EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 3 octobre 2007, sous la présidence de M. Jacques Valade, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean-Léonce Dupont sur le projet de loi n° 474 (2006-2007) adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l' accord sur l'application de l' article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens .

Un échange de vues a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Jacques Valade, président, a félicité ce dernier pour la grande clarté et qualité de son rapport, qui permet de se faire une idée très précise de ce sujet à la fois technique et conflictuel, au-delà des passions et de l'action des différents groupes d'intérêt qu'il suscite.

Il a déclaré soutenir la position du rapporteur, tant pour ce qui concerne son avis sur la ratification que ses recommandations.

Après avoir salué le grand intérêt de l'exposé du rapporteur, M. Jack Ralite en a relevé le caractère très technique. Relevant les difficultés qui en résultent pour les dirigeants de petites et moyennes entreprises, il a indiqué que nombre d'entre eux étaient d'ailleurs peu favorables à la ratification du Protocole, de même que l'Assemblée parlementaire de la francophonie ainsi qu'un certain nombre de syndicats et d'organismes. En outre, certains pays ne souhaitent pas ratifier le Protocole.

Il a fait valoir que moins de 7 % des brevets étaient déposés en français et que les problèmes tenaient surtout à l'insuffisance de l'investissement dans la recherche et le développement (R&D), à la méconnaissance de l'atout stratégique que représente la propriété industrielle pour la conquête des marchés internationaux ainsi qu'à l'absence de culture de l'action commerciale dans notre pays.

Evoquant ensuite les chercheurs, dont certains sont favorables au Protocole, M. Jack Ralite a regretté qu'ils s'expriment le plus souvent en anglais dans les colloques et dans les revues scientifiques.

Il s'est déclaré très préoccupé par cette forme d'abandon de la propriété intellectuelle, alors même que cette dernière a été inventée en France.

Relevant que les traductions ne représentaient que 10 % du coût d'un brevet, contre 75 % de frais de maintien et 15  % de frais de procédure, il a jugé que les économies devraient plutôt être réalisées sur les gros postes de dépenses.

Il a également exprimé le souhait que la France refuse la fatalité du « tout anglais » dans toutes les activités, qu'elle accroisse ses investissements en R&D et qu'elle oeuvre au renforcement de la coopération européenne dans les domaines scientifiques et technologiques.

Il a conclu son propos en se déclarant défavorable à la ratification du Protocole de Londres.

Après avoir félicité le rapporteur pour la qualité de sa présentation, M. Jacques Legendre a fait part de l'évolution de sa position sur le sujet au cours du temps : plutôt favorable à la ratification dans un premier temps, compte tenu de ses avantages en termes de simplification et de réduction de coût, il avait également exprimé le souhait que la langue française ne soit pas instrumentalisée au profit de telle ou telle profession. Dans un second temps, ses préoccupations se sont accrues.

Il a évoqué la difficulté de se faire une opinion sur les avantages et désavantages de l'accord de Londres au plan économique : ceux-ci lui sont apparus « balancés », compte tenu des difficultés qu'éprouveront les petites et moyennes entreprises en matière de veille technologique et du risque d'être « inondé » de brevets anglo-saxons.

M. Jacques Legendre a abordé, ensuite, l'impact du Protocole sur la langue française, l'enjeu étant de savoir si l'on veut ou non que celle-ci reste une langue internationale, au rayonnement mondial. Il a estimé que le Protocole rendrait encore plus difficile ce dernier compte tenu :

- des freins mis par certains Etats, notamment de langue latine ;

- des réticences croissantes des étrangers à faire l'effort de l'apprentissage du français, compte tenu de l'usage de plus en plus réduit de notre langue dans un nombre croissant de domaines (sciences, transport, informatique, domaine militaire...). Il a affirmé que, de recul en recul, les étrangers ayant choisi le français comme langue d'accès à la modernité estimaient avoir de moins en moins de raison d'apprendre notre langue.

Par conséquent, M. Jacques Legendre s'est déclaré préoccupé pour l'avenir du français sur la scène mondiale, une langue internationale unique risquant de s'imposer au détriment de la diversité culturelle.

Evoquant par ailleurs les décisions du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel, il s'est inquiété du fait que, pour la première fois, des documents en langue étrangère puissent avoir valeur juridique et il a rappelé l'opposition au Protocole exprimée tant par le Conseil national des Barreaux que par M. Pascal Clément, ancien Garde des Sceaux et ancien représentant de la France dans les négociations sur le brevet communautaire.

Après avoir souligné que les frais de traduction permettaient de maintenir la diversité des cultures et la vitalité des langues, il a évoqué le caractère peu libéral des Américains en matière d'usage de leur langue.

En conclusion, M. Jacques Legendre a souhaité que la commission émette un avis défavorable à la ratification du Protocole de Londres, afin d'inciter le Gouvernement à conduire une politique cohérente en matière de francophonie.

M. Serge Lagauche a fait état des avis partagés de son groupe politique. Compte tenu des compétences propres de la commission des affaires culturelles, notamment en matière de francophonie et de défense de la langue et de la culture françaises, il a déclaré partager l'opinion de l'orateur précédent. Il a rappelé également que les délais pris par la France pour inscrire le texte à l'ordre du jour du Parlement avaient leur justification.

M. Jack Ralite s'est déclaré préoccupé par le développement d'une sorte « d'esperanto », fort éloigné de l'anglais comme langue de culture. Evoquant ensuite le rapport de MM. Lévy et Jouyet sur « l'économie de l'immatériel », il a estimé que l'on avait là un cas concret de « déshumanisation » dont la facture serait lourde. Il a fait part de sa crainte du pragmatisme lorsque sont en cause des valeurs fondamentales.

M. Louis de Broissia a estimé que la défense de la langue et de la culture françaises ne passaient pas uniquement par notre langue. Relevant que l'anglais constituait aujourd'hui un idiome international, il a souligné que, à l'instar de ce que l'on constate en matière télévisuelle, le développement du français passait surtout par la création, l'innovation et la défense de l'expression française, domaines que le Protocole de Londres ne remet pas en cause.

M. Jacques Valade, président, a exposé son expérience de chercheur, dont la réputation ne s'est pas faite au travers de ses travaux en français, mais en anglais dans des publications anglo-saxonnes. De la même façon, la participation à des congrès scientifiques internationaux suppose de s'exprimer dans cette langue véhiculaire qu'est l'anglais. Il a relevé que l'usage de cette langue s'avérait également nécessaire si l'on souhaitait attirer en France des chercheurs étrangers. Il a souligné que ceci ne signifiait de « mettre le drapeau dans sa poche » . Pour autant, sanctionner le texte par un avis négatif lui a semblé avoir une portée excessive, l'aménagement technique qu'il propose ne devant pas être confondu avec le combat pour la francophonie.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a répondu ensuite aux différentes interventions, qui portent sur trois domaines principaux :

- s'agissant de l'impact du Protocole sur les entreprises, il a estimé qu'il convenait d'être mesuré, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et le Cercle des Entreprises Offensives (CEO) s'étant prononcées en faveur de la ratification ;

- pour ce qui concerne plus généralement la recherche française, le rapporteur pour avis a partagé certains des propos des intervenants et il a insisté sur l'absolue nécessité d'encourager la localisation des centres de recherche en France, ceci d'autant plus que l'innovation est aussi à la source de l'enrichissement du français scientifique ; à cet égard, il a cité l'exemple du secteur nucléaire ;

- évoquant enfin le niveau linguistique, il s'est déclaré très sensible aux propos tenus mais il a insisté à ce qu'il soit bien tenu compte, d'une part, du rapport des forces en présence et, d'autre part, des risques encourus en cas de non ratification.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a fait valoir ainsi que la place prise par la langue anglaise dans le domaine de la recherche scientifique était un état de fait, qui s'impose à tous, même si on peut le regretter.

Quant à l'hypothèse d'une non ratification par la France du Protocole de Londres, il a estimé que les risques, à terme, du « tout anglais » n'étaient pas négligeables, compte tenu notamment des positions défendues par les Italiens et les Espagnols.

M. Jacques Legendre a estimé que si un avis négatif de la commission des affaires culturelles ne suffirait sans doute pas à aboutir à la non ratification du Protocole, à l'inverse un avis favorable ne serait pas conforme à sa vocation.

M. Jacques Valade, président, a considéré, quant à lui, que si la commission se préoccupait, de façon permanente, de défendre la langue et la culture françaises, il convenait cependant de ne pas se tromper de combat. Il a jugé qu'un avis défavorable ne serait donc pas compris, dans la mesure où il n'est pas question de « marchandisation » de notre langue, mais bien du rayonnement de la science française.

A l'issue de ce débat, la commission a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens.

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