III. LES IMPLICATIONS BUDGÉTAIRES DU « GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT »

Véritables « états généraux de l'environnement » ayant réuni l'ensemble des acteurs engagés dans le développement durable et traité de toutes les thématiques s'y rapportant, le « Grenelle de l'environnement » ne pouvait qu'accorder une place importante à l'agriculture.

LE CALENDRIER DU « GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT »

-> Première phase : l'élaboration des propositions d'action

Ayant rassemblé plus de 300 personnes entre juillet et septembre 2007, cette première phase a été consacrée au dialogue et à l'élaboration de plusieurs centaines de propositions au sein de six groupes de travail où chaque « collège » disposait de huit représentants.

Ces six groupes de travail avaient respectivement pour mission de :

- lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande d'énergie ;

- préserver la biodiversité et les ressources naturelles ;

- instaurer un environnement respectueux de la santé ;

- adopter des modes de production et de consommation durables ;

- construire une démocratie écologique ;

- promouvoir des modes de développement écologiques favorables à l'emploi et à la compétitivité.

L'avant-dernier excepté, chacun d'entre eux comportait des thématiques intéressant, directement ou non, l'agriculture et la ruralité.

Deux ateliers inter-groupes furent en parallèle créés pour traiter de la question des OGM et des déchets.

-> 2ème phase : la consultation des publics

De fin septembre à mi-octobre 2007, chacun des publics concernés et, au-delà, l'ensemble de l'opinion publique, a été consulté sur les travaux amorcés. Pour le secteur primaire, cette phase de consultation a correspondu aux Assises de l'agriculture .

Lancées par le ministre de l'agriculture et de la pêche début septembre 2007, elles se sont déroulées aux échelons national et régionaux et se sont poursuivies jusqu'à la fin du mois d'août 2008. Ses travaux, qui ont rassemblé représentants professionnels, de la société civile et de l'ensemble des administrations concernées, ont également permis de définir les contours d'une politique agricole renouvelée dans la perspective de 2013.

-> Troisième phase : les décisions et orientations

Cette phase de négociations interministérielles , qui s'est déroulée les 24, 25 et 26 octobre 2007, a débouché sur la formalisation de grands axes d'action couvrant l'ensemble des domaines abordés dans le « Grenelle », dont l'agriculture.

Clôturée par un discours du Président de la République, elle s'est concrétisée par la mise au point de 273 engagements , d'un commun accord entre les parties prenantes.

-> Quatrième phase : les mesures opérationnelles

Durant cette phase, celle de la mise en oeuvre des engagements, 33 chantiers instruits chacun par un « comité opérationnel » piloté par un parlementaire ou une personnalité qualifiée ont eu pour mission de préparer l'application concrète des engagements. En raison du caractère technique des travaux, l'Etat et les entreprises y ont pris une part prépondérante.

Réunissant plus de 1.000 participants et ayant effectué plusieurs centaines de réunions, les chantiers ont rendu peu à peu leurs propositions en vue d'alimenter l'élaboration des projets législatifs 36 ( * ) .

Parallèlement, le comité de suivi des travaux du « Grenelle » a été réuni régulièrement par le ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, M. Jean-Louis Borloo. Ce comité devra procéder à une évaluation annuelle de l'état d'avancement des travaux et produire sur ce sujet un rapport soumis au Parlement.

-> Cinquième phase : les traductions législatives

Deux textes de nature législative, intéressant au premier chef l'agriculture, ont résulté des travaux du « Grenelle » :

- un projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du « Grenelle de l'environnement » (« Grenelle 1 ») qui, fixant en une cinquantaine d'articles les grandes orientations d'un développement durable et le cadre général de mesures restant ensuite à préciser, a été adopté le 21 octobre 2008 par l'Assemblée nationale à la quasi unanimité 37 ( * ) et devrait être examiné par notre assemblée courant janvier, sur le rapport de notre collègue Bruno Sido ;

- un projet de loi destiné à décliner les objectifs précédents (« Grenelle 2 »), que le Gouvernement entend le faire adopter définitivement par le Parlement d'ici le printemps 2009. Avant d'être transmise prochainement au Conseil d'Etat, une version quasi définitive de ce texte a été examinée le 6 novembre 2008 par les acteurs du Grenelle de l'environnement.

A. LE PLAN « ECOPHYTO 2018 »

De par son caractère novateur, le message fort qui le sous-tend et les objectifs fixés, il constitue « l'armature » principale des mesures touchant à l'agriculture issues du « Grenelle de l'environnement ».

1. Une démarche s'inscrivant dans un cadre plus large de réduction des risques liés aux pesticides

a) Des orientations communautaires contraignantes

Deux projets de réglementation communautaire 38 ( * ) -l'un de règlement, l'autre de directive cadre- ont posé un cadre général dans lequel la France a souhaité s'inscrire, en l'anticipant, à travers le Grenelle et ses conséquences.

-> La directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques régit l'autorisation, la mise sur le marché, l'utilisation et le contrôle à l'intérieur de l'Union européenne desdits produits. Son annexe 1 dresse la liste de ceux pouvant être commercialisés sur le territoire européen.

En 2002 , le Conseil et le Parlement européen ont demandé à la Commission de leur présenter un projet de réforme de la législation en ce domaine, qui harmonise, simplifie et accélère les procédures d'autorisation des produits tout en les sécurisant pour la protection des personnes et de l'environnement.

Après un long travail d'instruction, la Commission a présenté, en mai 2005 pour une première version, puis en juillet 2006 pour une seconde, un projet de règlement destiné à remplacer la directive précitée et à en abroger une autre 39 ( * ) . Ce texte, qui prévoit notamment des listes positives et négatives de substances dont l'autorisation relève de la compétence des Etats membres, a fait l'objet d'un accord politique lors du Conseil des ministres des 23 et 24 juin 2008. Il est actuellement examiné par le Parlement européen et devrait être définitivement adopté sous présidence française .

Il prévoit notamment de supprimer de très nombreuses molécules figurant jusqu'à présent à l'annexe 1 de la directive, et donc d'en interdire leur utilisation. C'est sur ces orientations qu'est assis le calendrier de retrait de produits phytosanitaires prévu par le plan Ecophyto 2018 .

->  Le projet de directive cadre sur l'utilisation durable des pesticides complète les dispositions de ce projet de règlement, en obligeant les Etats membres à se doter de plans nationaux de réduction de la dépendance à l'égard des produits phytopharmaceutiques. Il insiste par ailleurs sur la formation et la sensibilisation des distributeurs, des utilisateurs et du grand public, ainsi que sur la sécurisation et le contrôle des matériels.

Les lectures successives du Parlement et du Conseil ont modifié le texte dans un sens de plus grande sécurisation de l'utilisation des pesticides pour la santé publique et pour l'environnement. De par sa nature, la rédaction d'un compromis est cependant plus aisée qu'elle ne l'est pour un règlement d'application directe, et devrait d'ailleurs elle aussi être obtenue sous présidence française .

->  On précisera enfin que l'utilisation durable des pesticides est l' une des sept stratégies thématiques du sixième programme communautaire d'action pour l'environnement (2002-2012). Celle-ci vise « la réduction sensible des risques et de l'utilisation des pesticides dans une mesure compatible avec la protection nécessaire des cultures ».

Cette stratégie a été notamment déclinée au niveau français en 2006 à travers le plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides (PIRRP), ayant permis d'améliorer et de sécuriser les conditions de mise sur le marché et d'utilisation des pesticides.

b) Le plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides

Les ministères chargés de la consommation, de la santé, de l'agriculture et de l'écologie ont élaboré en 2006 le PIRRP, qui vise à réduire l'impact des produits phytosanitaires sur la santé, l'environnement et la biodiversité.

Ce plan, qui s'inscrit dans le cadre du plan national santé environnement de 2004, ainsi que dans le volet « agriculture » de la stratégie française pour la biodiversité de novembre 2005, prévoit la réduction de 50 % des quantités vendues de substances actives les plus dangereuses .

Les actions qui le composent sont organisées en cinq axes : agir sur les produits en améliorant leurs conditions de mise sur le marché , agir sur les pratiques et minimiser le recours aux pesticides , développer la formation des professionnels et renforcer l' information et la protection des utilisateurs , améliorer la connaissance et la transparence en matière d'impact sanitaire et environnemental et, enfin, évaluer les progrès accomplis .

c) La dynamique lancée par le « Grenelle de l'environnement »

Lors du Grenelle de l'environnement, la question de la durabilité de l'utilisation des produits phytosanitaires a été évoquée et a débouché sur l' engagement n° 129 , qui prévoit :

- d'une part, un objectif de réduction de moitié des usages des pesticides en accélérant la diffusion des méthodes alternatives et sous réserve de leur mise au point ;

- d'autre part, des mesures de retrait échelonné de la fin de l'année 2008 à la fin de l'année 2010 et de réduction d'usage , pour les préparations contenant les 53 molécules les plus dangereuses .

A l'issue de ces travaux, le Président de la République a confié au ministre de l'agriculture et de la pêche l'élaboration d'un plan de réduction de 50 % des usages des pesticides dans un délai de dix ans, si possible . Le ministre a alors mis en place un groupe d'experts rassemblant des représentants de l'ensemble des acteurs du dossier (utilisateurs, fabricants, élus, scientifiques, organisations non gouvernementales et administrations). Après six mois de travail, ce comité a remis au ministre ses conclusions, lesquelles ont été reprises pour constituer le plan Ecophyto 2018 .

Lors de son audition par votre commission, le président de ce comité de travail, M. Guy Paillotin , ancien directeur de l'INRA, a insisté sur l' aspect consensuel des conclusions du rapport, et a notamment souligné qu'elles dressaient des orientations qu'il s'agirait de respecter « en tendance » . Ainsi, il a convenu que certaines d'entre elles, relatives au calendrier d'application, demanderaient peut-être des délais supplémentaires .

2. Un plan ambitieux alliant objectifs de retrait et mesures d'accompagnement

Les propos préliminaires au plan Ecophyto 2018 en dessinent la philosophie générale. Soulignant que l'impact des produits phytosanitaires est aujourd'hui « au coeur des préoccupations sociétales », il assigne à notre pays comme objectif de « maintenir un niveau de production agricole élevé » mais également de « produire mieux, en respectant les équilibres écologiques (...), et en prenant en compte la demande des consommateurs pour des produits sains », ce qui nécessite de rendre les exploitations agricoles « moins dépendantes des pesticides ».

S'il ne remet donc pas en cause l'objectif alimentaire -qui reste prioritaire, comme l'a d'ailleurs rappelé à de nombreuses le ministre en charge de l'alimentation-, le plan Ecophyto 2018 tend à l'inscrire dans un cadre environnemental plus durable .

a) Des objectifs chiffrés de réduction de l'usage de pesticides

La principale mesure du plan Ecophyto 2018, ou du moins la plus médiatisée, consiste en la mise en oeuvre d'un ambitieux calendrier de retrait de produits phytosanitaires et de réduction de leur usage , comprenant :

- la suppression progressive d'ici fin 2008 des 53 molécules les plus dangereuses, dont 30 correspondent à plus de 1 500 préparations commerciales ;

- la réduction de 50 % de l'usage des pesticides dans la mesure du possible dans un délai inférieur à dix ans .

b) Des mesures d'accompagnement déclinées en huit axes

En complément du programme de retrait du marché des produits phytopharmaceutiques comprenant les substances actives les plus préoccupantes, le plan Ecophyto 2018 prévoit toute une série de mesures d'accompagnement regroupées en huit axes , reprenant pour beaucoup d'entre elles celles déjà présentes dans les normes et plan de maîtrise des produits déjà existants.

LES HUIT AXES DU PLAN ECOPHYTO 2018

-> Axe 1 : évaluer les progrès en matière de réduction des pesticides

Les indicateurs retenus s'appuieront notamment sur les données de traçabilité prévues par la loi sur l'eau (registres des ventes), ainsi que sur un indicateur (NODU) proportionnel au nombre de doses de substances actives phytosanitaires vendues.

->  Axe 2 : recenser et généraliser les systèmes agricoles et les moyens connus permettant de réduire l'utilisation des pesticides en mobilisant l'ensemble des partenaires de la recherche, du développement et du conseil

Il s'agit d'identifier les méthodes connues permettant de réduire l'utilisation des pesticides, de favoriser leur diffusion et d'accompagner leur adoption.

->  Axe 3 : innover dans la conception et la mise au point de systèmes de cultures économes en pesticides

Toutes les voies de recherche seront explorées dans les domaines de l'agronomie, des matériels et techniques d'application pour atteindre les objectifs du plan.

->  Axe 4 : former à la réduction et sécuriser l'utilisation des pesticides

Cet axe prévoit notamment le renforcement des exigences pour l'obtention de l'agrément à la distribution et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

->  Axe 5 : renforcer les réseaux de surveillance des bio-agresseurs et des effets indésirables de l'utilisation des pesticides

Grâce à un contrôle de second niveau, les services de l'Etat veilleront à garantir aux professionnels la disponibilité d'une information phytosanitaire fiable et un système de conseil leur permettant de diminuer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques tout en sécurisant la production.

-> Axe 6 : prendre en compte les spécificités des DOM

Les actions, préparées en concertation avec les acteurs des DOM, sont essentiellement orientées vers le développement des capacités d'expérimentation, de recherche et d'expertise de terrain.

->  Axe 7 : réduire et sécuriser l'usage des produits phytopharmaceutiques en zone non agricole

Les objectifs Ecophyto 2018 doivent être adaptés aux zones non agricoles. Trois enjeux peuvent être identifiés : l'utilisation par les jardiniers en amateur, qui suppose un encadrement de la distribution ; la garantie de qualification des services d'application internes aux structures (mairies, SNCF, bailleurs sociaux...) et non soumis à agrément ; des modalités de gestion des espaces publics permettant de réduire les utilisations de pesticides.

->  Axe 8 : organiser le suivi national du plan et sa déclinaison territoriale et communiquer sur la réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques

3. De nombreux questionnements en suspens

S'il est ressorti des auditions 40 ( * ) qu'a menées votre rapporteur pour avis, Daniel Soulage, un accord unanime pour approuver la pertinence d'une recherche de réduction progressive de l'usage des produits phytosanitaires , de nombreuses voix ont fait valoir que le calendrier et les modalités d'application de ce principe n'étaient pas viables en l'état .

a) Le risque d'une multiplication des « impasses techniques »

Les retraits successifs de substances actives ces dernières années ont fortement fragilisé les systèmes de production « classiques » et les mesures contenues dans le plan Ecophyto 2018 comme dans le projet de règlement européen précité risquent d'accentuer cette faiblesse.

Le risque existe surtout pour les cultures dites « mineures » , en ce qu'elles ne constituent qu'une partie limitée des volumes de production totaux . En effet, de par le faible enjeu économique qu'elles représentent sur le marché de la protection des plantes, ces productions « marginales » ne donnent parfois pas lieu à la mise au point de produits de traitement . En arboriculture fruitière, une étude récente 41 ( * ) a montré que 52 % des cultures mineures de fruits 42 ( * ) ont des usages vides ou précaires.

Les projections effectuées par rapport aux propositions de la Commission et du Parlement européens ont ainsi mis en évidence l'importance des conséquences d'un durcissement des conditions de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Elles aboutiraient en effet, en matière d' arboriculture fruitière , à un retrait de 20 à 43 % des substances actives autorisées suivant les propositions de la Commission, et de 69 à 87 % selon celles du Parlement. Quant à l'incidence sur les autres usages arboricoles , elle serait tout aussi alarmante : jusqu'à 45 % d'entre eux seraient vides en application du projet de la Commission, et jusqu'à 75 % en suivant celui du Parlement.

Devant la multiplication de ces « impasses techniques », effectives ou potentielles, a été mise en place une commission technique sur les usages orphelins , pilotée par la direction générale de l'alimentation (DGAL) du MAP. Associant services de l'Etat, Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), instituts techniques et organisations professionnelles, elle vise à rechercher des solutions alternatives et ainsi pallier l'impact des retraits de molécules.

b) Un degré accru de résistance aux maladies

La réduction du nombre de substances actives utilisables, outre qu'elle entraîne des « impasses techniques », a également pour effet plus indirect de provoquer une accoutumance des maladies , animales comme végétales, aux traitements , et donc de réduire leur efficacité . En effet, le fait de traiter une culture avec un ou deux seuls produits renforce la résistance des agents agresseurs . C'est notamment le cas pour certaines cultures majeures , pour lesquelles existent des substances de traitement, mais en nombre limité.

Ainsi, en arboriculture fruitière, 25 % des usages en pêchers et 29 % en pommiers ne possèdent qu'une seule substance active homologuée. Cette situation engendre une réelle fragilité face à l'attaque de maladies et de ravageurs rendus plus difficiles à maîtriser.

c) Une perte de compétitivité engendrant un accroissement potentiel des importations

La réduction de l'accessibilité aux produits phytosanitaires sur le territoire français risque d'avoir des conséquences mettant en jeu la compétitivité de nos entreprises et, partant, de nos produits agricoles .

En attendant une potentielle harmonisation des législations nationales aux termes des textes communautaires actuellement en examen, il est d'abord apparu que la réglementation française résultant du plan Ecophyto 2018 était plus restrictive que celle de nos partenaires européens , lesquels commercialisent des produits auxquels il est désormais impossible d'accéder en France. Or, cet état de fait engendre un contournement de la réglementation , certains producteurs n'hésitant pas à franchir nos frontières pour aller s'approvisionner dans des pays voisins. D'autre part et surtout, ces différences dans les facteurs de production disponibles provoquent des écarts en termes de charge d'exploitation préjudiciables à nos producteurs.

En outre, la réduction des quantités produites qu'engendre l'absence de produits de traitement dans certaines filières entraîne un accroissement des importations , en vue de satisfaire une demande croissante. Or, les pays d'où proviennent ces produits, a fortiori s'ils sont situés à l'extérieur du territoire communautaire, ne présentent pas tous, loin s'en faut, une réglementation environnementale, mais aussi sanitaire ou sociale, aussi exigeante que la nôtre. Le danger est dès lors que la mesure de réduction des produits phytosanitaires ne voie paradoxalement son double objectif de préservation de la santé publique et de l'environnement réduit de par les importations de productions moins rigoureuses qu'elle favoriserait.

De nombreuses filières sont d'ores et déjà touchées par cette concurrence inégale en provenance de pays tiers. Selon les services statistiques du MAP, le maraîchage, l'horticulture, l'arboriculture et les cultures fruitières ont vu certaines de leurs exploitations disparaître de ce fait en 2008. C'est du reste en vue de lutter contre ce risque que M. Michel Barnier a présenté, lors du Conseil des ministres de l'agriculture du 23 juin 2008, un mémorandum d'action européen sur la sécurité sanitaire des importations au sein de l'Union .

Orienté en trois axes -analyser les risques à l'importation, améliorer les contrôles et concevoir un nouveau cadre stratégique communautaire ; mettre fin aux distorsions de concurrence et mieux prendre en compte les normes sanitaires européennes-, il a reçu l'appui d'une majorité d'Etats membres et pourrait être finalisé sous présidence française.

d) Des coûts économiques et territoriaux substantiels

Le retrait en nombre de substances actives, et les impasses techniques qu'il provoquerait, auraient des conséquences en termes d'économie des filières comme d'aménagement des territoires.

D'un point de vue économique, les pertes engendrées pour certaines productions seraient notables . Ainsi, pour le pommier, première production fruitière française, l'éclaircissage 43 ( * ) ne pourrait plus être réalisé que manuellement, entraînant une augmentation de charges de 12 % et rendant l'exploitation non rentable. Pour le pêcher, deuxième production fruitière française, l'usage vide contre deux types de maladies -la moniliose et les maladies de conservation- engendrerait une perte de production de 60 %, pour une valeur de 212 M€.

Le contre-exemple du Danemark , souvent cité dans les auditions, illustre les risques économiques résultant d'un retrait d'autorisation des produits phytosanitaires trop brutal . Ce pays a en effet fait le choix de réduire le recours à ces produits dans des proportions comparables à celles prévues dans le plan Ecophyto 2018. Les « impasses techniques » qui sont apparues, notamment sur le blé panifiable, ont entraîné une quasi disparition de certaines productions, des pertes de chiffre d'affaires extrêmement importantes et une recrudescence des importations. De plus, l'absence de traitement disponible a favorisé le développement de mycotoxines ayant diminué la qualité des cultures nationales.

Au-delà de cet impact économique, les conséquences se feraient sentir en matière d' aménagement des paysages , s'agissant de productions le plus souvent extensives, implantées dans des territoires profondément ruraux. En ce qui concerne l'abricot, par exemple, serait condamnée la culture sur toute la vallée du Rhône, soit 50 % de la production française.

e) Des financements encore incertains

De par les dépenses de sensibilisation, de formation et de recherche qu'il requiert, le plan Ecophyto 2018 nécessite, pour sa mise en application, de faire appel à des financements importants . Ceux-ci ont pu être évalués à 206 M€ environ pour les trois premières années par le MAP, qui s'est engagé à des débloquer.

Or, les budgets aujourd'hui consacrés au financement du plan sont largement en retrait par rapport à ce chiffrage. L'essentiel de l'enveloppe disponible proviendra du relèvement des taux de la redevance pour pollution diffuse , prévu à l'article 54 du présent projet de loi de finances.

En outre, dans le cadre du programme n° 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation », seul un million d'euros est budgété pour assurer le maintien des productions dans les filières dont les usages et cultures sont dits « mineurs » ou « orphelins ». Cette enveloppe est ainsi ventilée :

- 500.000 euros pour la mise en oeuvre d'un programme d'expérimentation visant à acquérir des données biologiques et des données résidus ;

- 300.000 euros pour la participation au financement d'études ;

- 100.000 euros pour l'appui à l'évaluation par des instituts techniques ;

- 100.000 euros pour l'appui technique.

4. La nécessité d'une souplesse dans la mise en application du plan Ecophyto 2018

Les diverses auditions qu'a menées votre rapporteur pour avis sur le plan Ecophyto 2018 laissent à penser que si les orientations générales qu'il dresse ne peuvent être qu'accueillies favorablement , pour des raisons tant écologiques qu'économiques, une période transitoire devrait toutefois être aménagée. Elle permettrait aux agriculteurs de modifier leurs pratiques tout en continuant de disposer de certains produits aujourd'hui insubstituables, avant que des innovations portées par un substantiel effort de recherche ne permettent de remplacer ces derniers par des substances moins dangereuses pour l'utilisateur et plus respectueuses de l'environnement, ou par des méthodes innovantes de production.

a) Le plan Ecophyto 2018 doit être accueilli favorablement dans ses grandes orientations

Dans un contexte de forte prise de conscience par la profession agricole et l'opinion publique en général des enjeux que représente la réduction des produits phytosanitaires en termes de développement durable, de sécurité sanitaire et de santé publique, l'objectif général d'une diminution progressive de leur usage ne peut qu'être accueilli favorablement .

Ces produits, qui appartiennent à la catégorie des « biocides », sont en effet destinés, au sens étymologique comme d'un point de vue technique, à « tuer la vie » ; ils comportent par conséquent des substances actives dangereuses pour les organismes vivants, qu'ils soient humains, animaux ou végétaux. Dès lors, et même si leur impact réel sur l'environnement naturel et humain reste discuté scientifiquement, il va de soi, dans un souci de prévention des risques, que leur usage doit être raisonné et autant que possible réduit. Il est en effet nécessaire de diminuer leur présence dans les écosystèmes, où ils perdurent après traitement parfois pendant plusieurs années, de réduire l'exposition aux risques de leurs utilisateurs et de réduire la quantité de résidus dans les productions végétales commercialisées.

La diminution de leur usage doit également être encouragée pour des motifs économiques . Ces produits ont en effet un coût qui, indexé sur celui des matières pétrochimiques pour nombre d'entre eux, n'a cessé d'augmenter ces dernières années et représente aujourd'hui un poste de charge important dans le budget des exploitations agricoles. La hausse structurelle des cours du pétrole devrait donc inciter les producteurs primaires à réduire au strict nécessaire le recours à ces produits, et à leur préférer progressivement l'usage d'outils ou de méthodes alternatives.

Au-delà d'une simple problématique économique pour les exploitants, il s'agit en réalité d'un véritable enjeu stratégique pour l'agriculture française . Celle-ci, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, a en effet fait le choix, par économie et par praticité, de baser sa « révolution verte » sur un recours massif aux produits de la chimie des plantes. Notre agriculture s'est ainsi peu à peu mise en situation de dépendance vis-à-vis de ces produits . Or, leurs fabricants, français pour beaucoup d'entre eux il y a une cinquantaine d'années, sont désormais quasi exclusivement étrangers. Dès lors, notre secteur primaire se trouve aujourd'hui largement dépendant d' approvisionnements extérieurs en matières fertilisantes et de traitement, dont il ne maîtrise ni la régularité, ni la qualité, ni le coût .

b) Une première période transitoire devrait permettre aux agriculteurs d'adapter leurs pratiques en continuant de recourir aux substances insubstituables

Si l'objectif d'un retrait progressif d'un certain nombre de substances actives est partagé par tous, la radicalité du programme de retrait proposé par le texte issu du « Grenelle de l'environnement » -et plus encore les propositions normatives des institutions communautaires- rend celui-ci inapplicable et, à tout le moins, déstructurant pour notre secteur agricole. En effet, il n'existe pas de produits de substitution pour un certain nombre de ceux utilisés actuellement, particulièrement pour les productions dites « orphelines ». Et le temps requis pour la mise au point de nouvelles molécules par l'industrie rend le recours à celles-ci inenvisageable pour une décennie au moins .

Dès lors qu'il n'est pas matériellement possible de compter sur des produits alternatifs à court et moyen terme, deux pistes doivent être poursuivies.

Tout d'abord, il paraît indispensable de réviser la liste des produits dont le retrait a été programmé, ou de reporter les différentes échéances du calendrier d'interdiction, afin de continuer à autoriser le recours à ceux restant aujourd'hui insubstituables . L'octroi répété de dérogations ne constitue pas une méthode de gestion viable, tant pour les pouvoirs publics, continuellement sous pression, que pour les agriculteurs, dont les campagnes se trouvent soumises aux décisions de l'administration. Il serait de meilleure politique de maintenir, après concertation entre les différents acteurs, le droit d'usage de certaines substances indispensables, au besoin en renforçant le contrôle de leur utilisation.

Ensuite et dans l'immédiat, il faut responsabiliser davantage le monde agricole et l'encourager à modifier ses pratiques , en le convainquant qu'il en va de son intérêt propre. Son attention doit être attirée, en premier lieu, sur les risques que comporte pour les agriculteurs et leurs salariés la manipulation de produits hautement dangereux . Trop d'utilisateurs continuent en effet de travailler sans respecter les consignes élémentaires de sécurité (port d'une combinaison, de gants et de masque ; respect d'un délai après traitement pour le retour sur la parcelle...) pourtant clairement consignées sur les produits et matériels. La responsabilité des chefs d'exploitation agricole vis-à-vis de leurs salariés pourrait, à terme, être engagée si se développaient de façon chronique des maladies dont il serait établi qu'elles sont liées à une utilisation insuffisamment précautionneuse des produits phytosanitaires. La Mutualité sociale agricole (MSA) a ici un rôle d'alerte et de conseil primordial à jouer auprès des exploitants et de leurs salariés.

Reste que nombre d'agriculteurs ont fait, ces dernières années, de grands progrès dans l'approche environnementale de leur activité. Beaucoup d'entre eux, conscients de l'impact potentiel de leurs productions sur leur environnement naturel et humain, ont commencé depuis longtemps déjà à faire évoluer leurs pratiques dans le sens de la durabilité. Un certain nombre aurait même, d'ores et déjà, atteint l'objectif de réduction de 50 % par rapport à la moyenne nationale .

Les conclusions de l'expertise scientifique collective conduite par l'INRA et le Centre national du machinisme agricole et du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF) en 200

5 ont souligné qu' il existe dès à présent des marges de progrès pour certains systèmes de culture. Les méthodes de lutte intégrée (rotation des cultures, utilisation d'insectes prédateurs, piégeages...) doivent être à cet égard privilégiées.

LES QUATRE SYSTÈMES DE CULTURE ACTUELLEMENT EXISTANTS

-> Le système dit « intensif «

Fondé sur la recherche de forts rendements, il nécessite l'utilisation de variétés très productives et la mise en oeuvre d'une quantité élevée d'azote et de produits phytosanitaires. Les hauts niveaux de production qu'il engendre garantissent sa viabilité économique, mais son impact sur l'environnement n'est pas nul. Ce système est celui auquel les exploitants ont majoritairement recours aujourd'hui.

-> Le système dit « intégré »

Visant à maintenir une marge économique tout en diminuant les quantités d'intrants apportés aux cultures et en acceptant une baisse des rendements, il assure une réduction des risques d'impact environnemental.

-> Le système dit « biologique »

Satisfaisant au cahier des charges de l'agriculture biologique, qui interdit l'emploi d'intrants de synthèse tels que les engrais minéraux et les pesticides chimiques, il présente un « coût environnemental » extrêmement réduit mais donne lieu à des productions d'un moindre volume.

-> Le système dit « sous couvert végétal »

Le plus éco respectueux, il repose sur trois principes : la suppression du travail du sol (absence de labour), une couverture végétale permanente constituée de résidus végétaux et le semis direct des cultures à travers le couvert végétal.

Il reste donc aujourd'hui à identifier ces bonnes pratiques (choix de variétés plus robustes ou exigeant moins de traitements, optimisation des itinéraires culturaux...), les valider et les diffuser auprès du plus grand nombre, en incitant davantage qu'en contraignant . C'est l'objet de l' axe 2 du plan Ecophyto 2018, et votre rapporteur pour avis ne peut qu'encourager à sa mise en oeuvre rapide.

Mais cet effort d'information du monde agricole, pour être utile, doit être étendu à l'opinion publique en général . Celle-ci doit en effet se voir expliquer pour quelles raisons un produit français est souvent vendu plus cher qu'un produit d'importation : elle doit savoir que ce surcoût compense en réalité des garanties en termes sanitaires et environnementaux. Plusieurs études ont en effet montré que le consommateur était prêt à acquérir à un prix plus élevé -dans une certaine limite, naturellement- un produit donné dès lors qu'il se voyait assuré de favoriser, par son acte d'achat, le respect de l'environnement.

A cet égard, l' abrogation à compter du 1 er juillet 2009 des normes de commercialisation relatives à la taille et à la forme de vingt-six types de fruits et légumes, annoncée par la Commission européenne le 12 novembre, aura valeur de test . En effet, les productions agricoles non traitées échappant à tout calibrage normalisé, cet assouplissement permettra de constater dans quelle mesure les consommateurs sont prêts à acheter de tels produits, dont l'apparence diffère notablement de celles des productions l'agriculture conventionnelle qu'ils sont le plus habitués à acquérir.

Cet effort de sensibilisation des professionnels et du grand public doit s'accompagner impérativement d'un effort de formation . Ce n'est qu'en intégrant dans les référents professionnels des exploitants , au plus tôt, les bonnes pratiques en termes d'usage des produits que des résultats d'ampleur pourront être espérés. Le plan Ecophyto 2018 y consacre également un axe et des structures et programmes en ce sens existent déjà : les chambres d'agriculture, les centres techniques, les coopératives ou le fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant (VIVEA) y consacrent une partie de leurs moyens. Cependant, comme cela a été indiqué à votre rapporteur pour avis, seule une minorité des professionnels concernés profite de cette offre de formation -2.000 à 3.000 agriculteurs pour le fonds VIVEA-, à laquelle sont souvent préférées celles de nature plus technique visant à optimiser la production et les rendements.

La mesure retenue dans le plan Ecophyto 2018, consistant à exiger à terme de tout exploitant la détention d'un certificat de capacité obligatoire témoignant de ses connaissances en matière d'utilisation des produits de traitement, constitue l'une des pistes d'accompagnement les plus intéressantes, qu'il s'agira de mettre en oeuvre rapidement.

c) La recherche et l'innovation doivent être fortement encouragées pour réduire progressivement notre dépendance aux produits phytosanitaires

Cherchant à améliorer l'efficacité de ses produits et investissant dans les productions sur lesquelles elle peut espérer un amortissement de ses coûts de recherche et la réalisation d'un profit, l'industrie de la protection des plantes n'a pas « pris le virage » de l'innovation dans ce secteur. Jusqu'à présent, l'intérêt économique de développer des produits alternatifs à ceux existants était en effet faible, voire inexistant, a fortiori pour de petites productions. Le marché européen des produits phytosanitaires, aujourd'hui largement saturé, ne laisse par ailleurs guère espérer de profits à des entreprises davantage attirées par des marchés agricoles émergents, où le recours à ces traitements est encore limité.

La recherche publique , dont on aurait pu attendre qu'elle supplée aux carences de la recherche privée, ne s'est pas davantage investie sur ce créneau . Ni l'INRA, ni les instituts techniques agricoles, n'ont mené de programme d'ampleur pour trouver des produits ou traitements économes en substances actives.

Enfin, votre rapporteur pour avis s'interroge sur la possibilité de recourir à des innovations de nature juridique et financière pour sécuriser l'agriculteur vertueux ayant pris le risque de réduire ses traitements. Si le fait de traiter abondamment ses cultures joue pour certains exploitants un rôle in fine d'assurance revenu, ne serait-il pas envisageable de couvrir ceux faisant un choix inverse par un système assurantiel ? Les réflexions actuelles sur l'assurance-récolte, aux échelons communautaire et national, seraient toutes indiquées pour en discuter .

* 36 Même si de nombreuses propositions ne relèvent pas du domaine législatif.

* 37 526 votes pour et 4 contre.

* 38 Sans compter le règlement (CE) n°1907/2006 du 18/12/2006, dit « règlement Reach », visant à évaluer la sécurité d'environ 30.000 substances mises sur le marché avant 1981, année depuis laquelle des demandes formelles d'autorisation sont exigées.

* 39 Directive 79/117/CEE concernant l'interdiction de mise sur le marché et d'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant certaines substances actives.

* 40 Voir en annexe la liste des personnes auditionnées.

* 41 Analyse conjointe DGAL du MAP - Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes (CTIFL) - Juin 2008.

* 42 Abricot, prunes, cerises, châtaignes, noisettes, noix, framboises, cassis.

* 43 Visant à contrôler la charge des arbres fruitiers, il est réalisé au moyen de substances actives, et de façon manuelle en complément.

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