2. Des conditions identiques pour exercer une veille technologique européenne

La renonciation à l'exigence d'une traduction en français des descriptions de brevets délivrés en anglais ou en allemand représente-t-elle une menace pour la veille technologique exercée par les entreprises françaises ? C'est une inquiétude souvent exprimée par les détracteurs de l'accord de Londres à laquelle votre rapporteur pour avis a prêté particulièrement attention, dans la mesure où elle met en jeu la compétitivité de nos entreprises.

Comme l'ont confirmé les organisations représentatives des entreprises qu'a entendues votre rapporteur pour avis, les entreprises mènent leur activité de veille technologique sur les inventions des concurrents au moment de la publication des demandes de brevet , soit 18 mois après leur premier dépôt national 37 ( * ) . S'agissant d'une demande de brevet européen, la publication est effectuée dans la langue de procédure, soit l'allemand, l'anglais ou le français (article 14-6 de la Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens) au Bulletin Européen des Brevets.

C'est dans les trois mois qui suivent cette publication que l'INPI publie également et met en ligne un abrégé de la demande de brevet 38 ( * ) . Ce service rendu par l'INPI aux entreprises, spécificité française d'ailleurs, permet d'avoir un aperçu, certes sommaire, des revendications et de la description associée. Cet abrégé sert exclusivement à des fins d'information technique, conformément à l'article 85 de la Convention de Munich. Selon les termes utilisés par l'Association française des spécialistes en propriété industrielle de l'industrie (ASPI) lors de son audition par votre rapporteur pour avis, l'abrégé de l'INPI permet au moins « d'allumer un clignotant ». Or, selon les informations fournies par la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) lors de son audition, 65 % de l'information technique n'est disponible que par les brevets, ce qui confirme l'importance des efforts déployés pour en faciliter l'accessibilité.

En effet, les entreprises ne peuvent attendre la délivrance du brevet pour effectuer leur activité de veille technologique : la disponibilité en français de la demande de brevet européen n'intervient qu'à la délivrance du brevet, soit souvent plus de cinq ans après son dépôt 39 ( * ) , ce qui est bien trop tardif pour les entreprises. Ceci explique sans doute que moins de 2 % des traductions de brevet européen en français soient consultées auprès de l'INPI .

La veille technologique intervient donc en amont de la délivrance, c'est-à-dire dans ce tronçon de la vie du brevet que n'affecte nullement le protocole de Londres. L'Accord de Londres maintient les procédures de publication de la demande dans un délai de 18 mois après le dépôt et de mise à disposition de l'abrégé de la demande de brevet par l'INPI. L'Accord de Londres, qui ne fait que dispenser le titulaire du brevet européen de la fourniture de la traduction intégrale en français, après la délivrance du brevet, est donc sans influence sur le traitement de l'information technique et juridique tel qu'il est actuellement réalisé par les utilisateurs français du système.

L'enjeu de la prise de connaissance des brevets se situe donc au moment de la publication de leur demande. Cette veille technologique permet aux entreprises de connaître les pistes de développement de leurs concurrents et de bénéficier des connaissances divulguées par la publication pour leur propre stratégie industrielle, mais aussi d'évaluer le périmètre de leur liberté d'exploitation au regard des interdictions d'exploitation susceptibles de découler des demandes de brevets déposées. Toute entreprise gagne à se prémunir ainsi contre les problèmes juridiques ultérieurs, comme les actions en contrefaçon, qui peuvent ruiner des années de recherche-développement. Le suivi des dépôts des concurrents peut la conduire ainsi, de manière offensive ou défensive selon les cas, à engager des négociations de licence ou au contraire à offrir elle-même une licence voire à s'opposer à la demande de brevet, pour éviter toute violation de droit.

A ce titre, l'argument selon lequel l'absence d'une traduction complète de l'ensemble du texte d'un brevet anglais ou allemand poserait aux entreprises françaises une réelle difficulté d'évaluation de la validité du brevet et de sa portée juridique exacte apparaît largement théorique. Votre rapporteur pour avis s'interroge en effet sur la valeur d'une traduction disponible plusieurs années après le moment où elle aurait pu être utile.

En outre, comme le soulignait le rapport Vianès, la langue ne peut être un prétexte au retard d'analyse d'une demande de brevet publiée en langue étrangère. Quelle entreprise innovante pourrait en effet se permettre d'hésiter entre une information disponible 18 mois après son élaboration (date de priorité) et la même information disponible 4 à 7 ans après son élaboration (décision de délivrance) , à l'heure où l'évolution technologique s'accélère ? C'est la raison pour laquelle, d'ores et déjà, la veille technologique est le plus souvent affaire de spécialistes, généralement multilingues, même si des prestataires commerciaux essayent de développer des services ouvrant l'information liée aux brevets à une population plus large.

De ce point de vue, l'accord de Londres ne modifie rien. On relèvera qu'il garantit à toute entreprise qui serait accusée d'avoir méconnu un brevet délivré en anglais ou en allemand de pouvoir exiger une traduction intégrale du brevet en français 40 ( * ) .

* 37 Lorsqu'une demande de brevet, nationale ou européenne, est déposée, elle est conservée secrète par l'office de propriété industrielle chargée de son examen. Elle ne fait l'objet d'une publication qu'au bout de 18 mois à compter de la date de premier dépôt.

* 38 45.000 abrégés en 2007, représentant un budget de 900.000 euros pour l'INPI.

* 39 Dans la pratique, la délivrance intervient 3 à 6 ans après le dépôt de la demande de brevet.

* 40 Article 2 du protocole prévoyant une traduction intégrale du fascicule de brevet aux frais du titulaire en cas de litige.

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