CHAPITRE II - La protection judiciaire du majeur

Le projet de loi distingue les nouvelles mesures d'accompagnement social personnalisé (MASP) et la protection judiciaire, qui inclut les nouvelles mesures d'accompagnement judiciaire (MAJ), qui remplacent l'actuelle tutelle aux prestations sociales aux adultes (TPSA).

Le présent chapitre vise à réorganiser le système de protection judiciaire des personnes majeures en grandes difficultés sociales, afin en améliorer la cohérence et la transparence.

Section 1 - Dispositions communes

La protection judiciaire des majeurs est souvent déléguée à des membres de la famille ou des proches de la personne concernée. Lorsque ce n'est pas le cas, elle est confiée :

- soit à des services médico-sociaux ou à des services relevant d'associations ou d'organismes de sécurité sociale ;

- soit à des gérants de tutelle privée exerçant à titre individuel ;

- soit à des personnes exerçant dans un cadre institutionnel, au sein d'établissements pour personnes handicapées ou âgées (préposées à ces établissements).

La présente section tend à harmoniser les obligations et les règles de fonctionnement qui s'appliquent à ces trois catégories d'intervenants, en établissant des dispositions communes à l'exercice de leur activité professionnelle.

Article 9 (art. L. 461-1 à L. 461-8 [nouveaux] du code de l'action sociale et des familles) - Régime juridique de l'activité des mandataires judiciaires à la protection des majeurs

Objet : Cet article insère huit nouveaux articles dans le code de l'action sociale et des familles visant à créer des dispositions communes régissant l'activité des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

I - Le texte proposé

Dans le droit actuel, les personnes habilitées à exercer une protection judiciaire sur une personne majeure sont mentionnées par l'article 499 du code civil pour les tutelles et par l'article 509-1 pour les curatelles. Dans les deux cas, ces personnes sont désignées par le juge des tutelles et peuvent être extérieures à la famille.

Dans le cas des tutelles , il peut s'agir d'un « préposé appartenant au personnel administratif de l'établissement de traitement [ou] d'un administrateur spécial, choisis dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat ». Le décret n° 69-195 du 15 février 1969, modifié par le décret n° 72-284 du 11 avril 1972, précise que le juge des tutelles peut désigner comme gérant de tutelle :

- les personnes qualifiées figurant sur une liste établie, chaque année, par le procureur de la République ;

- les associations reconnues d'utilité publique, les associations déclarées et les fondations ayant une vocation sociale et figurant sur une liste établie, chaque année, par le procureur de la République ;

- les personnes physiques ou morales agréées comme tuteurs aux prestations sociales ;

- les personnes préposées, désignées par les établissements d'hospitalisation, de soins ou de cure, publics ou privés.

Pour les curatelles , il s'agit en priorité du conjoint ou, à défaut, de toute autre personne nommée par le juge des tutelles.

Le présent article harmonise les obligations et conditions d'exercice des opérateurs tutélaires actuels en les regroupant sous l'appellation unique de « mandataires judiciaires à la protection des majeurs » .

A cette fin, cet article complète le livre quatrième du code de l'action sociale et des familles par un titre VI, intitulé « Mandataires judiciaires à la protection des majeurs », qui comprend trois chapitres I er , II et III, dont les titres respectifs sont : « Dispositions communes », « Personnes physiques mandataires judiciaires à la protection des majeurs » et « Dispositions pénales ». Les dispositions du premier chapitre sont détaillées dans le présent article, celles des deuxième et troisième chapitres faisant respectivement l'objet des articles 14 et 15 du projet de loi. Conséquence de cet ajout, le titre du livre quatrième relatif aux professions et aux activités d'accueil est modifié et couvre un champ plus large relatif aux « Professions et activités sociales ».

Les huit articles que cet article vise à insérer dans le code de l'action sociale et des familles précisent les missions des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, les compétences requises en vue de leur inscription sur la liste départementale établie par le préfet, les modalités de prise en charge financière de leur activité, ainsi que leurs obligations vis-à-vis des personnes majeures dont ils assurent la protection juridique.

? Le nouvel article L. 461-1 définit les missions des mandataires judiciaires à la protection des majeurs . Celles-ci varient en fonction de la nature de la mesure de protection judiciaire que leur confie le juge des tutelles. Ce dernier leur délègue un mandat spécial dans le cadre de la sauvegarde de justice, de la curatelle ou de la tutelle ou encore de la mesure d'accompagnement judiciaire. Les mandataires se trouvent ainsi clairement placés dans un lien de subordination par rapport au juge des tutelles et doivent exercer leur activité « à titre habituel », ce qui suppose à la fois une certaine continuité dans le temps et dans la nature des missions exercées.

? L' article L. 461-2 prévoit l'inscription préfectorale des mandataires judiciaires sur une liste départementale unique . Actuellement, les opérateurs dont l'activité est subventionnée par l'Etat (les associations, notamment) font l'objet d'une liste élaborée par le préfet, tandis que les gérants de tutelle privés ou les services dont l'activité n'est pas subventionnée sont répertoriés auprès du procureur de la République. La création d'une liste unique, centralisée par le préfet du département, permettra ainsi d'harmoniser les conditions d'octroi des agréments ou autorisations d'exercice et d'améliorer le contrôle administratif de l'ensemble des demandes. Celles-ci seront désormais toutes instruites par les Ddass, alors que jusqu'à présent leur contrôle ne s'exerçait que sur les seules structures bénéficiant de subventions publiques.

Cette liste regroupera ainsi trois catégories de personnes ou services :

- les services mentionnés au 14° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, qui recouvrent, selon les termes de l'article 10 du projet de loi, « les services mettant en oeuvre les mesures de protection des majeurs ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial auquel il peut être recouru dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire ». Il s'agit concrètement des établissements ou services hospitaliers et établissements ou services médico-sociaux d'accueil ou d'accompagnement des personnes majeures handicapées, âgées ou socialement fragilisées, mettant en oeuvre des mesures de protection judiciaire et dont la création est soumise à la procédure d'autorisation qui s'applique à tout service social et médico-social et qui doit recevoir, en sus, l'avis conforme du procureur de la République ;

- des personnes physiques exerçant une activité tutélaire à titre individuel , dont l'activité est conditionnée par l'octroi d'un agrément ;

- des gérants de tutelle, préposés , exerçant dans les établissements ou services sociaux et médico-sociaux qui accueillent ou accompagnent des personnes majeures handicapées ou âgées 11 ( * ) .

? L' article L. 461-3 fixe les conditions professionnelles d'exercice des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient, le mandataire devra remplir des conditions d'âge, de moralité et de formation spécifique qui seront définies par décret. Cette harmonisation apparaît aujourd'hui indispensable, car elle constitue une garantie de professionnalisme des intervenants tutélaires quel que soit leur mode d'exercice.

Cela suppose que les formations et qualifications en ce domaine soient intégralement repensées et réorganisées et que de nouvelles filières spécialisées soient développées. Une réflexion est en cours au sein du ministère de la santé et des solidarités, qui devrait déboucher sur la création d'un certificat national de compétence attestant des qualifications requises pour exercer le métier de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Il faudra également que les capacités de contrôle des Ddass soient développées afin qu'elles puissent effectivement vérifier que les personnes ou services souhaitant exercer la fonction de mandataires judiciaires aient les qualifications et la moralité requises.

? L' article L. 461-4 détermine les modalités de prise en charge du coût des mesures de protection des majeurs .

Actuellement, le financement des mesures de protection judiciaire obéit aux principes suivants :

- les frais de la TPSA sont à la charge des organismes débiteurs des prestations placées sous tutelle ;

- la gérance de tutelle est intégralement financée par un prélèvement sur les ressources de la personne protégée ;

- les tutelles et curatelles d'Etat sont couvertes par un prélèvement sur les ressources de la personne protégée, à moins qu'elle ne dispose de ressources inférieures au minimum vieillesse, auquel cas l'Etat les prend intégralement à sa charge.

Le rapport de Jean Favard 12 ( * ) a critiqué la disparité des réglementations en ce domaine et le caractère fortement inégalitaire du système.

Le nouvel article inséré unifie les conditions de prise en charge des différentes prestations tutélaires et pose le principe de la prise en charge partielle ou totale par la personne protégée du coût des mesures dont elle bénéficie en fonction de ses ressources. Lorsque la prise en charge est partielle, elle est complétée par un financement public dont les modalités de calcul et de versement sont définies par l'article 12 du projet de loi.

L'article prévoit en outre, à titre exceptionnel, la possibilité pour le juge des tutelles, après avoir recueilli l'avis du procureur de la République, d'allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs une indemnité supplémentaire à la charge de la personne protégée, dont le montant est fixé en application d'un barème national établi par décret. Son versement doit être justifié par l'accomplissement d'actes supplémentaires par le mandataire, résultant notamment de la complexité de la situation de la personne protégée.

Le dispositif initialement proposé prévoyait également la possibilité pour l'Etat, l'organisme ou la collectivité concernée, d'exercer un recours en récupération sur la succession du majeur protégé et sur les donations qu'il aura effectuées de son vivant. Les conditions et les modalités de ces recours, définies en référence à l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, doivent être fixées par un décret en Conseil d'Etat.

? Les articles L. 461-5, L. 461-6 et L. 461-7 précisent les obligations du mandataire judiciaire et les droits de la personne protégée.

L' article L. 461-5 vise à prévenir les risques de dérives de la protection judiciaire, voire de maltraitance, en informant le majeur protégé du rôle du mandataire judiciaire, du contenu des mesures de protection juridique et des droits qu'il possède. Cette information lui est transmise par le mandataire judiciaire sous la forme d'une notice écrite et d'une charte des droits de la personne protégée qui lui est annexée, à condition que son état, notamment mental, lui permette d'en apprécier le contenu.

Les articles L. 461-6 et L. 461-7 précisent les obligations des établissements sociaux et médico-sociaux vis-à-vis des personnes bénéficiant d'une protection juridique, en prévoyant des dispositions particulières pour ceux qui disposent d'un préposé.

Les majeurs placés sous protection juridique au sein de ces établissements doivent bénéficier des droits garantis par les articles L. 311-3 à L. 311-9 du code de l'action sociale et des familles :

- l'article L. 311-3 prévoit le respect de la personne, le libre choix entre des prestations adaptées, une prise en charge et un accompagnement individualisé respectant le consentement de la personne, la confidentialité des informations, l'information sur la prise en charge, sur les droits fondamentaux et les voies de recours ainsi que la participation de la personne, avec l'aide éventuelle du tuteur légal, au projet d'accueil et d'accompagnement qui la concerne ;

- l'article L. 311-4 impose la remise de divers documents à la personne concernée ou, à défaut, à son représentant légal. Il s'agit d'un livret d'accueil, auquel est annexée une charte des droits et libertés, d'un règlement de fonctionnement de l'établissement ou du service et d'un contrat de séjour ou d'un document de prise en charge individuel élaboré avec la participation de la personne accueillie si elle en a la faculté ;

- l'article L. 311-5 prévoit la possibilité pour tout usager pris en charge par un établissement ou un service social ou médico-social de faire appel à une personne qualifiée (c'est-à-dire un conseil juridique) pour l'aider à faire valoir ses droits ;

- l'article L. 311-6 tend à associer les personnes protégées au fonctionnement du service ou de l'établissement par leur participation directe au conseil de la vie sociale ou aux autres formes de participation prévues par cet article ;

- les articles L. 311-7, L. 311-8 et L. 311-9 concernent respectivement le règlement de fonctionnement des établissements, les projets de service et la préservation de l'unité familiale.

L' article L. 461-6 traite du cas des majeurs protégés admis dans un établissement ou un service social ou médico-social, dont le représentant légal est soit un agent préposé à la protection des majeurs au sein de cet établissement, soit un service tutélaire dépendant de l'établissement. Les personnes protégées dans ce cadre bénéficient de l'ensemble des droits précédemment énoncés.

L' article L. 461-7 concerne les personnes protégées prises en charge par des établissements sociaux ou médico-sociaux qui ne disposent pas de préposé tutélaire, soit plus de 50 % des établissements d'accueil.

Pour ces dernières structures, des dispositions particulières s'appliquent :

- la notice d'information mentionnée à l'article L. 461-5 se substitue au livret d'accueil prévu par l'article L. 311-4 du code de l'action sociale et des familles ;

- le contrat de séjour est remplacé par un document individuel, dont une copie sera automatiquement remise au majeur protégé. Ce document doit préciser les objectifs et la nature de la mesure de protection, en rappelant les principes déontologiques et éthiques auxquels le mandataire doit se soumettre ainsi que les recommandations de bonnes pratiques professionnelles et le projet de service qu'il doit suivre. Il doit également fournir le détail des prestations offertes ainsi que le montant de la contribution de la personne protégée, le contenu minimal de ce document devant être complémentairement fixé par décret ;

- enfin, la participation de l'usager au fonctionnement du service prend ici la forme particulière d'enquêtes de satisfaction auprès du majeur protégé et de sa famille.

? L' article L. 461-8 renvoie à un décret simple le soin de préciser les modalités d'application du présent article, à l'exception des dispositions insérées par le nouvel article L. 461-4 pour lequel un décret en Conseil d'Etat est exigé.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

A l' article L. 461-1 , l'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel visant à remplacer le mot « assistance » par le mot « accompagnement » pour qualifier la nouvelle mesure de protection judiciaire (MAJ).

A l' article L. 461-2 , elle a adopté deux amendements , l'un ayant pour objet de préciser que les listes de mandataires judiciaires à la protection des majeurs seront non pas établies mais dressées et tenues à jour par le représentant de l'Etat dans le département, l'autre prévoyant que les personnes inscrites sur cette liste prêtent serment dans des conditions définies en Conseil d'Etat.

A l' article L. 461-3 , elle a adopté deux amendements : le premier précise que les mandataires judiciaires doivent attester d'une formation « spécifique », certifiée dans des conditions fixées par décret, ainsi que d'une certaine expérience professionnelle ; le second tend à imposer aux associations tutélaires la mise au point de procédures de contrôle interne, en prévoyant la transmission au représentant de l'Etat dans le département d'un document exposant leurs méthodes de recrutement et les règles de contrôle de leurs salariés dans l'exercice de leur mission.

A l' article L. 461-4 , outre un amendement de coordination rédactionnelle , elle a adopté trois amendements : le premier prévoit que soit établi par décret un barème national des indemnités supplémentaires pouvant être allouées à titre exceptionnel aux mandataires judiciaires, le deuxième vise à supprimer le recours en récupération sur l'actif net successoral du majeur protégé dont la mesure a été financée par l'Etat, un département ou un organisme public, et le troisième renvoie à l'article L. 461-8 les précisions relatives aux modalités d'application de l'article L. 461-4.

A l' article L. 461-5 , un amendement précise que lorsque la personne protégée n'est pas en mesure d'apprécier la portée d'une information qui doit lui être transmise, celle-ci doit être communiquée à un parent, un allié ou une personne de son entourage, qui soit connu du mandataire. A l' article L. 461-6 , elle a adopté par cohérence le même amendement, tandis qu'à l' article L. 461-7 , elle a adopté trois amendements de clarification rédactionnelle.

A l' article L. 461-8 , un amendement précise que les modalités d'application des articles L. 461-4 et L. 461-6 seront fixées par décret en Conseil d'Etat.

III - La position de votre commission

Votre commission approuve la réforme de fond proposée par cet article, qui permet de créer un véritable statut professionnel de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Cette réorganisation d'ensemble devrait contribuer à donner plus de cohérence et de transparence au système de protection judiciaire et garantir le professionnalisme des différents intervenants qui participent à son fonctionnement.

La création de listes départementales recensant les différents opérateurs habilités à exercer constitue un indéniable progrès. Toutefois, votre commission estime qu'il est parallèlement indispensable de créer une liste nationale des mandataires judiciaires interdits d'exercice, afin d'assurer un meilleur contrôle du dispositif d'ensemble. Elle vous proposera d'adopter un amendement en ce sens.

Outre un amendement rédactionnel , elle présentera également un amendement de coordination visant à supprimer les dispositions relatives aux droits et libertés des personnes protégées hébergées dans des établissements pour personnes âgées ou handicapées. Votre commission a en effet considéré qu'il n'était pas souhaitable de pouvoir désigner un mandataire judiciaire préposé parmi leurs personnels administratifs et sociaux.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 11 Etablissements et services mentionnés aux 6° et 7° de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 12 Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs présidé par Jean Favard (avril 2000), précité.

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