III. PRENDRE EN COMPTE LES BESOINS EN MATIÈRE DE SANTÉ MENTALE

La loi HPST a permis la réorganisation du système de soins, mais elle n'avait vocation à devenir ni une loi de santé publique, ni une loi de santé mentale. La dernière loi de santé publique est récente : votée en 2004, elle a de surcroît fixé à 2010 sa révision. En revanche, la santé mentale repose sur une législation ancienne et aucune échéance n'est fixée, à ce jour, pour la discussion par le Parlement d'un nouveau texte. Cette situation est regrettable, ainsi que votre rapporteur a déjà eu l'occasion de le déclarer 9 ( * ) . L'abandon, voire l'ostracisme, dont souffrent soignants et malades en psychiatrie persiste, et ce alors même que les connaissances et les pratiques thérapeutiques progressent de manière visible. Le rapport remis à la secrétaire d'Etat en charge de la prospective 10 ( * ) souligne aussi la part essentielle de la santé mentale en termes de qualité de vie. Comment faire l'économie d'un tel sujet, qui demeure pourtant essentiellement abordé en droit français sous l'angle pénal ?

A. LES LIMITES D'UNE APPROCHE CENTRÉE SUR LA PÉNALISATION

Le discours prononcé par Président de la République le 2 décembre 2008, à Antony, sur l'hospitalisation en milieu psychiatrique a suscité l'inquiétude, voire l'hostilité, de certains professionnels du secteur psychiatrique et d'associations de malades, qui ont dénoncé ce qui leur est apparu comme une focalisation sur les cas relativement peu nombreux des malades dangereux.

Il convient notamment de préciser que les criminels sexuels ne souffrent généralement pas de troubles psychiatriques diagnosticables et ne relèvent donc pas obligatoirement d'une prise en charge de type psychiatrique. La psychopathie dont ils sont atteints est un trouble grave de la personnalité, caractérisé par un déficit d'empathie, et donc une absence de sensibilité aux conséquences de leurs actes, qui favorise l'impulsivité. L'aliénation mentale qui, elle, relève de la psychiatrie, n'est nullement associée à un déficit du lien aux autres, mais se caractérise par la perte plus ou moins prononcée du sentiment de la réalité.

Or, du point de vue thérapeutique, on peut considérer qu'il n'existe que des formes très imparfaites de traitement de la psychopathie : les traitements chimiques s'avèrent faibles dans leurs effets et susceptibles de contournement de la part du malade ; les traitements de type chirurgicaux ou électroconvulsifs posent, sans pour autant garantir de meilleurs résultats, des problèmes éthiques insurmontables.

Il en découle que certains malades, qui relèvent d'un traitement psychiatrique, doivent pouvoir bénéficier de celui qui sera adapté à leur éventuelle dangerosité, tout en étant le moins éloigné possible des soins prodigués au reste des malades. A l'inverse, pour les psychopathes avérés, la prise en charge ne peut s'effectuer qu'en milieu carcéral, quelles que soient les difficultés que cet environnement ajoute à la conduite d'une thérapeutique. Cette distinction doit être gardée à l'esprit quand on appréhende l'adéquation des structures de soins aux besoins de la santé mentale des Français au travers du prisme des malades dangereux.

C'est dans ce contexte que la mise en place des unités d'hospitalisation spécialement aménagées paraît porteuse d'ambiguïtés et qu'une place trop importante semble accordée aux soins sans consentement.

1. L'ambiguïté liée à la création des unités d'hospitalisation spécialement aménagées

Il convient tout d'abord de replacer les unités d'hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) dans le contexte plus large du dispositif de prise en charge psychiatrique dont la mission, telle que définie par le code de la santé publique 11 ( * ) , est la lutte contre les maladies mentales dans ses dimensions de prévention, diagnostic, soins, réadaptation et réinsertion sociale. Cette prise en charge s'effectue depuis 1960 dans le cadre du secteur psychiatrique qui établit une continuité des soins entre l'hôpital et l'ambulatoire. L'article R. 3221-1 du code de la santé publique précise qu'il existe trois types de secteurs psychiatriques :

- le premier est constitué des secteurs de psychiatrie générale, répondant aux besoins de santé mentale d'une population âgée de plus de seize ans et comportant des unités pour malades difficiles (UMD) actuellement au nombre de cinq 12 ( * ) ;

- le deuxième se compose des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile répondant aux besoins de santé mentale des enfants et adolescents de moins de seize ans ;

- le troisième, enfin, regroupe les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, répondant aux besoins de santé mentale de la population incarcérée. Les soins sont assurés par l'un des vingt-six services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ou, si l'établissement pénitentiaire ne comporte pas de SMPR, par un psychiatre affecté au sein de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) que comporte chaque établissement depuis la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale 13 ( * ) . C'est ce troisième type de secteur qu'il est prévu de compléter par la création des UHSA.

Celle-ci a été prévue par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 14 ( * ) . Les UHSA sont destinées à prendre en charge l'ensemble des hospitalisations pour troubles mentaux des personnes détenues, avec ou sans consentement. Elles se présentent matériellement sous la forme d'un bâtiment dédié au sein de l'enceinte hospitalière, répondant à des normes de sécurité intérieure renforcées et dans une enceinte surveillée par l'administration pénitentiaire. Il s'agit, par le biais de ces structures hospitalières répondant aux exigences de l'administration pénitentiaire en matière de sécurité, de remédier aux difficultés majeures rencontrées aujourd'hui lors des hospitalisations des personnes détenues.

En effet, contrairement aux personnes détenues hospitalisées pour des soins somatiques, aucun dispositif de garde par la police ou les équipes pénitentiaires n'est prévu. Dans ces conditions, seules sont rendues possibles des hospitalisations sous la forme sans consentement même lorsque le patient relève d'une hospitalisation libre. Il en résulte des conditions de traitement trop souvent inadaptées en UMD ou en chambre d'isolement pour des raisons de sécurité et non de soins. Cette situation aboutit paradoxalement à ce que des malades demandent à retourner en prison, où les conditions de prise en charge s'avèrent moins dures.

Les UHSA permettront une hospitalisation dans des conditions adéquates, limitant le placement en UMD ou en chambre d'isolement aux malades effectivement dangereux. L'étendue des soins psychiatriques proposés aux détenus serait ainsi complète et conforme à celle offerte à la population générale, conformément aux dispositions de la loi du 18 janvier 1994. Les soins ponctuels seraient ainsi assurés par les UCSA, les soins ambulatoires, qui représentent 80 % des prises en charge en population générale, par les SMPR et les hospitalisations par les UHSA. La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins estime que la durée moyenne d'hospitalisation en UHSA ne devrait pas excéder celle en population générale, soit trente jours.

Le programme de construction des UHSA comporte la création de dix-sept unités pour une capacité totale de 705 lits. Seule une première tranche de travaux a toutefois été autorisée, ce qui permettra néanmoins la création des neuf unités les plus importantes avec une capacité de 440 lits entre 2010 et 2014 15 ( * ) . La première UHSA devrait ouvrir à Lyon en février 2010, suivie par les établissements de Nancy et Toulouse début 2011.

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de l'engagement des ministères en charge de la santé et de la justice pour la santé mentale des détenus. Il s'inquiète cependant des remontées du terrain qui font état de divergences accrues entre l'administration pénitentiaire et les équipes soignantes sur le fonctionnement des UHSA 16 ( * ) . Une mise au point paraît nécessaire. Il semble par ailleurs que certaines pathologies particulièrement lourdes demanderont des durées d'hospitalisation longues. Il est important de savoir si elles seront réellement accomplies au sein des UHSA ou si ces cas resteront à la charge des SMPR pour être traités de manière « ambulatoire ». Il ne serait alors pas remédié à l'engorgement de ces structures. Plus largement, l'incarcération des personnes atteintes de troubles mentaux pose de nombreuses questions sur lesquelles se penche actuellement un groupe de travail sénatorial commun aux commissions des lois et des affaires sociales.

2. Une place trop importante accordée aux soins sans consentement

La prise en compte des malades atteints de troubles mentaux dangereux est nécessaire à la protection de la société. Elle ne doit pas, néanmoins, focaliser l'attention des pouvoirs publics. En effet, seules 13 % des hospitalisations sont effectuées sans consentement. Les personnes atteintes de troubles mentaux ont statistiquement plus de chances d'être victimes de violence que d'en être auteur.

Le mandat confié par le Président de la République aux ministres en charge de la santé et de la justice de réformer les conditions d'obligation de soins sans consentement répond à un problème réel. Il est ainsi paradoxal que le seul endroit où l'obligation de soins ne puisse être mise en oeuvre soit la prison.

Il faut cependant éviter que le problème de la santé mentale ne soit abordé par le législateur que sous l'angle de la contrainte et de la dangerosité, et non sous l'angle de la prise en charge sanitaire. Le message adressé aux malades, à leurs familles et aux soignants paraît tout à la fois limité et stigmatisant. On peut même penser que les mesures concernant les malades dangereux, que ne rejettent a priori ni les médecins, ni les associations de malades, seraient bien plus facilement acceptées si elles étaient accompagnées de mesures donnant les moyens d'une réelle prise en charge de l'ensemble des malades.

* 9 La psychiatrie en France : de la stigmatisation à la médecine de pointe, rapport d'Alain Milon, au nom de l'office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, n° 328, 2009.

* 10 La santé mentale, l'affaire de tous - Pour une approche cohérente de la qualité de la vie, Centre d'analyses stratégiques, novembre 2009.

* 11 Article L. 3221-1.

* 12 UMD de Cadillac, Montfavet, Plouguernevel et Sarreguemines et centre hospitalier spécialisé Paul Giraud à Villejuif, auxquels s'ajoutent trois projets à Albi, Chalons-sur-Marne et Lyon.

* 13 Loi n° 94-43.

* 14 Loi n° 2002-1138.

* 15 Lille : 60 lits ; Nancy : 40 lits ; Lyon : 60 lits ; Marseille : 60 lits ; Toulouse : 40 lits ; Bordeaux : 40 lits ; rennes : 40 lits ; Paris : 60 lits ; Orléans : 40 lits.

* 16 Interview du docteur Pierre Lamothe, chef du SMPR et en charge de la première UHSA, construite au centre hospitalier le Vinatier, à paraître dans « Hôpital partenaire », décembre 2009.

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