B. UNE SITUATION QUI DEMEURE INQUIETANTE

Une action coordonnée et efficace de lutte contre les drogues est d'autant plus nécessaire que la situation de la France demeure inquiétante, tant du fait du contexte européen dans lequel elle s'insère que des risques émergents.

1. Le France se situe dans la moyenne des évolutions européennes

La France se trouve, avec de nombreux autres pays européens, dans une situation paradoxale. Comme en Espagne, en Angleterre et en Italie, qui sont les seuls pays européens ayant un taux de consommation de cannabis plus élevé que le notre, on assiste en France à une baisse du nombre d'utilisateurs. En 2007, 48 % des jeunes de dix-sept ans déclaraient avoir expérimenté le cannabis contre 42 % en 2009, ce taux étant inférieur à celui de 2000. La politique de coopération internationale de lutte contre le trafic de drogue a sur ce point porté ses fruits, puisque les actions menées en commun avec le Maroc ont permis une hausse importante des saisies dans ce pays, ce qui a limité l'arrivée de cannabis. Si la France est passée de la catégorie des pays à forte consommation à celle des pays à consommation moyenne, force est cependant de constater que son taux reste élevé dans l'absolu, ce qui ne témoigne pas d'un véritable retournement de tendance.

Cette baisse a en outre pour pendant une augmentation inquiétante de la consommation de stimulants, dont la cocaïne, et un retour de la consommation d'héroïne.

Le taux d'expérimentation de cocaïne a ainsi été multiplié par plus de trois en moins de dix ans : 0,9 % des jeunes de dix-sept ans étaient expérimentateurs de cocaïne en 2000, ils sont 3,3 % en 2008. Cette consommation commence par une initiation généralement autour de l'âge de seize ou dix-sept ans, mais concerne principalement les vingt à trente ans, toutes classes confondues, avec une tendance supérieure à la moyenne chez les chômeurs.

Comme toutes les consommations de drogue, celle-ci a des causes multifactorielles. On peut cependant noter qu'il comporte un aspect culturel qui peut s'apparenter à un effet de mode. Les enquêtes conduites par l'OFDT indiquent que la cocaïne jouit depuis quelques années d'une image positive de produit non dangereux et « gérable », susceptible d'apporter une stimulation jugée parfois utile et agréable. Cette évolution des perceptions est particulièrement frappante si l'on en juge par l'augmentation du nombre des fumeurs de cocaïne, ce qui n'est rien d'autre, en réalité, que de consommer du crack. Mais alors que le crack est associé à la marginalité et à la désinsertion, la même pratique, sous un nom différent, bénéficie d'une image positive et se répand.

Le risque lié à la cocaïne est sans doute appelé à s'aggraver. En effet, la cocaïne fumée, agissant directement sur le cerveau, est plus addictive, ce qui accentuera les problèmes individuels et sociaux. Le risque d'accident de la route responsable après avoir consommé de la cocaïne est supérieur à celui lié à la consommation de cannabis, qui est lui-même 1,8 fois supérieur à la normale. De plus, la France est entourée de pays - Espagne, Royaume-Uni et Italie - où la consommation de cocaïne est cinq fois supérieure. Une tendance à la contamination des pratiques françaises par les pratiques voisines, déjà observable dans les zones frontalières, pourrait donc considérablement accentuer, dans les prochaines années, le problème de la consommation de cocaïne en France.

La consommation d' héroïne augmente elle aussi. Elle se trouve associée à la hausse de la consommation de cocaïne car elle est utilisée parallèlement à l'usage de stimulants dans les milieux festifs où la cocaïne a tendance à remplacer l'ecstasy, décrédibilisée par des imitations de mauvaise qualité. On assiste donc à un retour des pratiques d'injection qui posent un véritable problème de santé publique en raison de la diffusion des hépatites C et sans doute également, bien que dans une moindre mesure, du Sida. Le nombre d'overdoses s'accroît lui aussi depuis 2004, alors qu'il avait baissé pendant les dix années précédentes. Cette augmentation particulièrement inquiétante résulte notamment d'un usage de la drogue par une nouvelle génération, qui n'a pas connu les dangers des excès des années quatre-vingt mais aussi, semble-t-il, par des pratiques délibérées de prise de risque.

On ne peut donc que constater la persistance du risque lié aux drogues connues, accentuée par l'émergence de nouveaux risques.

2. Des risques émergents

Le premier risque n'est pas nouveau en lui-même, mais n'a été que récemment appréhendé dans toutes ses dimensions. Il s'agit de la polyconsommation de drogues, sur laquelle l'observatoire européen des drogues et toxicomanie (OEDT) a adressé une « question particulière » aux Etats européens en annexe à son rapport annuel 2009 sur l'état du phénomène de la drogue en Europe. La synthèse présentée par l'observatoire européen établit que la polyconsommation est intrinsèquement liée à la toxicomanie puisqu'elle a pour but soit de « maximiser l'expérience psychoactive » , soit, au contraire, « de contrebalancer les effets négatifs d'une drogue » . Dans les vingt-deux pays européens ayant participé à l'étude, parmi lesquels figure la France, 20 % des élèves âgés de quinze à seize ans ont à la fois consommé de l'alcool et fumé des cigarettes au cours du mois précédent. En outre 6 % d'entre eux consomment du cannabis en plus de l'alcool et/ou des cigarettes et 1 % utilisent cette association de substances et une drogue illicite supplémentaire (ecstasy, cocaïne, amphétamine, LSD ou héroïne) 7 ( * ) . Les usagers de cannabis sont également beaucoup plus susceptibles de consommer d'autres drogues illicites que le reste de la population scolaire du même âge.

On note que plus de la moitié des personnes ayant commencé un traitement déclarent avoir un problème avec au moins deux drogues. On distingue trois types de polyconsommateurs : les usagers d'héroïne et de cocaïne, les usagers de cocaïne et de cannabis ou d'alcool et les usagers de cannabis et d'alcool.

L'étude relève enfin que la polyconsommation entraîne un risque accru d'overdose en raison de la difficulté à gérer les effets combinés de différents produits.

En raison de son importance dans le phénomène addictif, la polyconsommation appelle donc une approche en elle-même, au delà de l'approche ciblée sur chacun des produits consommés.

De nouveaux produits apparaissent également sur le marché des produits stupéfiants. On note ainsi une tendance à la consommation de drogues « bio » traditionnelles ou à base de plantes, principalement diffusées au travers de l'Internet. Le contenu extrêmement variable de ces produits ne réduit pas leur danger. Le détournement des médicaments ou produits chimiques appelle aussi une vigilance constante, par exemple le gamma-butyrolactone (GBL), solvant d'usage courant qui se retrouve dans plusieurs produits de grande distribution 8 ( * ) . Il faut certes distinguer parmi les pratiques nouvelles ce qui n'est qu'un épiphénomène de ce qui est une tendance justifiant une intervention de l'Etat, mais des mesures d'évaluation rapide et des recommandations doivent pouvoir être obtenues au travers de l'agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (Afssaps) et des agences sanitaires.

* 7 Résumé - Question particulière « la polyconsommation : modèles et réponses », observatoire européen des drogues et toxicomanies, 2009.

* 8 Question d'actualité au gouvernement n° 0387G de Marie-Thérèse Hermange, publiée au JO Sénat du 23/10/2009.

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