la personne protégée elle-même redevenue capable. D'une façon générale, elle a renvoyé au mandat lui-même la fixation des modalités de sa propre exécution.

? Concernant enfin le mandat sous seing privé, l'Assemblée nationale a procédé à un allégement de leurs règles de forme : elle a ainsi supprimé l'obligation pour le mandat d'être écrit de la main du mandant, tout en conservant deux possibilités pour assurer son authenticité (contreseing par un avocat ou par deux témoins). Elle a, en outre, précisé que le mandat sous seing privé acquiert date certaine contre les tiers que s'il est enregistré chez un notaire. A défaut, il n'acquiert date certaine qu'à la mort du mandant.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve la création du mandat de protection future qui constitue un outil particulièrement attendu par les parents d'enfants handicapés. L'allongement de l'espérance de vie des personnes handicapées rend possible le fait qu'elles puissent survivre à leurs parents et soulève chez ces derniers une inquiétude nouvelle, celle de savoir qui prendra soin de leur enfant lorsque eux-mêmes auront disparu ou lorsqu'ils auront eux aussi besoin d'une protection.

Elle soutient également la philosophie de ce dispositif de protection, qui repose sur la volonté contractuelle des parties et ne fait intervenir le juge que de façon subsidiaire. Il permet d'apporter une solution souple et responsabilisante aux personnes qui veulent organiser leur propre protection.

Le dispositif proposé mériterait toutefois d'être clarifié sur plusieurs points : tout d'abord, la notion d'enfant majeur à la charge « matérielle et affective » de ses parents est insuffisamment précise, car elle ne permet pas de viser avec certitude les seuls majeurs handicapés. On peut en effet être à la charge matérielle et affective de ses parents sans pour autant nécessiter une protection juridique si ceux-ci viennent à disparaître. Or, il serait singulier d'autoriser des parents à mandater pour leur enfant majeur capable, alors que lui-même pourrait le faire. De plus, il existe dans ce cas un risque de conflit de mandat , entre celui conclu par les parents et celui passé par l'enfant majeur. A défaut de pouvoir envisager une définition plus claire, votre commission estime nécessaire de régler au minimum ce conflit de normes et vous propose d' amender le dispositif sur ce point.

Votre commission s'interroge ensuite sur les conditions requises pour lever le mandat : le projet de loi prévoit en effet l'obligation de produire un certificat médical établi selon les mêmes règles que celui exigé pour l'ouverture de la mesure, c'est-à-dire un certificat établi par un médecin expert agréé par le procureur de la République. Or, les mesures de protection juridique prononcées par le juge peuvent être levées sur présentation d'un certificat médical de droit commun. Votre commission ne comprend pas les raisons qui poussent à une plus grande sévérité en matière de mandat de protection future et vous propose en conséquence d'aligner, par amendement , les exigences en la matière sur celles prévues pour l'ensemble des autres mesures de protection juridique.

Votre commission regrette également les incertitudes qui entourent le régime du mandat : bien que la référence au droit commun des mandats fasse plutôt pencher pour une telle interprétation, il n'apparaît à aucun moment clairement que le mandant conserve la possibilité de faire tous les actes par lui-même. En supprimant toute référence au régime des tutelles, tant en matière d'interprétation des pouvoirs du mandataire qu'en matière d'annulation des actes du mandant, l'Assemblée nationale a tenté de confirmer cette interprétation. Votre commission estime cependant nécessaire d'aller plus loin et de confirmer expressément, par amendement , le régime de simple procuration du mandat : la solution inverse, qui consisterait à créer sans aucun contrôle du juge un véritable régime d'incapacité, ne lui paraît en effet pas envisageable.

S'il est effectivement nécessaire d'apporter des garanties à la personne protégée par un mandat de protection future, votre commission estime toutefois que l'Assemblée nationale est allée trop loin en exigeant la présence simultanée de deux notaires pour la conclusion d'un mandat par acte authentique. Cette précaution s'inspirait de celle prévue par la loi sur les successions en matière de pacte successoral : dans ce cadre, un deuxième notaire était exigé pour assister l'enfant à qui on demandait de renoncer à l'avance à sa réserve au profit d'un frère ou d'une soeur handicapés. Votre commission considère que la situation est ici bien différente car le client et la personne à protéger sont une seule et même personne : il n'y a donc pas lieu de craindre une quelconque partialité du notaire. Estimant que la présence d'un second notaire est inutile, elle vous propose de la supprimer .

Votre commission estime également excessives certaines limitations apportées par l'Assemblée nationale au champ du mandat notarié : en limitant aux actes patrimoniaux les actes entrant automatiquement dans le mandat rédigé en termes généraux, elle en a de fait exclu tous les actes à caractère personnel , y compris ceux que, dans la même situation, un tuteur pourrait faire sans autorisation. Ainsi, s'agissant de la protection de la personne, un mandat devrait obligatoirement être spécial, c'est-à-dire les inclure de façon expresse. Votre commission considère que les actes de protection de la personne qui, en régime de tutelle, ne demanderaient pas d'autorisation du juge pourraient au contraire être automatiquement inclus dans un mandat rédigé. Il serait également utile de rappeler que le mandataire qui tient son mandat d'un acte authentique peut demander au juge l'autorisation d'accomplir un acte qui n'est pas dans son mandat mais qui est nécessaire pour pourvoir à l'intérêt du mandant. Elle vous propose donc d' amender le dispositif sur ces deux points.

A l'inverse, le texte est insuffisamment précis en la matière, s'agissant du mandat sous seing privé : il convient donc de préciser que celui-ci, lorsqu'il est rédigé en termes généraux, est limité dans tous les domaines - protection des biens et de la personne - aux actes qu'un tuteur pourrait accomplir sans autorisation.

Votre commission vous propose en outre d'adopter à cette section trois amendements rédactionnels ou de coordination.

Elle vous demande d'adopter cette section et l'ensemble du chapitre II, ainsi amendés.

*

Chapitre III - De la mesure d'assistance judiciaire (art. 495 à 495-9 du code civil)

I - Le texte proposé

Ce troisième chapitre, composé de dix articles ( articles 495 à 495-9 ), transforme l'actuelle mesure de tutelle aux prestations sociales adulte (TPSA), prévue par le code de la sécurité sociale en une « mesure d'assistance judiciaire », inscrite parmi les mesures judiciaires de protection des majeurs relevant du code civil.

Créée en 1966, la TPSA visait à protéger les majeurs bénéficiaires de prestations sociales qui ne les utilisent pas dans leur intérêt ou qui, en raison de leur état mental ou d'une déficience physique, vivent « dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses » . Elle consistait à autoriser le versement de tout ou partie des prestations sociale à un tuteur aux prestations sociales, chargé de les employer au profit du bénéficiaire.

Or, depuis sa création, si la TPSA a connu un développement important, elle a également connu de nombreuses dérives :

- leur nombre a d'abord crû de façon très rapide : entre 2005 et 2005, elles ont augmenté de 8,2 %, hors doublons avec des mesures de protection juridique. Cette progression est en grande partie liée au développement de la précarité et de l'exclusion sociale : en 2002, 66 % des bénéficiaires d'une TPSA avaient des revenus inférieurs ou égaux au minimum vieillesse ;

- le cumul avec des mesures de protection juridique a pris une ampleur considérable : l'article L. 167-2 du code de la sécurité sociale autorisait le cumul de cette mesure avec une mesure de tutelle ou de curatelle. Mais ce cumul devait se limiter aux cas où une action éducative en vue de la réadaptation de l'intéressé à une gestion normale de ses prestations était envisageable. En réalité, ce critère de cumul a rapidement disparu au profit d'une considération, nettement plus prosaïque, liée à la rémunération des mesures : la prise en charge de la TPSA par les organismes débiteur des prestations en a fait la mesure de protection la mieux rémunérée, ce qui a conduit fréquemment les opérateurs tutélaires à réclamer ces doubles mesures. Ces doublons ont connu une période de très forte de croissance, dans les années quatre-vingt-dix, atteignant plus de 300 % sur l'ensemble de la période. Un recul s'opère toutefois depuis quelques années (- 6 % entre 2002 et 2005).

Un grand nombre de rapports publiés depuis dix ans milite pour une réforme de la tutelle aux prestations sociales, considérant qu'une large partie du public qu'elle concerne relève davantage d'un accompagnement social que d'une mesure de protection prononcée par un juge.

Ainsi, le rapport du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs 10 ( * ) , estimait en 2002 qu'il convenait « de substituer à l'actuelle tutelle aux prestations sociales, une mesure de gestion budgétaire et sociale et de lui donner sa place véritable dans le dispositif civil de protection des majeurs: celle d'une gestion limitée aux prestations sociales, sans aucune des incapacités attachées à la tutelle ou à la curatelle. »

C'est ce à quoi s'attache ce chapitre, en coordination avec l'article 8 du présent projet de loi, en mettant en place un dispositif de protection en faveur des personnes en très grande difficulté sociale reposant sur deux mesures successives : une protection administrative et contractuelle gérée par les départements et intitulée « mesure d'accompagnement social personnalisée » (MASP) et une protection contraignante, ouverte par le juge, dénommée « mesure d'assistance judiciaire » (MAJ).

Conformément aux recommandations du rapport Favard, le présent chapitre fait en effet le choix d'une mesure inscrite dans le code civil, n'entraînant aucune incapacité juridique autre que celle de percevoir les prestations visées par le juge. Il met également fin à la pratique des doubles mesures : la mesure d'assistance judiciaire ne peut être instaurée au profit de majeurs déjà placés sous protection juridique et l'ouverture d'une telle mesure met automatiquement fin à la MAJ.

La nouvelle mesure ne peut en outre être ouverte que sous deux conditions cumulatives : lorsque la santé ou la sécurité de la personne est compromise du fait de son incapacité à assurer seule la gestion de ses prestations sociales et que l'accompagnement social contractuel mis en oeuvre par le département a échoué. Son objectif est reprécisé par rapport à l'actuelle TPSA : rétablir l'autonomie de la personne dans la gestion de ses ressources, en mobilisant deux outils, la gestion directe des prestations sociales par un mandataire et un accompagnement social à visée éducative. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le mandataire doit, dans toute la mesure du possible, tenir compte de la situation familiale du majeur et demander son avis à la personne pour décider de l'emploi des prestations.

La mesure d'assistance judiciaire ne peut être ouverte qu'à la demande du procureur de la République : il s'agit, dans ce domaine également, d'assurer la subsidiarité de la protection judiciaire par rapport à l'accompagnement social. Le ministère public ne peut d'ailleurs pas saisir le juge de sa propre initiative, il doit avoir lui-même été saisi en ce sens par les services sociaux qui ont constaté l'échec de la mesure d'accompagnement social personnalisée.

L'ouverture de cette mesure est prononcée par le juge, pour une durée initiale maximum de deux ans . Elle peut être renouvelée, sur décision spécialement motivée et dans la limite d'une durée totale de quatre ans. Contrairement aux autres mesures de protection des majeurs, son exercice n'est pas confié par priorité à la famille mais à un mandataire professionnel , cette particularité s'expliquant par la nécessité d'assurer l'accompagnement éducatif nécessaire pour aider la personne à recouvrer son autonomie dans la gestion de ses prestations.

Comme la TPSA, la gestion directe par un mandataire des ressources du bénéficiaire de la mesure d'assistance judiciaire est limitée aux prestations sociales , dont la liste est fixée par décret. Le projet de loi précise cependant d'ores et déjà que les prestations de retraite ne pourront pas être concernées par une mesure d'assistance judiciaire : leur caractère contributif et leur nature de revenu de remplacement conduisent en effet à aligner leur régime sur celui des salaires, qui ne peuvent pas faire l'objet d'une gestion directe.

Les prestations sociales versées à un foyer peuvent déjà faire l'objet d'une mesure de gestion directe, dans le cadre de la tutelle aux prestations familiale, décidée par le juge des enfants, lorsque les parents n'emploient pas les prestations dans l'intérêt de leurs enfants. Il était donc nécessaire d'assurer la coordination de cette mesure avec la nouvelle MAJ : leur coexistence est autorisée, mais les prestations incluses dans l'une ne peuvent naturellement pas l'être dans l'autre.

Le présent chapitre renforce également les obligations du mandataire chargé de gérer les prestations par rapport à l'actuelle TPSA :

- conformément au principe général d'interdiction des comptes pivots, les prestations placées sous l'empire de la MAJ doivent être déposées sur un compte individuel ouvert au nom du majeur. Cette obligation ne s'impose pas en revanche aux mandataires préposés d'établissements, dans la mesure où les prestations sont alors simplement individualisées sur des lignes budgétaires différentes, dans la comptabilité de l'établissement, l'application des règles de la comptabilité publique imposant un contrôle strict de l'emploi des fonds et une ventilation des produits financiers afférents ;

- il rend également applicables au mandataire de la MAJ les règles applicables à tous les mandataires à la protection des majeurs en matière d'établissement, de vérification et d'approbation des comptes.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Outre onze amendements rédactionnels ou de coordination, l'Assemblée nationale a adopté quatre amendements à ce chapitre :

- elle a d'abord changé l'intitulé de la mesure d'assistance judiciaire pour le remplacer par celui de « mesure d'accompagnement judiciaire » : elle a en effet estimé que la notion d'assistance doit être strictement réservée au régime de la curatelle ;

- elle a ensuite rendu obligatoire, pour le juge, l'audition préalable de la personne concernée avant l'ouverture d'une mesure d'accompagnement judiciaire : elle a considéré que cette audition constitue une stricte application des droits de la défense, eu égard à une mesure au moins partiellement privative de libertés ;

- elle a surtout prévu la possibilité, pour le juge, d'étendre exceptionnellement la gestion directe prévue dans le cadre de la MAJ à d'autres catégories de ressources que les prestations sociales, lorsque la gestion des seules prestations apparaît comme insuffisante pour rétablir la situation : il lui a en effet semblé que l'efficacité de la mesure est conditionnée à la possibilité, pour le mandataire, d'appréhender l'ensemble des revenus de la personne. Lorsque le bénéficiaire de la MAJ est allocataire d'un minimum social, la limitation de la MAJ aux seules prestations est sans incidence, mais la situation change dès lors que la personne quitte ce statut, ce qui risque de remettre en cause l'accompagnement social sur le long terme ;

- elle a enfin encadré le renouvellement de la MAJ : celui-ci ne peut plus être décidé d'office par le juge mais doit lui être demandé par le procureur, le mandataire ou la personne elle-même.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve naturellement la volonté du Gouvernement de clarifier le champ respectif de la protection juridique et de l'accompagnement social. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle salue la suppression de la curatelle pour prodigalité, intempérance ou oisiveté qui était source de confusion en matière d'accès à la protection juridique.

De la même façon, elle approuve la subsidiarité instituée entre la mesure d'accompagnement judiciaire, créée par ce chapitre, et la mesure d'accompagnement social personnalisée, introduite par l'article 8 du présent projet de loi : pour un grand nombre de personnes, la mise en place d'une aide contractuelle à la gestion du budget familial, complétée par un accompagnement renforcé - notamment dans le domaine de la santé et du logement - doit permettre d'éviter l'ouverture d'une mesure judiciaire lourde de conséquences.

Votre commission s'interroge toutefois sur la limitation apportée au champ de la MAJ. En restreignant la mesure aux seules prestations sociales, le projet de loi n'innove pas, il s'inscrit dans la ligne de la TPSA, dont elle ne se distingue qu'en raison de sa subsidiarité par rapport à la MASP. La philosophie d'une telle mesure est alors davantage de s'assurer que les prestations, versées par la collectivité, sont réellement employées dans le but pour lequel elles ont été créées.

Mais conjuguée à la disparition de la curatelle pour prodigalité, cette limitation signifie également la disparition de toute protection pour les personnes incapables de gérer leurs ressources dès lors qu'elles ne perçoivent pas de prestation sociale.

On peut naturellement adhérer à l'idée que toute personne est libre de dilapider son patrimoine, dès lors qu'elle n'est pas à la charge de la société. Votre commission considère, quant à elle, que lorsqu'une personne compromet sa sécurité, sa santé ou encore ses obligations familiales ou conjugales, il serait singulier d'attendre qu'elle se trouve dans le besoin et perçoive alors des prestations pour pouvoir assurer sa protection.

C'est la raison pour laquelle votre commission est favorable à une extension possible de la MAJ à l'ensemble des revenus . Elle y voit même un avantage, pour le prodigue désormais exclu de la curatelle : celui d'une protection bien plus adaptée à ses besoins car non assortie d'une incapacité juridique qui ne se justifiait pas dans son cas mais qui lui était imposée par le régime même de la curatelle.

L'Assemblée nationale a fait un premier pas dans cette direction, en autorisant le juge à étendre la MAJ à d'autres revenus lorsque la gestion directe des seules prestations ne suffit pas à assurer la protection de l'individu. Mais cette solution reste en réalité au milieu du gué, car elle continue d'exiger la perception d'au moins une prestation sociale pour y accéder. C'est la raison pour laquelle votre commission vous propose de supprimer ce dernier verrou, en ouvrant d'emblée, par amendement , la MAJ à toute personne, quel que soit le type de revenu qu'elle perçoit.

Votre commission se félicite en revanche de l'affirmation du principe d'interdiction des doubles mesures, source aujourd'hui de nombreuses dérives. Elle s'interroge toutefois sur la nécessité d'y apporter une nuance, dans le cas du cumul entre une MAJ et une mesure de sauvegarde de justice. Cette dernière est en effet temporaire et ne comporte pas d'incapacité : dans ces conditions, la levée de la MAJ, du fait du prononcé d'une mesure de sauvegarde, pourrait compromettre la protection des intérêts financiers de la personne, puisqu'elle recouvrirait brusquement ses facultés de percevoir et de gérer ses ressources. Votre commission vous propose donc de prévoir la faculté, pour le juge, d'apprécier l'opportunité de lever la MAJ quand il prononce une mesure de sauvegarde.

S'agissant de la coexistence d'une MAJ et d'une tutelle aux prestations familiales, désormais intitulée « mesure d'aide à la gestion du budget familial », votre commission l'approuve, dans la mesure où ces deux mesures ne poursuivent pas le même objectif. Il lui paraît en revanche important de prévoir, par amendement , que les mandataires exerçant ces deux mesures pour un même foyer s'informent mutuellement des décisions qu'ils prennent.

Votre commission vous propose en outre dix amendements de rédactionnels ou de coordination et vous demande d'adopter ce chapitre ainsi amendé.

*

Elle vous propose d'adopter l'ensemble de l'article 5 ainsi amendé.

* 5 Rapport n° 212 (2006-2007) de M. Henri de Richemont, rapporteur, fait au nom de la commission des lois, 7 février 2007.

* 6 Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs, fait par Jean-Baptiste de Foucault (Inspection générale des finances), Blandine Froment (Inspection des services judiciaires et Michel Trémois (Inspection générale des affaires sociales).

* 7 Décret n° 65-195 du 15 février 1969 pris pour l'application de l'article 499 du code civil.

* 8 Article introduit dans le code civil par une loi du 5 mars 1803.

* 9 « Maltraitance envers les personnes handicapées : briser la loi du silence », rapport n° 339 (2002-2003) de Paul Blanc, président, et Jean-Marc Juilhard, rapporteur, fait au nom de la commission d'enquête du Sénat sur la maltraitance des personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir, publié le 6 juin 2003.

* 10 Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs, remis par Jean Favard, président, au ministre de l'emploi et de la solidarité, au ministre de la justice et au ministre de l'économie et des finances, avril 2000.

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