TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 10 février 2010 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' examen du rapport pour avis de Nicolas About sur le projet de loi n° 111 (2009-2010) tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédures pénales dans le texte n° 258 (2009-2010), adopté par la commission des lois le 3 février 2010.

Nicolas About, rapporteur pour avis, a d'abord indiqué que la volonté de protéger la société contre ceux que l'on considère comme fous et dangereux est ancienne ; elle remonte à la loi des 16 et 24 août 1790 qui a instauré un pouvoir de police en la matière. La possibilité d'interner une personne sans son consentement, c'est-à-dire l'hospitalisation d'office, définie dans le code de la santé publique, découle de ce pouvoir de police dans lequel le juge n'intervient pas.

En regard de cette possibilité de contrainte par corps destinée à empêcher les troubles à l'ordre public, la faculté de proposer des soins comme alternative ou complément à la peine de prison a été reconnue au juge, en 1954 pour les alcooliques, en 1958 pour tous les malades.

Quatre textes ont complété ces deux dispositifs au cours des dix dernières années : la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs ; la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, qui a permis au juge d'ordonner une hospitalisation d'office dans les cas où l'irresponsabilité pénale de l'auteur fait qu'il ne sera pas condamné ; la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et, enfin, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Ces textes ont cherché, à la suite d'une meilleure prise de conscience de l'ampleur des violences faites aux femmes et aux enfants, à mieux répondre aux problèmes des infractions sexuelles et de la récidive. La rupture du silence des victimes a, en grande partie, permis cette évolution qui semble encore inachevée puisque des études sociologiques menées entre 2000 et 2006 ont révélé un doublement du nombre de personnes ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, alors que le nombre de plaintes est resté stable sur la même période.

La loi du 17 juin 1998, unanimement saluée par les soignants, a créé le suivi socio-judiciaire et la possibilité d'injonction de soins pour les délinquants sexuels, que le juge peut adjoindre à la condamnation si l'expertise psychiatrique antérieure au procès a établi que l'accusé, dont le discernement n'était pas aboli au moment des faits, aurait intérêt à en bénéficier. A l'issue de la peine, le condamné devra donc accepter des soins ou, à défaut, retourner en prison.

Ce dispositif permet de préserver le principe du consentement aux soins tout en imposant une contrainte suffisamment forte - le retour en prison - pour surmonter le refus de soins qui est l'une des principales difficultés rencontrées par les médecins : le consentement est en effet une nécessité médicale, particulièrement pour le traitement des maladies mentales car on ne peut obtenir de résultats durables sans adhésion au traitement.

L'injonction aux soins est considérée, par les médecins qui sont prêts à s'occuper des délinquants sexuels, comme le moyen de commencer le traitement : la justice aide donc à la mise en oeuvre d'une thérapeutique. Chacun est dans son rôle : le juge d'application des peines s'assure qu'il y a bien respect de l'injonction ; le médecin traitant prescrit la thérapeutique qui lui semble appropriée. Pour qu'il y ait une séparation nette entre pouvoir judiciaire et médecine, un médiateur a été créé en la personne du médecin coordonnateur, qui est l'interlocuteur du juge et rencontre à intervalles réguliers le patient pour s'assurer du suivi thérapeutique. Mais il n'interfère pas avec les prescriptions du médecin traitant. Le seul pouvoir dont il dispose est de refuser que le condamné n'ait recours qu'à un psychologue traitant. Il peut imposer que l'injonction de soins soit confiée à un médecin, ce qui paraît adapté aux enjeux.

Or, cette séparation claire entre justice et soins est aujourd'hui remise en cause. On demande en effet à la médecine d'assurer une mission qui n'est pas la sienne, la défense sociale, c'est-à-dire empêcher les personnes criminellement dangereuses de nuire. A cet égard, il ne faut pas confondre dangerosité criminelle et dangerosité psychiatrique, ce qui est pourtant fréquent. Un psychiatre peut déterminer le risque d'auto et même d'hétéro-agressivité d'un malade mais il n'y a pas de corrélation directe avec le risque de commettre un crime ou un délit. La criminologie est une science en devenir qui a, elle-même, beaucoup de mal à évaluer la dangerosité d'un condamné et donc le risque de récidive. On s'accorde d'ailleurs encore à reconnaître que le meilleur outil en la matière est un instrument presque totalement empirique, le tableau actuariel, c'est-à-dire une sorte de barème qui, en confrontant différents critères liés au condamné et aux faits qui lui sont imputés, propose une estimation de son risque de récidive.

Il n'appartient pas à la médecine de compenser les incertitudes de la criminologie. Ainsi, en instaurant la rétention de sûreté, la loi de février 2008 a prévu la possibilité d'interner les personnes dangereuses dans des établissements de soins. Or, c'est là créer un risque d'amalgame grave : toute personne dangereuse n'est pas soignable en l'état de la médecine ; la dangerosité n'est pas une pathologie et on ne peut, par exemple, soigner un psychopathe.

En suggérant que le juge pourrait prescrire, voire imposer un traitement précis, le projet de loi renforce la confusion entre justice et soin. Ce traitement, appelé « castration chimique » par les urologues, est en fait un inhibiteur de la testostérone et donc, dans une certaine mesure, de la libido. Le terme de « castration », pour symbolique qu'il soit, est ainsi impropre, d'autant plus que les effets du traitement sont parfaitement réversibles ; il serait plus approprié de parler de traitement « antihormonal ».

Par ailleurs, outre cette obligation de prescription, le texte impose de demander aux experts d'apprécier l'utilité du traitement et prévoit que son interruption entraînera un retour en prison ou en rétention de sûreté. Ce serait là un cas unique où l'on attacherait à une forme de thérapie des conséquences judiciaires graves.

Certes, le traitement antihormonal dispose d'un statut légal particulier : il est le seul médicament mentionné explicitement dans le code de la santé publique, à l'article L. 3711-3, à la suite du vote de la loi de 2005 sur la récidive. Cette particularité s'explique par le fait que les effets des traitements antihormonaux, utilisés pour soigner le cancer de la prostate, n'avaient alors pas d'indication en matière de pathologie mentale, pour le soin des délinquants sexuels ; il fallait donc donner une base légale à leur utilisation pour régler les questions d'assurance des médecins et de prise en charge du traitement par la sécurité sociale.

Cette exception ne se justifie plus aujourd'hui puisqu'il existe trois médicaments susceptibles d'être prescrits par tout médecin pour traiter la « déviance sexuelle » et pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Le traitement a fait ses preuves et, comme tout médicament, il comporte ses indications, d'ailleurs encore discutées, et ses contre-indications. Il ne s'agit en aucun cas d'un traitement « miracle » car il ne peut soigner que 5 % à 10 % des délinquants sexuels ; en favorisant l'andropause, il a par ailleurs des effets secondaires importants. Dans le cadre d'une thérapeutique normale, un médecin peut donc commencer un tel traitement puis décider de le modifier, de l'interrompre ou même de l'abandonner tout en continuant d'autres soins. Dans ce dernier cas, faut-il que le malade retourne en prison ?

En outre, il ne s'agit pas d'un traitement pour condamnés dangereux. Les médecins, qui le prescrivent à l'hôpital, ont dans leur clientèle de nombreuses personnes qui souffrent de pulsions envahissantes mais qui luttent pour ne pas passer à l'acte et ne l'ont jamais fait. Le traitement antihormonal les y aide. Mais faire d'un type de traitement une panacée, voire une obligation légale, c'est laisser entendre à l'opinion publique et aux familles que la médecine a les moyens d'empêcher les délinquants sexuels de récidiver. Cela est faux et dangereux car tout échec sera désormais considéré comme un échec de la médecine qui tente de soigner mais ne peut, ni n'est faite, pour « neutraliser » des individus.

La commission des lois, saisie au fond du projet de loi, a clarifié le texte afin de réduire la confusion entre le rôle du juge et celui du médecin et pour préserver le secret médical. Nicolas About, rapporteur pour avis, a cependant estimé nécessaire d'aller plus loin en modifiant les deux articles dont la commission des affaires sociales s'est saisie pour avis, notamment en supprimant toute référence au traitement antihormonal. C'est en effet à cette condition que justice et santé pourront continuer à oeuvrer ensemble et sans ambiguïté pour le soin et la protection des personnes.

Jacky Le Menn a insisté sur la nécessaire distinction entre le rôle de la justice et celui des prescripteurs de soins, afin d'éviter toute confusion. Il en va de la crédibilité à la fois de la justice et de la santé.

Marie-Thérèse Hermange a souhaité savoir si la proposition du rapporteur a pour conséquence de rendre le traitement facultatif.

Nicolas About, rapporteur pour avis, a rappelé la procédure actuellement applicable : le juge demande aux experts s'ils estiment nécessaire que le criminel suive un traitement ; si tel est le cas, le juge prononce une injonction de soins qui rend donc obligatoire son suivi. Le médecin traitant prescrit les soins nécessaires, en lien avec le médecin coordonnateur, et la non-observance du traitement peut entraîner un retour en prison. Le projet de loi laisse entendre que, dans le jugement même, pourrait être prescrit un traitement antihormonal. L'amendement qu'il propose ne vise aucunement à rendre facultative l'injonction de soins mais permet seulement de laisser le choix du traitement le mieux approprié au médecin et non au juge qui, de surcroit, n'est pas en mesure de prescrire un traitement antihormonal précis.

Marie-Thérèse Hermange a indiqué avoir souhaité créer, au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), une structure destinée à prendre en charge ce type de patients en leur proposant une palette de soins la plus large possible ; un tel service pourrait constituer une solution alternative et, pourquoi pas, figurer dans le projet de loi.

Colette Giudicelli a regretté qu'il y ait trop de malades psychiatriques en prison, que plus personne ne sait comment gérer. S'il est exact qu'il n'est pas dans les fonctions du juge de prescrire un traitement médical, il n'en demeure pas moins que les médecins qui décident d'interrompre un traitement antihormonal ont une responsabilité envers la société. Deux exemples récents d'actes criminels fortement médiatisés, le viol d'un enfant et un meurtre, mettent en jeu la responsabilité des médecins psychiatres qui ont accordé à leurs auteurs des permissions de sortie sans encadrement.

Marc Laménie a considéré que la question soulevée par la récidive est importante mais difficile à régler ; on doit déplorer que trop de personnes, au sortir de la prison, commettent à nouveau un crime. Le sujet est celui des limites à poser entre, d'une part, la justice qui effectue un travail d'analyse avec l'aide d'experts et rend des jugements, d'autre part, le monde médical et de la santé, notamment à travers les médecins psychiatres.

Dominique Leclerc a demandé des précisions sur la suppression, proposée par le rapporteur, de l'inscription du traitement antihormonal dans le code de la santé publique.

Gilbert Barbier a fait valoir que la terminologie « défense sociale » a une signification particulière en Belgique où elle vise un mode particulier d'internement psychiatrique que le groupe de travail commun sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux, constitué entre les commissions des lois et des affaires sociales, est allé récemment étudier à Tournai. Il a ensuite fait observer qu'un traitement « antihormonal » est lui-même un traitement « hormonal ». Puis il a rappelé que les traitements visés par le projet de loi n'ont pas toujours les effets attendus sur la libido ; ils ont en outre des effets secondaires non négligeables et doivent être maniés avec précaution. Il faut également savoir que seuls 5 % à 10 % des délinquants sexuels récidivent.

Raymonde Le Texier a relevé le caractère dangereux de l'expression « castration chimique » car elle accrédite à tort l'idée que ce traitement mettra un terme à tout crime sexuel. Il est en outre très malsain de légiférer en se référant à tel ou tel cas particulier traumatisant. On ne peut pas se protéger de tout.

A son tour, Christiane Demontès a rappelé que le rôle du législateur est d'élaborer des lois avec le plus d'objectivité possible ; il ne faut pas légiférer sous le coup de l'émotion même si la douleur des victimes et de leurs familles ne doit bien entendu pas être oubliée. Par ailleurs, l'erreur médicale est une réalité, elle n'intervient pas seulement dans le cas particulier du traitement des délinquants sexuels. La libération de la parole, mise en oeuvre au cours des dernières années, a permis une meilleure appréhension de la délinquance sexuelle, et c'est une très bonne chose. Même si la question de la responsabilité des personnes atteintes de troubles mentaux est un sujet complexe, il relève bien du législateur de s'en emparer et de faire des propositions, ce que va tenter de faire le groupe de travail commun avec la commission des lois.

En réponse aux différents intervenants, Nicolas About, rapporteur pour avis, est convenu que le devoir du législateur est de légiférer dans le calme, à distance des événements ponctuels ; il doit éviter de se tromper dans l'analyse, comme dans les solutions ; il ne doit pas non plus, sur un sujet comme celui-ci, chercher à compenser un manque de moyens humains ou financiers. La médecine est un art et non une science exacte, elle peut donc être à l'origine d'erreurs ; elle est en perpétuelle évolution. La psychiatrie doit sans doute elle aussi se préparer à modifier certaines de ses perceptions mais c'est une évolution de plus long terme. Dans tous les cas, le médecin essaie le « meilleur traitement » ; il ne peut être responsable de la récidive criminelle. En prison, les délinquants sexuels ne sont pas au contact des facteurs facilitants ou déclenchants et peuvent donc ne pas ressentir les pulsions susceptibles de les pousser à l'acte. De plus, le fait d'accepter en prison les traitements prescrits permet souvent des réductions de peine, ce qui reporte le véritable défi au moment de la sortie de prison. Le juge prononce alors une injonction de soins mais il ne doit pas indiquer quel traitement en particulier car il faut éviter toute confusion entre la justice et la médecine.

Le traitement antihormonal est déjà prescrit dans un certain nombre de circonstances liées aux pulsions sexuelles ; il n'y a donc plus lieu de le mentionner explicitement dans le code de la santé publique où aucun autre médicament ne figure expressément.

Le médecin qui met fin à un traitement assume naturellement la responsabilité de sa décision mais il peut le faire s'il estime qu'il existe un « meilleur traitement ». Pour les patients dangereux, le lien entre le médecin traitant et le médecin coordonnateur est une garantie. Cela étant, il est difficile de contrôler le bon suivi d'un traitement que seuls des dosages sanguins très réguliers pourraient permettre ; de même il est toujours possible pour un patient de se faire prescrire ou délivrer des molécules antagonistes qui auront pour conséquence de contrebalancer l'effet du traitement initial.

Des lieux clos de soins, dénommés unités pour malades dangereux, les UMD, existent mais ils sont encore peu nombreux. Le concept de « défense sociale » proche de la rétention de sûreté est une idée vers laquelle on semble s'orienter aujourd'hui.

Le terme de « castration chimique » est impropre car le traitement est réversible à tout moment. Les effets secondaires du traitement antihormonal sont certains et il revient aux deux médecins, traitant et coordonnateur, d'en mesurer l'ampleur.

Nicolas About, rapporteur pour avis, a enfin souligné que les deux articles dont la commission s'est saisie pour avis sont des ajouts de l'Assemblée nationale, sans doute votés sous le coup de l'émotion ; ils ne figuraient pas dans le rapport de Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation, qui a précédé l'élaboration du projet de loi.

Puis la commission a procédé à l'examen des deux articles dont elle s'est saisie.

A l' article 5 bis (répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires), elle a adopté un amendement de précision afin de lever toute ambiguïté sur la nature des documents médicaux susceptibles de figurer dans le répertoire.

A l' article 5 ter (injonction de soins et surveillance judiciaire), elle a adopté neuf amendements tendant à effectuer plusieurs coordinations et supprimer :

- la référence au traitement antihormonal ou « inhibiteur de la libido » dans l'injonction de soins que peut prononcer le juge afin d'en réserver le choix au médecin traitant ;

- la mention expresse du traitement antihormonal car il n'y a pas lieu de préciser dans la loi les types de traitement pouvant être prescrits par un médecin traitant au cours d'une incarcération ;

- l'obligation pour les experts médicaux de se prononcer sur un type de traitement en particulier, en l'occurrence le traitement antihormonal, leur mission étant de se prononcer sur le contenu de l'injonction de soins, c'est-à-dire sur l'ensemble des traitements susceptibles d'être prescrits ;

- la référence explicite aux traitements antihormonaux dans le code de la santé publique.

Elle a enfin donné un avis favorable à l'adoption de ces deux articles ainsi modifiés.

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