TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. PATRICE RACT-MADOUX, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE LA CAISSE D'AMORTISSEMENT DE LA DETTE SOCIALE (CADES)

Réunie le mardi 7 septembre sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Patrice Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

M. Jean Arthuis , président . - L'heure est à la réforme des retraites, mais n'oublions pas les exigences de financement de la dette sociale, et plus généralement de la sphère publique... Le Gouvernement va nous soumettre dans quelques jours un scénario de reprise de la dette de la sécurité sociale. Outre le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 2011 traiteront également de cette question.

La nouvelle reprise de dette envisagée est d'une ampleur sans précédent. Seront transférés, entre 2011 et 2018, environ 130 milliards d'euros, soit l'équivalent des déficits transférés depuis la création de la CADES. Cette reprise repose sur le compromis suivant. Tout d'abord, l'adossement du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) à la CADES, qui se voit ainsi affecter 1,5 milliard d'euros correspondant notamment à une partie du produit du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital. La liquidation des actifs du FRR entre 2012 et 2024, à hauteur de 2,1 milliards d'euros par an, permettra de financer, dans la limite de 62 milliards d'euros, le remboursement des futurs déficits vieillesse transférés à la CADES entre 2012 et 2018.

Ensuite, l'allongement de la durée de vie de la CADES de quatre ans, dérogation au principe introduit en 2005 selon lequel tout nouveau transfert de dette doit être compensé par des ressources nouvelles, afin de financer les déficits de crise du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en 2009 et 2010, évalués à 34 milliards.

Enfin, l'affectation à la CADES de 3,2 milliards de recettes supplémentaires résultant de la révision des niches fiscales et sociales, à ne pas confondre avec les 3,7 milliards de recettes nouvelles affectées à la réforme des retraites. Ces 3,2 milliards d'euros, qui correspondent en 2010 à 0,26 point de CRDS, ont vocation à financer, à hauteur de 34 milliards, le remboursement des déficits structurels du régime général et du FSV en 2009 et 2010, ainsi que le déficit prévisionnel de la branche maladie en 2011.

Ce schéma soulève de nombreuses questions ; c'est pourquoi nous avons souhaité que M. Ract-Madoux nous éclaire sur ces sujets.

M. Patrice Ract-Madoux, président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) . - Depuis sa création par ordonnance en 1996, la CADES a vu sa protection améliorée par diverses lois de financement de la sécurité sociale et par la loi organique de 2005. Depuis 2005, la CADES calcule sa date probable d'extinction, que son président est tenu de présenter à son conseil d'administration, ainsi qu'au comité de surveillance, actuellement présidé par M. Jégou. Il y a aujourd'hui une chance sur deux que l'amortissement de la dette sociale soit achevé en 2021, comme le prévoit la loi organique de 2005 ; cinq chances sur cent que la fin de la CADES intervienne dès 2020, cinq chances sur cent qu'elle n'ait pas achevé sa tâche en 2022.

De nouveaux transferts de déficits à la Caisse ont été opérés l'année dernière ; respectant l'esprit de la loi organique, le Gouvernement, au lieu d'augmenter la CRDS, avait attribué à la CADES 0,2 point de CSG - quitte à assécher les ressources du FSV. La CADES émet aujourd'hui un emprunt arrivant à maturité en 2021, pour un milliard d'euros, profitant de taux d'intérêt exceptionnellement bas, à 2,86%.

Si le schéma de reprise de dette proposé par le Gouvernement est adopté en l'état, la Caisse reprendrait une dette totale de 130 milliards d'euros sur six ans. Une hypothèse serait de reprendre 68 milliards en 2011, puis 10 milliards par an de 2012 à 2018, au titre de la réforme des retraites, pour combler le déficit prévisionnel de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV). On aboutirait à une reprise de dette totale de 260 milliards, soit le double des transferts de dette intervenus depuis 1996 ! L'hypothèse optimiste est celle d'un amortissement total des dettes sociales en 2025, comme le prévoit la loi organique, sachant que la dette restante dépasse aujourd'hui les 90 milliards.

Plusieurs ressources nouvelles sont affectées à la Caisse pour financer ce transfert. Tout d'abord, 3,2 milliards d'euros, équivalent à 0,26 point de base de CRDS, dont M. Baroin a promis la pérennité - mais la question n'est pas tranchée... Deuxièmement, la mobilisation des actifs du FRR à hauteur de 2,1 milliards d'euros par an de 2012 à 2024. Troisième ressource : le transfert à la Caisse d'une partie du prélèvement de 2 % sur le capital, pour 1,5 milliard par an, qui devrait croître comme la CRDS. Enfin, la durée de vie de la Caisse est allongée de quatre ans.

Dans ce nouveau cadre, la CADES a une chance sur deux d'avoir amorti la dette en 2025 ; une sur cinq d'avoir terminé dès 2023 ; une sur cinq de n'avoir pas fini avant 2027-2028. Son portefeuille est pour une partie constitué d'emprunts à taux fixe à long terme. La nouvelle dette sera financée avec des taux courts, les conditions étant actuellement favorables. Mais il faudra la transformer ensuite en dette à plus long terme dans des conditions que nous ignorons.

M. Jean Arthuis , président . - Il nous reste à espérer que les autres régimes de protection sociale seront à l'équilibre à compter de 2012...

M. Patrice Ract-Madoux . - Le Gouvernement ne propose que la reprise des déficits des branches maladie et vieillesse pour 2009, 2010 et 2011. D'éventuels déficits de l'assurance maladie en 2012, 2013 ou 2014 se reconstitueront sans doute. S'ils sont transférés à la CADES, de nouvelles recettes devront lui être affectées.

M. Jean-Jacques Jégou , rapporteur pour avis . - Je remercie M. Ract-Madoux, qui a toujours tenu le comité de surveillance informé.

Je m'inquiète de la fragilité du panier de recettes affectées à la CADES. La loi organique prévoit que la reprise de tout déficit soit compensée par des recettes correspondantes, traduites en « points CRDS ». Ainsi, les 3,2 milliards d'euros correspondent à 0,26 point de CRDS 2011, mais ce rapport peut changer... Aujourd'hui, le produit de la CRDS représente 6 milliards d'euros : large assiette et faible taux, c'est l'impôt idéal !

Je m'interroge également sur les modalités de l'adossement du FRR à la CADES. La ressource procurée par la fraction du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital est certes relativement liquide, mais il faudra organiser avec soin les décaissements annuels correspondant à la vente des actifs du Fonds : la CADES ne veut pas avoir à gérer les actifs du FRR ! Une parfaite cohésion entre les deux organismes sera nécessaire.

Nous profitons actuellement de taux d'intérêt extrêmement bas. Vos calculs prennent-ils en compte une éventuelle remontée des taux ?

Avec l'entrée des partenaires sociaux dans le conseil d'administration de la Caisse, souhaitée par la Cour des comptes, l'État se retrouverait minoritaire. Est-ce envisageable ?

Enfin, avez-vous calculé les économies qu'aurait permises la reprise de 20 milliards d'euros de dette dès l'an dernier ?

M. Patrice Ract-Madoux . - Comme Édith Piaf, je ne regrette rien : de tels calculs ne serviraient qu'à alimenter d'inutiles regrets !

Nos évaluations prennent en compte une éventuelle dégradation des conditions de marché : c'est pourquoi certaines simulations repoussent l'amortissement de la dette à 2027, voire 2028. En tout état de cause, le président de la CADES est tenu de présenter au Parlement la situation de la Caisse ; si les taux augmentent, il faudra s'assurer que la CADES dispose bien des ressources nécessaires pour remplir sa tâche.

M. Jean-Pierre Fourcade . - Je félicite M. Ract-Madoux pour la clarté de son exposé. La totalité de la dette aujourd'hui portée par l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) est-elle incluse dans les 130 milliards de dette reprise ?

M. Patrice Ract-Madoux . - Les 68 milliards d'euros repris en 2011 incluent le découvert de l'ACOSS fin 2010, qui devrait s'élever à 55 milliards, moins que le plafond de 65 milliards voté par le Parlement. Les 13 milliards restants correspondent à la reprise anticipée d'une partie du découvert pour 2011. Le déficit de l'assurance maladie avoisinant les 20 milliards, l'ACOSS aura sans doute à nouveau un léger découvert fin 2011.

M. Yann Gaillard . - La dette totale de la France comprend-elle les dettes sociales ?

M. Jean Arthuis , président . - Absolument !

Je remercie M. Ract-Madoux : nous pourrons désormais arrêter nos positions en toute lucidité.

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